Réf. : Cass. crim., 5 mars 2024, n° 23-80.110, FS-B N° Lexbase : A83362R8
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par Marie Le Guerroué
le 26 Mars 2024
► Dans un arrêt rendu le 5 mars 2024, la Chambre criminelle approuve la décision du président de la chambre de l'instruction qui dans une affaire de terrorisme a considéré que les échanges entre une avocate et un autre mis en cause ne matérialisaient pas l’existence d’une relation « avocat-client ».
Faits et procédure. Le 23 mars 2022, une perquisition a été effectuée dans le cabinet d’une avocate au barreau de Paris. Lors de cette perquisition, l'intégralité des dossiers numériques et des données téléphoniques du cabinet a été saisie par les juges d'instruction. Par ordonnance sur contestation de saisies, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement au dossier d'information de divers fichiers et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers. L’avocate forme un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Elle critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel mal fondé et a ordonné le versement à la procédure du contenu des scellés et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers.
Réponse de la Cour.
Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce notamment qu'il ressort de plusieurs éléments de la procédure pour association de malfaiteurs terroriste criminelle ouverte et notamment d'investigations techniques, que la ligne téléphonique de l’avocate apparaissait dans différents groupes WhatsApp avec des membres des forces de l'ordre compromis dans I'association de malfaiteurs, et qu'elle était en particulier membre d'un groupe où était évoqué le plan « Azur », destiné à mener des actions violentes contre les institutions. Le président de la chambre de l'instruction précise que celle-ci a indiqué dans un courriel à un membre des forces de l'ordre impliqué dans l'organisation qu'il pouvait compter sur elle pour faire « partie des civils impliqués », mentionnant la nécessité d'agir vite contre la dictature, ce qui démontre une adhésion, au moment des faits, aux projets visant à renverser le Gouvernement. Il conclut que ces éléments sont des indices de la participation de l’avocate aux faits dont sont saisis les magistrats instructeurs et visés dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la perquisition.
Pour la Cour, en se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen. En effet, il se déduit de ces énonciations qu'il existait, au moment de la perquisition, des raisons plausibles de soupçonner l’avocate d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui faisait l'objet de la procédure ou une infraction connexe.
Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce qu'il importe de déterminer, scellés par scellés, si les pièces saisies en ce qu'il s'agirait de correspondances entre l'avocat et ses clients, utiles à la manifestation de la vérité, sont susceptibles d'établir la preuve de la participation de l'avocat à une infraction, objet de la saisine du juge d'instruction. Pour écarter l'existence d'une relation avocat-client et en conclure que les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat, le président de la chambre de l'instruction énonce qu'aucune lettre de constitution n'est rapportée, qu'aucune convention d'honoraires n'est alléguée, de même qu'aucun acte, événement ou objet en relation avec l'exercice professionnel d'un avocat s'agissant de la défense ou du conseil n'est rapporté ni même allégué. Il ajoute qu'il ressort des déclarations mêmes de l’avocate qu'elle a utilisé plusieurs adresses électroniques à diverses fins, sans qu'il soit possible d'attribuer à telle adresse électronique un usage purement professionnel dans le cadre d'une relation de défense ou de conseil. Il précise que la qualité d'avocat ou le recours à des formules de politesse en usage dans la profession d'avocat retrouvées dans certains échanges, ne sont pas de nature à caractériser le fait que ces derniers s'inscrivaient dans une relation qui serait couverte par le secret professionnel. Il énonce qu'il ressort en outre des déclarations faites lors du débat contradictoire par l’avocate, l'existence d'une confusion dans l'usage de son outil informatique à des fins professionnelles et personnelles, de sorte qu'il n'est aucunement justifié que les échanges avec le mis en cause relèvent de la relation avocat-client. Il relève encore que l'analyse d'un rapport parlementaire sur un projet de loi en cours de discussion ne saurait caractériser une relation avocat-client, quand bien même le mis en cause écrirait « maître » et l’avocate répondrait « votre bien dévouée », s'agissant d'un style de circonstance dénué de lien avec une consultation dans le cadre d'une relation avocat-client, que si l’avocate allègue avoir contribué à la réflexion autour de la création d'un parti politique, il n'est pas démontré que cette contribution était rattachée à son exercice professionnel d'avocat.
Il conclut enfin qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que les documents saisis sur lesquels une contestation demeurait devant le juge des libertés et de la détention, s'inscrivaient dans une relation avocat-client identifiée et qu'il ne résulte pas non plus des arborescences de fichiers des éléments permettant de considérer que les documents appartenant à ces arborescences relevaient d'une relation avocat-client.
Les juges du droit rappellent que selon le deuxième alinéa de l'article 56-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1314MAW, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729, du 22 décembre 2021, pour la confiance dans l'institution judiciaire N° Lexbase : Z459921T, le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques N° Lexbase : L6343AGZ, ne soit saisi ni placé sous scellé. Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions n'ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d'une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (Cons. const., décision n° 2022-1030 QPC, du 19 janvier 2023 N° Lexbase : A936388B).
Par ailleurs, le secret professionnel de l'avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale (Cass. crim., 14 janvier 2003, n° 02-87.062, F-P+F N° Lexbase : A8208A4R). En adoptant les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, le législateur n'a pas entendu remettre en cause cette jurisprudence.
En prononçant comme il l’a fait, le président de la chambre de l'instruction, qui a, par une motivation dépourvue d'insuffisance comme de contradiction, exclu que les documents saisis relèvent de l'exercice des droits de la défense et soient couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, au sens de l'article 56-1 précité, et qui n'avait donc pas à rechercher si ces pièces étaient susceptibles de caractériser la participation de l'avocate aux faits objet de l'information, a justifié sa décision.
Rejet. La Cour rejette par conséquent le pourvoi.
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