Le Quotidien du 13 octobre 2023 : Peines

[Le point sur...] Salah Abdeslam : peut-il échapper à l’exécution de sa peine en France ?

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par Julien d’Andurain et Jean-Marc Delas, avocats au Barreau de Paris

le 18 Octobre 2023

Mots-clés : transfèrement international • perpétuité réelle • période de sûreté • non-rétroactivité

Salah Abdeslam a obtenu du juge des référés belge la suspension de son transfert vers la France, où il devait exécuter la peine de réclusion à perpétuité réelle à laquelle il a été condamné pour sa participation aux attentats du 13 novembre 2015. Peut-il espérer une confirmation par le juge du fond belge, et donc l’exécution en Belgique d’une peine soumise au droit belge ? C’est-à-dire avec la possibilité de solliciter un aménagement dans des conditions plus souples qu’en France.

Note liminaire. Les auteurs de cet article ont assisté plusieurs victimes des attentats du 13 novembre 2015, ainsi que l’association LIFE FOR PARIS lors du procès qui s’est tenu devant la cour d’assises spéciale de Paris de septembre 2021 à juin 2022.


 

Le 3 octobre 2023, la cour d’appel de Bruxelles, statuant en référé, a fait interdiction à l’État belge de transférer Salah Abdeslam à l’État français.

Par arrêt de la Cour d’assises de Paris spécialement composée du 29 juin 2022, Salah Abdeslam a été condamné à la réclusion dite à « perpétuité réelle », c’est-à-dire avec une durée illimitée de la période au cours de laquelle aucun aménagement de peine ne peut être sollicité, appelée période de sûreté.

Il a par la suite été remis à la Belgique, le temps d’être jugé pour sa participation aux attentats commis à Bruxelles le 22 mars 2016.

Reconnu coupable par la Cour d’assises de Bruxelles d’assassinats dans un contexte terroriste (arrêt du 25 juillet 2023), il a été dispensé de peine (arrêt du 15 septembre 2023).

Salah Abdeslam n’a contesté aucune de ses deux condamnations, lesquelles sont définitives.

Il doit désormais être transféré en France pour y exécuter sa peine française.

Mais il a saisi le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles d’une demande tendant à ce que son transfert en France soit interdit.

Cela notamment au motif que les conditions dans lesquelles il y serait susceptible d’obtenir le relèvement de la période de sûreté, et donc ensuite éventuellement un aménagement de peine, seraient trop restrictives et par là contraires aux dispositions de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) N° Lexbase : L4764AQI, aux termes duquel « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Il a formulé la même demande en référé, afin que son transfert soit suspendu le temps que sa demande au fond soit jugée.

Débouté en première instance de sa demande en référé [1], il a obtenu gain de cause en appel par cet arrêt du 3 octobre 2023.

Il ne s’agit pas pour Salah Abdeslam d’obtenir des conditions plus souples de relèvement de sa période de sûreté française, plutôt d’exécuter en Belgique une peine belge, ce qui serait à son avantage (I.).

Mais la Cour d’appel de Bruxelles, statuant en référé, s’est trompée dans son analyse, la disposition française dont elle envisage qu’elle puisse être contraire à la CESDH n’étant applicable qu’aux faits commis à compter du 5 juin 2016 (II.).

I. De l’intérêt pour Salah Abdeslam d’exécuter sa peine en Belgique

Il existe plusieurs textes de droit international permettant à des personnes condamnées dans un État de solliciter d’exécuter leur peine dans un autre État [2].

Mais l’État d’« émission » de la condamnation, la France au cas d’espèce, dispose toujours d’une capacité à s’opposer à cette demande.

Il est intéressant de noter qu’il existe en droit belge une disposition permettant à un ressortissant ou un résident belge, dont la remise est sollicitée par un autre État membre de l’Union européenne pour y être jugé, de demander que son transfert soit effectué sous condition que la peine qui serait prononcée soit exécutée en Belgique [3].

Plusieurs des personnes condamnées pour leur participation aux attentats du 13 novembre 2015 ont sollicité et obtenu le bénéfice de cette disposition avant d’être jugées en France, et exécuteront donc en Belgique leur condamnation française.

Salah Abdeslam n’est pas ressortissant belge, mais il était résident belge lorsque la France a demandé sa remise en mars 2016, et pouvait donc solliciter que son transfert soit conditionné à l’exécution de sa peine en Belgique.

Il ne l’a pas fait à l’époque, mais entend tout de même aujourd’hui exécuter sa peine en Belgique.

Dans une telle hypothèse, lorsqu’une personne condamnée obtient d’exécuter sa peine dans un autre État que celui où elle a été jugée, le principe est que la condamnation est régie par le droit de l’État d’exécution et doit, le cas échéant, être adaptée.

C’est-à-dire que si la peine prononcée dans l’État d’émission est supérieure au maximum légal encouru pour des infractions de même nature dans l’État d’exécution, elle est réduite pour correspondre à ce dernier [4].

En Belgique, l’auteur d’un meurtre commis dans le cadre d’une entreprise terroriste encourait comme en France, au moment des attentats du 13 novembre 2015, la réclusion à perpétuité [5].

Cependant :

  • jusqu’à une loi du 21 décembre 2017 [6], le droit belge ne connaissait pas véritablement la notion de période de sûreté. Il était seulement prévu, s’agissant d’une personne non-récidiviste condamnée à une peine privative de liberté à perpétuité, tel Salah Abdeslam, qu’une libération conditionnelle pouvait être sollicitée après avoir subi dix ans de la peine prononcée ;
  • depuis, une période de sûreté peut être prononcée pour une durée de quinze à vingt-cinq années [7].

Or, il existe en droit pénal un principe de non-rétroactivité de la loi [8], c’est-à-dire que la norme applicable est celle en vigueur au moment des faits, sauf si elle devient plus « douce » par la suite.

Principe dont le Conseil d’État belge a considéré qu’il s’appliquait à la période de sûreté [9].

Dans l’hypothèse où Salah Abdeslam obtiendrait d’exécuter sa peine en Belgique, ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale pourrait conduire à ce qu’il exécute sa peine au regard des dispositions antérieures à celles de la loi du 21 décembre 2017.

Détenu depuis 2016, il pourrait donc y solliciter une libération conditionnelle à partir de 2026.

S’il devait en revanche être retenu, comme c’est le cas en France [10], que l’adaptation de la peine doit se faire en tenant compte de la loi en vigueur dans l’État d’exécution au moment du transfert et non pas des faits, alors il pourrait solliciter sa libération après quinze ans de réclusion, soit à partir de 2031.

II. De l’impossibilité d’interdire un transfert vers la France

En France, l’article 720-4 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L5647DYS prévoit qu’une personne condamnée à la réclusion à perpétuité « réelle » peut demander à être relevée de la période de sûreté dont sa peine a été assortie, et ensuite solliciter un aménagement de peine.

Ce relèvement peut intervenir dès lors que le condamné a subi une incarcération au moins égale à trente ans et après une expertise réalisée par un collège de trois experts médicaux qui se prononcent sur l’état de dangerosité du condamné.

L’article 720-5 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4877K87, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 [11] entrée en vigueur le 5 juin 2016, a rendu plus restrictives les conditions d’un tel relèvement en matière de terrorisme.

En effet, en sus des conditions précitées de droit commun, le relèvement de la période de sûreté ne peut alors intervenir que :

  • lorsque le condamné manifeste des gages sérieux de réadaptation sociale ;
  • lorsque la réduction de la période de sûreté n'est pas susceptible de causer un trouble grave à l'ordre public ;
  • après avoir recueilli l'avis des victimes ayant la qualité de parties civiles lors de la décision de condamnation.

C’est au regard de cet article 720-5 du Code de procédure pénale que la Cour d’appel de Bruxelles a pris sa décision :

« si de jure l’article 720-5 du Code de procédure pénale offre une possibilité de réduction de la peine de sûreté, il est permis de s’interroger, prima facie, sur la possibilité de réexamen de facto, et partant sur l’effectivité du mécanisme et l’existence d’une perspective réelle d’être un jour libéré, dès lors que sont requis (i) l’avis des parties civiles et (ii) l’absence de trouble grave à l’ordre public, conditions que la Cour EDH n’a pas examinées dans l’arrêt Bodein » (§ 21 de l’arrêt du 3 octobre 2023).

Cependant, le droit français tient compte, comme le droit belge, du principe de non-rétroactivité de la loi pénale [12].

Les règles relatives à l’exécution et à l’application des peines n’y dérogent pas « lorsqu'elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation […] » [13].

Et le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de juger que tel était le cas de dispositions restreignant les conditions d’un relèvement de la période de sûreté [14].

Les nouvelles dispositions de l’article 720-5 du Code de procédure pénale ne sont donc applicables qu’aux faits commis à compter de leur entrée en vigueur le 5 juin 2016.

La peine de Salah Abdeslam est en revanche régie par les dispositions de l’article 720-4 du Code de procédure pénale [15].

Or, ainsi que le rappelle la Cour d’appel de Bruxelles, statuant en référé, dans son arrêt du 3 octobre 2023, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que l’article 720-4 du Code de procédure pénale est conforme aux dispositions de la CESDH [16].

L’interdiction du transfert de Salah Abdeslam vers la France ne devrait donc pas pouvoir être confirmée par les juridictions belges, que ce soit dans l’hypothèse d’une procédure en cassation relative à l’arrêt rendu en référé, ou dans le cadre de la procédure au fond qu’il a par ailleurs initiée sur la même question.

En tout cas pas pour le motif retenu par la Cour d’appel de Bruxelles dans son arrêt du 3 octobre 2023.

 

[1] Tribunal de première instance francophone de Bruxelles, section civile, chambre des référés, 13 septembre 2023, n° 2023/111/C [en ligne].

[2] Par exemple la Convention de Strasbourg, du 21 mars 1983,  sur le transfèrement des personnes condamnées N° Lexbase : L9436LE9 et la Décision-cadre 2008/909/JAI, du Conseil de l'Union européenne, du 27 novembre 2008 [en ligne].

[3] Loi (belge), du 19 décembre 2003, relative au mandat d’arrêt européen, art. 8 [en ligne].

[4] Cf. Décision-cadre 2008/909/JAI, du Conseil de l’Union européenne, du 27 novembre 2008, art. 8 préc. et, pour la transposition en droit belge : Loi (belge), du 15 mai 2012, relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux peines ou mesures privatives de liberté prononcées dans un État membre de l'Union européenne, art. 18 [en ligne].

[5] Combinaison des articles 393, 137 et 138 (§ 1er, 10°) du Code pénal belge.

[6] Cf. Loi (belge) du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d'exécution de la peine, art. 25 [en ligne].

[7] Loi (belge), du 21 décembre 2017, modifiant diverses dispositions en vue d'instaurer une période de sécurité et modifiant la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive en ce qui concerne l'arrestation immédiate, art. 3 [en ligne] : « en cas de condamnation […] à une réclusion ou détention à perpétuité, l'arrêt peut établir que la libération conditionnelle ou la mise en liberté provisoire en vue d'éloignement du territoire ou en vue de remise ne peut être accordée qu'après que la personne condamnée a subi plus de quinze ans et maximum vingt-cinq ans de cette peine ».

[8] Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, art. 7, § 1er N° Lexbase : L4797AQQ « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise » ; Code pénal belge, art. 2 [en ligne] : « Nulle infraction ne peut être punie de peines qui n'étaient pas portées par la loi avant que l'infraction fût commise. Si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l'infraction, la peine la moins forte sera appliquée ».

[9] Avis du Conseil d’État belge n° 61.996/1/V du 12 septembre 2017, reproduit dans le Projet de Loi modifiant la Loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive concernant l’arrestation immédiate et introduisant une période de sûreté, 23 octobre 2017, p. 31 [en ligne] : « Une durée minimale fixée par la loi, en fonction de la gravité de l’infraction, doit être considérée comme un élément de la gravité de la peine ».

[10] Cass. crim., 24 juin 2015, n° 13-87.316, FS-P+B+I N° Lexbase : A0099NMM : « il se déduit de l'article 728-4 précité que l'adaptation de la peine prononcée, à l'étranger, à l'encontre du condamné transféré se fait au regard de la loi française en vigueur à la date de son transfèrement ».

[11] Loi n° 2016-731, du 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale N° Lexbase : L4202K87.

[12] DDHC, 26 août 1789, art. 8 N° Lexbase : L1372A9P : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Cf. également Code pénal, art. 112-1, al. 1 et 2 N° Lexbase : L2215AMY : « Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date […] ».

[13] Code pénal, art. 112-2 N° Lexbase : L0454DZT.

[14] Cons. const., décision n° 86-215 DC, 3 septembre 1986 N° Lexbase : A8141ACI.

[15] Sur ce point, cf. J.-B. Thierry, Professeur à l’Université de Lorraine, Perpétuité avec période de sûreté incompressible pour S. Abdeslam : une remise en liberté largement conditionnée mais possible, Le club des juristes, 4 juillet 2022 [en ligne] à propos de l’applicabilité du régime prévu depuis le 5 juin 2016 à l’article 720-5 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L4877K87 : « Ce régime particulier n’est toutefois pas celui qui s’appliquera à Salah Abdeslam ».

[16] CEDH, 13 novembre 2014, Req. 40014/10, Bodein c/ France N° Lexbase : A0031M3K.

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