Réf. : Cass. civ 3, 11 juillet 2024, n° 23-11.688, FS-B N° Lexbase : A44145P8
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N0057B3I
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université de Franche-Comté
le 01 Août 2024
► Lorsque bail rural est annulé, il est censé n'avoir jamais existé ; par conséquent, le preneur ne peut prétendre à l'indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds prévue à l'article L. 411-69, alinéa 1er, du Code rural et de la pêche maritime.
Par acte authentique du 22 juin 2001, un couple a fait donation, avec réserve d'usufruit, à leur fils de divers immeubles de nature agricole dont ils étaient propriétaires. L’épouse est décédée le 14 juin 2002. Le fils et son épouse, par acte du 13 décembre 2006, ont adopté un régime de communauté universelle, devenant nus-propriétaires des biens transmis par la donation du 22 juin 2001.
Le père, usufruitier agissant sans le concours des nus-propriétaires a consenti plusieurs baux ruraux le 22 mars 2009 et le 17 juin 2011 à un exploitant agricole. L’usufruitier est décédé le 2 septembre 2011. Les nus-propriétaires ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une action en nullité des baux consentis sans leur accord. Dans un premier temps, les juges du fond ont considéré que l’usufruitier s'était comporté comme le propriétaire apparent des biens et que le preneur avait pu, en toute bonne foi, croire qu'il contractait avec le véritable propriétaire des biens donnés à bail.
Par arrêt du 6 février 2020 (Cass. civ. 3, n° 18-23.457, F-D N° Lexbase : A93733DI ; cf. Ch. Lebel, Les particularismes des baux ruraux et leurs applications dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation, Acte de colloque, Lexbase Affaires, n° 745, 9 février 2023 N° Lexbase : N4288BZT) la troisième chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 544 N° Lexbase : L3118AB4 et 595, alinéa 4 N° Lexbase : L3176ABA, du Code civil, a cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt du 3 juillet 2018 (CA Limoges, 3 juillet 2018, n° 17/01103 N° Lexbase : A6765XU4).
La cour de renvoi (CA Poitiers, 15 septembre 2022, n° 20/01416 N° Lexbase : A85558IP) confirme la nullité du bail du 22 mars 2009 et la nullité partielle de celui conclut en 2011, en ce qu’il porte sur les parcelles dont le cocontractant n’avait que la qualité d’usufruitier. La cour d’appel confirme également le premier jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation annuelle due par le preneur à compter du 2 septembre 2011 et jusqu'à complète libération des lieux.
Les bailleurs forment un pourvoi, critiquant l’arrêt d’avoir ordonner avant dire droit une expertise judiciaire afin 'évaluer l'éventuelle indemnité due au preneur sortant visée à l'article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime, selon les critères prévus par l'article L. 411-71 du même code N° Lexbase : L4469I4B.
Question. En cas d’annulation d’un bail rural, le preneur peut-il prétendre au paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 411-69 du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L4468I4A au titre des améliorations au fonds loué ?
Enjeu. Le preneur peut-il prétendre à une telle indemnité en cas d’annulation du bail rural car celui-ci a été conclu par l’usufruitier sans le concours du nu-propriétaire ?
Réponse de la Cour de cassation. En application de l’article 1304 du Code civil N° Lexbase : L8527HWQ, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l’article L. 411-69, alinéa 1er, du Code rural et de la pêche maritime, la nullité emporte l'effacement rétroactif du contrat et a pour effet de remettre les parties dans la situation initiale. Par conséquent, le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail. Ainsi, le preneur dont le bail a été annulé et est donc censé n'avoir jamais existé ne peut prétendre à l'indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds prévue à l'article L. 411-69, alinéa 1er, du Code rural et de la pêche maritime.
La solution énoncée par l’arrêt du 11 juillet 2024 n’appelle pas de remarques particulières à propos de la nullité d’un bail rural conclu par le seul usufruitier et en l’absence du concours du bailleur, car elle constitue une application au domaine agricole de l’article 595 du Code civil N° Lexbase : L3176ABA. Elle a été rappelée dernièrement par une décision du 29 novembre 2018 (Cass. civ. 3, 29 novembre 2018, n° 17-17.442, F-P+B+I N° Lexbase : A9165YNR).
Toutefois, les conséquences de l’annulation sont rarement évoquées en jurisprudence. L’arrêt du 11 juillet 2024 clarifie la situation : le bail ayant été annulé, il n’est censé jamais avoir existé. Pour cette raison, le preneur ne peut prétendre à l'indemnité due au titre des améliorations apportées au fonds prévue à l'article L. 411-69, alinéa 1er, du Code rural et de la pêche maritime. Il s’ensuit que les juges du fond ne peuvent désigner un expert aux fins de fixer la valeur de cette indemnité. Le preneur ne peut prétendre à une indemnité qu’au titre de la remise des choses dans leur état.
Pour aller plus loin : cf. ÉTUDE : Caractéristiques du contrat de bail rural à ferme, spéc. Bail rural consenti par un usufruitier ou un nu-propriétaire in Droit rural (dir. Ch. Lebel), Lexbase N° Lexbase : E8932E9P. |
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