Les principes directeurs du procès judiciaire, Etienne Vergès, Université d'Aix-Marseille, 01-01-2000
X0368CR3
Cet ouvrage reproduit le texte intégral de la thèse établi à la date de soutenance ou dans sa version amendée à la suite des éventuelles observations du jury de thèse. Des notes de version sont susceptibles d’être insérées dans cet ouvrage de manière distincte.
I) Genèse de la catégorie juridique des principes directeurs du procès judiciaire
1) Les principes directeurs du procès civil.
2) Les principes directeurs du procès pénal.
II) Définition des termes du sujet
III) Détermination d’un corpus objet de l’observation
IV) Confrontation des principes directeurs du procès judiciaire avec les notions voisines
1) principes directeurs du procès judiciaire et sources du droit
A) sources formelles et principes directeurs du procès judiciaire
B) sources matérielles et principes directeurs du procès judiciaire
2) principes directeurs du procès judiciaire et normes juridiques
A) La normativité générique des principes directeurs du procès judiciaire
a) La norme juridique comme proposition obligatoire
b) La norme juridique comme proposition sanctionnée
c) L’origine étatique comme fondement de la juridicité
B) La normativité spécifique des principes directeurs du procès judiciaire
a) l’utilisation du vocable « principe » comme trait distinctif ?
α) Les variations terminologiques autour du vocable « principe »
β) La multiplicité de qualifications pour une même règle de droit
δ) L’utilisation abusive de la dénomination « principe »
b) Les principes directeurs et les autres principes du droit
V) Définition de la problématique.
Première partie : La notion de principe directeur du procès judiciaire
Titre 1 : Les origines des principes directeurs du procès judiciaire
§ 1 : Les sources textuelles des principes directeurs du procès judiciaire
A) Les sources internationales
a) Le rôle déterminant de la CESDH dans la création de principes directeurs du droit européen.
a) La présence des principes directeurs dans toutes les strates de la hiérarchie organique
b) La coexistence des principes directeurs dans plusieurs sources textuelles
c) Le monopole des textes de droit substantiel sur certains principes directeurs
§ 2 : Les sources jurisprudentielles des principes directeurs du procès judiciaire
A) La controverse théorique sur la détermination des principes juridiques par le juge
B) La détermination des principes directeurs par le juge
a) La détermination de principes internationaux
b) La détermination de principes constitutionnels
c) La détermination de principes généraux du droit
§ 1 : La divergence d’application d’un même principe visé dans plusieurs sources
A) La difficulté de connaître l’étendue d’un principe à contenu variable
B) La diversité d’interprétations d’un même principe par des juridictions différentes
§ 2 : Identité ou similarité de contenu pour deux principes distincts
A) La confusion dans la dénomination d’un principe directeur
C) La similarité de contenu pour deux principes-cadre
Section 1 : Les origines téléologiques des principes directeurs du procès judiciaire
§ 1 : la dimension axiologique des principes directeurs du procès judiciaire
A) L’apport de la pensée axiologique à la théorie procédurale
B) L’identification des valeurs procédurales à travers les principes directeurs du procès judiciaire
a) Les principes-valeur ou l’incarnation immédiate de la valeur dans la norme
b) Les principes-technique ou la pénétration médiate des valeurs dans la norme
c) Les conflits de valeurs du droit processuel et les principes directeurs du procès judiciaire
§ 2 : La dimension utilitariste des principes directeurs du procès judiciaire
b) La garantie d’une bonne administration de la justice
a) Principes directeurs et devoir de juger
b) Principes directeurs et célérité de la procédure
c) Principes directeurs et règlement définitif du différend
§ 1 : la conception traditionnelle de la hiérarchie des normes : le « rapport linéaire » strict.
A) présentation de la « théorie française de la hiérarchie des normes »
B) Limites et contradictions inhérentes à la « théorie française de la hiérarchie des normes »
§ 2 : une conception rénovée de la théorie traditionnelle sous l’influence des principes directeurs
A) Les principes directeurs comme indices de la rénovation
B) L’adjonction d’un nouveau critère : la théorie du « repère plan »
Titre 2 : Les caractères des principes directeurs du procès judiciaire
Chapitre 1 : Les caractères discutés des principes directeurs du procès judiciaire
Section 1 : L’universalité des principes directeurs du procès judiciaire
§ 1 : Le rejet de l’universalisme des principes directeurs du procès judiciaire
A) Les théories universalistes et les droits de l’homme
B) La remise en cause du dogme universaliste
a) Les principes directeurs et l’universalité des droits de l’homme
b) Les principes directeurs et l’universalité des principes généraux du droit
c) Les principes directeurs et l’universalité du droit processuel
§ 2 : L’affirmation d’une communauté de droits processuels dans les démocraties occidentales
Section 2 : La consubstantialité des principes directeurs du procès judiciaire
§ 1 : Les thèses consubstantialistes
A) La consubstantialité supposée de certains principes directeurs du procès judiciaire
B) L’application généralisée comme indice de la consubstantialité
§ 2 : La relative consubstantialité des principes directeurs du procès judiciaire
A) La défaillance des principes directeurs dans le procès politique
B) La défaillance des principes directeurs dans le procès démocratique
Section 3 : La primauté des principes directeurs du procès judiciaire
§ 1 : La déduction : les règles techniques comme applications particulières d’un principe
§ 2 : L’induction : le principe comme généralisation des règles techniques
B) Le mouvement d’induction-déduction
Chapitre 2 : Les caractères adoptés des principes directeurs du procès judiciaire
Section 1 : La continuité des principes directeurs du procès judiciaire (les principes et le temps)
§ 1 : La force d’inertie des principes directeurs du procès judiciaire (la loi de l’évolution)
§ 2 : Le mouvement des principes directeurs du procès judiciaire (les formes de l’évolution)
A) Le renforcement d’un principe directeur du procès judiciaire
B) L’affaiblissement d’un principe directeur du procès judiciaire
C) La transformation d’un principe directeur du procès judiciaire
§ 1 : La généralité dans la formulation de la règle
§ 2 : La généralité dans le domaine d’application de la règle
A) Les éléments de la généralité
B) La valeur de la généralité.
§ 1 : La notion de flexibilité
A) La flexibilité des principes directeurs empruntée à un standard ou une notion floue
a) Les similitudes entre les principes et les standards
b) Les standards transmettent aux principes leur flexibilité
B) La flexibilité entraîne une atteinte à l’autorité normative du principe
a) L’existence du seuil de flexibilité
b) La variation du seuil de flexibilité
1) Seuil de flexibilité et nature de la norme
2) Seuil de flexibilité et positivité du principe
§ 2 : Les facteurs de flexibilité
A) Les circonstances de droit et la flexibilité des principes directeurs du procès judiciaire
a) L’opposition d’un principe directeur à une autre norme juridique
b) La relation entre un principe directeur et l’ordre public
B) Les circonstances de fait et la flexibilité des principes directeurs du procès judiciaire
Conclusion de la première partie
Seconde partie : L’action des principes directeurs du procès judiciaire
Section 1 : Le champ relationnel des principes directeurs du procès judiciaire
A) L’intersection entre plusieurs principes directeurs du procès judiciaire
B) L’inclusion d’un ou plusieurs principes dans un autre
a) L’émancipation d’un principe générique
c) Principes génériques et principes matriciels
§ 2 : Le champ non-interactionnel
A) Le partage du champ procédural
B) L’empiétement d’un principe dans le champ d’un autre
C) La concurrence de deux principes sur un même champ
Section 2 : Les modalités relationnelles des principes directeurs du procès judiciaire
A) La combinaison de plusieurs principes directeurs du procès judiciaire
B) La protection d’un principe directeur par un autre
a) La protection directe d’un principe directeur par un autre
b) La protection indirecte d’un principe directeur par un autre
A) L’opposition entre principes directeurs du procès judiciaire
C) L’encadrement d’un principe directeur par d’autres
b) Les techniques d’encadrement
§ 1 : L’action traditionnelle des principes directeurs sur les normes formellement inférieures
A) L’action des principes internationaux sur les normes internes
a) L’influence des principes européens sur l’application du droit interne
1) L’influence de la CEDH sur la jurisprudence de la Cour de cassation
2) L’initiative de la Cour de cassation dans l’application de la CESDH
b) L’influence des principes européens sur l’évolution du droit interne
B) l’action des principes constitutionnels sur les normes inférieures
a) Le Conseil constitutionnel et les principes directeurs du procès judiciaire
b) Le juge judiciaire et les principes directeurs constitutionnels.
§ 2 : L’action atypique des principes directeurs sur les normes formellement supérieures
a) l’interprétation de la règle écrite conformément au principe jurisprudentiel
1) L’interprétation extensive des normes textuelles conformes à un principe
b) L’éviction de la norme écrite contraire au principe jurisprudentiel
1) L’appel-nullité, voie de recours malgré une exclusion textuelle
2) Le recours en cassation malgré les exclusions textuelles
3) L’éviction de la règle écrite semble tenir de la spécificité des principes
B) l’apport de l’action de neutralisation sur la représentation du système juridique
a) L’ambiguïté des rapports entre normes textuelles et jurisprudentielles
b) Une représentation nouvelle du système juridique : la « théorie des trois plans »
§ 1 : L’action fondatrice des principes directeurs du procès judiciaire
A) L’action fondatrice dans la construction du droit processuel
B) L’action fondatrice dans la mise en œuvre du droit processuel
a) Donner un sens aux règles du droit écrit
1) Donner une signification aux règles textuelles
2) Donner une direction aux règles textuelles
b) Assurer la complétude du droit processuel
§ 2 : L’action unificatrice des principes directeurs du procès judiciaire
A) Les principes directeurs comme expression d’un droit commun processuel
a) La solution traditionnelle : le Code de procédure civile comme droit commun
b) La solution contemporaine : le recours aux principes directeurs
B) Les principes directeurs et les particularismes procéduraux
b) Les rapprochements progressifs
1) Le procès pénal se civilise
2) Le procès civil se pénalise
c) Les singularités résiduelles
Titre 2 : L’action des principes directeurs sur le déroulement du procès judiciaire
Chapitre 1 : L’action des principes directeurs du procès judiciaire sur les actes de la procédure
Section 1 : Les principes directeurs du procès judiciaire, fondements de la sanction procédurale
§ 1 : Les relations entre les principes directeurs du procès judiciaire et les actes de procédure
§ 2 : Les sanctions qui assortissent l’action des principes directeurs sur les actes de procédure
A) La nullité sanction de droit commun
B) Les autres sanctions procédurales
Section 2 : Les principes directeurs du procès judiciaire, conditions de la sanction procédurale
A) La place du grief dans le droit processuel privé
B) Le lien entre le grief et les principes directeurs du procès judiciaire
a) Le grief et les intérêts de la partie qui s’en prévaut
b) Le grief et le vice dans la recherche de la vérité
A) Les droits de la défense et la présomption du grief.
B) La présomption du grief et la protection de la liberté individuelle.
§ 1 : Le droit au juge judiciaire français
A) Le recours procédural contre le jugement rendu à l’étranger
B) Le recours procédural contre les sentences arbitrales
§ 2 : Le droit au double degré de juridiction
A) L’appel, voie d’annulation en vertu d’un texte
B) L’appel, voie d’annulation contre un texte
C) L’appel, voie d’annulation et le double degré de juridiction
§ 3 : Le droit au recours en cassation
§ 4 : Le droit à la révision d’une décision
Chapitre 2 : L’action des principes directeurs sur les acteurs du procès judiciaire
§ 1 : L’action des principes directeurs sur les juges
§ 2 : L’action des principes directeurs sur les parties
A) Les parties et leur action (le droit d’agir en justice)
C) La personne poursuivie et sa liberté
Section 2 : L’action des principes directeurs du procès judiciaire assortie d’une sanction civile
A) La responsabilité générale du service public de la justice
B) Les régimes spéciaux de responsabilité
a) La violation d’un principe du droit interne
b) La violation d’un principe de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
§ 2 : La mise en conformité avec les prescriptions d’un principe directeur du procès judiciaire
A) Les sanctions civiles qui assortissent la production forcée de pièces en justice
B) L’insertion d’un communiqué dans la presse
§ 1 : La responsabilité pénale pour violation d’un principe directeur du procès judiciaire
A) La protection principale d’un principe directeur par une sanction pénale
B) La protection incidente d’un principe directeur par une sanction pénale
§ 2 : La responsabilité disciplinaire pour violation d’un principe directeur du procès judiciaire
Conclusion de la seconde partie
Annexe 1 : schéma hiérarchique général
Annexe 2 : autorité distincte de deux normes situées sur un même niveau dans la hiérarchie organique
Annexe 3 : représentation de la « théorie des trois plans »
Annexe 4 : analyse de la « théorie des trois plans » (1)
Annexe 5 : analyse de la « théorie des trois plans » (2)
Annexe 6 : essai d’une représentation du droit dans l’espace
I) Ouvrages généraux, traités, manuels
II) Ouvrages spéciaux, thèses, monographies, rapports
ACP | Afrique – Caraïbes – Pacifique |
Aff. | Affaire |
AJDA | Actualité juridique droit administratif |
Al. | Alinéa |
ALD | Actualité législative Dalloz |
APC | Archives de politique criminelle |
APD | Archives de philosophie du droit |
APJ | Agent de police judiciaire |
Art./art. | Article/article |
Bull. ch. avoués | Bulletin de la Chambre des avoués près la Cour d’Appel de Paris |
Bull. civ. | Bulletin des arrêts des Chambres civiles de la Cour de cassation |
Bull. crim. | Bulletin des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation |
Bull. d'Aix | Bulletin des arrêts de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence |
C. ass. | Cour d'assises |
C. civ. | Code civil |
C. com. | Code de commerce |
C. org. jud. | Code de l’organisation judiciaire |
C. pén. | Code pénal |
C. pr. civ. | Code de procédure civile |
C. pr. Pén. | Code de procédure pénale |
C. trav. | Code du travail |
C/ | Contre |
CA. | Cour d'appel |
Cass. ass. plén. | Cour de cassation (arrêt de l’assemblée plénière) |
Cass. Ch. mixte | Cour de cassation (chambre mixte) |
Cass. Civ. | Cour de cassation (chambre civile) |
Cass. Com. | Cour de cassation (chambre commerciale) |
Cass. Comm. réexamen | Cour de cassation (commission de réexamen des décisions pénales) |
Cass. Crim. | Cour de cassation (chambre criminelle) |
Cass. Req. | Cour de cassation (chambre des requêtes) |
Cass. sect. réun. | Cour de cassation (arrêt de sections réunies) |
Cass. Soc. | Cour de cassation (chambre sociale) |
CC | Conseil constitutionnel |
CE ass | Conseil d’Etat (arrêt d’assemblée) |
CE | Conseil d'Etat |
CEDH | Cour européenne des droits de l’homme |
CESDH | Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales🏛 |
CESDIP | Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales |
Cf. | Confer |
Ch. réun. | Chambres réunies |
Ch. | Chambre |
Chron. | Chronique |
CIJ | Cour internationale de justice |
CJCE | Cour de justice des communautés européennes |
CJR | Cour de justice de la République |
COB | Commission des opérations de bourse |
Com. | Commentaire |
Commission EDH | Commission européenne des droits de l’homme |
Concl. | Conclusions |
Contra | Contraire |
CSM | Conseil supérieur de la magistrature |
Dalloz | Recueil Dalloz |
DC | Décisions du Conseil constitutionnel concernant la conformité à la Constitution |
DDH | Déclaration des droits de l’homme |
DH. | Recueil Dalloz hebdomadaire |
Doct. | Doctrine |
DP. | Recueil Dalloz périodique |
DUDH | Déclaration universelle des droits de l’homme |
Ed. | Edition |
Fasc. | Fascicule |
FLNC | Front de libération nationale de la Corse |
F. | Francs |
Gaz. Pal. | Gazette du Palais |
Ibid | (Ibidem) Au même endroit |
In | Dans |
Infra | Ci-dessous |
I.R. | Informations rapides |
JCP E | Juris-classeur périodique, édition entreprise |
JCP | Juris-classeur périodique, édition générale |
JDI | Journal du droit international |
J.O. | Journal officiel |
JT | Journal des tribunaux |
Juris. | Jurisprudence |
KGB | Komitet Gosudarstvennoy Bezopasnosti (Comité pour la sécurité de l’Etat) |
LGDJ | Librairie générale de droit et de jurisprudence |
M. | Monsieur |
MM. | Messieurs |
Mme. | Madame |
N° | Numéro |
NKVD | Narodnij Kommissariat Vnutrennykh Del (Commissariat du peuple aux affaires intérieures) |
Nouv. C. pr. civ.. | Nouveau Code de procédure civile |
Obs. | Observations |
ONU | Organisation des Nations Unies |
Op. cit. | Opere citato (dans l’ouvrage cité) |
OPJ | Officier de police judiciaire |
p. | Page |
PFRLR | Principe fondamental reconnu par les lois de la République |
PGD | Principe général du droit |
PKK | Parti des travailleurs du Kurdistan |
Préc. | Précité |
PUAM | Presses universitaires d'Aix-Marseille |
PUF | Presses universitaires de France |
PUG | Presses universitaires de Grenoble |
RDP | Revue de droit public |
RDPC | Revue de droit pénal et de criminologie |
Rec. CC | Recueil des décisions du Conseil constitutionnel |
Rec. C.E. | Recueil des arrêts du Conseil d'Etat |
Rec. Cons. Const. | Recueil des décisions du Conseil constitutionnel |
Rép. Defrénois | Répertoire du notariat Defrénois |
Requ. | Requête |
Rev. Arb | Revue de l’arbitrage |
Rev. crit. dr. internat. Privé | Revue critique de droit international privé |
Rev. proc. coll. | Revue des procédures collectives |
RFDA | Revue française de droit administratif |
RFDC | Revue française de droit constitutionnel |
RGDP | Revue générale des procédures |
RICPT | Revue internationale de criminologie et de police technique |
RIDC | Revue internationale de droit comparé |
RIDP | Revue internationale de droit pénal |
RPDP | Revue pénitentiaire et de droit pénal |
RRJ | Revue de la recherche juridique |
RSC | Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé |
RTD civ | Revue trimestrielle de droit civil |
RTD com. | Revue trimestrielle de droit commercial |
RTDH | Revue trimestrielle des droits de l’homme |
Sirey | Recueil Sirey |
Som. com. | Sommaire commenté |
Som. | Sommaire |
Suiv. | Suivants/suivantes |
Supra | Ci-dessus |
t. | Tome |
TC | Tribunal des conflits |
TGI | Tribunal de grande instance |
URSS | Union des Républiques Socialistes Soviétiques |
Vol. | Volume |
Qui ne s’est pas assimilé ces principes générateurs ne saura jamais la procédure, n’en aura pas pénétré l’esprit, n’en aura pas acquis l’intuition, sa mémoire lui permit-elle de répéter sans broncher les articles d’un Code ou les formules d’un vade mecum. Le praticien qui ne possède pas ces règles fondamentales est fatalement voué à une inintelligente routine, qui le laisse impuissant ou maladroit devant des faits, des hypothèses non expressément visées par le texte légal »[1].
En quelques lignes, ce processualiste du 19ème siècle avait parfaitement cerné tant la notion que le rôle joué par les principes dans la procédure. Tout était dit et il n’y aurait plus rien à ajouter si, dans le courant du siècle qui s’achève, la problématique des principes directeurs n’avait pris un essor considérable tant d’un point de vue théorique que pratique. Les principes de la procédure ont animé les esprits, suscité les réformes. Aujourd’hui, il est peu de juristes pour négliger leur existence. Pourtant, les contours de ces principes restent à déterminer.
Les principes directeurs du procès judiciaire forment une réalité tangible. Toutefois, si l’on tente de les approcher, de les connaître mieux, ils se révèlent imperméables, presque inaccessibles. Leur étude exige de procéder avec délicatesse. A l’image d’une espèce rare, les principes se dérobent devant celui qui proclame leur nom avec trop de véhémence. A l’image de livres anciens, ils s’effritent dans les mains de celui qui les manipule sans précaution. Les principes directeurs doivent être considérés comme les objets d’une science, celle des juristes. Pour les connaître, il faut examiner leur composition, leurs particularismes, leurs comportements. Cet examen approfondi nécessite au préalable, que l’on définisse un cadre à l’étude. Après avoir mis en évidence la genèse des principes directeurs en doctrine et en droit positif (I), il faudra définir séparément chacun des termes du sujet (II), déterminer précisément l’objet de l’étude à travers un corpus de principes (III), puis confronter la notion de principe directeur avec les notions qui lui sont voisines (IV). Il sera alors temps de formuler un problématique (V).
Conceptualisée dans la première moitié du siècle, la notion de principe directeur va connaître un certain succès à compter des années cinquante. Ce sont les Professeurs CORNU et FOYER qui dans leur manuel de procédure civile vont mettre en lumière l’importance de ces principes[11]. Dès la première édition, les deux juristes soulignent le particularisme de ces règles. « Nul texte ne les a établies, et tout le monde admet pourtant, l’existence de ces lois qui régissent le mouvement du procès civil, dont les règles de procédure ne sont que des applications. Et comme le mécanisme du procès n’est pas un automatisme aveugle (…) mais une activité volontaire, ces principes directeurs du procès sont, en réalité, des lois pour la volonté de l’homme »[12]. Les deux principes qui dominent encore les écrits de la doctrine processualiste sont alors cités : celui selon lequel le procès est la chose des parties et celui des droits de la défense. Dans le même temps, les écrits d’Henri MOTULSKY étaient nettement inspirés par la notion de principes directeurs[13]. L’auteur les nommait explicitement dans son commentaire du décret du 13 octobre 1965[14] et dans son cours de droit processuel[15], mais évoquait déjà leur présence en 1961 dans un article relatif aux droits de la défense[16].
L’émulation[17] qui va s’opérer entre le Professeur CORNU et Henri MOTULSKY ajoutée au contexte juridique de l’époque, va permettre au concept doctrinal de principe directeur d’accéder au rang de norme du droit positif. Avec l’idée d’une fusion des professions d’avocat et d’avoué, naît la nécessité de réformer en profondeur le Code de procédure civile de 1806. En 1969, est instituée une commission de réforme sous la présidence du Professeur FOYER. Dans cette commission, siègent les deux promoteurs des principes directeurs. Ils vont alors transformer leur doctrine en droit positif. Dès 1971, un premier décret institue « de nouvelles règles de procédure destinées à constituer partie d’un nouveau Code de procédure civile »[18]. Ce texte comporte une première partie intitulée « dispositions liminaires » composée de vingt et un articles relatifs à l’instance, l’objet du litige, les faits, les preuves, le droit, la contradiction, la défense, les débats et l’obligation de réserve. Plusieurs textes vont faire suite à celui de 1971 et tous seront regroupés dans un décret de codification en date du 5 décembre 1975 « instituant un nouveau Code de procédure civile »[19]. Le premier chapitre du nouveau Code est expressément intitulé « les principes directeurs du procès ». Il comporte désormais vingt-quatre articles. Cinq autres dispositions ont été ajoutées aux « dispositions liminaires » dans un second chapitre. Elles concernent les règles propres à la matière gracieuse.
Le premier titre du nouveau Code relatif aux dispositions liminaires reçoit un écho favorable dans la doctrine de l’époque. « Sa rédaction tout à la fois limpide, concise, et d’une richesse étonnante, due principalement à la plume du professeur Cornu, est le fruit de sa collaboration la plus étroite avec le professeur Motulsky » a-t-on écrit à ce propos[20]. De même, les principes directeurs ont servi à de nombreuses reprises à opérer des choix lorsque la commission de réforme s’est trouvée face à des thèses opposées.
L’œuvre confondue des deux auteurs, consacrée dans le nouveau Code de procédure civile, a fait école. Si, dans les premières années qui suivirent l’entrée en vigueur de ce texte, certains manuels ignoraient encore les principes[21], il faut remarquer qu’aucun processualiste ne tente aujourd’hui de remettre en cause ces normes dont l’existence a été formellement reconnue par le droit positif[22] et ce d’autant que la catégorie des principes directeurs à fait son apparition en procédure pénale.
La première période est antérieure à 1990 et aux rapports de la Commission « Justice pénale et droits de l’homme » présidée par le Professeur DELMAS-MARTY. Jusqu’à cette époque, on trouve peu de références doctrinales à des principes de procédure formant un corps de règles à part entière[23]. Les professeurs BOUZAT et PINATEL, dans leur traité de droit pénal et de criminologie, mentionnent deux « grands principes »[24] : celui de l’unité de la justice civile et de la justice pénale et celui de la collégialité des juridictions. Par ailleurs, sans utiliser le terme de « principe », les deux auteurs font allusion à des « caractères généraux de l’instruction définitive »[25] parmi lesquels on compte la publicité de l’audience, l’oralité et la contradiction[26]. Les Professeurs MERLE et VITU ne consacrent, de leur coté, aucun chapitre de leur traité à l’étude de principes procéduraux[27]. En revanche, étant amenés à comparer le rôle des parties dans les procès civil et pénal, les auteurs évoquent le principe d’autorité ou d’initiative officielle, et celui d’indisponibilité du procès pénal. L’expression « principe directeur » apparaît pourtant de façon aléatoire dans la doctrine pénale. A propos des règles qui régissent le droit de la preuve, le Professeur BOUZAT explique que les textes du droit pénal « posent quelques principes directeurs mais ne se prononcent nullement sur la loyauté de telle ou telle méthode d’investigation »[28]. Le pénaliste fait allusion au principe de légalité de la preuve ainsi qu’à celui de liberté de la preuve. Il évoque encore, sans les qualifier de principe[29], l’indépendance de la magistrature ou l’article 66 de la Constitution selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Dans le même temps, il vise l’article 310 al 1 du Code de procédure pénale selon lequel le président de la Cour d’assises doit, dans la recherche de la vérité, s’en tenir à son « honneur et à sa conscience ». La référence à des principes directeurs ne révèle pas encore une catégorie autonome et uniforme.
Le droit positif ne contribue pas à la construction d’une telle catégorie. Le Code de procédure pénale entré en vigueur en 1958 ne comporte pas une partie spéciale consacrée aux principes de procédure. Le titre préliminaire relatif aux actions publique et civile ne révèle aucune différence de nature, ni de contenu avec le reste de l’œuvre. C’est en jurisprudence que l’on va trouver des références éparses aux principes. Malgré les réticences de la doctrine légaliste[30], la Cour de cassation se réfère à plusieurs reprises à des principes juridiques dans ses arrêts. Elle le fait d’abord implicitement en 1952. La Cour annule alors une procédure d’écoute opérée dans le cadre d’une instruction en affirmant que « l’opération (…) a pour but et pour résultat d’éluder les dispositions légales et les règles générales de procédure que le juge d’instruction ou son délégué ne saurait méconnaître sans compromettre les droits de la défense »[31]. La juridiction suprême juxtapose dans son attendu des « règles légales » et des « règles générales de procédure ». En ce sens, elle manifeste l’expression de son pouvoir normatif utilisé en l’espèce autour d’un corps de règles autonomes mal défini. Dans d’autres arrêts, la Cour est plus claire. En 1983, elle décide qu’« il se déduit des dispositions de l’article 199 du Code de procédure pénale🏛 et des principes généraux du droit que, devant la chambre d’accusation, l’inculpé doit avoir la parole en dernier »[32]. La méthode de juxtaposition est similaire à celle employée en 1952 mais cette fois, le corps de règles est désigné sous le nom de « principes généraux du droit ». Dans d’autres arrêts, la Cour de cassation a eu l’occasion d’être plus précise en visant un principe en particulier. En 1980, elle ouvre la voie d’appel contre une ordonnance du juge d’instruction « tant en vertu de cette disposition spéciale[33] que du principe général du double degré de juridiction »[34]. Pourtant, il faut admettre que la jurisprudence de la Cour de cassation n’a pas suffi, à l’instar de celle du Conseil d’Etat, à bâtir un ensemble de règles processuelles homogène. Durant cette période, les principes de procédure pénale sont demeurés à l’état embryonnaire et se sont manifestés de façon désordonnée tant en doctrine qu’en jurisprudence.
La seconde période débute avec les rapports DELMAS-MARTY sur la mise en état des affaires pénales remis au Garde des sceaux en 1989 et 1990 en vue de réformer la procédure[35]. Le groupe, composé d’universitaires, de magistrats, d’avocats et de fonctionnaires du ministère de la justice, a travaillé selon une méthode qui consistait à déterminer les problèmes essentiels de la phase préparatoire du procès pénal, comparer les systèmes en présence, dégager des principes fondamentaux et enfin proposer des structures d’ensemble et des règles techniques de procédure. L’originalité de cette méthode résidait dans le fait que les règles procédurales n’étaient pas envisagées de façon autonome, mais comme découlant de principes. Le rapport explique que le droit privé, par tradition, n’utilise pas fréquemment les principes généraux du droit. Il constate cependant que « les conceptions ont évolué depuis le Code de procédure pénale de 1958 »[36]. Ces changements sont dus à l’adoption de « principes directeurs du procès » dans le nouveau Code de procédure civile et à la ratification par la France de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales🏛. La Commission observe encore que la Cour de cassation utilise les principes généraux du droit dans ses arrêts ou que certains d’entre eux sont présents dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le rapport DELMAS-MARTY va définir dix principes fondamentaux destinés à garantir la prééminence du droit, la protection des personnes et la qualité du procès[37]. Plus qu’une simple énumération, le travail de la Commission autour des principes est une véritable conceptualisation. Le rapport explique que « ces principes sont présentés (…) de manière à montrer tout à la fois les contraintes qui en résultent, les solutions qu’ils suggèrent et les choix qu’ils laissent ouverts. Ils doivent être au cœur de toute réforme de la procédure pénale, car ils sont l’expression des limites que l’Etat de droit s’impose dans l’exercice de son pouvoir de coercition »[38]. « La commission (…) estime non seulement utile, mais aussi nécessaire, d’inscrire les dix principes fondamentaux en tête du Code de procédure pénale. Elle tient à rappeler qu’elle y voit, d’abord, l’avantage de rendre plus visibles à tous, aux justiciables comme aux professionnels du droit, les lignes force d’une procédure pénale dont les règles techniques ne sont que le reflet plus ou moins intelligible. L’avantage est aussi, d’un point de vue juridique, de permettre un allégement des formalités de procédure, une clarification du régime des nullités et d’inciter à une démarche plus déontologique que formaliste en définissant l’esprit de notre procédure pénale »[39].
Près d’un siècle après le Traité de procédure civile d’Henry BONFILS, la doctrine pénaliste a pris conscience du rôle fondamental joué par les principes dans le droit processuel. Elle va même se montrer plus ambitieuse. Pour la Commission « Justice pénale et droits de l’homme », les principes procéduraux constituent non seulement le socle de la procédure pénale interne, mais sont aussi susceptibles de s’émanciper pour former le fonds commun d’un système de procédure pénale à l’échelle européenne[40]. Le résultat n’a pas été immédiatement à la hauteur des prétentions affichées. Les lois des 4 janvier et 24 août 1993 qui font suite au rapport DELMAS-MARTY[41] ne reprennent qu’un seul principe : celui de la présomption d’innocence. Ce dernier, conçu comme un droit de la personnalité, est intégré dans le Code civil à l’article 9-1. En revanche, la doctrine pénaliste s’est largement emparée de la notion. Bien que le rapport de la commission parle de « principes fondamentaux », les auteurs font dans leur ensemble le rapprochement entre les principes directeurs du procès civil et ceux du procès pénal. Les plus sceptiques estiment que « l’utilité de tels principes n’est pas évidente »[42] tout en parlant de « principes essentiels de la procédure pénale »[43]. D’autres auteurs distinguent les « principes généraux » relatifs à l’organisation et au rôle des juridictions pénales[44] et les « principes directeurs de l’instance pénale » qui représentent des « idées générales guidant son cours »[45]. De plus en plus fréquemment, les universitaires réservent dans leurs ouvrages, une partie spécialement destinée à l’étude des principes directeurs. Les premières approches consistent à viser quelques grands principes incontournables[46]. Progressivement, un corps de principes fait surface et semble devoir être considéré comme un ensemble formant un tout cohérent mais dont la fonctionnalité est encore mal définie[47].
Le succès du rapport DELMAS-MARTY a donc d’abord été un succès doctrinal. Négligé dans un premier temps par le législateur, l’œuvre de la Commission « Justice pénale et droits de l’homme » s’est imposée en théorie comme une avancée majeure de la procédure pénale. La référence à des principes directeurs du procès pénal se révèle être un vecteur indispensable du rapprochement des contentieux judiciaires. Si la Commission ambitionnait un épanouissement international pour les principes, on assiste en réalité à une réunion des deux procédures autour de principes communs[48]. Le législateur a fini par prendre conscience de cette réalité et, sous l’impulsion du Garde des sceaux, a intégré à l’occasion de la loi du 15 juin 2000🏛[49] un article préliminaire au Code de procédure pénale. Cet article énonce de façon quelque peu arbitraire et désordonnée, un certain nombre de principes. Il est ainsi rédigé :
« Article préliminaire :
I) La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.
Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement.
Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.
II) L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.
III) Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi.
Elle a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur.
Les mesures de contrainte dont cette personne peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Elles doivent être strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la personne.
Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.
Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction. »
On peut porter un regard critique sur cette lente évolution croisée entre procédures civile et pénale, entre doctrine et droit positif. En effet, si le sens général tend à l’émanation progressive d’une catégorie de principes directeurs, il faut admettre que ce phénomène n’est pas dénué de zones d’ombres.
On trouve dans les dispositions liminaires du nouveau Code l’énoncé de véritables principes. Tel est le cas de l’article 9 selon lequel « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Intrinsèquement, cette disposition contient, dans son intégralité, l’énoncé d’un principe relatif à la charge de la preuve. A l’inverse, certains principes résultent de l’appréhension conjointe de plusieurs dispositions. Le principe de la contradiction se compose de quatre articles distincts[54], chacun ne représentant qu’un aspect du principe. Certaines dispositions liminaires sont simplement techniques et très indirectement rattachées à un principe directeur. Pour illustration, on peut citer l’article 23 selon lequel « le juge n’est pas tenu de recourir à un interprète lorsqu’il connaît la langue dans laquelle s’expriment les parties ». Les vingt-quatre premiers articles du nouveau Code forment donc un ensemble disparate dans lequel ne se trouvent pas uniquement des principes directeurs. Il faut encore remarquer que certains principes sont présents dans le Code, mais ne figurent pas dans les dispositions liminaires. On peut citer l’article 455 en vertu duquel « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens ; il doit être motivé ». Le principe de la motivation des décisions de justice ne figure pas en tête du Code mais dans le corps du texte. S’il est pourtant un principe qui relève de l’office du juge, c’est bien celui de la motivation. L’adéquation entre les dispositions liminaires et les principes textuels n’est donc pas parfaite.
Malgré l’expérience acquise, l’article préliminaire du Code de procédure pénale adopté un quart de siècle plus tard présente certaines de ces faiblesses. Dans le premier article du Code de procédure pénale, on trouve un peu de tout et presque rien. Ce texte est conçu en trois parties sans que l’on ne perçoive réellement la cohérence de cette division. La première partie est un renvoi incomplet aux principes européens. La procédure doit être équitable, respecter le contradictoire, l’équilibre entre les parties et la séparation des fonctions de poursuite et de jugement. L’égalité des justiciables doit être garantie. Pourquoi avoir choisi ces cinq principes et en avoir omis d’autres ? Auraient pu figurer ici les principes d’impartialité[55], ou encore de séparation de fonctions d’instruction et de jugement. La deuxième partie comporte un principe unique, seule réelle innovation du droit positif : la reconnaissance des droits des victimes. La troisième partie est une accumulation de principes et règles divers relatifs aux droits de la personne poursuivie. On y trouve dans le désordre la présomption d’innocence, qui figure déjà dans le Code civil, la dignité de la personne, le droit au recours. On s’étonnera de voir un principe aussi essentiel que celui des droits de la défense négligé dans cet article préliminaire.
Sans poursuivre dans une appréciation critique du droit contemporain, il est possible d’en tirer quelques conséquences. La progression difficile des principes directeurs vers une reconnaissance doctrinale puis positive, ajoutée aux imperfections manifestes du droit existant semble marquer dès à présent l'imprécision du concept de « principe directeur du procès judiciaire ». Un auteur contemporain remarque que « par prudence, modestie, et sans doute par manque de temps, Henri Motulsky n’a pas vraiment défini la notion de "principe de procédure" ou de "principe directeur du procès ou de l'instance" »[56]. L’auteur va plus loin : il reconnaît que « depuis, la doctrine fut encore plus discrète et l’on ne connaît pas d’étude d’ensemble des principes de procédure ». D’autres constatent en matière pénale que malgré le consensus autour de « l’idée de principes directeurs », la doctrine pénale reste divisée quant au nombre de ces principes[57]. Il faut alors reprendre la réflexion à son origine et tenter de donner une signification aux termes utilisés.
L’identification des principes passe par la comparaison. Il faut trouver des caractères qui permettent de distinguer les principes des éléments qui les entourent et un qualificatif qui marque cette différence. Les principes juridiques deviennent des « principes généraux du droit ». Selon Henri BUCH, les principes généraux du droit constituent des généralisations de normes juridiques. Ils se distinguent alors de ces normes « comme toute généralisation se distingue des phénomènes qui en font l’objet »[63]. Une philosophe du droit distingue à son tour les « principes directeurs du droit » et les « principes fondateurs du droit »[64]. Les principes juridiques font partie de la première catégorie. Ils « dirigent chaque secteur du droit positif et rendent possible la convergence de la pluralité de ses manifestations ». Ces principes « font de chaque secteur de la vie juridique un ensemble organique, et non la simple juxtaposition d’énoncés de décisions et d’actes »[65].
Ces propos trouvent un écho chez DWORKIN. Pour le théoricien anglo-saxon, le droit est constitué de principes et de règles[66]. Les principes jouent un rôle particulier dans l’interprétation des règles. Ils se situent quelque part entre les normes juridiques et la morale. L’auteur nomme principe « un standard qu’il faut appliquer, non par ce qu’il assurera la survenue ou la protection d’une situation économique, politique ou sociale jugée désirable, mais par ce qu’il est une exigence dictée par la justice, l’équité, ou quelque autre dimension de la morale »[67]. Les principes sont inclus dans la catégorie des standards avec ce que l’auteur américain appelle les « politiques ». Ce regroupement conduit un publiciste à distinguer les « principes au sens strict » des « principes au sens large » selon qu’on y inclut ou non les « politiques »[68].
Cette ambivalence tend à montrer que les principes juridiques occupent une place originale dans le système du droit. Ils sont au commencement de cet ordre et, en conséquence, à la charnière entre le juridique et les fondements du juridique.
Un théoricien italien relève que « dans le langage commun des juristes, on parle de “principe du droit’’ dans plusieurs sens différents »[71]. Les principes peuvent apparaître comme des dispositions législatives ayant un contenu relativement général. Il peut encore s’agir de dispositions législatives qui occupent un rôle fondamental dans l’ordre juridique et prennent une place élevée dans la hiérarchie des normes. Les principes désignent enfin des normes qui ne sont exprimées par aucun énoncé législatif spécifique, mais qui relèvent d’une élaboration doctrinale par le biais de raisonnements analogiques.
Une typologie des différents principes à été mise en évidence par un juriste polonais[72]. Les principes sont classés en cinq catégories : les « principes positifs du droit » qui sont explicitement formulés dans un texte juridique ; les « principes implicites du droit » conçus comme des règles constituant les prémisses ou les conséquences de dispositions légales ou normes juridiques ; les « principes extrasystémiques du droit » qui ne peuvent être rattachés à aucune des deux premières catégories ; les « principes-nom du droit » qui caractérisent les traits essentiels d’une institution juridique ; les « principes-construction du droit », qui relèvent d’une construction rationnelle du législateur qui, sans être des normes, déterminent l’argumentation ou l’interprétation juridique.
En France, Bruno OPPETIT a exposé à son tour diverses définitions de la notion de principe juridique[73]. En premier lieu, les principes sont entendus comme des exigences morales dont on extrait certaines valeurs. Ces principes sont extérieurs à l’ordre positif, mais cet ordre doit leur être conforme. En deuxième lieu, les principes peuvent résulter de constructions intellectuelles qui produisent des représentations systématiques du droit. En dernier lieu, il constituent de véritables règles de droit positif que l’on trouve parfois dans un texte, parfois dans une décision de jurisprudence.
L’énumération la plus complète est présentée dans le dictionnaire du vocabulaire juridique dirigé par le Professeur CORNU. Le terme de « principe » y prend sept sens distincts[74] : « 1) règle ou norme générale, de caractère non juridique d’où peuvent être déduites des normes juridiques ; 2) règle juridique établie par un texte en termes assez généraux destinée à inspirer diverses applications et s’imposant avec une autorité supérieure ; 3) maxime générale juridiquement obligatoire bien que non écrite dans un texte législatif ; 4) nom donné à une maxime intransgressable ; règle tenue pour absolue ; 5) règle générale qui doit, à défaut de texte spécial ou de dérogation particulière régir une sorte de cas, par opposition à exception ; 6) élément essentiel qui caractérise un régime, une constitution ; 7) au sens de Montesquieu, ressort qui permet à un régime de fonctionner » [75].
La multiplicité des approches du même concept laisse entrevoir la difficulté qu’il y a, à entreprendre une étude autour des principes juridiques. Le vocable désigne des normes ou des éléments extra-normatifs. Il fait référence à des règles explicites ou implicites, textuelles ou jurisprudentielles, prémisses ou conséquences, absolues ou applicables par défaut. Prises dans leur globalité, les définitions font apparaître avant tout des contradictions. Il est vain de vouloir les rassembler. Le réalisme doit au contraire conduire à faire un choix préalable qui devra être précisé au cours des développements.
Les principes, au sens où nous les entendons, font partie du droit. Il faut admettre comme une réalité que le droit positif est constitué d’une part, de principes et d’autre part, de règles que nous nommons « règles techniques »[76]. Un tel constat est imposé par l’observation du droit positif. On ne peut remettre en cause l’existence de principes juridiques parce que le droit positif les reconnaît en tant que tels, que ce soit dans un texte ou dans une décision jurisprudentielle. En revanche, ce qui n’est pas défini explicitement dans le droit positif, c’est l’ensemble des critères qui permettent de distinguer les principes des règles techniques. L’objet de la présente étude est notamment de parvenir à identifier les caractères des principes directeurs. Une expression qu’il convient de préciser à son tour.
Formellement, une telle présentation est convaincante. Le premier chapitre du nouveau Code est intitulé « principes directeurs du procès ». On admet aisément que les règles qui s’y trouvent incluses soient qualifiées de principes et que les autres dispositions ne puissent prétendre à cet attribut. Pourtant, cette position ne fait plus aujourd’hui l’unanimité.
Une première critique consiste à dire que les articles qui composent le chapitre premier du nouveau Code ne constituent pas en eux-mêmes des principes directeurs. Il faut se référer à la doctrine pour déduire les principes sous-jacents[81]. Les dispositions liminaires du Code ne sont donc pas des principes mais des règles techniques induites par des principes doctrinaux[82]. Il faut alors admettre que les vingt-quatre premiers articles du nouveau Code ne disposent d’aucun monopole sur l’appellation « principe directeur ». Ce constat conduit à une seconde critique. Le premier chapitre du nouveau Code forme un ensemble lacunaire. Ainsi, la conception restrictive qui émane de la pensée processualiste civiliste est inapte à refléter la réalité du phénomène des principes directeurs.
On trouve des principes directeurs disséminés dans tout le nouveau Code de procédure civile. Parallèlement, le Code de procédure pénale contient son lot de principes. Par ailleurs, la jurisprudence, particulièrement celle de la Cour de cassation, joue un rôle essentiel dans la détermination des principes de procédure. On voit encore apparaître des principes dans le bloc de constitutionnalité ou encore dans la Convention européenne des droits de l’homme🏛 et la jurisprudence de la CEDH. Plus exceptionnellement les principes procéduraux peuvent être contenus dans des textes de droit substantiel. L’expression « principe directeur » n’est pas réservée au droit processuel. On la voit apparaître dans d’autres disciplines[84]. De plus, les principes procéduraux ne sont pas propres au droit français. Le droit comparé apporte des illustrations de ce type de phénomène.
Dans les pays de tradition romano-germanique, les principes sont conçus comme des droits fondamentaux. On les trouve inscrits notamment dans la loi fondamentale allemande au titre du respect de la dignité humaine, de l’égalité ou plus spécialement du principe du juge légal, du droit d’être entendu ou de garder le silence[85]. En Italie, la Constitution contient notamment le principe de la garantie judiciaire, celui de la motivation des décisions juridictionnelles, ou le droit au recours. Sont encore présents la présomption d’innocence ou la défense à tous les stades de la procédure[86]. En Belgique, certains principes sont inscrits dans la Constitution comme celui de la légalité de la procédure ou encore ceux de la publicité des audiences et de la motivation des jugements. D’autres principes existent dans le droit belge sans être consacrés dans un texte. Il s’agit notamment de la présomption d’innocence et du respect des droits de la défense, ce dernier ayant valeur, aux yeux de la Cour de cassation, de principe général du droit[87].
Dans les pays anglo-saxons, on trouve aussi des principes procéduraux dans les textes fondamentaux. En Grande-Bretagne où le droit écrit technique est limité, notamment en droit processuel[88], le rôle des principes de procédure est essentiel. Ceux-ci proviennent de l’utilisation combinée de plusieurs textes : la grande charte de 1215, la Petition of Right de 1628, le Bill of Rights de 1689, et l’Habeas Corpus Act de 1679. Ces textes mentionnent par exemple, l’obligation de procéder à un jugement loyal conforme aux lois du pays avant toute condamnation pénale, le droit à se défendre dans une procédure régulière, le droit à l’information sur les motifs d’une accusation ou d’une mise en détention ou la présentation devant un juge lorsqu’une personne fait l’objet d’une arrestation (protection de la liberté par l’autorité judiciaire)[89]. Aux Etats-Unis, la Constitution fédérale comporte des clauses de due process of law. Il s’agit de « garanties substantielles et procédurales dont le respect est exigé en vertu de règles ou de principes juridiques plus ou moins indéterminés »[90]. On y trouve expressément mentionnés l’autorité de la chose jugée ou le droit à la vie privée. Plus généralement la due process of law peut être traduite comme l’exigence avant toute condamnation d’une « procédure légale régulière »[91]. Elle rend nécessaire le respect de certaines formes ou plus généralement impose aux autorités publiques de « respecter les principes de justice et de liberté dans l’exercice de leurs prérogatives »[92].
Au Canada, un effort particulier a été accompli sur la détermination des principes procéduraux. Une commission de réforme du droit a remis en 1987 un rapport au ministre de la justice exprimant clairement l’importance des principes en procédure pénale[93]. Elle a notamment proposé un « Code de la preuve » qui débute par « l’énumération de principes directeurs, puis présente de manière détaillée les règles qui en découlent logiquement »[94]. Par la suite, elle a formulé des principes généraux applicables en procédure pénale. Y figurent expressément les principes d’efficacité, de clarté, de protection, ou encore d’équité.
En définitive, l’expression « principe directeur » est un vocable posé par convention dont l’emploi se justifie en droit processuel par l’héritage doctrinal de ses concepteurs, sa reconnaissance formelle dans le nouveau Code de procédure civile et le succès certain qu’il connaît dans la doctrine pénaliste contemporaine. Il ne s’agit pas d’un terme réservé et son particularisme procédural nécessite de compléter l’expression : on parlera alors de « principe directeur du procès judiciaire ».
Traditionnellement le procès est séparé de la procédure. On le conçoit comme « une suite d’actes (coups et ripostes, actes d’arbitrage, proclamation des résultats) exécutés par divers protagonistes (adversaires, juge) relativement à la matière du litige »[96]. Le procès se compose ainsi de plusieurs éléments : des parties, un tiers, un litige opposant les parties, et un ensemble d’actes accomplis dans le cadre du règlement du litige. La procédure est définie de son coté comme « l’ensemble des règles qui gouvernent le déroulement du procès »[97].
Dans une autre acception, le procès est décrit comme « la suite des actes qui, réalisés dans certains délais et selon certaines formes déterminées devant la juridiction saisie d’un litige, conduisent à la solution de ce dernier au moyen d’un jugement »[98]. On perçoit, dans cette définition, un rapprochement des notions de procès (actes, juridiction, litige) et de procédure (formes, délais). Il faut admettre que le système processuel est composé de deux sous-systèmes parfois imbriqués l’un dans l’autre que sont le procès et les règles de la procédure.
Dans sa dimension sociale, le procès est un mode pacifique de règlement des litiges. Il se distingue des modes violents que sont la guerre ou le système vindicatoire. Comme mode pacifique, il se différencie de la négociation bilatérale qui ne fait pas intervenir de tiers dans la résolution du conflit[99].
Voici donc réunis les différents éléments qui caractérisent le procès. Ce dernier consiste d’abord dans l’existence d’un litige qui forme son objet. Il réunit différents acteurs dans une structure triangulaire formée par des adversaires et par un tiers désintéressé[100]. Ces éléments constituent le cadre du procès. Par ailleurs, le procès est ponctué d’étapes qui marquent les phases de son déroulement et d’actes qui le font avancer jusqu’à la décision finale[101].
Il faut alors tirer les conséquences de cette définition abstraite et délimiter précisément les contours du procès judiciaire.
Le premier est de n’être pas exhaustif. La tendance doctrinale contemporaine est de rejeter l’idée d’une sectorisation des procédures. Ce mouvement a été développé par Henri MOTULSKY qui concevait le droit processuel dans son ensemble comme une « synthèse des grands types de procédures suivies en France devant nos trois ordres de juridiction »[102]. Plus récemment, le droit processuel a été défini comme « la description synthétique et comparée des règles de procédure applicables aux différents contentieux, civil, administratif, pénal, disciplinaire, communautaire etc. »[103]. Il faut reconnaître que s’en tenir au droit judiciaire peut présenter le risque de donner une dimension réduite aux conclusions de l’étude. Cette option peut néanmoins être justifiée. Historiquement, le droit processuel privé forme un tout. Ainsi, depuis un édit de Saint-Germain en Laye de 1641, l’autorité administrative a été soustraite aux juridictions de droit commun. Le contentieux administratif apparaît donc d’abord sous le jour d’une procédure d’exception. Avec la création des juridictions administratives, le particularisme de ce droit trouve un prolongement. A l’inverse, litiges civils et répressifs sont soumis au même ordre de juridiction. A l’heure actuelle, de nombreuses différences marquent encore les contentieux judiciaire et administratif, notamment au regard des principes procéduraux[104]. Ainsi, la CESDH n’édicte des principes de procédure que relativement aux « droits et obligations de caractère civil, (ou) du bien fondé de toute accusation en matière pénale ». Il faut reconnaître enfin que la singularité du contentieux administratif découle de la présence dans le litige d’une partie publique. Cette partie est aussi représentée dans le procès pénal mais elle y tient aujourd’hui, d’un point de vue processuel, une place quasiment équivalente à celle des autres.
Le second reproche est de réunir pour une même recherche deux contentieux que l’on oppose traditionnellement : la procédure pénale serait de droit public « par essence »[105] alors que la procédure civile qui ne met en cause que des parties privées posséderait un objet lui-même privé[106]. Il y a, dans cette affirmation une double confusion entre droit processuel et droit substantiel[107] d’une part et entre droit processuel et parties au procès d’autre part. Le caractère public ou privé d’une procédure ne dépend pas des parties en litige, mais de l’objet du procès : la résolution d’un litige par une sentence juridictionnelle. Le caractère public ou privé de la procédure ne dépend pas plus du droit substantiel en cause dans le procès[108]. L’objet du droit processuel n’est pas le droit substantiel mais le déroulement et l’issue du procès. Il y a là une nuance de taille qui conduit à admettre que procédures civile et pénale relèvent à la fois du droit public et du droit privé[109]. Le droit judiciaire est public lorsque ses règles visent l’organisation des juridictions ou la compétence[110]. Il est privé s’il réglemente le sort des actes accomplis dans le déroulement de l’instance. Le procès protège les parties au procès[111], mais il garantit aussi la prééminence de la règle de droit. Ce double objet couvre l’ensemble du droit processuel[112]. Il ne permet pas d’établir une distinction entre procédure civile et pénale[113]. Le procès judiciaire s’étend encore aux procédures qui bordent ce procès.
Plus délicate est la question de la matière gracieuse qui ne se rattache pas directement au procès judiciaire. Le premier argument en ce sens est tiré du nouveau Code de procédure civile. Le chapitre premier est consacré aux « principes directeurs du procès » alors que le chapitre 2 comprend « les règles propres à la matière gracieuse ». Le procès est conçu a priori comme une matière purement contentieuse. Le Conseil d’Etat, dans son arrêt Rassemblement des nouveaux avocats de France, s’est prononcé dans ce sens[117]. Il est certain que la saisine de la juridiction gracieuse est soumise à l’absence de litige. La procédure d’ordonnance sur requête n’oppose pas plusieurs parties dans une même instance. La juridiction gracieuse connaît une procédure d’exception. Elle ne doit pas être soumise aux principes directeurs[118]. Pourtant, à y regarder de plus près, on perçoit l’action de certains d’entre eux. Un premier exemple peut être tiré du contradictoire. Comme élément des droits de la défense, la contradiction s’impose aux parties, mais aussi au juge. L’article 16 al 1 du nouveau Code de procédure civile ne laisse aucun doute à ce sujet. La jurisprudence a eu l’occasion d’appliquer cet aspect partiel du contradictoire en matière gracieuse[119]. D’autres principes s’appliquent à l’instance devant la juridiction gracieuse. On peut citer pour illustration ceux qui concernent les voies de recours. Le double degré de juridiction par le biais de la voie d’appel et le droit au recours, par celui du pourvoi en cassation, sont autant de manifestations de la présence des principes directeurs dans une matière qui ne relève que partiellement d’un procès judiciaire. Cette intervention des principes est essentielle à ce stade de la procédure. En effet, si le litige n’est pas présent, il peut être latent. Lorsque le juge confère un droit par la voie d’une ordonnance, la situation peut basculer dans un conflit entre le bénéficiaire de ce droit et ceux à qui il est opposé. L’intervention de la juridiction gracieuse est alors la première étape d’un processus qui doit déboucher sur un véritable contentieux[120].
Une autre situation délicate, est celle du litige porté devant la juridiction arbitrale. On se situe dans le cadre d’un procès qui concerne un litige et oppose plusieurs adversaires autour d’un tiers. En revanche, ce dernier n’a pas la qualité de juridiction de l’ordre judiciaire[121]. L’article 1460 du nouveau Code de procédure civile prévoit que certains principes directeurs énoncés en tête du Code sont applicables à l’instance arbitrale[122]. Bien que cette instance ne fasse pas partie du procès judiciaire au sens strict du terme, sa procédure est déterminée par le nouveau Code. L’immixtion des principes dans ce contentieux en est une conséquence logique. La jurisprudence est allée plus loin. Elle a eu l’occasion à plusieurs reprises de mettre en avant des principes extérieurs au Code dans le cadre de procédures arbitrales. En droit européen, la doctrine considère que les principes procéduraux de la CESDH sont applicables aux sentences arbitrales françaises en ce qu’elles tranchent des contestations sur des « droits et obligations à caractère civil »[123]. Une étude des décisions de la Commission européenne des droits de l’homme révèle que tout en admettant la régularité du recours à l’arbitrage, la CEDH soumet la procédure au respect des principes relatifs au procès équitable[124]. La Cour de cassation n’est pas en reste. Elle a récemment décidé qu’« il appartient au juge de la régularité des sentences arbitrales d’apprécier l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre »[125].
Une dernière procédure soulève la question de l’appartenance au procès judiciaire : celui qui se déroule devant les autorités administratives indépendantes. Ces autorités ont des missions d’enquête et détiennent des pouvoirs de sanction. Les décisions de certaines d’entre elles sont susceptibles d’un recours devant la Cour d’appel de Paris. D’une nature juridique complexe[126], ces institutions sont soumises au respect d’un certain nombre de principes[127]. L’importance prise par les principes est croissante, particulièrement en ce qui concerne la procédure devant la Commission des opérations de bourse[128]. Le fonctionnement des autorités administratives indépendantes dans l’exercice de leur pouvoir de sanction est assimilable, en de nombreux points, aux poursuites judiciaires classiques. Pour cette raison, le droit commun procédural pénètre dans ces contentieux spéciaux par le biais des principes directeurs.
Les principes directeurs opèrent donc dans le champ d’un procès judiciaire étendu qui possède un noyau dur constitué par les procédures civile et pénale et par les satellites que sont notamment les procédures spéciales, gracieuses, arbitrales ou administrato-répressives. Sans mettre ces procédures spéciales au premier plan, il faudra les prendre en compte dans l’étude qui va suivre. Elles permettront d’appréhender globalement la place et le rôle des principes dans le système processuel. On peut remarquer toutefois que les contentieux parallèles au procès judiciaire sont soumis à certains principes et se dérobent aux autres. Cette diversité d’application soulève la question du regroupement des principes directeurs dans une catégorie juridique autonome.
L’objet de la présente étude est constitué par l’ensemble des principes directeurs du procès judiciaire. Il ne peut être posé de façon préliminaire et théorique que ces principes forment un ensemble distinct de celui des règles techniques de la procédure. On peut simplement formuler une hypothèse de départ qui ne doit être conçue ni comme un postulat, ni comme une réalité établie. Elle ne représente qu’une donnée incertaine susceptible d’être confirmée ou infirmée à l’issue de la recherche. Cette hypothèse est celle de l’existence d’une communauté de principes dotée d’une identité propre.
Un doute a été entretenu à ce sujet dès l’émergence de la réflexion théorique autour des principes procéduraux. L’un des promoteurs de ces principes développe une pensée marquée d’ambiguïté[131]. Les principes posséderaient une autorité morale due au fait qu’ils détiennent les caractères de généralité, de légitimité intrinsèque et une vocation à diriger l’interprétation de l’ensemble du Code. D’un autre coté, les principes ne seraient que de simples règles de droit « dont la violation encourt sanction comme n’importe quelle autre ». L’auteur affirme ainsi que « chacun ne vaut ni plus ni moins que les autres dispositions du Code ». Une telle position ne cadre pas avec la réalité des principes. D’un point de vue purement formel, il n’y a aucun intérêt à isoler en tête d’un Code un ensemble de règles qui s’identifient aux autres. D’un point de vue matériel, il convient de rechercher si les différents principes directeurs possèdent un contenu, des caractères, une fonction, qui permettent tant de les regrouper autour de critères unitaires que de les démarquer des autres règles. Cette tache nécessite que soit définie la matière de l’étude. Cette matière est constituée par un corpus de principes directeurs dont l’observation méthodique devrait permettre de dire si l’existence d’une catégorie peut être posée avec certitude.
Le risque est donc grand de définir un concept à partir d’un échantillon donné et d’en réduire ainsi la portée. Il l’est encore plus lorsque le concept étudié n’est pas formellement mis en évidence dans son ensemble par le droit positif. Le droit processuel textuel ne définit explicitement des principes que dans le premier chapitre du nouveau Code de procédure civile[133]. De son coté, la Cour de cassation utilise parfois les vocables « principe », « principes généraux », « principes essentiels de procédure », sans que l’on puisse dégager de cette pratique une démarche systématisée. La définition d’un corpus peut constituer un piège duquel on ne pourra pas s’échapper. En l’absence de référence formelle dans le droit positif, l’établissement d’une liste de principes procède d’une démarche intuitive. L’observation du matériau sélectionné selon cette méthode va réduire la portée des conclusions. On tombe dans le cercle vicieux qui consiste à dégager une définition sans valeur doctrinale puisqu’elle est issue d’un échantillon prédéfini selon des critères aléatoires.
Dans le même temps, on peut avancer qu’une étude conceptuelle ne possède de valeur que si elle s’appuie sur une réalité tangible. Une démarche qui se veut scientifique n’a de portée que si elle emploie une méthode empirique. Dans le cas contraire, elle court le risque de « sombrer dans l’indifférence doctrinale »[134] voire d’être accueillie avec scepticisme ou réticence.
Face à ce dilemme, les recherches récentes sur les principes du droit privé rendent compte d’attitudes différentes. La première consiste à se raccrocher systématiquement au vocable « principe » lorsqu’il est utilisé dans le droit positif. Telle est l’option prise dans une thèse sur « la notion de principe général en droit privé »[135]. L’auteur retient dans son corpus, toutes les règles de droit visées dans un texte ou dans une décision juridictionnelle sous les termes de « principe général », « principe fondamental », « principe supérieur », « principe directeur », « principe essentiel ». La seconde attitude prend en compte une catégorie particulière de principes. Elle apparaît dans la thèse du professeur MORVAN sur « le principe de droit privé »[136]. Celui-ci attache cette notion à un phénomène jurisprudentiel qui s’est développé dans la seconde moitié du siècle : celui des visas de principe. Ce phénomène réside dans le fait, pour la Cour de cassation, d’intégrer dans le visa d’un arrêt, la référence à une ou plusieurs règles qu’elle nomme « principe ».
Ces deux démarches, si elles semblent trouver des fondements méthodologiques évidents, n’en sont pas moins exposées à la critique. La première est la plus essentielle : il faut admettre dès maintenant que le phénomène des principes juridiques ne se développe pas exclusivement dans le droit positif. Si tous les principes peuvent être conçus comme des normes juridiques, il faut reconnaître que la qualification de « principe » résulte souvent de l’analyse doctrinale. C’est là un aspect tout à fait fondamental que l’on ne peut négliger sous peine de passer à coté d’une partie importante de la matière observable. L’exemple le plus caractéristique en droit processuel est celui du principe qui détermine le rôle du juge et des parties dans le procès civil. Dès les premiers écrits sur les principes directeurs du procès civil, le terme de principe dispositif apparaît dans la doctrine[137]. Pourtant, ni les textes juridiques ni la Cour de cassation n’employaient à ce propos le terme de principe. Ce phénomène se reproduit dans la doctrine contemporaine. Le nouveau Code de procédure civile règle le rôle du juge et des parties dans son premier chapitre. Le principe relatif à cette répartition n’a pas été défini ou nommé dans le Code. Une controverse doctrinale est alors apparue sur le choix d’un qualificatif. Certains auteurs continuent à employer le terme de « principe dispositif »[138], d’autres préfèrent parler de « principe de coopération »[139], d’autres enfin distinguent le « principe accusatoire ou d’initiative » et le « principe dispositif »[140].
Il n’est pas possible d’ignorer le rôle joué par la doctrine dans la détermination, le choix ou la qualification des principes juridiques. Tout exercice d’énumération préalable des principes de procédure doit être opéré sur la base d’une pluralité de sources : le droit écrit, la jurisprudence, la description doctrinale du droit positif et enfin la pensée doctrinale théorique. La détermination d’un corpus n’est donc pas un simple exercice d’observation du droit. Elle doit résulter d’un aller-retour sans cesse réitéré entre règles de droit et analyses des auteurs, entre observation d’une matière juridique et réflexion théorique sur le concept de principe. Le corpus ne peut être posé d’emblée. Il découle d’une approche progressive et de plus en plus précise. C’est ainsi que nous avons procédé.
La méthode est celle de l’approximation. Le corpus choisi ne peut être exhaustif. La prétention à l’exhaustivité doit être rejetée pour plusieurs raisons. D’une part, le groupe des principes directeurs est évolutif. Une énumération totale à un moment donné lui confère une contingence réductrice. D’autre part, les principes n’étant pas, en tant que catégorie, formellement déterminés par le droit positif, toute définition qui résultera de leur étude ne peut prétendre à la perfection. Elle sera, en toute hypothèse, une définition ouverte.
Au cours de la recherche, un certain nombre de critères distinctifs des principes directeurs ont émergé progressivement du corpus utilisé. Est alors apparue une brèche entre les principes qui présentaient tous les caractères identifiés et ceux dont un ou plusieurs caractères faisaient défaut. Ainsi, on a pu constater que certains éléments du corpus pouvaient être rangés avec certitude dans la catégorie des principes directeurs ; alors que la présence d’autres était sujette à controverse. Toutefois, ne sélectionner que les principes incontestables pour définir le cadre de ce travail reviendrait à négliger toutes les situations limites qui contribuent à mieux connaître la matière. Pour cette raison l’échantillon présenté se veut représentatif des certitudes et des ambiguïtés qui résultent de l’étude des principes. Ces derniers seront énumérés sans souci de classement particulier si ce n’est le critère précédemment adopté : principes incontestables (qui possèdent tous les caractères de la catégorie) et principes controversés (dont l’un des caractères au moins fait défaut ou n’est pas significatif) du droit judiciaire[141].
PRINCIPES INCONTESTABLES | PRINCIPES CONTROVERSES |
- le contradictoire - les droits de la défense - le procès équitable - l’autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles - la publicité des débats - l’oralité des débats - le secret des délibérés - la présomption d’innocence - le droit au juge - le droit au recours - la célérité - l’égalité devant la justice - l’égalité des armes - la charge de la preuve d’une prétention incombe à son auteur - la liberté de la preuve - l’intime conviction - la preuve légale (ou système des preuves légales) - la motivation des décisions de justice - l’indépendance des juges, de la justice - l’impartialité des juges, de la justice - la séparation des fonctions - la dignité de la personne humaine - le droit à la vie - la liberté d’aller et de venir - l’autorité de la chose jugée (non bis in idem) - l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil - la séparation des autorités judiciaire et administrative - l’intimité de la vie privée - la conciliation - la fraude corrompt toute chose | - la loyauté (dans la recherche de la preuve) - la coopération - le « principe » dispositif - le « principe » d’initiative - l’inviolabilité du domicile - la collégialité - le juge unique - l’immutabilité du litige - l’immunité de juridiction - la plénitude de juridiction - l’opportunité des poursuites - le droit pour la personne poursuivie d’avoir la parole en dernier - le secret de la mise en état |
Les différentes composantes du sujet ayant été identifiées et définies, il faut à présent confronter les principes directeurs avec les notions voisines afin de mieux cerner les contours de cette catégorie de normes.
Cette relation procède d’abord d’une assimilation des principes généraux à la jurisprudence. On a ainsi pu affirmer que la consécration des principes généraux du droit par la jurisprudence, en droit privé, en a fait une source du droit[143]. Il est vrai que le juge ne se réfère pas uniquement au droit écrit. « c’est bien parce que tout le droit ne se trouve pas dans la loi et qu’il appartient au juge de le découvrir ailleurs, et notamment dans ces principes, que les règles de droit ne se confondent pas avec la seule légalité et qu’elles peuvent prendre d’autres formes telles celles de principe », affirme un auteur[144]. Si le juge utilise les principes généraux au même titre que d’autres sources du droit, on conçoit que ces principes s’intègrent dans la catégorie des sources.
La réalité n’est pas si simple. La majeure partie de la doctrine s’accorde à penser que la notion même de source est marquée d’une forte ambiguïté[145]. On a aussi constaté la présence d’un discours idéologiquement marqué dans la théorie des sources[146]. Quelles que soient les incertitudes que revêt la notion, une première similitude peut être établie entre les sources du droit et les principes directeurs. Une source est un début, un commencement, ce qui est premier[147]. Le principe est aussi un commencement, une cause d’action[148]. Ce parallèle donne un indice mais demeure peu démonstratif. Afin de confronter efficacement les deux concepts, il faut rechercher les caractères essentiels des sources du droit à travers la typologie traditionnelle[149] pour savoir si les principes directeurs peuvent être considérés comme des sources formelles (A) ou comme des sources matérielles (B) du droit.
A) sources formelles et principes directeurs du procès judiciaire
B) sources matérielles et principes directeurs du procès judiciaire
Le principe de célérité[179] n’a jamais reçu de consécration officielle en droit français. Sa dimension idéaliste a toujours dissuadé législateur et pouvoir réglementaire d’en faire un impératif. Tout au plus, a-t-on vu apparaître un ersatz de célérité à travers l’exigence du « délai raisonnable » posé par la CESDH puis par le Code de procédure pénale[180]. Malgré son inexistence formelle, ce principe inspire pourtant nombre de règles du droit processuel. La plénitude de juridiction de la Cour d’assises, compétente pour juger tous les individus renvoyés devant elle, quelle que soit la nature de l’infraction commise[181], la même plénitude de compétence des juridictions pénales pour interpréter ou apprécier la validité des actes administratifs individuels ou réglementaires[182], sont autant de règles inspirées par la nécessité de rendre rapidement la justice en évitant les renvois d’une juridiction à une autre. Cette idée motive l’exception de connexité qui permet à deux affaires d’être jugées ensemble lorsqu’il existe un lien entre elles, afin de garantir « l’intérêt d’une bonne justice »[183]. Enfin, les nombreux délais prévus en matière de détention provisoire, visent à limiter les atteintes à la liberté des personnes, mais aussi à faire pression sur les juges d’instruction, afin que ceux-ci clôturent rapidement leur information lorsqu’une personne est détenue[184].
Le droit au recours juridictionnel a attendu sa consécration officielle pendant de longs siècles[185]. Le projet de Constitution du 19 avril 1946 disposait pourtant dans son article 11 que « la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice et l’insuffisance des ressources ne saurait y faire obstacle ». Depuis ce projet, aucun texte n’a visé expressément le droit d’agir en justice. La consécration tardive du principe n’est venue qu’en 1993 avec une décision du Conseil constitutionnel[186] qui reconnaît la valeur constitutionnelle du droit au recours, droit englobé dans le principe plus général du droit au juge. Pourtant, l’idée de droit d’action est le fondement même de l’institution juridictionnelle, sa raison d’être. Le droit d’action, bien avant son apparition en droit positif, était déjà à l’origine d’innombrables règles de procédure, comme la définition et le régime de l’action en justice dans le nouveau Code de procédure civile[187], ou des actions publique et civile dans celui de procédure pénale[188].
En jurisprudence, les principes directeurs du droit positif ont une activité créatrice de droit à travers un syllogisme antérieur au syllogisme judiciaire traditionnel[189]. Ce raisonnement permet au juge de déduire d’un principe une règle technique susceptible de résoudre le litige qui lui est soumis[190]. Toutefois, cela ne permet pas d’assimiler les principes directeurs aux sources matérielles du droit.
Dans l’inventaire présenté plus haut, les sources matérielles (dogmes idéologiques, groupes sociaux, poids de l’histoire) sont autant d’éléments qui ne présentent pas de juridicité propre. Leur étude relève non du droit, mais plutôt des sciences politiques ou sociales[191]. Ces sources sont méta-juridiques ou extra-juridiques. Leur influence sur le contenu des règles de droit est incontestable mais ces sources ne participent pas de l’ordre positif. Au contraire, les principes directeurs se présentent diversement vis-à-vis du droit. Certains ne sont pas affirmés officiellement ou trouvent une consécration tardive, d’autres à l’inverse, sont énoncés clairement par des textes (présomption d’innocence) ou par la jurisprudence (droits de la défense). Tous les principes ne sont donc pas en dehors du droit. Les principes infra-juridiques représentent, en réalité, une infime partie de l’ensemble[192]. La plupart des principes directeurs sont intégrés au domaine du droit[193] et jouent, en son sein, un rôle dans le processus de création. Dès lors, il semble bien que les sources matérielles se distinguent des principes directeurs en raison de la frontière juridique qui existe entre les deux catégories[194].
On pourrait tout de même concevoir, qu’au sein du système juridique, les principes directeurs soient des sources de droit dans la mesure où ils donnent naissance à des normes plus précises. Pourtant même cette idée n’est pas univoque. La relation entre principes et règles techniques du droit processuel est à double sens. Le principes peuvent préexister aux règles techniques et en inspirer l’existence ou la création. Mais les règles techniques peuvent aussi précéder la consécration du principe dans le temps. Dès lors, on ne peut réellement savoir si le principe est issu de la généralisation des règles existantes ou s’il a toujours été à l’origine de ces règles avant de trouver sa place dans le droit positif. La seconde hypothèse privilégie la reconnaissance des principes comme sources du droit. Au contraire, la première hypothèse ne permet pas de supposer que le principe précède systématiquement la règle technique dans l’élaboration du droit. Cette position est proche de celle de KELSEN[195] qui considère que, dans son sens le plus étendu, il y a une source du droit dans toute norme générale ou individuelle dans la mesure où il en découle des obligations, des responsabilités, ou des droits subjectifs. Le théoricien de la norme en déduit que cette conception extensive de la notion de source prend alors un sens trop imprécis et se révèle inutilisable. Cette crainte est partagée par AMSELEK[196] qui souligne le double sens de la notion de source. D’un certain point de vue, elle évoque l’action d’engendrer, de donner le jour ; d’un autre, elle suggère celle de fonder, ou de donner l’aval. L’emploi de cette notion équivoque n’est pas sans parti pris idéologique. L’utilisation métaphorique de l’idée de source, tend à imposer « une vision naturaliste du droit »[197] qui assimile les principes juridiques à des données naturelles incontournables du droit. Elle masque, en fait, la frontière entre le normatif et le non-normatif[198].
Il faut, dès lors, réfuter cette idée selon laquelle les principes directeurs pourraient être assimilés à des sources - formelles ou matérielles - du droit. La position particulière qu’ils occupent dans le processus d’élaboration et d’évolution du système juridique processuel ne doit pas faire oublier que ces principes sont avant tout des normes juridiques.
A) La normativité générique des principes directeurs du procès judiciaire
a) La norme juridique comme proposition obligatoire
Le caractère contraignant du principe ne signifie par pour autant une négation totale de la liberté. Il s’agit là d’une évidence. Comme le souligne un auteur, « impératif ne signifie pas inadaptable »[215]. Il existe ainsi des règles plus tolérantes à l’égard des modèles de comportement qu’elles édictent[216]. Les principes ont, ainsi, été classés parmi les normes « molles » en ce qu’ils s’avèrent peu contraignants en rapport aux autres règles de droit[217]. Sans parler de « droit mou », en raison de l’antinomie qui existe entre les deux termes, on peut dire que les principes se rangent effectivement dans la catégorie des normes présentant une certaine flexibilité[218]. L’article 6§1 de la CESDH prévoit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) par un tribunal indépendant et impartial ». Soumis à la chambre criminelle de la Cour de cassation, le principe d’impartialité a parfois fait l’objet d’une interprétation stricte. La Cour a considéré que le moyen pris de la partialité d’un magistrat ne pouvait être appliqué au ministère public, ce dernier « ne décidant pas du bien fondé de l’accusation en matière pénale »[219]. En ne donnant pas de définition précise de la notion de « tribunal », la CESDH a créé, volontairement, une norme flexible, qui, tout en demeurant impérative, confère au juge un large pouvoir d’interprétation.
Il est possible de mieux comprendre la notion de principe au regard de la définition d’une proposition obligatoire grâce à une distinction établie par le Professeur TROPER. Ce dernier considère le droit comme « un ensemble d’énoncés à fonction ou signification prescriptive »[220]. Au sein de cet ensemble, il identifie plusieurs types de normes et notamment certaines, dont la fonction est de servir à en formuler d’autres. Par la généralité de leur formulation, les principes présentent une certaine aptitude à engendrer d’autres règles qui viennent en préciser l’application[221].
Le caractère impératif de la règle n’est pourtant pas un critère suffisant pour identifier la norme juridique, encore faut-il que l’obligation édictée par la règle soit respectée, c’est à dire que la transgression soit sanctionnée.
b) La norme juridique comme proposition sanctionnée
La sanction des principes n’est pourtant pas suffisante à leur conférer la nature de norme juridique. Un dernier caractère doit être identifié.
c) L’origine étatique comme fondement de la juridicité
Le droit provient donc de l’Etat, ou plus précisément des organes de l’Etat. Législateur, pouvoir réglementaire ou judiciaire peuvent créer une norme juridique ou donner une valeur juridique à une norme initialement extra-juridique. Ce critère étant posé, il est possible de vérifier que les principes directeurs sont des normes qui possèdent une origine étatique.
Pour autant, certains principes sont plus difficiles à classer dans la catégorie des normes juridiques. Ils ne sont pas explicitement reconnus par un organe étatique, même si leur présence, à travers certaines applications techniques, est tout à fait remarquable. Tel était le cas du principe de dignité avant sa reconnaissance formelle. Ce principe ressortait nettement de certaines décisions de justice, tel l’arrêt Tomasi c/ France rendu par la CEDH le 27 août 1992[241]. Pourtant, le principe de dignité n’était pas expressément reconnu par le droit positif international ou interne. La dignité est devenue une norme juridique grâce à la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994🏛 relative au respect du corps humain[242]. La consécration législative fait de la dignité une norme juridique, car reconnue par un organe de l’Etat en tant que telle.
B) La normativité spécifique des principes directeurs du procès judiciaire
a) l’utilisation du vocable « principe » comme trait distinctif ?
α) Les variations terminologiques autour du vocable « principe »
Au 19ème siècle, la Cour suprême était plus réticente à employer le terme « principe » ; elle lui préférait, notamment, celui de « règle générale ». Elle considérait ainsi que, sauf disposition contraire expresse, les décisions devaient « être déférées à des juges supérieurs », les ordonnances d’instruction n’étant « pas exemptes de la règle générale »[257]. La Cour visait-elle déjà un principe général du droit ? Toujours est-il que l’on retrouve, dans cet arrêt, la formulation du principe du double degré de juridiction. Quelques expressions, plus modernes, sont venues ponctuer les arrêts de cassation. La Cour estime que « la publicité des débats est un principe essentiel de la procédure »[258]. Elle met en contradiction plusieurs principes de nature différente en admettant qu’ « une dérogation au principe de souveraineté nationale et de territorialité de la loi pénale se justifie, en l’espèce, par un autre principe fondamental de l’ordre juridique, selon lequel, lorsqu’une peine sanctionne les mêmes faits, un condamné ne peut être contraint à la subir deux fois »[259]. Sans le nommer, on retrouve ici, le principe de l’autorité de la chose jugée. En dernier lieu, la Cour va utiliser expressément le terme « principe directeur » pour désigner les règles de droit incluses dans les dispositions liminaires du nouveau Code de procédure civile. Elle déclare, par exemple, qu’« il ne résulte d’aucun élément que l’employé ait contesté, tant le principe de la créance que son montant, si bien que la Cour ne pouvait, valablement débouter de sa demande l’employeur sans violer les principes directeurs du procès civil, le principe dispositif, ensemble, les articles 6,7 et 9 du nouveau Code de procédure civile »[260].
On constate donc aisément que, loin d’être une expression consacrée, le terme « principe directeur » ne trouve qu’une place très limitée dans la jurisprudence judiciaire, recluse dans une stricte référence au Code. Parallèlement, les magistrats utilisent des expressions similaires sans que l’on sache vraiment, si cette pluralité terminologique recouvre une unité de sens.
La doctrine n’est guère plus rigoureuse dans le maniement des termes. Les principes directeurs sont d’abords englobés dans la catégorie, plus générale, des « principes généraux de procédure »[261]. Un autre auteur reconnaît que l’on doit entendre le terme « principe directeur » de la façon la plus large possible, comme les « règles cardinales gouvernant la matière répressive »[262]. Ce dernier utilise d’ailleurs l’expression tant en droit pénal de fond qu’en procédure pénale, et reconnaît que la doctrine utilise indifféremment, pour désigner ces normes, le terme « principe directeur » ou « principes généraux »[263]. De façon plus précise, la doctrine va employer le terme « principe » en visant telle ou telle règle de procédure. En 1980, un auteur abordant la question des principes généraux du droit pénal évoquait l’existence d’un : « principe de loyauté dans la recherche des preuves »[264]. Toutefois, à cette époque le droit positif ne visait pas formellement la loyauté comme un principe juridique. Dans son analyse, l’auteur ne justifie pas l’utilisation de ce terme. Il se contente de l’utiliser sans se référer à une source positive. Certains sont plus explicites et constatent que « le droit positif français (…) contient de nombreuses dispositions que favorise la célérité du procès pénal. Cependant, notre code de procédure pénale ne formule pas expressément ce principe »[265]. Ici, la doctrine reconnaît qu’elle a elle-même conféré la qualité de principe, à une règle de procédure, indépendamment du droit positif. Cette attitude est observée, lorsque l’on souhaite voir une règle particulière, trouver une consécration positive. Le Professeur RENOUX, sensible à l’évolution du droit au recours en droit français, affirmait ainsi en 1993 : « s’il est, en droit constitutionnel français, un droit fondamental qui devrait, dans un proche avenir, trouver dans la Convention européenne des droits de l’homme🏛, une source d’inspiration, c’est bien le droit au recours juridictionnel »[266]. La doctrine peut enfin employer l’appellation « principe » pour viser une règle d’application générale, alors même que la positivité de cette règle, en tant que principe, paraît douteuse. C’est le cas de la collégialité dont la doctrine a longtemps considéré qu’il s’agissait d’un principe à l’image du Professeur JEANDIDIER évoquant « le principe de la collégialité pour l’instruction au premier degré »[267]. Pourtant, il semble que la collégialité, en tant que principe de droit positif, n’ait pas survécu à la succession des réformes[268].
On est tenté de se tourner vers des références plus officielles. Une recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe édicte un certain nombre de « principes de procédure civile propres à améliorer le fonctionnement de la justice »[269]. Dans ce texte, on retrouve un ensemble de propositions visant à favoriser la célérité des procédures, la coopération des parties, la loyauté, l’immutabilité du litige, le double degré de juridiction. Aucun principe n’est pourtant énoncé clairement dans une formulation générale. On y trouve d’ailleurs des recommandations plus particulières sur la limitation de l’utilisation abusive des voies de recours, ou encore sur les sanctions disciplinaires prises par les organisations professionnelles d’avocats. Il est donc difficile de faire le tri, dans un texte - qui n’est d’ailleurs ni doctrinal ni de droit positif – entre les principes directeurs et les simples règles techniques. La confusion est encore plus vive pour certaines règles dont la qualification varie selon l’époque et les sources.
β) La multiplicité de qualifications pour une même règle de droit
Cette règle n’est pas nouvelle[271] mais le principe n’a pas toujours été affirmé comme tel. En 1813, les chambres réunies de la Cour de cassation estimaient que sauf disposition contraire expresse, les décisions doivent « être déférées à des juges supérieurs », et que les ordonnances du juge d’instruction « ne sont pas exemptes de cette règle générale »[272]. Le mot « principe » n’est pas encore évoqué mais la généralité des termes employés, la limitation des dérogations à une disposition contraire expresse et l’emploi d’une expression proche de « principe général » donnaient déjà le ton. La doctrine , quant à elle, utilise très largement la formule « principe du double degré de juridiction » . On le trouve assimilé à une « voie royale »[273] ; on se réfère, en procédure civile, à la jurisprudence du Conseil d’Etat qui assimile le droit d’appel à un « principe général du droit », le législateur pouvant seul y déroger[274]. En procédure pénale, le texte qui fait autorité est désormais le protocole additionnel à la CESDH qui consacre, dans son article 2§1, le droit pour toute personne déclarée coupable d’une infraction pénale par un tribunal, de faire examiner, par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité ou la condamnation[275]. La jurisprudence judiciaire cultive pourtant la diversité des terminologies. Dans un arrêt de 1954, la chambre criminelle estimait que le droit d’appel du ministère public est « une règle générale et absolue qui ne comporte d’exception que dans le cas (…) où un texte de loi y déroge expressément »[276]. Quelques décennies plus tard, elle était plus explicite sur la même question en considérant qu’« il résulte de l’article 185 C. pr. pen et des principes généraux du droit que l’appel du ministère public s’étend à toutes les décisions rendues en matière de détention provisoire »[277]. L’allusion aux principes généraux du droit, à propos des effets de l’appel, vise assurément le droit d’appel conçu en tant que principe. La Cour poursuit en effet en considérant que « les juges du second degré ont méconnu le sens et la portée du principe susénoncé, que la cassation est, dès lors, encourue de ce chef ». Les « principes généraux du droit » visés en tête de l’arrêt se transforment finalement en un « principe susénoncé » unique relatif au droit d’appel. Mais droit d’appel et double degré de juridiction sont-ils synonymes ? La réponse est incertaine[278]. Deux mois plus tôt, la Cour d’appel de Douai avait admis l’appel du Procureur contre l’ordonnance d’un juge d’instruction en visant « le principe fondamental du double degré de juridiction gouvernant toujours notre procédure pénale (…) sa mise en œuvre suppose que le ministère public dispose du droit d’appel contre toutes les ordonnances »[279]. L’acception double degré de juridiction n’est pas ignorée par la chambre criminelle. A deux reprises en 1980 et 1981, elle visait expressément le « principe général du double degré de juridiction » pour admettre un recours d’une partie privée devant la chambre d’accusation[280]. De son coté, la deuxième chambre civile semblait emboîter le pas au Conseil d’Etat en établissant une distinction entre principe de droit et « règle du double degré de juridiction »[281]. Ainsi, dans deux arrêts qualifiés d’« exceptionnels » pour leur double visa de principe[282] la Cour de cassation affirmait : « vu la règle du double degré de juridiction et le principe du contradictoire »[283] ou encore « vu la règle du double degré de juridiction ensemble les principes du respect des droits de la défense »[284]. Doit-on pour autant en déduire que le double degré de juridiction ne figure pas parmi les principes du procès ? La réponse est assurément négative mais elle montre que la dénomination de principe n’est pas un critère adéquat de reconnaissance.
Doctrine et jurisprudence multiplient les appellations pour une règle de droit dont le contenu est lui-même mal défini. Faut-il parler de droit d’appel ou de double degré de juridiction ? L’une de ces deux notions englobe-t-elle l’autre ? Recouvrent-elles toutes les deux un double examen au fond de l’affaire devant une juridiction supérieure ou différemment constituée ? Le double examen a-t-il le statut de règle ? De principe ? De principe général, ou fondamental ? L’absence de cohérence dans les écrits doctrinaux et jurisprudentiels rend ainsi l’opération d’identification des principes directeurs très délicate. Elle l’est plus encore du fait de l’utilisation détournée du vocable « principe ».
δ) L’utilisation abusive de la dénomination « principe »
Le même phénomène peut être observé lorsque la Cour de cassation se réfère, dans son dernier attendu, au « principe ci-dessus rappelé », pratique courante en procédure pénale. Dans un arrêt du 28 octobre 1997[290], elle censurait la décision d’une juridiction du fond qui avait prolongé une période de détention provisoire. Dans son premier attendu, la chambre criminelle citait l’article 145-3 du Code de procédure pénale🏛 faisant obligation aux juges d’instruction qui prolongent une période de détention provisoire en matière criminelle de mentionner des indications particulières justifiant la poursuite de la privation de liberté ainsi que la durée prévisible de l’information judiciaire[291]. Cet article provient partiellement du principe de la motivation des décisions de justice mais doit s’analyser plutôt comme une disposition d’application spéciale de ce principe (motivation particulière). L’obligation d’indiquer un délai prévisible d’achèvement de la procédure n’est pas en rapport direct avec le principe de la motivation. Dans le dernier attendu, la Cour reprochait à la chambre d’accusation d’avoir « méconnu le principe ci-dessus rappelé ». De quel principe s’agissait-il ? Celui de la motivation qui n’est pas cité expressément dans l’arrêt, ou celui de l’article 145-3 qui doit plutôt s’analyser en une règle technique d’application partielle du principe de la motivation. La Cour a éludé la question en évoquant abusivement le terme « principe » tout en se référant à une règle ordinaire.
Toute disposition n’est pas un principe et la Cour de cassation, par un usage peu systématique et extensif du terme, détourne la signification et l’autorité de la notion de principe. Elle influence par là même la doctrine qui va qualifier de principe, des règles de pure technique procédurale. En procédure civile, un auteur fait référence au « principe selon lequel un jugement qui a écarté une fin de non-recevoir et ordonné une mesure d’instruction, sans trancher ni tout, ni partie du principal, ne peut être frappé d’appel indépendamment du jugement sur le fond. Ce principe a été affirmé avec fermeté par de nombreux arrêts de la Cour de cassation »[292]. Ici, le terme « principe » est utilisé pour une règle très spécifique, mais consacrée puis réaffirmée systématiquement en jurisprudence. L’origine de la confusion consiste bien dans le fait que la jurisprudence a créé la règle et en a maintenu l’application. Cette attitude semble conférer à la règle une importance ou une portée particulière qui lui vaut la qualification de « principe ». Il ne s’agit en fait que de l’une des nombreuses modalités d’application du double degré de juridiction.
Sans adopter cette position extrême, il est possible de conclure que l’utilisation du terme « principe » n’est pas un critère distinctif permettant de reconnaître un principe directeur du procès judiciaire. Pour autant, on ne doit pas non plus négliger systématiquement l’expression. Son utilisation fournit un indice qui doit être confronté à une analyse plus approfondie relative aux caractères distinctifs des principes directeurs. Ceci d’autant plus que ces principes présentent un certain nombre de similarités avec les autres principes du droit.
b) Les principes directeurs et les autres principes du droit
Apparus dans les arrêts du Conseil d’Etat, les principes généraux du droit administratif concernent tant le fond de la matière que la procédure. L’idée en fut conceptualisée par la suite en doctrine[295]. Ces principes peuvent être définis par un certain nombre de critères[296]. Ils apparaissent dans les décisions de justice des juridictions administratives. Ils peuvent être invoqués nommément ; mais les juges font aussi allusion de façon plus large aux « principes généraux du droit ». Ils ont valeur de droit positif et le juge administratif en assure le respect. Le fondement de leur autorité est indépendant de tout texte comme le rappelle la traditionnelle formule « applicables même en l’absence de texte »[297]. Ils s’imposent face aux textes réglementaires mais cèdent devant la législation. Peu à peu ces principes se sont diversifiés, mais ils conservent une certaine unité formelle en ce qu’ils proviennent tous d’une création prétorienne de la juridiction administrative.
Le juge judiciaire n’est pas resté en retrait vis-à-vis de cette évolution. Il utilise aussi le concept de principes généraux du droit et notamment en procédure[298]. Pour autant, on ne trouve pas de définition uniforme de ce concept et l’on a même pu affirmer que cette notion « ne désigne aucun élément particulier du droit positif »[299]. Il faut alors se référer plus généralement à la notion telle qu’elle est abordée par les théoriciens du droit. De nombreux auteurs ont essayé de lui donner un contenu[300]. On y voit principalement l’œuvre jurisprudentielle. Ces principes dont l’appartenance au droit positif est affirmée, visent à combler les lacunes du droit écrit ou à en éclairer la signification ou la portée[301].
Les principes généraux du droit privé et du droit public forment une même famille[302]. En considérant le droit comme un système[303], ils « constituent l’ensemble des propositions directrices auquel, tant la structure que le développement du système sont subordonnés »[304]. Ils énoncent les propositions fondamentales de la vie juridique et jouent un rôle important dans l’interprétation juridique. Cette réunion dans un même ensemble des principes de droit public et de droit privé n’emporte pas l’adhésion de tous. La doctrine récente tente de souligner certaines divergences fondamentales entre les deux catégories, allant même jusqu’à nier l’existence de « principes généraux du droit privé »[305]. Il faudrait alors utiliser un vocabulaire soulignant l’indépendance des principes en droit privé : il s’agit, selon l’expression du Professeur MORVAN du « principe de droit privé »[306]. La réunion du droit privé et du droit public ne pourra se produire « qu’après que le droit privé aura été doté d’une somme minimale de propositions théoriques, strictement adéquate à son contenu »[307]. Quel que soit le vocable retenu, il est utile d’inclure les principes directeurs dans une catégorie plus vaste de principes juridiques ou de principes généraux du droit.
Les rapprochements entre principes directeurs et principes généraux du droit sont de divers ordres. Les principes directeurs sont parfois conçus, dans leur ensemble, comme des principes généraux. En procédure civile, le Professeur BOLARD procède à une véritable inclusion. Pour lui, « comme tous les principes généraux du droit, les principes directeurs du procès civil rappellent les limites du positivisme juridique »[308]. On en déduit logiquement que les principes directeurs forment une partie des éléments de la catégorie des principes généraux[309].
D’autres fois, c’est un principe directeur en particulier qui fait l’objet d’une assimilation. Tel est le cas de l’autorité de la chose jugée : « Principe élémentaire d’équité, principe général du droit, principe absolu a-t-on dit de non bis in idem » affirme-t-on a son propos[310]. La jurisprudence n’est pas étrangère à cette incorporation. A propos du double degré de juridiction, elle vise de façon générale « les principes généraux du droit » pour déterminer les modalités d’application du droit d’appel[311]. Dans l’arrêt du 30 juin 1995 où la Cour de cassation mentionnait dans son visa « le principe des droits de la défense », le premier avocat général faisait allusion dès le début de ses conclusions aux « principes généraux de la justice, dont vous êtes précisément les gardiens »[312]. Les principes directeurs seraient donc le « volet » judiciaire, processuel, des principes généraux du droit. Ce serait pourtant cantonner la valeur des principes de procédure dont certains sont consacrés au rang de principes constitutionnels.
Concernant les principes à valeur constitutionnelle, une décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1996, affirme que la recherche des auteurs d’infraction est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle, mais que le législateur doit les concilier avec l’exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties parmi lesquelles figurent la liberté individuelle et l’inviolabilité du domicile[313]. Par la suite, le Conseil estime que la loi déférée devant lui « n’a pas apporté une atteinte excessive au principe d’inviolabilité du domicile »[314]. On retrouve donc au rang des principes constitutionnels le principe directeur de l’intimité de la vie privée à travers celui de l’inviolabilité du domicile ; ces principes étant, selon le Conseil constitutionnel, des composantes du principe de la liberté individuelle[315]. Dans une décision du Conseil, relative à l’examen de la loi « Sécurité et Liberté »[316], la juridiction constitutionnelle va confirmer l’existence de principes constitutionnels dont certains relèvent de la procédure pénale, tels que le principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles[317], celui de l’indépendance des juges du siège[318], celui de l’égalité devant la justice ou encore celui de la présomption d’innocence. Ces principes, visés par la Constitution, ou créés par le Conseil constitutionnel, peuvent être considérés comme des principes directeurs du procès judiciaire (égalité devant la justice) ou comme des composantes d’un de ces principes (l’indépendance des magistrats du siège est un des éléments du principe de l’indépendance de la justice). On retrouve donc des principes directeurs parmi les principes constitutionnels.
Plus délicate est la question des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il s’agit d’une catégorie juridique récemment consacrée par le Conseil constitutionnel issue du préambule de la Constitution de 1946[319]. Ces principes forment un ensemble à part dans le bloc de constitutionnalité et répondent à des critères précisément déterminés[320]. Actuellement, deux principes du droit processuel privé sont inclus dans cette catégorie. Il s’agit d’abord du principe des droits de la défense. Cette consécration constitutionnelle a eu lieu, tant en matière pénale[321], que dans des contentieux parallèles relevant, dans une conception extensive, du droit judiciaire[322]. Il s’agit ensuite du principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire consacré en 1987. En application de ce principe, le Conseil réserve la compétence de l’autorité administrative pour les décisions prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique[323].
La question se pose de savoir si les principes élevés au rang constitutionnel ont une nature différente de ceux ayant valeur de principes généraux du droit. Observerait-on alors une dispersion de la catégorie des principes directeurs en principes généraux du droit, principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, principes à valeur constitutionnelle, auxquels on pourrait d’ailleurs ajouter les principes de la CESDH ou du droit international en matière procédurale ? La réponse doit être assurément négative. Tous ces principes ont une même nature et présentent des caractères communs. Seule leur valeur ou leur autorité diffère en fonction de leur reconnaissance par telle ou telle source textuelle ou jurisprudentielle[324]. La diversité de leurs origines est certes facteur d’ambiguïtés[325], mais n’atteint pas leur nature normative unitaire et l’on peut affirmer, au regard des définitions doctrinales, que les principes directeurs font partie de la très vaste catégorie des principes généraux du droit[326]. Ils occupent au sein de ce groupe un domaine particulier qui est celui du droit processuel privé mais ils empruntent à cette famille les traits essentiels qui la caractérisent. Pour sceller cette appartenance, il faut encore procéder à une distinction entre les principes directeurs et les règles provenant des « arrêts de principes ».
« - La loi fixe les règles concernant (notamment) :
- Les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques (…).
- La détermination des crimes et délits, ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale…
- La loi détermine les principes fondamentaux (notamment)
- de l’organisation générale de la défense nationale
- de l’enseignement… ».
Cette énumération est surprenante en ce qu’elle distingue deux types de normes juridiques : les « règles » et les « principes fondamentaux ». L’article 34 crée une distinction mais il ne dit pas sur quoi se fonde cette distinction. Une interprétation littérale de l’article 34 laisse penser que la procédure pénale ne connaît que des règles et aucun principe. La réalité est toute autre. Des principes existent en procédure pénale (comme d’ailleurs en procédure civile) et le législateur prend une part non négligeable dans leur détermination[330]. L’embryon de catégorisation n’est donc pas très indicatif. Si la distinction entre règles et principes fondamentaux, opérée par l’article 34 peut avoir une signification pour certaines matières, cela n’est certainement pas le cas concernant le droit processuel privé. Il est donc impossible d’assimiler les principes directeurs aux principes fondamentaux de l’article 34 et ce, même si la jurisprudence utilise parfois cette formulation pour y englober des principes directeurs[331].
Plus on se penche sur les principes, plus on accepte de mettre à l’écart l’engouement presque irrationnel qu’ils suscitent. Plus on pénètre dans leur antre, plus les principes se dérobent à l’analyse synthétique, plus ces normes d’exception deviennent insaisissables. Telle est bien la réalité des principes directeurs du procès judiciaire. Ils s’imposent à tous au grand jour mais révèlent au chercheur des zones d’ombre insondables.
Dès lors, l’approche des principes doit être empreinte de doute et de scepticisme. On pourrait être tenté par une première attitude qui prendrait pour établie l’existence d’une catégorie juridique des principes directeurs et entreprendrait d’en déterminer les contours. Une telle démarche est séduisante de prime abord. Pourtant, elle se révèle impuissante pour appréhender la complexité des principes. Très rapidement, on se perd dans la diversité des sources, des définitions doctrinales ou des apparitions des principes dans le droit positif. D’une certitude initiale, on risque alors de s’enfoncer peu à peu dans une matière dont la complexité va croître au fil de la recherche.
La démarche doit être inversée. Dès les premiers pas sur les traces des principes, on s’aperçoit que le pluralisme semble être leur trait le plus caractéristique. Comment dès lors, les regrouper dans un ensemble homogène ? Existe-t-il des indices qui permettent de distinguer les principes des autres règles de la procédure ? Une nouvelle approche s’impose alors d’elle-même. Elle peut se résumer par la question suivante : les principes directeurs du procès judiciaire forment-ils une catégorie juridique distincte de celle constituée par les règles techniques de la procédure ? Cette interrogation en suscite inévitablement d’autres : quels sont les liens qui unissent les principes directeurs et réalisent leur unité ? Ces liens font-ils apparaître une catégorie autonome de principes directeurs ?
Il faut aborder les principes directeurs comme des concepts inconnus et se poser la question de savoir qui sont ou que sont les principes directeurs du procès judiciaire ? Ces principes doivent être identifiés et distingués des autres règles du droit processuel et leur particularisme mis en évidence. Il faut leur donner une définition conceptuelle qui repose sur l’analyse du droit positif éclairée par la théorie du droit. Une première approche consiste donc dans l’étude de la notion de principe directeur du procès judiciaire (première partie).
Isoler une catégorie de principes autour d’un certain nombre de caractères communs, ne permet pas de justifier la présence de ces principes dans le droit processuel. Les principes procéduraux possèdent-ils une utilité dans le fonctionnement du procès, dans l’organisation des règles de procédure ? Pour répondre à ces interrogations, il est nécessaire d’envisager le droit processuel et le procès judiciaire dans une perspective systémique. Les principes directeurs forment alors un système de normes qui entretient des relations avec d’autres systèmes[333]. L’étude de ces relations va permettre de mesurer l’action des principes directeurs du procès judiciaire (seconde partie). C’est en analysant comment les principes directeurs agissent dans le système normatif processuel ou sur le déroulement du procès judiciaire, que l’on pourra mesurer tout à la fois leur singularité et la raison de leur existence.
De leur côté, les sociologues constatent que le droit est un fait social comme un autre. Sa création répond à des lois que l’on peut observer et analyser[345]. Le droit comme phénomène social a été mis en valeur par le normativisme, mais dans la perspective sociologique, il n’est plus issu d’une création étatique arbitraire. Il provient des faits sociaux[346] : de l’histoire, de l’économie, des idées politiques, des luttes sociales[347]… Il est la résultante du modèle étatique et des valeurs défendues par les forces sociales[348]. Les faits sociaux exercent une influence incontestable sur les organes de l’Etat qui ont une légitimité représentative. Il faut encore admettre que le juge fonde son œuvre créatrice sur ces faits sociaux[349]. Jusnaturalisme et positivisme sociologique s’opposent ainsi sur les fondements et la nature de la norme juridique. Cette controverse concerne particulièrement les principes directeurs.
La nature humaine va permettre d’établir une relation entre principes directeurs et droit naturel à travers les droits de l’homme. Selon cette philosophie, chaque homme possède des droits par ce qu’il est homme et ces droits sont identifiables[352]. Le droit le plus intimement attaché à l’individu est la liberté, dans tous ses aspects : physique, politique, économique, et même procédurale (liberté d’agir ou de se défendre). Si l’on se réfère, non plus à l’homme, mais à tous les hommes, autrement dit à l’humanité, c’est un nouveau concept qui apparaît, celui de dignité[353]. Liberté et dignité sont des droits qui s’attachent, individuellement ou collectivement à la nature humaine. Ils relèvent donc du droit naturel.
Certains auteurs préfèrent relier les principes directeurs à la nature des choses, c’est à dire à un droit naturel structurel. Selon cette doctrine, le droit naturel existe non parce que la nature de l’homme l’exige, mais par ce qu’il se calque sur la nature des choses et des institutions. Cette théorie est reprise en procédure dans la thèse du Professeur FRISON-ROCHE[354]. L’idée n’est plus de faire appel à la raison humaine, quelque peu discréditée au cours du vingtième siècle, mais plutôt à la logique. L’auteur affirme que « le contradictoire, en ce qu’il ressort de la logique, ne doit rien à la nature humaine ». Le procès, phénomène propre à l’Etat social, ne peut se passer du principe du contradictoire. Il est donc dans la nature du procès d’être régi par le principe du contradictoire. Cette relation consubstantielle[355] établit l’existence naturelle d’une règle de droit, en l’occurrence l’un des principes directeurs du procès. En conséquence, le principe directeur de droit naturel serait celui sans lequel le procès n’existe pas. Plus précisément, cette thèse défend l’idée selon laquelle il est dans la nature du procès d’être régi par certains principes[356].
Les théories du droit naturel et leurs applications procédurales sont séduisantes. Elles semblent vouloir faire admettre des évidences, un modèle unique et universel, naturel et immuable. Elles ignorent pourtant le pluralisme ; elles révèlent aussi des fondements instables, voire critiquables[357].
La relation entre principes juridiques et faits sociaux s’observe en procédure. La fonction de juger est une fonction d’origine étatique ou au moins contractuelle. Elle a donc un caractère éminemment social. L’existence du procès nécessite un conflit et donc la rencontre de plusieurs individus dans un cadre institutionnel déterminé ou non par les parties. Les principes directeurs entretiennent ainsi des liens avec les modèles institutionnels. Pour illustration, les principes qui gouvernent le système probatoire, notamment en matière pénale, sont largement dépendants de la conception sociale de l’infraction et du délinquant[362]. De même, l’évolution des faits sociaux entraîne une modification de la structure du procès et donc de ses principes directeurs. Ainsi, face aux reproches à l’encontre d’une justice opaque, souvent incompréhensible et coûteuse, le système judiciaire évolue vers une plus grande proximité avec le justiciable[363]. Vont trouver un nouvel essor, des principes comme celui de la conciliation, qui assure la promotion des règlements extrajudiciaires, ou celui des droits de la défense, qui conduit à rendre plus facile l’accès à la justice à travers l’aide juridictionnelle. Au contraire certains principes vont perdre du terrain, comme celui de la collégialité qui s’efface progressivement au profit d’un juge unique et d’une procédure moins solennelle, donc plus accessible.
Plus particulièrement, on trouve dans certaines conventions internationales auxquelles la France a adhéré, de nombreux principes intéressant le droit judiciaire. Certaines de ces conventions ont une valeur plutôt morale que juridique et ne sont que peu visées par les juges nationaux. C’est d’abord le cas de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU le 10 décembre 1948. Cette déclaration n’a qu’une portée philosophique dans la mesure où aucun organe international n’en contrôle le respect[365]. Par ailleurs, elle n’est pas directement invocable devant les juridictions nationales. Pour autant, on trouve en son sein de très nombreux principes qui inspirent le droit national et européen. L’article premier de la Convention vise les principes de liberté et d’égalité « en dignité et en droits ». L’article 8 reconnaît à toute personne le « droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux ». Historiquement, ce texte est le premier à dégager le principe du droit au procès équitable, public, par un tribunal indépendant et impartial. On y trouve aussi l’expression de principes traditionnels comme la présomption d’innocence ou la protection de la vie privée. Autant de principes dont on s’aperçoit qu’ils reçoivent aujourd’hui un large écho dans notre droit processuel. Une autre source provenant des Nations Unies fait l’objet d’une application directe même si certains reconnaissent qu’elle n’est que complémentaire[366]. Il s’agit du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966. Ce texte a été doté d’un organe international de contrôle, le Comité des droits de l’homme, qui construit progressivement une jurisprudence relative à son application[367]. Il est aussi applicable devant les juridictions françaises[368] ; la Cour de cassation qui s’y réfère expressément[369]. Parmi la diversité des droits protégés par le pacte, on retrouve notamment le principe de la liberté d’aller et de venir mais aussi l’exigence du procès équitable.
Ces sources plus matérielles que formelles ne sont pas négligeables mais leur influence ne peut être comparée au rôle joué par la CESDH sur le droit processuel interne. C’est dans ce texte que l’on retrouve les principes directeurs communs à toutes les procédures juridictionnelles françaises (a). De façon résiduelle, le droit communautaire est aussi source de certains principes de procédure (b).
a) Le rôle déterminant de la CESDH dans la création de principes directeurs du droit européen.
L’influence de la CESDH sur le droit judiciaire français est très sensible dans la mesure où les principes contenus dans ces textes sont mis en œuvre tout aussi bien par la CEDH que par les juridictions françaises dans leur ensemble. Les principes procéduraux inclus dans ce traité trouvent aussi des prolongements en droit communautaire.
b) Le rôle résiduel des textes communautaires dans la détermination de principes directeurs internationaux.
La CJCE a le pouvoir d’assurer le respect des droits fondamentaux dans l’ordre communautaire mais son action est encadrée par un domaine de compétence restreint. L’article 46 du traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 reconnaît la CJCE comme « Cour des droits de l’homme »[379] mais cette compétence n’est pas générale. Elle ne porte que sur « l’action des institutions ». On sait que la Cour s’est attribuée elle-même le contrôle des droits nationaux pris en application du droit communautaire et l’article 46 ne devrait pas remettre en cause cette action. Toutefois, aucun recours individuel n’existe encore permettant à une personne physique ou morale de saisir la CJCE d’un acte communautaire ou d’un texte pris pour son application qui porterait atteinte aux droits fondamentaux et donc à d’éventuels principes processuels européens[380]. Selon la doctrine actuelle, il semble que le recours dont dispose un individu pour obtenir la protection communautaire d’un droit fondamental serait de demander l’examen de la question préjudicielle à la juridiction interne pour contrôler un acte étatique qui serait pris sur la base du droit communautaire. Autant dire que ce double système de limitation ne laisse guère de place à l’éclosion d’un droit communautaire processuel influant sur le droit interne. D’une part la vocation de l’union n’est pas de se préoccuper d’un droit processuel commun et d’autre part, le mode de saisine et le domaine de compétence de la CJCE semblent encore restreindre l’ampleur du contrôle du droit processuel interne par d’éventuels principes communautaires. Ce phénomène pourrait se modifier au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne dont le processus de création a été entrepris suite au Conseil européen de Cologne de juin 1999 et a abouti au Conseil de Nice à la fin de l’année 2000. Ce texte contient de nombreuses références à des droits procéduraux et notamment le droit à un recours effectif, le droit à un tribunal impartial, le droit à la présomption d’innocence, ou le principe de l’autorité de la chose jugée en matière pénale (non bis in idem)[381].
A l’heure actuelle l’influence des principes communautaires sur le droit processuel interne demeure résiduelle. Un des principes fondateurs du droit communautaire possède des aspect processuels. Il s’agit du principe de la liberté d’aller et venir[382] sous sa forme européenne de la liberté de circulation des personnes (article 48 du Traité de Rome de 1957). Il n’existe qu’un lien très indirect entre les deux aspects - processuel et économique - de ce même principe. La Cour de justice l’a pourtant utilisé en combinaison avec celui de l’égalité[383]. Ce dernier principe a pu être imposé dans le cadre d’une procédure interne belge. Un ressortissant luxembourgeois poursuivi devant une juridiction belge demandait à ce que la procédure ait lieu dans sa langue natale. Il se prévalait d’une loi belge de 1935 qui ouvrait ce droit à un national domicilié dans une commune de langue allemande. La CJCE ne vise pas directement un principe d’égalité mais elle utilise le principe de libre circulation des travailleurs inscrit dans les textes communautaires et étend l’application de ce principe à la matière procédurale de sorte que les travailleurs étrangers puissent bénéficier des mêmes droits procéduraux que les nationaux placés dans les mêmes conditions (ici, la pratique d’une langue étrangère).
La protection des droits fondamentaux par le juge communautaire passe avant tout par un phénomène d’« absorption de la CESDH »[384] conçue désormais comme « une source d’inspiration privilégiée pour la Cour de Luxembourg »[385]. Même s’il apparaît que l’Union n’est pas formellement liée à la CESDH, la juridiction communautaire se réfère expressément à ce texte en considérant que « les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect »[386]. S’il est vrai que cette technique relève de la création jurisprudentielle de principe communautaire, il n’en demeure pas moins que la Convention européenne, par son unité et par l’abondance de son interprétation jurisprudentielle, constitue un instrument idéal pour la juridiction luxembourgeoise. Ce pourrait être une explication plausible de la faiblesse des textes communautaires en la matière. En réalité c’est dans les textes du droit interne que l’on va puiser la part la plus importante de la catégorie des principes directeurs du procès judiciaire.
a) La présence des principes directeurs dans toutes les strates de la hiérarchie organique
Cette règle[393] constitue l’un des deux aspects de la liberté de la preuve en matière pénale. L’article 427 du Code de procédure pénale🏛 dispose ainsi : « hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction ». Il s’agit dans un premier temps de permettre la libre production de la preuve par les parties ou le magistrat instructeur et dans un second temps, de reconnaître au juge une pleine liberté dans l’appréciation des preuves produites devant lui. L’intime conviction du juge trouve donc, dans l’article 427, une reconnaissance explicite. Pourtant, cette disposition est intégrée dans un titre du Code relatif au jugement des délits. Dès lors, on doit encore se référer à l’article 304 du même Code relatif au serment des jurés et selon lequel chacun d’entre eux jure de suivre sa conscience et son intime conviction. Cette promesse est rappelée à l’issue de l’audience par l’article 353, selon lequel « la loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : avez-vous une intime conviction ? ». Sans être absolument généralisée[394], la place de l’intime conviction dans le Code de procédure pénale🏛 est assez large de par sa présence en matière délictuelle et criminelle. Cependant, si le système de la liberté de la preuve domine toute la pratique de la procédure pénale[395], force est de constater qu’aucune disposition de portée générale reconnaît expressément le couple de principes qui le compose (liberté de la preuve et intime conviction)[396].
Les principes directeurs du procès ne trouvent donc pas, dans les deux Codes de procédure, une expression conceptualisée et discriminante de leur existence. Par ailleurs, ils coexistent parfois dans plusieurs textes.
b) La coexistence des principes directeurs dans plusieurs sources textuelles
Plus singulière est la coexistence d’un principe directeur dans un texte de droit processuel et dans un autre de droit substantiel. Le principe de la motivation servira encore d’exemple à la démonstration. Tel qu’il est exprimé dans le Code de procédure pénale, le principe prévoit l’exigence d’une motivation simple, mais il existe des hypothèses dans lesquelles l’obligation de motivation est renforcée. L’article 132-19 al 2 du Code pénal mentionne, comme une condition préalable du recours à un emprisonnement ferme que la juridiction ait « spécialement motivé le choix de cette peine ». La motivation spéciale représente une extension du principe de motivation. Pour autant, elle ne figure pas dans le Code de procédure. L’article 132-19 mêle effectivement une question de fond (recours à une peine d’emprisonnement sans sursis) à une autre de forme (motivation spéciale). La Cour de cassation a eu l’occasion de trancher à propos de l’application dans le temps de cette disposition qu’il s’agissait bien globalement « d’une loi de procédure »[401]. Le législateur ne fait pas œuvre de clarté lorsqu’il énonce un principe directeur dans le Code de procédure pénale mais prévoit certaines modalités d’application en dehors de ce Code et de surcroît, dans un texte visant le droit substantiel. Parfois, il arrive que le droit substantiel monopolise les principes de procédure.
c) Le monopole des textes de droit substantiel sur certains principes directeurs
Ce phénomène est moins rationnel lorsque le principe a pour origine l’ouverture d’une procédure judiciaire. L’exemple topique est celui de la présomption d’innocence qui, depuis sa consécration textuelle dans la loi du 4 janvier 1993🏛 et jusqu’à son insertion dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale par la loi du 15 juin 2000🏛, était mentionnée uniquement dans l’article 9-1 du Code civil🏛. Cette règle concerne les personnes envers lesquelles l’institution judiciaire tente d’établir ou de rejeter la responsabilité d’une infraction. Trouver l’expression de ce principe dans le Code civil relève d’un exercice d’équilibriste. L’objectif poursuivi par l’intégration de la présomption d’innocence dans le Code civil était d’ouvrir une action en référé aux personnes « présentée(s) publiquement comme étant coupable(s) » de faits faisant l’objet de poursuites pénales[405]. Cette action permet de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence et de réparer le cas échéant, les dommages consécutifs à cette atteinte. L’intention était bonne mais on aurait pu concevoir qu’un tel mécanisme, de nature procédurale[406], soit intégré dans le Code de procédure pénale[407]. Les textes législatifs ne contribuent donc pas à clarifier la position des principes directeurs au sein du système juridique, non seulement en tant que normes particulières[408], mais aussi en tant que règles de procédure. Il faut alors en appeler à l’inévitable contribution jurisprudentielle.
Il semble que cette réflexion représente la clé qui permet de résoudre le conflit doctrinal. La norme jurisprudentielle est une norme juridique au même titre que la norme textuelle. Elle tient sa juridicité de son caractère étatique[426]. Si le droit puise ses sources dans les faits sociaux, ce constat est vrai aussi bien pour les normes textuelles que pour les normes jurisprudentielles. La source d’inspiration du juge est la même que celle du législateur ou du pouvoir réglementaire. Le juge peut se référer directement à ces faits sociaux ; mais pour en découvrir l’existence, il peut aussi avoir recours aux normes juridiques textuelles. Du droit écrit, le juge dégage l’esprit, l’inspiration sociale qui a gouverné son édiction et crée un principe empreint de la même inspiration. DWORKIN explicite ce raisonnement[427]. Le juge recherche dans les dispositions du droit écrit l’ensemble des principes (non juridiques) qui ont été à l’origine de ces règles textuelles. En respectant les mêmes principes, il crée à son tour de nouvelles normes dans l’ordre juridique. Le théoricien pense qu’une norme implicite s’impose au juge. Cette norme (N.1) peut être dégagée si plusieurs conditions sont réunies[428] :
- si le législateur n’a explicitement créé aucune norme incompatible avec N.1 ;
- s’il est très probable que le législateur aurait promulgué N.1 s’il avait prévu la controverse devant laquelle se trouve le juge ;
- si N.1 peut être justifiée (ou trouve son origine) par la même doctrine éthique et politique (les faits sociaux) qui a présidé à la promulgation des normes explicites (écrites) du système juridique ;
- si N.1 constitue la justification d’une ou plusieurs normes explicites du système juridique.
C’est donc bien une voie de compromis qu’il faut choisir après avoir reposé la question en termes adéquats. Cette question n’est pas de savoir si le juge crée ou découvre la norme qu’il dégage. L’existence de la norme précède l’action juridictionnelle. Il s’agit néanmoins d’une norme sociale. En revanche, le juge confère à cette norme sa juridicité. L’activité du juge est donc une activité de création d’une norme juridique fondée sur la découverte d’une norme sociale[429]. Il faut alors examiner la contribution jurisprudentielle à la détermination de principes directeurs du procès judiciaire.
a) La détermination de principes internationaux
La Cour va puiser les principes qu’elle dégage dans deux sources différentes. Elle s’inspire des « traditions constitutionnelles communes aux Etats membres »[438] de telle sorte qu’elle va emprunter aux Constitutions internes certains de leurs droits fondamentaux. Elle se réfère aussi aux principes de la CESDH qu’elle transforme en normes jurisprudentielles communautaires[439]. Parfois, la Cour se dispense de toute référence extérieure et use de son pouvoir jurisprudentiel pour affirmer l’existence de certains principes généraux du droit communautaire. Cette dernière hypothèse trouve une illustration dans l’arrêt Orkem de 1989[440]. Dans cette affaire, une entreprise faisait l’objet de poursuites par la commission en matière de concurrence. La société faisait valoir le droit de ne pas témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable. La Cour ne trouvait pas dans la CESDH ou dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, d’allusion à une telle règle. Elle s’est donc référée aux principes des droits de la défense pour interdire à la Commission de contraindre l’entreprise à fournir des réponses pouvant la conduire à admettre l’existence d’infractions au droit communautaire[441]. Le principe des droits de la défense avait déjà été utilisé par la CJCE. Dans un arrêt Michelin c/ Commission[442], elle jugeait que « le respect du droit de la défense constitue un principe fondamental du droit communautaire qui doit être observé par la Commission dans ses procédures administratives susceptibles d’aboutir à des sanctions ». Poursuivant son œuvre prétorienne en matière procédurale, la juridiction communautaire a eu l’occasion de reconnaître l’existence du caractère contradictoire de la procédure, considérant qu’il s’agissait d’un principe général commun à la plupart des ordres juridiques des Etats membres. Elle a aussi mis en évidence l’exigence d’une motivation appropriée ou d’une obligation générale faite aux institutions communautaires de motiver leurs actes. Elle s’est enfin référée au principe d’égalité dans l’organisation même de la procédure pénale[443]. Le pouvoir jurisprudentiel de la CJCE trouve donc des prolongements en droit processuel. Cette matière doit surtout d’importants développements à la jurisprudence de la CEDH.
Le premier de ces principes jurisprudentiels européens et celui de l’égalité des armes. Dès sa consécration[444], la Cour européenne déclarait que ce principe constituait un « aspect de la notion plus large de procès équitable ». La juridiction cherche donc un soutien textuel au principe qu’elle crée. Pour certains, l’égalité des armes est aussi « sous tendue par le principe d’égalité qui constitue l’un des piliers de l’idéal démocratique des droits de l’homme »[445]. Il est vrai que l’environnement juridique de la CESDH est particulièrement propice à l’expression d’un tel principe. La CEDH lui a donné de nombreuses applications techniques[446]. Il est aussi utilisé par la doctrine pour contester l’application de principes procéduraux français. Me MARTIN estime que la simple faculté laissée au juge de relever d’office un moyen de droit dans le procès n’est pas conforme à ce principe. Elle prive certains justiciables de cette coopération du juge alors que d’autres en bénéficient[447]. La CEDH mêle l’égalité des armes à un autre principe : celui du contradictoire[448].
Récemment, la France a été condamnée pour non respect de ces principes. Avant l’audience devant la Cour de cassation, l’avocat général reçoit communication du rapport du Conseiller rapporteur et du projet d’arrêt préparé par celui-ci. Le rapport se présente en deux volets : le premier concerne le rappel des faits, de la procédure et des moyens du pourvoi, le second l’analyse juridique du dossier et l’avis du Conseiller rapporteur sur le mérite de ce pourvoi. Ce second volet ainsi que le projet d’arrêt ne sont pas communiqués aux parties avant l’audience. La CEDH considère qu’un déséquilibre est créé entre les parties et l’avocat général en raison de la communication partielle du rapport aux parties et totale à l’avocat général[449].
L’article 6 de la CESDH n’est pas l’unique stipulation qui donne lieu à la création de principes par la CEDH. On peut évoquer l’article 3 faisant interdiction absolue du recours à la torture, aux traitements inhumains et dégradants. De cet article, la Cour induit l’interdiction plus générale de l’atteinte à la dignité. Sans utiliser expressément le vocable de « principe de dignité », elle assimile les atteintes à la dignité à une violation de l’article 3. Ce fut le cas notamment en 1995, lorsque la Cour condamna l’usage de la force physique contre une personne privée de liberté du fait de sa garde à vue[450]. Les condamnations de la CEDH ont une incidence sur le droit interne et les juridictions judiciaires sont amenées à appliquer les normes dégagées par la jurisprudence européenne.
L’émulation se poursuit lorsque les juges nationaux s’émancipent et font œuvre d’initiative dans l’application de la CESDH. On peut citer un arrêt du 5 décembre 1978[453] dans lequel la Cour de cassation avait censuré, en se référant à la Convention, un arrêt ayant retenu une circonstance aggravante sans que le condamné ait été mis en mesure de se défendre sur ce point. Cette fois, la juridiction suprême a cherché directement dans le texte international, la source du principe du contradictoire. Ce principe n’existe pas dans la CESDH et la Cour de cassation le reconnaît, en tant que principe général du droit, comme étant intégré dans les droits de la défense[454].
La Cour de cassation fait donc usage du droit européen pour donner aux principes qu’elle utilise une autorité plus grande. Cette attitude est parfois observée avec plus de réserve par le juge ordinaire[455], lorsqu’il s’agit de principes constitutionnels.
b) La détermination de principes constitutionnels
Cette appréhension du droit constitutionnel peut prendre plusieurs formes. La première est celle de l’interprétation des textes processuels conformément à la Constitution. La Cour de cassation a jugé par exemple, qu’une décision de justice ne pouvait en elle-même constituer un crime ou un délit en se fondant sur le « principe constitutionnel qui garantit l’indépendance des magistrats du siège » visé à l’article 64 de la Constitution[459]. Cet acte d’interprétation peut d’ailleurs avoir été suscité par le Conseil lorsqu’il émet, à l’égard d’un texte législatif, une déclaration de conformité sous réserve[460]. La seconde consiste pour le juge judiciaire, à se référer aux principes consacrés au rang constitutionnel par le Conseil. Dès lors, on assiste à la coexistence d’une jurisprudence constitutionnelle du Conseil et du juge ordinaire[461]. L’autorité constitutionnelle est d’ailleurs partagée dans son activité prétorienne. Un même principe peut recevoir la qualification autonome de principe fondamental reconnu par les lois de la République, tout en existant dans un texte constitutionnel. L’exemple du principe de la liberté individuelle est à ce titre significatif. L’article 66 qui donne compétence à l’autorité judiciaire en matière de protection de la liberté individuelle prévoit aussi dans un premier alinéa que « nul ne peut être arbitrairement détenu ». Pourtant dans une décision fouille de véhicule du 12 janvier 1977[462], le Conseil considère la liberté individuelle comme un principe fondamental dont la Constitution ne fait que réaffirmer l’existence pour en confier la garde à l’autorité judiciaire. La liberté individuelle trouvait donc sa source aussi bien dans le texte de la Constitution que dans la jurisprudence constitutionnelle. Par la suite, la qualification de principe fondamental a été abandonnée et seule est restée la référence à l’article 66[463]. Par ailleurs, le principe de la liberté individuelle, a servi de fondement à la détermination jurisprudentielle du principe de la liberté d’aller et venir à partir de 1979[464]. Ce principe entre dans le champ de l’article 66 même s’il possède une origine jurisprudentielle[465]. Au final, on s’aperçoit que la même disposition constitutionnelle va conduire à l’émergence de plusieurs principes complémentaires ou parfois concurrents. Certains de ces principes trouvent leur source organique dans la Constitution : il s’agit de la liberté individuelle (article 66 al 1, malgré l’hésitation du Conseil) et de la compétence de l’autorité judiciaire pour en assurer la garde (article 66 al 2)[466]. Un autre principe a pour origine formelle la jurisprudence du Conseil : la liberté d’aller et de venir[467]. En réalité, le juge constitutionnel se dégage sans difficulté du texte de 1958 pour consacrer de nouveaux principes.
Le principe des droits de la défense trouve quant à lui une reconnaissance constitutionnelle de la part des deux ordres de juridiction. Le Conseil a d’abord invoqué ce principe sans indication quant à sa nature. Puis, dans une décision 76-70 DC[468], il lui a conféré la qualité de principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis, sans avoir indiqué particulièrement à quelles lois républicaines il se référait, le Conseil a maintenu cette qualification[469]. La Cour de cassation avait déjà qualifié les droits de la défense de principe général du droit[470]. Pourtant, incitée par l’avocat général JEOL, l’assemblée plénière devait accorder à ce principe un « caractère constitutionnel » dans un arrêt de 1995[471]. L’espèce était en effet délicate et concernait, selon les termes de l’avocat général, « une affaire de famille ». Il s’agissait de la procédure du « rabat d’arrêt » devant la Cour de cassation. Lorsqu’une erreur matérielle imputable à la Cour de cassation entache son arrêt d’irrégularité, la partie lésée peut demander la rétractation de la décision. Il s’agit d’un recours contre une décision de la Cour de cassation. Dans l’espèce de 1995, un plaideur réclamait un avocat commis d’office pour intenter un tel recours dilatoire qui aurait échoué avec certitude. Le Conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation avait rejeté sa demande. En pratique, le refus se justifiait pleinement, mais admettre une telle solution relevait d’une atteinte sérieuse aux droits de la défense. L’assemblée plénière s’est voulue tout à la fois dogmatique et ambitieuse. Elle affirme clairement « attendu que la défense constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel ». Le dogmatisme de la solution réside dans l’idée que chaque individu, quel que soit le bien fondé de son recours, a droit à l’assistance d’un avocat, au besoin commis d’office. L’ambition réside dans le fait que la Cour reconnaît explicitement à un principe directeur valeur constitutionnelle. A l’évidence, la haute juridiction ne fait que reprendre à son compte la jurisprudence du Conseil. L’utilisation du terme « droit fondamental à caractère constitutionnel » constitue une référence au principe fondamental reconnu par l’autorité constitutionnelle. La Cour de cassation se contente donc de suivre le juge constitutionnel. Certaines juridictions du fond ont suivi la même voie. Dans un jugement du 2 octobre 1998, le Tribunal de grande instance de Paris déclare que « le principe supérieur, de valeur constitutionnelle, des droits de la défense doit conduire à admettre que la libre production dans un procès de pièces écrites, dès lors qu’elles ne sont pas étrangères à la cause, est tout aussi essentielle que la liberté de parole et de ton protégée par l’article 41 » de la loi du 29 juillet 1881🏛[472]. Dans cette décision le recours à la constitutionnalité du principe permet de le faire prévaloir sur un autre principe. Le tribunal a d’abord considéré que les droits de la défense constituaient un « principe supérieur » ; mais souhaitant donner plus de poids à leur décision, les juges ont renforcé l’autorité du principe en visant sa constitutionnalité.
c) La détermination de principes généraux du droit
Le principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil est un exemple de cette action. Ce principe peut être exprimé comme l’interdiction faite au « juge saisi de l’action civile de contester toutes les énonciations qui forment le soutien nécessaire de la décision pénale »[482]. Le principe fut dégagé pour la première fois dans une décision de 1855[483]. Depuis, le principe a connu la pérennité dans sa formulation jurisprudentielle et le déclin quant à son autorité normative. On trouve des décisions qui le formulent explicitement. Pour exemple, cet arrêt de la chambre civile qui affirmait en 1921 :« attendu, il est vrai, que les décisions de la justice pénale ont au civil l’autorité de la chose jugée à l’égard de tous en ce qui concerne l’existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels ce fait est imputé »[484]. D’autres au contraire ne visent que les conséquences directes qui découlent de l’application du principe. Une chambre mixte jugeait ainsi en 1998, que « la victime d’une diffamation par voie de presse qui n’a cité devant la juridiction pénale que l’un des participants à l’infraction a épuisé son droit d’agir devant la juridiction civile en raison de la même publication contre les autres participants à cette infraction »[485]. En l’absence de texte servant de référence au principe[486], la jurisprudence a construit de façon autonome le régime et le champ d’application de l’autorité du criminel sur le civil. A de nombreuses reprises, elle a eu l’occasion d’affirmer le caractère d’intérêt privé de ce principe[487].
La loyauté dans la recherche de la preuve est un autre principe qui a connu un essor jurisprudentiel, trouvant sa consécration expresse en 1996 pour sanctionner une « machination (ayant) porté atteinte au principe de la loyauté des preuves »[488]. L’application du principe a permis d’étendre le dispositif contraignant des écoutes téléphoniques ordonné par le juge d’instruction aux écoutes pratiquées à la demande de l’un des correspondants et dans son bureau[489]. A l’inverse, le champ d’application de ce principe a été cantonné à la recherche des preuves opérée par les autorité publiques[490]. A plusieurs reprises, la Cour de cassation a admis la production en justice de preuves recueillies en violation du principe. Elle a ainsi jugé qu’« aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; qu’il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du Code de procédure pénale🏛 d’en apprécier la valeur probante »[491]. Une lettre confidentielle peut donc, selon la juridiction suprême, être produite en justice par un particulier malgré l’absence de consentement des correspondants[492].
Sans aller plus loin dans cet exposé, il est possible de relever l’existence d’autres principes directeurs conceptualisés uniquement en jurisprudence. C’est le cas des droits de la défense qui ne sont pas nommément visés dans les texte procéduraux[493] et semblent s’imposer « dans le silence de la loi parce que le droit d’une nation civilisée ne saurait les exclure »[494]. La Cour de cassation n’ignore pas ce principe et le vise explicitement dans de nombreux arrêts[495]. Tel est encore le cas du double degré de juridiction qui n’est formellement énoncé que dans certains arrêts[496] bien qu’on en trouve des expressions dans les dispositions sur le droit d’appel en matière civile.
Certains textes ont une telle autorité qu’ils font parfois oublier les pouvoirs du juge. L’exemple de l’article 6 de la CESDH est significatif à cet égard. Il stipule notamment l’existence d’un principe d’impartialité des juridictions. Cette impartialité doit s’apprécier très largement pour toutes les juridictions qui statuent sur le fond de l’affaire mais aussi pour celles qui sont chargées de l’instruction[497]. La référence au principe d’impartialité au regard de la CESDH est fréquente dans la jurisprudence du juge judiciaire[498]. Il arrive aussi que les magistrats se dégagent de la prescription textuelle pour affirmer l’existence du principe d’impartialité. Le fait est suffisamment rare pour être souligné. Dans un arrêt du 3 décembre 1996[499], la Cour de cassation adopte le visa suivant : « Vu l’article 34 de la Convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963, ensemble, le principe d’impartialité du juge ». Sous ce visa, la haute juridiction va refuser d’accorder l’exequatur à une décision de justice étrangère en raison de la suspicion légitime qui pesait sur le magistrat ayant pris cette décision. « L’impartialité du juge est une exigence de l’ordre public international » déclare la première chambre civile. Pourtant, que ce soit dans le visa ou au sein même des motifs, aucune allusion n’est faite à la CESDH. Aucune raison de droit ne fait obstacle à ce que le juge français utilise la CESDH pour contrôler la validité d’une décision juridictionnelle étrangère au regard des principes procéduraux français ou de l’ordre public international. Cette décision tend à montrer que la Cour de cassation se reconnaît un pouvoir autonome de détermination des principes directeurs au-delà de toute référence textuelle. A l’évidence, la référence à l’ordre public international donne un fondement matériel au principe énoncé. Pour autant, le juge français marque aussi ses distances avec la CESDH qui aurait logiquement trouvé sa place dans le visa. Le principe d’impartialité dégagé par la Cour de cassation a-t-il une signification ou un contenu différent de son homologue européen ? A première vue, le refus d’exequatur est justifié par la suspicion légitime envers le magistrat étranger. Un critère de partialité qui justifie aussi l’annulation d’une décision sous le visa de l’article 6§1 de la Convention européenne. La concurrence des sources formelles ne favorise donc pas la transparence de la matière des principes directeurs.
L’utilisation d’un même principe par un texte et par la jurisprudence ne va pas sans créer des discordances quant à la définition du champ d’application du principe. L’hypothèse s’est produite avec le contradictoire. Ce principe a fait son entrée dans les textes de procédure civile avec le décret du 9 septembre 1971 et dans le nouveau Code de procédure civile en 1975. Antérieurement, le principe avait été consacré par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 19 décembre 1955, cette juridiction visait « les articles 230, 232, et 1353 du Code civil🏛🏛🏛, ensemble, le principe de la libre contradiction des parties »[500]. L’utilisation de la libre contradiction permettait alors aux juges de refuser dans les débats un procès verbal dont la communication n’avait pas été faite à la partie adverse. Cette règle a été reprise dans l’article 16 al 2 du nouveau Code consacré à « la contradiction »[501]. Celui-ci prévoit : le juge « ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement ». De manière plus générale, l’article 16 impose au juge de faire respecter et de respecter lui même le principe de la contradiction. Pour autant, la jurisprudence n’a pas systématiquement modifié ses visas de principe. Certains arrêts postérieurs à l’entrée en vigueur du nouveau Code évitent en effet de citer l’article 16 à l’image de cette décision du 12 mars 1980 dont le visa est ainsi rédigé : « vu le principe du contradictoire »[502]. En considération de ce principe, la Cour suprême rejette la production en justice d’un rapport complémentaire d’expertise aux motifs que ce rapport n’a pas été établi contradictoirement. D’autres arrêts ont au contraire utilisé l’article 16 pour censurer la décision d’un juge qui avait révoqué l’ordonnance de clôture afin de permettre à une partie de conclure sans mettre l’adversaire en mesure de répondre[503]. On a donc le sentiment que le juge peut appliquer indifféremment l’article 16 ou le principe du contradictoire dégagé en jurisprudence. Les deux expressions auraient-elles la même valeur ? La réalité est plus complexe.
En 1971, lorsque le contradictoire fut intégré dans un texte réglementaire, la disposition le concernant était ainsi rédigée : « le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe du contradictoire. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit autres que d’ordre public qu’il a relevés d’office ou les explications complémentaires qu’il a demandées sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ». Dans le deuxième décret visant à s’intégrer dans le nouveau Code adopté le 20 juillet 1972, il était précisé que « le juge doit avertir les parties des moyens qui paraissent pouvoir être relevés d’office et les inviter à présenter leurs observations »[504]. D’autre part, le magistrat devait « rouvrir les débats chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer sur les moyens que la juridiction se propose de relever d’office »[505]. Cette protection intense du contradictoire conduisit à une augmentation importante du nombre de pourvois en cassation pour violation du principe et à un inévitable encombrement du rôle de cette juridiction[506]. Le pouvoir réglementaire fut contraint d’opérer un retour en arrière dans le décret de codification du 5 décembre 1975. A cette date, l’article 16 recevait donc une nouvelle rédaction : « Le juge doit en toutes circonstances faire observer le principe de la contradiction. Il ne peut retenir dans sa décision que les explications qu’il a recueillies contradictoirement ». La référence à l’obligation personnelle faite au juge de respecter le principe avait disparu. Cela posait un réel problème lorsqu’un magistrat relevait d’office un moyen de pur droit comme l’y autorisait l’article 12 al 3 du même Code.
Désormais, on se trouvait face à deux principes du contradictoire. Le premier était visé à l’article 16 du nouveau Code de procédure civile et ne s’appliquait qu’aux parties ; le second d’origine jurisprudentielle visait le juge. Dans un arrêt du 6 juillet 1978[507], la Cour de cassation a utilisé le second pour étendre la portée du premier. La victime d’un dommage se fondait sur les articles 1384 al 1 et 1386 du Code civil🏛 pour fonder son action en responsabilité. La Cour d’appel, considérant que les moyens utilisés n’étaient pas adéquats, s’était référée à l’article 1382 du même Code pour relever la faute de l’auteur et le condamner à des dommages et intérêts. La Cour de cassation a procédé à une application extensive de l’article 16. En effet, en se fondant uniquement sur ce texte aux termes duquel « le juge doit en toutes circonstances faire observer le principe de la contradiction », la haute juridiction annule la décision d’appel aux motifs qu’elle avait relevé un moyen d’office « sans recueillir préalablement les explications des parties ». Pour autant, dans sa rédaction issue du décret de codification, l’obligation pour le juge d’observer la contradiction avait été supprimée. Implicitement, la Cour suprême a donc utilisé le principe jurisprudentiel du contradictoire qui ne comprenait pas cette limite. La reconnaissance jurisprudentielle du principe a permis au juge de se dégager de la contrainte textuelle afin de redonner à cette norme une portée juridique qu’elle avait perdue. Plus radicale encore fut la position du Conseil d’Etat qui utilisa le principe jurisprudentiel pour éradiquer la disposition textuelle. Une attitude qui révèle que la juridiction administrative se préoccupe, elle aussi, de définir des principes généraux du droit processuel privé.
La juridiction administrative fut saisie en vue de l’annulation de plusieurs dispositions du nouveau Code de procédure civile. Le Conseil d’Etat, dans une décision Rassemblement des nouveaux avocats de France[510], sanctionna les dispositions litigieuses. Devant la juridiction administrative, le commissaire du gouvernement estimait que la combinaison des articles 12 et 16 du nouveau Code produisait une atteinte au principe du contradictoire, mais aussi à celui de l’égalité devant la justice en ce qu’il laissait au juge la simple faculté de relever les moyens de pur droit. Le Conseil reprend cette argumentation et considère que « la réforme du Code de procédure civile telle qu’elle résulte de l’institution du nouveau Code a, en vue d’améliorer le déroulement de l’instance, de simplifier et d’accélérer la procédure, confié au juge des pouvoirs étendus de contrôle et de direction de l’instruction ; que l’extension des pouvoirs de juge n’est pas illégale dès lors qu’elle s’exerce dans le respect des principes généraux du droit (…). Ces garanties résident notamment dans les principes de l’égalité des citoyens devant la justice et du caractère contradictoire de la procédure ». La possibilité laissée au juge de relever d’office des moyens de droit sans les soumettre à la discussion des parties fut donc déclarée illégale. Les articles 16 et 12 al 3 du nouveau Code furent purement et simplement annulés. L’article 16 expression textuelle du principe du contradictoire venait de céder, du fait de son imparfaite rédaction devant le principe jurisprudentiel du contradictoire. Par la suite, cette disposition reçut une nouvelle et dernière rédaction[511] conforme à la volonté conjointement affirmée par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat. désormais, selon cette disposition, « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ». L’intervention du Conseil d’Etat sur la question des principes procéduraux remet en cause les règles constitutionnelles sur la répartition du domaine du droit processuel entre loi et règlement.
« Les débats sont publics (…) / Le juge peut en outre décider que les débats auront lieu ou se poursuivront en chambre du conseil s’il doit résulter de leur publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée ou si toutes les parties le demandent ou s’il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice ».
En substance, la disposition légale reprenait la règle posée par le texte réglementaire initial. Lors de la création du nouveau Code par le décret du 5 décembre 1975🏛, une nouvelle règle fut introduite à l’article 435. Les termes du décret du 23 juillet 1972 furent à nouveau reproduits : « Le juge peut décider que les débats auront lieu ou se poursuivront en chambre du conseil s’il doit résulter de leur publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée ».
Une nouvelle tentative de faire annuler l’atteinte réglementaire au principe de publicité fut portée devant le Conseil d’Etat à l’occasion de l’arrêt Rassemblement des nouveaux avocats de France[513]. La haute assemblée apporta une réponse laconique à cette nouvelle attaque : « Considérant que cet article est la reproduction de l’article 11-1 al 3 ajouté à la loi du 5 juillet 1972 par la loi du 9 juillet 1975 et que sa légalité ne peut donc être discutée par la voie contentieuse… ». Le débat était définitivement clos. La disposition réglementaire tirait son autorité d’une source législative sans avoir changé de contenu entre 1972 et 1975. La régularité formelle fut donc respectée mais cette fois, c’est le principe jurisprudentiel de la publicité qui dut céder le pas devant son expression textuelle.
Ce qui est remarquable dans ce mouvement d’aller et retour entre les textes et la jurisprudence, c'est que les principes conduisent à modifier la répartition des compétences entre domaine législatif et réglementaire. Initialement, l’expression textuelle de la publicité de la justice relevait, en tant que règle procédurale, du règlement autonome. En consacrant la publicité au rang des principes généraux du droit jurisprudentiel, le Conseil d’Etat déplace le principe vers le champ législatif. En réalité, le principe est scindé en deux. Son affirmation peut trouver légitimement sa place dans un règlement à l’image de l’article 22 du nouveau Code de procédure civile[514] mais les atteintes qui lui sont portées relèvent de la compétence du législateur. Encore une fois, la dispersion des sources introduit une complexité souvent inutile lorsque les dispositions visant les principes sont annulées, puis reprises par d’autres textes et enfin réintroduites à l’identique dans le texte qui les avait accueillies initialement. L’absurdité de la situation révèle aussi le caractère arbitraire de la scission du droit processuel privé entre la loi et le règlement.
Les principes directeurs débordent donc largement le cadre du droit processuel privé entendu au sens strict du terme. Les sources de ces principes sont multiples. Toutes les strates de la hiérarchie organique sont concernées et les deux modes d’édiction du droit (textes et jurisprudence) se disputent la détermination de ces principes. Cette multiplication des sources possède un effet pervers. En effet, si la diversité des origines formelles constitue la principale source de richesse de la matière, elle constitue également un indéniable facteur d’ambiguïté.
Plus récemment, les juges du Palais Royal ont affirmé que l’inviolabilité du domicile constitue un principe constitutionnel qui relève, ainsi que la liberté individuelle, des libertés publiques constitutionnellement garanties[523]. Pour certains, le Conseil, en plaçant la liberté individuelle au même niveau que l’inviolabilité du domicile, avait adopté une conception stricte du principe[524]. La liberté individuelle serait synonyme de la sûreté et incluse, à coté de l’inviolabilité du domicile, dans le champ plus vaste des libertés publiques. Le dernier de ces principes entre-t-il dans le champ d’application de l’article 66 dont la protection est assurée par l’autorité judiciaire ? Les auteurs reconnaissent qu’en réalité, les deux principes « sont étroitement mêlés »[525].
Par ailleurs, le Conseil n’élucide pas le point de savoir s’il protège le principe du respect de la vie privée dont la protection de l’individu contre la divulgation de son domicile est l’un des éléments au sens de l’article 9 du Code civil🏛[526]. Dans une décision 97-389 DC, le Conseil indiquait que les méconnaissances graves du droit au respect de la vie privée était de nature, pour les étrangers et pour les nationaux, à porter gravement atteinte à leur liberté individuelle[527]. L’intimité de la vie privée serait donc incluse dans la liberté individuelle alors que l’inviolabilité du domicile qui relève assurément de la protection de la vie privée serait conçue comme un principe distinct de la liberté individuelle. On peut dire que la clarté ne domine pas la jurisprudence constitutionnelle. La confusion est encore entretenue à propos de la protection de la vie privée. La doctrine constitutionnaliste constate ainsi que la question de l’utilisation des fichiers informatiques avait fait naître en jurisprudence la notion de liberté personnelle, indépendante de la liberté individuelle et ne tombant plus sous le coup de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. La notion de vie privée se trouvait écartelée entre la liberté personnelle et la liberté individuelle. Cette jurisprudence ne fut pas conservée puisque quelques années plus tard, l’utilisation des fichiers informatisés retournait dans le champ de la liberté individuelle[528].
On constate la difficulté créée par l’existence textuelle d’un principe défini en des termes très généraux auxquels la jurisprudence tente de donner un sens parfois surprenant. La définition des contours du principe de liberté individuelle est une tâche délicate dans la mesure où les principes et règles techniques inclus dans cette liberté relèvent, en vertu de l’article 66 de la Constitution, de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Selon qu’il souhaite étendre ou diminuer le champ de cette compétence, le Conseil constitutionnel va augmenter ou réduire l’utilisation jurisprudentielle du principe textuel de la liberté individuelle. L’ambiguïté est donc générée par l’existence d’un principe textuel à contenu variable, dont l’interprétation par l’autorité juridictionnelle compétente relève souvent de l’exercice de style. Cette ambiguïté rejaillit en définitive sur les principes inclus dans la liberté individuelle.
C’est notamment le cas en ce qui concerne le principe du respect de la vie privée. Le Conseil constitutionnel ne consacre pas le respect de la vie privée comme un principe à valeur constitutionnelle, alors même que l’inviolabilité du domicile profite de ce statut. Dans le même temps, la protection du domicile relève, dans le Code civil, du respect de la vie privée. Le Code pénal sanctionne quant à lui, d’un côté les atteintes à la vie privée[529] et d’un autre côté la violation de domicile[530]. Pour autant, les deux incriminations font partie d’une même section du Code intitulée « de l’atteinte à la vie privée ». Le lien entre vie privée et inviolabilité du domicile est indiscutable. Pour autant, les différentes sources du droit processuel et substantiel ne parviennent pas à définir clairement s’il existe un principe et une règle technique, si l’inviolabilité du domicile est incluse dans la protection de la vie privée ou encore si les deux normes possèdent le même statut et sont simplement complémentaires. L’intuition conduirait à penser qu’il existe un principe de protection ou de respect de la vie privée qui contient notamment la règle de l’inviolabilité du domicile trop précise pour être élevée au rang des principes directeurs[531]. L’observation du droit positif dans son éparpillement empêche toute tentative de définition, de synthèse ou de classement. Le principe à contenu variable demeure, par essence et peut être fatalement, une norme floue dont l’étendue est indéterminée et indéterminable. La difficulté est accrue lorsque le même principe est interprété par plusieurs juridictions.
Plus généralement, un pénaliste souligne les problèmes soulevés par le contrôle de constitutionnalité des lois françaises au regard des principes juridiques[534]. Le contrôle a priori exclut que le Conseil puisse contrôler ou orienter l’interprétation des principes opérée par le juge ordinaire, autrement que par le biais de réserves d’interprétations. L’absence de contrôle a posteriori n’explique pas toutes les divergences. Par essence, le pouvoir d’interprétation des juridictions est souverain et le jeu des influences, s’il existe, ne permet pas de mettre fin aux divergences jurisprudentielles. « La liste des droits et libertés fondamentaux » affirme le Professeur DELMAS-MARTY « est extensive au fil de la jurisprudence »[535]. On remarquera d’ailleurs que si les juridictions françaises déterminent de nouveaux principes procéduraux, la CEDH est plus timide à cet égard et se contente en général des principes définis par la Convention dont elle est l’interprète. deux exemples permettront de mettre en lumière les divergences d’interprétation entre juges judiciaire et constitutionnel d’une part, et entre juges judiciaire et européen d’autre part.
Dans une décision du 12 janvier 1977[536], le Conseil constitutionnel visait l’article 66 de la Constitution et la compétence de l’autorité judiciaire en matière de liberté individuelle, pour déclarer inconstitutionnel un texte qui avait pour objet de donner aux officiers de police judiciaire le pouvoir de procéder à des visites et fouilles de véhicules à tout moment, pourvu que le véhicule se trouve sur la voie publique. Le Conseil estimait notamment que l’étendue des pouvoirs des OPJ et l’imprécision des règles relatives au contrôle de ces pouvoirs violaient les principes visés à l’article 66. Cette solution n’a pas eu la portée immédiate attendue. Malgré la censure de la disposition inconstitutionnelle, la Cour de cassation a dans un premier temps, confié aux OPJ des pouvoirs généraux et inconditionnés concernant les fouilles de véhicules[537]. La divergence ne fut atténuée que dans les années 80 avec l’arrêt Bodgan et Vuckovick[538]. Dans une décision de 1995[539], le recours nécessaire à l’autorité judiciaire pour les opérations mettant en cause la liberté individuelle fut réitéré par le juge constitutionnel. La Cour de cassation devait finir par se plier à cette exigence durant la même année dans plusieurs décisions rendues le même jour à propos de l’expulsion et de la rétention des étrangers en situation irrégulière[540]. La progressive adhésion de la Cour de cassation aux exigences du Conseil constitutionnel montre que la divergence d’interprétation n’apparaît pas comme une fatalité. Pour autant, il paraît difficile de négliger la diversité des buts poursuivis. Le Professeur MOLFESSIS, dans son travail de confrontation de la jurisprudence constitutionnelle au droit privé, explique que cette divergence trouve son fondement dans la recherche par le droit privé de solutions « orientées par des considérations pratiques »[541]. On admettra effectivement que la proximité du juge répressif avec la nécessité de poursuivre les auteurs de faits infractionnels l’écarte de considérations relatives à la protection des droits fondamentaux. Progressivement, le juge ordinaire a pourtant pris en compte la nécessité de cette protection. Les différences d’interprétation se sont alors estompées. On les retrouve pourtant lorsque le droit interne est confronté au droit de la CESDH.
L’assistance éducative a longtemps été considérée comme extérieure au droit processuel et relevant plus d’une question de fait que de droit. Aujourd’hui, le nouveau Code de procédure civile s’intéresse à cette question dans la mesure où elle comporte une véritable procédure susceptible de déboucher sur des mesures qui portent atteinte aux droits du mineur ou de sa famille[542]. La procédure peut être sollicitée par la famille, le mineur lui même, mais le juge peut aussi se saisir d’office. Le respect des principes procéduraux apparaît dès lors essentiel. A cet effet, l’article 1187 du nouveau Code de procédure civile prévoit que le dossier de la procédure « peut être consulté au secrétariat-greffe par le conseil du mineur et celui de ses père, mère, tuteur ou personne ou service à qui l’enfant a été confié jusqu’à la veille de l’audience ». L’interprétation littérale de ce texte fait interdiction aux parents ou plus généralement aux membres de la famille intéressés par la procédure de consulter le dossier s’ils ne sont pas assistés d’un avocat. Une telle interprétation méconnaît le principe du contradictoire en ce qu’il interdit à certaines personnes d’avoir accès au dossier et de préparer leur défense[543]. Dans le cadre d’une procédure relative à la protection de l’enfance diligentée en Ecosse, la CEDH a eu l’occasion de s’intéresser à cette question[544]. Elle estime que le droit à un procès équitable « implique par principe pour une partie la faculté de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l’autre ainsi que de les discuter » et que « la circonstance que des documents aussi essentiels que les rapports sociaux n’ont pas été communiqués est propre à affecter la capacité des parents participants d’influer sur l’issue de l’audience ». La Cour conclut à la violation de l’article 6§1 de la Convention. Quelque temps après l’arrêt de la CEDH, la Cour de cassation devait prendre la position contraire en refusant d’interpréter l’article 1187 conformément aux exigences du procès équitable[545]. Les hauts magistrats affirment ainsi qu’« il résulte de l’article 1187 nouv.C.pr.civ. que le dossier ne peut être consulté au secrétariat-greffe que par le conseil du mineur et celui de ses père, mère (…) ; que selon l’article 1186 du même Code, ces personnes peuvent demander au juge qu’il leur soit désigné un avocat d’office ; qu’en l’espèce, après avoir retenu à bon droit que ces textes n’étaient pas incompatibles avec les dispositions invoquées par la Convention européenne des droits de l’homme🏛, la Cour d’appel a constaté que M. B… n’alléguait pas avoir été mis dans l’impossibilité d’être assisté par un avocat ». La Cour de cassation, par l’interprétation stricte de l’article 1187, fait preuve d’une grande prudence et l’on aurait pu concevoir que la haute juridiction interprète plus largement la disposition du nouveau Code en ouvrant l’accès au dossier aux parties ou à leur conseil. Cette interprétation du principe du contradictoire fut développée par la CEDH en 1997[546]. Dans un dossier de procédure pénale devant le tribunal de police, la Cour souligne que « les exigences découlant du droit à une procédure contradictoire sont les mêmes au civil comme au pénal ». Elle reconnaît à la partie privée le droit « de se défendre seul, droit qui lui est expressément reconnu tant par la Convention que par le droit interne ». Elle conclut qu’« il était important pour le requérant d’avoir accès à son dossier et d’obtenir la communication des pièces le composant ». La lecture de ces arrêts montre clairement l’interprétation divergente du principe du contradictoire, mais aussi de celui de la liberté de la défense, corollaire immédiat des droits de la défense. Pour la Cour de cassation, la possibilité d’avoir accès à un avocat commis d’office supprime l’atteinte au contradictoire. Pour la juridiction strasbourgeoise, les droits de la défense consistent notamment à permettre au justiciable de choisir entre une défense personnelle et l’assistance d’un défenseur. C’est la conception même du principe directeur qui conduit à interpréter différemment l’article 1187 du nouveau Code. Ici encore, malgré l’influence grandissante du droit de la CESDH, les magistrats de la Cour de cassation continuent à revendiquer leur autonomie dans la signification qu’ils donnent aux principes directeurs[547].
L’hétérogénéité dans la mise en œuvre des principes directeurs se manifeste encore lorsqu’à partir d’une règle ou d’un ensemble de règles, les juridictions déduisent l’existence de plusieurs principes dont le contenu semble identique ou similaire, mais dont la dénomination est différente.
Toutes ces références au respect de la légalité sont posées comme autant d’éléments relevant de l’application du principe de loyauté. De telles réflexions résultent de confusions sur la signification exacte des principes énoncés. S’il est vrai que la preuve pénale est dominée par le principe de la liberté dans l’établissement et dans l’appréciation des preuves, il n’en est pas moins vrai que la recherche des éléments de fait se rattachant à cette question doit se faire conformément aux règles posées par le Code de procédure pénale ou certains textes spéciaux (droit fiscal, douanier…). Le respect de la légalité n’est pourtant pas l’expression du principe de légalité dans la recherche des preuves présent en droit civil contractuel notamment. Ce principe, encore appelé système des preuves légales prévoit d’une part, que seules sont recevables les preuves répertoriées par la loi (acte sous seing privé, authentique, témoignage…) et d’autre part, que ces différents modes probatoires sont hiérarchisés. Au contraire, en procédure pénale, tous les modes de preuves sont susceptibles d’être recevables et le juge n’est lié ni par une preuve particulière, ni par une hiérarchie entre les preuves. En définitive, deux systèmes s’affrontent : celui de la légalité, et celui de la liberté. Ce dernier système est effectivement soumis à d’autres règles : d’une part, le procédé dans la recherche de la preuve doit se conformer, le cas échéant, aux dispositions légales[552] ; d’autre part, la preuve ne doit pas être recherchée frauduleusement, c’est à dire en violation du principe jurisprudentiel de loyauté. Dans le cadre des provocations policières, seule est admise la provocation à la preuve, alors que la provocation à l’infraction est jugée déloyale[553]. La jurisprudence entretient, par le manque de clarté de ses attendus, une possible confusion entre loyauté et légalité dans la recherche des preuves. Dans une espèce, un officier de police avait enregistré sur magnétophone une conversation qu’il avait eue avec un avocat. L’enregistrement ne tombait pas sous le coup de la réglementation sur les écoutes téléphoniques mais l’avocat ne savait pas lors de la conversation qu’il était écouté. La Cour de cassation décida que « l’enregistrement effectué de manière clandestine par un policier agissant dans l’exercice de ses fonctions, des propos qui lui sont tenus, fût-ce spontanément par une personne suspecte, élude les règles de la procédure et compromet les droits de la défense ; (…) la validité d’un tel acte ne peut être admise (…). L’accord au demeurant hypothétique du magistrat instructeur n’était pas de nature à retirer au procédé son caractère illicite. La chambre d’accusation (…) aurait dû apprécier la validité de la transcription de l’enregistrement et des actes ou parties d’actes s’y référant au regard du principe ci-dessus énoncé »[554]. Cet arrêt est riche d’enseignements sur la pratique des enregistrements dans la recherche des preuves. Pour autant, il ne lève pas la confusion sur le principe applicable. Outre les droits de la défense qui sont expressément cités, la Cour de cassation condamne ici un procédé déloyal dans la recherche de la preuve. Elle ne vise pas le principe de loyauté mais conclut que ce procédé « élude les règles de la procédure » ou encore possède un « caractère illicite ». L’illicite ne correspond pas à l’illégal mais un auteur n’a pas hésité à affirmer en interprétant cette décision que « le principe de la légalité dans l’administration de la preuve s’oppose à l’exécution d’un acte de recherche des preuves que la loi n’a pas prévu. Ainsi en va-t-il de l’enregistrement clandestin d’une conversation tendant à démontrer le délit de corruption de fonctionnaire »[555]. Il y a une erreur dans l’interprétation. Non seulement la chambre criminelle ne dit pas que le procédé est illégal mais seulement contraire aux « règles de la procédure », mais de surcroît, elle ne rejette pas le procédé au motif qu’il n’est pas prévu par la loi mais en violation « du principe ci-dessus énoncé ». Le principe visé est celui des droits de la défense. La preuve recueillie de façon déloyale viole, selon la juridiction de cassation, les droits de la défense. Implicitement, le principe en jeu est bien celui de la loyauté et non celui de la légalité. L’imprécision de l’arrêt du 16 décembre 1997 contribue à entretenir la confusion doctrinale autour d’un principe dont le régime juridique reste à définir. Parfois, cette confusion provient de la dispersion d’un principe directeur entre plusieurs juridictions.
Un exemple peut être tiré du principe du contradictoire tel qu’il est prévu en droit interne dans les textes et dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La CEDH utilise parfois ce principe sous la dénomination « principe du contradictoire », mais il lui arrive plus fréquemment de faire appel au principe jurisprudentiel européen de l’égalité des armes. A plusieurs reprises, on a pu voir apparaître des éléments du contradictoire utilisés par la Cour européenne pour mettre en avant l’égalité des armes de telle sorte que la doctrine a pu affirmer que l’égalité des armes n’était « guère que le principe du contradictoire inhérent à toute procédure »[556]. La Cour utilise parfois les deux principes conjointement pour dégager une seule règle technique. Dans l’affaire Ruiz-Matéos c/ Espagne[557], elle considère que l’article 6§1 englobe le principe de l’égalité des armes et celui du contradictoire ; ce dernier principe impliquant pour une partie la faculté de prendre connaissance des observations ou pièces produites par l’autre et de les discuter. Dans un arrêt Borgers c/ Belgique[558], elle déduit des droits de la défense et de l’égalité des armes que l’accusé doit pouvoir répondre aux conclusions de l’avocat général près la Cour de cassation. Dans l’arrêt Voisine[559], elle se réfère à la nécessité d’un procès contradictoire pour exiger que l’avocat général près la Cour de cassation communique ses conclusions aux autres parties. En 1994, l’affaire Bendenoun c/ France[560] a été l’occasion pour la CEDH d’aborder la question de la communication des pièces de la procédure sous l’angle des droits de la défense et de l’égalité des armes. Elle a estimé qu’il n’y avait pas violation de ces principes dans la mesure où les pièces en question ne fondaient pas l’action de la partie adverse et que la demande de production de ces pièces n’était pas motivée. Dans une affaire Bonïsch c/ Autriche[561], les juges européens se fondent sur l’égalité des armes pour exiger l’équilibre entre l’audition d’un témoin à charge et des personnes entendues à la demande de la défense. En conséquence, l’audition d’un expert, que la Cour assimile à un témoin à charge, ouvre le droit pour l’accusé de demander l’audition de témoins en faveur de la défense. Plus clairement encore dans l’affaire Hentrich c/ France[562], la Cour estime que le plaignant « n’a pas bénéficié d’un débat contradictoire respectueux du principe de l’égalité des armes ».
La Cour de cassation quant à elle, fait une application différente de l’égalité des armes. Le peu d’arrêts qui visent ce principe met en jeu essentiellement une question d’égalité des droits. A ainsi été jugé, à deux reprises, contraire à l’égalité des armes, l’article 546 du Code de procédure pénale🏛 qui ouvrait la voie de l’appel au Procureur général alors que ce recours pouvait, dans certaines hypothèses, être interdit aux parties privées[565]. La juridiction française n’utilise le principe du contradictoire qu’en référence à l’article 6 de la CESDH. Par exemple, la chambre criminelle a pu juger qu’à l’issue du débat contradictoire, alors qu’il avait avec son conseil quitté le bureau du juge délégué, mais avant que ce dernier ne statue sur la détention, le Procureur de la République était resté quelques instants avec ce magistrat, de sorte qu’il y avait eu violation du principe du contradictoire et de ce fait méconnaissance de l’article 6 de la CESDH[566].
Cour de cassation et Cour européenne des droits de l’homme utilisent donc les principes du contradictoire et de l’égalité des armes de façon très différente. La CEDH ne procède pas à une confusion des deux normes car l’égalité des armes dépasse le cadre du contradictoire. Toutefois, elle utilise les deux principes, parfois en les juxtaposant, parfois en déduisant le premier du second, alors qu’elle aurait certainement pu se contenter d’une violation du contradictoire. Enfin, certains arrêts opèrent une distinction en admettant la violation du contradictoire à travers le procès équitable (l’accusé n’a pas été entendu par les juges) mais en rejetant la violation de l’égalité des armes (l’accusation n’a pas non plus été entendue par la juridiction). L’utilisation est confuse. Les principes sont parfois mêlés, parfois juxtaposés, parfois opposés. De son coté, la Cour de cassation conserve une utilisation exclusive du contradictoire alors qu’elle donne à l’égalité des armes un sens plus proche du principe de l’égalité devant la justice. La confusion est poussée jusqu’à son terme en ce qui concerne les principes des droits de la défense et du procès équitable.
En matière civile[576], ce sont des principes directeurs figurant dans les dispositions liminaires du Code, qui sont mis en avant comme constitutifs des droits de la défense. Si l’on y ajoute les différents principes qui sont évoqués par quelques spécialistes de la matière on obtient une vision globale du principe-cadre. Le contradictoire est le principal droit attribué aux parties. Il est lui-même composé de règles techniques : l’obligation de donner connaissance de l’introduction de l’instance, de permettre la comparution des parties, l’obligation d’instaurer une discussion. A côté, on trouve l’obligation d’observer un minimum de loyauté ; ou pour le juge d’adopter une attitude de neutralité (principe d’impartialité) ; de motiver ses jugements ou encore l’existence d’un système de voies de recours (droit au recours, double degré de juridiction). On ajoute encore le principe du caractère public de l’audience, de la motivation des décisions de justice. Certains joignent encore la relativité de la chose jugée, expression du principe de l’autorité de la chose jugée. Les droits de la défense représentent alors plus un conglomérat de principes réunis au sein d’une notion floue susceptible d’évoluer en permanence.
En droit constitutionnel, la doctrine suit scrupuleusement les indications données par le Conseil[577]. Ce dernier rattache le principe du contradictoire aux droits de la défense. Les parties doivent être informées de l’existence d’une procédure engagée contre elles ; elles doivent pouvoir comparaître, disposer du temps nécessaire à la préparation de leur défense, présenter leurs observations. De son coté, le juge a l’obligation de faire respecter la contradiction. Il soumet lui même sa décision à la discussion par l’obligation de motivation. Un autre principe est mis en avant : celui de la présomption d’innocence. De même, le Conseil consacre au niveau constitutionnel le droit au recours, ou encore l’obligation d’impartialité.
A ces différents éléments textuels du procès équitable, ou peut rajouter le principe de l’égalité des armes déduit de l’article 6 par la CEDH[581]. Ce principe comprend un savant mélange entre les principes du contradictoire et d’égalité devant la justice[582]. La CEDH interprète par ailleurs l’article 6 relativement aux principes qui y sont inscrits. Dans une affaire Ruiz Torija c/Espagne[583], la Cour rappelle que l’article 6§1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais que cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument. L’obligation de motivation est donc présente dans la notion de procès équitable[584]. De même, le principe de loyauté n’est pas ignoré de la jurisprudence relative à l’article 6. Dans un arrêt Teixiera de Castro c/ Portugal[585], la Cour a considéré que la condamnation pour trafic de drogue fondée sur les témoignages de policiers dont l’intervention avait provoqué l’infraction était contraire à l’article 6§1. Encore une fois, le principe de loyauté n’est pas consacré officiellement mais les manœuvres de provocations des policiers, qui caractérisent la recherche déloyale des preuves violent le principe du procès équitable.
De son coté, la Cour de cassation applique la Convention européenne en prenant en compte la nécessité de concilier les différents principes contenus dans la notion de procès équitable[586]. A titre d’illustration, les droits relatifs à l’exercice du contradictoire ne doivent pas faire échec au délai raisonnable de la procédure et la Cour de cassation a pu refuser une demande supplémentaire d’information qui aurait retardé la solution du litige alors même que cette information était inutile à la recherche de la vérité[587].
D’un autre côté, deux principes qui figurent dans l’article 6 semblent manquer aux droits de la défense. Il s’agit du principe d’indépendance du tribunal. Par son lien avec le principe d’impartialité, il paraît évident que l’indépendance figure parmi les droits de la défense. La question est plus compliquée en ce qui concerne le principe de célérité exprimé à travers le délai raisonnable de l’article 6§1. Encore une fois, du point de vue du contenu, il semble que le droit à la célérité du procès se rattache aisément à la notion de droits des parties ou de droit de la défense. Pour autant, la spécificité du principe de célérité réside non dans son contenu, mais dans sa sanction. L’atteinte au délai raisonnable ne peut justifier selon la Cour de cassation l’annulation d’une procédure[592]. Une telle solution permet-elle d’exclure le principe de célérité des droits de la défense ? Rien n’est moins certain. Il faut rappeler dans un premier temps que le délai raisonnable n’est que l’un des multiples aspects de la célérité procédurale. On retrouve dans ce principe de très nombreuses règles techniques dont la violation peut entraîner la nullité[593]. Dans un second temps, on doit souligner que les droits de la défense, principe protéiforme, n’est pas sanctionné uniquement par une nullité de procédure.
Si l’on veut que les principes jouent pleinement leur rôle au sein du système processuel, il est nécessaire que ces normes possèdent une dénomination univoque, un domaine d’application déterminable, une sanction sûre. La profusion des sources conduit en réalité au phénomène inverse. Cet état de fait résulte notamment d’une volonté de la part des organes créateurs de droit, de produire des normes juridiques susceptibles de garantir un certain nombre de valeurs et d’utilités sociales. En effet chaque principe poursuit une ou plusieurs finalités qui constituent les origines matérielles de ces normes.
Sans les principes, affirme-t-on, « le droit suivrait un développement ad hoc et non pas selon les buts attribués à la politique du droit »[596]. C’est une des attributions des principes juridiques que de donner une orientation, une direction, au système juridique[597]. Cette fonction réside dans la proximité des principes avec les fondements du droit processuel. Le Professeur GOYARD-FABRE enseigne que le fondement donne au principe son existence et sa raison d’être. il constitue « le principe des principes »[598]. Il est véritablement premier dans la construction de l’ordre normatif juridique. Sans être un point de départ logique, il constitue plutôt un point d’appui qui justifie l’ordonnancement et permet d’en comprendre l’orientation.
Les fondements ou fins du droit processuel sont traditionnellement présentés comme la résultante d’une contradiction entre intérêts individuels et collectifs. Cette idée est particulièrement présente en procédure pénale. On a ainsi parlé du « paradoxe pénal »[599] dans la mesure où la matière pénale protège et porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux. La poursuite des délinquants nécessite un certain nombre d’entraves à ces droits, mais s’avère nécessaire à la protection plus générale de la population « non-délinquante ». Le procès pénal est sanctionnateur et la procédure pénale emprunte à cet esprit des méthodes qui peuvent troubler l’individu dans sa liberté, son intimité, voire, son intégrité. Le conflit entre l’individu et la société peut aussi apparaître, lorsqu’au cours de la phase d’enquête et d’instruction, des informations sur ces poursuites sont divulguées en public. Le droit à l’information de ce dernier légitime la publicité alors que l’on adopterait le secret pour protéger l’honorabilité et la présomption d’innocence qui s’attache à l’individu poursuivi[600]. En procédure civile, le conflit entre intérêts individuels et collectifs est transféré sur les rapports entre le juge et les parties au procès. La « conception générale du procès civil » procède ainsi de la conciliation entre le respect d’une « tradition libérale française » et l’exercice par le juge de « pouvoirs inhérents à sa fonction »[601]. Il est ici fait allusion au principe de coopération, dont l’objet est de répartir charges et prérogatives entre les parties et le juge dans le procès civil.
Le droit processuel serait donc plongé dans un dilemme insoluble entre promotion des intérêts individuels et protection des intérêts collectifs. Si cette présentation n’est pas dénuée de toute véracité, elle n’est qu’un reflet partiel de la réalité. Le procès possède certes, une logique de confrontation, mais les principes qui le gouvernent peuvent être inspirés par des fins consensuelles. L’exemple du principe de célérité est tout à fait topique à cet égard. La rapidité de la procédure et du prononcé de la sentence juridictionnelle intéresse l’ensemble des acteurs du procès et même des personnes extérieures au procès. Une décision est d’autant mieux acceptée qu’elle résout un litige récent, encore présent dans l’esprit de ses protagonistes. Une sentence pénale est d’autant plus efficace qu’elle frappe le délinquant tôt après la commission de l’infraction. L’opinion réclame, dans les affaires qui possèdent un fort retentissement public, un châtiment ou une résolution rapide du conflit. L’institution judiciaire elle-même ne gagne rien à laisser traîner un dossier, au risque de voir disparaître les preuves et exacerber les différends[602]. Sans aborder les problèmes des procédures expéditives ou dilatoires, il convient de constater que le principe de célérité sert les intérêts de toutes les parties, du juge, parfois même certaines nécessités sociales[603]. Cette règle protège un ensemble de finalités tout à fait consensuelles.
On ne peut donc s’en tenir à une présentation dichotomique et conflictuelle des intérêts procéduraux. Le courant de la défense sociale s’est même évertué, en son temps, à montrer la convergence entre la défense de la société et le respect de la personne[604]. Plus simplement, on peut mettre en évidence l’existence d’une diversité des finalités qui inspirent le contenu et l’évolution des principes directeurs (section 1). Cette diversité semble d’ailleurs indiquer un bouleversement possible de la présentation classique de la hiérarchie des normes (section 2) du droit processuel.
La controverse entre philosophies utilitariste et moraliste n’est pas nouvelle. Pour le premier de ces courants, l’utile est le principe qui guide à la fois le domaine de la connaissance et celui de l’action. Il s’agit de parvenir à la maximisation du plaisir ; de conjuguer si possible, bonheur individuel et bonheur collectif[608]. Le second fonde sa théorie sur l’idée de justice, vertu suprême et délicate à définir. Le renouveau de cette doctrine tient, notamment, à l’œuvre de RAWLS, principalement à sa « théorie de la justice »[609]. Celui-ci rejette le postulat utilitariste en ce qu’il n’est pas parvenu à aborder une « conception morale »[610] de la philosophie et de la société. Pour cet auteur, la société démocratique se doit de respecter « libertés et droits de base des citoyens »[611]. C’est l’exigence de ce respect qu’exprime le sens du mot « justice ».
Au regard des principes directeurs, il est impossible de se détacher de cette double conception des finalités du droit. Les principes qui régissent le procès sont indiscutablement placés entre le juste et l’utile. Le principe de la publicité de la justice est à ce titre significatif. En ouvrant l’accès des prétoires aux citoyens, il rend l’institution transparente. Mieux comprise, la décision qui en résulte apparaît plus juste. Doit-on pour autant négliger l’utilité d’un tel procédé ? En rendant une décision publique, elle n’en a que plus de portée et d’autorité pour celui qui s’en prévaut. L’innocence publiquement constatée par une Cour d’assises détient une légitimité plus considérable qu’un non lieu décidé en secret par un juge d’instruction.
Pour être complète, l’étude doit donc porter sur les dimensions axiologique (§ 1) et utilitariste (§ 2) des origines des principes directeurs.
Le premier sens qui vient à l’esprit est celui de la valeur quantitative d’une chose. On peut alors parler de la valeur vénale, comme la « substance économique d’un bien »[613]. Cette conception quantitative et économique du terme n’est pas d’un grand secours. Les principes peuvent porter sur des éléments concrets (une preuve), abstraits (une institution) ou sur des personnes (un juge, un individu), mais relèvent d’un domaine peu propice à toute mesure de type vénal ou économique. Selon la philosophie utilitariste, la notion même d’utilité est présentée comme la valeur suprême[614]. Il faut pourtant distinguer valeur et utilité. En effet, la notion de valeur détient une connotation morale ou éthique alors que l’utilitarisme néglige cet aspect. On peut encore distinguer deux ordres de valeurs : celui de la morale et celui de la connaissance[615]. En procédure, on pourrait ainsi ranger l’équité ou la neutralité parmi les valeurs de la morale et la vérité parmi celles de la connaissance. Néanmoins, il faut ranger la connaissance parmi les utilités, celle-ci ne possédant aucune connotation éthique. Une vision purement subjective du concept de valeur indique qu’il ne s’agit « ni de but découlant d’une appréhension intellectuelle, ni de fins proposées par la volonté »[616]. Les valeurs résultent d’une représentation de l’esprit de type émotionnel et sentimental. La présentation la plus adéquate de la notion de valeur en droit paraît être celle de « l’ordre vertueux »[617]. Les valeurs sont ainsi présentées comme des règles de conduite ou un art de vivre qui fait appel à un idéal de perfection.
Dans cette conception, la valeur permet de fonder une conduite, justifier un comportement. Elle peut se présenter comme la qualité d’une chose, d’une personne ou d’une action, considérée comme digne d’estime[618]. Les valeurs peuvent abstraitement désigner des choses utiles ou désirables[619] ou encore « ce qui est désirable collectivement »[620]. La valeur est une représentation sociale. En cela, elle ne peut se distinguer du fait. Elle constitue en elle-même un fait social susceptible d’être observé et qualifié[621]. Les valeurs sont donc orientées « dans le sens du perfectionnement de l’être social »[622] ou des institutions qui régissent la société. Sous l’angle juridique, la valeur fonde la règle de droit car cette règle vise bien le perfectionnement des êtres et des institutions. Ainsi, certains affirment que la loyauté est « une qualité humaine »[623] ou encore que le juge, conçu comme un tiers désintéressé et impartial, forme un « idéal type »[624] qui le rapproche de cet « ordre vertueux » évoqué plus haut. Pourtant la valeur n’est pas tout à fait normative Elle invite mais ne contraint pas. Elle est l’objet d’une préférence et inspire le contenu de l’ordre normatif[625]. Conçue comme un idéal, elle suppose une adhésion de la communauté au sein de laquelle elle exerce son influence.
Les valeurs ne sont ni universelles ni immuables. Elles se trouvent à la croisée des « convictions durables d’une communauté historique » et des « réévaluations incessantes que réclament les changements d’époque et de circonstance »[626]. C’est en effet l’un des dangers de cette philosophie que de véhiculer une conscience occidentale héritée de l’idéal platonicien, de la philosophie chrétienne moyenâgeuse, de la philosophie du mérite. Elle tend à exporter cet idéal « porteur de buts, de normes et d’action »[627], somme toute très relatif. La contingence des valeurs est aujourd’hui une opinion plus largement répandue. D’un courant de pensée à l’autre, les valeurs sont conçues comme historiquement variables. Elles passent de la philosophie aux sciences humaines et empruntent à celles-ci un esprit de relativisme au détriment de leur connotation métaphysique première[628]. La temporalité constitue désormais une nouvelle référence de l’axiologie[629]. L’axiologie juridique subit aussi ce mouvement à travers un recroquevillement de valeurs communes dans un espace donné. C’est la consécration d’un « patrimoine commun européen » fondé sur les valeurs communes des droits de l’homme, de la démocratie et de la prééminence du droit[630]. Ces valeurs sont pour parties énoncées dans le traité d’Amsterdam signé le 2 octobre 1997 par les membres de l’Union Européenne. Dans son article 2 al 4, cet accord vise expressément l’objectif de développer et maintenir « un espace de liberté, de sécurité et de justice… ».
Plus qu’une valeur, la justice se décompose, se démembre en valeurs diverses. « Toute valeur la suppose »[639] affirme-t-on. C’est peut être pour cette raison que dès l’apparition de la philosophie, on a tenté de rapprocher ce concept d’autres moins résistants à la définition. Aristote considère que le juste est « ce qui respecte l’égalité »[640] : l’égalité des hommes entre eux, non qu’elle résulte de la loi, mais avant tout en ce qu’elle est présupposée et doit être protégée ; l’égalité des droits donc comme le reflet de ce que l’on voudrait être un constat : l’égalité en fait. La justice est assimilée à la liberté notamment par KANT pour qui « est juste, toute action qui permet ou dont la maxime permet à la libre volonté de tout un chacun de coexister avec la liberté de tout autre »[641]. La justice est aussi comparée à l’équité, une notion qui se rapproche de la représentation métaphorique de la balance : à la recherche de l’équilibre. C’est RAWLS qui replace l’équité au centre du débat sur la justice. Sans perdre de vue liberté et égalité, comme valeurs fondatrices, la théorie de la justice de RAWLS est dominée par l’idée d’équité[642]. Elle constitue le principe qui permet d’arbitrer entre les revendications concurrentes et légitimes ; de répartir les biens et de prévenir les conflits[643]. L’idée d’équilibre est conservée en théorie juridique. Si la justice, au sens philosophique du terme est une vertu, certains juristes estiment qu’elle est en droit, un critère d’appréciation dont l’objet est de permettre « le maintien d’un certain équilibre entre les individus et groupes d’individus dans la vie sociale »[644].
Affirmer que la justice se décompose à travers certaines valeurs, ne permet pas encore d’identifier clairement sa présence et son rôle dans le procès. Sa place est double. Il est indéniable de constater que la justice est ou doit être à l’issue du procès. La solution du litige, celle qui porte sur le droit substantiel, doit être juste, conforme aux valeurs sociales. MOTULSKY rappelait que « la justice, en tant que valeur, n’est jamais absente des prétoires. C’est la vocation du juge d’en assurer la victoire, dans le respect des principes directeurs de l’instance »[645]. L’initiateur du nouveau Code de procédure civile fait habilement allusion à la dualité de signification car le « respect des principes directeurs » qu’il évoque est une référence à ce que l’on peut appeler la justice procédurale. Si la restauration de la justice ne peut se passer du procès[646], « la justice, (…) dépend de la qualité et de la rectitude des procédures »[647]. Un autre auteur souligne que l’autorité judiciaire doit inspirer confiance et respect. Il serait en effet surprenant qu’elle emploie des moyens déloyaux pour poursuivre les auteurs d’infractions. la ruse, l’artifice et la provocation sont à bannir des méthodes judiciaires pour que l’institution conserve sa dignité[648] ; que ses décisions ne puissent être qualifiées d’injustes[649]. On ne fait pas ici allusion à la distinction fondamentale entre justice sociale (celle qui prévoit la répartition égale ou équitable des biens entre les individus) et justice procédurale (qui s’analyse en une « procédure correcte ou équitable qui détermine si un résultat est également correct ou équitable quel qu’en soit le contenu pourvu que la procédure ait été correctement appliquée »[650]). Il semble bien qu’au-delà de cette distinction philosophique, l’adoption d’une solution respectueuse des valeurs de justice par une autorité juridictionnelle doit nécessairement se dérouler dans le cadre de ces mêmes valeurs ou de valeurs spécifiques à la procédure de jugement. La justice des procédures est donc bien celle des jugements.
Le Professeur FRISON-ROCHE montre ainsi que l’organisation du procès autour d’un trio formé des parties et du juge semble être la formule la plus propice pour s’approcher de la solution juste[651]. Dans ce système, le juge est un tiers impartial et désintéressé. Il est garant tant de la solution que de la procédure. C’est lui qui « doit conduire le procès et contraindre les parties de façon à ce que s’organise un débat loyal et transparent »[652]. Cependant, il ne peut lui même amener les éléments du débat susceptibles d’influencer l’issue du procès. Les parties entrent alors en jeu dans un affrontement contradictoire nécessaire pour faire jaillir la version ou plutôt « la perception la plus exacte possible de la situation ». Les parties ont besoin du tiers impartial tant pour trancher que pour organiser le débat. Pour autant, le débat contradictoire qui s’impose aux parties ou au juge se présente comme une solution pour se protéger tant de la mauvaise foi de l’adversaire que de l’arbitraire du juge[653]. Un auteur reprend cette idée en affirmant que « la procédure de discussion est la méthode qui semble être le seul moyen d’atteindre le raisonnablement juste »[654]. Le sacro-saint principe du contradictoire est donc le vecteur essentiel de la justice des procédures. Cette dernière expression est la plus évocatrice pour les processualistes. On fait appel à l’accès à la justice, à sa gratuité, à l’impartialité du tribunal, à l’assistance d’un avocat, au délai raisonnable, aux droits de la défense, à la publicité et à la motivation des décisions, au droit au recours[655]. Autant de principes qui semblent promouvoir l’émergence de la juste décision. Autant de principes qui sont, en fait, liés aux valeurs de la justice, celle des procédures.
a) Les principes-valeur ou l’incarnation immédiate de la valeur dans la norme
L’indépendance se définit comme « la qualité d’une personne ou d’une institution qui ne reçoit d’ordres ou même de suggestions, d’aucune sorte, qui est donc seule à prendre les décisions qu’elle prend, et qui, en outre, n’a pas à rendre de compte puisque rendre compte évoque la critique »[657]. Cette définition est intéressante en ce qu’elle montre le lien étroit entre le principe et la valeur qui l’inspire. L’indépendance est bien, en tant que valeur, la qualité d’une personne ou d’un ensemble de personnes qui peuvent juger sans tenir compte des influences extérieures sur leur décision. Le principe d’indépendance doit protéger cette qualité et les conséquences juridiques sont les prolongements de la valeur. Si le juge possède son indépendance d’un point de vue procédural, il ne doit pas avoir à rendre de comptes. On a dépassé la notion de valeur pour entrer dans l’ordre normatif juridique.
L’impartialité « est la qualité de celui qui statue selon sa conscience en tenant la balance égale entre accusation et défense, en n’avantageant aucune des deux au détriment de l’autre ou, s’agissant de la défense, en ne faisant pas une meilleure part à l’un des prévenus ou accusé au préjudice des autres »[658]. Cette définition précise de l’impartialité ne fait pas directement la part de la valeur et du principe[659]. La valeur constitue ici l’idéal à atteindre ; c’est à dire, la possibilité pour le juge, de faire abstraction de toutes considérations personnelles pour organiser le procès ou rendre son verdict. Le principe, en tant que norme, tente d’imposer cette qualité en organisant les conditions optimales pour que le juge puisse atteindre cet état. Le principe est à la fois contraignant en ce qu’il ordonne au juge d’être impartial et incitatif en ce qu’il met en œuvre les conditions de cette impartialité au besoin à l’aide d’autres principes (indépendance, séparation des fonctions, collégialité[660]) indirectement liés à la valeur[661].
On retrouve ce mécanisme dans la relation qu’entretiennent valeur et principe de loyauté. On nous dit d’un homme loyal qu’il se conforme aux règles de la probité et de l’honneur. Il est celui qui n’utilise pas de méthodes malicieuses ou malhonnêtes. Autant de synonymes qui n’en sont pas moins des facteurs d’ambiguïté pour une vertu aussi floue que celle de la loyauté. Le principe de loyauté en procédure se présente essentiellement sous la forme d’interdictions. Il proscrit toute recherche de preuves qui porteraient atteinte aux droits individuels ou à la dignité de la justice[662], à son honneur, en quelque sorte. C’est à nouveau un contenu normatif qui apparaît, plutôt qu’une qualité, mais cette fois sous la forme prohibitive et non purement initiatrice. Le résultat est identique : le passage de l’ordre vertueux et qualitatif, à l’ordre juridique et prescriptif.
Le concept d’égalité n’a pas non plus de connotation morale immédiate ou évidente. Pourtant, le Professeur ATIAS évoque à travers l’égalité, la « naissance d’une valeur »[668]. On doit en déduire que l’égalité ne fut pas, de tout temps, intégrée dans l’ordre axiologique. L’égalité n’est pas une qualité ou une vertu individuelle. On peut qualifier un individu de vertueux par ce qu’il est digne, loyal, ou impartial, mais il ne peut être égal en tant que tel. L’égalité n’est pas une notion intrinsèque à chaque individu. Elle nécessite la comparaison entre deux ou plusieurs d’entre eux. Sous cet angle, il ne s’agit pas d’une valeur. Par contre, est vertueux celui qui considère également ceux qui l’entourent, ses sujets ou ses justiciables. Sans pouvoir établir matériellement l’égalité, le droit est apte à la protéger. C’est encore dans l’objectif de son respect, de sa promotion ou de sa protection que l’égalité trouve sa place dans la catégorie des valeurs. En tant que principe directeur du procès, elle ordonne au juge de respecter l’égalité des armes entre les parties, l’égal accès de tous à la justice, le droit au recours, qui permettent à tous d’être jugés, en définitive, par une juridiction unique.
Les principes-valeur peuvent s’exprimer directement à travers des règles techniques[669], mais ils existent aussi grâce à des principes dérivés (liberté d’aller et de venir) ou à des principes techniques (séparation des fonctions, application du principe d’impartialité). Ce phénomène semble résulter de l’assimilation du principe et de la valeur. Cette dernière n’étant intrinsèquement, ni précise, ni normative, elle ne possède qu’une signification approximative. On soulignera indéfiniment la difficulté de déterminer précisément le contenu de la loyauté, de l’impartialité, de l’égalité… Le principe qui emprunte sa dénomination à une valeur contient, dans la plupart des cas, un ensemble d’autres principes plus précis ou plus techniques.
Cette difficulté résultant de la confusion des concepts se retrouve sous une autre forme concernant le principe de dignité. En droit processuel, il n’a été expressément reconnu en tant que principe que depuis la loi du 15 juin 2000🏛[670]. Inscrit dans le Code civil à l’article 16, ses manifestations procédurales résident essentiellement dans l’interdiction du recours à la torture, aux traitements inhumains ou dégradants[671]. La notion de dignité évoque l’idée d’un respect dû à la personne. On retrouve la même idée dans l’article 16 précité puisqu’il dispose que « la loi assure la primauté de la personne ». Pour autant le principe de dignité ne disparaît pas derrière celui de la primauté de la personne. Lors de l’examen de la loi du 29 juillet 1994🏛 sur le respect du corps humain ayant institué l’article 16, le Conseil constitutionnel affirmait que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle »[672]. C’est en application de ce même principe que la CEDH condamne certaines techniques d’interrogatoire conduites par la police ou l’armée[673]. La chambre criminelle reconnaît que l’interrogation d’une personne placée en garde à vue, nue, au milieu d’une pièce, constitue un traitement humiliant et une atteinte à la dignité humaine[674]. Le principe de dignité trouve donc une place au sein de la procédure. Cependant, primauté de l’individu, protection de la personne humaine ou respect de la dignité humaine, sont des valeurs très proches, sinon identiques. Dès lors, le principe qui incarne ces valeurs prendra indifféremment le nom de l’une ou de l’autre. Cette réalité ne va pas sans créer un certain flou renforcé par la diversité des sources écrites et prétoriennes qui utilisent ces concepts. Il s’agit, là encore, de l’une des nombreuses manifestations de l’ambiguïté des principes directeurs. Elle se rencontre aussi à travers le lien entre valeurs et principes-technique.
b) Les principes-technique ou la pénétration médiate des valeurs dans la norme
La sérénité de la justice tant dans son déroulement que dans ses conséquences est prise en compte par plusieurs principes. En premier lieu, le secret de la mise en état qui permet, notamment en matière pénale, de protéger les magistrats contre les inévitables pressions extérieures. De nombreuses affaires pénales ont montré, au cours des dernières décennies, à quel point l’intrusion de la presse et du public dans les enquêtes peut avoir des retentissements sur le déroulement de la procédure, entraînant parfois les mutations ou dessaisissements des magistrats instructeurs[675]. Le secret des délibérés, est lui aussi facteur de sérénité. Pour le Professeur PERROT, le retrait des juges dans le secret lors des délibérations s’impose comme « un temps de retraite et de méditation »[676]. La mise en scène théâtrale publique et contradictoire qui le précède a permis de mettre au jour les différents aspects du conflit. Dès lors, les juges peuvent se retirer sans désormais être troublés et prendre de la distance avec ce qu’ils ont entendu. Même si de nos jours, la pratique de l’audience et du délibéré a perdu beaucoup de sa force symbolique en matière civile ou correctionnelle[677], elle reste très présente pour le jugement des crimes devant les Cours d’assises. Vu sous un autre angle, le secret garantit la sérénité dans la mesure où les magistrats se sont engagés à ne pas révéler le contenu des délibérés qui ont eu lieu[678]. Durant la révolution, le système des juges élus avait suspendu provisoirement le principe. Dans cette perspective, les magistrats avaient à rendre compte devant leurs électeurs. Rapidement rétabli[679], on a dû se rendre à l’évidence que le secret des délibérés protège les juges des influences extérieures, qu’elles viennent des parties, du public, ou de leur hiérarchie. C’est bien la sérénité qui inspire le secret en procédure. La sérénité est encore à l’origine de l’autorité de la chose jugée, mais cette fois, au profit des parties. Lorsque le procès est définitivement terminé, l’ensemble des voies de recours épuisé, la contestation ne doit plus pouvoir renaître à l’infini. Issu d’une rupture, d’un déséquilibre, le jugement ou l’arrêt qui a tranché sur le litige vise à rétablir l’ordre des choses. Les parties doivent, sur cet objet, renoncer à toute renaissance du différend. celles qui bénéficient de la décision de justice doivent pouvoir considérer le bénéfice acquis sans crainte de perdre à nouveau ce qu’elles ont obtenu[680]. Face à leur ancien adversaire, elles doivent pouvoir rester sereines et bénéficier d’une certaine sécurité juridique. Ce dernier concept peut d’ailleurs, en tant que valeur procédurale, être rapproché de la sérénité. La sécurité entraîne la sérénité de celui qui peut s’en prévaloir. Les deux notions agissent conjointement pour déterminer l’existence de l’autorité de la chose jugée comme principe du procès.
La loyauté est présente durant tout le procès. C’est l’une des valeurs les plus essentielles pour permettre un déroulement de la procédure exempt de vices. Elle est présente dans la recherche des preuves à travers le principe de loyauté, mais fonde aussi l’esprit de certains principes-technique. Elle est très proche d’une autre valeur : la transparence. Ensemble ces deux valeurs nourrissent la substance du principe de publicité de la justice[681] (des débats et du prononcé de la sentence). La tenue des débats en public évince, dans la mesure du possible, toute tentation de la part des parties de se comporter de façon déloyale vis-à-vis de l’adversaire. De tels agissements seraient susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation des parties ou de leur conseil, à la crédibilité de leurs prétentions. Les magistrats assument la responsabilité de leur décision par le prononcé en public. Une telle pratique agit, dans une certaine mesure, sur leur attitude au moment du délibéré. Ceux-ci doivent agir loyalement vis-à-vis des justiciables. C’est encore la loyauté dans la conduite des débats qui provoque le principe du contradictoire. Selon un avocat, le contradictoire se développe « sur un terrain purement éthique, l’obligation de loyauté »[682]. Elle ne signifie pas que chaque partie doive tout dire, mais il s’agit plutôt de communiquer ce que l’on va dire, en avance, pour que la partie adverse puisse préparer sa réponse. La construction de sa défense ne doit pas s’effectuer dans l’opacité. chaque partie doit connaître la stratégie et les arguments de l’autre. L’effet de surprise doit être banni des prétoires. C’est bien la loyauté qui permet au juge de rejeter des conclusions tardives, bien que précédant l’ordonnance de clôture, au nom du principe du contradictoire[683]. Ce principe est donc la garantie d’une justice « saine et loyale »[684].
La protection de l’intimité intervient à de nombreuses reprises dans le procès. La recherche de la vérité rencontre avec l’intimité un obstacle important et difficile à surmonter. Le principe du droit à la vie privée, en témoigne. Par une réglementation souvent contraignante des perquisitions, constats d’huissiers dans le domicile personnel, contrôles d’identité, il vise à limiter toute incursion dans l’intimité de l’identité ou du foyer. Cette valeur se situe au cœur de l’opposition inévitable des intérêts inhérents à la conduite du procès civil ou pénal. Que le demandeur soit une personne privée ou publique, lorsque l’institution judiciaire prend part à un conflit, elle met en œuvre des mécanismes attentatoires à l’intimité. L’équilibre peut être rétabli si le droit à la vie privée est respecté dans une certaine mesure. La même valeur inspire le secret de la mise en état. Lorsque l’affaire est en cours, que le litige n’a pas été tranché, il arrive que l’institution judiciaire agisse concurremment ou sous les feux de la presse et du public. Le sort des personnes mises en cause subit de ce fait, de nombreux préjudices relatifs à leur intimité. Le secret, s’il est observé, vise à protéger les individus impliqués dans le procès.
L’impartialité peut être source de nombreux principes[685]. Parmi ceux-là, on trouve notamment celui de la collégialité. Même s’il subit, à l’heure actuelle, de si nombreuses atteintes que sa qualité de principe de droit positif est devenue douteuse[686], l’idée persistante dans l’esprit des juristes et des justiciables consiste à penser que la qualité de la justice et l’impartialité du tribunal dépendent du nombre de juges qui siègent[687]. Cette affirmation est corroborée par la constatation suivante : plus l’affaire est importante (selon le critère pécuniaire ou de la gravité des faits) ou encore, plus la place de la juridiction dans la hiérarchie est haute, plus les juges sont nombreux à statuer. Le nombre est gage d’impartialité et de compétence. Il sied aux affaires importantes ou jugées en dernier ressort. L’existence d’influences internes ou externes chez les magistrats est une réalité difficile à nier. La pluralité des juges, à condition qu’elle soit effective, permet d’atténuer l’effet de ces influences et favorise la rencontre des subjectivités de telle sorte que le résultat a plus de chances d’être équilibré. La collégialité est, d’un point de vue théorique, facteur d’impartialité. Cette valeur inspire encore le principe du double degré de juridiction qui « tend à faire réformer par la Cour d’appel un jugement rendu par une juridiction de premier degré »[688]. La règle peut être intégrée au sein de la notion de tribunal indépendant et impartial[689]. Le double examen de l’affaire est une « garantie de bonne justice ». La Cour d’appel est considérée comme « un degré supérieur de confiance » qui protège le justiciable contre l’éventuelle partialité du ou des premiers juges[690].
l’équité - ce concept si proche de la valeur justice qu’il a pu être confondu avec elle - est actuellement avec l’intrusion du droit de la CESDH dans le droit processuel interne, l’idée phare qui inspire indirectement tout le procès. Le principe le plus marqué par l’équité est évidemment celui du droit au procès équitable. aussi général qu’indéfini, il contient notamment les principes d’indépendance, d’impartialité, de célérité, de publicité[691], certains droits de la défense et l’égalité des armes[692]. La Cour de cassation a même trouvé dans l’équité, le fondement du principe de l’autorité de la chose jugée. Dans un arrêt de 1986, elle fondait cette règle « sur des considérations d’équité élémentaire » de telle sorte qu’un condamné ne devait pas avoir à subir deux fois une sanction pénale pour un fait unique[693]. La doctrine range, plus généralement, parmi les principes dérivés de l’équité ou de la notion de procès équitable, tous ceux relatifs au « droit à la preuve (…), l’existence de voies de recours »[694]. C’est donc, au sein d’un vaste champ d’applications juridiques, que se développe la valeur d’équité.
La clémence, aussi surprenant que cela puisse paraître, possède une certaine influence sur le cours des procédures. On fera remarquer qu’il paraît incompatible de solliciter l’impartialité ou la neutralité des juges et parallèlement de mettre en avant l’idée de clémence. On peut se demander quels seront les sujets qui en bénéficieront et surtout si cela ne risque pas de contredire ou évincer l’égalité procédurale[695]. Une telle question se pose particulièrement avec l’un des aspects les plus évidents de cette valeur en procédure pénale. L’une des applications spécifiques des droits de la défense est la règle selon laquelle le prévenu et son conseil doivent toujours avoir la parole en dernier[696]. La chambre criminelle décide qu’elle concerne toutes les procédures intéressant la défense et se terminant par un jugement ou un arrêt[697]. L’idée qui sous-tend cette règle indique que la personne poursuivie devrait bénéficier du dernier mot, de la dernière possibilité d’influencer ses juges. En attribuant ce droit, quelle que soit la position du condamné potentiel (accusé, prévenu, intimé ou appelant), il s’agit d’une faveur qui est accordée à une personne, en vue de peser sur la décision concernant la culpabilité et la peine. Celle-ci trouvera ainsi une dernière chance d’amener la juridiction à faire preuve de clémence envers sa personne. Un autre aspect de cette clémence procédurale est l’interdiction de la reformatio in pejus, l’une des modalités d’application du principe du double degré de juridiction. Cette règle est expressément prévue dans le Code de procédure pénale, mais ne s’applique pas uniquement au prévenu. En réalité, la clémence, s’adresse ici, plus généralement à la personne qui, seule, fait appel d’un jugement. L’article 515 al 2 du Code de procédure pénale dispose ainsi que « la Cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, du civilement responsable, de la partie civile, ou de l’assureur de l’une de ces personnes, aggraver le sort de l’appelant »[698]. Cette interdiction a été étendue à la matière civile par la Cour de cassation qui affirme de son coté que « les juges d’appel ne peuvent aggraver le sort de l’appelant sur son unique appel et en l’absence d’appel incident de l’intimé »[699]. La règle, qui peut être perçue comme une simple conséquence de l’effet dévolutif de l’appel, n’en possède pas moins une proximité assez nette avec l’idée de clémence[700]. Certes, elle est susceptible d’être anéantie par un appel incident, mais il n’en reste pas moins que la règle existe et qu’elle possède des conséquences tout à fait concrètes. Si l’une des parties a seule fait appel d’une décision de première instance, la Cour ne pourra se montrer plus sévère que les premiers juges à son égard. Tout au plus, pourra-t-elle confirmer la sentence initiale[701].
La proximité de la justice, est une valeur qui tend à se développer. On la retrouve dans le développement de deux principes récents. Celui de l’unicité du juge (ou principe du juge unique) et celui de la conciliation. Comme le soulignait un éminent processualiste il y a plus de vingt ans, « le justiciable aspire à une justice plus personnalisée, il souhaite connaître son juge pour lui exposer ses misères et ses soucis »[702]. Il est vrai que la juridiction collégiale ne joue pas forcément le rôle d’un interlocuteur privilégié apte au dialogue. On peut discuter avec un magistrat, mais avec trois, il s’agit plutôt d’exposer. La pluralité des juges crée une distance, pas toujours souhaitable, avec les justiciables. Dans les domaines où le dialogue est essentiel à l’oeuvre de justice, s’est développé le principe de l’unicité. Juge aux affaires familiales, juge des référés, juge au tribunal d’instance, juge d’instruction, juge des libertés et de la détention, juge des enfants, juge d’application des peines exercent tous leurs fonctions dans la solitude[703]. Cette position répond, entre autre, à la nécessaire proximité que ces magistrats doivent entretenir avec les justiciables. Sort des enfants pour le juge des enfants ou le juge aux affaires familiales ; sort des familles pour ce dernier ; exécution d’une peine dont les modalités sont adaptées au parcours de chaque condamné pour le juge d’application des peines ; sont autant de tâches qui sollicitent un rapprochement de la juridiction et de ses sujets[704]. La valeur de proximité est l’une des sources du développement des juges uniques dans les dernières décennies[705]. On la retrouve aussi dans le principe de conciliation[706]. Cette mission introduite, en tant que principe directeur, dans le nouveau Code de procédure civile était initialement considérée, plus comme un souhait que comme une réalité[707]. Les articles 127 à 131 du nouveau Code de procédure civile prévoient néanmoins que le juge peut prendre l’initiative, au moment jugé favorable, de consigner dans un procès verbal les points sur lesquels les parties sont arrivées à une entente, acte signé par le juge et les parties et valant titre exécutoire[708]. Cette résolution conventionnelle du litige tient autant du contrat que du procès[709]. Le consensualisme dépasse le simple cadre des relations entre les parties pour impliquer le juge. Celui-ci peut prendre l’initiative de la conciliation, il est partie prenante dans la conduite de la négociation et appose son cachet sur le résultat de cette discussion. Loin de sa fonction de trancher les litiges en tiers distant, le juge se rapproche au contraire des justiciables pour les conduire sur les voies de la raison transactionnelle. Le principe de conciliation est l’une des applications de la valeur proximité, en droit processuel[710]. Cette valeur peut se trouver opposée à d’autres dans le cadre d’un procès. Il devient alors nécessaire de gérer un conflit de valeurs.
c) Les conflits de valeurs du droit processuel et les principes directeurs du procès judiciaire
De manière plus générale, on peut dégager certains facteurs qui favorisent cette opposition. Le premier relève de l’inévitable divergence des intérêts privés et publics. Dès qu’un différend est porté devant l’institution judiciaire, c’est l’Etat qui s’empare de la contestation, même si elle n’oppose que des intérêts purement privés. La tradition libérale semble commander une croissance progressive des prérogatives individuelles. Pourtant, il en est pour défendre la thèse selon laquelle l’Etat posséderait, à l’instar des individus, des droits fondamentaux[714]. L’idée n’est pas récente. Dès le début du siècle, certains auteurs comparaient déjà l’Etat à un individu[715]. Il est vrai qu’il s’agissait d’une doctrine internationaliste et l’on peut imaginer que chaque Etat possède, vis-à-vis des autres, un droit à l’existence, à l’égalité, au respect de sa souveraineté. Qu’en est-il alors, des droits de l’Etat face aux personnes qui le composent ? L’Etat comporte des éléments constitutifs inaliénables qui font partie intégrante de sa définition et de son existence. S’il parvenait à en abandonner volontairement l’exercice ou la jouissance, cela le conduirait à se renier. Parmi les prérogatives inhérentes à sa fonction, l’exercice du pouvoir judiciaire, du droit de juger (trancher, punir…), semble être indissociable de la fonction étatique. On peut imaginer une justice privée. Elle a déjà existé et demeure présente dans certains systèmes juridiques. Il semble cependant improbable que l’exercice de la puissance publique puisse se passer de cette fonction. Les droits fondamentaux de l’Etat face aux individus relèvent donc d’un ensemble de valeurs visant à protéger l’exercice de la fonction juridictionnelle dans son fonctionnement (rôle du juge dans la conduite de la mise en état ou des débats, restriction des libertés individuelles avant jugement), mais aussi l’autorité de ses décisions (chose jugée, indépendance des magistrats vis-à-vis des justiciables). On peut relever un second facteur d’antagonisme. il s’agit de la succession des valeurs dans le temps. Le Professeur GASSIN décrit la procédure pénale actuelle comme prise dans un conflit entre valeurs traditionnelles favorisant la recherche de la vérité (et la poursuite des délinquants) et les aspirations nouvelles en faveur des droits de l’homme[716]. Tout en établissant une « contradiction fondamentale »[717] entre tradition et modernité, l’auteur estime que la procédure pénale est contrainte d’opérer un choix. Le problème reste celui du critère qui permettrait d’effectuer ce choix. Le Professeur CORNU estime de son coté qu’en consacrant à l’article 16 du Code civil🏛 la primauté de la personne, le législateur a entendu établir une « hiérarchie des valeurs »[718]. Si le problème déborde largement le cadre procédural, il semble bien prendre la direction d’une protection accrue des droits individuels.
L’antagonisme n’est ni une fatalité, ni une situation généralisée et paralysante. Bien au contraire, on constate de nombreux rapprochements ou corrélations entre les valeurs qui dictent l’existence et le fonctionnement des principes directeurs. On peut avancer le lien étroit établi par la doctrine et la jurisprudence entre la valeur de loyauté qui gouverne la recherche des preuves et le respect ou la dignité de la personne humaine[719]. Il est vrai que quelles que soient les méthodes, anciennes comme les tortures, traitements inhumains et dégradants ou modernes, comme la pratique des narco-interrogatoires, il s’agit bien de protéger à la fois la dignité de la personne poursuivie et le caractère loyal du combat judiciaire qui oppose le ministère public au justiciable. Dans le même ordre d’idées, on peut évoquer la proximité des valeurs d’égalité et d’équité. Le bon sens indique que le respect de l’égalité des plaideurs ou l’égal accès de tous à la justice sont des considérations de pure équité. De même, le respect de la personne humaine et l’intimité de la vie privée agissent de concert, voire se confondent, lorsque la procédure permet une intrusion dans la vie personnelle ou protège l’individu contre cette intrusion. Dans ce dernier cas, on peut parler d’action conjointe. La relation est plus intéressante concernant les valeurs d’impartialité et d’indépendance. La dernière favorise en fait l’émancipation de la première. Il est évident que l’impartialité, valeur personnelle qui touche la conviction du juge dans sa subjectivité, passe par le respect de son indépendance, valeur institutionnelle susceptible d’être objectivement protégée. Toutes ces relations ont d’importantes influences sur la variété des interactions entre les principes directeurs eux-mêmes[720].
Les valeurs sociales s’imposent comme des sources essentielles qui déterminent le contenu des principes directeurs. Cette dimension morale du droit processuel ne doit pourtant pas monopoliser l’attention. Comme le suggérait Paul ROUBIER, il faut s’empêcher de « vouloir trop rapprocher l’ordre juridique et l’ordre moral »[721]. Celui-ci regrettait que l’« on place au premier rang des valeurs sociales la justice, mais on devient indifférent au progrès et à l’utilité sociale »[722]. Pour éviter ce travers, il faut considérer également les origines axiologiques et utilitaristes des principes directeurs.
On peut regrouper un certain nombre de finalités utilitaires qui inspirent les principes directeurs. Dans un premier temps, les principes visent à améliorer la qualité dans le fonctionnement de la justice (A). Dans un second temps, les principes tentent de promouvoir l’efficacité du rôle joué par cette institution (B).
Malgré l’existence d’un droit au silence ou d’un droit à l’absence, si l’une des parties refuse de participer à la constitution de la matière litigieuse par l’apport de faits dans le procès, son renoncement risque d’être sanctionné. Les juges n’entendront qu’une seule version des faits. Cela devrait avoir pour conséquence logique de défavoriser celui qui choisit d’éviter le combat judiciaire. D’autre part, celui qui refuse de contribuer à la manifestation de la vérité s’expose aux amendes civiles de l’article 10 du Code civil🏛[735]. Cette sanction n’est pas spécialement destinée aux parties mais rien ne permet de dire (sauf à respecter le silence de la personne poursuivie en matière pénale), qu’elles n’y sont pas soumises. La coopération est donc avant tout le droit pour chaque partie « de produire tous documents qui lui paraissent utiles à la manifestation de la vérité »[736]. Ce principe ne va pas sans le droit pour les autres parties de prendre connaissance de ces documents et de formuler des observations à leur propos. C’est l’expression du principe du contradictoire qui peut, d’un certain point de vue, s’analyser en une coopération vers la manifestation de la vérité. Les parties sont les mieux placées pour révéler leur vérité. De la confrontation de chacune d’entre elles, se dessine aux yeux du juge, la vérité matérielle. Cette présentation est partielle. Elle néglige l’aspect conflictuel du procès qui conduit les adversaires à cacher certains éléments. C’est alors au juge de rechercher les faits qui n’apparaissent pas immédiatement dans le débat. Le principe de coopération produit encore son effet en conférant des prérogatives au juge pour la promotion de la vérité matérielle. Celui-ci peut se fonder sur des faits qui ne sont « pas dans le débat » ou que les parties « n’ont pas spécialement invoqués au soutien de leur prétention »[737]. Il a le pouvoir « d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles »[738]. Il peut enjoindre à une partie de produire un élément de preuve qu’elle détient[739]. En matière pénale le rôle du juge est encore plus grand. Il n’est pas interdit aux parties d’apporter leurs propres éléments mais l’institution du juge d’instruction fait de cet acteur le principal artisan de la vérité. Son rôle est d’instruire « à charge et à décharge »[740] et toutes les parties à la procédure doivent bénéficier de son travail[741]. Le Code prévoit qu’il « procède, conformément à la loi, à tous les actes qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité »[742]. Ces mêmes prérogatives appartiennent expressément, en matière criminelle, au président de la Cour d’assises en vertu de son pouvoir discrétionnaire[743]. Les parties coopèrent à cette instruction de façon plus discrète en demandant au juge l’exécution de certains « actes » ou « mesures utiles »[744].
Le principe de coopération correspond aussi au pouvoir de rectifier la vérité lorsqu’elle a été présentée, volontairement ou non, sous un aspect déformé. Il s’agit du pouvoir de requalification du juge. En matière répressive, le juge est saisi in rem[745], c’est à dire en fonction de faits déterminés. S’il ne peut étendre sa saisine à d’autres faits, il a le pouvoir et le devoir de qualifier exactement ces faits, au besoin de les requalifier[746]. La question se pose, notamment lorsque le ministère public ou l’une des juridictions a procédé à une « correctionnalisation judiciaire ». La pratique consiste à omettre certains éléments de faits dans la qualification pénale de sorte qu’un crime devienne un délit. Par exemple, un viol[747] peut se transformer en agression sexuelle simple[748] ; ou un vol avec arme[749], se muer en un vol simple[750]. Cette pratique peut être suivie tout au long de la procédure avec notamment l’accord tacite des parties. Elle reflète pourtant un éloignement notable de la vérité des faits. Aussi le juge peut à tout moment requalifier exactement les faits poursuivis et en tirer les conséquences. Le tribunal correctionnel pourra, le cas échéant, se déclarer incompétent s’il décide de requalifier un délit en crime. La Cour de cassation condamne cette pratique lorsque les motifs de la décision contredisent la qualification retenue[751]. C’est le rétablissement de la vérité à travers la qualification conforme aux faits. En procédure civile, cette possibilité n’a pas toujours été offerte au juge. Dans le Code de 1806, le juge était lié par les conclusions des parties et ne pouvait modifier la qualification juridique attribuée aux faits pas les plaideurs. Il était contraint de rejeter la prétention mal fondée d’une partie car non conforme à la vérité, mais sans pouvoir rectifier l’erreur[752]. Le nouveau Code a radicalement changé la fonction du juge. Aux termes de l’article 12, il doit « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée »[753]. La rectification de la vérité est encore possible avec le principe du droit au recours. Lorsque la décision de justice, pourvue de l’autorité de la chose jugée, se trouve confrontée à des faits révélés postérieurement et qui en démontrent le mal fondé, s’ouvre alors, la voie, vers un nouveau procès. C’est la demande en révision prévue à l’article 622 du Code de procédure pénale🏛. Cette révision peut être demandée lorsque de nouvelles pièces tendent à introduire le doute sur la culpabilité de la personne condamnée pour homicide ou pour tous les autres crimes et délits, si les fondements de la condamnation se trouvent en contradiction avec une autre décision de justice ; si l’un des témoins de l’accusation est par la suite condamné pour faux témoignage ou si une autre décision de justice révèle un fait nouveau introduisant un doute sur la culpabilité. L’existence du droit au recours en révision est donc conditionnée par le constat qu’une décision de justice n’est pas conforme à la vérité. Ce recours n’est traditionnellement admis qu’en faveur de la personne poursuivie. Pourtant, certains arrêts de cassation ont fait droit à l’ouverture de nouvelles poursuites sous la qualification d’homicide volontaire alors même qu’une condamnation avait été au préalable prononcée pour homicide involontaire et pour les mêmes faits à l’encontre de la personne poursuivie. Cette admission exceptionnelle du nouveau procès a été justifiée par l’apparition de faits nouveaux, révélés postérieurement au premier procès et tendant à démontrer que le décès de la victime était la conséquence d’une acte intentionnel[754]. Quel que soit le bien fondé de ces décisions et leur conformité à l’autorité de la chose jugée, il semble bien que ce soit le principe du droit au recours qui soit à l’origine de ce rapprochement entre la vérité et la décision de justice.
La recherche de la vérité « doit être conciliée avec des principes d’égale valeur juridique » proclame-t-on[777]. Le secret professionnel, le respect de la vie privée sont cités comme exemples. On constate effectivement que la quête des faits est confrontée à certaines valeurs procédurales : intimité de la vie privée, dignité, loyauté, sécurité. L’autorité qui s’attache aux décisions définitives vaut présomption de vérité à l’égard de tous. La Cour de cassation a ainsi jugé que le non lieu au bénéfice du doute pour abus de confiance en faveur d’un salarié faisait obstacle à ce que les mêmes faits soient allégués devant la juridiction prud’homale dans une procédure de licenciement[778]. Face au doute, la juridiction pénale a dû se prononcer en faveur de l’innocence. La solution qui découle de la présomption d’innocence n’appelle aucun commentaire. Mais le doute subsiste. La vérité est toujours en suspens. Pourquoi alors empêcher une juridiction civile de retrouver cette vérité ? Au nom de la sécurité. La relaxe obtenue, il serait néfaste qu’une instance civile permette de remettre en cause l'autorité d’une décision judiciaire antérieure. La vérité est sacrifiée, peut être déformée, certainement entravée ou tronquée.
Le respect de la dignité et de la loyauté est exigé dans la production de preuves dans une instance en divorce. L’article 259-1 du Code civil🏛 rejette les preuves qui auraient été obtenues « par violence ou fraude »[779]. De même, « les constats dressés à la demande d’un époux sont écartés des débats s’il y a eu violation de domicile ou atteinte illicite à l’intimité de la vie privée »[780]. L’interdiction est particulièrement vive en matière pénale où les aveux ne peuvent être obtenus au moyen de brutalités, violence ou torture en application de la CESDH. Chaim PERELMAN considérait que certaines restrictions relatives à des valeurs morales, telles que la sécurité, ou encore, le rejet de « la diffamation, de la divulgation malveillante » devaient conduire à rendre impossible la communication de la vérité[781].
Il existe encore un moyen d’entraver le développement de la vérité au cours du procès. Il s’agit peut être du plus simple : il consiste à éviter le procès. Il faut admettre que la justice moderne n’a pas pour unique fonction de trancher les litiges, mais, plus généralement, de les résoudre, d’y mettre un terme. « Il entre dans la mission du juge de concilier les parties » énonce l’article 21 du nouveau Code de procédure civile. Cette mission marque un détachement total vis-à-vis de la vérité. L’objectif étant d’obtenir un accord entre les parties initialement en conflit pour lui donner une solution contractuelle ou transigée. L’institution existe aussi en matière pénale. Certains mécanismes sont particulièrement illustratifs de ce phénomène. L’institution du plea-bargaining[782] aux Etats-Unis ou du pattegiamento en Italie permet aux différentes parties de négocier la qualification des faits et le montant de la peine en échange d’aveux sur la culpabilité. Un mécanisme similaire a été intégré dans la procédure pénale française sous l’expression de composition pénale[783]. Les poursuivants obtiennent la certitude de la sanction et les défendeurs, recherchent une moindre sanction[784]. Il faudra dès lors « chercher un résultat plutôt utile que vrai »[785]. L’accusé innocent pourra préférer la négociation et une courte peine plutôt que nier les faits et prendre le risque d’une condamnation plus lourde. De même, le ministère public préférera des aveux négociés sur une qualification d’agression sexuelle, si le dossier pour viol qu’il tente de constituer semble peu consistant et insuffisant potentiellement pour convaincre les juges. Réalité niée, qualification modifiée sont autant d’entraves à l’éclosion de la vérité. Il se peut que celle-ci parvienne au juge mais sous une forme modifiée.
b) La garantie d’une bonne administration de la justice
On pourrait citer d’autres principes dont le but est de garantir le bon fonctionnement de la justice à l’image de la publicité des débats qui astreint les magistrats à faire preuve « de la plus grande circonspection dans leurs jugements »[807] mais aussi dans la façon de diriger l’audience. On doit cependant constater que la qualité de la justice passe aussi et surtout par le contrôle de ses décisions.
L’utilité de l’appel est constatée dès le stade de l’instruction par le Professeur LARGUIER qui estime que le juge d’instruction - juge unique dont l’indépendance et les pouvoirs sont étendus - doit voir ses décisions contrôlées par une juridiction supérieure[809]. C’est « l’idée de garantie » des droits des justiciables qui justifie cette voie de recours[810]. Aussi, l’appel contre les ordonnances que prend ce magistrat[811] a-t-il été progressivement élargi, notamment au profit des parties privées[812]. Ce recours est particulièrement important au stade de la mise en état car il concerne autant la question des nullités qui peuvent entacher une procédure et porter atteinte à la qualité des jugements sur le fond que celle des refus du magistrat instructeur de faire droit à une demande provenant d’une partie en vue de la manifestation de la vérité ou de la progression de l’enquête.
Concernant les décisions sur le fond, les voies de recours et la motivation sont considérées comme « des garanties de bien-jugé »[813]. Elles permettent un contrôle sur les faits et sur le droit, mais aussi sur le respect de la procédure. Le droit au recours « favorise le respect du contradictoire »[814] car les magistrats savent que s’ils n’organisent pas un procès équitable, la solution qu’ils donneront au litige sera susceptible d’être remise en cause simplement sur le fondement du mépris des règles procédurales[815]. Le défaut ou l’insuffisance des motifs, le refus de laisser à l’accusé la parole en dernier[816] sont autant de motifs d’annulation ou de cassation qui ouvrent la voie à un nouvel examen de l’affaire. droit au recours et motivation sont aussi indiscutablement liés dans la mesure où l’un ne se révèle utile qu’à travers l’autre. Une Cour d’appel ne pourra confirmer ou censurer un jugement rendu en premier ressort que si elle comprend les motifs qui ont déterminé les premiers juges dans leur choix. La motivation, au-delà de sa mission de transparence à l’égard des justiciables ne joue pleinement son rôle que dans la mesure où elle sert à élucider les raisons d’un jugement rendu dans le secret des délibérés.
Droit au recours et motivation permettent encore, à travers le contrôle d’une juridiction supérieure et en dernier lieu d’une autorité nationale unique, de rendre uniforme l’interprétation des règles écrites. Cette conception centralisée et hiérarchisée de la motivation permet à la création prétorienne du droit de se développer[817]. Pour que la Cour de cassation puisse contrôler les arrêts et jugements des juridictions du fond et que ces derniers puissent comprendre les fondements de l’interprétation faite par la juridiction suprême, il faut que chacune de ces décisions soit motivée. L’uniformité dans la mise en œuvre de la règle de droit écrit est facteur d’égalité, il est aussi facteur de qualité. On peut comprendre la perplexité d’un praticien du droit, ou d’un justiciable, face à la multiplicité des interprétations données à une même prescription textuelle par les Cours d’appel. On connaît aussi les commentaires doctrinaux glosant sur l’ambiguïté de telle ou telle disposition résultant d’une réforme et appelant de leurs vœux l’intervention salvatrice de la Cour de cassation. L’instabilité est source d’incertitude et il est certain que droit au recours et motivation, contribuent à réduire cette incertitude pour les justiciables et pour les plaideurs. Plus qu’à la qualité de la justice, ces principes concourent à la qualité du droit. Mais au-delà de la qualité, c’est l’efficacité qui est recherchée.
a) Principes directeurs et devoir de juger
La multiplication des voies de recours ne constitue pas un facteur d’efficacité. La tendance récente est non à la réduction des recours, mais à la rationalisation de ces procédures.
Il s’agit dans un premier temps d’éviter que le litige ne soit figé dès le début de l’instance et ne puisse plus évoluer par la suite. Le principe d’immutabilité du litige a ainsi pendant longtemps contraint les parties à multiplier les instances lorsque le différend présentait des évolutions ou des ramifications au cours de la procédure et notamment entre le jugement de première instance et l’appel[824]. Si l’on prend l’exemple d’un époux qui se voit assigné par l’autre en divorce, surpris par la soudaineté de la demande, sa première réaction serait celle de refuser la rupture des liens matrimoniaux devant les premiers juges. Condamné pour faute, l’époux défendeur devrait logiquement faire appel du jugement sous la forme d’une demande reconventionnelle aux torts partagés. Connaissant la première décision de justice, chaque partie doit pouvoir légitimement réagir pour développer une argumentation plus complète ou plus rationnelle en appel. Pour cela il faut faire évoluer l’objet du litige[825]. Le professeur CADIET explique la nécessaire évolution du litige par le besoin de réduire les délais de résolution des conflits et de diminuer autant que possible l’encombrement des rôles[826]. Il faut, en toute hypothèse, faire face à la réalité judiciaire poursuit l’auteur. Certains dossiers présentent une complexité telle, qu’il est impossible de définir entièrement le cadre du litige dès l’introduction de la demande. C’est le principe du double degré de juridiction et l’application que l’on en fait qui va déterminer la conduite efficace ou non du procès. Si l’on conçoit l’appel non comme une voie de réformation, mais comme une voie d’achèvement du litige, il est alors possible de donner à cette institution les moyens de répondre globalement et définitivement à l’ensemble des questions soulevées tout au long de l’instance. c’est la seule méthode qui permette d’envisager le règlement efficace du conflit. C’est dans cette perspective que s’inscrit le nouveau Code de procédure civile tout en procédant de façon paradoxale. L’article 564 part de l’interdiction de principe des demandes nouvelles pour en réduire ensuite la portée. Ne sont pas considérées comme nouvelles, celles qui « tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent »[827]. Le Code admet donc que la cause puisse varier, mais la jurisprudence a de son coté accepté que l’objet de la demande ne soit pas le même. Cette situation conduit à constater que le critère de l’article 565 laisse peu de place à l’interdiction des demandes nouvelles en appel[828]. Le litige peut sensiblement se développer.
La seconde mise en œuvre du double degré de juridiction inspirée par l’efficacité procédurale résulte de la possibilité pour la Cour d’appel, saisie d’une simple question de procédure, d’étendre sa saisine à l’examen sur le fond du dossier : c’est l’évocation. Ce mécanisme est possible dans deux hypothèses. La première concerne le contredit de compétence. Une juridiction de première instance s’est déclarée incompétente. Celui qui a saisi le tribunal peut faire appel de cette décision. L’article 89 du nouveau Code prévoit que la Cour saisie de cet appel peut décider, si elle se déclare compétente, de statuer dans le même temps sur le fond de l’affaire. L’article 568 du même Code envisage cette faculté lorsque la Cour est saisie d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction ou statué sur une exception de procédure mettant fin à l’instance. Il est évident que l’évocation prive les parties du bénéfice du double examen de l’affaire sur le fond. Elle relève en quelque sorte, d’une négation du principe dont elle est l’application. c’est peut être pour cela qu’elle n’est que facultative. La Cour d’appel ne doit y recourir, dit le Code, que « si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive ». Il s’agit, tout en recherchant l’efficacité de la justice, de ne pas faire obstacle à sa qualité. A ce titre, l’évocation est soumise au respect du contradictoire : si la Cour évoque, elle doit permettre, au préalable, aux parties de constituer avoué et de conclure au fond[829].
En procédure pénale, la solution est légèrement différente. L’évolution du litige est restreinte du fait de la saisine in rem des juridictions répressives. La Cour d’appel est saisie sur des faits donnés. Elle a le pouvoir d’en modifier la qualification ou d’examiner des moyens nouveaux, mais ne peut être saisie sur de nouveaux faits. L’objet du litige est ainsi déterminé par l’acte d’appel[830]. Par exemple, la partie civile ne peut formuler aucune demande nouvelle si ce n’est une augmentation des dommages et intérêts. Si dans le temps qui sépare le premier jugement et l’appel, des faits nouveaux tendent à montrer que le prévenu a commis d’autres infractions liées à celles pour lesquelles il est jugé, une nouvelle procédure devra débuter. A l’inverse, l’évocation est plus radicale en matière pénale dans la mesure où l’article 520 du Code de procédure pénale🏛 prévoit que « si le jugement est annulé pour violation ou omission non réparée de formes prescrites par la loi à peine de nullité, la cour évoque et statue sur le fond ». L’emploi de l’indicatif signifie que cette évocation s’impose aux seconds juges. La jurisprudence l’a déclarée applicable aux irrégularités commises pendant l’audience ou dans la rédaction du jugement[831], mais aussi aux nullités de la mise en état[832] ou à une décision d’incompétence[833]. De ce point de vue, il est certain que l’efficacité de la justice est servie par une application généralisée de l’évocation. La question de l’atteinte aux droits de la défense notamment pas une occultation du double degré de juridiction reste posée dans la mesure où le Code rend ce mécanisme automatique et que les dérogations restent exceptionnelles[834].
Ce dernier exemple démontre que l’idée d’efficacité n’est pas toujours compatible avec celle de qualité, ou avec la préservation des droits individuels. Un autre cas s’avère démonstratif à cet égard : celui du secret de la mise en état. L’idée sous-tendue par le secret n’a pas toujours été celle de la préservation de l’honneur ou de la présomption d’innocence de la personne poursuivie. Symbole de la procédure inquisitoire, le caractère occulte de la procédure était surtout opposé au défendeur. Le délinquant ne devait pas savoir ce que la justice lui reprochait afin qu’il n’ait pas les moyens d’entraver l’enquête notamment en détruisant les éléments de preuve. Aboli en 1791, le secret devait être rétabli par la jurisprudence au cours du 19ème siècle[835] toujours pour les mêmes raisons. JOUSSE écrivait à ce sujet : « il faut prendre garde que le secret de l’information ne soit jamais révélé, ce secret étant absolument essentiel pour la découverte et la punition des crimes »[836]. La loi du 8 septembre 1897 devait changer la physionomie du secret en consacrant l’accès de la personne poursuivie à son dossier par l’intermédiaire de son conseil[837]. Le respect du justiciable a donc été très éloigné, pendant plusieurs siècles, du secret de l’instruction. Bien au contraire, l’efficacité de la justice, ou plutôt de la répression fut la source d’inspiration de la règle. On la retrouve dans l’exigence de rapidité de la procédure[838].
b) Principes directeurs et célérité de la procédure
Depuis la loi du 10 juillet 1970🏛, il a été confié au président du Tribunal de grande instance « en toutes matières autres que disciplinaire, ou relative à l’état des personnes » le pouvoir de décider que l’affaire sera jugée à juge unique. Cette pratique n’avait d’autre fin que d’introduire progressivement l’institution du juge unique, sinon comme principe de droit positif, tout au moins comme « principe latent »[839], sans toutefois l’imposer de façon brutale et péremptoire[840]. Comme le souligne un éminent processualiste, l’alternative entre collégialité et juge unique est trop souvent la victime de « l’efficacité immédiate (contre) la raison » et l’unicité se trouve logiquement motivée par « les impératifs d’une rapide administration de la justice »[841]. Il est vrai que le « démantèlement du tribunal »[842] favorise la ventilation des dossiers et la rapidité de leur aboutissement. Il ne s’agit certainement pas du seul moyen d’y parvenir.
Le principe de coopération, capable de promouvoir la qualité de la justice, est aussi motivé par une volonté de célérité. Dans les missions qui sont confiées au juge de la mise en état chargé de suivre la procédure devant le Tribunal de grande instance, il lui est demandé « de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces »[843]. Cette disposition vise plus au respect du contradictoire mais la « ponctualité » y est évoquée. Le nouveau Code précise plus loin que le juge fixe « les délais nécessaires à l’instruction de l’affaire eu égard à la nature, à l’urgence et à la complexité de celle-ci »[844]. Certes, la pratique des renvois à la demande de l’une des parties a tendance à remettre éternellement en cause les délais initialement prévus, mais il est à noter que ces renvois sont laissés à la libre appréciation du juge qui peut à tout moment prononcer une ordonnance de clôture et renvoyer l’affaire devant la juridiction de jugement[845], cette ordonnance n’étant susceptible d’aucun recours[846]. C’est toujours dans cette démarche visant à accélérer le déroulement de la procédure que le magistrat instructeur a le pouvoir de hâter les résistances d’une partie à la communication des pièces ou écritures[847].
En procédure pénale, le principe de coopération met en avant l’initiative des parties privées. Plus craintives de la surcharge des juges d’instruction et des conséquences sur la durée des procédures, les lois des 4 janvier et 24 août 1993 ont modifié le Code en plusieurs points. L’article 82-1 al 3 du Code de procédure pénale fait droit à la personne mise en examen de demander par écrit qu’il soit procédé à son audition par le juge si sa dernière comparution remonte à plus de quatre mois. Le juge doit s’exécuter dans les trente jours. Cette prérogative est laissée à la disposition des personnes mises en examen par lettre recommandée et n’ayant jamais subi l’interrogatoire de première comparution. Plus radical est l’article 175-1 qui permet au mis en examen, ou à la partie civile, à l’expiration du délai d’un an[848], de demander qu’intervienne la clôture de l’instruction par un renvoi ou un non lieu. Le juge fait droit à la demande ou la rejette dans le délai d’un mois, par une ordonnance susceptible de recours devant la chambre de l’instruction. La loi du 15 juin 2000 est allée plus loin dans cette voie, renforçant le « droit à être jugé dans un délai raisonnable ». Elle permet à la personne poursuivie de faire pression sur le Procureur de la République au cours de l’enquête pour que ce dernier prenne une décision sur l’action publique. Si le Procureur estime que l’enquête doit se poursuivre, il saisit le juge des libertés et de la détention. Ce dernier décide de l’opportunité de poursuivre la phase d’enquête[849]. Les mêmes droits sont mis à la disposition des parties privées en vue de solliciter la clôture de l’instruction à l’issue d’un certain délai. La décision du juge d’instruction de poursuivre l’information est susceptible d’un appel devant la chambre de l’instruction[850]. Cette fois, ce sont donc les parties privées qui ont l’occasion de faire pression sur les magistrats chargés de l’enquête et de l’information judiciaire pour hâter son achèvement. Si l’efficacité de ces mesures n’a qu’une valeur incitative, il n’en reste pas moins que la célérité est l’un des aspects qui justifie la coopération organisée du juge et des parties lors de la préparation du procès. Toutefois, rapidité et devoir de juger doivent être complétés par un autre impératif : celui d’obtenir, à l’issue de la procédure, une décision définitive.
c) Principes directeurs et règlement définitif du différend
Le prolongement de ce constat réside dans le fait que les principes sont très fortement chargés de cet aspect téléologique, de telle sorte qu’ils trouvent une place singulière au sein de la hiérarchie des normes. C’est à un bouleversement de la présentation traditionnelle de la hiérarchie que conduit l’étude de ces principes.
- l’ordre juridique est hiérarchique en cela qu’une norme inférieure doit être conforme à la norme supérieure ;
- la constitution du 4 octobre 1958 introduit une véritable hiérarchie des normes dans le droit français ;
- les fondements de la théorie on été élaborés par Hans Kelsen dans la « théorie pure du droit ;
- la hiérarchie des normes est un rapport linéaire, c’est à dire que chaque norme est dans un rapport d’infériorité ou de supériorité par rapport à une catégorie de normes et une seulement[856].
C’est effectivement KELSEN qui initie cette présentation pyramidale de la structure du système normatif juridique[857]. Cet ordre présente une structure hiérarchique selon laquelle les normes sont réparties en couches superposées. On trouve en premier lieu la norme constitutionnelle[858]. Elle détermine le mode de création des lois et met en place un mécanisme de sanction de ces lois. Vient ensuite la législation qui détermine des normes abstraites et générales ; puis la jurisprudence et la norme administrative, dont la fonction est d’individualiser l’application des normes légales abstraites en les appliquant à des cas concrets[859]. L’idée logique qui découle de cette hiérarchie est la suivante : la validité d’une norme est susceptible d’être contrôlée vis-à-vis de celle qui se trouve dans la couche supérieure. La sanction du défaut de validité consiste dans l’annulation ou l’inexistence de la norme.
Le premier constat réside dans l’adoption du critère hiérarchique. Comme l’explique le Professeur de BECHILLON, la place d’une norme correspond à « une quantité de puissance » que possède la règle qui l’incarne[860]. Cette force a pour origine organique celle de l’auteur investi du pouvoir de créer la règle[861]. C’est l’acte qui contient la règle de droit qui permet de connaître l’autorité de la norme. Partie intrinsèque de cette norme, l’acte possède la puissance normative et la transmet à la règle qu’il contient[862]. Le critère hiérarchique est donc clairement établi : il constitue une référence purement organique et formelle.
La place du juge est, dans ce contexte, une place résiduelle. Situé aux cotés de l’administration, celui-ci n’a pour fonction que d’appliquer, de mettre en œuvre des règles préexistantes. La norme qu’il crée n’est qu’une norme particulière applicable à un cas concret - le litige qui lui est soumis - et non susceptible de généralisation[863]. « Le juge ne saurait avoir la prétention de refaire la loi qui émane du parlement » confie un spécialiste de procédure civile[864] sous peine de revenir au temps des anciens parlements. Sa fonction n’est pas de réformer d’autorité une loi injuste. Il peut suggérer une modification mais tout en se tenant à une simple application. Lui reconnaître un pouvoir de contrôle sur la loi risquerait, toujours selon cet auteur, de créer « un schisme qui ruinerait sa propre autorité »[865].
Ce critère formel ne subit aucune dérogation au sein d’un même ordre hiérarchique. Toutes les règles issues d’un même organe et représentées dans un même acte reçoivent une égale puissance et prennent la même place sur la ligne verticale[866]. Pourtant, la thèse selon laquelle seul le critère organique confère une autorité à la norme est impuissante à expliquer un certain nombre de phénomènes qui dérogent à cette conception et dont certains sont le fait des autorités juridictionnelles. Elle échoue encore lorsqu’il s’agit d’affiner l’analyse de la classification. En effet, on dénombre seulement quatre niveaux théoriques : constitutionnel, législatif, jurisprudentiel, et réglementaire[867] ; face à la démultiplication doctrinale et jurisprudentielle de niveaux intermédiaires avérés ou supposés.
Ce système est très visible en droit constitutionnel à travers la jurisprudence du Conseil. Ce dernier classe les règles qu’il édicte en principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, principes à valeur constitutionnelle ou simples règles à valeur constitutionnelle[868]. Mais l’évolution de la classification s’accentue encore sous l’influence de travaux récents mettant en évidence l’existence de principes ou objectifs à valeur constitutionnelle dits « matriciels »[869]. Cette doctrine observe le flou qui existe au sein de la multiplicité des normes constitutionnelles et la difficulté de les classer hiérarchiquement même si elles détiennent une portée différente et peuvent faire l’objet d’un traitement lui même différent en cas de confrontation. Ainsi, « l’architecture des principes constitutionnels (est) en train de subir des infléchissements (…) porteurs de transformations » [870]. Certains principes peuvent ainsi être qualifiés de « matriciels » en ce qu’ils ont la capacité d’engendrer d’autres principes ou droits dont la portée et l’autorité varient. Plusieurs règles possédant des développements en droit processuel sont citées dans cette catégorie. Le principe de dignité et celui de la liberté individuelle possèdent des caractères matriciels. L’auteur reconnaît que l’émergence de cette catégorie est susceptible d’entraîner des troubles ou un désordre dans l’appréciation de la valeur des règles ou principes ainsi engendrés. En réalité, l’idée selon laquelle, au sein d’une même catégorie hiérarchique, certaines règles puissent déterminer la production d’autres, se trouve en porte à faux vis-à-vis de la théorie française de la hiérarchie des normes. Théoriquement, seule une norme supérieure est habilitée à déterminer les conditions de production d’une norme inférieure. Dans l’hypothèse des principes matriciels, non seulement la même autorité crée des normes dont l’autorité est différente ; mais de plus, les principes matriciels servent d’instruments au Conseil pour déterminer ou encadrer d’autres principes ou règles. Ce type de mécanisme est totalement ignoré et reste inexplicable au regard de la conception hiérarchique traditionnelle. Ce phénomène n’est pas typique du droit jurisprudentiel constitutionnel. Il se retrouve dans la jurisprudence de la Cour de cassation ou du Conseil d’Etat. Chacune de ces juridictions détermine des règles et principes de valeur et de portée différentes. En réalité, le phénomène découle d’un constat très simple. Le juge se trouve fréquemment face à une confrontation entre des règles de même rang, contradictoires ou difficiles à concilier. Il lui faut exprimer une préférence pour l’application de l’une ou l’autre. Il existe cependant très peu de critères qui permettent de trancher. Selon la maxime specialia generalibus derogant, le juge pourra privilégier l’application de la norme plus précise face à celle plus générale, mais il peut être confronté à deux prescriptions d’égal degré de généralité. En fait, le juge est obligé d’établir un classement hiérarchique qui lui fournit l’instrument de sa préférence. En toute hypothèse, cet instrument n’existe pas dans la hiérarchie classique.
Une analyse similaire peut être formulée au regard de normes écrites telles que la Convention européenne des droits de l’homme🏛. Le Professeur DELMAS-MARTY a pu classer les droits mentionnés dans ce traité selon leur degré de protection[871]. Si ce degré varie, on doit constater logiquement que la position hiérarchique des droits protégés n’est pas la même. Au sommet de cette classification se trouvent les droits dont la protection est absolue. On y retrouve l’interdiction de la torture, des traitements inhumains et dégradants (article 3) expression du principe de dignité et de l’autorité absolue de chose jugée en matière pénale (article 4 du protocole additionnel n°7). Ensuite, viennent les droits bénéficiant d’une protection quasi-absolue. L’article 15 de la Convention prévoit que les parties peuvent y déroger « en cas de guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la nation ». Cette dérogation étant générale, sauf à porter atteinte aux droits dont la protection est absolue, tous les autres principes conventionnels y sont soumis. C’est le cas, en droit processuel, du droit au procès équitable ou des garanties accordées à l’accusé aux articles 6§2 et 6§3. Viennent enfin les principes dont la protection n’est que relative. Il s’agit notamment du droit à la liberté. En procédure pénale, on retiendra surtout la possibilité de recourir à la détention avant jugement prévue à l’article 5§1 « lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ». La Convention européenne, qui se trouve aujourd’hui être le texte de référence en matière de protection des droits individuels dans le procès, contient donc une hiérarchisation des normes qui n’est pas à l’image de celle qu’opère le Conseil constitutionnel, mais qui possède sa logique. Les différents principes énoncés dans ce texte ne reçoivent pas une égale application. Leur autorité varie en fonction d’un critère différent de celui exposé dans la vision hiérarchique traditionnelle. On pourra ainsi se demander pourquoi les droits protégés dans un même texte et possédant tous le statut de droits ou libertés de l’homme ne reçoivent pas une égale protection juridique ? La théorie Kelsenienne manque d’éléments ou de critères de référence pourtant influents dans l’architecture du système.
Les interrogations se poursuivent avec certains principes dont la place semble se situer entre deux catégories. C’est le cas, par exemple, du double degré de juridiction. Un éminent processualiste recherchait, lors d’une intervention dans un colloque[873], la place de ce principe en procédure civile[874]. Ce dernier a été mentionné au rang des principes généraux du droit par le Conseil d’Etat et par la Cour de cassation[875]. Le principe ne figure pas expressément dans la loi et, en droit constitutionnel, la haute autorité se refuse à accorder la qualification suprême au principe[876]. On fait donc appel à « la doctrine la plus autorisée » pour lui conférer une valeur « para-constitutionnelle »[877]. La question surgit alors immédiatement : quel est l’organe compétent pour édicter une norme de ce type ? Il ne peut s’agir du législateur, ni du pouvoir constituant. La jurisprudence constitutionnelle a refusé de lui ouvrir ses bras et l’autorité judiciaire possède l’unique compétence de mettre en œuvre la loi ; non pas de créer des principes supra-légaux de type « para-constitutionnel ». L’expression doctrinale démontre, une fois encore, les contradictions d’une théorie dont elle n’ose s’écarter.
L’observation du droit jurisprudentiel pousse encore cette théorie dans ses derniers retranchements. Au regard du dogme kelsenien, il est impossible pour une autorité judiciaire, de reconnaître à un principe une valeur constitutionnelle. Si l’on trouve un seul exemple de cette attitude, on doit en conclure que la théorie est fausse. Le principe des droits de la défense fournit cet exemple. Avant tout, il faut observer que ce principe est consacré expressément à deux niveaux de la hiérarchie organique. Le Conseil constitutionnel en a fait l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[878], de même que la Cour de cassation l’a consacré au rang des principes généraux du droit[879]. On est donc en face d’une norme qui transcende les degrés habituels. Pour autant, la juridiction judiciaire n’en est pas restée là. Elle est venue s’arroger des compétences que la Constitution ne semble pas lui avoir expressément confiées. Sous l’influence de son premier avocat général, observant que l’évolution jurisprudentielle allait dans le sens de l’habilitation constitutionnelle, l’assemblée plénière de la Cour de cassation affirmait dans un arrêt du 30 juin 1995, « Vu le principe du respect des droits de la défense ; attendu que la défense constitue pour toute personne un droit fondamental à caractère constitutionnel »[880]. Le pas est donc franchi. Une autorité judiciaire peut, puisqu’elle le fait sans en être sanctionnée, élever une norme au rang constitutionnel. En raison de quel critère ? L’arrêt reste silencieux sur la question.
Autant de questions qui restent sans réponse, de paradoxes sans explication. Ces contradictions laissent entrevoir la possibilité d’un renouveau de la théorie française de la hiérarchie des normes, plus complète car tenant compte d’un nombre plus élevé de critères.
C’est dans ce contexte que l’on a vu apparaître, sous la plume des juges, des références à un ordre juridique supérieur. Les juges du fond ont pu relever « la violation d’un principe supérieur de la défense »[884]. Par ailleurs, à l’occasion du développement des jurisprudences contra legem[885], la doctrine s’est interrogée sur les fondements de cette action. Par exemple, au regard des développements contra legem de l’appel-nullité, émanation du double degré de juridiction, le Professeur BOLARD admet que « c’est précisément le fondement de l’appel-nullité qui, au premier chef, fait problème. La jurisprudence est ambiguë. Elle invoque le plus souvent l’excès de pouvoir des premiers juges, mais nombre d’arrêts, notamment de la Cour de cassation, se gardent de cette référence »[886]. L’auteur reconnaît d’ailleurs que l’action en défiance du législateur vise à « éluder la rigueur excessive de la loi »[887]. Dans son raisonnement, le processualiste est contraint de constater que la loi s’impose au juge, que celui-ci ne peut refuser d’appliquer une règle légale interdisant l’appel que s’il se réfère à « un ordre public supérieur »[888]. Enfermé dans un discours orthodoxe, celui-ci ne perçoit, dans la hiérarchie, que l’ordre constitutionnel. On a vu qu’en l’absence de reconnaissance du double degré de juridiction à ce niveau, la doctrine postérieure a préféré parler d’ordre « para-constitutionnel »[889].
Les juristes ont aussi été sensibles à l’évolution marquante de la catégorie des droits de l’homme en quelques décennies ; évolution en forme d’une progression impressionnante et rapide qui devait légitimement solliciter les esprits. « Ils étaient nés déclaration de principe ; ils deviennent principe de droit. Pour s’intégrer au droit, ils dépendaient du bon vouloir du législateur ; il vont s’imposer au législateur lui même, s’appliquer, au besoin, contre le législateur » analyse le Professeur DELMAS-MARTY. Ces propos sont relayés par le Professeur MAYER selon lequel les principes insérés dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale sont susceptibles d’être utilisés par le juge pour contrôler les autres règles de procédure pénale[890]. Il est vrai que cette croissance de l’autorité des normes émanant des droits de l’homme, alors même qu’aucune modification notable des institutions et de la répartition des compétences ne s’opérait au cours de la cinquième République, pourrait conduire à imaginer une nouvelle forme de transmission de la puissance ou de l’autorité d’une norme, déterminant ainsi une place nouvelle dans une hiérarchie revisitée.
Les premiers réflexes ont été le retranchement derrière les thèses de l’école naturaliste. Outre les développements de l’initiateur des principes directeurs[891], on trouve des prolongements plus récents de cette idée. Certains théoriciens tel DWORKIN estiment ainsi que le juge, dans son activité d’application de la loi, peut être conduit à l’écarter au regard des droits naturels que possèdent les hommes. L’existence de ces droits est susceptible d’être établie au travers de principes, dans le cadre d’une activité d’interprétation[892]. En droit processuel, la thèse d’Henri MOTULSKY devait être récemment relayée par le Professeur BOLARD pour qui « comme tous les principes généraux du droit, les principes directeurs du procès civil rappellent les limites du positivisme juridique »[893].
Une autre explication peut être avancée. Les principes utilisés par le juge contra legem, ont nécessairement une position hiérarchique supérieure à la loi. La thèse de Bruno OPPETIT selon laquelle l’étude des principes généraux du droit démontre « qu’à l’intérieur du système juridique existe une supra-légalité, comportant elle-même plusieurs niveaux hiérarchiques, et c’est dans l’un d’entre eux, inférieur à ceux représentés par les principes de valeur universelle et les principes constitutionnels, qu’ils se situent [894]» n’apporte que des éléments très partiels de réponse. Vraisemblablement, toutes les tentatives pour donner un sens au phénomène achoppent sur une vision uniforme de la source de l’autorité normative. Pour expliquer les mouvements à travers les strates, ou entre les strates, les auteurs se raccrochent, soit à des niveaux connus (constitutionnalité, conventions internationales) soit à des niveaux inconnus, voire inexistants (para-constitutionnalité, droit naturel). Il faudrait plutôt conclure que le rapport « linéaire strict » n’est qu’une vue partielle de la hiérarchie. Il est possible de proposer une nouvelle explication fondée sur un « repère plan ».
Ce critère ne s’applique pas qu’aux principes issus de la jurisprudence[896]. Il est mis en évidence dans la Constitution du 4 octobre. Ce texte accorde logiquement une protection plus grande aux intérêts qui ont une valeur supérieure. Plus généralement, un auteur remarque que « les droits nationaux réservent la réglementation des rapports fondamentaux à des normes d’un rang plus élevé (…) en confiant les rapports sociaux d’une importance mineure à des sources du droit d’un échelon inférieur »[897]. Le loup est dans la bergerie et la hiérarchie traditionnelle comporte en son sein le critère dont personne ne souhaite reconnaître l’existence indubitable. Le droit processuel en est une illustration très parlante. La procédure pénale, discipline fortement attentatoire aux droits fondamentaux et opposant l’individu à la société, relève de l’article 34. Seul le législateur est compétent pour organiser, voire limiter la mise en œuvre de ces droits, pour en contingenter les atteintes. La procédure civile ne met en œuvre que des rapports entre particuliers. Elle bénéficie d’un formalisme et d’un intérêt moins grand en étant confiée au pouvoir réglementaire. Quelles que soient les réserves que l’on pourrait formuler à l’encontre de cette distinction, il faut admettre la différence de traitement relative à la nature des rapports sociaux en jeu dans les deux branches du droit judiciaire. Pour les principes d’origine jurisprudentielle, le phénomène est le même. Un auteur reconnaît que « les principes généraux du droit tirent formellement leur force juridique de l’intervention du juge qui les édicte, mais tiennent matériellement leur autorité et leur rayonnement de la source philosophique et morale à laquelle ils s’alimentent »[898]. L’autorité d’un principe, et donc sa position dans la hiérarchie des normes, dépend tant du critère formel (la source organique dont il provient), que d’un critère matériel, (les valeurs et/ou les utilités qui l’ont inspiré et qui sont protégées par le contenu du principe)
Le Professeur ATIAS fournit le premier élément de ce raisonnement. Celui-ci prétend qu’il existe deux types d’approches de la connaissance du droit : la première, verticale, est le guide vers la recherche d’un but supérieur que constitue le juste ; la seconde, horizontale, est constituée de l’étude des diverses sources dont la somme constitue le droit[899]. L’étude de la hiérarchie des normes doit suivre le même chemin. Elle doit s’intéresser à la quantité de justice (ou d’utilité) contenue dans chaque règle de droit et à la puissance que détient l’organe dont cette règle provient. On peut illustrer ce propos par une représentation graphique (Cf. annexe n°1).
L’intérêt d’une telle représentation et de montrer qu’un principe formellement inférieur à une règle technique[900] peut être matériellement supérieur car ce principe représente une valeur sociale plus importante que la valeur incarnée par la règle technique. Ceci explique que le juge préfère, dans cette hypothèse, appliquer le principe et écarter la règle technique[901].
La théorie du repère plan a vocation à une application générale. Si l’on déborde le cadre du droit processuel, on remarque que l’utilisation du critère téléologique apparaît parfois de façon explicite dans les arrêts de la Cour de cassation. Un exemple significatif doit être emprunté au droit social. Pour gérer une contradiction entre plusieurs normes, la chambre sociale décide non pas de régler le conflit selon la hiérarchie formelle, mais suivant un critère a priori tout à fait atypique. A plusieurs reprises, elle a pu affirmer qu’il existait un principe fondamental en droit du travail « selon lequel, en cas de conflit de normes, c’est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application »[905]. Outre la détermination d’un principe fondamental applicable en matière de conflit de normes, on doit remarquer que la Cour décide d’évacuer le mode traditionnel de règlement du conflit entre les normes du droit social (loi, règlement, convention collective, usage dans l’entreprise, contrat de travail). Il ne subsiste alors qu’un seul critère : la solution la plus favorable au salarié et donc la protection du salarié. Désormais, cette valeur devient l’élément prédominant de la hiérarchie des normes en droit du travail.
Une démarche identique est utilisée en droit processuel. La forme la plus spectaculaire en est la neutralisation d’une règle légale en application d’un principe. La matière arbitrale est particulièrement propice à créer ce type de situation. Bruno Oppetit soulignait le « malaise » ressenti face aux procédures d’arbitrage international. Complexité, inexistence des voies de recours, « manquements à la plus élémentaire loyauté composent un inquiétant tableau du type de justice dispensé par cette voie »[906]. Un litige entre deux sociétés avait été porté devant un tribunal arbitral de la Chambre de commerce international. Suite à la décision de ce tribunal, l’une des parties demandait l’annulation de la sentence prononcée qui avait, selon elle, violé le principe procédural d’égalité des parties. Face à cette demande, la Cour d’appel de Paris s’en tenait au strict respect de la hiérarchie. Certes, le principe visé existait. Il appartenait à l’ordre public international, mais ne figurait pas dans la loi de procédure choisie par les parties et ne pouvait fonder un recours en révision[907]. La Cour de cassation devait en décider autrement considérant « qu’il résulte des principes généraux du droit en matière de fraude que, nonobstant l’exclusion du recours en révision par l’article 1507 nouv. C. pr. civ., la rétractation d’une sentence rendue en France en matière d’arbitrage international doit être, exceptionnellement admise en cas de fraude lorsque le tribunal arbitral demeure constitué après le prononcé de la sentence »[908].
L’application du principe fraus omnia corrumpit, (qui transcende largement le droit processuel) prioritairement à une disposition du nouveau Code de procédure civile est inspirée par les valeurs de loyauté et d’équité. Bruno OPPETIT remarquait ainsi que l’ouverture de ce recours est déterminée par « la place prééminente occupée par les voies de recours dans l’aménagement d’un procès loyal et équitable ». Une décision arbitrale ayant été acquise en fraude vis-à-vis des principes procéduraux, ne peut être ni loyale ni équitable. Elle doit être censurée. Certes, on pourrait argumenter du fait que le Code de procédure civile n’a qu’une valeur réglementaire et que tout principe peut y déroger. Ce raisonnement n’est pas pertinent. D’une part, la Cour d’appel, qui aurait pu le tenir, préfère se référer à « la loi applicable à l’arbitrage selon la volonté des parties ». Dès lors, le principe se voyait confronté non pas à une norme administrative, mais bien à une règle choisie par les parties et ayant autorité de loi entre elles[909]. D’autre part, la Cour de cassation, en se référant au nouveau Code, ne choisit nullement de mettre en avant sa nature réglementaire pour en neutraliser l’application. On doit comprendre qu’elle aurait agi de même, si l’exclusion du recours en révision émanait d’une disposition légale. C’est le critère téléologique (axiologique en l’espèce) qui a déterminé la préférence du juge.
Certains défenseurs de la pensée axiologique ont tenté de théoriser l’attitude du juge face à ce critère. Selon cette philosophie, le juge doit nécessairement appréhender globalement la situation qui se présente à lui, en tenant compte tant des éléments de fait et de droit que des « valeurs protégées ou postulées par les règles qui s’y rapportent »[910]. Concrètement, le juge doit se demander quelles sont les « caractéristiques axiologiques du cas à résoudre » et « quelles sont les règles qui s’y rapportent »[911]. Une partie de la question judiciaire consiste dans la prise en compte du contexte axiologique et des règles les plus adaptées pour répondre à la valeur que le juge a décidé de protéger. Les magistrats ne sont pas les seuls juges des valeurs prioritaires. Bien au contraire, la qualité de leur travail réside dans la capacité qu’ils ont d’interpréter, au sein d’un contexte juridique plus global[912], quelles sont les valeurs qui dominent ce contexte ou comment se hiérarchisent les valeurs au sein de cette conjoncture.
Le travail préalable d’identification[913] a permis de faire ressortir un ensemble de valeurs qui dirigent l’action des normes procédurales. Pour autant, aucun élément ne fournit d’indication concernant leur hiérarchie. C’est là le problème essentiel qui vaut, tant pour les valeurs, que pour les utilités procédurales. La connaissance actuelle du droit par la science juridique ne propose pas d’instrument de mesure de la dimension téléologique d’une norme. D’une part, ce critère n’est pas unanimement admis au sein de la pensée positiviste et la grande majorité de la doctrine refuse de penser la hiérarchie autrement qu’en des termes organiques ; d’autre part, il n’existe aucun classement écrit ou jurisprudentiel des valeurs et utilités ou des principes. La raison en est très simple : législateur et pouvoir réglementaire se préoccupent très peu d’avoir une vision téléologique (ou politique) globale de la matière juridique. Les lois et décrets se succèdent, réformant le droit processuel par morceaux, sans souci de cohérence ; protégeant une fois la présomption d’innocence, une autre fois l’égalité des parties. Les réformes tentent de concilier parfois des intérêts aussi contradictoires que l’extension des droits de la défense et l’accélération des procédures en favorisant l’unicité du juge. Il est parfois délicat de dégager les valeurs qui inspirent ces réformes et, a fortiori, de connaître l’éventuelle hiérarchie qu’a voulu introduire le créateur de la réforme. Concernant l’action judiciaire, la question est encore plus épineuse. Les magistrats statuent au cas par cas. Chaque situation fait apparaître un contexte différent et des oppositions axiologiques ou téléologiques distinctes. Etablir une hiérarchie des valeurs et utilités relèverait de supputations bien présomptueuses. L’intérêt du critère téléologique réside essentiellement dans le fait de fournir une explication aux solutions jurisprudentielles lorsque se produit une situation conflictuelle entre deux normes, notamment lorsque ce conflit oppose un principe et une règle technique.
Pourtant, on ne doit pas croire que le critère téléologique conduise inévitablement à l’équilibre des droits. Il fait simplement apparaître plus clairement la relation entre la règle juridique et le fait social. Plus précisément, il en est tout autant la conséquence que l’indice apparent qui permet de corroborer l’hypothèse de départ concernant cette relation[917]. On doit en déduire que la tentative d’harmonisation des valeurs et utilités n’est l’apanage que des systèmes démocratiques. D’autres équilibres (ou déséquilibres) existent et correspondent à des contextes politiques et sociaux différents. Ils ne remettent pas pour autant en cause la place prise par l’origine téléologique dans l’autorité d’une norme.
La conscience humaine est encore avancée comme source de la justice et de la loi universelle. Le juriste est à la recherche de la solution juste car il ne peut supporter « un divorce entre ce qui est juste et ce qui est juridique »[924]. La loi est universelle en ce qu’elle est juste ou poursuit l’idéal de justice. Les idées naturalistes traversent et marquent profondément la plupart des courants universalistes qu’ils revendiquent ou non cette appartenance. Dans leur prolongement, l’héritage révolutionnaire[925] et la philosophie des lumières ont contribué au développement du dogme de l’universalité du droit.
Des textes plus récents confortent cette position. Les partisans de l’universalité citent inévitablement la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée le 10 décembre 1948 par l’assemblée générale des Nations Unies. Depuis ce texte, « les droits de l’homme ont un caractère d’universalité de droit sinon de fait »[926]. L’universalité n’est donc plus conçue comme un phénomène naturel mais au contraire reconnue ou proclamée. Sa légitimité réside non dans un postulat théorique mais dans un texte international proclamant que les droits de l’homme sont universels. Car ce sont bien les droits de l’homme qui possèdent ce caractère dans la pensée juridique contemporaine.
Les particularismes sont donc masqués, ignorés, voire reniés derrière la suprématie de la protection des droits de l’homme. Certains souhaiteraient que les Etats extérieurs au monde occidental fassent figure de bons élèves adoptant dans leurs déclarations les modèles de la civilisation économiquement et politiquement dominante. Ces déclarations reflètent-elles pour autant l’universalisme ? Selon le Professeur ROULAND, « tout être humain, par ce qu’il est humain, a des droits »[938]. Cette hypothèse semble contestable tant d’un point de vue théorique que technique.
a) Les principes directeurs et l’universalité des droits de l’homme
Certains Etats refusent purement et simplement de s’associer à la politique des droits de l’homme. Ce fut le cas de l’Arabie Saoudite qui rejeta l’adhésion à la Déclaration universelle des Nations Unies au motif qu’elle se trouvait en contradiction avec le Coran[943]. De même, dans une déclaration franco-chinoise du 16 mai 1997, on trouve une profession de foi dont l’ambiguïté révèle le difficile attachement à l’universalisme : « les efforts tendant à promouvoir et à protéger les droits de l’homme doivent s’exercer dans le respect (…) de l’universalité des droits de l’homme, tout en tenant pleinement compte des particularités de chacun »[944]. L’affirmation est contradictoire et l’universalité y perd tout son sens. Le respect des particularismes nationaux ou locaux est à l’évidence antagoniste à l’uniformisation des droits. De plus, l’anthropologie montre que la thématique des droits de l’homme diffère en fonction des variations culturelles[945].
On peut observer que ces droits qui sont considérés aujourd’hui comme incontournables n’ont pas toujours été présents dans le système juridique français. « L’illusion universaliste » comme la nomme un auteur, vient de l’héritage révolutionnaire[946]. Les droits de l’homme s’inscrivent en rupture vis-à-vis de l’arbitraire et du totalitarisme de l’Ancien régime. Le relativisme n’effleure pourtant pas certains auteurs de la Déclaration de 1789. Il ne s’agissait pas de produire un texte applicable seulement en France mais conçu « pour l’homme en général »[947]. La Déclaration des droits de l’homme est devenue Convention européenne des droits de l’homme🏛[948] mais les auteurs continuent d’observer qu’au-delà de la proclamation des droits, les divergences d’application demeurent. Un processualiste constate ainsi que le droit commun du procès européen demeure un idéal qui ne s’applique pas uniformément dans les Etats signataires en raison des particularismes[949].
b) Les principes directeurs et l’universalité des principes généraux du droit
Pour Henri BUCH, les principes directeurs sont les « corollaires de l’état social »[952] en ce sens qu’il expriment à un moment donné l’état des rapports entre la liberté et l’égalité des hommes. Ils n’ont pas de valeur absolue et varient en raison de l’action des différents facteurs sociaux. L’auteur poursuit en considérant que chaque société hérite des principes généraux du passé, mais elle produit aussi les siens. Ces normes rendent donc compte avant tout des « rapports tels qu’ils existent dans la réalité sociale »[953]. le Professeur GOYARD FABRE évoque dans le même sens la question des principes juridiques posés par le législateur[954]. Ces principes ne sont pas immuables. Leur contenu et leur existence sont contingents. Comme les autres règles, « ces propositions rectrices (…) sont exposées aux vicissitudes de l’histoire juridique ».
Ces réflexions théoriques sur le sort des principes juridiques établissent un lien entre l’absence de caractère universel et la possibilité de déroger, ou de modifier à loisir le contenu d’un principe. La règle universelle est-elle une règle absolue, insusceptible de dérogations ? Il s’agit là d’une question délicate qu’il est nécessaire de poser. L’argument traditionnel de la théorie universaliste est d’expliquer que les droits qui sont universels sont mis en œuvre dans le respect du pluralisme ou des particularismes[955]. La possible dérogation à un droit ne serait-elle pas au contraire la preuve de sa relativité générale (au regard de son application, dans le temps et dans l’espace) ? Le fait qu’un droit puisse plier devant certaines contraintes ne permet-il pas de démontrer que ce droit n’a pas vocation à s’appliquer systématiquement, donc universellement ? Un exemple est significatif à cet égard.
L’article 2 de la CESDH consacre le droit à la vie. Pour autant, dans deux arrêts de la CEDH relatifs à des opérations de police ayant conduit au recours à la force meurtrière, l’atteinte à la vie a été admise sous certaines conditions[956]. Dans le premier arrêt, la Cour affirme le caractère éminent du droit à la vie considéré comme « l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe ». D’un autre coté, elle applique strictement la Convention qui autorise le recours à la force meurtrière, notamment pour assurer la défense d’autrui contre la violence illégale. En application de cette jurisprudence, la Cour a rejeté l’hypothèse de la violation de la Convention pour une opération de police visant à délivrer une jeune femme prise en otage par son fiancé qui menaçait de la tuer alors que cette action policière a conduit à la mort des deux jeunes gens.
La CEDH fait une application parcimonieuse du droit d’attenter à la vie. Il n’en reste pas moins que le droit à la vie subit en l’espèce d’importantes dérogations. Peut-on rejeter l’universalité de ce principe au regard des dérogations qui lui sont infligées ? Certains auteurs semblent affirmer le contraire. Un philosophe constate ainsi l’ambivalence des normes sociales et juridiques dont la prétention est l’universalisme alors que leur application subit d’importantes dérogations[957]. Ce dernier estime ainsi que la justification philosophique de la dérogation « est un hommage rendu à l’universalité de la règle » [958]. Une telle affirmation est séduisante mais il semble au contraire que les exceptions mettent en évidence l’existence de règles qui viennent contrarier le principe dans la mesure où l’application de ce principe ne se justifie pas systématiquement. La relativité qui fait partie de la définition de chaque norme juridique et particulièrement de chaque principe, semble incompatible avec l’idée d’universalité. Cette observation s’applique aux principes de procédure. Ces derniers sont d’autant moins universels que le droit processuel ne possède pas ce caractère.
c) Les principes directeurs et l’universalité du droit processuel
L’idée d’universalité existait déjà sous l’Ancien Régime. Au 18ème siècle, on estimait que les règles inscrites dans l’ordonnance de 1670 étaient « fondées sur des principes inébranlables justifiés par l’expérience la plus constante contre laquelle viendront toujours échouer des systèmes enfantés par un esprit de contradiction et de nouveauté »[963]. L’ordonnance de 1670 énonçait les principes suivants : le serment imposé à l’accusé, le secret de la procédure, l’absence d’avocat, le système des preuves légales et la pratique de la « question ». Il semble bien que la plupart de ces principes aient été renversés alors même qu’on prétendait ces prescriptions immuables. L’histoire suggère à un auteur la réflexion suivante : « publicité, droits de la défense, l’attachement à ces dispositions nous paraît aller de soi, mais elles n’allèrent pas toujours de soi et s’il en est ainsi maintenant, nous le devons pour une très large part aux hommes des lumières »[964]. La procédure dépend des convictions politiques, mais aussi des croyances. Ceci est particulièrement vrai en droit de la preuve.
« Attendu qu’il est de notoriété publique au Gabon que les hommes se changent soit en panthère, soit en gorille, soit en éléphant…
Attendu que les transformations des hommes en animaux féroces ont en vue de ne pas effrayer le gibier… que J.A. parti en chasse sans arme, n’en avait pas besoin, puisqu’il pouvait prendre du gibier autrement qu’avec une arme…
Attendu que le tribunal a l’entière conviction que J.A. s’est transformé en chimpanzé… ; que E.B. notable, ancien combattant, ne pouvait pas tirer en plein jour sur un homme contre lequel il n’avait aucun antécédent défavorable… »
La recherche de la vérité ne peut suivre les mêmes règles de procédure dans toutes les cultures car ces règles sont elles mêmes déterminées par la force de persuasion qu’elles détiennent. Cette fonction de persuasion est « étroitement liée au mécanisme mental, aux croyances qui prédominent dans les sociétés où elle s’exerce »[966]. Celui qui défend cette opinion en déduit que le régime des preuves varie en fonction du crédit qui est accordé à ces preuves. L’adoption du principe de liberté dans la recherche des preuves ne confère pas aux éléments recueillis la valeur de certitudes. Pour cette raison, le principe de loyauté vient renforcer la légitimité des preuves rapportées librement. Les principes sont donc déterminés par la capacité qu’ils ont à rendre un élément probatoire crédible aux yeux des juges, mais aussi des justiciables.
En procédures civile et pénale, c’est l’article 6 de la CESDH qui fait figure de droit commun processuel. Il définit un ensemble de principes susceptibles d’être appliqués dans tous les systèmes juridiques des Etats composant le Conseil de l’Europe. Au-delà de la Convention, le Conseil de l’Europe tend à développer le mouvement d’uniformisation sur un mode non contraignant. Une recommandation adoptée par le Conseil des ministres en 1984 se fonde sur l’article 6 de la Convention pour proposer des principes de procédure civile[976]. En procédure pénale, les premiers pas de l’harmonisation ont pris la forme d’un corpus juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne[977]. Partant du principe selon lequel le budget de l’Union européenne constitue « l’expression concrète d’un véritable patrimoine commun[978] aux citoyens de l’Union »[979] et que les atteintes à ce patrimoine présentent une certaine gravité, un groupe d’universitaires a élaboré un corpus de règles de droit pénal et de procédure pénale applicables devant les instances communautaires. Elles ont vocation à définir les fondements d’un droit processuel commun applicable dans un « espace judiciaire européen »[980]. On y retrouve l’énoncé de principes directeurs tels que celui du contradictoire, de la garantie judiciaire, le rejet de la preuve obtenue en violation des droits fondamentaux consacrés par la CESDH, le secret de la mise en état et la publicité des débats, la présomption d’innocence, et les droits de la défense. Le corpus juris prévoit, outre ces principes, la création d’un ministère public européen, véritable autorité judiciaire de l’Union, indépendant, indivisible et solidaire, ayant en charge la conduite de la phase préparatoire et des poursuites devant la juridiction de jugement.
Regroupés autour de valeurs communes, les principes juridiques définis en droit communautaire et européen représentent une communauté de droits sur le territoire européen. Leur efficacité est renforcée par leur protection juridictionnelle.
Les principes directeurs ne possèdent donc pas le caractère de l’universalité. Tout au plus, certains de ces principes débordent le cadre national pour atteindre le droit européen. Le droit processuel commun est donc celui des principes, mais son application uniforme demeure très relative. La même relativité est attachée à un autre caractère que l’on tente de reconnaître aux principes procéduraux : celui de la consubstantialité.
Le doyen VIZIOZ constatait que le principe domine toutes les procédures qu’elles soient civile, administrative, pénale ou disciplinaire et qu’il constitue « la garantie nécessaire d’une élémentaire justice[992]. Le principe garantit la justice ; cette justice est la finalité ultime du procès ; le contradictoire est donc consubstantiel à tout procès. Les Professeurs CORNU et FOYER estiment que ce principe « est de l’essence du procès, il lui donne sa forme qui est normalement celle d’un débat contradictoire »[993]. Plus généralement, les deux éminents processualistes estiment que ce sont les droits de la défense qui rapprochent le procès civil des autres espèces de procès[994]. Cette doctrine est relayée en droit public par Henri BUCH pour qui les droits de la défense « constituent le critère même de l’existence d’un juge »[995].
Peu à peu, l’idée de consubstantialité fut développée à propos d’autres principes. Le droit à être jugé par une juridiction indépendante et impartiale fut ainsi qualifié de « symbole de l’idée de démocratie appliquée au procès »[996]. De son coté, le Professeur MORVAN évoque des principes dont la faculté est de « déambuler » dans différentes branches du droit. Pour cet auteur certains principes de procédure sont présents dans toutes les formes de procès mais il ne s’agit que des « principes les plus consubstantiels à la notion de procès, à l’office même du magistrat (…) Ils imprègnent tout ordre juridique digne de ce nom »[997]. Sont ainsi cités, l’incontournable principe du contradictoire, mais aussi les droits de la défense, ceux contenus dans l’article 6§1 de la CESDH, le principe jurisprudentiel de l’égalité des armes, et enfin celui de la motivation des décisions de justice[998]. Les principes consubstantiels au procès se démarquent des autres normes du droit processuel en ce que leur application est généralisée.
Les allusions doctrinales à la consubstantialité de certains principes directeurs et du procès sont nombreuses et reposent sur des raisonnements apparemment cohérents. Dans le droit positif, la thèse de la consubstantialité est corroborée par un certain nombre d’exemples de principes applicables devant toutes les autorités juridictionnelles. Ces principes constitueraient donc un noyau dur de normes attachées à la fonction juridictionnelle. Il est possible de démontrer au contraire, que ces principes ne sont pas intimement attachés à toutes les formes de procès mais dépendent de la fonction qui est assignée à l’autorité juridictionnelle. La consubstantialité des principes est donc toute relative.
On constate dans un premier temps que le procès politique ignore la plupart des principes reconnus pour être consubstantiels (A). On pourrait répliquer que le particularisme de ce procès ne permet pas de le considérer comme une forme moderne de résolution des conflits. Il faut remarquer dans un second temps, que le procès démocratique connaît lui aussi, de nombreuses applications dérogatoires aux principes dits « consubstantiels » (B).
Dès son premier interrogatoire, FOUQUET demanda à être jugé par le parlement et mentionna qu’aucun acte de procédure ne lui avait été signifié. Plus tard, il se plaindra encore qu’aucun document de la procédure ne lui soit accessible estimant injuste que ces pièces ne puissent être utilisées que par l’accusation[1008]. Les perquisitions qui ont été faites chez lui l’ont été en son absence et FOUQUET soutiendra qu’on lui a dérobé les preuves de son innocence. COLBERT se chargera lui même de faire pression sur certains magistrats trop scrupuleux et indépendants. Pourtant, seule l’accusation de malversation fut retenue alors que la lèse-majesté fut déclarée infondée. Après cinq jours de délibéré, il n’y eut que neuf voix sur vingt deux pour réclamer la peine capitale requise par le Procureur général et souhaitée par le roi. FOUQUET fut finalement condamné au bannissement. Une sanction qui équivalait à la liberté. Louis XIV devait alors commuer la peine en réclusion à perpétuité.
Outre les malversations financières qu’il avait effectivement commises, FOUQUET était surtout un adversaire politique de COLBERT qui réussit à retourner le roi contre lui. Son procès prenait dès lors des allures politiques renforcées par le projet de retrait à Belle-Ile. La procédure fut entièrement dirigée dans le sens de la culpabilité et de la condamnation. Nombre de principes essentiels furent violés. Celui de l’indépendance des magistrats, condition nécessaire de leur impartialité ; celui des droits de la défense et notamment du contradictoire, par l’impossibilité pour FOUQUET d’accéder aux pièces de son dossier ; celui de la présomption d’innocence, par la dissimulation vraisemblable de documents établissant son innocence ; celui enfin de l’autorité de la chose jugée puisque Louis XIV avait en définitive commué la peine de bannissement en réclusion. Les règles de procédure furent adaptées à la fonction même de ce procès qui était destiné à asseoir le pouvoir du roi dans son règne naissant et en conséquence, à écarter les personnalités susceptibles de faire ombrage à ce pouvoir.
Le procès politique vise à protéger une personne, une puissance, une idéologie. On retrouve cette idée avec le procès politique soviétique.
« Confier au NKVD de l’URSS :
les cas de 14 700 personnes qui se trouvent dans les camps de prisonniers de guerre, anciens officiers polonais, fonctionnaires, propriétaires terriens (…)
ainsi que les cas de 11 000 personnes arrêtées qui se trouvent dans les prisons des régions occidentales de l’Ukraine et de la Biélorussie, membres de diverses organisations contre-révolutionnaires d’espionnage et de subversion, anciens propriétaires terriens, industriels, anciens officiers polonais, fonctionnaires et transfuges – à examiner selon la procédure spéciale, avec application à ceux-ci de la peine capitale, par fusillade.
L’examen de ces cas doit être fait sans convoquer les personnes arrêtées et sans leur communiquer l’accusation, ni la décision de clore l’enquête, ni la condamnation finale selon la procédure suivante :
Pour les personnes qui se trouvent dans les camps de prisonniers de guerre, en utilisant les documents présentés par la direction pour les prisonniers de guerre du NKVD de l’URSS.
Pour les personnes arrêtées, en utilisant les documents des dossiers présentés par les NKVD de l’Ukraine et de la Biélorussie.
Confier l’examen des dossiers et l’exécution de la décision à la troïka tribunal d’exception (…) ».
Nul n’est besoin de commenter ces lignes qui relatent les moments les plus sombres du stalinisme. Les procès politiques ont eu lieu pendant la période stalinienne mais se sont aussi poursuivis après la mort du dictateur. Leur étude montre que malgré l’adhésion de l’URSS aux principes énoncés notamment dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies[1011], les règles de procédure nationales ont été adaptées à l’objectif de protection du régime politique[1012]. Cette négation des principes dits consubstantiels pouvait être inscrite dans les textes, mais, dans la plupart des cas, elle relevait de la pratique procédurale. En apparence, aucune procédure spéciale n’était appliquée au délinquant politique. En réalité, les principes directeurs du procès étaient déformés et détournés.
La présomption d’innocence présente une définition tout à fait ambiguë dans la Constitution soviétique dont l’article 160 prévoit que « nul ne peut être reconnu coupable d’avoir commis une infraction, ni également faire l’objet d’une sanction pénale autrement que par jugement d’un tribunal et conformément à la loi ». Ce texte ne reconnaît pas réellement la présomption d’innocence. Pour Mme Marie, « on se trouve en fait à égale distance entre une présomption d’innocence et une présomption de culpabilité, ce qui revient à déposséder le principe de sa valeur »[1013]. La pratique révèle en effet que la presse d’Etat dénonce comme délinquants politiques des personnes avant même qu’elles ne soient jugées voire arrêtées.
Durant la phase préparatoire du procès, le Code de procédure pénale dispose : « le défenseur est autorisé à participer à l’affaire à partir du moment où la clôture de l’instruction préparatoire est notifiée à l’inculpé ». Le défenseur n’est donc pas présent pendant toute l’instruction du dossier. Les droits de la défense sont officiellement violés. La personne poursuivie dispose théoriquement, en vertu de l’article 48 du Code de procédure pénale🏛 de la liberté de choisir son défenseur, mais ce droit est exclu lorsqu’il s’agit d’un dossier politique. Une autorisation spéciale, le « dopusk », est nécessaire pour assurer la défense dans des dossiers qui ont été instruits par le KGB[1014]. Cette autorisation peut être refusée simplement en cas d’échec de l’avocat aux tests d’obédience politique.
L’indépendance des magistrats n’est pas non plus garantie par la procédure soviétique. D’une part, les juges sont élus sur des listes établies par le parti communiste, d’autre part, leur mandat de courte durée (cinq ans) soumet le prolongement de leur carrière à leur docilité[1015]. Le parti organise de même l’avancement et l’affectation des magistrats ; s’occupe de leur formation politique ; contrôle leur activité. Dans les affaires politiques, la décision est dictée par le KGB aux magistrats[1016].
La publicité des débats enfin est théoriquement garantie par l’article 157 de la Constitution selon lequel « l’audience dans toutes les cours et tous les tribunaux est publique (…) le huis clos ne peut être prononcé que dans les cas définis par la loi et dans le respect de toutes les règles de procédure ». Dans les faits, l’accès de la salle est soumis à la présentation d’un laissez-passer et l’auditoire est sélectionné. Plus exceptionnellement, le huis-clos est prononcé au motif que « l’affaire constitue un secret d’Etat »[1017].
Violation de la présomption d’innocence, des droits de la défense, inexistence de magistrats indépendants et impartiaux, publicité fictive, ainsi sont appliqués quelques-uns des principes essentiels du procès. Bien que dérogatoire à de nombreux principes, le mode de jugement et de condamnation politique en URSS conserve les caractères d’un procès. La délinquance politique est inhérente au système communiste. On explique ainsi que « le système repose sur le postulat implicite qu’il n’y a pas – et ne peut pas avoir – d’opposition au système politique, quelle qu’elle soit. La société soviétique se veut une société harmonieuse, fondée sur un consensus populaire, ignorant tout conflit social ou politique »[1018]. D’un autre coté, il s’agit de protéger le rôle dirigeant du parti communiste. Le procès est un mécanisme qui contribue à « étouffer toute contestation ou protestation sociale ou politique »[1019]. Il s’agit d’un instrument qui vise à assurer la suprématie du pouvoir politique. Pour autant, il s’agit bien d’un procès opposant un individu au ministère public et tranché devant un tribunal. La définition des principes directeurs du procès judiciaire dépend de la finalité que l’on attribue à la poursuite et à la condamnation. Les règles de procédure varient en raison de la fonction assignée au procès. On observe le même phénomène dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Dans le Code de procédure pénale, ce particularisme procédural s’exprime de différentes façons. Les articles 706-16 et suivants de ce Code prévoient que la poursuite des infractions terroristes se déroule conformément au droit commun mais comporte un certain nombre de règles dérogatoires. Parmi celles-ci, on retrouve la possibilité de prolonger de quarante huit heures la garde à vue[1025] ou de procéder aux perquisitions, visites domiciliaires et saisies sans l’assentiment de la personne chez laquelle elles ont lieu et en dehors des heures prévues par principe à l’article 59 du Code[1026]. Dans la loi du 15 novembre 2001🏛, relative à la sécurité quotidienne[1027], les moyens procéduraux de lutte contre le terrorisme ont été sensiblement développés. Sur réquisition du Procureur de la République, les officiers de police judiciaire peuvent procéder à des visites de véhicules se trouvant sur une voie publique ou dans un lieu ouvert au public. Lors d’une enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention peut autoriser des perquisitions, visites domiciliaires ou saisies de pièces à conviction, sans l’assentiment de la personne chez qui ces mesures ont lieu contrairement à la règle posée par l’article 76 du Code de procédure pénale🏛. Dans un autre domaine, par dérogation à la règle de l’anonymat des télécommunications, la loi permet que certaines informations relatives à ces communications soient mises à la disposition de l’autorité judiciaire en vue d’être exploitées dans le cadre de poursuites pénales contre des infractions terroristes.
Le caractère dérogatoire de la procédure se poursuit avec l’extradition. Alors que le droit extraditionnel exclut de son champ d’application les infractions dont la nature est politique ou encore interdit l’extradition lorsqu’elle est motivée par un but politique[1028], une Convention européenne de 1977[1029] écarte dans son premier article un certain nombre d’infractions terroristes du champ de la délinquance politique[1030]. Ainsi, les infractions terroristes sont susceptibles de donner lieu à une extradition. Cette attitude est révélatrice du paradoxe qui habite la répression à l’égard du terrorisme. D’un point de vue théorique, cette criminalité met en péril la stabilité de l’Etat et la sécurité de ses citoyens. Elle est donc éminemment politique. D’un autre coté, il est nécessaire de traiter le terrorisme avec plus de rigueur que l’infraction politique traditionnelle[1031]. Le droit positif consacre donc un statut particulier à cette délinquance. La poursuite et la répression des crimes et délits qui en découlent sont particulières. Elles atteignent le droit processuel technique mais peuvent aussi conduire à mettre en cause les droits fondamentaux ou les principes dits consubstantiels.
Concernant les pratiques policières en matière de lutte contre le terrorisme, certains Etats ont été condamnés par la CEDH sous le visa de l’article 3 de la CESDH relatif à la torture et aux traitements inhumains et dégradants. Le problème de la torture n’est pas soulevée par la doctrine à propos de la question de la consubstantialité. Il est vrai que le principe de dignité tient plus à l’homme qu’au procès. Pour autant, la torture est tout aussi bien un mode d’humiliation qu’une manière de recueillir une preuve. L’interdiction de la torture dans la recherche des preuves - autrement dit le respect du principe de dignité – serait-elle inhérente à la notion même de procès ? Une réponse positive devrait emporter une adhésion assez large. Il faut pourtant s’interroger une nouvelle fois sur l’incidence de la fonction du procès sur l’interdiction de la torture. Outre l’institution de la « question » par l’inquisition, il est intéressant de remarquer que la pratique de la torture accompagne le procès politique au cours de l’histoire. Cette pratique fut introduite par le droit romain à l’encontre des hommes libres uniquement dans les affaires de lèse-majesté[1032]. Cette idée se retrouve chez les philosophes des Lumières puisque VOLTAIRE, dans sa critique du système inquisitoire, reconnaît qu’il faut maintenir la torture « pour permettre à l’autorité de connaître les complices d’un crime de lèse-majesté »[1033].
La pratique de la torture ou des traitements inhumains et dégradants est présente aujourd’hui même dans les Etats démocratiques, à en croire les nombreuses condamnations de la CEDH. En France, l’affaire Tomasi[1034] fut la première et retentissante condamnation en la matière. M. TOMASI soupçonné d’être impliqué dans une tentative d’assassinat perpétrée par le FLNC se plaignait d’avoir subi des sévices au cours de sa garde à vue. L’unanimité de la Cour fut acquise sur la violation de l’article 3 de la Convention. Au Royaume Uni, la CEDH condamna sur le même fondement les mesures d’exception et traitements infligés à des détenus[1035]. Au début des années 70, le pouvoir britannique avait fait usage pour combattre le terrorisme de l’armée républicaine irlandaise, de procédures d’exception en Irlande du nord. La CEDH saisie du dossier par l’Irlande révèle l’existence d’« interrogatoires poussés » comprenant l’encapuchonnement des détenus, leur exposition à des sifflements bruyants, des privations de sommeil, alimentaires, des techniques de « privation sensorielle » ou de « désorientation » appliquées durant plusieurs jours. La Cour rejette le qualificatif de torture mais retient les traitements inhumains et dégradants. Le même phénomène se retrouve en Turquie dans le cadre de la lutte contre les kurdes indépendantistes du PKK. En novembre 1992, un ouvrier kurde fut arrêté et soupçonné d’être un membre actif du PKK. Il fut soumis à une pratique appelée « pendaison palestinienne » consistant dans la pendaison par les bras. Il aurait de même subi de multiples coups et décharges électriques. Suite à cet interrogatoire, l’ouvrier devait perdre l’usage de ses bras. La Cour européenne conclut une nouvelle fois à la violation de l’article 3 sous la qualification de torture[1036].
Les atteintes à la dignité sont donc régulièrement condamnées par la CEDH. Les sanctions sont infligées à des Etats membres du Conseil de l’Europe et ayant pris à ce titre un certain nombre d’engagements dans le domaine du droit processuel. Il n’en reste pas moins que face au phénomène du terrorisme, ces Etats recourent à des procédures ou des pratiques qui dérogent manifestement au principe de dignité considéré comme un droit absolu au sens de l’article 15 de la CESDH. Le fait est que le terrorisme est une criminalité à caractère exceptionnel. La poursuite et le jugement de ces infractions présente le même caractère et peut conduire à remettre en cause les principes les plus essentiels du procès. Dans le droit processuel français, le particularisme n’est pas réservé à la lutte contre le terrorisme et s’étend, en raison de leur gravité et des difficultés liées à leur répression, à d’autres types de délinquances. Une telle situation ne fait que renforcer l’idée selon laquelle les principes procéduraux peuvent être défaillants dans le procès démocratique.
En procédure pénale, jusqu’à un récent revirement de jurisprudence, on retrouvait des hypothèses similaires de décisions juridictionnelles prises sans que la personne poursuivie n’ait été entendue ou que son avocat ai pu la défendre. L’article 410 du Code de procédure pénale🏛 prévoit ainsi que le prévenu régulièrement cité à personne qui ne comparait pas et n’est pas excusé sera jugé contradictoirement en son absence. La jurisprudence décidait alors que son défenseur ne pouvait être entendu[1046]. Si la peine encourue est inférieure à deux ans, il pouvait néanmoins demander à être jugé en son absence et cette demande ouvrait le droit pour son avocat de plaider[1047]. Le législateur soucieux d’éviter la multiplication des jugements rendus en l’absence du prévenu a introduit, à l’occasion de la loi du 8 février 1995🏛, un article 410-1 dans le Code de procédure pénale🏛. Cette disposition permet au tribunal de renvoyer l’affaire et de décerner un mandat d’amener lorsque la peine encourue pour l’infraction poursuivie est supérieure à deux ans. L’application de ces dispositions a pu conduire à des situations tout à fait surprenantes. Une personne poursuivie avait interjeté appel d’un jugement par itératif défaut qui l’avait condamnée pour conduite malgré une suspension de permis de conduire[1048]. Le jour de l’audience devant la Cour d’appel d’Agen, le prévenu était retenu devant le Tribunal correctionnel de Brive. Il demandait ainsi à la Cour un renvoi de l’affaire par l’intermédiaire de son avocat. Il fut pourtant jugé contradictoirement par la juridiction du second degré. Dans un pourvoi en cassation, le condamné prenait appui sur les articles 6§1 et §3 de la CESDH pour développer la thèse selon laquelle son absence lors de l’audience ne devait pas permettre à la Cour de refuser d’entendre le défenseur. La Cour de cassation rejetait le pourvoi se fondant sur le fait que l’audience d’appel avait été retardée pour permettre au prévenu de s’y rendre. Dépourvu de l’excuse prévue à l’article 410 du Code de procédure pénale🏛, la personne poursuivie ne pouvait demander à ce que son avocat fut entendu en son absence. La Cour de cassation devait ainsi décider que la Convention européenne des droits de l’homme🏛 « ne confère pas à la personne poursuivie la faculté de s’abstenir de comparaître en justice, mais lui accorde seulement le droit, si elle se présente, de se défendre personnellement ou avec l’assistance d’un conseil »[1049].
Cette solution a changé sous l’impulsion de la jurisprudence européenne. Dans un arrêt du 23 mai 2000[1050], la CEDH a condamné la France en visant les articles 6§1 et 6§3 c) au motif qu’un prévenu avait été jugé en son absence et que ses avocats n’avait pas été autorisés à assurer sa défense au fond. Dans un arrêt du 13 février 2001, c’est la procédure de contumace française qui à été censurée par la Cour européenne[1051]. En vertu de l’article 630 du Code de procédure pénale🏛, l’accusé contumax se voit interdire toute défense. Dans sa décision, la Cour a décidé que l’exercice des droits de la défense ne pouvaient être soumis à l’arrestation de l’intéressé ou a ce que ce dernier se constitue prisonnier. En d’autres termes, lorsque la personne poursuivie pour crime ne comparait pas devant la Cour d’assises, cette dernière doit pouvoir faire valoir sa défense par l’intermédiaire de son avocat. Dans un arrêt d’assemblée plénière en date du 2 mars 2001, la Cour de cassation s’est rangée à cette solution en matière correctionnelle[1052]. Se référant directement à la CESDH, la juridiction française affirme que « Le droit au procès équitable et le droit de tout accusé à l’assistance d’un défenseur s’opposent à ce que la juridiction juge un prévenu non comparant et non excusé sans entendre l’avocat présent à l’audience pour assurer sa défense ».
Il faut donc admettre aujourd’hui que le respect du principe du contradictoire progresse en procédure pénale. Pour autant les hypothèses citées précédemment montrent que ce principe peut disparaître du procès pour une raison évidente : celle de l’efficacité de la justice. En l’absence de l’une des parties au procès, son adversaire doit pouvoir obtenir une décision de justice. Le conflit doit pouvoir être résolu provisoirement (par défaut) ou définitivement (contradictoire). Si l’une des deux parties se soustrait à son obligation de se présenter devant les juges, qu’elle ne présente pas d’avocat ou qu’elle s’abstient de s’exprimer, elle refuse par là même la discussion inhérente au procès. C’est en fait le procès lui-même qui perd son aspect dialectique car l’un des contradicteurs a omis de se défendre. L’essence du procès n’est donc pas systématiquement la discussion. L’essentiel est surtout d’obtenir une décision de justice. Parfois ce sont les droits de la défense qui sont plus généralement négligés.
En matière de protection des personnes vulnérables, le droit processuel présente un particularisme qui découle des droits substantiels en cause. Le juge qui dispose d’une place privilégiée dans ce contentieux partage difficilement ses prérogatives. Les magistrats disposent de pouvoirs renforcés. Il s’agit notamment du juge des tutelles et du juge des enfants devant lesquels, « ce sont les dispositions liminaires du nouveau Code de procédure civile qui sont ainsi prises en défaut mais aussi les principes de l’organisation judiciaire »[1055]. L’impartialité du magistrat peut être remise en cause notamment par la faculté de se saisir d’office[1056]. De même, les examens demandés par le juge des enfants en matière d’assistance éducative ne connaissent pas le principe du contradictoire. Le juge peut procéder à des enquêtes sociales, des études de personnalités, des examens médicaux et psychiatriques qui vont servir à fonder sa conviction sur la situation du mineur. Ces actes n’obéissent pas aux principes qui guident la procédure d’expertise visée aux articles 263 et suivants du nouveau Code de procédure civile[1057]. Avec l’assistance éducative ou les régimes de protection des majeurs, on se trouve au croisement de plusieurs dimensions du procès. Le juge ne se contente pas de trancher un litige, il protège, administre, se substitue à d’autres autorités. Les principes directeurs doivent s’adapter à la diversité des fonctions du juge. Ils ne peuvent s’imposer uniformément dans tous les procès.
Historiquement, la forme première du procès était purement accusatoire et peu institutionnalisée. C’est le temps de la justice privée. Puis l’église va trouver dans le procès un instrument de pouvoir. Elle instaure la procédure inquisitoire « née du projet théologique d’un juge apte à dégager seul la vérité judiciaire d’essence divine »[1059]. Enfin, la procédure mixte connaît son développement laissant aux parties et au juge de larges pouvoirs visant à favoriser la découverte de la vérité. Les trois formes de procès qui se sont succédées en France symbolisent cette adaptation nécessaire des modes de résolution des litiges à leur environnement social. Un auteur estime ainsi que le procès est l’instrument d’un appareil d’Etat « qui impose son orthodoxie »[1060]. Pour un autre, l’Etat protège et défend ses institutions grâce au droit pénal et au procès[1061]. Ces affirmations valent en ce qui concerne les pouvoirs politiques puissants, autoritaires ou totalitaires. Dans un Etat démocratique, l’enjeu social du procès n’est pas négligeable. Le pouvoir politique doit garantir les droits individuels ; il doit encore rendre compatible l’exercice de ces droits avec les intérêts publics ; il doit enfin imposer la légitimité de l’institution juridictionnelle. Pour cela, il garantit l’impartialité des juges ou assure la publicité de l’audience. Le droit processuel s’organise alors autour d’une conciliation de valeurs ou d’utilités parfois antagonistes.
Au gré des finalités et des fonctions sociales du procès, les principes se développent ou au contraire disparaissent. En conséquence, il n’est pas de principe qui soit attaché à toutes les formes de procès. Si certains principes tels le contradictoire, les droits de la défense, ou encore l’impartialité trouvent une application généralisée dans le droit français, cela résulte de la fonction qui est attribuée au procès : dire le droit et trancher les litiges au regard des prétentions de chacune des parties. Si une relation de consubstantialité peut exister, il faut la relativiser. La consubstantialité n’existe que pour certains principes particulièrement liés à certaines formes de procès. La consubstantialité est donc un caractère relatif des principes directeurs. Un autre caractère est quant à lui incertain. Il s’agit de la primauté des principes directeurs.
Les principes directeurs forment une catégorie autonome en ce qu’ils se distinguent des autres normes du droit processuel. Ces dernières sont désignées sous le terme de « règles techniques ». Par exemple, l’article 9-1 du Code civil🏛 énonce dans un premier alinéa le principe de la présomption d’innocence[1064]. Dans un second alinéa, il prévoit un ensemble de règles techniques destinées à la protection de ce principe : une action en référé pour faire cesser une atteinte à la présomption par l’insertion d’une rectification ou par la diffusion d’un communiqué et une action en dommages et intérêts pour réparer d’éventuels préjudices consécutifs à cette atteinte. Cet exemple illustre le fait qu’un principe peut être à l’origine d’une ou plusieurs règles techniques dont la raison d’être réside dans la mise en œuvre du principe. Telle est la signification donnée au caractère de la primauté : les règles techniques trouvent leur fondement matériel dans l’existence d’un principe et ce dernier connaît une application effective grâce aux règles techniques prises pour son application. Cette notion de primauté semble rejoindre les travaux de certains théoriciens sur la dichotomie entre normes primaires et normes secondaires.
Chez les publicistes, la question s’est posée notamment avec le développement des principes généraux du droit dégagés par le Conseil d’Etat. Ces principes sont-ils à l’origine, ou au contraire, ne forment-ils que les conséquences des règles textuelles existantes ? La doctrine s’est divisée à ce propos. Pour le Doyen George VEDEL, ces principes ne sont pas créés arbitrairement par le juge mais « extraits du droit positif à un moment donné »[1071]. Henri BUCH reprend cette idée en affirmant que dans l’ordre chronologique, il paraît évident que « les normes précèdent les principes généraux »[1072]. Son raisonnement est le suivant : les hommes établissent d’abord des règles concrètes pour gouverner leurs actes. Plus tard, lorsque les rapports sociaux deviennent stables et généraux, ils permettent de construire des mécanismes juridiques plus généraux et « c’est à partir des normes que se dégagent les principes généraux »[1073]. Les deux auteurs décrivent ainsi un phénomène d’induction : les principes ne sont que des généralisations de règles techniques positives préexistantes. Cette opinion est contestée par un autre publiciste selon lequel les principes généraux du droit ne sont pas que les prolongements du droit écrit. Ils ne trouvent ni leur autorité ni leur fondement dans les textes[1074]. Les principes dégagés par le juge sont au contraire « le produit d’aspirations latentes de la conscience nationale qui s’imposent à lui avec une force toute particulière »[1075]. Les principes ne sont donc pas des conséquences du droit écrit, ou des règles techniques.
Il parait difficile de prendre position sur cette controverse. D’une part, les auteurs qui se sont prononcés sur la question semblent opposer principes jurisprudentiels et droit écrit. Nous adoptons un autre angle de vue en regardant globalement le droit positif comme étant composé de principes et de règles techniques. D’autre part, il n’est pas certain qu’une réponse tranchée puisse être extraite de l’observation du droit positif. Par exemple, Henri BUCH est revenu partiellement sur ses premières affirmations, reconnaissant en définitive l’existence d’un double phénomène d’induction et de déduction[1076] : le principe est « le produit de la systématisation des phénomènes, (il) trouve son origine dans la réalité »[1077]. Une fois qu’il est dégagé de cette « réalité », le principe devient à son tour une source d’inspiration pour de nouvelles normes juridiques. Henri MOTULSKY reconnaît lui aussi l’ambivalence des principes généraux du droit[1078]. Certains sont de simples « constructions de droit positif élaborées à partir de règles tout aussi positives » ; d’autres au contraire, sont des « traductions juridiques d’exigences supérieures lesquelles sont considérées comme préexistantes à la norme positive »[1079]. Ces deux auteurs défendent des positions similaires sans être identiques. L’un met en évidence le double mouvement d’induction et de déduction qui existe entre principes et règles techniques ; l’autre sépare les principes qui proviennent uniquement d’une induction à partir du droit positif et ceux qui ont pour origines des normes extérieures au droit positif.
La diversité des réflexions antagonistes ou complémentaires sur la question de la primauté rend nécessaire l’exploration du phénomène en droit processuel en faisant la part de la déduction (§ 1) et de l’induction (§ 2).
La structure de l’article 5 de la CESDH suggère le phénomène déductif. Le principe est posé en tête d’article ; les stipulations d’ordre technique suivent son énoncé dans un certain ordre. On conçoit aisément que les règles techniques ne soient que des modalités d’application - conformes ou dérogatoires - du principe de liberté. D’ailleurs, cette présentation formelle rejoint le syllogisme qu’opère le juge à l’égard de ce principe. Par exemple, le Conseil constitutionnel a décidé dans sa décision Sécurité et Liberté[1084] qu’en matière de prolongation de certaines gardes à vue, l’article 66 de la Constitution exigeait « l’intervention d’un magistrat du siège ». La déduction opérée par le juge constitutionnel sur la base de cet article qui énonce notamment le principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle, est celle du contrôle de la garde à vue par un juge du siège. On peut comparer cette déduction avec celle présente dans l’article 5§3 selon laquelle la personne placée en détention a droit à un recours devant un juge. Le contrôle de la garde à vue ne peut être assimilé au recours juridictionnel contre la décision de placement en détention provisoire. Cependant, le processus de protection juridictionnelle de la liberté procède du même mécanisme de déduction qu’il s’agisse de l’interprétation juridictionnelle d’un principe inscrit dans la Constitution ou de la mise en œuvre d’un principe de la CESDH par une règle technique issue du même texte.
On retrouve ce phénomène de correspondance dans le nouveau Code de procédure civile. Le droit à un procès public[1085] ou principe de publicité des débats est énoncé à l’article 22. Présent dans les « dispositions liminaires » du Code, ce principe est formellement intégré à la catégorie des principes directeurs du procès. On le retrouve plus loin dans le titre quatorze de la première partie consacrée aux dispositions communes à toutes les juridictions. L’article 433 reprend le principe : « les débats sont publics sauf les cas où la loi exige qu’ils aient lieu en chambre du conseil ». Cette disposition comporte à la fois la formulation du principe et l’exception générale. Les articles 434 à 437 envisagent ensuite un ensemble de règles particulières d’application du principe et de son exception. Il s’agit entre autres de régler le sort de l’audience en matière gracieuse, lorsqu’il peut résulter de la publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée. Il s’agit aussi de conférer au président les pouvoirs d’aménager la publicité ou le secret des débats. Autant de dispositions qui se déduisent du principe visé à l’article 22 du nouveau Code et repris dans son article 433[1086].
Le Code de procédure pénale consacre aussi certains principes directeurs dans le corps de son texte. C’est le cas de l’article 427 qui ouvre un paragraphe sur l’administration de la preuve en matière correctionnelle en édictant le principe de la liberté de la preuve sous ses deux aspects (liberté de production de la preuve et intime conviction). Les dispositions qui suivent (articles 428 à 457) sont autant d’applications particulières de ces principes. Par exemple il est prévu que l’aveu ne lie pas les juges[1087] ; que les procès verbaux ne valent sauf exception, qu’à titre de renseignement ou encore que les témoins doivent prêter serment de dire toute la vérité à l’exception de ceux qui sont âgés de moins de seize ans[1088].
La difficulté d’identifier le processus de déduction dans le droit écrit provient de la structure même des textes. On peut penser que le nouveau Code de procédure civile fait œuvre de clarté en réservant une partie séparée à certains de ses principes. Cependant tous les principes directeurs du procès civil ne sont pas mentionnés dans les dispositions liminaires. C’est aussi le cas en procédure pénale où, malgré l’adoption d’un article préliminaire visant certains principes, nombre d’entre eux demeurent dans le corps du texte. L’article 427 prévoit un principe et les dispositions qui suivent, ses applications. Pour autant, rien ne permet formellement de distinguer l’article 427 de ceux qui le suivent. On peut ainsi se demander en quoi l’article 428 prescrivant que l’aveu ne lie par les juges découle nécessairement du principe de l’intime conviction. En d’autres mots, comment démontrer que l’intime conviction précède la règle de l’article 428 dans le processus de création du droit ? Ne pourrait-on pas envisager l’hypothèse selon laquelle le principe n’est qu’une généralisation des règles techniques existantes dans le Code ? Il faudrait alors raisonner par induction.
Un autre exemple significatif est constitué par le principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Avant la loi du 15 juin 2000🏛, la règle de la séparation n’était affirmée qu’en matière criminelle à l’article 253 du Code de procédure pénale🏛[1096]. De cette règle technique applicable seulement devant la Cour d’assises, la Cour de cassation a induit l’existence d’un principe de portée générale applicable devant toutes les juridictions pénales[1097]. Par la suite, la loi du 15 juin 2000🏛 a intégré le principe dans l’article préliminaire du Code. Dans cette hypothèse le raisonnement inductif n’est pas le produit de la réunion de plusieurs dispositions techniques, mais un processus de généralisation sur la base d’une seule règle textuelle[1098]. Chronologiquement, la règle technique a précédé la formalisation du principe.
Si un magistrat ne peut pas à la fois poursuivre et juger, un même juge ne peut pas non plus juger deux fois. Cette interdiction pour un juge du siège de juger deux fois la même affaire est un principe issu d’une induction doctrinale. L’article 341-5 du nouveau Code de procédure civile prévoit une cause de récusation lorsque le magistrat a déjà eu à connaître de l’affaire comme juge, arbitre ou conseiller d’une partie. De son coté l’article 131-4 du Code de l’organisation judiciaire🏛 dispose que dans l’hypothèse d’une cassation, l’affaire est renvoyée devant une autre juridiction ou devant la même juridiction différemment composée. La Cour de cassation estime quant à elle qu’un magistrat ne peut siéger dans une Cour d’assises si, en qualité de juge civil, il « a déjà porté une appréciation sur la culpabilité de l’accusé à raison des mêmes faits »[1099]. Dans ce dernier cas, il est difficile de reconnaître le processus d’induction. D’une part, l’affirmation du principe procède d’une induction purement doctrinale[1100] ; d’autre part, on peut légitimement remarquer que les règles techniques précitées découlent directement du principe d’impartialité. Ceci montre la complexité du phénomène de production du droit qui relève peut-être d’un double mouvement d’induction-déduction.
En procédure pénale, de nombreuses règles consacrent le droit pour la personne poursuivie ou son défenseur d’avoir la parole en dernier et de clôturer l’audience. Les articles 460 et 513 du Code de procédure pénale🏛🏛 pour le Tribunal correctionnel et la Cour d’appel, l’article 346 pour la Cour d’assises et l’article 536[1102] pour le Tribunal de police organisent d’abord l’ordre de parole des différents protagonistes du procès pénal ; ils prescrivent ensuite que la personne poursuivie ou son conseil « auront toujours la parole en dernier ». La règle est donc bien établie devant les juridictions de jugement. Des difficultés se sont présentées quant à son application durant la mise en état ou concernant certaines mesures d’application des peines. Devant la chambre d’accusation, l’article 199 du Code de procédure pénale🏛 prévoit que les débats se déroulent en chambre du conseil. Un conseiller doit faire son rapport puis « le Procureur et les avocats des parties qui en ont fait la demande présentent des observations sommaires ». Le Code ne prévoit donc pas précisément que la personne poursuivie doit avoir la parole en dernier. La jurisprudence va procéder au raisonnement inductif-déductif pour étendre les solutions en matière de jugement à la phase préparatoire du procès. Dans un arrêt du 28 septembre 1983, la Cour de cassation décide[1103] qu’« il se déduit de l’article 199 du Code de procédure pénale🏛 et des principes généraux du droit que devant la chambre d’accusation, l’inculpé doit avoir la parole le dernier lorsqu’il est présent aux débats ; qu’il en est de même de son conseil, dès lors que celui-ci a demandé à présenter des observations sommaires ». Les termes de l’arrêt semblent faire allusion à un syllogisme purement déductif. En réalité, la Cour suprême prend pour point de départ les dispositions du Code : d’une part l’article 199 qui vise le déroulement de l’audience devant la chambre d’accusation et d’autre part, sans les citer, l’ensemble des dispositions aménageant l’ordre de parole devant les juridictions de jugement[1104]. Ces règles techniques permettent aux magistrats de remonter jusqu’au principe des droits de la défense. L’ensemble des règles prévoyant que la personne poursuivie doit être entendue en dernier permet d’induire l’existence d’un nouvel aspect des droits de la défense en matière pénale. La Cour de cassation procède en fait à une généralisation. Le principe des droits de la défense prévoit désormais que le droit d’avoir la parole en dernier s’applique de façon générale devant toutes les juridictions répressives. Par la suite, la Cour suprême déduit[1105] du principe susvisé une règle technique selon laquelle, devant la chambre d’accusation, la personne mise en examen ou son conseil doit avoir la parole en dernier. Le principe permet de déduire une solution identique dans une procédure d’application des peines et notamment en application de l’article 702-1 du Code de procédure pénale🏛 qui permet de demander le relevé des interdictions, déchéances ou incapacités prononcées à titre de peines complémentaires. La Cour de cassation a jugé à deux reprises qu’il se déduisait des articles 703[1106], 460, 513 du Code et des principes généraux du droit que le requérant ou son avocat devait avoir la parole en dernier[1107].
L’induction-déduction consiste donc dans le transfert vers un principe d’une règle consacrée par plusieurs dispositions techniques. Intégrée dans le principe, la règle prend une portée générale et peut s’appliquer en dehors des cas prévus textuellement. Le droit de prendre la parole en dernier consacré par le Code devant les juridictions de jugement est ainsi intégré par un raisonnement inductif au principe des droits de la défense et généralisé dans un processus déductif à toutes les phases de la procédure.
On retrouve ce processus en matière de double degré de juridiction. L’article 185 du Code de procédure pénale🏛 prévoit que le Procureur de la République peut faire appel de toutes les ordonnances rendues par le juge d’instruction. Suite à la loi du 4 janvier 1993🏛, les pouvoirs en matière de placement et de prolongation de la détention provisoire avaient été retirés au juge d’instruction et confiés au président du Tribunal de grande instance ou à son délégué. L’article 186 dans sa rédaction de l’époque avait ainsi prévu un appel possible à l’encontre des ordonnances statuant sur la détention provisoire mais ce recours était ouvert uniquement au profit des parties privées. S’il l’on s’en tenait à la lettre des textes, le ministère public était privé du double degré de juridiction en ce qui concerne les ordonnances prises par le président du TGI ou son délégué. La Cour de cassation va au contraire opérer une induction-déduction pour étendre le droit d’appel du parquet. Dans un arrêt du 6 juillet 1993[1108], elle affirme qu’« il résulte de l’article 185 C.pr.pén. et des principes généraux du droit que l’appel du ministère public s’étend à toutes les décisions rendues en matière de détention provisoire ». Le premier terme de l’argumentation consiste à induire de l’article 185 du Code de procédure pénale🏛 un droit général au double degré de juridiction d’instruction au profit du ministère public. D’une disposition spéciale, les juges de cassation remontent jusqu’au principe directeur. Le second terme de la réflexion est l’application déductive du principe : le ministère public bénéficie d’un droit d’appel général pendant la phase de l’instruction. Il peut donc former un recours contre les décisions relatives à la détention provisoire. Une nouvelle règle technique est déduite du principe susénoncé.
Le processus inductif-déductif tendrait donc à montrer que les principes directeurs ne sont pas les normes premières du droit processuel. Plus précisément, la primauté des principes ne serait pas systématique. Pourtant, derrière le phénomène apparent de l’induction, n’existe-t-il pas une primauté sous-jacente ?
Certains principes ont pu connaître des applications techniques nombreuses avant d’être officiellement reconnus pas le droit positif. Il en va ainsi du principe de loyauté. On peut dire que la formulation du principe en jurisprudence date de 1996 à propos de provocations policières[1109]. Ces provocations étaient sanctionnées antérieurement à cette date[1110]. De même, le Code de procédure pénale de 1958 en réglementant certains modes de recherche de la preuve visait déjà à éviter les atteintes à la loyauté[1111].
Le même constat peut être établi à l’égard du principe de célérité. On peut dater l’intégration formelle du principe au droit français à l’entrée en vigueur de la CESDH prévoyant l’exigence d’un « délai raisonnable » dans son article 6§1, soit en 1974. Avant cette date, de nombreuses expressions de la célérité se trouvaient dans les textes de procédure. En procédure pénale, existaient des mécanismes qui transfèrent des pouvoirs supplémentaires aux officiers de police judiciaire dans l’hypothèse de l’enquête de flagrance et permettent d’accroître la rapidité de l’enquête. En procédure civile, le décret du 9 septembre 1971🏛 ouvrant la réforme de la procédure civile a confié au juge de la mise en état le pouvoir de fixer les délais relatifs à l’instruction de l’affaire. Ce magistrat dispose ainsi du pouvoir d’accélérer la procédure ou d’éviter que celle-ci prenne du retard[1112].
Doit-on dès lors considérer que les règles techniques visant la protection de la loyauté ou de la célérité des procédures ont primé sur les principes directeurs ? Une telle affirmation conduirait à un rejet pur et simple du critère de la primauté. La question semble pourtant suggérer une réponse plus nuancée. Elle passe par la distinction entre les principes du droit positif et les principes sous-jacents.
Lors d’une audience solennelle de la rentrée de la Cour de cassation, le premier président DRAI rappelait l’attachement de la Cour de cassation « au respect du droit et des principes fondamentaux qui sous-tendent chacune de nos règles écrites »[1113]. De même, dans son commentaire relatif à l’arrêt du 6 juillet 1993 qui avait étendu le champ d’application de l’appel du Procureur de la République, l’avocat général près la Cour d’appel de Paris considérait que l’article 185 du Code de procédure pénale🏛 visé par la chambre criminelle « doit être regardé comme l’expression législative ponctuelle des principes généraux du droit sous-jacents à toute notre procédure pénale, fondée notamment sur les principes de contradiction et de l’équilibre des parties au procès »[1114].
Les principes, même s’ils ne sont pas exprimés par le droit positif, peuvent tout de même être les inspirateurs des règles techniques textuelles ou jurisprudentielles. Cette idée est encore exprimée à l’égard du principe de dignité. Un auteur constate que « ce concept de dignité a (…) mis longtemps à se cristalliser dans notre droit »[1115] ; il semblerait pourtant qu’il ait été « sous-entendu dans la déclaration de 1789 » et qu’il restait depuis « en suspension dans notre droit » [1116]. Bien qu’aucun texte ne l’ait exprimé clairement, l’idée de dignité n’a effectivement pas été ignorée. On la retrouve clairement affirmée par la CESDH visant l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants. En droit interne, la reconnaissance explicite date pourtant de la loi du 27 juillet 1994. Il est très délicat d’affirmer que le droit français n’applique le principe de dignité que depuis cette date. On pourrait donc estimer que cette norme a pu constituer un principe latent du droit[1117] n’appartenant pas au droit positif, mais en tant que norme sociale, inspirant la création de normes techniques positives protectrices de la dignité.
Le critère de la primauté est donc difficile à établir. D’un point de vue purement formel, il faut reconnaître que certains principes ne sont pas exprimés par le droit positif. Leur reconnaissance est purement doctrinale. Elle se fonde sur le constat d’une application généralisée de règles techniques conformément à un principe. Ce constat ne doit cependant pas conduire à exclure le critère de la primauté. Un principe qui n’est pas formulé par le droit positif peut exister sous la forme d’une norme sociale. Son absence de juridicité ne fait pas disparaître son autorité normative. Le principe demeure une source d’inspiration des règles textuelles ou jurisprudentielles.
Il n’est pas possible de se prononcer de façon affirmative sur le critère de la primauté. Ce dernier soulève de telles incertitudes qu’il est difficile de le considérer comme un critère permettant d’identifier un principe directeur. La primauté relève plus d’un postulat que d’une réalité. Les principes directeurs se situent à la liaison entre la norme sociale et la norme juridique. La frontière est ténue entre ces deux univers et les principes peuvent passer de l’un à l’autre au gré des réformes. Ils peuvent exister en droit positif grâce aux règles techniques qui les mettent en œuvre. Ce critère est pourtant discutable car sur le plan purement formel, certains principes sont devancés par les règles techniques et leur reconnaissance est parfois purement doctrinale.
La primauté demeure un caractère discutable et discuté. Il fournit des indices essentiels à la compréhension des principes directeurs mais ne peut être intégré sans discussion parmi les caractères adoptés des principes directeurs.
Ces trois caractères ne se présentent pas dans un ordre particulier. On étudiera successivement la continuité qui situe les principes dans le temps (section 1) ; puis la généralité, qui détermine leur présence sur l’espace juridique (section 2) ; enfin la flexibilité, qui donne aux principes le sens de la raison, ou du compromis (section 3).
La sécurité ou la prévisibilité peuvent faire défaut dans les systèmes juridiques actuels. Le volume de la législation, la portée des décisions juridictionnelles sont autant de facteurs qui rendent la règle de droit incertaine. Le recours aux principes va opérer comme un palliatif au mouvement croissant des réformes ou revirements[1125]. Le justiciable devrait ainsi trouver dans les principes un guide permettant de prévoir une décision judiciaire ; ou une base sur laquelle il peut développer son argumentation.
L’idée de continuité n’est pas exempte de vices. On peut y trouver des raisons de croire que les principes sont invariants dans le temps et dans l’espace[1126]. En réalité, les principes incarnent dans une certaine mesure, la tradition juridique et la permanence des finalités protégées par le droit. Cette tradition vise non pas à assurer la survie perpétuelle de règles ancestrales mais plutôt à aménager un lien, une transition, entre un droit ancien usé et un autre plus récent. Les principes peuvent fournir un socle à cette transition. Les règles techniques sont modifiées mais le principe qui les inspire, demeure.
La tradition est donc celle des temps ancestraux, des principes qui semblent n’avoir jamais quitté le procès[1133]. Elle est aussi celle de l’héritage révolutionnaire qui a touché tout autant la substance du droit que les règles destinées à sa mise en œuvre. Dans le rapport remis au Premier ministre destiné à présenter les dispositions liminaires du nouveau Code de procédure civile, on pouvait lire à propos des principes directeurs : « leur réunion dans une même partie affirme la valeur permanente des règles qui reflètent la conception générale du procès civil et atteste que le respect de la tradition libérale française s’harmonise avec l’exercice par le juge des pouvoirs inhérents à sa fonction »[1134]. La tradition des principes est donc aussi celle du libéralisme. On pourra ainsi remonter le temps juridique pour rechercher les expressions lointaines des principes actuels.
L’héritage révolutionnaire et la codification napoléonienne ont été porteurs de bouleversements importants des modèles juridiques. Certains principes ont pourtant résisté à ce mouvement. On peut citer à ce titre le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire. Le principe ne provient pas de l’idéal des Lumières et de la séparation des pouvoirs mais de l’absolutisme royal[1137]. Ce fut Louis XIII qui, pour soustraire ses intendants aux parlements, décida dans un édit de Saint-Germain en Laye en février 1641, que les litiges relatifs à leurs activités relèveraient uniquement du Roi. Plus généralement, les Cours et parlements avaient interdiction, selon cet édit, de connaître des affaires concernant l’Etat, l’administration et le gouvernement. Le principe, qualifié aussi de dualité des juridictions[1138], a traversé sans encombres la période révolutionnaire et bien qu’il connaisse aujourd’hui de nombreuses exceptions[1139], subsiste encore à travers l’ordre juridictionnel administratif.
Certains principes ont connu au contraire des fluctuations. La motivation des décisions de justice apparaît au cours du 13ème siècle[1140]. Elle a subi un important recul au 14ème siècle en raison du secret des délibérés qui interdisait de faire connaître aux justiciables les motifs de la décision et disparaît jusqu’à la fin du moyen âge. Les philosophes du 18ème siècle plaident pour le rétablissement de la motivation qui interviendra un an avant la révolution en matière criminelle (édit du 8 mai 1788). L’institution d’un tribunal de cassation va permettre de rétablir le principe de la motivation qui deviendra l’instrument de libération de l’autorité juridictionnelle[1141]. La Constitution du 5 frimaire an III installe la motivation devant toutes les juridictions. Peu à peu, au cours du 19ème siècle, la Cour de cassation va utiliser la motivation de ses décisions pour acquérir son indépendance vis-à-vis du législateur et se libérer du référé législatif.
Les mêmes variations peuvent être constatées à l’égard du principe d’impartialité. On trouve ce principe dans les textes les plus anciens. La loi du peuple juif impose à ses juges « tu ne biaiseras pas avec le droit, tu n’auras pas de partialité, tu n’accepteras pas de cadeau, car le cadeau aveugle les yeux du sage et compromet la cause des justes »[1142]. L’histoire montre que le précepte biblique ne fut que peu suivi. La révolution fut l’occasion de le mettre en avant et certains projets visaient à l’introduire dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789[1143]. Depuis, sans être expressément prévue dans un texte, l’impartialité des juridictions a connu un succès inégal à travers ses diverses applications. Le 19ème siècle a traversé des périodes marquées par l’élimination de magistrats en opposition avec le pouvoir[1144]. La reconnaissance tardive à l’article 6§1 de la CESDH illustre la consécration d’un principe hérité de la tradition judéo-chrétienne dont la mise en œuvre n’a pas connu de véritable stabilité dans le temps. La stabilité est pourtant un indice essentiel de la force d’inertie que présentent les principes directeurs.
Cette loi de l’inertie pourrait être formulée de la façon suivante : la force d’inertie d’une norme juridique dépend du poids social et de la permanence de la ou des finalités incarnées par cette norme. Si la finalité représentée par une norme juridique est puissante au plan social et si ce potentiel dure dans le temps, alors, la norme juridique connaît une grande pérennité. Si la finalité est socialement fragile, ou si elle disparaît, le principe va suivre la voie du déclin.
Lier les principes à leur passé et à leur futur, c’est effectivement poser la question de leur continuité et leur évolution. Il s’agit aussi de montrer que cette évolution ne peut se produire que dans le respect du temps ; en d’autres mots avec tempérance. Celle que semblent suivre les principes directeurs.
Un autre auteur affine cette analyse en opposant changement discontinu et continu[1148]. Le changement continu est celui qui caractérise la plupart des principes. Il s’analyse en une succession de petites variations de faible amplitude. Les réformes ou modifications jurisprudentielles ont pour effet de modifier des règles techniques du droit. Ces règles peuvent être rattachées à un principe et en modifier la physionomie. L’évolution du principe est continue car son énoncé demeure, alors que sa mise en œuvre peut être modifiée partiellement.
Cette distinction entre changement continu et discontinu est une indication qui permet de reconnaître un principe directeur ou au contraire de rejeter cette qualification. Si une règle apparaît ou disparaît subitement, elle ne peut être considérée comme un principe de procédure. On trouve une illustration de ce propos avec la règle selon laquelle celui qui se dérobe à l’exécution d’un mandat de justice ne peut plus exercer son recours. Cette règle a récemment été retirée du droit positif. Dans les arrêts de la Cour de cassation, elle était désignée comme un principe applicable d’abord au recours en cassation, puis étendu à l’appel et à d’autres requêtes en justice[1149]. Dans une décision du 30 juin 1999, la chambre criminelle est revenue sur sa jurisprudence et a déclaré un pourvoi en cassation recevable malgré la fuite de la personne poursuivie[1150]. Cette solution a été justifiée par le fait qu’aucune disposition de la loi n’excluait le recours. Un simple revirement a fait disparaître ce que la Cour suprême considérait comme un principe. Ce changement brutal permet d’écarter le qualificatif de « principe » à propos de la règle en question. Il ne s’agissait que d’une règle technique susceptible d’être éliminée par une simple décision de jurisprudence. Dans un arrêt du 24 novembre 1999, la Cour de cassation a persisté dans cette voie en censurant un arrêt d’appel qui avait déclaré un recours irrecevable car le prévenu s’était dérobé à l’exécution d’un mandat décerné par le Tribunal correctionnel[1151].
Plus délicate est la distinction entre les modifications conjoncturelle et structurelle du droit[1152]. Les premières correspondent à des fluctuations de certaines caractéristiques du système juridique autour d’un équilibre donné. Les secondes correspondent à une modification des caractéristiques qui définissent l’équilibre du système. Le principe peut être atteint dans sa définition. L’équilibre peut être déplacé et le principe modifié en substance. En procédure, il sera envisagé plus loin comment l’immutabilité du litige a progressivement laissé la place à l’évolution du litige ou encore comment le principe dispositif s’est mué en principe de coopération[1153]. Ces transformations doivent être progressives car la disparition momentanée ou le bouleversement d’un principe va entraîner la modification de très nombreuses règles techniques[1154]. De même, un principe entretient avec d’autres des relations étroites. Si on élimine l’indépendance des magistrats, on provoque dans le même temps la disparition de l’impartialité des juridictions. La modification brutale et substantielle d’un principe est donc peu fréquente. Ce phénomène peut toutefois se produire dans l’hypothèse d’un changement politique ou social radical[1155]. La révolution française a permis en effet de proclamer solennellement les principes de la présomption d’innocence et de la liberté individuelle. Ces derniers interdisent conjointement le recours aux détentions arbitraires au cours du déroulement du procès. Ils s’inscrivent en rupture avec les procédures pratiquées sous l’Ancien régime. De même, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les principes procéduraux relatifs à la protection des droits individuels ont été solennellement proclamés dans plusieurs textes. Leur application effective a connu depuis un réel essor. Ces principes inscrits dans la DUDH ou la CESDH ne marquent pas une discontinuité avec le droit processuel du début du siècle. Ils ont, au contraire pour finalité de rétablir la continuité démocratique et républicaine rompue sous le régime de Vichy.
La continuité des principes dépend donc de celle des rapports politiques et sociaux. Mme CALAIS-AULOY rappelle ainsi que les principes généraux du droit « évoluent au rythme lent de l’histoire des idées »[1156]. Cette opinion se retrouve chez les théoriciens du procès pénal. Marc ANCEL, estimait ainsi que si le droit issu de la Révolution avait apporté le respect de la légalité, de la liberté et de l’égalité juridique, le procès pénal classique issu de ce droit devait cependant évoluer vers de nouvelles préoccupations relatives à la protection de la personne[1157]. La Défense sociale nouvelle en tant que doctrine pénale a contribué à la modification de la procédure pénale marquant l’influence des idées politiques et sociales sur les principes du droit processuel[1158].
Ces idées et les réformes qui en découlent, reflètent en général une certaine évolution des mœurs. La continuité des principes directeurs résulte ainsi de « la force d’inertie que, dans toutes leurs composantes, les sociétés opposent aux hommes politiques »[1159]. Cette réflexion permet de revenir à la proposition initiale selon laquelle l’inertie des principes suit celle des finalités sociales. Un auteur développe encore cette idée exposant que « le droit est engagé dans le processus de constitution des valeurs sociales. En les instituant dans le cadre d’une série d’arrangements et de réglementations, il leur attribue une signifiance et une efficacité sociale »[1160]. Il explique encore que la durée de vie d’une réglementation est celle des valeurs qu’elle représente. Les institutions juridiques demeurent si les valeurs perdurent.
On pourrait encore affiner cette analyse en raison de deux éléments. Le premier réside dans le fait que les principes ne subissent pas les modifications superficielles des finalités sociales. Seules les règles techniques en sont affectées. Si le principe peut être atteint dans ses applications, il ne l’est généralement pas dans sa substance. Le second résulte de la nécessaire conciliation des principes entre eux. Un principe pourra être conduit à céder devant un autre plus puissant. Encore une fois, il s’agira de faire disparaître une règle technique et non pas le principe en lui même. L’inertie du principe ne fait pas obstacle au mouvement. Elle se contente d’en limiter les effets. Les principes ne sont donc pas invariables mais continus. Leur évolution peut prendre plusieurs formes.
Cette formule souple devait être consacrée par le nouveau Code sous la forme d’un principe directeur ; celui de la conciliation énoncé à l’article 21[1162]. Depuis, bien que l’un des initiateurs des principes directeurs ait rangé la conciliation au rang des « ouvertures de principe »[1163], ce principe a connu un réel succès dans les textes que ce soit en procédure civile ou pénale ; succès parfois modéré par la pratique.
La conciliation est prévue aux articles 127 et suivants du nouveau Code de procédure civile. Le juge peut initier le processus, mais les parties peuvent aussi à tout moment demander au juge de constater leur accord. Ce préalable est parfois obligatoire[1166]. En 1978 un décret créait une nouvelle institution : celle des conciliateurs de justice, dont la mission est de tenter de concilier, en dehors de tout processus judiciaire, les parties concernant les litiges pour lesquels elles disposent librement de leurs droits[1167]. La mission du conciliateur a été renforcée en 1995 par la loi du 8 février qui reconnaît au juge le droit, avec l’accord des parties, de désigner une tierce personne pour obtenir une conciliation ou une médiation[1168]. En 1996 un décret a mis en œuvre cette loi en créant la médiation civile[1169]. Le médiateur peut être nommé par le juge après accord des parties. Si les parties parviennent à un consensus, elles reviennent devant le juge pour que ce dernier homologue leur convention selon une procédure gracieuse[1170]. Une loi du 18 décembre 1998🏛 encourage encore le recours au règlement amiable en ouvrant l’aide juridictionnelle aux parties qui souhaitent parvenir à une transaction avant l’introduction de l’instance[1171]. Les procédures spéciales ne sont pas écartées de l’ambition conciliatrice de l’institution judiciaire. En matière de prévention et de règlement amiable des difficultés de l’entreprise, la loi n°94-475 du 10 juin 1994🏛 a officialisé la fonction de conciliateur saisi par le président du Tribunal de commerce qui a pour mission de rechercher un accord avec les créanciers de l’entreprise en difficulté.
Dans les textes, le principe de conciliation apparaît donc au centre des préoccupations actuelles. Son évolution se produit sous la forme d’un développement constant. Ouvrir la voie de la médiation, de la conciliation ou de l’arbitrage judiciaire, c’est permettre une résolution plus rapide et moins coûteuse des litiges. Une telle ambition devrait logiquement emporter une certaine adhésion. Pourtant, la justice conciliationnelle ne connaît pas en pratique le même enthousiasme que lui consacre le droit. Outre l’amiable composition dont l’utilisation est très rare, le recours à la conciliation et à la médiation reste assez marginal[1172].
Les parquets ont développé dans un premier temps le classement sous condition. Cette pratique consiste à « monnayer » l’abandon des poursuites « contre certaines prestations »[1174]. Il pourra se contenter d’un simple rappel à la loi, mais il pourra aussi exiger du délinquant la cessation de l’activité délictueuse, la non réitération de l’infraction, ou la régularisation d’une situation non conforme à la loi pénale. L’abandon des poursuites peut être encore soumis à la réparation du dommage ou le Procureur peut décider d’orienter l’auteur des faits vers une structure adaptée (sociale, sanitaire, professionnelle). Le classement sans suite est un moyen de pression efficace dans la mesure où la décision de ne pas poursuivre est provisoire. Elle ne lie pas le parquet jusqu’à l’extinction de l’action publique. Le classement sous condition a été expressément reconnu par la loi du 23 juin 1999🏛 qui a ajouté un article 41-1 au Code de procédure pénale🏛[1175].
Plus proche de la conciliation au sens propre du terme, la médiation pénale existe depuis la loi 93-2 du 4 janvier 1993🏛 alors que des expériences avaient été menées dix ans plus tôt à l’initiative de certains Procureurs[1176]. Le Procureur n’est pas le médiateur, ce rôle ne rentre pas dans ses attributions. Cette fonction est déléguée à des associations agréées ou à des médiateurs personnes physiques[1177]. La procédure vise à obtenir un accord amiable entre les parties qui doit déboucher sur un abandon des poursuites. L’intérêt est ici d’associer la victime à la décision de classement sans suite. Il s’agit notamment d’éviter que celle-ci, se sentant exclue du procès, ou lésée dans ses droits, ne se constitue partie civile et fasse ainsi échec à un éventuel classement conditionné. Un mécanisme similaire a été introduit au sein de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Cette mesure, appelée « réparation pénale » permet aux organes chargés de la poursuite, de l’instruction ou du jugement, de proposer au mineur une mesure de réparation. Il faudra pour cela obtenir le consentement du mineur, de son représentant légal et de la victime.
De l’avis de la doctrine, la médiation pénale connaît aujourd’hui des résultats encourageants compte tenu du nombre des procédures enregistrées depuis 1993[1178]. La loi du 18 décembre 1998🏛 a d’ailleurs prévu d’étendre l’aide juridictionnelle au stade de la médiation.
Ce succès a conduit le législateur à prévoir une procédure conciliationnelle plus radicale encore : l’injonction pénale en 1995, censurée par le Conseil constitutionnel[1179] et la composition pénale en 1999. Cette procédure intégrée dans le Code aux articles 41-2 et suivants est limitée à un certain nombre de délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à trois ans. La composition pénale est une véritable procédure de conciliation. Elle débute d’abord par une proposition du Procureur de la République ; elle implique ensuite la reconnaissance des faits par celui qui en a été l’auteur ; elle nécessite enfin la réalisation de certaines mesures obligatoires de la part du délinquant[1180]. En cas de succès, la composition fait l’objet d’une homologation par un magistrat du siège pour que cette conciliation pénale puisse être effective. Si le délinquant exécute la mesure qui lui est imposée, l’action publique est éteinte. La victime qui ne serait pas indemnisée peut poursuivre l’auteur des faits devant les juridictions répressives mais uniquement dans l’exercice de son action civile. Ce procédé emprunte au droit civil de la transaction[1181] et à la procédure anglo-saxonne du plea-bargaining[1182]. Elle peut s’analyser comme une conciliation entre les intérêts de la répression, ceux de la victime, du délinquant[1183] et de la procédure. Cette dernière gagne en efficacité tout en respectant les principes procéduraux.
La conciliation est donc un principe en pleine croissance. La réalité du règlement amiable ne suit pas toujours la profusion des textes. Le choix de plus en plus vaste de mode de résolution des litiges en dehors du contentieux, mais dans le cadre du procès, devrait conduire justiciables et professionnels à considérer avec attention l’option conciliatrice plus rapide et aussi plus sereine. Tous les principes ne connaissent pas le sort de la conciliation et certains s’affaiblissent.
Cette évolution a connu, depuis la loi du 10 juillet 2000🏛[1189], une nette accélération. Ce texte a ajouté au Code de procédure pénale un article 4-1 selon lequel « l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal🏛 ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1383 du code civil🏛, si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale🏛, si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie ». Cette disposition nouvelle sonne le glas de l’unité des fautes civile et pénale non intentionnelles. Désormais, une juridiction civile pourra retenir l’existence d’une faute d’imprudence bien que pour les mêmes faits, la juridiction répressive ait relaxé le ou les prévenus pour un délit non intentionnel. La Cour de cassation a d’ailleurs devancé l’application dans le temps de cette loi en décidant, le 30 janvier 2001[1190], que la déclaration par le juge répressif de l’absence de faute pénale non intentionnelle ne faisait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d’imprudence ou de négligence. Dans cet arrêt de revirement postérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000🏛, la Cour ne s’est pas référée à l’article 4-1 du Code de procédure pénale🏛 en raison de la non rétroactivité de cette disposition[1191]. La juridiction a donc anticipé l’application de la disposition légale au moyen d’un arrêt de principe.
Le juge civil tend à se défaire de ses liens avec son homologue répressif dans la mesure où le droit civil ne poursuit pas les mêmes objectifs que le droit pénal. Le principe doit alors céder peu à peu sa place. Les liens se distendent progressivement entre juge civil et droit pénal. Ils se renforcent au contraire entre juge judiciaire et droit administratif.
La séparation des autorités administrative et judiciaire a produit une dualité de juridictions en droit français. Le principe fut institué par Louis XIII et repris par le droit révolutionnaire dans la loi des 16 et 24 août 1790[1192]. Il a été reconnu par la Cour de cassation[1193] et le Conseil constitutionnel a d’ailleurs élevé la dualité des ordres juridictionnels au rang des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République[1194]. Pourtant le principe a connu une importante régression et de nombreux domaines du droit administratif relèvent aujourd’hui de la compétence des juges judiciaires.
En matière pénale, la Cour de cassation s’est reconnue le pouvoir d’interpréter et d’apprécier la validité des actes administratifs dans le cadre d’un contrôle par voie d’exception. Dès le début du 19ème siècle, le Procureur général MERLIN se prononçait en faveur de la sanction par le juge répressif d’actes administratifs illégaux servant de fondement à des poursuites. Au 20ème siècle, la confrontation entre Cour de cassation et Conseil d’Etat fut tranchée par le Tribunal des conflits dans un arrêt Avranches et Desmarets du 5 juillet 1951[1195]. Se fondant sur la plénitude de juridiction du juge répressif qui donne aux magistrats la compétence de statuer « sur tous les points dont dépend l’application ou la non application des peines », le Tribunal devait autoriser les juridictions pénales à interpréter et apprécier la légalité des actes administratifs réglementaires. La réforme du Code pénal devait conduire le législateur à étendre encore cette compétence. L’article 111-5 prévoit désormais que le pouvoir d’interprétation et de contrôle de légalité du juge répressif s’étend à tous les actes administratifs « lorsque que, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ».
En matière civile, la Cour de cassation n’a pas été aussi téméraire. Cependant, le domaine de compétence des chambres civiles dans leur ensemble avait été étendu progressivement. En 1921 le Tribunal des conflits dans une jurisprudence Bac d’Eloka[1196] créait la notion de service public industriel et commercial dont l’activité relevait de la compétence du juge judiciaire. Le législateur, en 1957[1197] décidait de transférer le contentieux relatif aux accidents de la circulation causés par des véhicules de l’administration, du juge administratif au juge judiciaire. Certaines autorités administratives indépendantes ont enfin été placées directement sous le contrôle de la Cour d’appel de Paris. C’est le cas notamment du Conseil de la concurrence depuis une loi du 6 juillet 1987 et de la COB pour certaines de ses attributions depuis une loi du 2 août 1989🏛. En matière d’interprétation et d’appréciation des actes administratifs, la jurisprudence du Tribunal des conflits interdit en principe au juge civil tout pouvoir[1198]. Si cette jurisprudence s’impose généralement, une décision récente de la chambre sociale de la Cour de cassation semble en contrarier la portée[1199]. Les juges ont ainsi écarté l’application d’un arrêté ministériel en estimant que le Code de la sécurité sociale se suffisait à lui même. L’interprétation doctrinale de cette décision conduit à admettre que la chambre sociale a implicitement apprécié la validité d’un acte administratif à l’égard de la loi[1200].
Enfin, il est un principe constitutionnel qui diminue encore la portée de la séparation : celui selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Ce principe énoncé à l’article 66 de la Constitution est repris par l’article 136 du Code de procédure pénale🏛 dans son deuxième alinéa ainsi rédigé : « Dans tous les cas d’atteinte à la liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé par l’autorité administrative et les tribunaux de l’ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents ». Le Tribunal des conflits est extrêmement réticent à reconnaître et mettre en œuvre ce principe. Récemment il a maintenu sa jurisprudence en matière d’hospitalisation des malades mentaux, déclarant l’incompétence du juge judiciaire à propos de la régularité externe de la décision administrative de placement tout en lui reconnaissant le pouvoir d’indemniser la victime d’un placement mal fondé ou irrégulier[1201]. De son coté, la Cour de cassation utilise l’article 66 de la Constitution pour contrôler la régularité de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière et procéder, le cas échéant, à sa remise en liberté[1202]. Le Conseil constitutionnel utilise lui aussi le principe pour reconnaître au seul juge judiciaire le pouvoir de prononcer une peine privative de liberté[1203].
Sur de nombreux points, la compétence du juge administratif recule et le principe de la dualité des juridictions, malgré sa reconnaissance constitutionnelle, connaît un domaine d’application en voie de restriction. Certains ont pu proposer de supprimer purement et simplement cette dualité[1204]. D’autres remarquent de leur coté que « juger l’administration, c’est toujours juger »[1205] pour souligner le mal fondé de l’adage selon lequel « juger l’administration, c’est encore administrer ». Un principe qui recule est parfois un principe en déclin, cela n’est pas le cas de la dualité des ordres de juridiction mais il semble bien que le principe d’immutabilité du litige ait connu un tel sort.
Appliqué de façon rigide durant le 19ème siècle, le principe devait subir une profonde transformation à la suite du décret-loi du 30 octobre 1935. Ce texte introduisait dans l’article 464 du Code de procédure civile🏛 une exception : ne pouvait être considérée comme une demande nouvelle, celle qui tendait aux mêmes fins que la demande originaire mais fondée sur des causes ou des motifs différents. Le changement de cause en appel devenait possible[1208]. En 1971 et 1972 les décrets préliminaires à la codification vont encore favoriser « l’épanouissement du débat judiciaire au second degré »[1209]. On trouve désormais dans le nouveau Code un article 4 qui prévoit que « l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». L’immutabilité recule encore en laissant l’objet se modifier. Les parties vont enfin pouvoir se dérober au principe avec l’article 555 du nouveau Code de procédure civile. Celui-ci prévoit que les personnes qui n’ont pas été présentes ou représentées en première instance « peuvent être appelées devant la Cour même aux fins de condamnation quand l’évolution du litige implique leur mise en cause ». Le litige n’est plus immuable, il peut au contraire connaître une évolution.
Progressivement, on passe d’une conception du procès visant à la satisfaction des intérêts privés à une autre qui s’intéresse surtout à « l’application du droit, dessein de l’Etat »[1210]. Le premier argument en faveur de l’évolution est le souci d’efficacité. L’autorisation de modifier le cadre du litige permet de simplifier le procès, de limiter son éternel renouvellement, de favoriser son achèvement[1211]. Le procès n’est plus figé ; il ne doit pas être cantonné au cadre défini par la première instance. Dans cette hypothèse, les juges du second degré ne disposeraient que de peu d’éléments pour réformer la décision de première instance. Qualité et célérité du procès dépendent donc d’une possible évolution du litige[1212]. Le procès n’est plus conçu à la fin du 20ème siècle de la même façon qu’au jour de la première codification. Cette modification des finalités processuelles conduit au déclin de certains principes inadaptés aux nouveaux besoins. L’appel devient une voie d’achèvement et marque le point d’orgue du procès. L’immutabilité subit ces changements et il faut constater aujourd’hui qu’elle a disparu, en tant que principe, du droit positif[1213]. La disparition d’un principe inadapté n’est pourtant pas inéluctable, à condition que ce dernier se transforme progressivement.
Dans le courant du 20ème siècle, cette philosophie du procès va subir de profondes transformations. Le décret-loi du 30 octobre 1935 (complété par une loi du 15 juillet 1944) divise nettement le déroulement du procès en deux phases : l’instruction du procès et l’audience[1216]. Il crée aussi un « juge chargé de suivre la procédure »[1217]. Dès l’introduction de la demande en justice, le président de la juridiction doit désigner un magistrat qui va s’associer aux parties dans la conduite du procès. Il veille à l’accomplissement des formalités et doit presser le déroulement de la phase préparatoire. Il peut, même d’office, ordonner des mesures d’instruction ou de communication de pièces. Cette première tentative de bouleverser l’office du juge fut un échec en pratique[1218]. L’institution du juge chargé de suivre la procédure « ne s’était traduite que par l’accomplissement d’une simple formalité, d’un rite dépourvu de toute efficacité. (…) Les habitudes du Palais conduisaient à abandonner la direction du procès aux plaideurs et à leurs conseils »[1219].
Sous l’impulsion des processualistes de l’époque, et dans la perspective d’un nouveau Code, une expérience est tentée en 1965[1220] et 1967[1221] dans de nombreuses juridictions françaises. Il s’agit alors d’instituer à titre expérimental un magistrat « de la mise en état des causes ». Le but est à nouveau d’impliquer un peu plus le juge dans la conduite de l’instance ; ceci afin que le dossier arrive à l’audience prêt à être jugé. Le juge dispose de pouvoirs importants, notamment celui de fixer des délais et de rendre une ordonnance de clôture qui met fin à la mise en état. Un autre objectif est de proportionner le rôle du juge au degré de gravité ou de complexité de l’affaire[1222]. La relation entre magistrat et parties n’est plus la même, mais c’est aussi la fonction du juge qui change. Au-delà de la jurisdictio, ce dernier semble retrouver un rôle emprunté à la tradition romaine : celui d’ordinator qui instruit le procès[1223].
L’évolution prend son plein effet avec le décret du 9 septembre 1971 qui institue formellement les principes directeurs du procès intégrés au nouveau Code dans les articles 1 à 24. De nombreuses dispositions du décret et du nouveau Code sont consacrées à la répartition des charges et attributions entre juge et parties. Il ne convient pas ici d’en faire une étude détaillée mais simplement de parcourir rapidement les premiers articles du nouveau Code de procédure civile qui sont consacrés à cette question. Les parties introduisent et mettent fin à l’instance ; elles la conduisent mais ont des charges comme celle d’accomplir les actes de procédure dans les délais requis. Le juge quant à lui, veille au bon déroulement de l’instance et peut imposer des délais ou ordonner les mesures nécessaires. La conduite de la procédure incombe donc aux parties qui doivent à ce titre collaborer avec le juge. Quant à la maîtrise de la matière litigieuse, les parties déterminent seules l’objet du litige. Le juge est lié par cet objet et ne peut se prononcer infra ou ultra petita. Les parties doivent rapporter les faits qui fondent leurs allégations et en démontrer la véracité. Le juge peut aussi contribuer à cette recherche des faits en utilisant ceux qui sont dans le débat ou en provoquant les explications d’une partie sur certains faits importants pour la résolution du litige. Le juge peut encore participer à la recherche des preuves en ordonnant des mesures d’instruction. Les parties doivent alors y apporter leur concours. Elles peuvent donner un fondement juridique à leur prétention[1224], mais le juge n’est pas tenu de respecter les qualifications qui ont été données. On dit alors que les magistrats disposent de la maîtrise du droit. En réalité, les adversaires peuvent, par un accord exprès et pour les droits dont il ont la libre disposition, lier le juge par les qualifications juridiques et les normes qu’ils ont choisies d’appliquer. Le juge peut enfin solliciter les explications des parties sur les questions de droit si cela est nécessaire à la solution du litige.
Au terme de l’évolution qui vient d’être décrite, il convient de constater que le décret de 1971 qui achève une transformation, « ruine définitivement la tradition d’une certaine neutralité du juge »[1225]. Les juridictions civiles n’ont plus de rôle passif et les parties ont perdu la maîtrise exclusive du litige. Peut-on pour autant parler de la disparition du principe dispositif ? La doctrine s’est divisée sur la question.
Le procès n’est plus la seule chose des parties car « la justice civile est aussi un service public »[1229]. L’un des principaux artisans de la réforme tire les conséquences qui s’imposent : Henri MOTUSLKY distingue ainsi le principe dispositif qui confère la maîtrise sur la matière du litige et le principe d’initiative qui vise le déroulement du procès[1230]. Le premier de ces principes se décompose en laissant au juge la maîtrise du droit et aux acteurs privés celle des faits. Le second principe se divise à son tour en principe d’initiative privée qui vise l’introduction et la fin de l’instance, et le principe d’initiative judiciaire qui confie à un magistrat le contrôle du déroulement de l’instance[1231]. Cette conception de la transformation du principe dispositif est relayée aujourd’hui dans le manuel des doyens VINCENT et GUINCHARD où sont évoqués d’une part, un principe accusatoire ou d’initiative sur la maîtrise et la direction du procès et d’autre part un principe dispositif concernant la matière litigieuse[1232].
Le maintien du principe dispositif ou sa division en sous-principes montre que le contenu de la norme s’est modifié mais n’a pas fait disparaître le dogme accusatoire qui sous-tend son énoncé. Il semble pourtant que la transformation soit plus profonde et nécessite de trouver une formulation plus adéquate. La distinction des faits et du droit pour répartir le rôle de chaque acteur a été qualifiée de simpliste[1233]. Le juge est impliqué dans la réunion des faits et les parties participent à la détermination des règles applicables ainsi qu’à la qualification juridique des faits. De même, la distinction entre initiatives privée et judiciaire n’est pas tranchée puisque les parties participent activement au déroulement de l’instance et le juge, s’il ne peut en général se saisir d’office, a toujours la possibilité de retirer le dossier de son rôle lorsqu’il constate la défaillance des parties[1234].
Des indices sur la transformation du principe dispositif existent dans le dernier écrit de Henri MOTULSKY[1235]. Selon ce processualiste, la réforme de 1971 visait à substituer à l’institution du juge arbitre, « une collaboration féconde entre juge et conseils des parties en vue de parvenir à une solution aussi juste que possible ». Cette solution, poursuit l’auteur, « ne peut être obtenue que grâce à une coopération active de tous les rouages du mécanisme judiciaire ». Le terme de coopération est repris par le Professeur CADIET. Selon cet auteur, la question de savoir si le procès est la chose des parties ou du juge ou en d’autres termes, de connaître la nature inquisitoire ou accusatoire du procès « est inadaptée à la procédure civile qui, par essence, est tout à la fois la chose des parties et celle du juge »[1236]. Les dispositions des articles 1er à 13 du nouveau Code décrivent en réalité « un principe de coopération du juge et des parties dans l’élaboration du jugement vers quoi est naturellement tendue la procédure civile »[1237].
Si les parties sont opposées sur le fond, si leur intérêt n’est pas celui du juge, il est incontestable que tous les acteurs du procès sont en accord sur le principe même de la résolution judiciaire de leur litige. Cet accord est le fondement même du principe de coopération. La décision du juge doit apporter une solution au différend qui oppose des adversaires. Les parties privées sont impliquées tant dans la direction du procès que dans la maîtrise des faits et du droit. Le procès est aussi une mission de service public, protectrice de la justice et de la règle de droit. Le juge doit être impliqué tant sur le fond (faits et droit) que sur le déroulement normal de la procédure. Tous collaborent ou coopèrent vers une même issue : celle de la résolution du conflit. Le principe dispositif s’est transformé en coopération car le rôle croissant du juge dans le procès a conduit à une nouvelle répartition des charges et prérogatives de chaque acteur. Ce mouvement vers la collaboration se poursuit depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code.
D’un autre coté, ces dernières sont appelées à collaborer de façon plus étroite avec le juge dans un domaine qui leur échappait traditionnellement : celui du droit. Le décret du 28 décembre 1998🏛 qui faisait suite au rapport COULON[1244] a introduit dans la procédure devant le Tribunal de grande instance et la Cour d’appel la pratique des « conclusions qualificatives »[1245]. Les conclusions doivent désormais « formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée »[1246].
L’évolution de la procédure civile ne s’est donc pas produite simplement dans le sens d’un recul de la place des parties et d’un renforcement des pouvoirs du juge. Il s’est agi au contraire de favoriser la rencontre des acteurs du procès dans le but d’améliorer le déroulement de l’instance et la qualité de la solution finale. Le traditionnel principe dispositif a subi une lente transformation pour devenir un principe de coopération. Cette mutation s’est faite progressivement de sorte que l’on peut à nouveau conclure à la continuité du principe. Ce caractère ne suffit pourtant pas à définir la catégorie des principes directeurs. Il faut y ajouter un autre trait distinctif : la généralité.
La première opinion, dite classique, voudrait que toutes les règles de droit soient « réputées générales »[1247]. Cette idée est réfutée par le constat qu’il existe dans le droit des règles qui ont vocation à la généralité alors que d’autres sont conçues pour des cas particuliers. Les actes administratifs individuels, le dispositif des décisions de justice[1248], ne visent que des situations et des individus particuliers. Tout le droit n’est donc pas général, mais certaines de ses règles le sont. Peut-on compter les principes (directeurs) parmi les normes juridiques générales et ces principes possèdent-ils une généralité qui leur est propre ?
« c’est la généralité des principes généraux du droit qui marque le mieux leur définition et les distingue des simples règles de droit »[1249]. Cette généralité se manifeste notamment dans le fait que les principes généraux ont vocation à s’appliquer dans différentes branches du droit et qu’ils ne sont pas cantonnés à une seule discipline juridique[1250]. Un auteur parle ainsi de « déambulation » des principes d’une discipline vers d’autres[1251]. Cette faculté de connaître des applications diverses est un premier aspect de la généralité. Un autre relève que certains principes procèdent d’une « généralisation des faits expérimentaux ». C’est en ce sens que l’on pourrait parler de principes généraux[1252]. Cette réflexion suscite un renvoi à des considérations relatives à la question de la primauté des principes[1253]. On admet que les principes procèdent soit d’une induction de règles techniques, soit que ces dernières découlent d’une déduction des principes, soit enfin que ces deux phénomènes coexistent. Quelle que soit la réalité du phénomène, il semble que l’on puisse déduire, tant de l’induction que de la déduction, un indice de la généralité des principes vis-à-vis des règles techniques. Soit le principe est issu de la généralisation de plusieurs règles et il est plus général que l’ensemble des règles dont il est issu. Soit les règles techniques constituent diverses applications particulières qui découlent du principe et l’on retrouve encore ce degré de généralité supérieure du principe.
Jean BOULANGER fut l’initiateur d’une distinction fondamentale pour expliquer la différence de nature existant entre les principes généraux du droit et les simples règles juridiques (règles techniques)[1254]. Une règle juridique serait générale « en ce qu’elle est établie pour un nombre indéterminé d’actes ou de faits ». Elle est pourtant spéciale « en ce qu’elle ne régit que tels actes ou tels faits ». La généralité des principes signifie par contre qu’ils comportent « un nombre indéfini d’applications ». Conformément à leur définition philosophique, le juriste relève que les principes sont « un ensemble de propositions directrices »[1255]. Cette définition signifie qu’un ensemble de propositions juridiques peuvent former un principe de droit. Cet ensemble est constitutif d’une certaine généralité.
Cette « généralité du deuxième type » a été vivement critiquée par le Professeur MORVAN pour qui la généralité n’est pas un critère de distinction efficace entre principes et autres règles du droit. Selon cet auteur, la généralité est un attribut de nature unique mais qui se présente de façon « graduelle et continue »[1256]. Cette opinion, si elle permet d’écarter la généralité comme critère discriminant, ne parvient pas à contrarier la thèse selon laquelle les principes présentent une généralité plus grande que les règles techniques et que ce caractère peut contribuer à définir et identifier les principes.
La généralité a été reconnue très tôt par la jurisprudence. Parmi d’innombrables décisions, on peut en citer une symptomatique. Sur les réquisitions du Procureur général MERLIN, les chambres réunies affirmaient le 29 octobre 1813 qu’il existe une « règle générale » applicable en l’absence de disposition contraire expresse, selon laquelle les décisions judiciaires « doivent être déférées à des juges supérieurs » et qu’il en est ainsi des ordonnances d’instruction[1257]. Cette décision n’est pas significative en soi, mais elle apprend tout de même que le principe du double degré de juridiction est d’application générale. De quelle généralité s’agit-il ?
Un spécialiste de droit international éclaircit ce point : la généralité d’un principe s’entend du « caractère abstrait de son contenu ainsi que de la portée très large de son effet »[1258]. Cette distinction peut être retenue en droit processuel : les principes directeurs sont généraux en ce qu’ils sont formulés dans une règle générale (§1) mais aussi en ce qu’ils possèdent un champ d’application étendu (§2).
La présomption d’innocence peut fournir une première illustration. Chronologiquement, on trouve ce principe d’abord dans la Déclaration des droits de l’homme. L’article 9 déclare que « tout homme (est) présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable… ». La Déclaration universelle des droits de l’homme reprend cette formule dans des termes très proches dans son article 11 : « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». L’article 6§2 de la CESDH ne s’éloigne pas de cette formule : « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Le Code civil énonce depuis 1993 le principe de façon laconique : « chacun a droit au respect de la présomption d’innocence ». En dernier lieu, la loi du 15 juin 2000🏛 qui a inséré un article préliminaire dans le Code de procédure pénale prévoit dans son alinéa 5 que « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ».
Tous ces libellés sont d’une grande généralité en ce qu’ils sont courts, mais aussi car ils emploient des concept fondamentaux (présomption, innocence, culpabilité, légalement), qui donnent une signification à la règle, mais ouvrent aussi largement la voie de l’interprétation juridictionnelle. La présomption d’innocence, dans son aspect procédural[1261], renvoie au principe énoncé dans le nouveau Code de procédure civile à l’article 9 : « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». On retrouve dans cet énoncé les concepts généraux constitutifs d’un principe : les parties, la prétention, la preuve, la légalité, sont autant de termes qui vont donner à cette norme toute sa portée.
L’énoncé d’un principe peut ne tenir qu’en quelques mots. On trouve dans ce minimalisme l’indice le plus déterminant de la généralité. L’article 455 al 1 du nouveau Code de procédure civile est ainsi rédigé : « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties, il doit être motivé ». La seconde partie de cet alinéa renferme un principe essentiel de la procédure : celui de la motivation. Quatre mots suffisent à l’exprimer : « il doit être motivé ». Ce dénuement est l’expression la plus parfaite du principe en ce qu’il n’utilise qu’un seul terme (motivation) dont la signification est assez claire pour en déterminer des applications concrètes et assez abstraite pour que ce soit le juge qui, par le jeu de l’interprétation, lui confère une application étendue.
De nombreux principes empruntent les voies de la parcimonie dans leur rédaction. « Les débats sont publics » dit encore le nouveau Code de procédure civile[1262]. « Les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve », « le juge décide d’après son intime conviction »[1263] affirme le Code de procédure pénale. « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci… »[1264] ou encore « chacun a droit au respect de sa vie privée »[1265] indique à son tour le Code civil.
Autant de locutions qui visent à s’adresser à un nombre indéfini de personnes (chacun, la personne), ou d’éléments du procès (les infractions, les modes de preuve, les débats, le jugement). Il s’agit surtout de permettre aux règles incluses dans les principes de s’épanouir. Les principes poursuivent des finalités, ces dernières sont inscrites explicitement ou non dans la formulation de la règle. La généralité des termes a pour fonction d’empêcher un enfermement du principe dans un cadre trop étroit. Chaque finalité, en ce qu’elle représente un fait social, doit pouvoir être représentée dans le droit. Les termes du principe ne doivent donc pas être trop précis sous peine de contingenter son application.
La généralité des termes permet aussi d’éliminer du champ des principes, certaines règles qui peuvent en posséder l’apparence. La jurisprudence égare parfois le juriste en affublant de l’appellation « principe » une règle qui n’en possède pas les caractères[1266]. C’est le cas de certaines règles techniques qui mettent en œuvre le principe du double degré de juridiction.
L’article 509 du Code de procédure pénale🏛 aménage l’effet dévolutif de l’appel de la manière suivante : « l’affaire est dévolue à la Cour d’appel dans la limite fixée par l’acte d’appel et par la qualité de l’appelant ainsi qu’il est dit à l’article 515 ». Cette règle qui interdit aux juges d’appel de statuer au-delà de ce qui a été demandé, est une application particulière qui relève de la combinaison du principe de coopération et de celui du double degré de juridiction. Formulé en des termes suffisamment précis, cet article utilise d’ailleurs le mécanisme du renvoi, ce qui en souligne encore la technicité. A son propos la chambre criminelle de la Cour de cassation affirmait : « attendu qu’aux termes de l’article 509 du Code de procédure pénale🏛, l’affaire est dévolue à la Cour d’appel dans les limites fixées par l’acte d’appel et la qualité de l’appelant ; que, si un jugement contient des dispositions distinctes et s’il n’y a appel que de certaines d’entre elles, la Cour d’appel ne peut réformer que celles dont elle est saisie, que ce principe général et absolu s’applique à l’appel du ministère public »[1267]. Le principe énoncé n’est pas général même s’il s’applique chaque fois que les conditions de l’article 509 sont réunies. Il s’agit là d’un effet logique de toutes règles de droit. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un principe mais bien d’une règle technique qui met en œuvre plusieurs principes. La Cour suprême utilise le terme de principe général pour étendre l’application de l’article 509 au Procureur de la République. Cette méthode n’était pas indispensable car le Code de procédure pénale🏛 ne distingue pas dans cette disposition, ni d’ailleurs dans l’article 515 auquel elle renvoie, entre partie privée et ministère public. L’effet dévolutif s’applique bien à toutes les parties, mais les termes de l’article et ceux de la solution jurisprudentielle ne suffisent pas, en raison de leur précision, pour conférer à cette norme le qualificatif de principe. L’utilisation du terme « principe » pour donner plus de force à ses attendus est une pratique courante de la part de la Cour de cassation. La troisième chambre civile en apporte un autre exemple.
Une partie avait formé un appel contre un jugement qui ne lui avait pas accordé les indemnités sollicitées. Faisant preuve d’une certaine négligence, elle s’était contentée d’une simple lettre adressée aux juges d’appel faisant référence à son mémoire de première instance. Le troisième alinéa de l’article 954 du nouveau Code de procédure civile prévoit pourtant que « la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par référence à ses conclusions de première instance ». L’attitude de l’appelante était ouvertement contraire au texte. La Cour d’appel devait l’écarter simplement. En cassation, la troisième chambre civile fut plus solennelle évoquant « le principe général fixé à l’article 954 al 3 du nouveau Code de procédure civile »[1268]. Encore une fois les termes mêmes de l’article 954 al 3, qui n’est d’ailleurs qu’une modalité d’application de l’alinéa premier[1269], ne comportent pas une généralité suffisante pour lui conférer la qualité de principe directeur du procès civil.
Avec la généralité dans la formulation de la règle, on a l’impression de tenir un indice suffisant de l’identification des principes. Ce n’est pourtant pas le cas. D’une part, certains principes ne connaissent pas de formulation générale, d’autre part, certaines règles techniques possèdent cette propriété.
Les principes jurisprudentiels ne sont pas les seuls à être dépourvus d’une formulation générale. Les textes se contentent parfois de ne définir un principe qu’à travers les règles techniques qui le composent.
Le principe du contradictoire est un principe directeur du procès civil. Il tient sa place parmi les 24 premiers articles du nouveau Code. Néanmoins, le contradictoire n’est pas défini dans ce texte. Quatre articles parmi les dispositions liminaires lui sont consacrés[1272]. Le premier prévoit l’interdiction de juger une personne sans qu’elle ait été entendue ou appelée. Le deuxième évoque la question de la communication des pièces de procédure. Le troisième vise l’obligation pour le juge de respecter le principe. Le dernier prévoit le rétablissement du contradictoire a posteriori lorsque les circonstance ont conduit momentanément à son éviction. Toutes ces règles sont des applications particulières du principe, mais aucune ne l’incarne à elle seule. Le contradictoire est un principe complexe ; il ne peut se satisfaire d’une définition trop simple et réductrice. On dit par exemple à son propos qu’il vise à ce que « chaque partie soit en mesure de discuter les prétentions, les arguments et les preuves de son adversaire »[1273]. Cette formule omet l’article 16 du nouveau Code de procédure civile qui soumet le juge au principe. On pourrait tenter d’élargir la définition. Il s’agirait de garantir le droit pour chaque partie de prendre connaissance et de discuter les éléments de fait et de droit qui sont dans le procès.
En matière pénale, la doctrine s’est aussi essayée à définir le principe, alors que le Code est silencieux sur la question[1274]. Il s’agirait du « droit pour toute partie au procès d’avoir, d’une manière permanente, une parfaite connaissance des prétentions de son adversaire, de son argumentation, des moyens qu’il invoque, des preuves qu’il apporte. Elle doit être à tout moment en mesure de connaître et de discuter librement tous les éléments du débat que fournit l’autre partie »[1275]. Le principe s’éclaire mais sa formulation manque d’abstraction. Tous les termes employés semblent généraux, mais ne réduisent-ils pas le champ d’application du principe ?
L’idée du contradictoire tient dans un premier terme : la discussion. Celle-ci n’est possible que sous une condition préalable : la connaissance. Ce sont les deux aspects qu’il faut réunir pour définir le principe : le droit d’accéder à la connaissance (les pièces, les prétentions, les argumentations) et le droit de discuter ces éléments dans l’espoir d’emporter la conviction du juge. C’est la définition que semble retenir la CEDH dans son arrêt vermeulen[1276]. La Cour estime que le contradictoire « implique la faculté pour les parties à un procès pénal ou civil de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge, même par un magistrat indépendant en vue d’influencer sa décision et de la discuter ». La sentence n’est pourtant pas suffisamment générale. Elle n’évoque pas la question des « observations » que le juge pourrait émettre lui même. Par ailleurs, la Cour européenne utilise le terme d’« implication ». La règle énoncée dans l’arrêt est impliquée par le principe du contradictoire. Peut-on en déduire que le principe prescrit d’autres règles ? La Cour ne répond pas à cette question. Malgré une certaine généralité, l’arrêt vermeulen n’embrasse pas toutes les applications du principe.
D’autres principes résistent à une tentative de définition courte et générale. On peut penser en premier lieu au principe de coopération. A l’époque du règne du principe dispositif, on pouvait se contenter d’affirmer qu’il existait une règle selon laquelle le procès est la chose des parties. Le droit a évolué dans le sens d’un partage des rôles[1277]. Aujourd’hui, les parties et le juge coopèrent à la conduite du procès. Ce principe de coopération n’est pas susceptible d’être réduit à une expression courte. Il comporte de nombreuses règles qui obligent, interdisent, confèrent des droits. Le juge ne peut pas introduire l’instance[1278] mais il peut relever d’office les moyens de droit[1279]. Les parties ont la charge d’alléguer les moyens propres à fonder leurs prétentions[1280] et d’apporter la preuve de l’existence des faits sur lesquels reposent ces moyens[1281]. Elle peuvent librement décider de mettre fin à l’instance, mais si elles décident de la poursuivre, elles sont tenues par les délais qui leur sont imposés par le juge[1282].
Comment donner à cette variété de règles très différentes une définition normative synthétique. Il semble que le principe de coopération, aisé dans sa compréhension, ne puisse être exprimé ou contenu dans une seule règle de droit. On peut suggérer la synthèse suivante : les parties et le juge coopèrent au bon déroulement de l’instance introduite devant lui dans le respect des droits et obligations qui leur incombent. L’essai n’est pas satisfaisant en ce que la proposition très générale ne possède pas une signification suffisamment intelligible pour constituer un instrument efficace dans les mains du juge et des plaideurs.
Il faut alors reconnaître la résistance de certains principes à la formulation générale et significative. D’autres principes rencontrent cette difficulté. C’est le cas des droits de la défense, notion si vague que ses contours sont indéterminables[1283]. Certaines règles qui émanent de ce principe semblent posséder le caractère de la formulation générale. Par exemple, l’adage selon lequel il n’y a pas de nullité sans grief est reconnu par les deux Codes procéduraux[1284] qui n’admettent la nullité qu’à charge pour la partie qui l’invoque de démontrer qu’elle lui cause un grief, ou quelle porte atteinte à ses intérêts. Cette règle se présente sous la forme d’une proposition courte, générale et intelligible. S’agit-il pour autant d’un véritable principe directeur du régime des nullités ou d’une simple application in concreto des droits de la défense[1285] ? Cette question met en évidence le fait qu’il existe des règles techniques dont l’expression est générale.
L’article 537 du nouveau Code de procédure civile dispose de façon péremptoire que « les mesures d’administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours »[1286]. Doit-on considérer qu’il s’agit d’un principe à part entière ou d’une exception au principe du droit au recours ? La proposition est courte ; elle porte sur une catégorie d’actes assez générale (les mesures d’administration judiciaire) ; elle formule une règle simple (l’interdiction de tout recours). Il ne s’agit pourtant pas d’une règle formulant un principe au sens où nous l’entendons. Il lui manque notamment l’expression d’une certaine flexibilité[1287]. La même remarque est valable pour de très nombreuses dispositions inscrites dans les textes ou consacrées en jurisprudence.
Ce critère de généralité dans le domaine d’application se compose de différents éléments qui permettent d’en définir les contours (A). Cette définition de la généralité ne permet pas d’en faire un critère unique de reconnaissance. Il faut donc en apprécier la juste valeur (B).
D’autres principes visent au contraire des personnes déterminées. C’est le cas du secret de l’instruction. L’article 11 du Code de procédure pénale🏛 prévoit dans un premier alinéa de façon générale que « la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète ». Cependant, le second alinéa limite la portée du principe en prévoyant que « toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal🏛🏛 ». Une interprétation littérale de cet article conduit à l’analyse suivante : dans un première temps, le secret de l’instruction s’applique à tous ; dans un second temps, il est renforcé par le secret professionnel qui concerne seulement les personnes « qui concourent » à la procédure.
La jurisprudence ne s’en est pas tenue à cette interprétation. Si elle condamne la violation du secret de la mise en état par le juge d’instruction[1290] ou encore la violation du secret professionnel par des agents de police[1291], elle a estimé que « la victime d’un crime ou d’un délit qui a porté plainte et s’est constituée partie civile devant le juge d’instruction (…) ne concourt pas à la procédure d’instruction au sens de l’article 11 »[1292]. La jurisprudence européenne estime dans le même sens que la condamnation d’un journaliste pour violation du secret de l’instruction est contraire à l’exercice de sa liberté d’expression. La CEDH conclut alors à la violation de l’article 10 de la Convention européenne[1293].
Afin de se protéger contre une éventuelle divulgation des pièces de la procédure durant la phase de mise en état, la loi et la jurisprudence prévoyaient initialement que les parties privées pouvaient consulter leur dossier avec leur avocat mais ne pouvaient se voir remettre des pièces ou copies de pièces de la procédure[1294]. La situation a changé depuis une loi n°96-1235 du 30 décembre 1996🏛 qui modifie l’article 114 du Code de procédure pénale🏛. Désormais, une reproduction des pièces peut être transmise par l’avocat à son client. Il pèse sur ce dernier une interdiction de diffuser ces pièces auprès de tiers[1295].
Les personnes concernées par le secret de la mise en état sont donc en nombre réduit[1296]. Les tiers au procès sont protégés par leur liberté d’expression et les parties privées peuvent, sauf à diffuser les pièces de la procédure, divulguer largement les informations contenues dans le dossier. Ce manque de généralité est de nature à introduire un doute sur l’assimilation de cette norme à un principe de procédure.
Sans évoquer toutes les hypothèses dans lesquelles l’obligation de motivation s’impose, on doit constater qu’un très grand nombre d’actes sont concernés par le principe. Cela constitue un signe de généralité manifeste. En l’état du droit positif, certains principes échappent à cette forme de généralité. On peut penser à la loyauté dans la recherche de la preuve. Ce principe s’applique avec une certaine rigueur à l’égard des actes produits par les organes publics chargés de l’enquête, des poursuites ou de l’instruction. Le défaut de loyauté a permis d’écarter un acte accompli par un juge d’instruction[1301], ou par un officier de police judiciaire[1302]. Par contre, le principe ne peut servir de fondement pour déclarer irrecevable une preuve rapportée, en violation de l’intimité de la vie privée, par une partie privée. La Cour de cassation est assez précise sur ce point en décidant que : « les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils n’auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale »[1303]. La discrimination opérée en jurisprudence est fondée sur le critère des personnes, mais elle porte en fait sur les pièces rapportées par ces personnes dans le procès. Certaines seront annulées ou déclarées irrecevables, alors que d’autres pourront être librement produites devant les juridictions répressives[1304].
Le principe de dignité inscrit à l’article 16 du Code civil🏛 concerne la procédure mais aussi la protection du corps humain, ou réglemente encore le droit des empreintes génétiques. Son application ne se réduit pas à l’interdiction des tortures, traitements inhumains ou dégradants au cours d’une procédure. Le principe d’égalité devant la justice, n’est que l’aspect procédural d’un autre dont l’application est illimitée : le principe de l’égalité énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme. Il n’est pas besoin d’aller plus loin dans la démonstration. On peut trouver un élément de la généralité des principes non seulement dans leur double existence en procédure civile et pénale, mais aussi, pour certains, dans le fait qu’ils constituent l’aspect processuel d’un principe plus vaste.
En matière de double degré de juridiction, même si le principe n’est pas formulé expressément dans un des Codes, il trouve son fondement dans les multiples dispositions qui lui sont consacrées. Par exemple, l’article 496 du Code de procédure pénale🏛 dispose solennellement que « les jugements rendus en matière correctionnelle peuvent être attaqués par la voie de l’appel ». Un individu avait été condamné à une peine de prison pour recel. Il obtint par la suite du tribunal correctionnel que cette peine soit assortie d’un sursis de trois mois. Le condamné, ainsi que le Procureur de la République formèrent un appel contre cette décision mais la Cour devait décider que s’agissant d’une décision à caractère gracieux, aucun recours n’était recevable. L’arrêt fut cassé au motif que les jugements rendus en matière correctionnelle peuvent toujours être attaqués par la voie de l’appel, sauf s’il est dérogé à cette règle de portée générale par une disposition expresse de la loi[1307]. La formule est traditionnelle et les chambres civiles l’utilisent régulièrement en décidant encore que « l’appel est de droit dans tous les cas qui ne sont pas formellement exceptés par la loi »[1308].
Parfois, le texte qui consacre le principe, règle la question de la lacune juridique. L’article 22 du nouveau Code de procédure civile est rédigé ainsi : « les débats sont publics sauf les cas où la loi exige ou permet qu’ils aient lieu en chambre du conseil ». Cette expression a notamment permis d’imposer la publicité dans les procédures disciplinaires[1309]. Lorsque la règle est applicable en l’absence d’un texte la prévoyant littéralement, il faut reconnaître qu’elle détient une certaine forme de généralité. Pour autant, cette généralité est-elle susceptible de conférer à la règle la valeur d’un principe ?
En ce sens, la jurisprudence constitutionnelle décide qu’une dérogation à un principe directeur ne peut être prévue par une loi en des termes généraux. Dans sa décision du 12 janvier 1977 relative à la fouille des véhicules par les OPJ et APJ[1311], le Conseil constitutionnel censure une loi qui autorise une atteinte au principe de la liberté individuelle de façon générale. Le dernier considérant de la décision est clair à ce sujet : « en raison de l’étendue des pouvoirs, dont la nature n’est, par ailleurs, pas définie, conférés aux officiers de police judiciaire et à leurs agents, du caractère très général des cas dans lesquels ces pouvoirs pourraient s’exercer et de l’imprécision de la portée des contrôles auxquels ils seraient susceptibles de donner lieu, ce texte porte atteinte aux principes essentiels sur lesquels repose la protection de la liberté individuelle »[1312]. Le principe est général, son exception ne saurait être que particulière affirme le Conseil.
Inversement, la règle technique peut prendre de l’ampleur grâce au principe. Le principe de séparation des fonctions comporte plusieurs volets (poursuite, instruction, jugement, exécution des décisions) et diverses applications techniques[1313]. L’une des dispositions textuelles techniques qui met en œuvre ce principe est contenue dans l’article 253 du Code de procédure pénale🏛 relatif à la procédure devant la Cour d’assises : « ne peuvent faire partie de la Cour en qualité de président ou d’assesseur les magistrats qui, dans l’affaire soumise à la Cour d’assises ont, soit fait un acte de poursuite ou d’instruction, soit participé à l’arrêt de mise en accusation, ou à une décision sur le fond relative à la culpabilité de l’accusé ». Par l’intermédiaire du principe, la disposition textuelle a vu son champ d’application s’étendre à toutes les juridictions. La Cour de cassation relève ainsi l’existence d’un « principe absolu et de portée générale selon lequel les fonctions du ministère public sont par essence incompatibles avec celles de juge »[1314] pour condamner la présence dans la chambre d’accusation d’un magistrat ayant connu de l’affaire en tant que représentant du ministère public. Les magistrats de la juridiction suprême ont de même refusé le droit de siéger dans une Cour d’assises au « magistrat qui a été antérieurement conduit à porter une appréciation sur les faits de viols et agressions sexuelles aggravés reprochés à l’accusé, à l’occasion d’une instance en divorce opposant ce dernier à son épouse et au cours de laquelle étaient invoqués les faits poursuivis »[1315].
L’article 253 du Code de procédure pénale🏛 est conforme au principe de séparation des fonctions, sa portée est étendue par la jurisprudence. Le principe confère donc une certaine généralité à la règle. Pour autant, dans l’exemple cité, la Cour de cassation prend appui sur le texte[1316] ; elle remonte au principe et déduit alors de nouvelle règles techniques. L’article 253 n’est pas général en lui même. Il est à l’origine d’extensions techniques qui transitent par le principe séparatiste. Si les principes semblent être plus généraux que les règles techniques, ce caractère n’est pas identique pour tous les principes.
Ce phénomène se retrouve dans le domaine procédural. Le principe d’impartialité peut se décomposer en principe d’indépendance, de collégialité, de séparation des fonctions, de motivation, de publicité et d’oralité des audiences, du contradictoire. Chacun de ces principes affiliés protège à sa manière l’exigence d’impartialité de la justice. Un même principe peut d’ailleurs être affilié à plusieurs autres ou encore former des chaînes continues d’implication. Le double degré de juridiction est inclus dans le principe du droit au recours, lui même compris dans l’exigence d’un droit au juge, qui n’est finalement qu’une illustration particulière des droits de la défense.
Sur toute l’étendue du système juridique, certains principes procéduraux ne sont que les illustrations de principes plus généraux qui dominent toutes les matières. Il y a là un indice de généralité. Le principe de la liberté individuelle ne possède que peu d’applications procédurales, surtout si l’on considère, à l’encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, que les fouilles, perquisitions, saisies ou contrôles d’identité tiennent plus d’une atteinte à l’intimité de la vie privée qu’à la liberté individuelle. Il reste une application majeure de la liberté : celle de la limitation des détentions provisoires. La généralité du principe de la liberté individuelle découle plus de sa faculté de « déambuler » parmi les disciplines juridiques que de la multiplicité de ses applications procédurales.
La généralité semble être un critère qui distingue les principes des règles techniques, mais aussi les principes entre eux. Une certaine confusion est alors introduite. Tous les principes sont généraux, mais tous ne connaissent pas la même généralité. La confusion est renforcée lorsque l’on constate que des règles techniques sont elles mêmes d’application générale. Ce qui conduit à mettre en doute la validité du critère.
La difficulté est renforcée du fait de la jurisprudence qui étend le champ d’application d’une règle technique et utilise corrélativement le terme de principe pour la désigner. Dans un arrêt du 8 mars 1995[1320] la Cour de cassation affirme qu’« il résulte des principes généraux de la procédure pénale que le demandeur qui se dérobe à l’exécution d’un mandat de justice n’est pas en droit de se faire représenter pour se pourvoir en cassation, sauf à justifier de circonstances l’ayant mis dans l’impossibilité absolue de se soumettre en temps utile à l’action de la justice ». Cette règle, purement jurisprudentielle, dérogatoire au principe du droit au recours, ne possède pas l’ensemble des caractères de généralité suffisants pour constituer un principe. Pourtant, la Cour de cassation a longtemps décidé de rejeter de nombreux recours formés devant une juridiction répressive dans le cas où la personne condamnée se dérobait à un mandat de justice[1321]. La règle fait-elle partie de la catégorie des principes directeurs ? Aucune réponse définitive ne semble satisfaisante au regard du critère de la généralité. On peut néanmoins l’écarter au regard d’autres critères[1322]. La chambre criminelle a tranché la question en supprimant purement et simplement la règle de l’ordre positif[1323].
Cette opinion est tout à fait convaincante. Pour autant il faut restituer à ce caractère son exacte valeur. On lit à propos de la généralité qu’elle « ne rend pas compte de la prééminence éventuelle du principe sur la règle de droit »[1325]. La fonction de ce caractère n’est pourtant pas d’induire une quelconque prééminence des principes. Généralité et prééminence n’entretiennent aucune relation et ne poursuivent pas les mêmes fins. La prééminence du principe est issue du rapport étroit qu’il entretient avec les finalités sociales. Le principe se place ainsi à un niveau élevé dans la hiérarchie des normes. La généralité du principe lui confère une application étendue. S’il n’existe pas de généralité d’un premier et d’un second type, on peut admettre la présence d’une pluralité d’éléments qui permettent d’établir une généralité plus ou moins considérable. Néanmoins, ces différents indices de généralité ne suffisent pas à caractériser un principe. Dans la recherche d’une dissemblance entre principes et règles techniques, il ne suffit pas de constater que les règles se regroupent au sein d’un principe pour affirmer qu’elles ne sont pas générales. Cette relation d’inclusion existe aussi dans les relations entre principes. Elle n’est donc pas discriminante.
La généralité n’est donc pas le critère qui permet de déceler avec assurance un principe directeur parmi d’autres normes de procédure. On doit lui adjoindre une dernière propriété : la flexibilité.
La logique binaire peut être exprimée ainsi : dans un premier temps, la règle technique est applicable (si les conditions d’application sont réunies) ou elle ne l’est pas (une ou plusieurs conditions font défaut) ; dans un second temps, si la règle est applicable, elle s’impose de façon rigide de sorte qu’elle est, soit respectée, soit violée. Le principe ne reçoit pas une application binaire.
Un auteur indique que le principe suit une « logique du flou, c’est à dire d’un système de gradation où l’appréciation se fonde non pas sur appartenance / non-appartenance, mais sur le degré d’appartenance »[1326]. Selon cette logique le principe ne se contente pas d’énoncer les conséquences juridiques qui en découlent automatiquement[1327], mais prévoit un cadre dans lequel évoluent d’autres règles ou comportements. Le principe favorise une direction à prendre, une voie à suivre. Il fournit une « raison » en faveur d’un type de solution sans que cette solution soit absolument contraignante[1328].
On peut reprendre l’exemple du délai pour exercer une voie de recours ordinaire. L’une de ces voies, l’appel, dépend du principe du double degré de juridiction. Ce principe existe dans la procédure française mais il ne s’impose pas systématiquement. Depuis le début du 19ème siècle, la Cour de cassation ne donne pas une valeur absolue ou indérogeable au double degré de juridiction. Dans un arrêt de 1813 les magistrats de la haute juridiction décidaient qu’en matière civile ou pénale, les décisions doivent « en cas de réclamation ou d’appel, être déférées à des juges supérieurs »[1329]. Il est encore prévu que ce principe est effectif « lorsqu’il n’y a pas de disposition contraire et expresse »[1330]. L’article 543 du nouveau Code de procédure civile poursuit cette idée. Il prévoit que « la voie d’appel est ouverte en toutes matières, même gracieuse, contre les jugements de première instance, s’il n’en est autrement disposé ».
Principes directeurs et règles techniques se distinguent encore une fois par le biais de ce critère de la flexibilité. Un auteur illustre partiellement cette distinction en opposant la hard-law traditionnelle « toujours obligatoire » et « s’imposant systématiquement » et un nouveau type de règle qui se développe sous la forme d’une soft-law « adoucie, plus compréhensive »[1331]. Il faut s’entendre sur ces termes. Les principes ne se contentent pas de formuler des vœux. Ils sont au contraire de véritables normes qui s’imposent, mais selon un mode de contrainte évolué. Ils sont flexibles en ce sens qu’une règle technique ou un comportement peut y déroger sans être machinalement sanctionné. Le principe est souple, malléable ; il s’adapte aux situations particulières.
Une trop grande rigidité du principe présenterait des effets pervers. De par sa généralité, le principe à vocation à régir un grand nombre de situations juridiques. On ne peut l’imposer dans la totalité de ces situations. On se doit plutôt d’examiner si chacune de ces situations correspond à la logique, à la finalité du principe, pour décider de son application ou de sa dérogation. Le principe demeure mais coexiste avec la dérogation qui en est l’une des modalités de mise en œuvre. Cette flexibilité est particulièrement adaptée aux situations juridiques plurales. La Convention européenne des droits de l’homme🏛 stipule l’existence d’un certain nombre de principes qui doivent être respectés par les Etats membres du Conseil de l’Europe. Le texte commun doit pour autant s’adapter aux particularismes locaux, aux conflits des systèmes de droit. Les principes reçoivent ainsi une application et une interprétation souple qui tient compte de la « marge nationale d’appréciation »[1332].
La notion de flexibilité doit d’abord être précisée (§1) avant d’envisager quels sont les facteurs qui produisent cette flexibilité et font ainsi varier l’autorité normative des principes (§2).
On peut viser le concept plus vaste de notion floue ou encore de notion à contenu variable. Il s’agit de la « dénomination globalisante (…) qui invite le juge à émettre un jugement de valeur portant directement sur des comportements sociaux par référence à un système normatif, juridique ou non, existant ou en formation, afin de rendre une décision ou de poser une norme » [1337]. La notion floue sert tout autant à l’interprétation du droit qu’à la création d’une nouvelle règle. Il faut ajouter à cette définition la possibilité pour le juge, grâce à la notion floue, de porter un jugement « sur des comportements sociaux » mais aussi sur des normes juridiques.
En résumé, le standard, instrument de mesure, permet d’évaluer un comportement (ou une norme) en rapport à un modèle[1338] donné définissant une certaine normalité. La notion floue détermine plus généralement un cadre d’appréciation, sur la base d’un concept préétabli, permettant d’évaluer si une norme ou un comportement entre ou non dans ce cadre[1339]. Parmi les principes directeurs du procès judiciaire, certains peuvent être rangés dans la catégorie des standards. Tel est le cas du principe d’impartialité[1340]. D’autres principes semblent relever plutôt de notions floues ou à contenu variable. Ce peut être le cas des concepts plus techniques de double degré de juridiction, d’autorité de la chose jugée, de motivation des décisions de justice[1341].
Si les principes directeurs présentent des similitudes certaines avec les standards et les notions floues (a), l’assimilation ne peut être faite entre les différents concepts. Les standards et notions floues transmettent aux principes leur flexibilité par le biais d’une relation d’appartenance ou d’inclusion (b).
a) Les similitudes entre les principes et les standards
Dans leur rôle de définition d’un concept ou d’un cadre de référence, les standards doivent être proches des faits sociaux, directement inspirés par eux. Les références sociales sont définies par les valeurs ou les utilités. Ceci est vrai pour les standards, ça l’est aussi pour les principes directeurs. Standards et principes présentent cette similitude d’être proches et d’exprimer directement une nécessité ou une référence sociale. La ressemblance est plus nette encore en ce qui concerne la fonction de ces deux formes normatives.
Le propre des standards et des principes directeurs est donc de définir des modèles de conduite, qui vont servir de repères à tous les organes qui sont chargés de les mettre en œuvre et de les interpréter. Il peut s’agir des juges, mais aussi du législateur ou du pouvoir réglementaire qui ont la charge de déterminer des règles techniques visant à l’application des principes ou des standards.
Les deux catégories présentent des similitudes mais elles ne se confondent pas pour autant. En fait, les principes utilisent les standards ou les notions floues auxquelles ils empruntent leur flexibilité. Dès lors, certains principes peuvent s’identifier à des notions floues car ils intègrent une de ces notions dans leur contenu.
b) Les standards transmettent aux principes leur flexibilité
Les standards sont inclus dans les principes directeurs. Ils constituent l’élément essentiel de leur définition. L’intérêt pour un principe, de recourir au standard est notamment d’emprunter sa dimension axiologique ou téléologique. L’intégration d’un standard dans une règle de droit « n’a pour fonction que de formuler l’inclusion substantielle d’une donnée axiologique »[1353]. De façon plus générale, les standards font office de « médiateur(s) entre une réalité sociale complexe qui doit être saisie de manière institutionnelle et le principe de droit »[1354]. C’est donc notamment par les standards et notions floues que les principes intègrent les faits sociaux. Les principes proviennent des faits sociaux, des valeurs et utilités sociales. Certaines de ces valeurs (impartialité, loyauté, équité) peuvent être assimilées aux notions floues ou aux standards. D’autres concepts équivoques ou notions à contenu variable (double degré de juridiction, intime conviction) sont liés à des valeurs et utilités.
Les standards pourraient donc constituer la formulation téléologique des règles de droit institutionnalisées par les principes. Cette équivoque, est créatrice de flexibilité, de graduation dans l’application des concepts. On l’observe nettement à travers certaines illustrations.
Le principe de célérité connaît des acceptions multiples. Il est de ce fait une notion floue ou à contenu variable. Selon que sont en cause la question du jugement, de la durée de la détention provisoire, ou du recours contre une atteinte à la liberté, l’appréciation de la célérité est différente. Ce qui est remarquable, c’est que cette appréciation dépend encore de standards, comme le délai raisonnable, la durée raisonnable, ou encore le bref délai. Il s’agit, toujours dans le souci d’une certaine flexibilité de poser des systèmes de référence de la célérité adaptés à la diversité des situations.
La distinction entre les normes techniques et les principes directeurs se précise. L’article 538 du nouveau Code de procédure civile relatif aux délais d’appel est une simple disposition technique. Cette règle s’applique de façon rigide dans le respect de délais déterminés en jours ou en mois. La marge d’interprétation de ce texte existe mais elle est restreinte. On pourra se demander notamment, quel est le point de départ du délai. Cette question est tranchée par d’autres dispositions techniques que sont les articles 640 à 642-1 du même Code. En ce qui concerne le principe de célérité, le processus est inverse. Aucun délai n’est prévu. Les juges ont la charge de donner un contenu au principe en application des lignes directrices qui sont indiquées dans les textes. Les juridictions ont été amenées à donner un sens précis à la notion de délai raisonnable prévue à l’article 6§1. Il est nécessaire de tenir compte des circonstances de la cause pour en mesurer le respect. L’appréciation du caractère raisonnable va donc se faire in concreto[1355]. La complexité de l’affaire, le nombre de parties, les difficultés dans la recherche des preuves, le comportement du requérant ou celui des institutions chargées de conduire le procès, seront autant d’éléments qui permettront de dire si le principe de célérité a ou non été respecté[1356].
L’utilisation de la logique du flou pour déterminer la portée normative des principes directeurs et l’emprunt aux standards ainsi qu’aux notions floues du droit conduit à constater que les principes sont des normes malléables. Leur contenu est rendu plus précis ou explicite par le jeu des règles techniques que les textes et la jurisprudence prévoient pour leur mise en œuvre. Les juridictions ont ainsi un large champ d’interprétation qui permet d’adapter l’application des principes aux situations concrètes. L’autre volet de la flexibilité consiste dans le fait que les principes supportent des exceptions. Celles-ci constituent de véritables modalités de mise en œuvre du principe. Pour cette raison, le principe n’est pas atteint dans sa substance. Au contraire, les dérogations sont nécessaires pour que le principe ne fasse pas l’objet d’une application systématique, aveugle et parfois absurde. Si le principe n’est pas touché dans son existence, il subit par contre une atteinte à son autorité normative.
a) L’existence du seuil de flexibilité
Un auteur constate que la flexibilité peut s’observer à propos de toutes les normes juridiques. Le droit, affirme-t-il « comporte par nature une marge d’ineffectivité. Il ne peut pas s’imposer à 100% »[1358]. Cette transgression plus ou moins marginale ne peut justifier une remise en cause systématique de la règle de droit sauf s’il existe un « seuil d’ineffectivité intolérable ».
On ne doit pas confondre seuil de flexibilité et seuil d’effectivité. Le premier relève des atteintes que le juge ou les textes tolèrent sans que cela puisse remettre en cause l’existence et le bien fondé du principe. Le second est la conséquence des atteintes factuelles et non sanctionnées aux règles de droit. L’absence de sanction ne résulte alors pas de la tolérance du juge mais du fait que le comportement illicite ne lui est pas soumis.
Le droit de faire appel, élément du double degré de juridiction est réglé par des dispositions textuelles. En matière pénale, ce droit est limité notamment en ce qui concerne les jugements du Tribunal de police. L’article 546 prévoit que l’appel n’est possible que « lorsque l’amende encourue est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe, lorsqu’a été prononcée la peine prévue par le 1° de l’article 131-16 du Code pénal🏛, ou lorsque la peine d’amende prononcée est supérieure au maximum de l’amende encourue pour les contraventions de la deuxième classe ». En matière civile, une série de dispositions relatives à la compétence d’attribution du Tribunal d’instance[1359] détermine si cette juridiction juge « à charge d’appel » ou « en dernier ressort » les affaires qui lui sont soumises. A titre d’exemple, l’article R-321-1 prévoit que le Tribunal d’instance « connaît en dernier ressort jusqu’à la valeur de 25000 F. » de toutes les actions personnelles ou mobilières.
D’autres dérogations peuvent être prévues par la loi visant à restreindre l’application du principe du double degré de juridiction conçu comme un double examen au fond d’un dossier. L’article 568 du nouveau Code de procédure civile dispose que « lorsque la Cour d’appel est saisie d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction, ou d’un jugement qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive ». Le mécanisme de l’évocation peut s’analyser comme une atteinte au double degré de juridiction dans la mesure où le fond de l’affaire ne sera examiné que par une seule juridiction : la Cour d’appel saisie sur une question de forme et qui étend sa compétence à l’examen du fond. Cette dérogation étant prévue par la loi, elle permet de déterminer précisément l’un des aspects du seuil de flexibilité. On doit admettre le droit au double degré de juridiction sous la réserve de l’évocation.
Ces deux exemples montrent à quel point il est délicat non pas de connaître, mais de définir le seuil de flexibilité. Le double degré de juridiction peut être limité par l’enjeu financier du litige, mais aussi par le mécanisme de l’évocation. Ces deux règles sont dérogatoires au principe ; elles en limitent l’autorité, mais n’ont aucun lien entre elles. La représentation du seuil de flexibilité ne peut être conçue sur un axe qui ne comporterait qu’une seule référence ou encore en fonction d’un critère unique. Chaque principe développe de nombreuses applications autour de lui. Chacune d’entre elles possède un degré de développement plus ou moins avancé. Il n’existe donc pas un seul critère de flexibilité mais une pluralité, voire une multitude de critères. Parfois ces derniers sont explicites, d’autres fois c’est au juge que revient la charge de les déterminer.
Le principe de loyauté est dégagé par la jurisprudence notamment pour sanctionner les provocations policières. Ces provocations ne portent pas automatiquement atteinte au principe. Un auteur souligne la difficulté qui existe lorsqu’il s’agit de définir un « seuil de loyauté au-delà duquel les poursuites engagées sont irrégulières »[1360]. Pour connaître ce seuil, il faut poser un critère de licéité des provocations. La doctrine proposait que le seuil de loyauté repose sur une adéquation entre la méthode utilisée par les policiers et le but recherché. Le même comportement pourrait être qualifié de loyal ou déloyal en raison du but poursuivi par la manœuvre. La jurisprudence utilise ce critère en recherchant si la provocation a « déterminé » la commission de l’infraction ou si elle s’est contentée d’en « arrêter la continuation »[1361] ou de « constater le délit »[1362].
La délimitation du seuil de flexibilité est une tache qui revient aussi à la CEDH. La Cour peut être plus ou moins précise dans cette opération. La doctrine relève de façon générale quels sont les critères de conformité à la Convention, relatifs aux mesures prises par les Etats membres[1363]. La Cour évalue si la mesure dérogatoire à un principe est simplement « opportune », ou si elle est « absolument nécessaire » ou encore « strictement nécessaire ». Elle pourra encore estimer l’atteinte au principe comme « proportionnée » ou non au but poursuivi.
Une illustration peut être trouvée dans l’arrêt Brannican et Mc Bride c/Royaume uni[1364] qui porte sur une législation dérogatoire à l’article 5§3 de la Convention. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, une loi de 1984 avait été votée en Irlande du nord qui permettait l’arrestation sans mandat d’une personne sur laquelle pesaient des soupçons d’être ou d’avoir été impliquée dans un acte terroriste. Deux personnes qui avaient été arrêtées respectivement pendant plus de six et quatre jours formèrent un recours devant la CEDH pour violation de l’article 5§3 qui ouvre l’accès à un juge pour toute personne arrêtée ou détenue. La Cour européenne avait donc à juger si la dérogation instituée par la loi de 1984 était compatible avec les principes énoncés par la Convention. Le Royaume uni se prévalait de l’article 15§1 qui ouvre le droit de dérogation « en cas de guerre ou de danger public menaçant la vie de la nation ». Cette stipulation limite les dérogations « dans la stricte mesure où la situation l’exige ». La Cour devait apprécier selon ce critère de « stricte mesure » si la situation de crise provoquée par le terrorisme justifiait la mise à l’écart des principes de liberté et du droit au recours, visés à l’article 5§3. Elle constatait que les difficultés inhérentes aux enquêtes et poursuites dans le domaine du terrorisme commandent d’étendre la période de garde à vue soustraite à tout contrôle judiciaire. On retrouve cette idée à l’article 145-1[1365] du Code de procédure pénale🏛. Ce texte limite la détention provisoire en matière correctionnelle à une période d’un an. Toutefois, il admet que cette durée soit portée à deux ans lorsque l’infraction a été commise à l’étranger ou qu’elle relève d’actes de criminalité organisée[1366]. Les difficultés rencontrées dans la lutte contre certains modes de criminalité justifient l’assouplissement du principe.
Le seuil de flexibilité permet aux principes de s’adapter aux espèces. Le principe de la motivation découle de l’article 6§1 de la CESDH[1367]. Une étude doctrinale[1368] montre que la Cour européenne n’admet pas les motivations lapidaires. Des motifs brefs peuvent suffire, mais lorsqu’une juridiction du second degré se contente de renvoyer aux motifs du jugement attaqué, elle doit avoir réellement examiné les questions qui lui ont été soumises sans se contenter d’entériner la solution des premiers juges. Une motivation implicite semble ne pas être suffisante[1369]. On s’aperçoit ici que la Cour européenne ne détermine pas réellement de critère permettant d’établir ou de définir précisément le niveau du seuil de flexibilité. Elle apprécie au cas par cas et dégage progressivement des situations conformes ou contraires à la Convention. Cette attitude souligne encore la difficulté de représenter le seuil de flexibilité.
Le principe du double degré de juridiction se déploie tout autant qu’il cède du terrain à de nouvelles transgressions. Cette double évolution se produit devant des juridictions différentes. Le seuil de flexibilité du principe est protéiforme. Sa visibilité est réduite, abstraite. Le seuil existe, on en observe les manifestations, mais on ne peut ni le représenter ni l’apercevoir. Si son existence est supposée, il faut aussi admettre qu’il ne peut disparaître totalement.
Concernant le principe de l’autorité de la chose jugée, expression de la règle non bis in idem en matière pénale, le caractère absolu découle de l’article 4§3 du protocole n°7 qui prévoit qu’aucune dérogation au titre de l’article 15 de la CESDH n’autorise à porter atteinte au principe. Est-ce à dire que le principe jouit d’une protection absolue ? La réponse négative découle de l’article 4§2 qui admet la réouverture du procès en cas de faits nouveaux ou nouvellement révélés, ou en cas de vice fondamental de la procédure de nature à vicier le jugement. Dès lors, le principe énoncé à l’article 4§1[1373] n’est pas absolu, mais il ne peut subir de dérogation en vertu de l’article 15 de la Convention.
Concernant le principe d’impartialité, aucun texte ne prévoit son caractère absolu. On peut même dire que les hypothèses de l’article 15 devraient permettre d’y porter atteinte. Pour autant, peut-on imaginer la CEDH ou même la Cour de cassation confirmer une décision de justice après avoir reconnu l’impartialité des juges ? Cette perspective paraît bien improbable.
Certains principes sont donc explicitement susceptibles de dérogations. C’est le cas du double degré de juridiction, ou de la motivation qui ne concernent pas toutes les décisions rendues par des magistrats. Pour d’autres principes, il ne devrait pas être possible d’y porter une atteinte manifeste. On peut ranger dans cette catégorie le principe d’impartialité, ou encore de la dignité. La flexibilité de ces principes existe dans les faits à travers l’interprétation qu’en donnent les juges.
En droit constitutionnel, certains auteurs déduisent le caractère absolu du principe de dignité du fait que le Conseil constitutionnel considère que ce principe n’a pas à être concilié avec d’autres[1374]. La CEDH dans l’affaire Aydin c/Turquie du 25 septembre 1997[1375], rappelle que l’article 3 de la Convention qui interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants est un droit inconditionnel qui ne saurait subir d’exceptions. Ce caractère indérogeable est encore mentionné à l’article 15§2. L’article 3 est d’ailleurs rattaché au principe de dignité dans un arrêt Ribitsch c/Autriche du 4 décembre 1995[1376]. Dans cette décision la Cour européenne décide que l’usage de la force peut être constitutif d’une atteinte à la dignité humaine et en principe d’une violation de l’article 3 de la Convention.
Il est possible de contredire cet argument. Dans l’affaire Ribitsch c/Autriche, la Cour juge que porte atteinte à l’article 3, l’usage de la force physique qui n’est pas rendu strictement nécessaire par le propre comportement de la personne contre qui elle est exercée. L’utilisation de l’article 3 est soumis, concernant les violences, à des conditions restrictives. Les même violences, pourraient, si elles étaient justifiées par le comportement de l’individu, ne pas constituer des traitements inhumains et dégradants portant atteinte à la dignité de la personne humaine. La Cour admet que le principe de dignité puisse être restreint en raison de certaines circonstances qu’elle définit. On peut parler à ce propos d’interprétation restrictive du principe en question. Tout principe est sujet à interprétation. Cette opération induit nécessairement une certaine flexibilité, même s’il faut admettre qu’elle peut être très mince. Le seuil de flexibilité varie en fonction des principes et cette variation peut avoir des conséquences sur l’autorité des principes.
b) La variation du seuil de flexibilité
1) Seuil de flexibilité et nature de la norme
Cette distinction entre principes juridiques et règles de principe est présente chez différents auteurs sous des appellations diverses et selon des critères différents. La doctrine publiciste évoque l’existence d’une catégorie de « principes généraux simples » dont la valeur est supplétive[1377]. Contrairement aux principes généraux du droit traditionnels, ces normes ne s’appliquent qu’à défaut de règle contraire. Le pouvoir réglementaire peut y déroger alors qu’il demeure soumis au respect des principes généraux du droit.
En droit privé, le Professeur MORVAN dévalorise le concept de règle de principe. Pour lui, la règle de principe « est d’une banalité totale » et ne présente pas « la moindre spécificité ». Elle doit donc se distinguer nettement du principe[1378]. D’où vient cette « banalité » de la règle de principe ? Selon l’auteur la règle de principe n’existe pas indépendamment de son ou de ses exceptions. Toute règle de droit subit une exception. C’est cette relation principe / exception qui donne à l’une des deux règles le qualificatif de règle de principe. Cette relation est tout à fait quelconque et n’illustre pas le phénomène des principes juridiques.
En droit processuel, le professeur ROUHETTE établit une distinction entre les principes généraux de la procédure et les « règles générales de procédure »[1379]. Les principes généraux de la procédure, ayant valeur supra-règlementaire, les exceptions à ces principes sont possibles mais demeurent réservées à la compétence législative. Les « règles générales de procédure » ne bénéficient pas de ce statut privilégié et peuvent plier sous l’effet de dispositions réglementaires dérogatoires.
La distinction principe / règle de principe emprunte à chacune de ces présentations. S’il existe une divergence entre principes directeurs et règles de principe, elle réside dans le fait que les premiers s’imposent par nature sur les règles techniques, alors que la vocation des secondes est de céder devant toutes les règles techniques. Face à ces deux types de normes, le juge ne peut avoir la même attitude.
Si le principe prévaut sur l’exception dans la décision des juges, on peut en déduire que le seuil de flexibilité interdit ce type d’exception. A titre d’exemple, en matière d’atteinte à la liberté d’aller et de venir, on doit considérer que la garde à vue est une exception tolérée par les textes du Code de procédure pénale[1380]. Par contre, la chambre criminelle a décidé que la police ne peut retenir en garde à vue une personne qui n’a commis aucune infraction et qui n’est pas soupçonnée d’en avoir commise[1381]. En matière de garde à vue, le seuil de flexibilité du principe de liberté est donc défini par les soupçons qui pèsent sur la personne retenue. S’il existe des indices laissant croire à la commission de l’infraction, l’atteinte à la liberté est possible. Au-delà de ce seuil, elle devient prohibée[1382]. La juridiction ne fait pas allusion au seuil de flexibilité mais elle le définit implicitement.
En ce qui concerne la règle de principe, ce seuil est indéfinissable. Toute exception est susceptible de le faire reculer. La flexibilité de la règle de principe est telle qu’il n’existe aucune limite à la croissance des exceptions. On peut prendre l’exemple de la règle de principe qui détermine la compétence ratione loci des juridictions françaises. Cette règle est exprimée dans le nouveau Code de procédure civile en tête du chapitre relatif à la compétence territoriale à l’article 42 al 1 : « la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ». La nature de règle de principe ne tient pas à la locution « sauf disposition contraire ». Certains principes possèdent dans leur définition une telle expression. Les dispositions qui suivent l’article 42 al 1 sont autant de dérogations à cette règle, en matière immobilière, de succession, de responsabilité délictuelle, d’obligation alimentaire ou de contribution aux charges du mariage… Il est même possible, entre commerçants, de prévoir des clauses attributives de compétence dans un contrat[1383]. L’article 42 al 1 est un exemple topique de règle de principe. Un texte, même de nature contractuelle, peut conduire à en écarter l’application. De même, une disposition extérieure au nouveau Code de procédure civile peut encore déroger au principe. C’est le cas en matière de droit du travail : l’article R-517-1 du Code du travail prévoit un certain nombre de règles de compétence propres à la matière. L’alinéa 1 indique ainsi que : « le Conseil de prud'hommes territorialement compétent pour connaître d'un litige est celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est effectué le travail ».
La distinction principes directeurs et règles de principe semble assez nette. Encore une fois, sa mise en œuvre n’est pas de la plus grande évidence et elle ne déborde pas le cadre de la réflexion doctrinale. En effet, la jurisprudence ne la reprend pas à son compte et nomme « principe » des normes qui ne sont que des règles de principe, parfois même de simples exceptions à ces règles. Par exemple la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu envisager que l’article 46 al 2[1384] dérogeait « au principe général de compétence édicté par l’article 42 »[1385]. Selon cet arrêt, on devrait considérer que la compétence du tribunal du défendeur relève d’un « principe général ». Existerait-il alors un seul principe de compétence et un ensemble d’exceptions ? La jurisprudence n’est pas aussi précise. Dans un autre arrêt la première chambre civile vise « les principes régissant la compétence territoriale des juridictions de l’ordre judiciaire »[1386]. Il y aurait donc plusieurs principes de compétence. Devrait-on considérer que toute règle de compétence définit un principe ? Une telle attitude conduirait à vider la notion de principe de son sens. On peut d’ailleurs ajouter qu’en matière de compétence territoriale, les règles internes doivent encore se concilier avec « les principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale ». Cette solution ressort d’une décision de la première chambre civile[1387] qui considère que « toutes les fois que la règle française de solution des conflits de juridiction n’attribue pas compétence exclusive aux tribunaux français, le tribunal étranger doit être reconnu compétent, si le litige se rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n’a pas été frauduleux ». Les multiples règles de compétence du droit interne se conjuguent avec celles du droit international privé pour former un ensemble de règles purement techniques adaptées à chaque cas particulier et au sein desquelles il paraît bien délicat de dégager un principe directeur.
La distinction entre principes et règles de principe nécessite donc de se libérer dans un premier temps des appellations jurisprudentielles pour adopter un critère théorique et doctrinal. Le seuil de flexibilité peut contribuer à la définition de ce critère. Il permet aussi d’évaluer la positivité d’un principe.
2) Seuil de flexibilité et positivité du principe
L’identification de ces principes latents peut être faite sur la base de deux critères. Le premier relève de l’absence de consécration du principe dans une formule générale et abstraite. Le principe n’est pas inscrit dans un texte et la jurisprudence se refuse à le reconnaître. Le second critère réside dans le fait que le principe, tout en trouvant un certain nombre d’applications concrètes en droit processuel, subit aussi de nombreuses atteintes. Il présente ainsi une telle flexibilité que sa positivité ne peut être clairement affirmée.
Peut-on, à partir de ces dispositions éparses, évoquer l’existence d’un principe de collégialité ? La réponse semble équivoque. Cependant, une grande partie de la doctrine fait allusion à ce principe. Pour M. VILLACEQUE « le principe de la collégialité (est) posé par l’alinéa première de l’article 311-6 C. org. jud. »[1390]. Le rapport COULON sur la réforme de la procédure civile parle, à propos de la collégialité des juridictions d’appel d’un « principe réaffirmé »[1391]. Mais la collégialité subit des atteintes de plus en plus importantes ; certains auteurs se plaignent de la « disparition du principe de la collégialité »[1392] alors même que dans une thèse récente, un autre affirme que les exceptions n’ont pas encore suffi à ce que le principe de collégialité soit supplanté par celui du juge unique[1393]. Une petite partie de la doctrine reste prudente, voire dubitative. Si certains évoquent simplement la « collégialité » sans la qualifier de règle ou de principe[1394], d’autres parlent de « système de la collégialité »[1395] ou encore de « la règle de la collégialité »[1396]. Il est inutile d’aller plus loin dans cet exposé pour constater que si les auteurs sont partagés, nombre d’entre eux acceptent de ranger la collégialité dans la catégorie des principes. Cet engouement en faveur de la collégialité contraste avec une autorité décroissante de cette forme de composition des juridictions en droit positif.
Jusque dans les années 1970, on peut affirmer que la collégialité dominait la composition des juridictions de jugement. Cela n’était certes pas le cas au stade de la mise en état. En revanche, Tribunal de grande instance, Cour d’appel, Cour de cassation, juridictions spécialisées (prud’hommes, tribunaux de commerce) siégeaient et délibéraient collectivement. La première brèche dans le système collégial date d’une loi du 10 juillet 1970🏛 qui a introduit la possibilité pour le président du Tribunal de grande instance de décider, en matière civile, qu’une affaire sera jugée à juge unique. Cette initiative fut suivie, en matière pénale par une loi du 29 décembre 1972. Il s’agissait de laisser au président du Tribunal de grande instance la possibilité de renvoyer l’affaire devant un juge unique pour certaines infractions spécifiques[1397]. La formule connut un certain succès au point que le législateur tenta de la généraliser à toutes les infractions (sauf en matière de presse) en 1975. Dans sa décision juge unique, du 23 juillet 1975[1398], le Conseil constitutionnel devait censurer ce processus au nom du principe d’égalité devant la justice. Le juge unique n’était pas en lui même l’objet de la censure et le Conseil ne fit aucune allusion à un principe de collégialité. Après vingt ans d’attente, le juge unique est réapparu dans un nouvel article 398-1 du Code de procédure pénale🏛 modifié par la loi du 8 février 1995🏛[1399]. Désormais, la compétence du juge unique en matière correctionnelle ne relève plus de l’appréciation discrétionnaire du président du Tribunal mais dépend de la loi. Le Code prévoit qu’un certain nombre de délits mentionnés dans le Code, seront jugés à juge unique. Cette fois, la loi est sortie indemne du contrôle de constitutionnalité.
Par ailleurs, tout au long de ces années, se sont multipliés les juges uniques possédant une compétence spécialisée. Il s’agit du juge aux affaires familiales, qui remplace depuis 1993 le juge aux affaires matrimoniales créé par la loi du 11 juillet 1975🏛. Ce juge est désormais compétent pour statuer seul sur tous les cas de divorce. Le juge civil compétent en matière d’accidents de la circulation est encore un juge unique, de même que celui qui accorde l’exequatur des décisions judiciaires rendues à l’étranger, ou encore qui se prononce sur la vente de biens appartenant à des mineurs[1400]. Au-delà de la décision sur le fond, la fonction de juge de l’exécution instituée par la loi du 9 juillet 1991🏛 est exercée par le président du Tribunal de grande instance ou l’un de ses délégués. La collégialité subit encore des atteintes dissimulées par l’institution d’un juge rapporteur devant les juridictions de droit commun[1401]. Ce juge peut officier en toutes matières devant le Tribunal de grande instance et seulement pour les procédures sans représentation obligatoire devant la Cour d’appel. Le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, à condition de ne pas rencontrer l’opposition des parties, « tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. Il en rend compte à la Cour dans son délibéré ». Le juge ou le conseiller rapporteur instruit donc seul l’affaire, l’audience se déroule encore à juge unique, et ce n’est que lors de la phase des délibérés que la collégialité retrouve ses droits[1402].
L’ensemble de l’évolution légale va dans le sens d’un retrait progressif de la composition collégiale. Tout juste, pourra-t-on apercevoir un léger retour en arrière opéré par la loi du 23 juin 1999🏛 qui limite la compétence du Tribunal correctionnel statuant à juge unique lorsqu’un délinquant récidiviste encourt, du fait de la récidive, une peine supérieure à cinq années d’emprisonnement. Cette loi autorise aussi le juge unique à se dessaisir d’un dossier au profit d’une formation collégiale en raison de la complexité des faits. Les derniers remparts de la complexité des faits et de la gravité des peines encourues maintiennent encore la collégialité dans un cadre restreint. Par ailleurs, la pluralité de magistrats est d’application quasi-généralisée devant les Cours d’appel.
La question qu’il faut résoudre est celle de savoir si la collégialité constitue un principe directeur du procès judiciaire. En droit positif, un grand nombre de juridictions continuent à siéger collégialement. Le principe présente donc une certaine généralité dans le domaine d’application. De même, la continuité caractérise cette norme même si elle perd peu à peu de son autorité. Toute la difficulté réside dans la trop grande flexibilité de la règle. Ce caractère est nécessaire à l’identification d’un principe mais, d’un autre coté, il peut entraîner son déclin. Si les exceptions se multiplient, le principe peut être conduit à se retirer du droit positif dans sa qualification de principe. La norme demeure simplement à travers quelques règles techniques. Est-ce le cas du principe de collégialité dont les applications sont de plus en plus réduites ?
L’indice le plus marquant de l’inexistence du principe de collégialité au sein du droit positif tient au fait qu’il n’est pas consacré explicitement, en tant que principe, dans un texte ou dans une décision jurisprudentielle. Seule une partie de la doctrine accepte de lui reconnaître le qualificatif de principe. Toutefois, cette situation est partagée par d’autres principes. On peut évoquer à ce titre le principe de coopération qui n’est pas formellement visé dans le nouveau Code de procédure civile. Ce principe inspire pourtant largement le Code et notamment les treize premiers articles des « dispositions liminaires ». Il ne faut donc pas pêcher par excès de formalisme et refuser de reconnaître la qualité de principe à une norme qui en présente les caractères. Le principe de collégialité a pu exister en droit positif jusqu’aux premières réformes qui l’ont mis en péril. Aujourd’hui, il semble que la flexibilité de la composition collégiale des juridictions ait pour effet de reléguer cette norme au rang des principes latents du droit processuel.
Cette transformation se retrouve dans le monde des principes directeurs. La valeur d’impartialité, norme sociale, se transforme logiquement en principe d’impartialité, norme juridique. Le phénomène peut se produire dans l’autre sens. Un principe juridique peut retrouver, sous le coup de réformes successives, sa place parmi les normes sociales. Ce phénomène se produit notamment lorsque le principe subit un recul important de ses applications positives. On le constate avec le principe de collégialité. La flexibilité de ce principe semble prendre une ampleur telle qu’il en est réduit à disparaître du champ juridique sans perdre pour autant sa normativité. Ce principe rejoint les normes sociales et présente désormais un état latent. Il n’est pas visible en tant que tel dans le droit positif mais y possède tout de même des applications concrètes. La croissance du seuil de flexibilité peut donc avoir une incidence sur la positivité d’un principe. Ce processus peut alors laisser apparaître un nouveau principe : celui du juge unique.
Cette réflexion est empreinte d’une vérité partielle. S’il est vrai que le principe d’unicité du juge n’est pas formalisé en droit positif, il faut au moins lui reconnaître le même statut qu’à celui de la collégialité : c’est à dire celui de principe latent du droit. Le mouvement opéré par ces deux principes est inverse. L’un tend à disparaître du droit positif alors que l’autre y fait son apparition. A l’heure actuelle, les deux normes ne vivent qu’à travers leurs applications techniques. La proposition de M. COULON est intéressante en ce qu’elle envisage de leur conférer une reconnaissance équivalente. La collégialité pourrait devenir officiellement le principe applicable et sanctionné devant les juridictions du second degré ; le juge unique se verrait réserver une compétence étendue devant les tribunaux. Les deux principes reconnus comme tels dans le droit positif seraient chacun susceptible de recevoir des exceptions : collégialité du tribunal de grande instance pour les affaires présentant une certaine complexité ou encourant des sanctions d’une certaine gravité ; unicité du conseiller rapporteur qui dispense la Cour d’appel de siéger collectivement dans certaines matières. La définition d’un nouveau champ d’application pour ces deux principes permettrait de faire reculer leur seuil de flexibilité de sorte qu’ils pourraient, l’un et l’autre, trouver une place en tant que principe, dans l’ordre du droit positif.
Si l’on veut trouver une exemple significatif de la pénétration d’un principe dans le droit positif, il faut se référer au principe de dignité. Sa pénétration, en tant que principe s’est opérée récemment même si nombre de ses aspects techniques existaient déjà. En droit processuel, la règle la plus apparente relative au principe de dignité est l’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants. Cette interdiction, en tant que règle technique, existait avant la reconnaissance positive du principe. On date sa consécration de l’entrée en vigueur de la CESDH (1974) mais elle existe depuis l’abolition par Louis XVI de la question préparatoire par une ordonnance du 24 août 1780, et de la question préalable par un édit de 1788[1409]. On peut dire que le principe de dignité existait déjà à cette époque dans un état latent. De son coté, la jurisprudence européenne utilisait le terme de dignité pour déclarer non conformes à la Convention certaines sanctions pénales[1410]. En droit interne, le principe apparaît dans le Code civil en 1994. Il est repris par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi du 29 juillet 1994🏛 sur le respect du corps humain. La dignité est alors qualifiée de « principe à valeur constitutionnelle »[1411]. Le Conseil d’Etat s’est prononcé en faveur de la reconnaissance peu de temps après[1412]. Tous les aspects de la dignité ne relèvent pas de la procédure mais il est surprenant de constater que, dans tous les domaines du droit, le principe a fait son apparition dans le même temps. Ce phénomène illustre surtout l’idée selon laquelle un principe peut ne pas exister d’un point de vue juridique tout en exerçant une influence sur les règles de droit jusqu’au jour où le système juridique l’intègre officiellement. Cette intégration peut aussi avoir lieu de façon implicite comme c’est le cas avec le principe de coopération. Même si aucun texte ne le consacre, ce principe a progressivement pénétré le droit interne sous l’effet d’une transformation du principe dispositif[1413].
La flexibilité est donc essentielle pour caractériser un principe mais elle est aussi dangereuse car elle l’affaiblit. Un seuil trop élevé de flexibilité peut conduire à l’éviction du principe juridique. La flexibilité d’un principe doit donc être mesurée. Si la règle est trop rigide, elle n’est pas un principe, si elle est trop souple, elle n’est plus un principe. Cette réflexion souligne encore la difficulté qu’il y a à reconnaître l’existence d’un principe directeur au milieu des autres normes. La notion de flexibilité dépend d’ailleurs de très nombreux éléments. Ce sont les facteurs de flexibilité.
a) L’opposition d’un principe directeur à une autre norme juridique
Le principe du double degré de juridiction est une garantie d’impartialité et de qualité des décisions de justice. Mais le double examen au fond d’une affaire provoque un ralentissement de la procédure et impose de nouveaux délais aux parties. La résolution du litige s’en trouve retardée. L’existence même du double degré de juridiction limite l’autorité du principe de célérité. Pour autant, le droit processuel tente de concilier l’application de ces deux principes par des règles qui vont rétablir un certain équilibre. Tel est le cas de l’évocation[1415]. L’article 568 du nouveau Code de procédure civile permet à la Cour d’appel, lorsqu’elle est saisie « d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction ou d’un jugement qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance » d’étendre sa compétence et de se saisir aussi du fond de l’affaire pour lui donner une solution définitive. Ce mécanisme existe encore lorsque la Cour doit se prononcer sur une question de compétence. Si les juges s’estiment compétents relativement à la juridiction à laquelle doit être confiée l’affaire, ils peuvent se dispenser de la renvoyer devant les premiers juges et statuer sur le fond du litige. Facultative en matière civile, l’évocation devient obligatoire en matière pénale[1416]. A priori, l’évocation en matière pénale semble connaître un domaine limité : celui de la violation des formes prescrites par la loi. En réalité, la jurisprudence a étendu ce domaine[1417]. Le mécanisme de l’évocation permet à la Cour d’appel de juger un litige sur le fond en premier et dernier ressort. Il s’agit donc bien d’une dérogation au double degré de juridiction. L’intérêt de ce processus est gouverné par le souci d’accélérer l’issue du litige[1418]. C’est donc le principe de célérité qui inspire l’évocation et diminue ainsi la portée du double degré de juridiction.
Parfois, ce sont des principes extérieurs au droit processuel qui vont entrer en contradiction avec un principe directeur. Une première illustration est fournie avec le principe du secret professionnel. Ce principe traverse de nombreuses disciplines juridiques et s’impose à toutes les professions. La Cour de cassation en a fait une règle d’application « générale et absolue »[1419]. Le secret professionnel s’immisce dans la procédure et soumet certains principes directeurs à ses exigences. Il dispense la personne protégée par le secret de contribuer à la manifestation de la vérité. En tant que tel, il permet de passer outre l’article 10 du Code civil🏛[1420]. Il est aussi une entrave au principe de coopération. Les lettres échangées entre un avocat et son client n’ont pas à être produites en justice, à moins qu’elles ne constatent un accord entre les parties[1421]. Si l’une des parties veut produire une pièce qui porte atteinte au secret médical, cette pièce sera logiquement écartée des débats[1422]. Dans le même état d’esprit, la deuxième chambre a décidé de rejeter le témoignage d’un prêtre au cours d’une procédure de divorce au motif que les éléments qu’il apportait avaient été recueillis dans le secret de la confession[1423]. Le secret professionnel limite donc le principe de coopération en ce qu’il peut dispenser l’une des parties de produire en justice une pièce susceptible de porter atteinte au secret. Il constitue tout autant une transgression du principe du contradictoire en ce qu’il empêche l’une des parties de se prévaloir d’un document protégé par le secret. L’intrusion de ce principe juridique dans le procès n’est pas sans limite. Il ne résiste pas à l’exercice des droits de la défense. Un médecin poursuivi devant les juridictions répressives pour des faits commis à l’occasion d’un acte médical peut être autorisé à violer son secret pour se disculper[1424].
Un autre principe extérieur au droit processuel peut intervenir dans le déroulement d’un procès. Il s’agit de celui de la liberté de la presse[1425]. Le secret de la mise en état des affaires pénales ne vise que les personnes qui concourent à la procédure notamment quand au respect de leur secret professionnel. Les journalistes ne sont donc pas, en principe, tenus par le secret et demeurent libres de diffuser toute information dont ils ont connaissance sur une enquête ou une instruction en cours. La liberté de la presse permet ainsi à des personnes extérieures à la procédure de porter atteinte au secret de l’instruction. Cette situation n’est pas inévitable car ce dernier principe est protégé notamment par l’infraction de recel de violation du secret de l’instruction. Cette infraction - qui entre dans la qualification générale de recel[1426] - permet de poursuivre un journaliste qui détient des documents couverts par le secret. Cette détention provient nécessairement d’une violation du secret de l’instruction par l’une des personnes qui y est tenue. Le journaliste possède donc logiquement une pièce qui provient d’un délit. Le recel de violation du secret de l’instruction rencontre de très vives critiques dans le monde du journalisme. Certains font remarquer que tous les journalistes recèlent chaque jour des documents, ou encore que « receler des documents couverts par le secret est nécessaire au droit d’informer et d’être informé, sauf à cantonner la presse dans la reproduction de communiqués officiels et d’informations autorisées »[1427]. Le conflit entre liberté de la presse et secret de l’instruction n’a pas connu, jusqu’à un récent arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, de solution uniforme tant les deux principes semblent légitimes. Aussi, dans le cadre de poursuites pour recel de violation du secret de l’instruction, les juridictions ne sont pas systématiquement entrées en voie de condamnation. Pour exemple, on citera deux décisions rendues par le Tribunal correctionnel de Paris. La première, en date du 10 septembre 1998 a condamné deux journalistes pour la publication d’un livre qui reproduisait le contenu de pièces relatives à une instruction en cours[1428]. La seconde, le mois suivant, visait des poursuites à l’encontre d’un journaliste qui avait fait état d’accusations portées contre le Ministère de la culture. Poursuivi pour diffamation, le journaliste produisait en justice des pièces extraites du dossier d’instruction qui établissaient la véracité de ces accusations. Fatalement, le chroniqueur fut poursuivi pour recel de violation du secret de l’instruction. C’est sur cette dernière qualification que le Tribunal de grande instance de Paris relaxait, le 2 octobre 1998, le journaliste, se fondant sur les droits de la défense et sur la liberté d’expression de l’article 10 de la CESDH. Ce dernier principe « exige également de permettre au journaliste, d’accomplir pleinement sa mission, et de pouvoir en répondre, le cas échéant, devant un tribunal, sans s’exposer à une poursuite du seul fait de l’exercice de sa défense »[1429]. Encore une fois, il semble que ce soit avant tout les droits de la défense, plus que la liberté d’expression qui soient à l’origine de cette décision. Le 13 février 1999, la même juridiction condamnait un journaliste pour recel de violation du secret de l’instruction, alors que celui-ci avait été interpellé en possession de nombreuses pages de procès-verbaux de police photocopiés. Ce dernier expliquait qu’il avait obtenu ces documents de plusieurs informateurs liés de près ou de loin à l’instruction et il ne pouvait bénéficier de l’excuse tirée des droits de la défense[1430]. Le conflit entre secret de l’instruction et liberté de la presse a été résolu par un arrêt du 19 juin 2001[1431] en ce qui concerne l’infraction de recel de violation du secret de l’instruction. Condamnés pour avoir divulgué des informations provenant d’un dossier d’instruction, deux journalistes se prévalaient de l’article 10 de la CESDH comme fait justificatif[1432] pour écarter leur responsabilité pénale. La Cour de cassation a rejeté cet argument en décidant que « les impératifs de protection des droits d’autrui, au nombre desquels figure la présomption d’innocence par la préservation d’informations confidentielles, ainsi que par la garantie de l’autorité de l’impartialité du pouvoir judiciaire » justifiaient la condamnation des journalistes pour violation du secret de l’instruction au regard de l’article 10 de la CESDH.
Il n’est pas certain que cette attitude répressive visant à protéger le secret de l’instruction au détriment de la liberté de la presse soit conforme à la jurisprudence de la CEDH. Dans l’arrêt Sunday Times c/ Royaume uni[1433], la Cour avait à se prononcer sur l’interdiction faite à un journal de publier des pièces couvertes par le secret d’un procès civil en cours. Elle décidait que les restrictions à la liberté d’expression ne se justifiaient pas en l’espèce et concluait à la violation de l’article 10 de la CESDH. De même, en 1990, dans un arrêt Weber c/ Suisse, elle décidait que la condamnation d’un journaliste pour violation du secret de l’instruction était contraire à l’article 10 de la CESDH[1434]. En 2000, la CEDH adoptait une solution plus nuancée dans un arrêt Du Roy et Malaurie c/France[1435], à propos de l’article 2 de la loi du 2 juillet 1931🏛 qui interdit de publier, avant décision judiciaire, toute information relative à des constitutions de partie civile. Dans cette affaire, la Cour a d’abord rappelé sa jurisprudence selon laquelle « les journalistes qui rédigent des articles sur des procédures pénales en cours doivent ne pas franchir les bornes fixées aux fins de la bonne administration de la justice et respecter le droit de la personne mise en cause d’être présumée innocente »[1436]. Elle observe ensuite que l’atteinte à l’article 10 de la CESDH constituée par l’interdiction de publication des constitutions de parties civiles est générale et absolue ; que des mécanismes protecteurs des droits des personnes résultent notamment des articles 9-1 du Code civil🏛 et 11 du Code de procédure pénale. En conclusion, elle estime que l’interdiction édictée par la loi du 2 juillet 1931 viole l’article 10 de la Convention. La portée de cet arrêt est donc celle d’une conciliation nécessaire entre secret de l’instruction et liberté de la presse. Si les journalistes ne peuvent franchir certaines limites dans l’exercice de leur liberté, le secret de l’instruction ne peut, quant à lui, recevoir une protection absolue. Dans certaines hypothèses, ce principe directeur doit faire preuve de flexibilité et concéder du terrain à un principe extérieur au procès. Cette flexibilité se retrouve en présence de procédures particulières.
Le contentieux de la concurrence relève tout autant du droit judiciaire, puisqu’il s’agit de poursuivre les pratiques anticoncurrentielles, que du contentieux administratif, dans la mesure où les entreprises se trouvent confrontées à une administration[1437]. Une autorité administrative indépendante juge en premier ressort de ces litiges - le Conseil de la concurrence - dont l’appel des décisions est confié à la Cour d’appel de Paris. Certains principes, tel le double degré de juridiction, peuvent être partiellement ignorés dans la procédure. Les agents chargés de la poursuite des infractions au droit de la concurrence peuvent être amenés à solliciter du juge judiciaire l’autorisation de procéder à des visites domiciliaires ou saisies de documents. Logiquement, une autorisation de la part des juges devrait conduire à l’ouverture d’un recours au fond en application du principe du double degré de juridiction. Tel n’est pas le cas puisque l’article 48 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 prévoit que cette décision « n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le Code de procédure pénale🏛 ». Jacques HERON critiquait ce particularisme procédural non seulement au regard du contournement du droit d’appel, mais surtout en raison de la négation du contradictoire. L’effet de surprise commande que la décision d’autorisation des mesures attentatoires à l’intimité de la vie privée soit prise en l’absence de la personne poursuivie. Cette dernière n’a pas été entendue en première instance, elle se voit refusée la voie d’appel, il ne lui reste plus que le pourvoi en cassation. En conclusion, la personne poursuivie n’a pas accès, dans ces circonstances, à un examen au fond de sa prétention. Il s’agit bien d’une atteinte au principe du contradictoire et à celui des droits de la défense.
La dérogation à un principe directeur fait parfois l’objet d’une reconnaissance explicite par la Cour de cassation. En matière d’audiovisuel, l’article 53 de la loi du 3 juillet 1985🏛 exige que la preuve de la matérialité des infractions visées par la loi résulte de procès verbaux dressés par les officiers ou agents de police judiciaire ou des constatations d’agents assermentés désignés par le Centre national de la cinématographie. La Cour de cassation considère que « cette disposition spéciale déroge au principe général énoncé par l’article 427 du Code de procédure pénale🏛 selon lequel les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve »[1438]. En l’espèce, il s’agissait de poursuites à l’encontre d’une télévision pirate qui avait diffusé des films sans l’autorisation des titulaires des droits. Dans le cadre de cette procédure, le principe de la liberté de la preuve a été évincé au profit d’une disposition particulière limitant les éléments de preuve qui peuvent être rapportés.
La jurisprudence admet encore que le particularisme de la répression fiscale soit un facteur de flexibilité des principes procéduraux. Un huissier de justice avait été condamné par le juge judiciaire pour fraude fiscale. Pour n’avoir pas souscrit ses déclarations de revenu dans les délais légaux, l’administration fiscale avait aussi prononcé une pénalité à son encontre. L’huissier se fondait sur l’autorité de la chose jugée incarnée par la règle non bis in idem et consacrée par le protocole n°7 additionnel à la CESDH qui interdit qu’une personne soit jugée deux fois pour les mêmes faits. En raison de l’indépendance des procédures pénale et fiscale, la Cour de cassation rejetait le pourvoi et affirmait que le principe directeur « n’interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif »[1439]. A travers l’indépendance des procédures, c’est bien le particularisme de l’action fiscale qui est souligné. Les Professeurs MERLE et VITU expliquent ainsi que « le juge fiscal est le juge de l’imposition fiscale, tandis que le juge pénal est le juge de la fraude fiscale »[1440]. Les deux types de sanctions n’ont pas la même nature et le principe de l’autorité de la chose jugée ne trouve pas à s’appliquer.
La flexibilité des principes peut donc dépendre des textes ou de la jurisprudence. L’opposition peut s’établir entre deux principes mais aussi entre un principe et une règle technique dont le particularisme justifie la dérogation. La relation de flexibilité présente une plus grande complexité lorsqu’elle résulte de la confrontation d’un principe directeur avec l’ordre public.
b) La relation entre un principe directeur et l’ordre public
L’ordre public substantiel établit un lien entre un principe et la finalité incarnée par ce principe. Un auteur désigne ainsi sous le terme d’ordre public « l’ensemble des règles perçues comme fondamentales » par une communauté donnée[1442]. En conséquence, l’ordre public peut être conçu comme une « notion fonctionnelle » qui confère aux normes auquel il est attaché la « particulière intensité de leur force obligatoire »[1443]. La difficulté consiste dans la définition de son contenu. A première vue, l’ordre public n’a pas vocation à protéger des intérêts purement individuels. On devrait alors concevoir que les principes qui protègent les droits individuels ne sont pas d’ordre public. Ici encore, l’affirmation est trop rapide. « Encadrement de la société, l’ordre public traduit le primat du collectif » écrit un auteur[1444]. Telle est la première conception, celle d’une notion qui s’intéresse avant tout à la collectivité et délaisse les libertés ou les droits individuels. Toutefois le concept a évolué dans le sens d’une extension des intérêts publics vers les intérêts individuels. On voit apparaître dans l’ordre public le respect de l’intégrité physique ou de la dignité de la personne humaine[1445]. De même, la CEDH a eu l’occasion d’affirmer que la Convention européenne des droits de l’homme🏛 constituait un « instrument constitutionnel de l’ordre public européen »[1446]. Dès lors, il apparaît qu’au niveau européen, les droits de l’homme, individuels s’il en est, doivent être considérés comme des normes intégrées dans l’ordre public.
L’ordre public processuel incarne lui aussi des valeurs fondamentales mais sa fonctionnalité diffère sensiblement. Jean VINCENT évoquait l’existence d’un « ordre public procédural »[1447] qui touche les règles de la procédure civile et leur confère une autorité telle que les parties ou le juge ne peuvent s’en éloigner. L’ordre public que l’auteur décrit est diffus. Lorsqu’il est attaché à l’action, il interdit aux parties de renoncer à leur droit d’action, ou au contraire enferme leur recours dans des délais rigoureux. Les règles de composition des juridictions ou de compétence sont d’ordre public en ce qu’elles s’imposent aux magistrats[1448]. L’ordre public possède aussi, en droit processuel, des fonctions tout à fait remarquables. Lorsque la règle de droit est d’ordre public, le juge peut soulever d’office le moyen tiré de sa violation[1449]. Cette prérogative est laissée au juge, que la règle visée soit de fond ou de forme[1450]. L’autre originalité processuelle concerne les nullités. En procédure pénale, l’article 802 du Code prévoit que la violation d’une règle textuelle ou substantielle ne peut entraîner la nullité de l’acte produit en justice qu’à condition de prouver l’atteinte « aux intérêts de la partie qu’elle concerne ». Si la règle violée est d’ordre public la partie qui s’en prévaut est dispensée d’avoir à démontrer l’existence du grief[1451].
Les deux notions d’ordre public substantiel et processuel entretiennent des rapports avec les principes directeurs. Ces relations prennent plusieurs formes dans la mesure où l’ordre public protège ou renforce le principe qui lui est conforme alors qu’il affaiblit le principe qui lui est contraire. L’ordre public est donc un facteur de flexibilité à tous les sens du terme.
Un autre principe bénéficie pleinement d’une double protection par l’ordre public : celui du double degré de juridiction. D’un point de vue processuel, la Cour de cassation vise « la règle d’ordre public du double degré de juridiction »[1458]. Les exceptions aux principes vont être limitées. Par exemple, il n’appartient pas aux parties de renoncer au bénéfice de ce droit[1459]. D’un point de vue substantiel, l’ordre public permet d’étendre le droit d’appel. C’est le cas de l’intervention du Procureur de la République comme partie jointe à l’instance. Une loi du 20 avril 1810 relative à l’organisation judiciaire et à l’administration de la justice permettait au ministère public d’agir d’office dans une instance pour surveiller l’exécution des lois qui intéressent l’ordre public. Aujourd’hui encore, plusieurs dispositions ouvrent la voie d’une action du ministère public dans les matières qui mettent en jeu l’ordre public. L’article 1054 du nouveau Code de procédure civile ouvre toutes les voies de recours au parquet en matière de rectification des actes de l’état civil. De même, dans le cadre des procédures collectives, la loi du 25 janvier 1985🏛 a permis au ministère public d’exercer l’appel ou le recours en cassation même s’il n’a pas agi comme partie principale[1460]. Cette extension du droit au recours a été justifiée par « le souci d’un certain ordre public économique »[1461]. De façon plus générale, c’est toute l’action du ministère public qui peut être justifiée par l’ordre public. L’article 423 du nouveau Code de procédure civile prévoit qu’il peut agir comme partie principale « pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci ». Le droit au recours et le double degré de juridiction s’en trouvent nécessairement renforcés.
Une relation s’établit en droit international privé entre l’ordre public et les droits de la défense. Dans le cadre de son contrôle sur les décisions rendues à l’étranger, le juge français utilise l’ordre public pour vérifier que certains droits fondamentaux n’ont pas été ignorés[1462]. Depuis un arrêt de 1967[1463], la Cour de cassation décide que la procédure qui s’est déroulée à l’étranger doit être contrôlée au regard de l’ordre public international français et du principe des droits de la défense. La doctrine interprète cet arrêt comme intégrant les droits de la défense dans l’ordre public international français[1464]. D’un point vue procédural, ce rapprochement permet notamment de refuser l’exequatur à une décision étrangère rendue en violation des droits de la défense. Ce principe assure donc la protection de l’ordre public. D’une autre coté, l’ordre public renforce le principe en ce qu’il lui permet d’étendre son action sur les décisions de justice étrangères. Cette relation de protection mutuelle n’est pas systématique. Sous certaines formes, l’ordre public peut affaiblir les principes directeurs.
Le principe de l’intimité de la vie privée est atteint par la pratique des contrôles et vérifications d’identités. Ces mesures trouvent le fondement de leur existence dans l’ordre public. Le Conseil constitutionnel a adopté une telle solution dans sa décision relative à la loi de 1986 régissant les contrôles et vérification d’identités[1468]. La Cour de cassation, dans un arrêt du 10 novembre 1992, a rappelé à propos de l’article 78-2 al 3 qui autorise les contrôles préventifs, que l’application de cette disposition « est subordonnée à la prévention d’une atteinte à l’ordre public qui soit directement rattachable au comportement de la personne dont l’identité est contrôlée »[1469]. La loi du 10 août 1993 a repris cette exigence de la prévention des atteintes à l’ordre public et « notamment à la sécurité des personnes et des biens ». L’ordre public justifie le recours à un contrôle d’identité. Il permet en conséquence de diminuer, dans une certaine mesure, la portée du principe de l’intimité de la vie privée.
L’ordre public agit de la même façon à propos des limites procédurales à la liberté d’aller et venir. On l’observe en matière de détention provisoire. Depuis la loi du 17 juillet 1970, le recours à la détention provisoire doit être motivé par références à des hypothèses énumérées à l’article 144 du Code de procédure pénale🏛. Parmi ces hypothèses, se trouve la préservation de l’ordre public vis-à-vis du trouble causé par l’infraction. La formule n’est pas anodine, elle permet au juge de porter atteinte à la liberté d’aller et de venir alors même qu’aucune condition objective de l’article 144 ne l’autoriserait. Toute infraction est, en tant que telle, susceptible d’engendrer un trouble à l’ordre public. Ce motif peut alors servir, en pratique, à transformer le placement en détention provisoire en préjugement sur la culpabilité. Le motif tiré de l’ordre public « correspond à la conviction des magistrats que la détention est non seulement plus exemplaire mais aussi plus humaine, quand elle intervient aussitôt que possible après l’infraction » confie un auteur[1470]. Un tel objectif est peu avouable et le critère tiré du trouble à l’ordre public a subi depuis un encadrement plus précis. Avec la loi du 30 décembre 1996[1471], les conditions de l’article 144. ont été définies strictement. Il faut que l’infraction ait provoqué un « trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public, auquel la détention est l’unique moyen de mettre fin ». Les décisions juridictionnelles ont illustré cette protection plus grande de la liberté d’aller et venir. Dans un arrêt du 17 juin 1997, la chambre d’accusation de Douai avait à juger si un viol incestueux ayant provoqué d’importants traumatismes pour les victimes pouvait, dix sept ans plus tard, constituer un trouble à l’ordre public au sens de l’article 144. La juridiction d’instruction répond par la négative en considérant que « l’actualité de la souffrance de la victime ne (peut) laisser présumer que le trouble (…) a persisté pendant plus de dix sept ans au point de ne pouvoir y mettre fin que par la détention provisoire »[1472]. La loi du 15 juin 2000 poursuit le mouvement dans le sens d’une limitation textuelle du recours à la détention par référence au trouble à l’ordre public[1473]. L’article 144 3° admet que la détention provisoire puisse être ordonnée « si elle est l’unique moyen de mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé ». De façon plus radicale, la loi du 15 juin 2000🏛 limite le recours à l’ordre public lorsqu’il s’agit de prolonger la détention provisoire. Elle prévoit que « ce motif ne peut justifier la prolongation de la détention provisoire, sauf en matière criminelle ou lorsque la peine correctionnelle encourue est supérieure ou égale à dix ans d’emprisonnement ». Plus que les critères posés pour apprécier l’atteinte à l’ordre public, l’article 144 3° tend à réserver ce motif de recours à la détention provisoire pour les infractions les plus graves. C’est en cela que la loi du 15 juin 2000🏛 s’inscrit dans un mouvement qui vise à diminuer la portée de l’ordre public comme cause d’atteinte à la liberté d’aller et de venir.
Une forme sensiblement différente de l’ordre public peut conduire à affaiblir un principe. C’est celle qui trouble les débats. L’ordre public intervient alors dans le but d’évincer l’application du principe de publicité. Dans le Code de procédure pénale, le huis-clos peut être prononcé dans l’hypothèse où la publicité pourrait être dangereuse « pour l’ordre ou les mœurs »[1474]. En matière civile le Code et la loi du 5 juillet 1972🏛 permettent que les débats se déroulent en chambre du conseil « s’il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice ». Le terme d’ordre public n’est employé dans aucun de ces textes mais il apparaît en filigrane. La doctrine ne s’y trompe pas en affirmant que « l’accès du public à la salle d’audience peut être interdit par le huis-clos quand l’ordre public ou les bonnes mœurs peuvent souffrir d’une complète publicité »[1475]. La publicité des débats, tout en étant un principe essentiel, peut dans des circonstances particulières, porter tort à la sérénité de la justice. La généralité des termes employés dans les textes conduit à penser que le trouble peut résulter de l’attitude du public présent durant l’audience, mais encore d’événements se déroulant à l’extérieur du prétoire.
Loin d’être un instrument de réduction de la portée des principes, l’ordre public se comporte comme un facteur de flexibilité sous toutes ses formes. Il renforce les principes qui lui sont conformes et porte atteinte à ceux qui lui sont opposés. Il figure parmi les circonstances de droit qui déterminent la flexibilité des principes mais fait référence à des notions de fait (l’ordre et le désordre). L’ordre public se rapproche alors des circonstances factuelles qui limitent l’autorité d’un principe.
Le pourvoi en cassation n’est pas suspensif en matière civile. Cette règle est inspirée notamment par la volonté d’éviter que les recours purement dilatoires n’entravent la juste exécution de la décision au fond. Si la partie condamnée en appel n’exécute pas volontairement la décision, l’article 1009-1 du nouveau Code de procédure civile prévoit que le pourvoi en cassation sera retiré du rôle de la juridiction suprême jusqu’à l’exécution[1478]. A première vue, la solution semble s’imposer. Toutefois, si le débiteur ne peut pas exécuter la décision d’appel, il court le risque de voir intervenir la péremption d’instance au bout de deux ans[1479]. Dès lors, le pourvoi n’est plus simplement suspendu mais définitivement fermé. Comme le constate un auteur, le débiteur qui ne peut s’exécuter perd le « droit au droit »[1480] par la privation du droit au recours en cassation. L’exigence d’efficacité contrarie l’accès au principe.
Le droit à la liberté d’aller et de venir peut être, quant à lui, provisoirement suspendu en raison de l’efficacité. Il s’agit cette fois de promouvoir la recherche des preuves pénales. L’article 144 du Code de procédure pénale🏛 autorise le recours à la détention provisoire dans des circonstances précises ; notamment « si la détention provisoire de la personne mise en examen est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personne mise en examen et complices ». L’objectif de cette disposition est d’assurer l’efficacité de l’enquête. La personne poursuivie est provisoirement mise à l’écart afin d’éviter qu’elle ne puisse parasiter le déroulement de l’instruction. Cela constitue bien une atteinte au principe de liberté.
L’impératif d’efficacité est implicitement à l’origine de l’évolution qui a conduit au déclin du principe de collégialité. Dans le mouvement qui a été décrit plus haut[1481], on s’aperçoit peu à peu du remplacement de la formation collégiale par le juge unique particulièrement devant le Tribunal de grande instance statuant en matière civile ou pénale. Selon une explication constante en doctrine, le développement du juge unique est dû à une adaptation des principes de composition des juridictions aux impératifs de l’efficacité procédurale. « Mieux vaut trois audiences avec un juge qu’une seule avec trois juges » enseigne avec simplicité un premier auteur regrettant la « logique d’entreprise » qui conduit le législateur à favoriser « la préoccupation quantitative sur l’exigence qualitative »[1482]. Un autre met en avant les « impératifs de gestion et d’innovation de l’institution afin que les flux se régularisent »[1483], insinuant ainsi que la division des juridictions relèverait d’une idée nouvelle. L’idée majeure est bien de retrouver une certaine fluidité dans un contentieux croissant. M. COULON dont le rapport proposait l’institution d’un principe du juge unique en première instance constatait dans le même temps une multiplication par quatre du volume des affaires en cours dans les vingt cinq dernières années[1484]. L’absorption du contentieux est un impératif d’efficacité qui justifie l’abandon progressif du principe de collégialité comme si le phénomène était inéluctable. Il demeure pourtant des parlementaires pour affirmer que l’« on ne peut pas se permettre d’adapter les principes fondamentaux à la situation matérielle et financière ; ce sont au contraire les données matérielles et financières qui doivent correspondre aux principes fondamentaux »[1485]. La collégialité va trouver une source de protection avec un autre élément de fait : la gravité de l’enjeu.
D’autres hypothèses montrent que la flexibilité des principes peut dépendre de la gravité ou de la modicité de l’enjeu du procès. Le double degré de juridiction en est un exemple. Les articles R 321-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire🏛 prévoient que le Tribunal d’instance juge en dernier ressort des litiges dont la demande ne dépasse pas les 25 000 F. En matière prud’homale, le Code du travail décrète dans un article R. 517-3, que le Conseil de prud'hommes statue en dernier ressort « lorsque le chiffre de la demande n'excède pas un taux fixé par décret » ou « lorsque la demande tend à la remise, même sous astreinte, de certificats de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l'employeur est tenu de délivrer, à moins que le jugement ne soit en premier ressort en raison du montant des autres demandes ». Dans les deux textes, l’enjeu modique ne justifie pas le recours à un double examen au fond du litige soit en raison de la faiblesse du montant de la demande, soit parce que la requête se limite à un objet commun. En matière contraventionnelle, l’article 546 du Code de procédure pénale🏛 ouvre le droit d’appel « lorsque l’amende encourue est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe, lorsqu’a été prononcée la peine prévue dans le 1° de l’article 131-16 du Code pénal🏛, ou lorsque la peine d’amende prononcée est supérieure au maximum de l’amende encourue pour les contraventions de la deuxième classe ». L’appel est donc possible pour celui qui a commis un fait constitutif d’une contravention de la cinquième classe, celui qui encourt une des peines restrictives de droit[1489] ou encore lorsque la peine d’amende prononcée est supérieure à mille francs. L’accès à la Cour d’appel est réservé aux auteurs des faits les plus graves ou à ceux qui ont été condamnés à une peine suffisamment lourde. Une telle solution a été entérinée par le protocole n°7 additionnel à la CESDH qui consacre le double degré de juridiction en matière pénale tout en autorisant les dérogations « pour des infractions mineures » (article 2§2). La gravité des faits ou de l’enjeu du litige renforce donc l’autorité du principe et en limite la flexibilité. Parfois le phénomène peut s’inverser.
Un certain nombre de présomptions de culpabilité existent dans les textes du droit français et sont autant d’exceptions à la présomption d’innocence. La question de leur conformité avec le principe a été soulevée d’abord devant la CEDH dans un arrêt Salabiaku c/France[1490]. La Cour rappelle que les Etats sont libres sous certaines conditions « d’ériger en infraction un fait matériel ou objectif qu’il procède ou non d’une intention délictueuse ou d’une négligence ». Les présomptions légales de culpabilité peuvent être rangées dans cette catégorie d’incriminations et ne sont pas contraires en soi à la Convention. Elle ne doivent cependant pas dépasser des limites raisonnables compte tenu de la gravité de l’enjeu et de la nécessité de préserver les droits de la défense. Cette référence à la « gravité de l’enjeu » a été reprise dans de très nombreux arrêts de la Cour de cassation. Pour illustration en matière douanière l’arrêt de la chambre criminelle du 10 février 1992[1491] selon lequel « l’article 6§2 de la CEDH n’a pas pour objet de limiter les modes de preuve prévus par la loi interne mais d’exiger que la culpabilité soit légalement établie, (et) ne fait pas obstacle aux présomptions de fait et de droit instituées en matière pénale, dès lors que les dites présomptions (…) prennent en compte la gravité de l’enjeu et laissent entiers les droits de la défense ». Cette notion de « gravité de l’enjeu » n’est pas dépourvue d’équivoque. Doit-on comprendre que plus l’enjeu est grave, plus il est possible de recourir à une présomption de culpabilité pour faciliter la recherche de la preuve, les poursuites et la condamnation des auteurs ?
Si l’on s’en tient à l’importante proportion des présomptions de culpabilité en matière délictuelle[1492] ou plus spécialement en matière douanière[1493], on peut estimer que l’intérêt de la répression des infractions grandit avec la gravité des infractions. La présomption d’innocence devrait alors présenter plus de flexibilité. Une telle hypothèse doit être nuancée. Certaines présomptions sont prévues en matière contraventionnelle : il peut s’agir de la présomption générale d’existence de l’élément intentionnel que l’on déduit de l’article 121-3 al 5 du Code pénal, ou de présomptions spéciales prévues dans le Code de la route[1494]. A ce titre, le Conseil Constitutionnel a considéré que des présomptions de culpabilité « peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas un caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité »[1495]. La matière contraventionnelle est donc ouverte comme celle délictuelle aux présomptions de culpabilité. Le critère de la gravité n’est d’ailleurs pas retenu par le Conseil. Sans que la jurisprudence ne soit tout à fait claire sur le rôle de la gravité, ce critère apparaît comme déterminant dans la validité des présomptions de culpabilité, ce qui permet de le considérer comme un facteur de flexibilité. Cette flexibilité peut encore résulter de contraintes temporelles.
De même, au stade de la mise en état, l’article 145 du nouveau Code de procédure civile. prévoit que « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Sans que l’urgence soit mise en évidence, la demande de l’une des parties peut conduire le juge à recourir à l’ordonnance sur requête pour rechercher une preuve qui risque de dépérir. Cette technique est encore utilisée dans la procédure de divorce. Les articles 1106 et 1107 du nouveau Code de procédure civile et l’article 257 du Code civil🏛 autorisent le juge, dès que l’un des époux présente une requête en vue du divorce, à prescrire « s'il y a lieu, les mesures d'urgence » qui peuvent consister dans l’autorisation de résider séparément avec les enfants. Le contradictoire n’a été négligé que le temps nécessaire à prendre les mesures qui s’imposent. Les articles 496 et 497 du nouveau Code visent à rétablir le débat contradictoire, a posteriori. Toute personne intéressée peut alors saisir le juge qui a rendu l’ordonnance pour en obtenir la rétractation.
En procédure pénale, les contraintes temporelles peuvent apparaître lorsqu’un crime ou un délit flagrant vient d’être commis[1497]. Il est dès lors nécessaire d’accélérer les investigations pour ne pas courir le risque du dépérissement des preuves. Les pouvoirs des officiers de police judiciaire sont accrus au détriment des principes de liberté individuelle et d’intimité de la vie privée. L’article 56 du Code de procédure pénale🏛 autorise les perquisitions sans le consentement de l’intéressé. De même, en vertu de l’article 61 du Code de procédure pénale🏛, un officier de police judiciaire peut « défendre à toute personne de s’éloigner du lieu de l’infraction jusqu’à la clôture des opérations ». Il peut encore convoquer pour leur audition « toutes personnes susceptibles de fournir des renseignements sur les faits ou sur les objets et documents saisis ». Ces personnes sont tenues de comparaître et de déposer[1498]. L’article 70 autorise le Procureur de la République à « décerner un mandat d’amener contre les personnes soupçonnées d’avoir participé à l’infraction ». Les pouvoirs de restreindre la liberté individuelle ou d’attenter à la vie privée sont en principe réservés au juge d’instruction, ou encore soumis à « l’assentiment exprès de la personne chez laquelle les opérations ont lieu »[1499]. Avec la contrainte temporelle, les officiers de police judiciaire ou le ministère public se voient confier des pouvoirs dont ils ne disposent pas lors d’une enquête préliminaire ou d’une instruction. Les principes qui protègent les droits individuels doivent fléchir face à la contrainte du temps. On constate en dernier lieu que ces principes peuvent être garantis par les textes mais limités par les difficultés de leur mise en œuvre pratique.
Une étude italienne menée en 1993 a recherché les raisons de l’inégalité de fait des justiciables devant les juridictions répressives[1501]. Deux facteurs de cette inégalité ont pu être identifiés nettement : il s’agit de la position sociale et la qualité de la défense. Les auteurs exposent que le taux d’acquittement[1502] ou de peines d’amende décroissent corrélativement à l’abaissement du niveau social. Par ailleurs, plus la position sociale de l’auteur des faits diminue, plus les chances de cet individu d’être arrêté puis condamné à un emprisonnement s’élèvent. Un prévenu intégré socialement s’avère plus cultivé. Il est capable de présenter pour sa défense une thèse crédible. Il partage la même conception du droit et de la justice que les autres acteurs du procès. Il peut choisir librement son défenseur et ce dernier va déployer des moyens plus importants pour accomplir sa tâche. En considération des facteurs relatifs à la position sociale et à la qualité de la défense, les chercheurs sont parvenus à prévoir à l’avance une solution d’acquittement ou de condamnation dans 80% des cas observés. Le principe d’égalité devant la justice ressort particulièrement malmené de cette enquête.
Le double degré de juridiction en matière pénale semble subir un sort identique du point de vue de la décision sur la peine. Dans la théorie du double degré de juridiction, il apparaît que les juges d’appel peuvent augmenter, diminuer ou maintenir la peine prononcée par les premiers juges. Cette solution est nuancée par la prohibition de la reformatio in pejus qui interdit aux juges sur le seul appel du condamné, d’aggraver le sort de l’appelant[1503]. Une thèse soutenue en 1991 présente une étude sociologique de la pratique des juridictions pénales du second degré dans le choix de la sanction[1504]. En matière d’emprisonnement, dans plus de 60% des cas, la décision prise en première instance a été confirmée en appel ; pour 32% des jugements, la peine a été aggravée et seulement 7% des condamnés ont pu bénéficier d’une réduction ou d’une suppression de la peine[1505]. L’auteur conclut que la Cour d’appel laisse le choix de la peine aux juges du premier degré et tentent de décourager largement les appels correctionnels. De même, l’interdiction de la reformatio in pejus est « anéantie par la possibilité de riposte incidente du ministère public utilisée quasi systématiquement par le parquet dès l’appel du prévenu »[1506]. Le double degré de juridiction se borne, dans la pratique de la Cour d’appel de Lyon, à un contrôle de l’application du droit au détriment de celui relatif au choix de la sanction.
Quels sont donc les « traits communs » des principes directeurs du procès judiciaire ? Tous les principes sont des normes, il faut ajouter des normes juridiques. Tous possèdent une origine téléologique. Ils proviennent de valeurs ou utilités sociales qui leur confèrent une part de leur autorité normative. Leur existence dépend de leur reconnaissance dans une des sources formelles du droit. Chacun d’entre eux possède enfin les trois caractères que sont la continuité, la généralité et la flexibilité.
Tous ces éléments distinctifs sont cumulatifs. Aucun n’est véritablement discriminant et chacun peut être présent parmi les autres règles du système normatif. Pour qu’une norme puisse entrer dans la catégorie des principes, elle doit réunir les caractéristiques suivantes :
- elle doit s’intégrer dans la catégorie des normes juridiques ;
- elle doit incarner au moins une valeur ou utilité sociale ;
- elle doit trouver sa consécration dans une des sources formelles du droit, même si cette source ne formule pas expressément la règle incarnée par le principe (la norme peut être formulée solennellement ou résulter de la réunion de plusieurs règles).
- elle doit présenter les trois caractères que sont la continuité, la généralité et la flexibilité.
A travers ces différents facteurs d’unité, il faut reconnaître que certains sont constants (les principes sont des normes juridiques et consacrent une ou plusieurs finalités sociales), alors que d’autres sont variables (continuité, généralité et flexibilité). Ces variations font naître des incertitudes quant à la réalité positive d’une catégorie de principes. Il est difficile de passer outre cette ambiguïté.
Impartialité et contradictoire sont des normes qui entrent incontestablement dans la catégorie des principes. Ils forment avec d’autres un premier cercle dans lequel toutes les normes qui y figurent présentent tous les caractères des principes directeurs.
Dans un deuxième cercle, possédant le même centre mais dont la circonférence est plus importante, on trouve des normes qui ne contiennent pas tous les caractères des principes directeurs. Dans un grand nombre des cas, on trouvera dans ce groupe des normes qui, avec l’évolution du droit, sont sorties, ou vont entrer dans le cercle des principes directeurs. C’est le cas de la collégialité, du juge unique, ou encore de l’immutabilité du litige. A l’égard de ces normes, les hésitations sont permises. Elles possèdent les caractères des principes directeurs, de même qu’une certaine réalité dans le système processuel, mais leur trop grande flexibilité les a fait disparaître du champ des principes de droit positif. D’autres règles semblent encore faire partie de ce deuxième cercle comme celle de l’opportunité des poursuites. Trouve-t-on, avec le choix qui est laissé au Procureur de la République de poursuivre ou de classer sans suite, un principe directeur du procès pénal ? La réponse n’est pas évidente. Si on oppose l’opportunité des poursuites à la légalité des poursuites, on doit constater que le système français ne laisse aucune place au second système. L’opportunité s’impose dans toutes les situations, elle ne présente pas de flexibilité particulière. Pour autant, si la victime se constitue partie civile, elle contraint le ministère public à mettre en mouvement l’action publique et l’opportunité disparaît. Ne serait-ce pas là un indice de flexibilité ? Le caractère de la généralité semble encore manquer de consistance. Certes, l’opportunité s’impose pour toutes les infractions, mais cette généralité ne diffère pas de celle des règles techniques. L’opportunité manque de généralité en ce qu’elle ne s’applique qu’à un moment très précis de la procédure pénale : lors de la décision d’exercer ou non l’action publique. Ce manque de généralité et de flexibilité n’a pas empêché la Cour de cassation d’utiliser la formule de « principe d’opportunité des poursuites » en décidant que cette règle n’était pas contraire à l’article 6§1 de la CESDH[1508]. L’utilisation du qualificatif « principe » n’est pas suffisante pour faire d’une simple règle un principe à part entière. On essayera de résoudre la question en classant l’opportunité des poursuites dans le deuxième cercle des règles ne possédant pas ou possédant imparfaitement les caractères des principes directeurs.
Dans un troisième cercle, de même centre, mais de circonférence plus étendue que le deuxième, on trouve enfin les règles purement techniques. Pour ces dernières, au moins un des caractères des principes directeurs fait indiscutablement défaut. Ces règles techniques forment la majeure partie des normes du droit judiciaire. Elles n’ont pas vocation à pénétrer à un moment ou à un autre la catégorie des principes. Un grand nombre d’entre elles ont comme vocation de mettre en œuvre ou de déroger à l’un des principes de procédure. Elles sont essentielles au développement des principes, mais elles s’appliquent à des cas précis, peuvent apparaître ou disparaître au gré des réformes ou encore s’appliquent selon une logique du tout ou rien. Cette catégorie de règles techniques se distingue nettement des principes directeurs.
En définitive, on peut parler d’unité des principes directeurs en ce qui concerne le premier cercle. On y retrouve des normes dont la qualité de principes n’est pas contestable. Mais au sein de cet ensemble, tous les principes ne présentent pas une continuité, une généralité, ou une flexibilité identique. Un autre facteur de diversité apparaît : les principes assurent la mise en œuvre de droits procéduraux, mais aussi de droits fondamentaux.
Deux auteurs évoquent la présomption d’innocence sous son double visage : celui d’une règle de preuve qui attribue la charge de la preuve à la partie poursuivante ; mais aussi celui « d’une règle politique caractéristique des régimes libéraux »[1509]. En tant que règle procédurale, le principe vaut comme une présomption, c’est à dire comme un point de départ qui permet de supposer un fait inconnu (l’innocence) à partir d’un fait connu (l’absence de condamnation définitive). La présomption d’innocence consiste à tenir (provisoirement) pour vrai un fait qui est très vraisemblable[1510].
Le droit fondamental de la présomption d’innocence connaît des développements en dehors du procès. Son inscription à l’article 9-1 du Code civil🏛 en fait un droit attaché à la personnalité. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, la présomption d’innocence ne se réduit pas « à une garantie procédurale propre au procès pénal mais (a) une portée plus large et lie non seulement la juridiction chargée de l’affaire mais aussi les autres autorités »[1511]. La sanction de la violation du droit fondamental à la présomption d’innocence se solde en effet par des actions de nature civile et non processuelle[1512].
On s’aperçoit que ce couple unité/diversité est une source de richesse. Par leur unité, les principes directeurs peuvent avoir une action commune. Par leur diversité, chacun d’entre eux possède une ou plusieurs fonctions qui lui sont personnelles et utilise les moyens les plus variés pour produire des effets de droit dans un domaine déterminé. L’existence de la catégorie juridique prend un sens à travers l’action des principes directeurs du procès judiciaire.
Les deux auteurs formulent ainsi l’hypothèse selon laquelle les principes s’intègrent dans un système qui les englobe et qu’au sein de ce système, ils ont une action qui leur est propre. Comment peut-on définir la notion de système et quelle place doit-on attribuer aux principes directeurs dans ce système ? Telles sont les questions liminaires qu’il faut aborder succinctement pour éclairer l’action des principes directeurs.
Un système est avant tout composé d’un ensemble, soit d’une « collection d’éléments, munis de caractéristiques propres » mais « qui n’interagissent pas entre eux »[1519]. Dans le système, ces éléments entrent en interaction. Pour mettre en évidence l’existence d’un système, on doit prendre en considération trois critères : il faut qu’existe un ensemble d’éléments ; que ces éléments forment une unité et qu’ils interagissent entre eux de telle sorte que le système forme une organisation[1520]. L’analyse systémique permet alors d’étudier chaque interaction individuellement mais elle s’intéresse aussi et surtout « au produit de l’interaction des éléments »[1521].
Le droit doit être conçu comme un système. Il n’est pas « une collection de normes, mais un ensemble coordonné de normes, qu’une norme ne se trouve jamais seule, mais liée à d’autres normes, avec lesquelles elle forme un système normatif »[1522]. L’unité du système est fondée sur l’idée de l’ordre juridique. Une norme est intégrée dans le système si elle présente une juridicité[1523]. Le système juridique n’est pas isolé, on peut le considérer comme un sous-système de normes sociales. Pour DWORKIN, la cohérence du système juridique repose sur le fait qu’il est fondé sur une seule « doctrine éthique et politique »[1524]. L’interaction du système juridique avec le système social passe donc par le lien existant entre la « doctrine éthique et politique »[1525] et les normes juridiques.
L’analyse systémique consiste notamment dans l’identification des éléments du système et la recherche des relations entre ces éléments[1526]. Une méthode d’identification des principes directeurs a été proposée dans la première partie de ce travail. Il faut à présent s’attacher aux relations qu’entretiennent les principes au sein de leur propre système et avec les systèmes qui les entourent. Une telle étude passe par la mise en valeur des différents types de relations qui s’établissent entre les principes directeurs et les autres éléments du système normatif processuel ou entre les principes directeurs et le système que constitue le procès judiciaire.
Le système des principes directeurs est un sous-système de l’ordre juridique. Le Professeur SEVE remarque à ce titre qu’un « système est d’autant plus parfait que les principes sont en plus petit nombre »[1527]. Dans le système juridique que représente le droit processuel, les principes directeurs sont effectivement en petit nombre lorsqu’on les compare à l’autre sous-système constitué des règles techniques. La première approche du droit processuel au moyen de l’analyse systémique vise à étudier isolément les relations qui existent entre un principe directeur et les règles techniques prises pour son application. Dans cette perspective, chaque principe est au sommet d’un sous-système particulier constitué de règles regroupées dans une matière déterminée. L’autre perspective est globalisante. Elle réside dans l’étude des relations d’ensemble qu’entretiennent système des principes directeurs et système des règles techniques. Il faudra alors admettre l’existence de relations hiérarchiques entre les deux systèmes[1528]. L’étude de ces relations permettra de mettre en évidence l’action des principes directeurs au sein du système normatif processuel (titre 1).
Au-delà de ce système de normes, c’est le procès judiciaire lui-même qui doit être considéré comme un système. Ce dernier comporte un ensemble d’éléments formé par les normes du droit processuel privé (le système normatif processuel), les acteurs du procès et les actes accomplis pendant la procédure. Dans le procès judiciaire, les principes directeurs s’analysent encore en un sous-système (parmi les normes du droit processuel) qui va entrer en interaction avec les deux autres sous-systèmes que sont les actes et les acteurs du procès. C’est autour de ces interactions que s’établit l’action des principes directeurs sur le déroulement du procès judiciaire (titre 2).
L’interférence entre principes peut présenter une plus grande complexité. A propos de la question du renvoi à une audience ultérieure d’une affaire qui a été fixée pour être plaidée, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé en 1989 que « si les parties ont la libre disposition de l’instance, l’office du juge est de veiller au bon déroulement de celle-ci dans un délai raisonnable ; que la faculté d’accepter ou de refuser le renvoi (…) relève du pouvoir discrétionnaire du juge, dès lors que les parties ont été mises en mesure d’exercer leur droit à un débat oral »[1530]. Cet arrêt met en évidence - sur la question particulière du renvoi - pas moins de quatre principes. Le principe de coopération est le premier concerné. Les parties ont la libre disposition de l’instance mais le juge n’est pas lié par leur demande de renvoi. C’est lui qui détermine les délais et fixe les dates qui ponctuent le déroulement du procès. Il conserve la faculté de faire droit ou non à une demande de renvoi notamment en fonction de l’impératif qui est le sien de respecter le principe de célérité. Coopération et célérité se rencontrent donc pour renforcer les pouvoirs du juge. Toutefois, le juge est tenu de respecter le droit des parties à un débat oral. Comme le souligne un des commentateurs de l’arrêt, c’est tout autant le principe d’oralité que celui du contradictoire qui interviennent[1531] pour encadrer les pouvoirs du juge. Les principes se rencontrent tous en un même point et agissent en groupe pour permettre à la juridiction suprême d’adopter une solution d’équilibre entre pouvoirs du juge et droits des parties.
Ces intersections complexes existent encore en matière de détermination des compétences juridictionnelles entre ordres de juridiction. Cette fois, il ne s’agit pas d’un point précis du droit processuel qui est en cause mais d’une question plus générale : celle du choix de la juridiction compétente. Plusieurs principes doivent être pris en considération à cet égard. Le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire et celui de l’indépendance des procédures[1532] confèrent au juge administratif un large pouvoir et une certaine autonomie de décision alors que l’autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles et la plénitude de juridiction[1533] du juge répressif, tendent à favoriser la primauté de compétence des juridictions judiciaires. Au cas par cas, les principes antagonistes vont s’affronter donnant à l’une ou l’autre des juridictions compétence pour trancher le litige. Dans le cas d’une voie de fait, la séparation des fonctions cède devant l’atteinte à une liberté[1534]. Par contre un même fait peut conduire à des poursuites répressives et administratives. Principes d’indépendance des procédures et de plénitude de juridiction, conduisent alors à une double compétence des juges administratifs et répressifs, chacun dans leur domaine respectif[1535]. Les principes qui agissent en groupe se trouvent parfois réunis dans une relation d’inclusion avec un principe qui les englobe.
a) L’émancipation d’un principe générique
D’autres principes de séparation ont pu être dégagés en jurisprudence au-delà de la matière pénale. En matière commerciale, la Cour d’appel de Grenoble s’est fondée sur l’article 6§1 de la CESDH, sur l’article 1 du nouveau Code de procédure civile - duquel elle déduit l’interdiction de la saisine d’office - et sur le principe de séparation des fonctions d’instruction et de jugement, pour interdire à un juge commissaire d’une procédure collective de siéger dans la juridiction de jugement[1543]. L’annotateur de l’arrêt en déduit l’existence dans les procédures de redressement et liquidation judiciaire des entreprises, d’un principe de séparation des fonctions d’administrateur et de juge.
La séparation des fonctions, principe générique, se développe au moyen d’autres principes formant ainsi une relation d’inclusion entre le principe générique et les principes affiliés. Une telle inclusion peut parfois être incertaine.
L’argument paraît convaincant mais il faut constater que la jurisprudence n’est pas aussi claire. Si aucun argument théorique ne permet de lier le principe non bis in idem et celui de l’autorité du criminel sur le civil autour d’un principe générique tiré de l’article 1351, on relève pourtant un certain nombre de décisions jurisprudentielles qui associent le principe de procédure et le texte du Code civil🏛. Dans une décision du 22 juillet 1952, la chambre commerciale de la Cour de cassation décidait que « si les décisions de la justice pénale ont au civil l’autorité de la chose jugée (…) (elles) sont soumises à la règle de la relativité de la chose jugée par l’article 1351 »[1547]. Plus récemment, deux arrêts de la chambre sociale ont opéré un parallèle en associant le principe procédural et l’article 1351. Dans le premier arrêt, la Cour de cassation condamne les juges du fond pour avoir admis un licenciement fondé sur des faits pour lesquels la personne avait été relaxée aux motifs que « la Cour d’appel a violé l’article 1351 du Code civil🏛, (et) le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil (…). Dans la seconde espèce, elle statuait sur des faits similaires. La décision est plus significative car la Cour se réfère dans son visa à l’article 1351 et au principe de l’autorité au civil de la chose jugée au pénal. Elle constate ensuite que les juges d’appel ont « violé le texte et le principe susvisé »[1548]. Le principe n’est pas fondé directement sur le texte et l’on ne peut affirmer clairement que l’autorité du criminel sur le civil se rattache à la disposition du Code civil🏛. En revanche, on peut imaginer que si l’autorité du criminel n’est pas incluse dans le principe de l’article 1351 (non bis in idem), les deux normes se complètent pour former les deux aspects d’un principe générique de l’autorité de la chose jugée. Le principe non bis in idem est le premier aspect de l’autorité de la chose jugée. Il se décline lui-même en autorité du civil sur le civil et en autorité du criminel sur le criminel. Le principe de l’autorité du criminel sur le civil constitue l’autre volet du principe générique. Sa fonction est différente, elle consiste à régler les conflits de décisions entre les deux juridictions.
Cette relation d’inclusion demeure incertaine car il est impossible de dégager clairement un principe générique d’autorité de la chose jugée en droit positif. Tout au plus le rapprochement est-il explicitement opéré en doctrine[1549]. La complexité est grandissante lorsque l’on aborde la question des principes génériques dits « matriciels ».
c) Principes génériques et principes matriciels
Tel est le cas par exemple des principes des droits de la défense et du procès équitable qui demeurent très proches l’un de l’autre. Il s’agit de normes qui contiennent en leur sein une pluralité d’autres principes. Ces dernières ont aussi la capacité d’engendrer de nouveaux principes. Par exemple, le procès équitable a constitué le fondement de la création jurisprudentielle du principe de l’égalité des armes en droit européen[1554]. Les principes matriciels ne génèrent pas uniquement des principes. Ils ont aussi une existence propre en tant que principe. En ce sens, ils génèrent eux-mêmes des règles techniques qui leur sont exclusivement attachées. L’article 197 du Code de procédure pénale🏛 prévoit des délais minima de convocation des parties devant la chambre d’accusation. La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « ces prescriptions sont essentielles aux droits des parties et doivent être observées à peine de nullité» et de constater que « les droits de la défense, que le texte susvisé a pour objet de préserver, subissent une atteinte (…) »[1555]. Certaines dispositions techniques sont donc directement liées aux droits de la défense et ne transitent pas par un autre principe.
Au sein du système des principes directeurs, les principes matriciels ont une place à part. Plus que de simples principes, ce sont des notions génériques aptes à embrasser des situations multiples, à générer des normes susceptibles de régler les litiges nés de ces situations. Equivalents à de simples principes, ils engendrent comme leurs homologues des règles techniques dans un domaine défini. Ce domaine peut rencontrer celui d’autres principes, mais il peut aussi l’ignorer. S’établit alors un champ non-interactionnel.
Le droit de la preuve est dominé par deux principes qui se partagent le champ procédural : le principe de la liberté de la preuve qui régit le domaine des faits juridiques et le principe (ou système) des preuves légales qui s’applique aux actes juridiques[1564]. En droit judiciaire privé, le principe des preuves légales connaît de très nombreuses atténuations qui sont autant de manifestations de l’infiltration du principe de la liberté de la preuve. D’une part, le droit commercial est entièrement soumis à la liberté[1565] ; les actes de commerce peuvent donc être prouvés par tous moyens. D’autre part, les contrats dont le montant est inférieur à cinq milles francs sont encore soustraits aux exigences d’une preuve légale[1566]. En procédure pénale, le mouvement inverse se produit. D’une part, le principe applicable en droit civil s’impose logiquement à la juridiction pénale lorsqu’elle doit statuer sur une question de nature civile[1567]. Si un abus de confiance a été commis à l’occasion d’un mandat ou d’un dépôt, la preuve de ces contrats est soumise aux règles du droit civil et donc au principe de la légalité des preuves[1568]. Le principe des preuves légales pénètre encore le domaine pénal à l’occasion de certaines procédures spéciales. L’article 433 du Code de procédure pénale🏛 dispose que dans certaines matières spéciales la loi peut prévoir que les procès verbaux feront foi « jusqu’à inscription de faux ». Tel est le cas en matière douanière[1569]. D’autres lois spéciales réduisent les modes de preuve qui peuvent être rapportés en justice. La loi du 3 juillet 1985🏛 relative aux droits d’auteurs, d’artistes et d’interprètes, prévoit ainsi que seul le procès verbal peut être utilisé comme mode de preuve. L’article 431 du Code de procédure pénale🏛 dispose encore que lorsque les officiers et agents de police judiciaire ont reçu d’une loi spéciale le pouvoir de constater des délits par procès verbaux, « la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins ». Aucune autre technique ne peut alors être produite devant le juge.
Ces différents exemples sont autant d’atteintes aux principes des preuves légales des actes juridiques ou de la liberté de la preuve des faits juridiques. Pourtant, il s’agit moins de règles techniques qui réduisent la portée d’un principe que de l'incursion d’un principe dans le champ d’un autre. Encore une fois, les principes n’entrent pas en contact mais chacun cède ou gagne du terrain sur le territoire de l’autre. L’article 433 du Code de procédure pénale🏛 - qui prévoit que les procès verbaux peuvent faire foi jusqu’à inscription de faux et lier ainsi la décision du juge[1570] - constitue une dérogation au principe de liberté de la preuve. Il s’agit surtout de la pénétration des preuves légales en procédure pénale. Il semble que l’on reste ici dans le domaine non-interactionnel dans la mesure où l’avancée d’un principe entraîne le recul de son antagoniste. Dans le même temps, un principe s’approprie une part du champ procédural et le principe contraire en est dépossédé.
Il existe des situations intermédiaires dans lesquelles les principes opposés peuvent devenir concurrents. En théorie, la relation entre les deux principes est de type non- interactionnel. Pourtant, dans cette conjoncture exceptionnelle, les principes opposés entrent directement en confrontation. En pratique, le champ devient interactionnel par dérogation au rapport non-conflictuel qu’entretiennent habituellement les principes antagonistes.
Dans le cadre de l’opposition collégialité et juge unique, la loi du 10 juillet 1970🏛 a institué devant le Tribunal de grande instance statuant en matière civile un mécanisme qui permet au président du Tribunal ou à un juge délégué de « décider qu’une affaire sera jugée par le Tribunal de grande instance statuant à juge unique »[1571]. Cette disposition ne s’applique pas en toutes matières[1572] et la collégialité est de droit dès lors qu’une partie en fait la demande. Il reste que devant le Tribunal de grande instance statuant en matière civile, il ne s’agit plus d’un partage de la matière procédurale mais bien d’une concurrence entre deux principes. Le juge dispose du choix d’appliquer l’un ou l’autre de façon discrétionnaire.
Une situation similaire se produit à propos de la publicité et du secret de la procédure. En matière pénale par exemple, les débats sont publics. Cependant le principe de publicité subit la concurrence du secret dans un certain nombre de circonstances qui permettent aux parties ou au juge d’obtenir ou de prononcer le huis-clos. Il s’agit notamment des poursuites exercées en matière de viol ou de torture et actes de barbarie devant la Cour d’assises[1573]. En matière correctionnelle, le Tribunal peut aussi décider de rétablir le secret si la publicité est « dangereuse pour l’ordre ou les mœurs[1574]. En matière civile, les débats relatifs au jugement se déroulent en chambre du conseil à l’initiative du juge, « s’il doit résulter de leur publicité une atteinte à l’intimité de la vie privée (…) ou s’il survient des désordres de nature à troubler la sérénité de la justice »[1575]. Les parties peuvent aussi s’entendre pour que l’audience ne soit pas publique. L’hypothèse inverse se produit lorsque la publicité interfère dans le domaine privilégié du secret. Tel est le cas, depuis la loi du 15 juin 2000🏛 dans la mise en état des affaires pénales. Un alinéa a été ajouté à l’article 11 du Code de procédure pénale🏛 qui prévoit : « Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ». Ces exemples mettent en évidence une situation de concurrence dans la mesure où le domaine des deux principes fluctue en fonction d’un ensemble de critères qui rendent incertaine l’application de l’un ou de l’autre. On peut dire que la publicité demeure le principe applicable à l’audience mais que certaines dérogations sont possibles ouvrant la voie au secret. La relation principe / dérogation qui s’établit, est créatrice d’une interaction entre les deux principes. Cette situation demeure exceptionnelle dans la relation de partage qui organise généralement leur domaine d’action.
Le champ procédural est donc tout à la fois le lieu de partage et de rencontre entre les principes. Ces rencontres présentent une grande diversité de formes : ce sont les modalités relationnelles des principes directeurs.
Les méthodes pour recueillir les preuves suscitent de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux, notamment dans les matières où règne le principe de liberté de la preuve. Pour la Commission européenne des droits de l’homme, l’utilisation de sévices dans le but d’obtenir des aveux de la part d’une personne poursuivie constitue non seulement une violation de l’article 3 de la Convention qui protège la dignité de la personne humaine, mais aussi un manquement à l’article 6§2 selon lequel « toute personne est présumée innocente » puisque la juridiction répressive est susceptible d’accorder à cet aveu une force probante[1581]. L’utilisation de sévices doit être sanctionnée car elle transgresse le respect de la dignité et peut conduire à vicier le raisonnement du juge. Indirectement, le principe de la présomption d’innocence s’en trouve bafoué. On peut encore considérer que l’aveu recueilli sous la torture nie la nécessité d’une recherche loyale des preuves afin que l’intime conviction du juge ne soit pas viciée. L’action des quatre principes se combine dans un but unique, celui de condamner le recours à certaines techniques probatoires.
Il arrive que l’action associée de deux principes n’apparaisse pas clairement notamment parce que les juges vont viser alternativement l’un ou l’autre des principes qui protègent le droit fondamental. Un exemple peut être tiré du mécanisme des écoutes téléphoniques. Ce procédé constitue tout autant une atteinte à l’intimité de la vie privée qu’un stratagème destiné à recueillir une preuve et donc susceptible de transgresser le principe de loyauté. La jurisprudence contrôle alternativement les rapports entre les écoutes et les principes susvisés. Avant la mise en place d’un régime légal d’écoutes, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « l'article 81 habilitant le juge d'instruction à procéder à tous actes d'information jugés par lui utiles à la manifestation de la vérité, le placement sur écoutes d'une ligne téléphonique du domicile d'un inculpé détenu accompli par délégation des pouvoirs d'un juge d'instruction, sous son contrôle, sans artifice ni stratagème, est admissible dès lors que ce procédé n'a pas eu pour résultat de compromettre les droits de la défense »[1582]. La mise sur écoute ne peut constituer un stratagème ou un artifice : en d’autres termes, il doit respecter la loyauté. Les juges du fond ont reconnu que l’article 81 du Code de procédure pénale🏛 conférait au juge d’instruction un pouvoir de s’ingérer dans la vie privée notamment en procédant à des écoutes téléphoniques[1583]. Ces dernières constituent des atteintes au principe de l’intimité de la vie privée que la Cour européenne a eu l’occasion de sanctionner dans un arrêt du 24 avril 1990[1584].
Dans ces différentes décisions, les principes ne sont pas associés pour réglementer le régime des écoutes. Toutefois, il apparaît nettement que les écoutes constituent une atteinte à ces deux principes. La réglementation des « interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications » par la loi du 10 juillet 1991🏛 consacre une combinaison latente de l’intimité de la vie privée et de la loyauté dans le sens d’un encadrement des procédures d’écoutes.
Dans la Convention européenne des droits de l’homme🏛, on trouve des stipulations qui sont la résultante de l’association de plusieurs principes. L’article 5§2 prévoit que « toute personne arrêtée ou détenue (…) a le droit d’être aussitôt traduite devant un juge ». Le contrôle de l’arrestation et de la détention de la personne nécessite de recourir au droit au juge en association avec le principe de célérité. Dans de cadre de la restriction de la détention provisoire, le premier principe qui tend à faire obstacle à l’incarcération avant jugement de la personne poursuivie est celui de la présomption d’innocence[1585]. Dans son discours préalable à la dernière lecture au Sénat de la loi du 15 juin 2000🏛, le Garde des Sceaux a inclus dans la protection de la présomption d’innocence les règles qui encadrent le régime de la détention provisoire[1586]. Depuis une loi du 9 juillet 1984🏛, la décision de placer une personne en détention nécessite au préalable, l’organisation d’un débat contradictoire[1587]. Ce principe vise notamment à éclairer le juge sur les différents aspects de la mesure qu’il envisage de prendre. Ce débat contradictoire qui se déroulait devant le juge d’instruction a été transféré devant un juge des libertés et de la détention[1588]. Il s’agit là du renforcement d’un autre principe directeur : celui de l’impartialité. En retirant le contentieux relatif à la détention avant jugement au juge d’instruction, la loi du 15 juin 2000🏛 vise à séparer la fonction d’instruction de celle relative à l’atteinte aux libertés. Le juge des libertés et de la détention ne subit pas l’influence de l’enquête judiciaire et le risque de partialité est théoriquement écarté. Pour autant, le juge doit encore s’expliquer sur les raisons qui l’on conduit à prendre sa décision. C’est le respect de la motivation. Encore une fois, la loi du 15 juin 2000🏛 accentue la portée de ce principe. L’article 137-1 du Code de procédure pénale🏛 prévoit désormais que le juge des libertés et de la détention « est saisi par une ordonnance motivée du juge d’instruction ». L’article 137-3 impose à son tour que le juge des libertés « statue par une ordonnance motivée »[1589]. S’il décide d’ordonner ou de prolonger la détention provisoire ou s’il rejette une demande de mise en liberté, cette motivation doit être circonstanciée[1590]. Le principe de célérité conduit enfin la jurisprudence à mettre fin à une atteinte à la liberté lorsque les délais de procédure ne correspondent plus aux exigences de l’article 6§1 de la CESDH. Dans un arrêt du 30 octobre 1997, la chambre d’accusation de Paris a décidé de remettre en liberté une personne poursuivie pour viol sous la menace d’une arme en raison du fait que l’affaire renvoyée devant la Cour d’assises n’avait pas été audiencée[1591]. En droit interne, la combinaison des principes de célérité et du droit au recours a conduit à l’institution du référé-liberté. Il s’agit d’un recours prévu aux articles 187-1 et suivants du Code de procédure pénale🏛 qui permet de contrôler le respect des conditions de la détention provisoire dans un bref délai.
On assiste donc en matière de détention provisoire à une accumulation de principes dont la combinaison vise à limiter le recours à la détention provisoire. L’action accordée des principes s’oriente autour de deux idées : entraver le mécanisme qui permet d’ordonner ou de prolonger la détention (motivation, impartialité) et ouvrir le droit à une contestation de la décision du magistrat (contradictoire, droit au recours). Un des intérêts de cette combinaison réside notamment dans le fait que l’ensemble des principes susvisés sont réunis avec pour objectif de protéger un autre principe : celui de la liberté d’aller et venir.
a) La protection directe d’un principe directeur par un autre
La relation de protection existe encore lorsque deux principes sont intimement liés. C’est le cas pour les principes d’indépendance et d’impartialité. L’indépendance est un principe qui n’a pas d’intérêt immédiat dans la procédure. Il ne s’impose que dans la mesure où il contribue à favoriser l’impartialité des magistrats. L’indépendance n’est pas à elle seule suffisante, pour garantir l’impartialité, mais elle en est une « condition préalable »[1595]. Il n’est pas évident qu’un juge indépendant soit impartial. A l’inverse la dépendance va nécessairement induire une certaine partialité puisque le magistrat devra tenir compte dans sa décision, de considérations relatives à sa subordination. La Cour européenne des droits de l’homme est ainsi conduite à soulever ensemble les griefs visant l’indépendance et l’impartialité. Dans un arrêt Sramek c/ Autriche[1596], elle constate que la subordination de l’un des membres du tribunal introduit un doute sur l’indépendance de cette personne. Cette situation « met gravement en cause la confiance que les juridictions se doivent d’inspirer dans une société démocratique ». La Cour conclut à la violation de l’article 6§1 de la CESDH. Une telle analyse n’empêche pas un auteur de reconnaître que l’impartialité est une exigence spécifique qui ne se mêle pas avec l’indépendance[1597]. Il convient tout de même de constater que l’indépendance trouve sa justification dans la recherche de l’impartialité.
Ce type de raisonnement a été étendu à la publicité de l’audience. Cette norme a été décrite comme « un principe second qui n’a pour raison d’être que de permettre le contrôle du contradictoire et n’a donc pas de valeur par lui même »[1598]. Cette opinion, certes tranchée, a le mérite de mettre en avant l’idée que le principe de publicité est avant tout inspiré par l’idée d’un contrôle sur le bon déroulement de la procédure et en particulier des débats. Il semble pourtant que l’ouverture des prétoires au public concourt notamment à une meilleure compréhension des décisions et des mécanismes judiciaires. La publicité possède donc une existence propre, justifiée notamment pas la nécessité de transparence de la justice. Son action protectrice doit être regardée comme une fonction parmi d’autres.
A son tour, le contradictoire se trouve être un principe protecteur. Dans son arrêt Vermeulen c/ Belgique[1600], la CEDH admet que le droit à une procédure contradictoire vise à permettre aux parties d’influencer la décision du juge. A première vue, influencer un magistrat doit avoir pour effet de porter atteinte à son impartialité. Le contradictoire se conçoit comme un échange de vues. Dès lors, le magistrat éclairé par le débat pèse au mieux les éléments du litige. L’influence croisée des parties favorise bien l’impartialité des juges. Priver une partie du droit de discussion relève d’une atteinte à leur impartialité.
On assiste donc à l’apparition de chaînes de protection. Un principe aide au développement d’un deuxième, qui favorise la mise en œuvre d’un troisième. Si l’on reprend l’impartialité comme finalité et l’indépendance comme norme protectrice, on peut encore trouver un principe qui garantit l’indépendance en amont. Il s’agit par exemple du secret des délibérés. La phase des délibérés doit se dérouler « dans le calme, loin des passions hors des pressions ou des influences possibles, bref, dans le secret »[1601]. Le secret des délibérés hors de la présence des parties, du public, ou des autorités publiques, est effectivement la meilleure assurance de l’indépendance des juges.
Il se peut encore que la jurisprudence s’immisce dans la chaîne de protection d’un principe pour établir des liens pour le moins surprenants. Dans sa décision de 1995 à propos de l’injonction pénale[1602], le Conseil constitutionnel affirme que le principe de séparation des fonctions de poursuite et de jugement « concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle ». Il s’agit là de l’analyse réductrice d’une relation plus complexe. Le principe de séparation des fonctions vise à ce que le magistrat du parquet qui a agi comme partie poursuivante, ne puisse pas intervenir en tant que juge dans un même dossier. C’est l’impartialité du magistrat qui est visée et non la liberté individuelle. Les magistrats du parquet ne sont pas tenus par l’impartialité, leur rôle vise notamment à l’application des peines[1603]. En confiant des pouvoirs de sanction au Procureur de la République comme le faisait le projet de loi, on provoque le risque d’une atteinte à la liberté. En effet, ce magistrat ne possède pas la qualité d’être impartial. L’analyse du Conseil constitutionnel procède d’un raccourci. La haute autorité voit une relation directe alors que la chaîne crée un phénomène de protection indirecte.
b) La protection indirecte d’un principe directeur par un autre
La relation d’inclusion est porteuse d’une certaine protection dans l’hypothèse où le principe de loyauté n’apparaît pas encore clairement dans la jurisprudence de l’époque. Les règles techniques relatives à ce principe trouvent légitimement refuge dans le principe générique des droits de la défense. Par la suite, la Cour de cassation a été moins claire. Dans un arrêt du 9 octobre 1980 relatif à des écoutes téléphoniques effectuées dans le cadre d’une commission rogatoire, elle constate « qu’aucun artifice ni stratagème » n’a été mis en œuvre. Elle remarque en outre qu’« aucun élément ne permet d’établir que le procédé ainsi employé ait eu pour résultat de compromettre les conditions d’exercice des droits de la défense »[1607]. L’attitude de la Cour suprême semble s’être légèrement modifiée. Elle examine d’abord s’il existe une procédé déloyal (artifice ou stratagème) et elle contrôle ensuite le respect des droits de la défense. Les deux principes semblent juxtaposés. Tel n’est pas le cas, et un commentateur de l’arrêt estime que les notions de loyauté et de droits de la défense « se recoupent en partie »[1608]. Par la suite, la Cour de cassation va faire allusion directement au principe de loyauté de la preuve en matière de provocations policières[1609]. En revanche, l’enregistrement clandestin par un policier de propos tenus spontanément par un individu compromet, selon la chambre criminelle, les droits de la défense[1610]. De nouveau l’utilisation d’un procédé déloyal est sanctionné via le principe des droits de la défense. La jurisprudence n’est pas de la plus grande clarté mais on constate qu’à plusieurs reprises, la Cour de cassation sanctionne un acte accompli en violation de l’exigence de loyauté en se référant au principe-cadre des droits de la défense. La relation d’inclusion est donc génératrice d’une certaine protection.
Un auteur a pu relever d’autres exemples de protection d’un principe défaillant inclus dans les droits de la défense[1611]. En droit international privé, une sentence arbitrale étrangère non motivée ne peut être sanctionnée pour violation du principe de motivation, ce principe n’étant pas intégré à l’ordre public international. La Cour de cassation contrôle néanmoins le respect de cette norme en utilisant le grief de la violation des droits de la défense[1612]. Pour cet auteur, le dernier principe a pris le relais du premier qui défaille dans l’ordre public international. Cette action résulte ici d’une relation d’inclusion. Elle peut encore prendre la forme d’une protection détournée lorsque le principe protecteur n’englobe pas le principe protégé.
Le cas s’est produit avec le principe de collégialité. Ce principe à l’état latent[1618] ne figure pas dans le droit positif en tant que principe. Dans sa décision juge unique[1619], le Conseil a sanctionné une loi qui permettait au président du Tribunal correctionnel de décider que l’affaire serait jugée à juge unique ou en collégialité. Le juge constitutionnel n’a pas condamné l’atteinte faite au principe de collégialité mais bien le fait que les citoyens soient soumis à l’une ou à l’autre des formations en raison du pouvoir discrétionnaire d’un magistrat. Ils se trouvent en situation d’inégalité devant la justice. Le principe d’égalité vient au secours de la collégialité mais l’effet protecteur est pervers. En 1995, le législateur a réduit considérablement le domaine de la collégialité en matière correctionnelle tout en se conformant aux exigences constitutionnelles. Une liste a été établie pour les délits qui doivent être examinés par l’une ou l’autre des formations. La compétence du juge unique est devenue obligatoire, plaçant les justiciables dans une situation d’égalité devant la justice[1620]. La loi nouvelle a échappé à la censure constitutionnelle.
La protection détournée est un procédé subtil car il permet au Conseil constitutionnel de mettre en valeur les exigences de certains principes tout en constituant un « patrimoine de principes constitutionnels potentiels qu’il se réserve le droit, quand bon lui semblera, de révéler à la connaissance de tous »[1621]. Si cela est vrai pour le double degré de juridiction, cela l’est beaucoup moins en ce qui concerne la collégialité qui s’essouffle peu à peu. Le Conseil n’en conserve pas moins une latitude d’action plus grande lorsqu’il consent à protéger un principe sans le nommer explicitement au rang constitutionnel.
L’éviction peut encore prendre des formes différentes. La publicité des débats doit céder devant l’intimité de la vie privée. Une telle situation peut présenter un caractère obligatoire ou facultatif[1628]. En matière de divorce, de séparation de corps[1629], d’assistance éducative[1630], des textes imposent l’audience en chambre du conseil. Ces matières qui concernent tout particulièrement le sort de la famille ou du mineur mettent en jeu l’intimité de la vie privée. Ce principe est bien à l’origine de l’éviction obligatoire de la publicité des débats. La situation de concurrence[1631] se produit à nouveau avec l’article 435 du nouveau Code de procédure civile. En revanche, cette disposition prévoit que le choix de recourir à la publicité ou au secret dépend du tribunal. Les magistrats doivent notamment tenir compte dans leur décision du risque d’« atteinte à l’intimité de la vie privée ». Le recours au secret devient facultatif et l’intimité de la vie privée, si elle constitue l’un des arguments pour le juge, ne permet pas d’évincer systématiquement la publicité. L’un des principes ne prime pas réellement, mais chacun contribue à affaiblir l’autre.
A travers la répartition des compétences, c’est bien une conciliation entre les principes qui s’opère sous l’égide notamment du Tribunal des conflits. Cette juridiction a dû, autour de la question du contrôle des étrangers, marquer les frontières des compétences administrative et judiciaire à plusieurs reprises[1640]. Dans un arrêt récent, il a considéré que l’article 136 du Code de procédure pénale🏛, qui reproduit fidèlement l’esprit de l’article 66 de la Constitution[1641], déroge au principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire[1642]. Dans cette affaire, deux étrangers s’étaient vu refuser par l’administration le débarquement d’un navire faisant escale dans un port français. Ils furent maintenus à bord du bateau et formèrent un recours devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris en vue d’obtenir leur débarquement dans une zone d’attente. Le juge judiciaire s’est reconnu compétent en vue de sanctionner la voie de fait commise par l’administration. Le Tribunal des conflits saisi par le préfet a rejeté la qualification de voie de fait mais surtout a redéfini le domaine de compétence du juge administratif. Il estime que l’article 136 du Code de procédure pénale🏛 ne confère pas à l’autorité judiciaire un pouvoir général de contrôle sur l’action de l’administration en dehors de l’hypothèse de la voie de fait. La mesure prise par l’administration, qui relève de ses prérogatives de puissance publique doit être contrôlée par le juge administratif « à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire ». La conciliation des deux principes conduit finalement à rejeter l’affrontement pur et simple. La répartition des compétences renvoie chaque principe à son domaine réservé et permet d’éviter un véritable conflit. Les désaccords entre les juridictions suprêmes sont partiellement résorbés avec la jurisprudence du Tribunal des conflits. L’unité est encore très imparfaite en raison des résistances de la Cour de cassation, mais aussi de la montée en puissance de l’article 66 de la Constitution. Toutefois, quelle que soit l’évolution du rapport de force entre juridictions administrative et judiciaire, le résultat débouche nécessairement sur un partage de compétences. C’est en cela que réside la conciliation entre principes.
L’opposition entre deux principes n’est donc jamais véritablement tranchée. Si l’on trouve des mécanismes d’éviction, un principe ressort amoindri de sa confrontation mais n’a fait que perdre du terrain. Le principe qui recule dans un domaine résiste dans un autre. Il s’affaiblit ou cherche un domaine qui lui soit propre. Le principe peut aussi résister à la concurrence en recevant une application conditionnée.
Certaines situations contiennent une relation conditionnelle dissimulée. Il se peut que l’application d’un principe soit soumise à l’existence de conditions. L’une d’entre elles se trouve être l’expression d’un autre principe de procédure. L’autorité de la chose jugée en ce qu’elle exprime la règle non bis in idem est assortie d’un effet relatif. Une décision définitive ne possède cette autorité que relativement à son objet, sa cause et ses parties. Cette troisième condition constituée par l’identité des parties est en réalité l’expression du principe du contradictoire. Ce principe « interdit qu’un tiers soit condamné par une décision qui clôt l’instance à laquelle il n’a pas participé » affirme un auteur[1646]. Personne ne peut contester la décision qui a été définitivement rendue entre les parties, mais cette décision ne produit pas d’effets à l’égard des tiers qui n’ont pas eu droit à un débat contradictoire[1647]. Cette exigence est l’une des conditions de mise en œuvre du principe. La jurisprudence rappelle que pour pouvoir invoquer l’autorité de la chose jugée, « il faut, entre autres conditions, que la demande soit entre les mêmes parties et formée pour elles ou contre elles en la même qualité »[1648]. Le principe du contradictoire n’apparaît ni dans l’article 1351 du Code civil🏛 ni dans la jurisprudence, mais l’identité des parties en est une conséquence directe. Le principe s’est immiscé dans la mise en œuvre d’un autre par le biais d’une règle technique.
La jurisprudence peut aussi établir une relation conditionnelle. Le Conseil constitutionnel l’a fait dans sa décision relative à l’injonction pénale. Cette procédure visait à instaurer un mécanisme de conciliation sur l’action publique conclue entre la personne poursuivie et le Procureur de la République. Le Conseil devait censurer le mécanisme qui contribuait au développement du principe de conciliation[1649]. La mise en œuvre de ce principe n’était pas directement contraire à la Constitution, mais l’un des principes constitutionnels n’avait pas été respecté : celui de la séparation des autorités chargées de la poursuite et du jugement. Dans ce projet de loi, le Procureur de la République acceptait effectivement de transiger sur l’action publique en ayant recours à des mesures assimilables à des sanctions pénales. On lui attribuait les pouvoirs d’une juridiction de jugement. Par la suite, la projet a été modifié et mis en conformité avec la décision de l’autorité constitutionnelle[1650]. Le principe de la séparation des fonctions a été posé par le Conseil comme la condition nécessaire au déploiement du principe de conciliation. La relation conditionnelle conduit aussi à la sanction de la procédure.
Le principe-condition est en quelque sorte un outil de contrôle, un « principe correcteur » des excès que risque d’engendrer un autre principe[1652]. Dans la relation conditionnelle, si le principe-condition est respecté, aucune sanction ne va être mise en œuvre. Par exemple l’article 537 du Code de procédure pénale🏛 prévoit qu’en matière contraventionnelle, les preuves recevables sont limitées aux procès-verbaux et aux témoignages. Ces preuves peuvent être uniquement combattues par écrit ou par des témoins. Cette disposition qui incarne le principe de la preuve légale a été déclarée compatible par la Cour de cassation avec l’exigence conventionnelle de l’égalité des armes dans la mesure où l’article 537 s’impose à toutes les parties à la procédure[1653]. L’utilisation du principe de la preuve légale n’est admise que si l’égalité des parties est respectée. Le respect du principe européen de l’égalité des armes constitue une condition nécessaire pour que la disposition du Code de procédure pénale🏛, émanation d’un autre principe, ne soit pas sanctionnée.
Dans le même ordre d’idées, l’existence d’un principe peut être créateur de contrainte quant aux modalités d’application d’un autre. En matière prud’homale, les articles R 516-6 du Code du travail et 946 du nouveau Code de procédure civile prévoient que la procédure est orale. Le principe du contradictoire est soumis à cette condition posée par le principe d’oralité. La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle ainsi qu’« en matière prud'homale, la procédure est orale et le juge doit se prononcer sur les demandes formulées contradictoirement devant lui à l'audience »[1656]. Cette obligation de comparaître créée par le principe d’oralité permet de rejeter les conclusions écrites d’une partie qui ne s’est pas présentée à l’audience[1657]. L’application du contradictoire n’est pas menacée par le principe d’oralité, mais la manière dont les parties vont mettre en œuvre le premier principe est conditionnée par le caractère exclusif du second. Une contrainte est ainsi créée par les parties.
La multiplicité des relations conditionnelles montrent que les principes sont intimement liés les uns aux autres. Un principe doit tenir compte d’un ou plusieurs autres pour se développer sous peine de se voir sanctionner. A son tour, il devient une condition qu’un autre se doit de respecter. Ces imbrications successives permettent de rechercher un équilibre et de limiter le développement de principes dont l’application incontrôlée nuirait au bon déroulement de l’instance. C’est pour cette raison que certains principes doivent être encadrés.
L’intime conviction n’est pas une simple impression qui fait pencher le juge en faveur de l’une ou l’autre des parties. Nombre d’auteurs rapprochent cette notion de celle de « certitude ». « La certitude morale » écrivait Faustin HELIE « est pour les juges le critère de la vérité et, par conséquent, doit être l’unique fondement de leurs sentences »[1662]. L’intime conviction est logiquement liée à la vérité. Alliée avec la liberté de production des preuves, elle est même le seul moyen qui permette d’atteindre ou au moins d’approcher la vérité[1663]. La conviction est une exigence. Elle s’oppose au doute et le principe qui la représente en procédure impose une « certitude intérieure » chez le juge[1664]. La décision de ce dernier doit résulter de la réunion de preuves évidentes qui permettent d’acquérir une « certitude raisonnée »[1665], objet d’un syllogisme qui s’impose.
La difficulté essentielle créée par le principe de l’intime conviction réside dans le risque d’arbitraire qui résulte de la liberté d’appréciation laissée au juge. Comment faire pour que les juges puissent passer d’une « certitude subjective » à une « réalité objective » ? La solution passe tout à la fois par le respect d’une « procédure pénale parfaite » qui emporte non seulement la conviction du juge, mais aussi celle des tiers que sont les parties et le public[1666]. Cette procédure « parfaite » nécessite de trouver un outil technique qui garantisse la bonne utilisation des pouvoirs du juge en les encadrant. Les principes directeurs vont contribuer à cette finalité.
b) Les techniques d’encadrement
La présomption d’innocence est encore un point d’arrivée si, à l’issue de leur raisonnement, les juges conservent un doute. « Le doute s’impose à l’intime conviction » écrit un auteur[1670]. En effet, la présomption d’innocence a pour corollaire la règle selon laquelle le doute profite à la personne poursuivie. L’intime conviction commande que le juge acquière une certitude. Le doute évince l’idée de certitude et le principe qui l’incarne. Au cours des délibérés, si le doute persiste, l’innocence s’impose à nouveau. La présomption qui accompagne la personne mise en examen, accusée ou prévenue, tout au long de son procès poursuit encore les juges à l’issue de l’audience. Ces derniers ne pourront s’en défaire que sous la condition d’acquérir une certitude subjective mais rationnelle. Le processus intellectuel opéré par les juges dans le secret des délibérés ne peut rencontrer l’adhésion que s’il apparaît à la fois logique et dénué de partialité[1671]. L’intime conviction va subir de nouveaux contrôles après la décision judiciaire.
Si l’on passe outre les difficultés techniques relatives à la mise en œuvre de la motivation, il n’en demeure pas moins que ce principe représente une garantie au regard de la liberté du juge dans l’appréciation des preuves. Il constitue pour ce dernier, un moyen de contrôler le bien fondé de sa conviction. Lorsqu’ils va rédiger les motifs de sa décision, si des difficultés se manifestent, la « conviction trop légèrement formée »[1678] va apparaître. L’erreur du magistrat se fera sentir et ouvrira la voie de la remise en question. La partie insatisfaite demandera le réexamen de sa cause.
Les voies de recours forment les ultimes outils de sanction d’une intime conviction mal employée. Elles mettent en jeu deux nouveaux principes : le droit au recours et le double degré de juridiction. Il s’agit de vérifier d’une part que la conviction du juge a été établie dans le respect des règles procédurales ou n’a pas été pervertie et d’autre part, de s’assurer que la juridiction de première instance a opéré une appréciation judicieuse des éléments qui ont été produits.
Le contrôle de la Cour de cassation n’est pas très efficace quant à l’examen du bon usage de l’intime conviction par les juges du fond. L'évaluation des preuves relève d’une question de fait qui échappe au contrôle de la juridiction suprême. Cette dernière devra se contenter d’une sanction indirecte à travers le défaut, l’insuffisance, ou la contradiction des motifs[1679]. En revanche, le pourvoi en révision devant la Cour de cassation est un moyen, en matière pénale, d’obtenir l’annulation d’une condamnation pour crime ou délit[1680]. Les conditions du pourvoi évoquent l’erreur judiciaire, mais surtout la dénaturation de la conviction des juges[1681]. La conviction des juges s’est formée autour d’une réalité subjective infidèle ou approximative. La décision qui en est la conséquence est viciée et doit être rejugée.
Le recours en révision existe aussi en matière civile. Visé à l’article 593 du nouveau Code de procédure civile, il est ouvert à toutes les parties au procès et vise à « faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit »[1682]. Ce recours est inspiré par l’idée de falsification : la partie qui a obtenu gain de cause a agi en fraude ou elle a dissimulé des pièces décisives ; des pièces, attestations, témoignages ou serments ont été judiciairement reconnus comme faux. La révision civile permet ainsi de « corriger la chose qui a été jugée sous l’effet d’une fraude commise par une partie »[1683]. C’est donc bien une correction de la conviction intimement formée qui va avoir lieu.
Il reste tout de même que le recours le plus efficient pour contrôler l’utilisation de l’intime conviction demeure le double degré de juridiction. Que ce soit en matière civile ou pénale, la Cour d’appel est saisie des questions de fait et de droit dans la limite de l’effet dévolutif[1684]. L’appel suppose un nouvel examen au fond de l’affaire jugée en première instance[1685]. Les seconds juges vont pouvoir opérer un contrôle sur la conviction des premiers par le biais de la motivation, mais ils vont à leur tour se forger leur propre conviction. En plus grand nombre et plus expérimentés, les juges d’appel sont supposés opérer un travail de meilleure qualité quant à l’appréciation de la valeur probante des éléments du débat. L’intime conviction semble mieux maîtrisée.
Qu’il soit préventif ou correcteur, l’encadrement de l’intime conviction par d’autres principes directeurs du procès judiciaire est un mécanisme essentiel de protection contre l’arbitraire du juge. Si ce dernier possède un pouvoir souverain ou discrétionnaire, sa liberté est entravée pas la nécessité d’écouter, de ne pas douter, de se justifier, voire d’être sanctionné. L’encadrement vise aussi à modifier la sentence d’un juge qui, pour des raisons qui lui sont extérieures, n’aurait pas été suffisamment éclairée. Cette interaction entre principes est impérative car à l’issue de la conviction du juge, il y a la vérité judiciaire, celle qui s’impose et sur laquelle on ne peut qu’exceptionnellement revenir. Cet encadrement est théorique, car il n’est pas de phénomène plus difficile à contrôler que la subjectivité d’un juge qui ne peut se retrancher derrière le doute pour refuser sa sentence.
a) L’influence des principes européens sur l’application du droit interne
1) L’influence de la CEDH sur la jurisprudence de la Cour de cassation
Il faut s’interroger sur les critères qui permettent à cette juridiction de contrôler la régularité du droit français au regard des principes processuels inclus dans la CESDH. L’attitude de la Cour s’oriente vers une analyse de contenu en fonction du but légitime de la mesure de droit interne, de même que sa conformité à une nécessité démocratique[1694]. Quant au but poursuivi, une atteinte aux principes conventionnels pourra trouver son fondement dans la nécessité de maintien de l’ordre, de la prévention des infractions, de la sécurité nationale. La nécessité démocratique appelle un contrôle plus étroit. La mesure dérogatoire au principe doit s’avérer nécessaire[1695]. Elle doit aussi être liée avec le but invoqué. L’article 18 de la CESDH stipule expressément que « les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées aux dits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues ». Enfin, le lien établi doit être un lien de proportionnalité. Cette dernière exigence est appréciée par la Cour au regard de ce que l’on peut appeler l’esprit démocratique[1696]. Dans l’arrêt Malone[1697], elle affirme que « la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites ». La proportionnalité réside bien dans la mesure de la latitude d’action laissée au pouvoir exécutif et de l’équilibre entre l’exercice de ce pouvoir et la nécessaire protection de l’individu.
Les arrêts de condamnation n’ont pas tous une portée générale visant le dispositif législatif. Certaines décisions condamnent des pratiques judiciaires. C’est le cas de l’arrêt Unterpertinger[1698] qui constate une violation de la CESDH dans ses principes processuels, lorsque les déclarations de certains témoins sont simplement lues à l’audience alors même que l’accusé n’a été, à aucun moment de la procédure, confronté à ceux-ci[1699]. La Cour ne juge pas qu’une règle de la procédure interne est en contradiction avec la CESDH ; elle constate seulement que le procès n’a pas été équitable au sens de l’article 6§1. Cet arrêt n’a pas été sans incidence en droit interne puisque la Cour de cassation devait reprendre la solution à son compte dans un arrêt du 12 janvier 1989[1700]. La Cour d’appel de Douai avait refusé de faire droit à une demande d’audition de témoins de la part du défendeur. La décision d’appel a été censurée pour avoir motivé la condamnation du prévenu sur des témoignages alors qu’aucune audition contradictoire n’avait eu lieu tout au long de la procédure.
Plus récemment, c’est le système français des amendes fiscales qui a été sanctionné par la Cour européenne. Celle-ci a, dans un arrêt du 24 février 1994[1701], décidé que les dispositions de l’article 6§1 de la CESDH s’appliquaient aux sanctions fiscales. Alors que le procès s’était déroulé devant les tribunaux administratifs et que le gouvernement français rejetait l’appellation d’« accusation pénale », les juges européens ont noté que l’ensemble des caractères combinés présentés par les amendes fiscales confère à ces sanctions une nature pénale et emporte la soumission de la procédure à l’article 6§1 de la Convention. La Cour de cassation s’est placée dans le droit fil de la jurisprudence européenne. Dans une affaire relative à une amende fiscale pour non paiement d’une surtaxe sur la vignette automobile, un justiciable estimait que cette pénalité relevait de l’article 6§1 et lui était contraire en ce qu’elle ne prévoyait aucun recours. Se référant expressément à la décision de la CEDH, la chambre commerciale affirmait « qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qu’un système de majoration d’impôt ne se heurte pas à l’article 6 de la Convention pour autant que le contribuable puisse saisir de toute décision ainsi prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de ce texte »[1702]. L’attitude de la Cour de cassation conduit un commentateur à remarquer que l’arrêt en question « marque clairement la présence du droit de la CESDH – entendu comme la Convention telle qu’interprétée par le juge européen – dans notre droit interne »[1703]. L’action des principes sur les normes inférieures apparaît nettement dans cet arrêt. Le système de la surtaxe ne prévoyait aucun recours contre l’amende fiscale. Il s’avérait contraire au principe européen du droit au recours. La Cour de cassation a utilisé ce principe pour réformer[1704] le droit interne et ouvrir ainsi l’accès au juge. Cette juridiction devance parfois la Cour européenne dans l’application de la Convention.
2) L’initiative de la Cour de cassation dans l’application de la CESDH
b) L’influence des principes européens sur l’évolution du droit interne
Il faut constater que l’ensemble des mécanismes prévus par la Convention ne permettent pas de contraindre formellement l’Etat à modifier sa législation. Tout d’abord, la Cour ne peut statuer in abstracto sur l’incompatibilité générale d’une règle interne avec la Convention. Elle doit au contraire rechercher in concreto si l’application de cette règle a, en l’espèce, conduit à une violation de la Convention[1708]. Pour autant, l’Etat condamné doit trouver les solutions pour éviter d’être à nouveau sanctionné. L’article 46 de la CESDH, prévoit que le Comité des ministres a la charge de veiller à l’exécution des arrêts de la Cour. Le question ne soulève pas de difficultés lorsqu’il s’agit de veiller à l’indemnisation de la victime, mais elle est plus délicate quant à la modification de la norme nationale. L’Etat dispose des moyens pour mettre son système juridique en conformité avec la Convention[1709]. La pratique montre que la France a su trouver les voies d’une adaptation aux exigences des droits de l’homme sans passer par l’économie d’une loi. On a pu le constater à plusieurs reprises : de nombreuses lois ont eu pour objet de répondre aux condamnations relatives à la durée de la détention provisoire[1710]. L’exemple le plus marquant reste celui de l’introduction d’un régime légal des écoutes téléphoniques qui marque l’action effective des principes européens. Pourtant, certains domaines du droit processuel demeurent en porte à faux au regard de la CESDH. Les principes possèdent ainsi un champ d’action potentiel ou prospectif.
La Cour de cassation n’était pas en reste. Dans un arrêt Baribeau[1715] du 24 novembre 1989, elle avait anticipé la condamnation de la France et institué un régime définissant la notion et le mécanisme juridique des écoutes[1716]. Cette anticipation n’était en réalité qu’une réponse quelque peu rapide à la décision de la Commission européenne des droits de l’homme dans les affaires Kruslin et Huvig. C’est donc une attitude à la fois préventive et réactive que la juridiction française adoptait, espérant pouvoir « faire l’économie d’une loi »[1717] par le moyen d’un « arrêt de règlement »[1718]. Dans cet arrêt, l’assemblée plénière se référait explicitement à l’article 8 de la CESDH dans son visa. Néanmoins, la France se trouvait en contrariété vis-à-vis de la jurisprudence européenne et la doctrine ne manquait pas de souligner la position délicate prise par les juges français[1719]. Le 10 juillet 1991, conformément à la CESDH, une loi entrait en vigueur pour définir le statut et le régime des écoutes téléphoniques introduisant dans le Code de procédure pénale les articles 100 à 100-7 relatifs aux « interceptions de correspondances émises par voie de télécommunication »[1720].
Cette évolution montre par quel mécanisme les principes inscrits dans la CESDH peuvent, à travers leurs incidences procédurales, agir sur les normes qui leurs sont inférieures en provoquant la modification de la législation en vigueur. En effet, là où la jurisprudence se serait contentée d’un arrêt de principe rendu par l’assemblée plénière[1721], le principe européen permet d’exercer une pression sur le pouvoir politique pour conduire à une réforme plus ample et plus formelle du mécanisme des écoutes téléphoniques. Cette action n’est pas immédiate, elle se prolonge dans le temps au gré des espèces et de l’audace des justiciables à saisir la Cour européenne.
Comme le constate le commentateur français de l’arrêt Vermeulen[1724], on peut douter que le système processuel français soit en conformité avec le principe européen du procès équitable. L’article 1019 du nouveau Code de procédure civile prévoit que « la Cour statue après avis du ministère public ». L’avocat général va donc prendre la parole en dernier et les parties privées se trouveront dans l’impossibilité de lui répondre. La pratique de la Cour de cassation française est celle d’accepter le dépôt d’une note en délibéré pour répondre au ministère public par les avocats présents à la barre lors de l’audience, mais il est aussi « de tradition » que l’avocat général assiste aux délibérés sans voter ni prendre la parole[1725]. Il est plus que probable que l’état actuel de la procédure française subisse les foudres strasbourgeoises concernant la place conférée au ministère public devant la Cour de cassation. Cela s’est déjà produit avec l’arrêt Reinhard qui a condamné la France en raison de l’absence de communication des conclusions de l’avocat général aux parties[1726]. On peut penser que l’institution du ministère public prés la Cour de cassation soit à l’origine de condamnations futures[1727]. C’est là toute la difficulté d’un contrôle extérieur a posteriori de la législation interne. A ce titre, les principes vont jouer un rôle plus efficace lorsqu’ils sont consacrés par une juridiction nationale qui leur confère une valeur constitutionnelle.
a) Le Conseil constitutionnel et les principes directeurs du procès judiciaire
Ce fut le cas, par exemple, d’une loi de finances de l’année 1984 qui prévoyait un ensemble de dispositions relatives au droit de visite domiciliaire des agents du fisc. Dans une décision du 29 décembre 1983[1731], le Conseil censurait la disposition autorisant ces visites sans mécanisme de contrôle de l’autorité judiciaire comme le voudrait l’article 66 de la Constitution. Le législateur devait se pencher sur une nouvelle rédaction pour une mise en conformité avec le principe constitutionnel[1732].
Le même phénomène s’est produit en 1995 lors de la saisine du Conseil relativement à une loi promulguée par la suite le 8 février de la même année. Cette loi prévoyait un mécanisme d’injonction pénale qui permettait au Procureur de la République de prendre un certain nombre de mesures à l’encontre de personnes contre lesquelles des éléments sont susceptibles de motiver l’exercice de poursuites. Ces mesures consistaient soit dans le paiement d’une somme au trésor public, soit dans le fait d’effectuer un travail non rémunéré au profit d’une personne morale de droit public ou d’une association habilitée. Elles pouvaient encore relever de l’indemnisation des victimes ou de la confiscation de la chose ayant permis de causer l’infraction[1733]. Un délai était accordé à la personne susceptible d’être poursuivie pour s’exécuter et dans l’hypothèse d’une exécution totale, le ministère public consentait à abandonner les poursuites. Dans une décision du 2 février 1995[1734], le Conseil devait annuler la disposition prévoyant l’injonction pénale. Il mettait en évidence les principes de la présomption d’innocence, de l’autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles, du respect des droits de la défense et enfin de la séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Le Conseil devait encore faire allusion à la notion de « procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ». Ces principes ont conduit le juge constitutionnel à estimer qu’une telle mesure d’injonction, même laissée à l’initiative d’un organe chargé des poursuites, devait être soumise à la décision d’une autorité de jugement. Plus qu’une sanction, la haute autorité indiquait expressément les conditions d’une éventuelle constitutionnalité de l’injonction pénale. Le législateur devait attraper tardivement la perche que lui envoyait le Conseil en adoptant une nouvelle loi du 23 juin 1999🏛[1735]. Reprenant dans ses grandes lignes le projet de 1995, la loi institue un mécanisme de composition pénale. Outre la reprise pure est simple des mesures susceptibles d’être proposées à l’auteur des faits, la loi nouvelle a rajouté la remise au greffe du tribunal du permis de conduire ou de chasser de l’intéressé. La proposition de composition émane du Procureur de la République et doit être validée par le président du Tribunal de grande instance ou son délégué (le président du Tribunal de police en matière contraventionnelle). La décision du magistrat du siège pourra intervenir, le cas échéant, après audition de l’auteur des faits et de la victime. La validation par la juridiction de jugement mettra fin aux poursuites pénales constituant ainsi une cause d’extinction de l’action publique.
Outre la censure pure et simple, le Conseil constitutionnel utilise les réserves d’interprétation pour modifier directement un dispositif législatif. Il a eu l’occasion de le faire en 1989 à propos d’une loi qui intéressait indirectement la procédure civile[1736]. La haute autorité a admis qu’un syndicat agisse en justice sans avoir à justifier d’un mandat pour défendre les intérêts individuels de certains salariés. Elle a soumis cette possibilité à une réserve selon laquelle l’intéressé doit avoir été « à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et (…) puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et mettre un terme à cette action ». L’analyse processualiste de cette décision a conclu au fait que le Conseil constitutionnel avait réécrit la loi en posant « un principe général de procédure : une action en justice ne peut être introduite sans la volonté de la personne concernée »[1737]. Sans se prononcer sur l’existence d’un tel principe, il convient de se ranger derrière l’analyse selon laquelle le Conseil constitutionnel utilise les principes directeurs pour modifier directement le contenu d’une loi.
L’action des principes constitutionnels sur les normes légales est ici plus qu’évidente. En utilisant ces principes, le Conseil constitutionnel dispose du pouvoir de censurer une norme non conforme au principe, de l’interpréter pour la rendre conforme ou encore de suggérer les conditions d’une éventuelle conformité et influencer en cela l’action du législateur. Le principe devient la source d’un dialogue entre auteurs de la norme inférieure et supérieure pour faire évoluer le droit législatif dans le sens d’une convergence de solutions avec le droit constitutionnel[1738]. Cette convergence est accentuée lorsque le juge judiciaire s’empare des principes constitutionnels.
b) Le juge judiciaire et les principes directeurs constitutionnels.
La distinction semble subtile. Elle tient essentiellement à l’incapacité constitutionnelle du juge judiciaire d’annuler erga omnes une prescription légale pour inconstitutionnalité. Pour autant et bien que l’hypothèse ne soit pas envisagée dans la Constitution, les magistrats utilisent sans complexe principes ou décisions du Conseil constitutionnel pour exercer un contrôle par voie d’exception sur les situations qui ne semblent pas conformes aux principes processuels qui relèvent du bloc de constitutionnalité. Cette attitude peut se limiter à l’intégration de la jurisprudence constitutionnelle. Le juge judiciaire peut aussi se référer directement aux principes inscrits dans la Constitution.
Cet arrêt est isolé, mais il montre comment le juge judiciaire peut utiliser un principe constitutionnel dégagé par le Conseil (en l’occurrence celui de l’égalité devant la justice) et l’utiliser en dehors d’un contrôle a priori. En ce sens, le principe dépasse sa fonction d’annulation pour occuper une fonction de neutralisation sur la norme légale, formellement inférieure, par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité. Le contrôle pratiqué par la Cour d’Amiens est téméraire, mais l’utilisation du principe l’est moins dans la mesure où la décision du juge judiciaire est entièrement calquée sur le raisonnement du juge constitutionnel.
a) l’interprétation de la règle écrite conformément au principe jurisprudentiel
1) L’interprétation extensive des normes textuelles conformes à un principe
Plus généralement, c’est le principe du droit au recours, qui agit sur des dispositions textuelles pour en étendre le champ d’application. En matière de contrainte par corps, l’article 756 du Code de procédure pénale🏛 prévoit que : « si le débiteur déjà incarcéré requiert qu’il en soit référé, il est conduit sur le champ devant le président du Tribunal de grande instance du lieu où l’arrestation a été faite. Ce magistrat statue en état de référé, sauf à ordonner, s’il échet, le renvoi pour être statué dans les formes et conditions des articles 710 et 711 ». Le Code pose clairement la condition de l’arrestation préalable au recours devant le juge des référés pour la personne qui doit subir une contrainte par corps. Un justiciable fut ainsi informé d’un commandement du Trésorier payeur général pour le paiement d’amendes à la suite duquel le Procureur de la République avait émis des réquisitions d’incarcération. Le condamné menacé décidait alors d’agir immédiatement et sur le fondement de son insolvabilité, il saisissait le président du Tribunal de grande instance comme il est prescrit à l’article 756. N’étant pas encore incarcéré, il vit sa demande rejetée et dut en référer à la Cour de cassation. Celle-ci considéra que « le débiteur contre qui sont prises des réquisitions d’incarcération peut, avant même son arrestation, saisir le Président du tribunal de grande instance statuant en référé pour qu’il soit sursis provisoirement à l’exécution de la contrainte par corps, sauf le juge à renvoyer la cause au fond devant la juridiction qui a prononcé la sentence »[1752]. On pourrait souligner l’absence de référence directe aux principes généraux du droit qui ne permet pas de considérer comme irréfutable le lien entre la décision de l’assemblée plénière et le principe jurisprudentiel du droit au recours. Cependant, ce qui est tout à fait remarquable, c’est que la Cour reformule l’article 756 du Code de procédure pénale🏛. L’expression « le débiteur déjà incarcéré » inscrite dans le texte devient dans l’arrêt « le débiteur contre qui sont prises des réquisitions d’incarcération peut, avant même son arrestation ». On ne peut encore parler d’action contra legem car l’article en question n’est pas contredit formellement. Il ne s’agit pas d’exclure le recours prévu dans ce texte mais au contraire d’en faire une application anticipée. le recours n’est plus ouvert à partir de l’incarcération, mais, de façon préventive, dès que sont prises des réquisitions en vue de cette incarcération. Plus que du simple droit au recours, la jurisprudence s’inspire purement et simplement du principe de liberté appliqué, non à la détention provisoire, mais à l’exécution de la sentence. Ce que l’on peut retenir en substance, c’est bien l’interprétation praeter legem d’une disposition dans le sens d’un ou plusieurs principes directeurs.
En matière de voies de recours, ces cas ne sont pas isolés. C’est en se référant aux principes généraux du droit que la Cour de cassation a pu admettre le pourvoi d’une partie civile contre l’arrêt d’une chambre d’accusation en dehors des cas énoncés par l’article 575 du Code de procédure pénale🏛[1753]. Elle a encore accueilli l’appel contre certaines ordonnances du juge d’instruction en se référant au « principe général du double degré de juridiction » alors même qu’aucun texte ne prévoyait ce recours[1754]. L’idée dominante est bien celle, qu’au-delà des voies de recours expressément prévues par la loi, il y a une place pour ce que la loi ne prévoit pas expressément, sans pour autant l’interdire. L’action du juge consiste à dépasser les prévisions ou les carences du législateur pour mettre en conformité les normes techniques avec les principes directeurs. La règle d’origine textuelle peut se voir combattue par le biais de l’interprétation stricte ou restrictive.
2) L’interprétation stricte ou restrictive des normes textuelles en contrariété avec les principes directeurs.
L’article 464 al 2 du Code de procédure pénale permet au Tribunal correctionnel de se prononcer sur l’action civile et d’accorder à ce titre une provision qui peut être exécutoire malgré l’appel. Une telle règle peut s’avérer dangereuse au regard du double degré de juridiction si la mesure indemnitaire prend un caractère définitif. La Cour de cassation a ainsi considéré qu’en tant que disposition exceptionnelle l’article 464 al 2 du Code de procédure pénale. « doit être interprété restrictivement et ne peut s’étendre au-delà de ses termes ». Elle a donc interdit que soit prononcée une réparation civile dont le caractère particulier exclut toute possibilité ultérieure de restitution[1758]. La Cour évoque une interprétation restrictive mais d’un autre coté elle se contente d’empêcher que le texte produise des effets « au-delà de ses termes ». Il s’agit donc d’une interprétation stricte. La juridiction suprême a eu la même attitude au regard d’une règle écrite dérogatoire au secret des délibérés. Une loi du 11 juillet 1975🏛 autorise les magistrats et futurs magistrats étrangers en stage auprès d’une juridiction française à assister aux délibérés. La Cour a décidé que ce texte « doit être interprété restrictivement et exclut toute participation de leur part aux décisions de ces juridictions »[1759]. Ici encore, il s’agit avant tout d’une interprétation stricte qui limite les effets de la loi à ce qu’elle prévoit expressément, c’est à dire, la présence de magistrats étrangers aux délibérés. L’interprétation stricte est parfois visée expressément par la Cour de cassation[1760]. La première chambre civile a décidé que « la règle de la publicité des débats est générale et ne souffre d’exception que dans les cas spécifiés par la loi. Que la disposition (…) qui impose (…) des débats en chambre du conseil, en matière de divorce est, en raison de son caractère exceptionnel, d’interprétation stricte ».
Il se peut que la Cour de cassation aille plus loin et, sans évoquer la question de l’interprétation, restreigne la portée d’un texte en y ajoutant une condition. Tel fut le cas en matière de contrôles d’identité. En 1992, la chambre criminelle a pu décider que le contrôles effectués en application de l’article 78-2 al 2 du Code de procédure pénale issu de la loi du 3 septembre 1986 étaient subordonnés « à la prévention d’une atteinte à l’ordre public qui soit directement rattachable au comportement de la personne dont l’identité est contrôlée »[1761]. Cette condition de rattachement du comportement au trouble à l’ordre public n’était pas prévue par la loi. La jurisprudence a donc interprété restrictivement le texte contraire au principe de l’intimité de la vie privée en conditionnant son application. Le législateur a réagi dans une loi du 10 août 1993🏛 pour effacer les effets de cette jurisprudence. Lorsque le contrôle d’identité vise à prévenir une atteinte à l’ordre public, l’identité de toute personne peut être vérifiée « quel que soit son comportement » affirmait l’article 78-2 al 3. L’interprétation de la Cour de cassation était explicitement remise en cause. Le Conseil constitutionnel l’a pourtant reprise à son compte. Dans sa décision du 5 août 1993[1762] il a émis une réserve d’interprétation se fondant sur le principe de la liberté individuelle[1763]. L’autorité chargée du contrôle d’identité doit « justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ». La légalité et la pertinence des raisons qui ont motivé cette opération va conduire à apprécier, « s’il y a lieu, le comportement des personnes concernées ». L’interprétation restrictive émise par la Cour de cassation sur une norme légale théoriquement supérieure, s’est transformée en une réserve d’interprétation formulée par l’autorité constitutionnelle sur une norme formellement inférieure.
L’interprétation restrictive peut aussi être utilisée lorsqu’il s’agit de définir des notions procédurales prévues par un texte. Tel est le cas de l’article 537 du nouveau Code de procédure civile qui exclut tout recours à l’encontre des mesures d’administration judiciaire. Ces mesures sont des actes relatifs au fonctionnement d’une juridiction (délégation d’un juge, règlement du rôle, police de l’audience…)[1764]. Elles ne concernent pas directement la résolution du litige et ne portent pas atteinte aux droits des parties, elles ne sont donc susceptibles d’aucun recours. Cette exclusion n’est pas sans effet pervers en raison de l’absence d’une détermination précise de la notion de mesure d’administration judiciaire par le Code. C’est dans son œuvre d’interprétation que la jurisprudence a entendu limiter le domaine de l’exclusion des voies de recours envisagée par l’article 537. Ont ainsi été exclus du champ des mesures d’administration judiciaire un certain nombre d’actes qui mettaient en cause les droits des parties. Cette qualification a donc été refusée à une ordonnance d’envoi en possession d’un héritier rendue après audition du requérant et du conseil de la partie adverse[1765]. De même, l’ordonnance qui refuse le remplacement d’un expert[1766] ou la récusation d’un technicien[1767] ne se limite pas à la simple administration de la justice et ne constitue pas une telle mesure.
L’ensemble de ces exemples ne présente pas un caractère innovant au regard de ce que l’on sait déjà et de ce que l’on accepte de l’autorité juridictionnelle. Un publiciste s’interrogeait sur le pouvoir de gouverner du juge administratif. Dès les années cinquante, il considérait que « le juge n’a évidemment pas le pouvoir de mettre directement en échec la volonté du législateur ; peut-être n’est il pas pour autant totalement désarmé devant elle. Peut-être, peut-on, sans paradoxe, parler du caractère super-législatif des principes généraux du droit »[1768]. Selon cet auteur, c’est l’éthique du juge qui le conduit à utiliser les principes généraux dans son travail d’interprétation. En recherchant l’idée qui a pu inspirer le texte, le magistrat réintroduit de façon plus générale, le « climat idéologique »[1769] qui transparaît dans le conflit. On sait que le principe du respect des droits de la défense fut utilisé par le Conseil d’Etat pour ouvrir un certain nombre de droits procéduraux en contradiction avec l’ordonnance du 6 décembre 1943. A l’inverse, considérant qu’une loi contraire à un principe en constituait une exception, la juridiction administrative devait appliquer la règle selon laquelle toute exception est d’interprétation stricte pour limiter l’application des lois de Vichy[1770]. Quelle que soit la portée purement politique et idéologique des décisions du Conseil d’Etat durant cette période, les méthodes utilisées et notamment le recours aux principes généraux du droit, aident à comprendre les mécanismes juridictionnels de résolution des conflits entre règles textuelles et principes jurisprudentiels.
L’un de ces mécanismes est plus audacieux. Il permet au juge d’utiliser un principe dans le but d’écarter purement et simplement l’application de la norme écrite.
b) L’éviction de la norme écrite contraire au principe jurisprudentiel
1) L’appel-nullité, voie de recours malgré une exclusion textuelle
Née dans les procédures d’arbitrage, cette voie d’annulation s’est étendue à l’encontre des jugements qui violaient ouvertement les fondements même du droit processuel. Au fil des décisions jurisprudentielles, on constate que l’appel-nullité devient nécessaire lorsque sont réunies trois conditions[1775]. D’une part, il faut que la décision de première instance ait été rendue dans les conditions établies par un texte qui exclut la possibilité d’un appel ; d’autre part, la décision en question doit être frappée d’un vice particulièrement grave pour justifier l’ouverture d’un recours contre le texte[1776] ; enfin, aucune autre voie de recours n’est ouverte contre le jugement de première instance[1777].
On a donc vu apparaître cette institution à la faveur de la multiplication des interdictions de recours en matière de procédures collectives[1778]. L’opinion processualiste n’est pas tendre à l’égard de la loi de 1985 qui prévoit en la matière, l’exclusion ou la réduction de nombreux cas d’appels[1779]. Il est vrai que la complexité des mécanismes procéduraux en matière de redressement et de liquidation judiciaire des entreprises, l’existence de nombreuses parties au procès due au caractère collectif de la procédure et enfin les enjeux économiques, risquaient de provoquer un accroissement des recours et de rendre la procédure interminable. A l’opposé, la précision des dispositions procédurales et le fait que la loi fût d’ordre public rendaient tout vice particulièrement grave et sujet à correction[1780]. Dans la loi, la balance penche en faveur de la limitation ou de l’exclusion des recours. Certaines dispositions écartent purement et simplement tout recours contre un certain nombre de décisions[1781] ; d’autres visent plus simplement à réserver l’appel à certaines personnes citées expressément[1782]. Avec cette loi, on se trouve très exactement dans l’hypothèse de l’exclusion d’un appel prévue à l’article 543 du nouveau Code de procédure civile. cette exclusion est de taille puisque les créanciers sont évincés de toute procédure d’appel alors même que ce sont principalement leurs droits qui sont en jeu. A titre d’exemple, un auteur remarque qu’en pratique la consultation des créanciers serait pour le moins délaissée[1783]. Les propositions de règlement ne sont pas transmises au représentant des créanciers de telle sorte qu’il ne peut lui-même procéder à une consultation. Il s’agit pourtant d’un impératif prévu par la loi.
Consciente du vice profond attaché à l’exclusion de l’appel dans un grand nombre de cas et à ses conséquences sur l’irrégularité des procédures de redressement et de liquidation, la jurisprudence allait avoir recours aux principes directeurs pour se dégager de l’encadrement législatif et ouvrir son contrôle malgré les interdictions légales. Les juges du fond furent les premiers à prendre cette voie. L’idée demeurait pourtant de ne pas affronter la loi directement mais plutôt de l’oublier. Dans un arrêt du 4 juin 1987, la Cour d’appel de Douai évoquait le fait « qu’aucune disposition résultant des procédures collectives n’interdit de faire constater selon les voies de recours de droit commun la nullité d’un jugement lorsque celui-ci présente de graves irrégularités commises par les premiers juges qui ont, soit violé l’un des principes fondamentaux de la procédure civile, soit outrepassé leur pouvoir »[1784]. La chambre commerciale de la Cour de cassation devait confirmer cette prise de position en affirmant que les interdictions posées, notamment par l’article 173-1 de la loi de 1985, n’empêchait pas « de faire constater, selon les voies de recours de droit commun, la nullité d’une décision entachée d’excès de pouvoir »[1785].
Progressivement, l’appel-nullité s’est développé dans d’autres domaines de la procédure civile[1786]. On citera simplement en exemple l’exclusion de l’appel à l’encontre des ordonnances de non-conciliation rendues en matière de divorce[1787]. Là encore, il eut été regrettable qu’un vice de procédure fut soustrait au contrôle des juges du second degré et la Cour de cassation admit l’appel à l’encontre de cet acte dès lors qu’il tendait non à sa réformation mais à son annulation[1788].
L’appel-nullité relève bien d’une attitude contra legem[1789] de la jurisprudence. Un auteur parle d’une « sorte d’appel sui generis »[1790] en ce sens que ce recours est prévu en dehors d’un texte et qu’il semble difficile à classer. Un autre constate, de manière plus générale que l’ensemble des recours-nullité[1791] est ouvert « malgré l’interdiction légale d’un recours »[1792]. Dépasser l’interdit textuel, aller à son encontre, ce sont là les caractères inéluctables de l’action contra legem des décisions juridictionnelles qui admettent ces recours. Pour autant, les magistrats doivent trouver un allié dans leur action subversive à l’égard des textes établis[1793]. Ce sont les principes directeurs qui vont servir de fondement à cette remise en cause de la hiérarchie traditionnelle.
L’action des principes directeurs sur les normes supérieures se manifeste de deux façons distinctes. Si l’on recherche le fondement immédiat de la recevabilité d’un appel interdit par une loi ou un règlement, on doit d’abord se reporter au principe du droit au recours et à celui du double degré de juridiction[1794]. Il s’agit de faire constater que la procédure n’a pas été d’une suffisante qualité ou qu’elle a tout simplement ignoré certains droits fondamentaux. C’est donc par l’utilisation de principes directeurs relatifs aux voies de recours que la jurisprudence va écarter l’application d’un texte qui lui est supposé supérieur. Mais les principes interviennent à un autre niveau dans le renversement de l’exclusion textuelle car ils vont servir à légitimer le bien fondé du recours. Le motif de l’annulation de la décision de première instance réside dans un vice grave qui peut être constitué par un excès de pouvoir ou par la violation d’un principe essentiel de procédure[1795]. L’ouverture de l’appel contra legem utilise donc les principes de deux façons différentes : comme fondement de l’existence du recours et comme motif d’annulation. Ce processus se reproduit au regard du pourvoi en cassation.
2) Le recours en cassation malgré les exclusions textuelles
Loin de se croire à l’abri de toute atteinte, ce sont les juges suprêmes qui remettent en cause leur propre décision. Il est traditionnellement entendu qu’il n’existe pas de recours contre l’arrêt rendu par la Cour de cassation. L’article 621 du nouveau Code de procédure civile indique que si le pourvoi en cassation est rejeté, il n’est plus possible d’en former un nouveau sauf dans l’hypothèse d’une contrariété entre deux décisions de justice. Il en est de même lorsque le pourvoi est déclaré irrecevable. Dans le Code de procédure pénale, on trouve la même formule à travers l’article 618 qui prescrit que lorsqu’une demande en cassation a été rejetée, la partie qui l’a faite ne peut plus se pourvoir en cassation une nouvelle fois. De façon prétorienne, la Cour de cassation a développé la procédure dite du « rabat d’arrêt » qui permet de revenir sur un arrêt lorsqu’une erreur de procédure a affecté la solution du litige[1796]. Loin de ressembler aux mécanismes de rectification d’une décision judiciaire prévus aux articles 461 à 464 du nouveau Code de procédure civile[1797], le rabat d’arrêt permet de revenir entièrement sur la décision prise, au besoin en « modifiant fondamentalement son dispositif »[1798]. Cette procédure se trouve en contradiction avec les dispositions textuelles des deux Codes procéduraux et ne peut puiser en leur sein la légitimité de son existence. C’est bien dans le principe du droit au recours, qu’il faut chercher l’origine d’une telle dérogation aux textes[1799].
L’exemple le plus révélateur de l’action des principes directeurs en matière de pourvoi en cassation résulte d’une dérogation explicite à l’article 16 de la loi de 1927 sur l’extradition. cet article prévoit que l’avis de la chambre d’accusation sur l’extradition est rendu « sans recours ». l’exclusion s’étend au pourvoi en cassation. Il s’agit d’assurer la rapidité de la procédure d’extradition. Le pourvoi en cassation est suspensif en matière pénale et l’extradition est interrompue le temps de l’examen du pourvoi. La coopération internationale en matière judiciaire souffre nécessairement d’un tel retard. Progressivement s’est développée une jurisprudence favorable à l’admission du pourvoi en cassation, d’abord au profit du Procureur général puis de la personne poursuivie. La Cour de cassation s’est servie, dans un premier temps, de l’article 620 du Code de procédure pénale🏛 relatif au pourvoi dans l’intérêt de la loi. Formulée de façon très générale, cette disposition législative pouvait être logiquement opposée à l’article 16 de la loi de 1929[1800].
La véritable innovation résulte de l’arrêt Doré rendu par la chambre criminelle le 17 mai 1984[1801]. Dans un attendu de principe, la Cour de cassation déclarait le pourvoi contre l’avis de la chambre d’accusation recevable au motif que « si aux termes de l’article 16 de la loi du 10 mars 1927🏛, l’avis motivé de la chambre d’accusation sur la demande d’extradition est rendu sans recours, il résulte des principes généraux du droit que cette disposition n’exclut pas le pourvoi en cassation lorsque celui-ci est fondé sur une violation de la loi qui, à la supposer établie, serait de nature à priver la décision rendue des conditions essentielles de son existence légale ». on ne peut difficilement être plus clair sur l’utilisation contra legem des principes généraux du droit. La question s’est posée de savoir, quels étaient les principes visés et comment ces principes agissaient sur l’admission du pourvoi. On retrouve ici la même logique que pour l’appel-nullité. Tout d’abord, il semble que l’éviction de l’article 16 résulte ici de sa confrontation avec le principe du droit au recours. Le recours en cassation est valable, dit la chambre criminelle, parce qu’une disposition législative ne peut écarter un contrôle fondé sur une violation de la loi. Il ne s’agit ici que de l’un des aspects de l’action des principes. D’autres principes vont servir à censurer l’avis de la chambre d’accusation s’il s’avère que la procédure devant cette chambre ne s’est pas déroulée conformément à l’un ou à plusieurs d’entre eux. Dans l’arrêt Doré, la Cour poursuit en estimant qu’« il se déduit des dispositions de l’article 199 précité et des principes généraux du droit que, dans tout débat se terminant par un jugement ou un arrêt, le prévenu ou son conseil devront toujours avoir la parole les derniers ; qu’il doit en être de même quand la chambre d’accusation statue en matière d’extradition ». Il s’agit là d’une seconde référence aux principes généraux dans le même arrêt, mais cette fois pour sanctionner la procédure devant la chambre d’accusation qui n’aurait pas respecté le droit pour la personne poursuivie ou son conseil, de prendre la parole en dernier. Ce droit est une expression des droits de la défense[1802]. De façon générale, les mécanismes d’éviction tiennent à l’utilisation par le juge d’un ou plusieurs principes.
3) L’éviction de la règle écrite semble tenir de la spécificité des principes
Un publiciste a tenté d’expliquer ce phénomène en rejetant l’idée selon laquelle s’établit, entre principes généraux du droit et règles légales, une relation de norme supérieure à norme inférieure[1803]. Au contraire, il s’agirait d’un rapport de loi générale à loi spéciale. Les principes seraient utilisés par le juge comme des lois générales et les dispositions législatives comme des lois spéciales. Dès lors, le principe s’émancipe dans les domaines négligés par la loi et doit s’incliner face à celle-ci dans l’hypothèse d’une confrontation[1804]. Sans aller plus loin dans ce raisonnement, il faut constater qu’il ne correspond pas à la réalité de l’action des principes directeurs. Dans l’hypothèse d’une contradiction entre principe et loi, c’est la règle textuelle qui s’incline et non l’inverse[1805]. Cet état de fait n’est pas propre au droit privé. La juridiction administrative tient même le rôle de pionnière puisque dans un célèbre arrêt dame Lamotte, le Conseil d’Etat a admis l’existence d’un recours en matière d’octroi de concession alors même qu’une loi évacuait une telle possibilité[1806].
Il faut chercher ailleurs les raisons du comportement subversif des principes directeurs. Le premier réflexe est celui de se tourner vers le critère téléologique[1807]. Les principes jurisprudentiels possèdent une puissance normative car ils sont consacrés par le juge, mais ils tiennent « leur autorité et leur rayonnement de la source philosophique et morale à laquelle ils s’alimentent »[1808]. Pour un anthropologue, le juge se trouve principalement face à deux questions. La première réside dans les « caractéristiques axiologiques du cas à résoudre » ; la seconde vise la recherche des règles qui se rapportent à ce cas et répondent à la nécessité de protéger un certain nombre de valeurs suscitées par le conflit[1809]. C’est dans le choix de ces valeurs que le juge va privilégier une solution vis-à-vis d’une autre, un principe par rapport à une règle textuelle. Le juge est parfois contraint de prendre en compte le fait que l’application de la loi peut conduire à une solution injuste[1810] ou simplement absurde[1811]. Il s’agit d’un « donné idéal » qui, transmis au principe, lui donne « une force juridique particulière qui dirige (son) élaboration contre la loi »[1812].
Si l’on veut comprendre la démarche du juge lorsqu’il écarte une loi au profit d’un principe, il faut revenir vers DWORKIN. Le théoricien de l’action juridictionnelle estime qu’il existe, dans chaque système juridique national, une « doctrine éthique et politique implicite » [1813]. Elle constitue le fondement et donne une légitimité aux règles de droit qui sont appliquées pas le juge. Selon l’auteur américain, un juge idéal devrait être capable, par un raisonnement inductif accompli sur la base de l’ensemble des règles en vigueur, de remonter à la doctrine éthique et politique du système. Cette opération lui permet alors de dégager un certain nombre de principes tirés de cette doctrine. Ces principes ne sont pas encore des règles juridiques. Ils exercent une influence sur les magistrats et leur permettent de diriger l’interprétation des dispositions indéterminées ou d’engendrer de nouvelle règles techniques qui fournissent des solutions appropriées aux cas nouveaux.
Il est possible d’aller plus loin dans le syllogisme. Tout d’abord, les principes, qui se dégagent des fondements éthiques et politiques, ont déjà pénétré le système juridique par l’intermédiaire du juge ou dans les textes. Ensuite, ces principes servent à combler les lacunes du droit[1814], mais permettent aussi de corriger ses imperfections ou de concilier les impératifs antagonistes en respectant les évolutions de la doctrine éthique et politique. C’est ce que révèle l’application jurisprudentielle des principes directeurs.
Pour autant, cette théorie n’est pas encore suffisante à expliquer l’action des principes et surtout l’ambiguïté de leur position dans le système normatif. Quelle différence existe-t-il entre un principe textuel et un autre jurisprudentiel ? Tous les principes ont-ils vocation à évincer des règles qui leur sont supérieures ? Une réflexion nouvelle sur la place de la norme jurisprudentielle dans l’ordre juridique ouvrira la voie de réponses possibles à ces questions. C’est la représentation traditionnelle du système juridique qui risque d’en être bouleversée.
a) L’ambiguïté des rapports entre normes textuelles et jurisprudentielles
L’attitude récente de l’autorité juridictionnelle à l’égard des autres normes de la hiérarchie traditionnelle conduit à ouvrir une nouvelle fois le débat sur la norme jurisprudentielle. Avec l’action sur les normes formellement supérieures, il semble que le juge se soit approprié le domaine de la supra-légalité. Certaines décisions jurisprudentielles ont à ce titre conduit la doctrine à considérer que les principes généraux du droit avaient une valeur constitutionnelle[1820]. En faveur de cette thèse, on a pu citer des arrêts du Conseil d’Etat[1821] et plus spécifiquement en droit processuel, des décisions de la Cour de cassation, utilisant des principes à valeur constitutionnelle. Le débat n’est pas encore de savoir si le juge ordinaire[1822] peut créer un principe constitutionnel. Il faut simplement admettre qu’il s’attribue le droit d’utiliser des normes constitutionnelles, le cas échéant pour sanctionner une disposition légale[1823].
Cette dernière attitude est plus singulière. Les articles 56 et suivants de la Constitution de 1958 qui créent le Conseil constitutionnel lui ont attribué la compétence de statuer sur la conformité des lois vis-à-vis de la Constitution. Par ailleurs, la Cour de cassation refuse de contrôler la constitutionnalité d’une loi[1824]. Cette position paraît incontestable, mais elle n’a pas toujours été suivie par les juges du fond. En s’interrogeant sur l’opportunité d’un contrôle par voie d’exception en droit français, un auteur cite un jugement du Tribunal de grande instance de Marseille du 21 janvier 1985 dans lequel cette exception a été soulevée d’office par les magistrats[1825]. Il s’agissait d’apprécier la validité de l’article 50 du Code de procédure pénale🏛. Cette disposition permettait au pouvoir exécutif de mettre fin, d’office et à tout moment, à l’affectation d’un juge d’instruction. le Tribunal a jugé cet article contraire aux principes de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de l’inamovibilité des magistrats du siège visés par l’article 64 de la Constitution. L’article fut donc déclaré contraire à la constitution et ne put justifier une limitation dans la durée de l’affectation d’un juge d’instruction. Ce type de contrôle est peu fréquent, mais la même juridiction a eu l’occasion de le mettre en œuvre à nouveau, à l’occasion d’une question d’application de la loi pénale dans le temps. L’article 338 de la loi du 16 décembre 1992🏛 dite « loi d’adaptation » a ainsi été déclaré inconstitutionnel dans un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Marseille en date du 15 octobre 1994. La solution n’a pas été confirmée en appel et la Cour devait rappeler que le contrôle de constitutionnalité relevait exclusivement de la compétence du Conseil constitutionnel[1826]. Il n’en demeure pas moins que les prémices d’un contrôle par voie d’exception sont en train de voir le jour à travers l’audace de certaines juridictions du fond. La question n’est plus de savoir si le juge judiciaire détient la compétence du contrôle de constitutionnalité. Dès lors qu’une juridiction prend l’initiative de ce contrôle, force est de constater qu’elle crée sa propre compétence. Dès lors, le jour où la Cour de cassation validera une exception d’inconstitutionnalité soulevée devant une juridiction du fond, elle deviendra, d’elle-même, juge de la constitutionnalité des lois. Ce pouvoir ne dépend pas d’une disposition textuelle. La compétence du juge judiciaire dépend de la politique menée par la Cour de cassation et il n’est pas possible de s’y opposer. Ce raisonnement est valable devant l’autorité juridictionnelle administrative. Dans un arrêt Koné[1827], le Conseil d’Etat a dégagé un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui n’avait jamais été évoqué auparavant par le Conseil constitutionnel[1828]. Par le jeu de l’interprétation, le juge administratif devait faire prévaloir le principe constitutionnel sur une disposition insérée dans une Convention internationale. La juridiction s’attribuait ainsi le droit de contrôler la conformité d’une règle de droit international au regard d’une autre de droit constitutionnel interne, entraînant ainsi un renversement des mécanismes traditionnels de contrôle. La doctrine légaliste peut être fondamentalement opposée à l’attitude du juge, il n’en reste pas moins qu’elle n’est pas en mesure de remettre en cause son pouvoir. l’autorité juridictionnelle est capable de déterminer sa propre compétence en l’absence d’autorisation textuelle et même à l’encontre d’une disposition textuelle. Désormais, le légalisme n’est plus apte à expliquer les phénomènes juridiques dont la physionomie a sensiblement évolué.
b) Une représentation nouvelle du système juridique : la « théorie des trois plans »
- le premier plan supérieur est horizontal, il s’agit du « plan du droit », constitué de l’ensemble des normes abstraites et générales écrites ;
- le deuxième plan inférieur est aussi horizontal, il s’agit du « plan du fait », constitué de l’ensemble des données de fait, susceptibles d’être soumises à l’application d’une règle juridique ;
- le troisième plan coupe les deux autres verticalement et représente l’activité juridictionnelle qui « assure le transit de la norme abstraite vers la réalité du fait au bénéfice d’un travail de réalisation et de concrétisation qui est la force vive de la jurisprudence »[1840] (pour une représentation de la théorie, Cf. annexe 3).
Une autre lacune peut être relevée, dans la mesure où la théorie des trois plans néglige la complexité du plan du fait. Cette représentation est lacunaire dans la description de la réalité. Les plans du droit et du fait sont effectivement parallèles en ce qu’ils n’ont aucun point commun. Ce constat est fondé sur une double distinction. La règle de droit se distingue du fait selon la séparation fondamentale entre être et devoir être. La règle de droit est prescriptive ; le fait ne l’est pas. Cette affirmation n’est pas entièrement juste car il faut considérer les normes sociales comme des faits (sociaux). Dès lors, il existe sur le plan du fait des éléments prescriptifs. Ces éléments se distinguent des règles juridiques en application du critère de juridicité qui a été défini plus haut : la reconnaissance étatique[1845]. La règle sociale ne devient juridique que dans sa consécration par l’un des organes habilités à créer du droit. C’est le cas du juge qui peut opérer un transfert d’une norme sociale prise dans le plan du fait vers le plan du droit : la norme sociale devient une norme juridique.
Dans un second temps, on peut reprocher à la théorie des trois plans de considérer que seul le juge détient la fonction de relier le plan du fait et celui du droit. Pourtant, il existe d’autres méthodes permettant d’obtenir ce résultat. Par exemple, on peut imaginer deux individus qui, contractuellement, tentent de résoudre un différend qui les oppose. Ils peuvent décider d’appliquer une règle de droit contraire à la disposition légale d’ordre public qui régit leur relation. Le litige existe ; il est né d’un ensemble d’éléments de fait ; mais les deux parties ont décidé de le résoudre en dehors du processus judiciaire. Ils ont, le cas échéant, fait application d’une règle de droit choisie parmi celles que comporte l’ordre juridique, mais différente de celle qu’aurait dû appliquer le juge. L’autorité juridictionnelle ne détient pas le monopole de la résolution des conflits en appliquant le droit positif. Toute personne a la possibilité de réaliser cette opération qui consiste à relier le plan du fait avec celui du droit. Le particularisme de l’activité juridictionnelle réside justement dans l’opération de créer une nouvelle règle. Lorsque l’autorité juridictionnelle procède à cette opération, la règle nouvelle détient une juridicité qui découle de l’origine étatique de l’organe qui l’a créée. Au contraire, si deux individus décident ensemble d’appliquer une norme inexistante dans le système juridique (textuel et jurisprudentiel), ils ne font que déterminer une règle d’application limitée et qui ne présente aucune juridicité[1846].
On pourrait affirmer, dans le même ordre d’idées, que le législateur, lui même, n’ignore par les faits lorsqu’il exerce son action créatrice de droit. Toutefois, le mouvement législatif ainsi opéré depuis le plan du fait vers le plan du droit est un mouvement unilatéral et incomplet. Unilatéral car le législateur n’applique pas, à l’instar du juge, le droit au fait. Incomplet car le législateur détermine des règles générales (d’application médiate) alors que le juge détermine des règles générales (solution jurisprudentielle, principe juridique) et particulières (solution juridique donnée au litige dont il a été saisi). La spécificité de l’action juridictionnelle est donc soulignée et représentée dans la théorie des trois plans.
Nonobstant ses imperfections, cette théorie présente l’intérêt de montrer qu’à travers l’établissement d’un lien entre le droit et le fait, le juge n’exerce pas une action créatrice arbitraire. Il est au contraire « tenu d’ancrer sa décision dans le plan horizontal du fait »[1847]. On trouve dans cette réflexion le fondement même de l’origine sociale des principes créés par le juge[1848]. Le juge décide de ne pas appliquer une règle textuelle car elle ne semble pas conforme à la dimension téléologique des faits qui génèrent la contestation portée devant lui. En effet, on ne peut considérer que l’aspect factuel du conflit puisse être appréhendé de façon tout à fait neutre. Derrière les faits de l’espèce, c’est un ensemble d’intérêts qui s’affrontent et se déclinent selon différentes valeurs et utilités. Le juge ne peut ignorer cette dimension téléologique du litige et choisit ou détermine une règle de droit en relation avec celle-ci. A titre d’exemple, lorsqu’un procès met en évidence un conflit entre deux normes telles que la liberté de la presse et la protection de l’intimité de la vie privée, le juge doit opérer un choix et privilégier l’une ou l’autre de ces valeurs (liberté ou intimité). Il applique alors, par préférence, l’une ou l’autre des normes qui en découlent. En théorie, il ne privilégiera pas celle qui a sa préférence, mais celle qui se trouve la plus conforme à l’autorité sociale que détient la valeur incarnée dans la norme. Progressivement, l’action des principes révèle une nouvelle représentation du système juridique.
Le juge n’est pas maître des faits qui sont dans le débat. Au contraire, le processus juridictionnel se fonde entièrement sur des faits préexistants. Le rôle du juge est de joindre le fait et le droit. Le fait indique au juge quelle est la norme juridique applicable. S’il n’existe pas de norme adéquate pour résoudre le litige, les faits sociaux (valeurs et utilités sociales) indiquent au juge la marche à suivre pour déterminer une nouvelle règle. Ce sont les mêmes faits sociaux qui donneront à la norme son autorité. Plus la valeur ou l’utilité protégée par la règle juridique est importante, plus cette règle possède une puissance normative importante. C’est par un va et vient entre le plan du fait et le plan du droit que le juge exerce son action. En recherchant les faits, en les interprétant, en dégageant un certain nombre de valeurs et d’utilités sociales, le juge est conduit vers la règle de droit applicable. Un fois que cette règle est déterminée, le juge revient vers le plan du fait et résout le conflit en appliquant la règle juridique aux faits de l’espèce (pour une représentation graphique, Cf. annexe 6).
Lorsque le juge est confronté à un vide normatif ou lorsque les règles en présence sur le plan du droit ne sont pas satisfaisantes compte tenu des enjeux téléologiques du procès, il est possible de recourir à la création d’une règle nouvelle ou d’un principe nouveau. Dans l’arrêt Doré[1850], la Cour de cassation utilise une règle jurisprudentielle selon laquelle la personne menacée d’extradition doit, lors de l’audience devant la chambre d’accusation, avoir la parole en dernier. Dans l’arrêt Dame Lamotte[1851], rendu par le Conseil d’Etat en droit processuel, la haute juridiction admet un recours, même en l’absence de texte, en se fondant implicitement sur le principe du droit au recours qu’il fait prévaloir sur une loi. Dans l’arrêt Dame David[1852], rendu à propos du nouveau Code de procédure civile, le Conseil d’Etat transfère le principe de la publicité des débats, du domaine réglementaire au domaine légal ou tout au moins, supra-réglementaire.
Cette représentation du droit, si elle est complexe et abstraite, permet d’expliquer la faculté dont dispose le juge de définir lui-même l’autorité hiérarchique d’une norme. Ce même juge peut encore déterminer le contenu d’une norme nouvelle et donner à cette norme une certaine puissance. Il peut enfin utiliser une règle existante et modifier sa place dans la hiérarchie des normes. Cette prérogative est essentielle car elle permet au juge, en toutes circonstances, de trouver une règle adaptée à la résolution du litige ou encore de résoudre un conflit entre plusieurs règles applicables au même litige.
Le pouvoir du juge est immense et infime à la fois. Immense si l’on évoque la possibilité de manipuler ou de créer toute norme selon son bon vouloir. Infime si l’on considère que le juge se réfère systématiquement au plan du fait pour diriger son action. C’est bien sur ce dernier point que porteront les réserves qui peuvent être formulées à l’encontre de ces théories. Le légalisme est source de contradictions et ne peut expliquer certains phénomènes juridiques, mais il est aussi protecteur. A l’inverse, le fait d’admettre sans retenue l’expression du pouvoir jurisprudentiel part du postulat de l’infaillibilité juridictionnelle et relève d’une confiance certaine envers les magistrats. C’est bien pour cette raison que DWORKIN[1853] a imaginé un juge modèle, digne des héros de la Grèce antique, qu’il choisit de nommer Hercule. Il semble en effet impossible de raisonner sur l’activité juridictionnelle sans postuler au préalable la qualité du travail accompli par les magistrats dans l’exercice de leur fonction. C’est pourtant dans cette aptitude qu’ont les juges à dégager des principes, puis à les interpréter, que se révèle la nature de l’action des principes directeurs sur les autres normes du droit processuel.
Les principes dominent l’ensemble du droit processuel, ils gouvernent donc sa construction (A). Par ailleurs ils contribuent à fournir des solutions aux juges lorsque ces derniers rencontrent des difficultés dans la réalisation des règles existantes. Les principes agissent alors dans la mise en œuvre du droit processuel (B).
Cette analyse se retrouve dans de nombreux écrits. « Les principes jouent (…) dans un ordre de droit, le rôle de schèmes directeurs et organisateurs. Ils sont la raison constituée du droit en son aspect systématique ; ils assurent, du juridique, la cohérence et la cohésion » confie le professeur GOYARD-FABRE[1860], ajoutant que l’on peut voir en eux une « trame abstraite dont la réalité juridique ne peut se passer ». Un autre auteur évoque à son tour l’idée que les principes généraux forment « l’armature de la pensée juridique »[1861]. C’est dans leur fonction d’assurer la cohérence du système normatif que les principes trouvent une part de leur légitimité[1862].
Le droit construit se structure autour des principes directeurs. Cette idée repose sur deux explications. La première réside dans la dimension téléologique des principes. Ces derniers matérialisent juridiquement les idées, valeurs, exigences qui gouvernent le droit processuel. Une société démocratique nécessite que les parties privées puissent opposer des droits aux représentants de l’Etat (contradiction, coopération, liberté individuelle…) ; que ces droits appartiennent également à tous les individus (égalité, égalité des armes). Un Etat de droit suppose l’accès à la règle juridique par le biais de l’institution judiciaire (droit au juge, au recours, double degré de juridiction, droits de la défense…). Henri MOTULSKY estimait ainsi qu’en procédure, les principes sont inspirés par « les conceptions qui inspirent le combat judiciaire »[1863]. Dans la définition d’enjeux et de finalités du procès judiciaire, la société donne à cette institution une certaine physionomie. Les principes transmettent à d’autres règles les finalités qui ont été à l’origine de leur création dessinant ainsi la forme de la procédure.
La seconde explication tient à la généralité des principes. Un principe domine un champ important du droit processuel. Le principe, seul, manque de précision. Pour régir des situations précises, il va donner naissance à des règles textuelles ou jurisprudentielles. Les règles se déploient autour du principe et réagissent par rapport à la finalité qui a été préétablie. Conçus comme les manifestations du « dessein initial de tout système juridique », les principes montrent « la direction selon laquelle le droit entend régler, bien plus encore que les conduites individuelles, l’existence communautaire et inter-subjective »[1864]. L’idée est donc bien celle d’une direction indiquée par un ensemble de finalités sociales qui transitent par les principes et atteignent leur pleine efficacité avec les règles techniques.
Le droit processuel, comme d’autres, repose sur la simple idée de justice. On pourrait trouver légitime que ce seul principe puisse structurer le système. Il faut au contraire considérer la pluralité d’objets qui existent en procédure. Le système processuel se déploie en sous-systèmes. Lorsqu’un système juridique se scinde en niveaux spécifiques, chaque niveau est dominé par un nouveau principe. Au niveau très général des disciplines juridiques, on retrouve les principes du droit civil, commercial[1865]… En droit processuel, ce sont les principes qui vont régir les différentes phases du procès (l’instruction, l’audience, le délibéré, les voies de recours), ou encore différents objets (l’instance, l’objet du litige, les preuves)[1866]. Si certains principes gouvernent un domaine déterminé (publicité des débats), d’autres traversent plusieurs phases de la procédure. Se créent entre eux « un réseau serré de relations et d’interdépendances » qui permet la convergence des différents secteurs de la procédure[1867]. Par exemple le principe de la motivation attaché à une décision de première instance, en combinaison avec le double degré de juridiction, établit un lien entre la première et la seconde instance. Grâce à ces principes, les juges d’appel possèdent la compétence et les moyens de contrôler la décision des premiers magistrats.
Plusieurs conceptions sont envisageables. La première consiste dans le rassemblement des principes en tête du Code. Regroupés, les principes figent l’économie de l’œuvre telle une inscription sur le fronton d’un monument. L’intérêt d’une telle méthode réside, d’une part, dans la mise à l’écart des règles essentielles dénotant un certain particularisme et d’autre part, dans l’énonciation claire et concise de l’esprit du Code. L’inconvénient principal réside dans le fait que les principes sont sortis de leur contexte. Ils n’entretiennent pas de lien apparent avec les règles techniques qui en sont les applications. En droit processuel, cette technique a été initiée avec le nouveau Code de procédure civile en 1975. Parmi les dispositions liminaires de ce texte figurent les principes de coopération, du contradictoire, de la publicité des débats, ou encore relatifs à la charge de la preuve. Le Code de procédure pénale vient récemment de se doter d’un dispositif similaire. La loi du 15 juin 2000🏛 a ajouté un article préliminaire au Code évoquant les principes du procès équitable, de la séparation des fonctions, de l’égalité, de la présomption d’innocence, du droit au recours, ou encore de la célérité.
La deuxième méthode réside dans l’incorporation d’un principe en tête des dispositions dont il doit gouverner l’application. Cette fois, le principe est intégré au sein des règles techniques. Une illustration peut être trouvée avec l’article 543 du nouveau Code de procédure civile selon lequel « la voie d’appel est ouverte en toutes matières, même gracieuse, contre les jugements de première instance s’il n’en est autrement disposé ». Cette disposition n’est précédée dans le chapitre relatif à l’appel que d’un seul article définissant ce recours. On peut considérer que l’article 543 illustre en procédure civile le principe du double degré de juridiction. Dans le même ordre d’idées, l’article 427 du Code de procédure pénale🏛 placé en tête du paragraphe relatif à l’administration de la preuve devant le tribunal correctionnel évoque le principe de la liberté de la preuve. L’intérêt de cette technique tient au fait que le principe est placé de telle façon qu’il insuffle directement l’esprit dont il est animé aux règles dont il doit commander l’application à tel point que certaines dispositions techniques se contentent de répéter avec plus de précision ce que dit le principe avec une certaine généralité. L’article 428 du Code de procédure pénale🏛 énonce ainsi que « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation du juge ». Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une expression particulière du principe de l’intime conviction édicté à l’article 427 al 1. Le problème posé par l’inclusion d’un principe dans le corps même du Code est celui de son assimilation aux dispositions techniques qui lui font suite. Le principe ne se distingue pas formellement d’une autre règle. Il est dès lors plus délicat de le reconnaître. Plus généralement, on peut se poser la question de la nature des dispositions qui figurent en tête d’un chapitre. A titre d’exemple, l’article 421 du nouveau Code de procédure civile forme la première règle parmi celles qui sont consacrées au ministère public. Il dispose que « le ministère public peut agir comme partie principale ou intervenir comme partie jointe. Il représente autrui dans les cas que la loi détermine ». Son statut de règle première du titre consacré au ministère public lui confère-t-il la qualité de principe ? La réponse assurément négative montre l’ambiguïté de la méthode qui consiste à intégrer le principe dans le corps d’un Code.
La troisième méthode soulève la même difficulté. Elle consiste à faire figurer un principe à une place quelconque au sein du Code ou même en dehors du Code. La présomption d’innocence a figuré pendant sept ans uniquement à l’article 9-1 du Code civil🏛 au milieu du titre relatif aux droits civils des personnes. L’article 1351 du même Code héberge le principe de l’autorité de la chose jugée au sein des règles sur les présomptions en droit civil. Dans ce cas de figure, la singularité du principe est encore plus délicate à établir.
La dernière méthode fait disparaître formellement le principe. Celui-ci apparaît par fragments dans des dispositions techniques. Tel est le cas du principe du contradictoire en procédure pénale. On le trouve à l’article 427 al 2 du Code sous la forme de l’obligation pour le juge de ne fonder sa décision que sur les preuves qui auront été contradictoirement discutées devant lui. L’article 145[1871] prévoit que le placement en détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention ne peut avoir lieu qu’après un débat contradictoire. L’article 723-13 en matière d’application des peines envisage encore la nécessité d’un débat contradictoire lorsque le juge prévoit de retirer sa décision de placement sous surveillance électronique. D’autres dispositions font appel au principe sans viser une obligation particulière. C’est le cas de l’article 498 relatif au droit d’appel qui prévoit que « sauf dans le cas prévu à l'article 505, l'appel est interjeté dans le délai de dix jours à compter du prononcé du jugement contradictoire ». L’ambiguïté est alors à son comble car le principe n’apparaît nullement en tant que tel dans l’ensemble de ces dispositions. Paradoxalement, c’est dans cette hypothèse que l’effet du principe est le plus immédiat.
Quel que soit le procédé utilisé, les principes directeurs conservent leur action d’organisation des règles qui les entourent. Il convient de remarquer que c’est dans la quatrième hypothèse que le principe est le plus efficace. Certes, il n’apparaît pas comme un principe, mais il n’en dirige pas moins, avec une puissance incontestable, la disposition technique au sein de laquelle il est directement intégré. L’obligation du débat contradictoire en matière de détention provisoire est l’incarnation la plus parfaite du principe du contradictoire dans le contentieux de la détention provisoire. Echapper à l’emprise du principe devient dès lors impossible. Ce qui manque pourtant au Code de procédure pénale, c’est que le principe du contradictoire n’est pas énoncé précisément dans l’article préliminaire. D’un autre coté, il faut admettre que le principe conserve son autorité et exerce son action en l’absence de tout formalisme.
Ce dernier exemple montre comment les principes peuvent apparaître en filigrane dans l’œuvre de codification. Leur efficacité n’est pas atteinte par cette situation. Les dispositions techniques intègrent l’esprit des principes sans que ceux-ci n’apparaissent. En vertu de l’article 205 al 2 du nouveau Code de procédure civile, les enfants ne peuvent, dans la procédure de divorce de leur parents, être entendus sous prestation de serment. L’idée exprimée par ce texte est bien celle du doute à l’égard de l’impartialité des enfants[1872]. « Ces derniers ne présentent pas les qualités d’impartialité nécessaires pour emporter la conviction du juge » écrit un auteur[1873]. Le doute sur l’impartialité des enfants introduit un risque de falsification dans leur témoignage. En filigrane, c’est le principe de loyauté, qui exige que l’audition des enfants soit évincée. Le principe agit, mais il n’est pas formellement visible. L’action des principes sur le droit construit est donc plus souvent latente qu’apparente. Elle l’est encore lorsqu’il s’agit d’orienter les développements du droit à construire.
Parallèlement, on assiste à la multiplication des réformes de plus ou moins grande ampleur : en 1981, la loi du 2 février « Sécurité et Liberté », abrogée et modifiée partiellement en 1983 ; en 1984, une loi du 9 juillet sur la détention provisoire ; en 1985, une loi du 18 novembre sur la police judiciaire ; le 30 décembre de la même année, une loi réformant de nombreuses dispositions du Code de procédure pénale ; en 1986, une loi du 3 septembre sur les contrôles et vérifications d’identité ; en 1987, une nouvelle loi du 30 décembre sur le placement en détention provisoire et le contrôle judiciaire modifiée par une loi du 6 juillet 1989🏛 ; en 1991, une loi du 10 juillet sur la mise en conformité des écoutes téléphoniques avec le droit de la CESDH et une autre le même jour sur l’aide juridictionnelle ; les 4 janvier et 24 août 1993, deux lois réformant en profondeur la procédure de mise en état des affaires pénales ; le 10 août de la même année, une loi sur les contrôles d’identité ; le 8 février 1995, une loi sur l’organisation des juridictions et la procédure pénale ; en 1996, une loi sur la répression du terrorisme et la police judiciaire et le 30 décembre un autre réformant la détention provisoire et les perquisitions de nuit en matière de terrorisme ; en 1999 une loi visant notamment les mécanismes d’alternatives aux poursuites pénales et le 15 juin 2000, une loi relative à la présomption d’innocence et aux droits des victimes qui atteint l’ensemble du procès pénal. Cette réforme d’ampleur a d’ailleurs été modifiée par une loi du 4 mars 2002🏛 sur certains points.
Cette énumération des principales réformes de la procédure pénale au cours des vingt dernières années montre à quel point le mouvement réformateur initié par le législateur apparaît tout à la fois boulimique, désordonné et incohérent. Sur certains aspects précis comme celui de la détention provisoire, chaque réforme est venue annuler les effets de la précédente. Certaines lois ont été abrogées avant même d’être entrées en vigueur. De plus, les modifications sont parcellaires, dépourvues d’une vue d’ensemble, d’une réflexion sur la matière. La commission « Justice pénale et droits de l’homme » nommée en 1988 et présidée par le Professeur DELMAS-MARTY a mené une étude méthodique pour dégager les principaux problèmes posés par la procédure, comparer les systèmes envisageables, énoncer des principes directeurs et enfin, émettre des propositions techniques[1878]. La loi du 4 janvier 1993🏛 devait s’inscrire dans la perspective du rapport adopté par la commission, mais elle fut au contraire en rupture avec les principales orientations de la commission.
Les réformes successives de la procédure pénale ne procèdent en rien d’une vue d’ensemble de la matière. Chaque problème est examiné sous un angle de vue fermé. Les discussions au parlement sont porteuses de compromis politiques distincts de ceux qui animent le droit processuel. D’un façon plus générale, deux parlementaires se sont interrogés sur les raisons qui conduisent à la multiplication des lois dans un mouvement inversement proportionnel à leur qualité[1879]. Les lois répondent à des demandes sociales grandissantes et contradictoires. Ce sont d’une part « l’approfondissement de la démocratie » et le développement de l’Etat de droit « davantage fondé sur le droit que sur la force » ; d’autre part la « demande croissante de sécurité juridique des citoyens » qui conduit à légiférer sur des aspects de plus en plus nombreux de la vie sociale ou individuelle. D’un point de vue technique, le foisonnement législatif peut être une conséquence de la multiplication des lois « faire-valoir » dont la raison d’être se trouve dans la volonté d’un ministre de voir une loi porter son nom. L’alternance politique, le rôle joué par les groupes de pression, la prise en compte des droits européens, sont d’autres facteurs qui contribuent à recourir systématiquement à la loi.
Un tel phénomène a suscité une explication théorique généralisante. Un auteur démontre que l’évolution de tous les concepts juridiques se fait dans le sens de la complexité[1880]. Chaque concept juridique, dès sa naissance, va évoluer « selon une loi à généralisation et à complexité toujours croissantes »[1881]. Une norme va, avec le temps, avoir à s’appliquer à un nombre de cas distincts de plus en plus importants. Le concept originaire étend progressivement son champ d’application. Dans le même temps, il s’adapte aux situations nouvelles et développe en conséquence d’autres règles. Une telle situation est irrémédiable ; ce qui l’est moins, c’est la cohésion de l’ensemble des règles qui se perd au fil des réformes. Les principes directeurs peuvent jouer à ce titre un rôle essentiel.
La méthode utilisée par le juge ou l’auteur d’un texte de procédure est similaire. Elle part de la définition d’un ou plusieurs principes qui expriment les finalités essentielles que doit poursuivre l’ensemble normatif à construire. Elle se poursuit par la définition de règles techniques qui découlent des principes comme des modalités de mise en œuvre ou comme des restrictions. Certaines règles techniques peuvent encore résulter de la combinaison ou de la confrontation de plusieurs principes.
Les principes qui gouvernent la création du droit nouveau peuvent préexister à cette création. Par exemple, la loi du 15 juin 2000🏛 vise la protection d’un principe déjà établi dans le procès pénal : la présomption d’innocence. A l’inverse, le droit nouveau peut formuler expressément un principe. Tel est le cas du nouveau Code de procédure civile qui introduit officiellement dans le procès le principe de conciliation[1885]. Si ce principe connaissait des applications antérieures au nouveau Code, cet ouvrage lui a donné une existence formelle sur la base de laquelle se sont créées de nombreuses procédures amiables.
Le principe fondateur peut encore être extrait d’un domaine normatif extérieur. Une règle de procédure peut émaner d’un principe inscrit dans le Code civil, mais aussi dans le droit international. Un auteur souligne ainsi l’influence des principes de la CESDH ou déterminés par la CEDH sur les réformes de la procédure française[1886]. Les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 réformant la procédure pénale ont été inspirées par le principe de l’égalité des armes. Ce dernier a conduit le législateur à renforcer les droits des parties privées au cours de la mise en état. L’article 82-1 du Code de procédure pénale🏛 autorise désormais les parties privées à solliciter du juge qu’il procède à certains actes d’instruction. Dans le même sens, l’article 170 permet à celles-ci de demander la nullité d’un acte ou d’une pièce de la procédure.
Le même raisonnement est opéré par le juge. Celui-ci utilise parfois les principes pour édifier un ensemble de dispositions techniques orientées vers un but. Le cas topique est celui des écoutes téléphoniques. En apparence, avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 1991🏛, le droit français présentait une lacune en matière de réglementation de ces écoutes. Telle ne fut pas l’opinion des magistrats de la Cour de cassation. Se fondant sur les articles 81[1887] et 151[1888], sur les « principes généraux de la procédure pénale »[1889] et sur certains principes de la CESDH, la juridiction suprême a construit un régime complet d’écoutes[1890]. Dans un arrêt du 9 octobre 1980, la chambre criminelle admet la légalité des écoutes à la condition qu’elles ne procèdent pas d’un stratagème ou artifice (principe de loyauté) et qu’elles laissent entiers les droits de la défense[1891]. En 1985, elle pose comme condition aux écoutes qu’une information soit ouverte « sur présomption d’une infraction déterminée », cette procédure répondant aux exigences de l’article 8 de la CESDH (principe de l’intimité de la vie privée)[1892]. En 1987, elle réunit les principes de loyauté, des droits de la défense, et de l’autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles pour valider le mécanisme des écoutes si elles sont ordonnées par voie de commission rogatoire[1893]. Dans le même sens, elle décide en 1989 que les officiers de police judiciaire ne peuvent, sans l’autorisation du juge d’instruction procéder à des écoutes (principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles)[1894]. Les interceptions de communications téléphoniques mettent en jeu de nombreux principes. En les combinant, la Cour de cassation en dégage des règles techniques circonstanciées. Les principes coordonnent cette construction et tentent de rendre compatibles les impératifs de l’instruction[1895] avec la protection des droits individuels.
C’est la seconde voie qui fut prise par la loi du 13 mars 2000🏛 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique. Le principe des preuves légales n’est pas modifié en tant que tel. Par contre, les règles techniques qui le mettent en œuvre s’ouvrent aux technologies de l’information. L’article 1316 du Code civil🏛 est modifié et procède à une redéfinition de la preuve littérale : « la preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ». L’article 1316-1 ajoute que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».
L’esprit du système des preuves légales reste intact. Il s’agit de pouvoir préconstituer une preuve et de donner à celle-ci une certaine force probante en raison de la vraisemblance de la vérité qu’elle porte en elle. L’impératif de sécurité demeure. Une nouvelle forme de preuve est admise, mais cela ne veut pas dire que l’on s’achemine vers le principe de la liberté[1898]. Seule les preuves prévues par la loi (ici les articles 1316 et suivants du Code civil🏛) sont admissibles devant les juridictions. Le principe des preuves légales a simplement fait montre d’une certaine souplesse en élargissant son champ d’action de la preuve sur papier à la preuve électronique. La loi du 13 mars 2000🏛 ne fait d’ailleurs que poursuivre une évolution débutée en jurisprudence[1899].
Si l’on revient au constat du foisonnement et de la complexité croissante du droit, il faut admettre que les principes ne sont pas utilisés à la mesure des possibilités qu’ils offrent. Les règles techniques se multiplient, sont modifiées à plusieurs reprises, sont écartées ou réintègrent les Codes sans que l’on puisse percevoir une quelconque idée maîtresse dans l’enchaînement des textes procéduraux. Sur une longue période, une évolution globale se dessine. Elle peut être schématisée par la croissance des droits individuels dans le procès. Toutefois, cette lente mutation est conduite de façon désordonnée à plusieurs niveaux de la hiérarchie organique. Le droit interne répond au coup par coup aux condamnations européennes. Le droit législatif avance par corrections successives, suite aux censures du Conseil constitutionnel. De leurs cotés, les juridictions suprêmes font avancer la procédure dans les limites déterminées par leur saisine. En définitive, seules certaines œuvres doctrinales utilisent les principes comme une méthode de création du droit[1900]. Ces outils sont pourtant indispensables pour maîtriser l’inéluctable complexification du droit.
a) Donner un sens aux règles du droit écrit
1) Donner une signification aux règles textuelles
L’article 464 al 2 du Code de procédure pénale permet au tribunal correctionnel, s’il ne peut se prononcer en l’état sur l’action civile, d’attribuer à la partie qui exerce cette action une provision malgré l’appel ou l’opposition contre le jugement. Cette disposition se présente comme une atténuation du principe du double degré de juridiction qui possède un caractère suspensif. La Cour de cassation en a tenu compte dans son interprétation estimant que l’article 464 al 2 est une disposition exceptionnelle et que « les juges ne sauraient notamment user de la faculté qu’il prévoit lorsqu’ils condamnent le prévenu à des réparations civiles dont le caractère particulier exclut toute possibilité ultérieure de restitution »[1906]. Le droit d’appel est conçu comme un recours suspensif car il permet un double examen au fond de l’affaire. Le jugement frappé d’appel ne peut être que provisoire dans ses conséquences car suspendu à une infirmation ou une confirmation. Le versement de provisions prévu à l’article 464 al 2 affaiblit la portée du principe mais ne le remet pas en cause. Il demeure possible de revenir sur l’attribution d’une provision et d’en ordonner éventuellement la restitution. A l’inverse, si la décision des premiers juges attribue un droit à la victime sur les effets duquel la Cour d’appel ne pourra plus revenir, le double degré de juridiction est tout simplement renié. La chambre criminelle donne à la disposition en question une interprétation qui vise à mettre sa portée en conformité avec le principe.
Dans le même ordre d’idées, l’article 253 du Code de procédure pénale🏛 interdit à certains magistrats de siéger dans une Cour d’assises. Il s’agit de ceux qui ont, dans la même affaire, accompli un acte de poursuite ou d’instruction, ou encore participé à une décision sur le fond relative à la culpabilité de l’accusé. Dans une espèce, un magistrat présidait une Cour d’assises, alors qu’il avait auparavant participé à la décision de la chambre d’accusation qui s’était prononcée sur la demande de mise en liberté formulée par l’accusé. Ce cas de figure devait-il entrer dans le domaine de l’article 253 ? La Cour de cassation a répondu à cette question par l’affirmative. Elle estime qu’en statuant sur une demande de liberté, le magistrat en question « avait participé à une décision impliquant nécessairement un examen préalable au fond de l’affaire »[1907]. Dans cet arrêt, l’interprétation de l’article 253 n’est pas littérale. La chambre criminelle a oublié que la décision au fond devait porter sur la culpabilité de l’accusé. Ce n’est pas le cas d’une décision relative à la détention provisoire qui ne préjuge en rien de la culpabilité ou de l’innocence de la personne mise en examen. Cependant, l’attitude de la Cour de cassation est dictée par le principe de la séparation des fonctions. Ce principe donne à la disposition légale un sens moins étroit que celui affiché de prime abord. L’utilisation permet au juge, par la voie de l’interprétation, de se dégager de la lettre du texte pour se diriger vers une application plus générale conforme au principe.
Ces exemples montrent que derrière un texte apparemment clair, se pose inévitablement le problème de son application à des situations juridiques particulières. Le Professeur RIALS, sur cette question, reprend les idées du professeur HART à propos des « zones d’ombres » qui s’attachent à chaque règle. L’auteur français décrit ainsi comme naïve l’opinion selon laquelle il n’y aurait pas à interpréter un texte clair et reconnaît inévitablement que la juris-dictio ne peut se limiter à une legis-dictio[1908]. Le juge dans son rôle d’interprète déborde le cadre du texte qu’il a pour mission d’interpréter. Dans l’exercice de cette mission, le recours même implicite aux principes directeurs s’avère souvent indispensable.
Dans des domaines autres que procéduraux, certaines juridictions reconnaissent à leur tour le rôle joué par les principes dans l’interprétation. C’est le cas de la CJCE qui affirmait en 1976 à propos de la définition internationale du concept de « matière civile et commerciale » que cette notion devait être interprétée, « non selon le droit d’un quelconque des Etats concernés, mais par référence aux objectifs et au système de la Convention, ainsi qu’aux principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des systèmes des droits nationaux »[1910]. Les termes utilisés par la Cour de justice montre que cette juridiction met sur le même plan les principes du droit national et les objectifs du texte à interpréter. Les principes sont intimement mêlés aux objectifs poursuivis pas le droit dans son ensemble.
HART estime ainsi que le juge est guidé par les « politiques sociales » qui ont présidé à l’édiction du texte[1911]. Ces « politiques » ou encore valeurs et finalités sociales sont à l’origine de la création des principes directeurs. Ces derniers se présentent comme les normes les plus à même de donner les informations que le juge recherche dans le cadre de l’interprétation téléologique. On peut trouver une illustration procédurale de ce phénomène à propos de l’interprétation de l’article 5 du nouveau Code de procédure civile. Cette disposition fait obligation au juge de se prononcer « sur tout ce qui est demandé ». Elle est inspirée par deux principes : celui du droit au juge qui prescrit au juge de donner une solution au litige et celui de la coopération en vertu duquel « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties »[1912]. Le juge dans son obligation de coopérer, ne peut ni ignorer, ni déborder le cadre défini par les prétentions des parties. Une question relative à l’interprétation de l’article 5 se pose dans l’hypothèse où existe dans le litige des demandes implicites ou virtuelles. L’une des parties n’a expressément formulé qu’une seule demande, mais virtuellement, cette prétention en induit une autre. Le juge est dans une situation délicate : il ne peut statuer ni infra, ni ultra petita. S’il ne se prononce pas sur la prétention implicite, il s’expose au déni de justice ; s’il s’en saisit, il court le risque de dépasser ses pouvoirs. Pour régler cette contradiction, il est nécessaire de se référer à la dimension téléologique de l’article 5. Inspiré par les deux principes susvisés, ce texte vise à garantir aux parties la résolution complète du conflit qui les oppose. Le juge doit coopérer et statuer en extrayant si nécessaire les questions incidentes qui émanent du litige. La jurisprudence à tranché dans ce sens en décidant par exemple que la personne qui réclame l’annulation d’une convention entend que soit annulée pour défaut de cause l’effet de commerce qu’elle avait accepté en exécution de cette convention[1913]. De même, la demande d’expertise au fin de déterminer les causes d’un désordre implique nécessairement que le juge soit aussi saisi d’une action en responsabilité[1914]. Pour admettre que le juge se prononce sur les prétentions implicites, la Cour de cassation a dû procéder à une interprétation téléologique de l’article 5. Pour cela, elle a pu se référer aux principes qui ont présidé à la création de ce texte.
Paradoxalement, l’interprétation des principes, règles générales, conduit le juge à donner aux règles textuelles une signification plus précise. En réalité, le paradoxe n’est qu’apparent. La règle technique tire sa raison d’être du principe. Le juge pour l’interpréter remonte logiquement la chaîne de production du droit, passant de la règle technique au principe, et du principe à la finalité protégée. S’il existe plusieurs règles en conflit, le juge doit résoudre une antinomie. Il peut alors suivre la direction qui lui est indiquée par le principe.
2) Donner une direction aux règles textuelles
Il faut alors trouver un autre moyen de gérer le conflit. La méthode peut résider dans l’interprétation. La préoccupation principale du juge n’est plus d’éclairer un texte mais de trouver une direction à prendre qui ménage les intérêts concurrents ou qui privilégie certains de ces intérêts. DWORKIN développe l’idée selon laquelle le juge va tenter de résoudre les cas difficiles qui se présentent devant lui en cherchant la meilleure interprétation dans « un ensemble cohérent de principes au sujet des droits et devoirs de chacun »[1918]. Cette question a pu se poser à propos de la procédure devant la Cour de justice de la République.
Cette juridiction a été instituée par une loi constitutionnelle du 27 juillet 1993. Le texte a soulevé l’importante question de la motivation des arrêts de la Cour de justice. Un auteur a pu mettre en évidence l’existence d’une antinomie au sein de cette procédure[1919]. Si on considère que la Cour est composée notamment de parlementaires, magistrats non professionnels, on doit lui appliquer les règles relatives à la motivation qui régissent la Cour d’assises. La motivation de l’arrêt d’assises résulte des réponses données aux questions par les membres de la juridiction. Pourtant, l’article 26 de la loi constitutionnelle renvoie la procédure relative au débat et au jugement devant la Cour de justice de la République, aux règles en vigueur devant le Tribunal correctionnel. L’obligation de motivation devient dès lors plus complète. Elle oblige la Cour de justice à viser les éléments de fait et de droit qui ont permis de fonder sa décision. L’antinomie est bien réelle. D’un coté, la composition de la Cour de justice justifie une motivation succincte assimilable à celle de la Cour d’assises ; de l’autre, le renvoi à la procédure devant le Tribunal correctionnel rend nécessaire une motivation circonstanciée. En définitive la première décision de la Cour de justice rendue dans l’affaire du sang contaminée fut motivée[1920]. La juridiction a donc penché en faveur de l’article 26 de la loi constitutionnelle. Ce choix plus conforme au principe de la motivation des décisions de justice[1921] nécessite que la juridiction s’explique sur les circonstances qui justifient sa décision[1922].
Dans cet arrêt, la Cour de cassation ne disposait que d’une seule règle écrite. Celle-ci mettait pourtant en jeu des principes et intérêts contradictoires. Les magistrats ont dû confronter les principes pour trouver une direction à prendre. L’article 9 fut interprété comme devant concilier les intérêts de celui sur qui repose la charge de la preuve et de celui à qui certains modes de recherche de la preuve peuvent nuire. Paul ROUBIER écrivait ainsi que les principes généraux expriment « le contenu de la justice » et permettent d’établir « une hiérarchie des intérêts et de faire respecter ceux qui sont les plus respectables »[1925]. Cette méthode d’interprétation permet non seulement de confronter deux règles de droit écrit en considération de leurs origines, mais aussi de contrôler qu’un texte est appliqué conformément aux rapports de force entretenus par les finalités de la matière processuelle. Le recours aux principes est encore essentiel pour permettre au droit écrit de suivre la bonne direction.
Un auteur confie ainsi au juge le devoir de « pallier l’opposition entre le droit et l’équité et d’en organiser la complémentarité »[1927]. La règle jurisprudentielle est souple et peut compenser la rigidité des textes. A cet égard, les principes directeurs sont des outils très utiles pour le juge. Leur caractère est la flexibilité ; leur force, l’adaptation aux finalités de la procédure ; leur effet, l’orientation du droit technique par le biais de l’interprétation. Les principes fournissent au juge les moyens de suppléer à toute défaillance des textes. Cette défaillance apparaît encore lorsque le droit écrit est lacunaire. Il faut alors le compléter.
b) Assurer la complétude du droit processuel
Admettre que le droit puisse être lacunaire nécessite qu’à un moment donné, on ne trouve pas dans le droit écrit ou jurisprudentiel, la réponse à une question juridique soulevée dans un procès. Dans un arrêt de 1993, se posait une question de droit qui ne trouvait de réponse dans aucun texte. Cette année là, le contentieux de la détention provisoire avait été durant une courte période confié à un autre magistrat que le juge d’instruction[1931]. L’appel contre les ordonnances de ce juge de la détention provisoire était ouvert aux parties privées par l’article 186 (ancien) du Code de procédure pénale🏛. En revanche, aucune disposition ne prévoyait de recours au profit du Procureur de la République. Celui-ci ne pouvait que se prévaloir de l’article 185 du même Code lui permettant de former un appel contre les ordonnances du juge d’instruction. Cet exemple illustre parfaitement la question des lacunes du droit processuel. En effet, la règle qui oblige ou interdit, permet par le jeu de l’interprétation a contrario[1932] de résoudre les cas qui n’entrent pas dans son champ d’application. A l’inverse, la règle qui habilite ou crée un droit échappe à ce mode d’interprétation littérale. Tel est le cas de l’ancien article 186 qui ouvrait le droit au recours pour certaines parties à la procédure mais restait silencieux sur celui du ministère public. Le jeu de l’interprétation va permettre au juge de suppléer à la défaillance du législateur. Utilisant l’article 185 et se référant aux principes généraux du droit, la Cour de cassation a permis au Procureur de la République d’exercer son droit d’appel en matière de détention provisoire[1933]. La lacune était comblée. Cet arrêt montre que les principes directeurs jouent un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de résoudre une question de droit dans le silence des textes. Cette action est très largement reconnue par la doctrine.
DWORKIN semble se fonder au contraire sur le postulat de la complétude du droit mais son raisonnement est pratiquement le même. Le droit est complet car le juge suppose qu’il est « structuré par un ensemble de principes cohérents concernant la justice, l’équité et la procédure »[1938]. L’ambiguïté du raisonnement de ce théoricien réside dans l’assimilation qu’il opère entre les « principes » et les « politiques » [1939]. Une confusion existe dans cette présentation car si les « principes » au sens strict peuvent être identifiés comme des principes généraux du droit, les « politiques » se rangent dans la catégorie des finalités sociales ou des origines matérielles du droit. En conséquence, l’ordre juridique est complet par ce qu’il comporte en son sein des normes juridiques en nombre fini mais aussi des finalités sociales capables de produire des normes juridiques nouvelles à l’infini. C’est bien de « complétude potentielle » dont il faut parler en ce sens que le système juridique est à même de produire autant de règles juridiques que l’ordre social présente de situations conflictuelles.
Les principes sont utilisés par le juge qui doit compléter le droit existant, comme des normes générales susceptibles d’engendrer des normes techniques nouvelles. L’analogie ou l’induction amplifiante sont les moyens juridictionnels les plus courants dans le recours aux principes.
Dès le 19ème siècle, la Cour de cassation a utilisé les principes directeurs en l’absence de texte. Le cas typique est celui des nullités de l’instruction pénale. Le Code d’instruction criminelle était muet sur la question. Il n’avait envisagé des cas de nullité que pour l’audience et le jugement. La règle qui dominait alors était celle de l’adage pas de nullité sans texte. Pourtant, l’article 408 al 2 du Code d’instruction criminelle, prévoyait dans des conditions restrictives l’annulation d’actes en dehors d’un texte[1942]. C’est en prenant appui sur cet article que la Cour de cassation a pu développer une théorie des nullités substantielles. En 1835, elle annulait une instruction préparatoire conduite sans qu’il n’ait été procédé à l’audition de la personne poursuivie[1943]. Par la suite, les lois de 1897, 1933 et 1935 sont venues ajouter des cas de nullité textuelle lors de l’instruction, mais la jurisprudence a continué à accroître sa liste de nullités virtuelles. Le principe fondateur de ce système était évidemment celui des droits de la défense. Sa présence dans le système des nullités fut un temps exprimée dans le Code de procédure pénale à l’article 172 al 1[1944].
Le principe des droits de la défense fut aussi à l’origine de l’arrêt d’assemblée plénière du 30 juin 1995 relatif au droit à l’assistance d’un avocat dans une procédure de rabat d’arrêt[1945]. L’avocat général constatait dans ses conclusions qu’aucun texte ne prévoit ni l’organisation de la procédure du rabat d’arrêt ni les règles de la commission d’office devant la Cour de cassation. Le Conseil de l’ordre des avocats à la Cour de cassation et au Conseil d’Etat avait refusé de commettre un avocat d’office dans une procédure de rabat d’arrêt au motif que la prétention du demandeur (le rabat d’arrêt) n’était pas prévue par un texte et que l’irrégularité invoquée n’existait pas. L’assemblée plénière a censuré la décision du Conseil de l’ordre sur le simple visa de la violation des droits de la défense. Le principe fut déclaré applicable en l’absence de texte et a contraint l’ordre des avocats à commettre un défenseur à toute personne qui dispose de ce droit.
L’intervention d’un principe en l’absence de texte est une technique récurrente dans la jurisprudence de la juridiction de cassation. Dans un arrêt de 1951, elle utilise l’induction amplifiante en matière de recours en cassation. Elle affirme qu’« il résulte de la combinaison des articles 408, 413 et 416 du Code d’instruction criminelle que la voie du pourvoi en cassation est ouverte contre toutes les décisions sur le fond définitives et en dernier ressort émanant d’une juridiction française »[1946]. En visant trois dispositions du Code, la Cour de cassation induit le principe du droit au recours en matière de pourvoi en cassation et étend son application en l’espèce à une décision rendue par le Tribunal supérieur du haut commissariat français en Allemagne.
En ce qui concerne le Conseil de la concurrence, la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de se prononcer sur la validité de l’utilisation de faits prescrits comme éléments dans une procédure. Les juges ont constaté qu’une telle attitude était conforme au respect des droits de la défense[1959]. D’un autre coté, se référant à la jurisprudence de la CEDH, la Cour d’appel a admis que la procédure juridictionnelle devant les organes administratifs[1960] pouvait, en raison des impératifs d’efficacité et de souplesse, ne pas respecter intégralement les prescriptions de l’article 6 de la CESDH. Ces dérogations ne sont valables que dans la mesure où les décisions de ces organes sont contrôlées par une juridiction d’appel répondant aux obligations de l’article 6 (double degré de juridiction).
Le Conseil d’Etat s’est prononcé plus généralement sur l’applicabilité de l’article 6§1 de la CESDH aux autorités administratives indépendantes[1961]. Sa réponse a été mitigée. Dans un premier temps, le Conseil a décidé que l’article 6§1 ne s’appliquait pas aux autorités administratives prononçant des sanctions mais il y dégagé un principe d’impartialité issu du droit interne qui s’impose à ces organes. Dans un second temps, Le Conseil s’est fondé directement sur l’article 6§1 de la CESDH pour soumettre la Commission bancaire au principes d’impartialité[1962]. Le Conseil d’Etat a donc fini par suivre la Cour de cassation dans l’utilisation des principes de la CESDH pour définir un cadre procédural applicable aux autorités administratives indépendantes.
La procédure devant les autorités administratives indépendantes se construit donc au fil de la jurisprudence en conformité avec certains principes directeurs du procès qui comblent les lacunes des textes spéciaux[1963]. Si des exceptions sont autorisées en raison du particularisme procédural, c’est à condition qu’existe un double examen au fond de l’affaire devant une juridiction de l’ordre judiciaire soumise aux principes. L’action fondatrice des principes directeurs est donc essentielle au développement de nouveaux contentieux. Elle permet, malgré la concision des textes qui les régissent, de créer un cadre procédural plus complet. Le droit écrit peut par la suite rattraper les avancées jurisprudentielles. Concernant la Commission des opérations de bourse, une charte des droits de la défense a été adoptée en 1997[1964]. Elle intègre quatre principes directeurs dans la procédure de cette autorité : le respect des libertés individuelles, celui des droits de la défense, de la motivation des sanctions, et enfin du droit au recours devant l’autorité judiciaire. L’action des principes directeurs dans le contentieux des autorités administratives indépendantes permet de créer des liens entre ces procédures spéciales et le droit commun processuel. En utilisant des principes communs, on rapproche progressivement les différents types de procédures. Les défenseurs d’un droit processuel unifié mettent en avant l’intérêt d’une telle discipline qui permettrait d’embrasser les contentieux spéciaux et de résoudre les problèmes posés par cette spécialisation[1965]. Au cœur de ce droit, réside assurément les principes directeurs. On peut constater l’importance de leur action fondatrice pour orienter, organiser, interpréter, résoudre les conflits ou combler les lacunes du droit construit et à construire. En droit processuel privé, l’action des principes a pour effet de faire tomber les barrières entre procédures civile et pénale. C’est en cela que réside leur action unificatrice.
a) La solution traditionnelle : le Code de procédure civile comme droit commun
Certaines règles de procédure civile furent appliquées au procès pénal, notamment par ce qu’elles concernaient les droits de la partie civile qui avaient été négligés dans le Code d’instruction criminelle[1975]. Plus remarquable est le transfert de deux mécanismes visant la responsabilité des magistrats et garantissant leur impartialité. Le premier est celui de la « prise à partie ». Il visait à condamner un magistrat qui avait commis des fautes qualifiées[1976] à des dommages et intérêts au bénéfice des justiciables victimes de ces fautes. La prise à partie était visée à l’article 505 du Code de procédure civile🏛. Elle fut étendue aux juges répressifs par la jurisprudence[1977]. Le second est le mécanisme de récusation des magistrats qui n’existait pas dans le Code d’instruction criminelle. Il fut étendu pour les magistrats des juridictions pénales sur la base des articles 378 à 396 de l’ancien Code de procédure civile🏛🏛[1978].
Avec la Constitution de la cinquième République, les procédures civile et pénale ont subi une séparation formelle. La procédure pénale, la création des juridictions et le statut des magistrats relèvent du domaine de la loi, la procédure civile de celui du règlement autonome. Les emprunts de la première à la dernière sont devenus impossibles. On imagine mal en effet, un procédure d’origine législative, régie par le principe de la légalité criminelle, puiser dans le règlement autonome les dispositions dont elle aurait besoin. La Cour de cassation a confirmé cette solution à plusieurs reprises[1979]. Cette juridiction a eu une réaction légitime aux changements formels apportés par la Constitution de 1958. Sur le fond pourtant, les deux procédures trouvent une source d’inspiration commune. Cette source réside dans les principes directeurs du procès.
b) La solution contemporaine : le recours aux principes directeurs
D’un point de vue formel, on peut considérer que les principes exprimés dans l’article 6§1 de la CESDH forment le noyau dur du droit commun processuel. Cette stipulation précise qu’elle est applicable aux contestations portant sur les « droits et obligations à caractère civil » et sur les « accusations en matière pénale ». Les premiers principes communs sont donc ceux du procès équitable, de l’indépendance et l’impartialité des juridictions, de la célérité de la procédure, de la publicité de la justice ou encore de l’égalité des armes. On peut y inclure, comme découlant de la notion de procès équitable, le droit au juge, la contradiction, la motivation des décisions de justice, ou la loyauté dans la recherche des preuves qui ont été déduits de l’article 6§1 par la CEDH[1980]. Toujours dans le cadre du droit de la CESDH, certains principes sont attachés à l’individu et doivent être pris en compte dans les deux procédures. La protection de la dignité de l’être humain et le respect de l’intimité de sa vie privée sont des principes qui débordent même le cadre du procès.
D’autres principes sont traités en droit interne de façon identique quelle que soit la juridiction judiciaire qui les applique. Les droits de la défense sont très proches dans leur contenu du procès équitable[1981]. La CESDH semble réserver certains aspects de ces droits à la procédure pénale. Un auteur explique que la protection des droits de la défense « doit être d’autant plus forte que le danger encouru par l’intéressé est grand »[1982]. Ce principe est donc très puissant lorsqu’une personne est prise à partie par l’institution publique qu’est l’Etat. On pourrait penser qu’il s’applique avant tout en matière pénale. Il s’agit évidemment d’une vision partielle de la notion de défense. Les Professeurs CORNU et FOYER[1983], puis Henri MOTULSKY[1984] ont conçu les droits de la défense comme des prérogatives appartenant à chaque partie. Les parties sont tout à la fois les débitrices et les créancières de ces droits. Les droits de la défense bénéficient aux parties privées et publiques, aux défendeurs et aux demandeurs. D’autres principes s’appliquent identiquement dans le droit judiciaire. Le double degré de juridiction en est un exemple. Sans être énoncé expressément[1985], il joue en matière répressive devant les trois juridictions de jugement. En procédure civile, il se développe dans les limites de l’objet du litige ou de certaines dispositions spéciales. L’autorité de la chose jugée est aussi présente dans le procès civil en application de l’article 1351 du Code civil🏛 et on la trouve encore à l’article 6 du Code de procédure pénale🏛 sur l’extinction de l’action publique.
Un doute peut être soulevé avec le principe de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil. Quelle que soit la portée de ce principe[1986], il convient de remarquer qu’il n’est pas réversible. La chose jugée au civil ne s’impose pas au juge répressif[1987]. On devrait pouvoir dire que le principe n’est pas commun aux deux procédures. A l’évidence, une telle remarque est infondée. L’autorité du criminel sur le civil est le principe qui établit le lien le plus étroit entre les deux juridictions. Son objectif est d’harmoniser les décisions au fond. Il déborde donc, dans son action unificatrice, le cadre strictement procédural.
Cette vue d’ensemble, non exhaustive, des principes directeurs communs aux deux procédures montre qu’il est peu de domaines dans lesquels les particularismes peuvent se manifester. Par ailleurs, on trouve de nombreux traits communs dans l’application de certains principes.
Le non respect du double degré de juridiction est analysé par la Cour de cassation comme un moyen d’ordre public en procédure pénale[1988], mais aussi en matière civile[1989]. Concernant les effets de l’appel, on trouve encore d’importantes similitudes. L’interdiction de la reformatio in pejus[1990] indique que la Cour ne peut, sur le seul appel d’une partie, aggraver le sort de celle-ci. Cette règle est mentionnée à l’article 515 du Code de procédure pénale🏛 au profit des parties privées. La Cour de cassation a eu, à plusieurs reprises, l’occasion d’appliquer cette règle dans un procès civil comme la conséquence de l’effet dévolutif de l’appel[1991]. Un autre mécanisme est utilisé par les deux juridictions du second degré : celui de l’évocation. Il permet à la Cour qui a eu à se prononcer sur une question de procédure, de se saisir du fond de l’affaire et de rendre une décision sur cette question. Une différence marque tout de même les deux institutions : l’article 568 du nouveau Code de procédure civile prévoit que cette évocation est facultative pour le juge qui doit y avoir recours « s’il estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive », alors que l’article 520 du Code de procédure pénale🏛 rend l’évocation obligatoire si la Cour a annulé le jugement.
Les considérations qui précèdent montrent que s’établit entre principes directeurs et règles techniques une relation de droit commun à droit spécial débordant le cadre des disciplines. C’est en cela que réside l’action unificatrice des principes directeurs. L’esprit qui conduit les principes est très comparable dans les procès civil et pénal. Chaque procédure retrouve, avec ses propres règles techniques, un espace de liberté pour mettre en œuvre les principes communs. Cette unité n’est pas absolue et certains auteurs soulignent la divergence de l’esprit et de l’objet des procès judiciaires. Les particularismes procéduraux se retrouveraient en ce qui concerne les principes.
Une telle approche du droit judiciaire a des conséquences sur les principes directeurs. Les règles relatives à la répartition des pouvoirs entre juge et parties, à la charge et aux modes de preuves, ne peuvent être les mêmes. Cette position semble aujourd’hui dépassée. Les divergences ne sont souvent qu’apparentes (a). De plus, l’évolution tend vers la convergence des procédures (b), laissant parfois des singularités résiduelles (c).
La présomption d’innocence se présente sous un double aspect. Elle est un droit fondamental susceptible d’être opposé en dehors du procès à l’encontre des personnes qui porteraient atteinte à cette présomption avant tout jugement définitif. A ce titre, elle figure dans le Code civil[1995]. Elle est un droit procédural dans la mesure où il s’agit d’une règle purement probatoire. L’article 1349 du Code civil🏛 définit les présomptions comme « les conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». Pour la présomption d’innocence, le fait inconnu réside dans l’innocence ou la culpabilité de l’individu ; le fait connu dans l’absence de condamnation définitive. La présomption d’innocence s’intègre parfaitement dans le droit commun du procès. Elle constitue un corollaire des principes visés aux articles 1315 du Code civil🏛 et 9 du nouveau Code de procédure civile. Chaque partie doit prouver « les faits nécessaires au succès de sa prétention » dit le nouveau Code de procédure civile. La présomption d’innocence fait reposer sur les parties poursuivantes la preuve des éléments constitutifs de l’infraction ainsi que leur imputabilité objective à la personne poursuivie. Il s’agit là d’une application pure et simple de la maxime actori incumbit probatio. La charge de la preuve repose sur « celui qui demande la modification de la situation existante »[1996]. La preuve incombe « à celui qui va contre la situation normale ou vraisemblable »[1997].
La présomption d’innocence constitue le point de départ des poursuites. A partir de la commission de l’infraction, il faut en reconstituer les éléments et trouver un ou plusieurs auteurs et complices. Lorsque la culpabilité de la personne poursuivie a été établie, la charge de la preuve est inversée. En application de l’adage reus in excipiendo fit actor, si la culpabilité de la personne poursuivie est suffisamment rapportée, il appartient à cette dernière d’invoquer une cause d’irresponsabilité. Le défendeur au procès devient demandeur et la jurisprudence admet dans une large mesure que l’existence des causes qui peuvent justifier un abandon des poursuites doit être démontrée par celui qui s’en prévaut. En matière de légitime défense, la situation est claire. L’article 122-6 nouveau du Code pénal🏛 prévoit certains cas dans lesquels la légitime défense est présumée[1998]. A contrario, toutes les hypothèses de légitime défense qui n’entrent pas dans le domaine d’application de cette disposition doivent être prouvées par le prévenu ou l’accusé. En matière de causes subjectives d’irresponsabilité, la jurisprudence semble suivre la même voie. La chambre criminelle a décidé que la preuve de l’existence de la contrainte incombait au prévenu[1999]. En ce qui concerne le trouble mental, la solution est moins nette et la Cour de cassation n’a pas pris position avec clarté[2000]. On observe en effet que la question de la sérénité mentale de la personne poursuivie résulte de l’enquête de personnalité et de l’appréciation qui en est faite par les magistrats. La question de la charge de la preuve reste donc secondaire sur ce point. On citera tout de même un arrêt de la Cour d’appel d’Alger faisant obligation au prévenu de prouver la démence qu’il invoquait[2001].
En définitive, les principes qui gouvernent la charge de la preuve en matière pénale ne diffèrent pas de ceux du procès civil. Cette charge repose en principe sur l’auteur de la prétention, ce dernier pouvant bénéficier de présomptions qui faciliteront sa tache (présomptions de culpabilité pour les parties poursuivantes, ou de légitime défense pour la personne poursuivie). La présomption d’innocence n’est donc pas un principe spécifique au procès pénal dans la mesure où elle ne bouleverse pas la répartition des charges entre les parties. Cette unité se retrouve lorsqu’il s’agit de déterminer les principes relatifs à la production des preuves.
Il est indéniable que coexistent en droit processuel privé deux principes relatifs à la constitution des preuves : celui des preuves légales et celui de la liberté de la preuve. Ce qui n’est pas exact, c’est que ces principes s’appliquent différemment en procédures civile et pénale. En droit civil, si certains estiment que cette matière « fait une large part au principe de la preuve légale » ils reconnaissent dans le même temps que la preuve civile « est soumise à un système mixte qui se rattache pour partie à la théorie de la preuve légale et pour partie à la théorie de la preuve morale »[2005]. La preuve en matière civile connaît une division fondamentale entre la preuve des actes juridiques et celle des faits juridiques[2006]. En ce qui concerne les actes, « l’article 1341 constitue la disposition centrale du système de preuve des contrats et, par extension, des actes juridiques »[2007]. La règle posée par cet article est celle de l’exigence d’un écrit et de l’exclusion de la preuve testimoniale. Pour ce qui est des faits juridiques, ils sont soumis au principe de la liberté de la preuve. Cette règle n’est pas mentionnée expressément dans le Code civil, mais on la déduit de l’article 1348. Certains ont vu dans l’institution des preuves légales une volonté de sécuriser les relations juridiques entre les personnes privées. On y voit aussi l’idée d’une certaines défiance à l’égard des juges qui se trouvent, dès lors, liés par les preuves produites devant eux[2008]. Ce système permet surtout aux parties de préconstituer leur preuve et de se prémunir ainsi contre d’éventuelles difficultés pour démontrer l’existence de leur droit. C’est pour cette raison que la preuve des faits ne peut être réglementée de la même façon. Par définition, le fait juridique, de nature événementielle, est plus difficile à prévoir que l’acte, manifestation de volonté. Cette distinction entre les actes et les faits juridiques s’étend au-delà de la procédure civile. La matière pénale, constituée de faits juridiques, est logiquement dominée par le principe de la liberté de la preuve. Il n’y a là aucune manifestation du particularisme du droit répressif.
Cette division entre actes et faits étant admise, ont doit encore constater que le régime probatoire légal des actes civils connaît de larges assouplissements alors que la liberté de la preuve pénale rencontre à son tour des îlots de légalité.
La première dérogation à la légalité de la preuve en matière civile est constituée par le domaine des actes de commerce. Régis par l’article 109 du Code de commerce, ces actes sont dominés par le principe de la liberté de la preuve. Plus généralement, le Code civil, sans toujours renoncer au légalisme, impose à ce système des assouplissements importants. Si les règles qui gouvernent l’administration de la preuve sont d’ordre public en ce qu’elle touchent au fonctionnement de la justice, les moyens de preuve quant à eux peuvent être librement déterminés par les parties. La Cour de cassation a ainsi pu admettre la licéité des conventions de preuve relatives au paiement par carte[2009]. Le Code civil admet de son coté la preuve par présomption et par témoin lorsqu’un acte « est attaqué pour cause de fraude ou de dol »[2010]. L’existence d’un commencement de preuve par écrit ou l’impossibilité de produire un écrit excluent encore l’exigence de la preuve littérale[2011]. De plus, le Code civil admet dans certaines hypothèses la production d’une copie de l’acte écrit ou encore un écrit électronique[2012]. L’admission de ces différents modes de preuves ne représentent pas un mouvement d’ensemble vers une libéralisation de la preuve en matière civile. Il faut distinguer les exceptions prévues en matière commerciale ou pour les conventions sur la preuve, qui se libèrent véritablement du système légaliste, de l’admission de certains modes de preuves prévus dans le Code qui ne reflètent qu’une extension réglementée des moyens de preuve admis par la loi.
En matière pénale, le principe de la liberté de la preuve subit des infléchissements tant du point de vue de l’admission des preuves, que de celui de leur appréciation. Pour ce qui est de l’administration de la preuve pénale, la liberté est limitée par le respect de certains principes. Les organes publics doivent, au cours de la mise en état, se soumettre aux principes de dignité, de loyauté, et de l’intimité de la vie privée[2013]. Plus généralement, une preuve ne peut être produite en justice s’il en résulte une violation des droits de la défense. La restriction de la liberté tient encore aux « cadres légaux d’administration de la preuve »[2014] qui définissent des procédures dont l’observation s’impose à peine de nullité. Il n’est pas certain, comme l’affirme un auteur, que « l’existence d’un tel répertoire d’actes d’administrations de la preuve (ait) pour conséquence logique de limiter, pour les agents publics, le champ d’application du principe de la liberté au profit de celui de la légalité ». En revanche, on doit constater que l’existence de ces « cadres » procéduraux sont créateurs de contraintes pour ceux qui ont la charge de produire les preuves. La preuve reste libre, mais il faut, pour la recueillir, opérer selon une réglementation déterminée. Pour ce qui est de l’appréciation des preuves, le principe de liberté s’exprime à travers l’intime conviction du juge. Ce dernier est libre d’accorder ou non une force probante à la preuve qui lui est présentée. Dans ce domaine, la légalité fait son apparition en liant parfois le juge à certains modes de preuve. L’article 537 al 2 du Code de procédure pénale prévoit en matière contraventionnelle que « les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire (…) font foi jusqu’à preuve du contraire ». Dans cette hypothèse, l’intime conviction s’efface devant la preuve légale[2015]. Si les éléments de fait qui ressortent du procès-verbal ne sont pas contredits, le juge doit les tenir pour vrais. En revanche, il ne s’agit que d’une application partielle de la légalité dans la mesure où il n’existe pas de hiérarchie des preuves. La chambre criminelle admet que les énonciations d’un procès verbal soient contredites par écrit ou par témoins[2016]. La légalité s’installe incontestablement en procédure pénale lorsque la loi prévoit la force probante de certains procès-verbaux jusqu’à inscription de faux. C’est ce qui est prévu notamment à l’article 336 du Code des douanes🏛.
La dualité affirmée par certains entre les principes probatoires en matière pénale et civile est donc largement erronée. Non seulement la division fondamentale déborde le cadre des disciplines ; mais encore, chaque matière connaît des dérogations qui permettent d’établir des liens entre les deux procédures. Ces liens tendent à se resserrer et il faut admettre que du point de vue des principes, les deux contentieux se rapprochent progressivement.
b) Les rapprochements progressifs
1) Le procès pénal se civilise
Dans les mains du Procureur de la République, l’action publique n’est pas réellement indisponible. Celui-ci dispose de l’opportunité des poursuites[2020] dont on affirme qu’elle est « l’un des dogmes les mieux assurés de notre droit positif »[2021]. Il peut décider de poursuivre ou de classer sans suite. S’il décide de poursuivre, il ne peut revenir sur cette décision pendant la durée du procès. En cela, le désistement d’instance est prohibé. En revanche, rien n’empêche le représentant du ministère public à l’audience de requérir l’acquittement ou la relaxe de la personne poursuivie. Il s’agit ni plus ni moins que d’un renoncement à l’exercice des poursuites. Ce renoncement, il est vrai, ne lie pas la juridiction de jugement. Depuis, la loi du 23 juin 1999🏛, le ministère public peut encore composer sur l’action publique[2022]. Il recherche un règlement à l’amiable qui, sous réserve de l’approbation d’un magistrat du siège, produit un effet extinctif sur l’action publique. L’indisponibilité de cette action est donc sérieusement limitée.
Celle-ci n’est d’ailleurs pas réservée au représentant de l’Etat. L’article premier du Code de procédure pénale permet à la partie civile de mettre en mouvement l’action publique par le biais d’une constitution de partie civile. Ce droit essentiel reconnu à la victime a pour effet de contraindre l’institution publique à engager un procès pénal. Ce procès n’est donc pas uniquement la « chose de l’Etat ». Il met en jeu les intérêts de la victime au-delà de leur aspect purement civil[2023].
L’action publique ne possède plus les caractères singuliers qu’on lui attribue traditionnellement. De plus, la progression de principes tel que celui de la conciliation, conduit à des modifications notables de ces caractères. Elle diffère par son objet de l’action civile, mais les règles procédurales ne tiennent pas fondamentalement compte de cette distinction. En ce sens, elle se rapproche dans son exercice de l’action civile. Ce phénomène est renforcé par le rééquilibrage des droits des parties dans le déroulement du procès.
Avant 1993, les prérogatives accordées au ministère public dans le procès pénal étaient supérieures à celles dont disposaient les parties privées. Les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 ont contribué à modifier cette situation. Les parties privées ont vu leur participation à l’instruction s’accroître. Un article 82-1 fut introduit dans le Code de procédure pénale🏛 autorisant les parties au cours de l’information à saisir le juge d’une demande visant à ce que ce magistrat accomplisse un acte déterminé[2024]. En cas de rejet de la part du juge d’instruction, un recours est possible devant le président de la chambre de l’instruction qui renvoie ou non la demande devant la formation collégiale de la chambre[2025]. La personne mise en examen et la partie civile ont aussi acquis le droit de soulever des nullités de la mise en état. Ce droit était auparavant réservé au Procureur de la République et au juge d’instruction durant la phase d’information[2026]. La demande est examinée par le président de la chambre de l’instruction qui peut ou non renvoyer l’examen de la nullité devant la chambre pour annulation. Dans la loi du 15 juin 2000🏛, ces droits ont encore été étendus. L’article 82-1 permet désormais à toutes les parties de solliciter du juge qu’il soit procédé à « tous autres actes qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité ». Leur participation est accrue dans le cadre des expertises, puisque l’article 156 du Code permet que la partie qui a demandé une expertise puisse « préciser dans sa demande les questions qu’(elle) voudrait voir poser à l’expert ». Au cours de l’audience, les parties voient leurs prérogatives développées. Les articles 312, et 442-1 en matières criminelle et correctionnelle permettent à leurs avocats et au Procureur de la République de « poser directement des questions à l’accusé, à la partie civile, aux témoins et à toutes personnes appelées à la barre, en demandant la parole au président ».
Avec les lois de 1993 et du 15 juin 2000, on assiste donc à un double mouvement. D’une part, les droits des parties privées sont rehaussés au niveau de ceux qui appartenaient antérieurement au seul ministère public ; d’autre part, la progression des droits des parties se fait désormais dans le respect de leur égalité. Le parquet ne bénéficie plus d’un statut particulier. D’un point de vue procédural, son action ne diffère pas de celle de la partie civile et de la personne poursuivie. Le procès pénal n’est plus le procès de l’Etat. Il n’est pas non plus un procès purement civil. Il en résulte que les principes qui régissent les différentes actions sont les mêmes et qu’ils rejoignent ceux du procès civil. Le droit au juge et la coopération se manifestent identiquement par la possibilité de chaque partie de contribuer à la procédure. L’égalité des armes est mieux respectée conformément aux exigences européennes. De son coté, le juge d’instruction a du concéder certaines prérogatives personnelles aux parties. Ces dernières participent dans une certaine mesure à la manifestation de la vérité. Le modèle inquisitoire qui caractérisait la procédure pénale fléchit devant les principes relatifs aux droits et à l’égalité des parties dans le procès[2027]. Ces principes ont joué un rôle de rapprochement du procès pénal vers le procès civil. Le mouvement s’est aussi produit dans le sens contraire.
2) Le procès civil se pénalise
Aujourd’hui, les parties ne disposent pas exclusivement de la maîtrise des faits dans le procès. Elles ne dominent pas non plus le déroulement de l’instance. Les réformes de 1935, 1965 et celles qui ont donné lieu au nouveau Code de procédure civile ont toutes consacré l’accroissement des pouvoirs du juge dans le procès civil[2032]. L’institution du juge de la mise en état des affaires civiles a été assimilée à celle du juge de l’instruction pénale[2033]. Le principe de coopération domine aujourd’hui le contentieux judiciaire[2034].
Cette évolution vers un renforcement des pouvoirs du juge dans le procès civil a trouvé des explications qui participent de l’idée d’unité des procédures. Un auteur affirme à propos du procès civil que « la justice est aujourd’hui ressentie comme un service public »[2035]. La controverse sur la question de savoir si le procès est la chose des parties ou celle du juge est dépassée estime le Professeur CADIET : « Par essence », le procès « est tout à la fois la chose des parties et celle du juge »[2036]. Si le procès civil est la chose du juge, c’est qu’il est chose publique et donc chose de l’Etat. L’implication d’un magistrat du siège ou du parquet dans une procédure, marque l’intérêt de l’institution étatique aux questions procédurales. Le procès est un lieu d’éclosion des conflits et de l’application du droit. Ces deux aspects sont intimement liés et le rôle des magistrats civils ne peut se résoudre à celui de trancher des conflits d’intérêts individuels. L’implication du juge dans le procès civil marque à ce titre une progression de cette procédure vers des préoccupations traditionnellement attribuées à la justice répressive. Le principe de coopération est le principal vecteur de ce rapprochement[2037].
Les parties sont mises en avant dans le procès pénal, le juge trouve une place de choix dans le procès civil. La convergence des procédures à travers les principes laisse néanmoins place à des singularités résiduelles.
c) Les singularités résiduelles
Il est un principe qui est exclu du procès civil alors qu’il domine la procédure pénale : celui de la séparation des fonctions d’instruction et de jugement. Ce principe interdit aux magistrats du siège qui ont pris part à l’instruction[2038], de faire partie de la juridiction qui va juger la personne mise en examen puis accusée ou prévenue[2039]. En procédure civile, le phénomène inverse se produit. Le juge de la mise en état, qui a pourtant une opinion forgée sur l’affaire au jour de l’audience, peut se trouver dans la juridiction de jugement. La procédure prévue par les articles 785 à 787 du nouveau Code de procédure civile permet au juge de la mise en état de siéger seul avant de rendre compte aux autres magistrats au cours des délibérés. Il peut encore, si le Tribunal de grande instance statue en formation collégiale, établir un rapport sur l’affaire dans lequel il ne devra pas exprimer son avis.
La justification de cette intervention du juge de la mise en état dans la juridiction de jugement est pour le moins surprenante. Un auteur affirme ainsi qu’« il serait paradoxal d’écarter du processus décisionnel celui qui, membre du tribunal et pour le compte de celui-ci a, en instruisant l’affaire, acquis sur elle la vue la plus complète et la plus pénétrante »[2040]. On s’étonne d’une telle réflexion car elle contredit totalement la conception pénale de l’impartialité. Le juge d’instruction ne peut faire partie de la juridiction de jugement en raison de la connaissance qu’il détient du dossier et du préjugé qui en résulte. Il s’agit là d’une atteinte à l’impartialité. Alors qu’en matière pénale, le cumul des fonctions est signe de partialité, dans le contentieux civil, il est gage d’expérience et de qualité. Les deux arguments apparaissent aussi légitimes. Ce qui l’est moins, c’est le manque de cohérence du droit processuel vis-à-vis du principe de la séparation des fonctions. Si l’une des deux propositions (impartialité ou connaissance du dossier) doit primer sur l’autre, il faut en généraliser la mise en œuvre par l’adoption ou le rejet commun d’un principe.
Une autre divergence apparaît entre les contentieux à travers une disposition technique. Elle est pourtant révélatrice de la distinction qui demeure en droit processuel privé. Si une partie détient des éléments de preuve mais ne les produit pas dans le procès civil, il est possible de se référer à l’article 10 du Code civil🏛 selon lequel « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité / Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts ». Cette disposition pourrait être conçue comme corollaire au principe du contradictoire. Une telle interprétation doit être rejetée. La généralité des termes de l’article vise non seulement les parties, mais aussi les tiers à la procédure. La jurisprudence décide que le concours visé à l’article 10 doit être apporté au juge et non aux parties[2041].
La divergence avec la procédure pénale réside dans le fait que les parties au procès civil peuvent être contraintes de produire un élément de preuve en justice ou de révéler un fait dont elles ont la connaissance[2042]. Une telle obligation est inexistante dans le procès pénal. Si le juge peut astreindre les témoins à déposer, cette obligation ne concerne pas la personne poursuivie. Cette dernière possède le droit de garder le silence[2043] ou de retenir les preuves qu’elle détient et qui ne seront pas découvertes par les agents chargés des poursuites et de l’instruction.
Cette différence entre le sort de la personne poursuivie et celui des parties au procès civil évoque l’esprit de chacune de ces procédures. Le procès pénal, bien qu’il sollicite de façon croissante toutes les parties, demeure une procès conflictuel. D’un coté, il semble que la personne poursuivie bénéficie d’une certaine protection. Celle-ci est notamment dispensée de l’obligation de contribuer à la manifestation de la vérité. D’un autre coté, l’institution judiciaire doit se montrer irréprochable. Les magistrats chargés de conduire les différentes phases de la procédure doivent être constamment renouvelés. Telle est l’objectif poursuivi par la séparation des fonctions.
La philosophie du procès civil diverge légèrement de celle du procès pénal. Les parties ne sont pas protégées mais doivent au contraire coopérer ensemble à la manifestation de la vérité. De même, on attend du juge qu’il connaisse parfaitement le dossier, si nécessaire en faisant siéger un magistrat instructeur dans la juridiction de jugement.
Ces différences ne doivent par faire perdre de vue que les procès civil et pénal poursuivent des objectifs quasiment identiques. Ils suivent des procédures qui, dans leurs traits essentiels, sont étroitement liées. Si le procès pénal apparaît parfois plus conflictuel et le procès civil plus contractuel, c’est incontestablement en raison de la fonction répressive du premier[2044]. Il ne s’agit pas d’une frontière très nette, mais qui souligne tout de même que l’action des principes n’aboutit pas à unir parfaitement les deux aspects d’un même droit processuel.
L’action des principes directeurs dans le système normatif processuel révèle le particularisme de ces principes. De par leurs origines téléologiques et leur autorité normative, ceux-ci organisent le système processuel dans son entier. Ils jouent un rôle considérable dans le développement du droit écrit. Le juge les utilise dans son œuvre d’interprétation mais encore lorsqu’il s’agit de corriger les imperfection des règles textuelles. Toutefois ce particularisme doit être nuancé au regard de l’action des principes directeurs sur le déroulement du procès judiciaire.
Malgré leur particularisme, les principes directeurs ne connaissent pas de sanction procédurale qui leur soit propre. Il faut donc rechercher, à travers la très grande diversité des sanctions, la manifestation des principes. Leur action s’inscrit dans l’esprit procédural en ce qu’elle impose un formalisme et des contraintes relativement aux actes effectués au cours du procès (chapitre 1). Les principes s’intéressent aussi à ceux qui conduisent le procès. Les différents acteurs de la procédure bénéficient de l’action des principes ou en subissent les effets (chapitre 2).
Section 1 : Les principes directeurs du procès judiciaire, fondements de la sanction procédurale
§ 1 : Les relations entre les principes directeurs du procès judiciaire et les actes de procédure
A) La relation certaine entre les principes directeurs du procès judiciaire et les actes de procédure
Ces principes définissent non les formes, mais les conditions dans lesquelles les preuves doivent avoir été réunies. Les principes ne déterminent donc pas seulement le formalisme de l’acte de procédure, mais aussi le processus qui doit conduire l’acte à produire ses effets. Un magistrat ne peut tenir compte dans sa décision d’un élément qui n’a pas été soumis à l’audience à la contradiction. Le processus prescrit par le principe du contradictoire est une condition de la validité du jugement. Il en est de même des délibérés qui doivent avoir lieu dans le secret pour que le jugement ne soit pas annulé en raison d’un vice de procédure.
D’autres principes sont attachés aux acteurs du procès mais sanctionnent les actes pris par ces personnes. Tel est le cas du principe d’impartialité et de l’un de ses corollaires, la séparation des fonctions. Si un magistrat instructeur siège pour la même affaire dans la juridiction de jugement, la décision prise par cette juridiction sera sanctionnée. Le principe ne définit aucune règle quant à l’acte mais la procédure est viciée car l’un des magistrats qui officie a transgressé le principe de séparation des fonctions.
Une telle application du principe de célérité est assurément trop restrictive. On pense en premier lieu aux délais qui jalonnent tout le procès, de la prescription de l’action jusqu’à celle de la sentence[2054]. Ces délais sont tous indirectement justifiés par la nécessité d’une procédure diligente. De plus, si l’on tient compte de l’inclusion du principe de célérité dans celui du droit au juge, on constate que l’atteinte à ces principes peut conduire à la remise en cause d’actes procéduraux. Dans le procès pénal, le Tribunal correctionnel a la faculté de surseoir à statuer sur l’action civile après avoir constaté la culpabilité du prévenu et s’être prononcé sur la peine. La chambre criminelle a décidé que le sursis ne peut être prononcé pour une durée indéterminée. Un sursis de trois ans doit être assimilé à un sursis indéterminé[2055]. La personne lésée par une telle atteinte au principe de célérité peut former un appel contre la décision de sursis. Pour plus de rapidité, la Cour d’appel qui annule le sursis doit évoquer et statuer au fond sans renvoyer l’affaire devant les premiers juges[2056]. La violation du principe de célérité du fait de l’indétermination du sursis ou de la lenteur de la procédure (sursis de trois ans) emporte nécessairement une atteinte au droit au juge. La sanction procédurale s’abat sur la décision juridictionnelle qui a prononcé le sursis. La Cour de cassation est donc partagée entre deux attitudes. La première consiste à refuser l’annulation d’une procédure en raison de sa lenteur. Une telle sanction est très dangereuse et risque de remettre en cause le fonctionnement de l’institution judiciaire. La seconde vise à instaurer des sanctions procédurales qui ne remettent pas en cause la continuité du procès. Tel est le cas de l’annulation du jugement qui sursoit à statuer lorsque la Cour d’appel évoque au fond et rend une décision qui rétablit le cours du procès.
Autre principe qui entretient une relation étroite avec les actes mais dont la sanction ne porte par normalement sur ces actes : celui du secret de la mise en état. Ce principe est avant tout couvert par le secret professionnel des magistrats et policiers qui concourent à la procédure. La sanction est donc d’abord une sanction professionnelle. En 1984 la Cour de cassation affirme qu’« en l’état de la législation, le secret de l’instruction ne peut être sanctionné par aucune nullité »[2057]. Elle a confirmé cette solution en 1996 en considérant que « la violation du secret de l’instruction ne peut entraîner la nullité de la procédure dès lors que ce manquement est extérieur à celle-ci, mais peut seulement ouvrir droit pour celui qui s’en prétend au recours prévu par l’article 9-1 C.civ. »[2058]. L’atteinte à la présomption d’innocence due à la violation du secret peut donc être sanctionnée par une action en réparation. La nullité ne devrait pas frapper la violation du secret de l’instruction. Une telle solution semble s’imposer. L’atteinte au principe est si aisée et si courante que la sanction procédurale anéantirait de très nombreuses poursuites. Pour cette raison, il est surprenant de constater que la chambre criminelle a développé une jurisprudence limitée qui utilise la nullité en matière de secret de la mise en état. Elle a établi une distinction entre la violation du secret concomitante et postérieure à la réalisation de l’acte d’enquête ou d’instruction. Dans le cadre de poursuites engagées pour trafic de stupéfiant, un juge d’instruction avait autorisé des journalistes à filmer certains actes et notamment le placement en garde à vue de deux individus. Les personnes mises en examen par la suite demandèrent la nullité des actes qui avaient été filmés, pour atteinte à la présomption d’innocence, au secret de l’instruction et aux droits de la défense. Dans un arrêt du 25 janvier 1996[2059], la Cour de cassation a décidé que la violation du secret de l’instruction peut entraîner la nullité des actes si elle est accomplie concomitamment à ceux-ci et à condition qu’il en soit résulté une atteinte aux intérêts des parties concernées. On pourrait justifier cette solution par l’existence d’une violation des droits de la défense qui permettrait à elle seule la sanction de l’acte. Pourtant, l’un des commentateurs de l’arrêt explique que l’atteinte au secret de l’instruction concomitante à la réalisation de l’acte « constitue alors une irrégularité qui affecte les conditions d’existence du ou des actes concernés »[2060]. Le principe est par lui-même générateur d’une sanction procédurale. Tel n’est pas le cas de tous les principes. Certains n’entretiennent qu’une relation distante, voire incertaine avec les actes procéduraux.
B) La relation incertaine entre les principes directeurs du procès judiciaire et les actes de procédure
Un principe peut viser non l’action mais simplement l’acteur. Tel est le cas du principe de la liberté d’aller et de venir. Ce principe protège dans le procès pénal, la personne poursuivie mais encore toutes celles qui sont susceptibles d’être entendues dans le cadre de la procédure[2061]. La liberté d’aller et de venir inspire la législation sur la garde à vue, le contrôle judiciaire et la détention provisoire. En théorie, les seuls actes procéduraux qui peuvent être atteints par le principe sont ceux qui en limitent l’exercice. Tel est le cas d’une ordonnance de placement ou de prolongation de la détention provisoire. Cependant, la liberté d’aller et de venir n’est pas directement utilisée pour sanctionner de telles mesures. D’autres principes en assurent la protection procédurale. La contradiction est l’un des éléments essentiels du processus qui doit aboutir à la détention provisoire. Avant l’interrogatoire au cours duquel doit être débattue la question de la détention du mis en examen, le dossier doit être placé à la disposition de son avocat. La violation de cette obligation porte atteinte au principe du contradictoire et cause un grief à la personne poursuivie. L’acte qui ordonne la prolongation de la détention doit être annulé[2062]. La motivation est encore un principe qui permet à la liberté d’aller et de venir d’avoir une incidence sur l’acte procédural. La loi du 30 décembre 1993🏛 a institué une motivation spéciale lors de la prolongation de la détention au-delà du délai d’un an. Un tel acte doit comporter des motifs qui justifient la poursuite de l’instruction et le délai prévisible d’achèvement. Faute de répondre à ces exigences, l’arrêt qui confirme la prolongation d’une détention en matière criminelle au-delà d’un an doit être cassé[2063].
Le principe de liberté vise à protéger les acteurs du procès. Dans le cadre de cette fonction, il permet au juge de contrôler les actes qui mettent en cause cette liberté. Son action peut passer par l’intermédiaire de principes protecteurs (contradictoire, motivation) mais la liberté d’aller et de venir agit aussi par l’intermédiaire de règles techniques qui définissent notamment les délais des mesures de privation de liberté (garde à vue, détention provisoire). On constate cependant que la relation entre le principe de liberté et les actes procéduraux ne se limite pas à la question de la liberté. Dans une espèce, une personne avait été placée successivement en garde à vue durant l’enquête préliminaire puis durant l’instruction. Le cumul de durée des deux placements dépassait les 48 heures légales. La chambre d’accusation saisie par le juge d’instruction a refusé d’annuler des actes de la procédure au double motif que le cumul des gardes à vue était licite et qu’aucun grief n’avait été subi par la personne concernée. La chambre criminelle a décidé au contraire que le dépassement du délai de garde à vue « constitue par lui-même une atteinte aux intérêts de la personne concernée »[2064]. Elle censure la solution des juges du second degré qui avaient refusé d’annuler des actes procéduraux. Le principe de liberté qui limite le temps de la garde à vue est donc à l’origine de l’annulation de pièces de la procédure alors que son but initial est simplement de limiter la durée des atteintes à la liberté de la personne poursuivie.
La présomption d’innocence ne s’inscrit pas dans la perspective du formalisme procédural. Elle consiste d’abord dans une règle relative à la charge de la preuve. Durant la phase de mise en état, elle n’est pas censée donner lieu à des sanctions procédurales. Dans son aspect fondamental, ce principe protège la personne poursuivie en mettant à sa disposition des actions en responsabilité. Il existe pourtant des hypothèses singulières dans lesquelles la présomption d’innocence va conduire à vicier un acte de procédure. Un premier exemple peut être tiré d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu à propos du contrôle des procédures de sanction de la Commission des opérations de bourse. Après une enquête à l’occasion de la fusion entre deux sociétés, la COB avait publié, en vue de l’information du public, un communiqué qui faisait état d’une procédure de sanction ouverte par la Commission et de la transmission du dossier au parquet. La Cour d’appel saisie d’un recours à l’encontre des sanctions prononcées par la COB a décidé que cette autorité ne pouvait « sans porter atteinte aux garanties de la défense et à la présomption d’innocence, publier (…) un communiqué tenant pour acquis à la suite de l’enquête à laquelle elle avait fait procéder, les faits énoncés dans les griefs qu’elle avait notifiés quatre jours plus tôt à l’intéressé »[2065]. Elle poursuit en décidant que « cette violation de principes à valeur constitutionnelle entache de nullité la décision (…) qui pour les mêmes faits a infligé à l’intéressé une sanction pécuniaire ». L’effet de l’atteinte à la présomption d’innocence est très important car c’est toute la procédure devant la COB qui est anéantie. La question se pose de savoir si cette sanction est appropriée. En effet, bien qu’aucune condamnation pénale n’ait eu lieu, on peut considérer que la décision prise par l’autorité administrative indépendante repose sur une culpabilité avérée. La censure de la Cour d’appel aurait dû porter sur la question de la culpabilité. Or il n’en est rien. La juridiction se fonde sur une atteinte à l’honneur protégée par la présomption d’innocence pour sanctionner un acte procédural. Elle établit une relation procédurale entre le principe et l’acte alors qu’une action en indemnisation aurait été plus judicieuse.
Un autre type de relation entre la présomption d’innocence et un acte de procédure a été introduit par la loi du 15 juin 2000🏛. L’article 80-1 du Code de procédure pénale🏛 dans la rédaction issue de cette loi dispose qu’« à peine de nullité, le juge d’instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ». Cette condition nouvelle posée à la mise en examen est inspirée par le respect de la présomption d’innocence en tant que droit fondamental. C’est pour ne pas porter atteinte inutilement à l’honneur d’une personne contre laquelle il n’existe aucune charge que la voie de la mise en examen est interdite à peine de nullité. La protection de l’honneur de la personne passe donc par la nullité d’un acte procédural[2066]. L’effet de cette annulation n’entrave pas la conduite de l’information. Seules les mesures attentatoires à la liberté sont interdites à l’encontre de la personne poursuivie[2067].
Conformément à la circulaire, la chambre criminelle distingue dans la recherche des preuves, celles qui sont réunies par les organes publics de la mise en état (officiers de police judiciaire, juge d’instruction, Procureur de la République) et celles qui sont apportées par les parties privées. La recevabilité des preuves produites par ces personnes privées n’est pas soumise aux principes qui déterminent la validité des actes. Seule leur force probante doit être appréciée. Cette solution ne trouve pas de confirmation dans la jurisprudence civile. La deuxième chambre civile considère en effet que « les lettres missives, reçues d’une tierce personne par l’un des époux, ne peuvent être produites contre celui-ci à l’appui d’une demande en divorce, si le conjoint qui les invoque ne se les ait procurés, même au domicile conjugal, que par un artifice coupable, une fraude ou un abus »[2071]. Le moyen de preuve apporté par l’une des parties est donc contrôlé au regard du principe de loyauté par le juge civil. Il ne prend pas la qualité d’un acte de procédure, mais une sanction autre que la nullité peut lui être appliquée : l’irrecevabilité. Le principe trouve avec cette sanction une certaine efficacité[2072].
La relation entre les principes et les actes procéduraux est donc à la fois riche et complexe. D’une part, les principes qui visent principalement les acteurs ou l’action peuvent aussi déterminer la validité des actes ; d’autre part, leur action s’étend au-delà des actes pour s’exercer sur l’ensemble des éléments de la procédure. La multiplicité des relations qu’entretiennent les principes avec la procédure ouvre largement la voie de la sanction procédurale.
§ 2 : Les sanctions qui assortissent l’action des principes directeurs sur les actes de procédure
A) La nullité sanction de droit commun
Les nullités de forme au sens de l’article 114 du nouveau Code de procédure civile sont celles qui sont prévues dans un texte ou qui sanctionnent l’inaccomplissement d’une formalité substantielle ou d’ordre public. Le champ de l’article 114 est donc largement ouvert à toutes les formes d’irrégularité, le caractère substantiel d’une disposition étant « attaché dans un acte de procédure à ce qui tient à sa raison d’être et lui est indispensable pour remplir son objet »[2080]. La formalité substantielle peut tenir d’un formalisme étranger à l’application des principes. Ces derniers transparaissent cependant dans la jurisprudence. A ainsi été déclarée nulle, l’assignation devant le Tribunal de commerce qui ne respectait pas le délai minimum de comparution en ce qu’elle avait empêché le défendeur d’organiser sa défense[2081]. Concernant les nullités textuelles, on retrouve les principes directeurs applicables à l’audience et au jugement. Tel est le cas de la publicité des débats[2082] ou encore de la motivation du jugement[2083].
Quelques nullités textuelles demeurent dans le Code. Il s’agit de dispositions techniques dont certaines sont inspirées par le respect de la liberté individuelle[2087] ou encore de l’intimité de la vie privée[2088]. Quant aux nullités substantielles, elles peuvent être attachées à des dispositions impliquées par des principes. L’article 77 al 1 du Code de procédure pénale faisait obligation à un officier de police judiciaire qui place une personne en garde à vue d’en informer dans les meilleurs délais le Procureur de la République[2089]. Cette règle découle de l’article 41 al 3 selon lequel « le Procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue ». Les deux dispositions sont des règles techniques inspirées par le principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. L’information de l’autorité judiciaire lorsqu’une mesure porte atteinte à une liberté est donc une formalité substantielle. La Cour de cassation a décidé que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée »[2090]. Le manquement au devoir d’information est donc sanctionné par la nullité de la garde à vue. Des nullités substantielles sont aussi attachées aux règles qui gouvernent l’audience. Les débats devant la Cour d’assises sont régis notamment par l’article 379 du Code de procédure pénale🏛 selon lequel « …il n’est fait mention au procès-verbal, ni des réponses des accusés ni du contenu des dépositions… ». Cette règle est l’expression du principe d’oralité des débats. Elle était prescrite à peine de nullité dans l’article 372 du Code d’instruction criminelle. La Cour de cassation en a fait une formalité substantielle d’ordre public qui s’applique notamment à toutes les déclarations en relation avec la culpabilité[2091].
Les principes directeurs trouvent donc une place légitime dans le droit des nullités. Leur action est souvent indirecte. Dans de très nombreuses hypothèses, ce sont les dispositions techniques dont ils inspirent la création qui prescrivent des contraintes de forme à peine de nullité. Le rayonnement des principes est important en ce qu’il permet de sanctionner l’ensemble des actes procéduraux que ce soient les actes de la mise en état ou encore les décisions juridictionnelles. Cette action ne se réduit pas aux cas de nullité et les principes sont présents dans de très nombreuses autres sanctions procédurales.
B) Les autres sanctions procédurales
Cette sanction s’attache principalement à l’acte introductif d’instance, mais elle peut aussi porter sur des mesures provisoires, conservatoires ou encore sur la désignation d’un expert. Elle peut intervenir par exemple dans une procédure sans représentation obligatoire[2093]. Le fait pour le demandeur de ne pas comparaître alors même qu’il a lancé une assignation entraîne pour lui le risque de voir son assignation déclarée caduque. L’article 468 al 2 du nouveau Code de procédure civile laisse au juge la faculté de prononcer cette sanction même d’office. La citation à comparaître encourt la même sanction lorsque le demandeur a comparu mais s’est abstenu d’accomplir les actes de procédure dans les délais requis[2094]. La caducité est en général laissée à l’appréciation du juge qui peut aussi décider de rendre une décision au fond malgré la carence du demandeur ou de renvoyer l’audience. Elle apparaît avant tout comme la sanction d’une attitude négligente de la part de celui qui a exercé initialement l’action. La situation peut présenter une plus grande complexité lorsque les deux parties à l’instance sont ensemble demanderesses. C’est le cas d’une demande de divorce sur requête conjointe[2095]. Après une première convocation devant le juge, les époux qui souhaitent divorcer doivent attendre un délai de réflexion de trois mois pour présenter une nouvelle demande. Si aucun renouvellement de la requête n’est formé dans les six mois, la demande conjointe est déclarée caduque et la procédure de divorce est anéantie[2096].
La caducité est inspirée par l’idée que ce sont les parties qui conduisent l’instance. C’est le principe de coopération au procès qui est mis en avant dans l’exercice de cette sanction. Le ou les demandeurs à l’action ne peuvent se contenter de prendre l’initiative du procès et charger l’institution judiciaire de son déroulement. Chaque partie doit être active et si la défaillance du défendeur peut être un temps tolérée[2097], celle du demandeur ne peut bénéficier de la même clémence. La sanction réside dans la perte du bénéfice de la procédure engagée. Son droit d’action demeure, sous réserve de la prescription. Le principe de coopération s’associe dans ce type d’action avec celui de célérité. Ensemble, ils ont pour objectif d’inciter les parties à s’associer au déroulement du procès pour accomplir leur mission avec diligence.
D’autres sanctions vont avoir des effets similaires ou atténués. La radiation est définie à l’article 381 du nouveau Code de procédure civile comme la sanction du défaut de diligence des parties. Elle emporte le retrait de l’affaire du rôle de la juridiction. L’article 470 du même Code laisse au juge la possibilité de radier une affaire lorsqu’aucune des parties n’accomplit les actes qui lui incombent dans les délais requis. Cette décision purement discrétionnaire est insusceptible de recours. Elle n’entraîne pas l’anéantissement de la procédure mais retarde simplement l’issue du procès. Parallèlement, elle permet à la juridiction d’alléger son rôle et de servir un peu mieux le principe de célérité.
Le danger pour les parties ne provient pas directement de la radiation mais de la sanction qui peut la suivre : la péremption d’instance. « L’instance est périmée », selon l’article 386 du nouveau Code « lorsque aucune partie n’accomplit de diligence pendant deux ans ». La péremption d’instance est qualifiée comme « la sanction suprême de la négligence des parties »[2098]. Le délai de péremption court du jour de la dernière diligence. Elle n’est pas suspendue par la radiation de l’affaire et emporte l’extinction de l’instance[2099]. L’action n’est pas éteinte mais les actes qui ont été accomplis sont périmés et ne peuvent plus être opposés. La portée de cette sanction est importante car ses effets peuvent s’étendre au droit substantiel. L’acte introductif d’instance étant périmé, il ne peut faire courir les intérêts moratoires[2100].
Coopération et célérité sont créateurs d’obligations pour les parties. La protection de ces deux principes donne lieu à une diversité de sanctions qui ont une fonction de persuasion ou d’intimidation. Les parties peuvent voir leurs minces efforts procéduraux détruits par leur inaction. Cette négligence peut avoir à terme, des incidences sur leurs droits substantiels et procéduraux (prescription de l’action, perte des intérêts).
Les principes peuvent conduire au rejet de plusieurs actes. Tel est le cas de la clôture de la phase préparatoire qui rend impossible tout déploiement du débat procédural. Les principes de célérité et de coopération veulent que le juge détienne le pouvoir de prononcer une ordonnance de clôture[2104]. Après cette ordonnance, aucune conclusion ne peut être déposée et aucune pièce ne peut être produite aux débats sous peine d’irrecevabilité que la juridiction doit prononcer d’office[2105]. La clôture de la phase préparatoire a donc pour effet de rendre irrecevable toute pièce déposée après la date fixée par l’ordonnance.
Un principe vient modifier l’application de cette règle : celui du contradictoire. Il concerne d’abord le sort des conclusions ou pièces déposées peu de temps avant la clôture de la phase préparatoire. Ce dépôt tardif empêche la partie adverse de produire des conclusions en réponse. Le juge a le choix entre une sanction négative et l’autre positive. La première consiste à évincer des débats les conclusions qui, déposées trop tard, n’ont pas permis un débat contradictoire[2106]. Concernant les pièces, l’article 135 du nouveau Code de procédure civile permet au juge d’« écarter des débats les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile »[2107]. Le principe du contradictoire est respecté mais certains éléments ou arguments risquent de manquer et d’appauvrir le débat. La seconde méthode consiste dans le rétablissement du contradictoire en reportant la date de la clôture ou encore en révoquant cette ordonnance sous certaines conditions[2108]. On constate ici que l’utilisation d’une sanction négative, tel que le rejet d’un acte, n’est pas le seul moyen de protéger la contradiction. La réouverture de la phase préparatoire enrichit le débat contradictoire. Cette mesure doit pourtant se concilier avec l’impératif de célérité.
En procédure pénale, ce principe prend une ampleur grandissante. La conduite de l’instruction est, dans la loi du 15 juin 2000🏛, soumise à des délais. L’instruction ne doit pas dépasser douze mois en matière correctionnelle et dix-huit mois en matière criminelle. Si le juge d’instruction estime ces délais trop longs, il peut prendre l’initiative de prévoir un délai inférieur[2109]. Ces dispositions permettent à la personne mise en examen, au témoin assisté ou à la partie civile de demander à l’issue de l’écoulement du délai, la clôture de l’instruction, le renvoi devant la juridiction de jugement, la transmission du dossier au Procureur général en vue de saisir la chambre de l’instruction ou encore que le magistrat déclare qu’il n’y a pas lieu à poursuivre. Si le juge d’instruction souhaite continuer l’information, il doit répondre à cette requête par une ordonnance motivée susceptible d’appel devant la chambre de l’instruction. Si l’information se poursuit, la demande des parties privées peut être renouvelée dans les six mois. Si le juge ou la chambre de l’instruction fait droit à la demande, l’information est close et aucun acte ne peut plus être effectué[2110].
Cette procédure met en cause les mêmes principes qu’en matière civile mais elle inverse le processus sanctionnateur. Les principes en jeu sont bien la célérité et la coopération mais ce n’est pas le juge qui incite les parties à accélérer le cours de la procédure. Ce sont les parties privées qui contraignent le juge d’instruction à mettre fin à la mise en état. La sanction peut être conséquente. Si le juge ne détient pas suffisamment d’éléments à charge à l’issue des délais qui lui sont accordés, le non-lieu s’impose faute de temps et non faute de culpabilité. L’action sanctionnatrice des principes peut parfois nuire à la révélation de la vérité.
Pour les jugements rendus à l’étranger, le juge judiciaire contrôle la régularité de la décision étrangère au regard de la compétence du juge étranger, de la loi dont il a fait application, de la conformité de la décision avec l’ordre public et de l’absence de fraude à la loi[2111]. C’est notamment dans le cadre de la confrontation de la décision étrangère avec l’ordre public que le juge français va utiliser les principes directeurs. La Cour de cassation a pu viser le principe d’impartialité pour censurer une décision qui accordait l’exequatur à un jugement étranger alors même que le juge qui en était l’auteur avait été dessaisi pour suspicion légitime[2112]. Si la décision étrangère possède une force exécutoire intrinsèque, le juge français peut lui refuser son autorité après avoir constaté qu’elle a été rendue en violation des droits de la défense[2113].
La décision arbitrale est soumise, pour son exécution, à la même procédure. Le juge judiciaire ne contrôle pas la sentence au fond mais il vérifie sa conformité avec l’ordre public procédural. C’est dans ce cadre que la violation de certains principes procéduraux peut conduire le juge à refuser l’exequatur à la décision arbitrale. La sentence n’est pas nulle mais elle est privée de son effet. Il existe par ailleurs des recours qui permettent d’anéantir la sentence. Ces recours suspendent alors automatiquement la procédure d’exequatur[2114].
Les sanctions procédurales prennent donc des formes variées et les principes développent leur activité parmi nombre d’entre elles. L’action des principes ne se limite pourtant pas simplement à fonder l’irrégularité de l’acte qui n’en respecte pas les prescriptions. On s’aperçoit que la violation d’un principe ou d’une autre règle de procédure n’est pas toujours une condition suffisante pour obtenir une sanction procédurale. Dans certaines situations, une condition supplémentaire est posée.
Section 2 : Les principes directeurs du procès judiciaire, conditions de la sanction procédurale
A) La place du grief dans le droit processuel privé
En procédure pénale, au-delà de la distinction fondamentale entre nullités textuelles et substantielles, s’est établie une autre division entre nullités d’ordre public et d’intérêt privé. Le problème qui s’est posé était celui du croisement des deux typologies. Parmi les nullités textuelles, on trouvait des règles d’ordre public dont la violation entraînait systématiquement la nullité et d’autres purement privées nécessitant l’existence d’un grief. Dans la catégorie des formalités substantielles, les règles de compétence ou les « inculpations » tardives étaient considérées comme touchant à l’ordre public alors que celles touchant les droits de la défense relevaient de l’intérêt privé[2119]. Une telle distinction présentait un caractère arbitraire et l’on pouvait estimer que les dispositions concernant l’« inculpation » tardive concernaient au premier plan les droits de la défense. La loi du 6 août 1975 a tenté de mettre fin à ces distinctions en établissant dans l’article 802 du Code de procédure pénale🏛 que toutes les formalités textuelles ou substantielles de la procédure pénale, mises à part celles relatives à l’« inculpation » tardive, étaient soumises à l’exigence de la démonstration d’un grief. Comme en matière civile, la jurisprudence a interprété restrictivement l’article 802 en persistant dans la distinction entre nullités d’ordre public et d’intérêt privé. La situation a été encore modifiée par deux lois. La première du 4 janvier 1993 a décidé que les nullités textuelles excluaient l’exigence d’un grief. Son application fut brève et la loi du 24 août devait revenir au système antérieur. Les articles 171 et 802 du Code de procédure pénale🏛🏛 énoncent de concert qu’un acte ne peut être annulé que si la violation de la formalité substantielle ou textuelle a eu « pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne ». Le retour aux prescriptions de la loi de 1975 n’a pas eu pour effet de faire cesser les résistances jurisprudentielles. Il n’en reste pas moins que la notion même de grief entretient des liens étroits avec les principes directeurs.
B) Le lien entre le grief et les principes directeurs du procès judiciaire
a) Le grief et les intérêts de la partie qui s’en prévaut
Le grief peut résider dans la violation d’un autre principe. Tel est le cas lorsque le vice de l’acte n’a pas permis à son destinataire d’exercer le recours qui lui était ouvert dans les délais impartis[2126]. L’atteinte au principe du droit au recours est susceptible de causer un préjudice à la personne qui doit bénéficier de ce droit. La négation du droit au double degré de juridiction constitue encore une conséquence dommageable qui trouve sa source dans une irrégularité procédurale. La Cour de cassation a eu l’occasion de censurer un arrêt d’appel qui avait refusé de reconnaître la présence d’un grief alors que celui qui s’en prévalait « avait été (…) privé contre son gré du double degré de juridiction »[2127].
En procédure pénale, les droits de la défense étaient visés par l’article 172 du Code de procédure pénale🏛 concernant le régime des nullités. La liaison entre ce principe et la notion de grief a été mise en évidence par la jurisprudence. Dès l’adoption de la loi du 6 août 1975, la Cour de cassation a posé clairement la condition de grief pour un certain nombre de nullités. Elle l’a fait dans un arrêt du 18 mars 1976 qui constitue la première décision prise en application de la loi[2128]. La Cour de cassation rejette une demande d’annulation au motif qu’« il n’apparaît pas que la violation des formes qui aurait été ainsi commise ait eu ou ait pu avoir pour effet de porter atteinte aux intérêts du demandeur ». La doctrine en déduit que le préjudice résulte de l’atteinte aux droits de la défense[2129]. La chambre criminelle a suivi cette voie en refusant d’annuler l’interrogatoire irrégulier mené par des policiers qui n’avaient pas agi « dans le dessein de faire échec aux droits de la défense »[2130]. En revanche, elle a prononcé la nullité d’un rapport d’expertise dont le dépôt n’a pas respecté le délai de l’article 161 du Code de procédure pénale🏛 dès lors qu’il en résulte une atteinte aux droits de la défense[2131].
La Cour de cassation peut associer les droits de la défense à un autre principe. Elle a annulé des enregistrements clandestins effectués par un policier, de propos tenus spontanément sur le fondement implicite du principe de loyauté en décidant que « l’enregistrement effectué de manière clandestine par un policier agissant dans l’exercice de ses fonctions, des propos qui lui sont tenus, fût-ce spontanément, par une personne suspecte, élude les règles de procédure et compromet les droits de la défense, que la validité d’un tel procédé ne peut être admise »[2132]. Dans cet arrêt, la Cour de cassation utilise de concert le principe de loyauté et celui des droits de la défense. La violation du premier principe a pour conséquence de compromettre le respect du second. L’atteinte aux droits de la défense constitue le grief consécutif à la violation du principe de loyauté.
Que ce soit en procédure civile ou pénale, l’assimilation de la violation des droits de la défense avec l’existence du grief est incontestable. Les chambres civiles trouvent dans la violation d’autres principes tels que le droit au recours ou le double degré de juridiction, la cause d’un préjudice procédural, mais les droits de la défense ne sont pas exclus du processus de sanction. Leur présence résulte de l’inclusion des principes susénoncés dans celui des droits de la défense. Le droit au recours ou le double degré de juridiction sont des éléments du principe plus vaste des droits de la défense. La relation qui s’établit de principe dérivé à principe matriciel[2133] conduit la Cour de cassation à raisonner de la façon suivante : lorsqu’un principe dérivé est remis en cause par une irrégularité, l’atteinte se propage pour toucher le principe matriciel. La violation du droit au recours entraîne logiquement celle des droits de la défense. Le grief peut donc théoriquement résulter de la violation de tout principe inclus dans celui des droits de la défense.
Pour les principes qui ne sont pas contenus dans les droits de la défense, le grief ne découle pas nécessairement de leur violation. La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que l’« exécution incomplète d’un arrêt de huis clos qui n’affecte pas les droits de la défense ne saurait être critiquée par le demandeur »[2134]. De même, la violation du secret de l’instruction concomitante à l’accomplissement d’un acte ne peut entraîner son annulation que s’il en est résulté une atteinte aux intérêts d’une partie[2135]. Une forme différente de grief tient une place résiduelle en procédure pénale. Elle concerne la question de la recherche de la vérité.
b) Le grief et le vice dans la recherche de la vérité
La jurisprudence sur le vice dans la recherche de la vérité a été initiée par un arrêt du 17 mars 1960 selon lequel « les règles énoncées aux articles 63 et 64 du Code de procédure pénale🏛🏛 ne sont pas prescrites à peine de nullité (…), leur inobservation, si elle engage même au regard de la loi pénale la responsabilité personnelle des officiers de police judiciaire qui les auraient méconnues ne saurait, par elle-même, entraîner la nullité des actes de la procédure, lorsqu’il n’a pas été démontré que la recherche et l’établissement de la vérité s’en sont trouvés viciés fondamentalement »[2136].
Cette exigence du vice dans la recherche de la vérité a trouvé à s’appliquer lorsque la garde à vue était décidée pendant l’instruction en vertu d’une commission rogatoire[2137]. Puis elle s’est étendue aux irrégularités qui entachent les conditions du maintien en détention en vertu de l’article 145-1 du Code de procédure pénale🏛. Les formalités de l’article 127 du même Code prescrivent que la personne arrêtée à plus de deux cent kilomètres du siège du juge d’instruction qui a délivré le mandat doit être conduite dans les vingt-quatre heures devant le juge d’instruction ou devant le Procureur du lieu de l’arrestation. Cette disposition ne peut servir de fondement à la nullité d’un acte si « la recherche et l’établissement de la vérité ne s’en sont pas trouvés viciés fondamentalement, ni la défense mise dans l’impossibilité d’exercer ses droits devant la juridiction d’instruction »[2138].
L’exigence d’un vice dans la recherche de la vérité est inspirée par une conception restrictive de la notion de grief. Pour obtenir l’annulation d’une irrégularité, la partie qui s’en prévaut ne peut simplement démontrer que ses intérêts sont mis en cause par le vice procédural. Un seul préjudice est admis : celui qui consiste à déformer la vérité au détriment de l’une des parties. En application de ce critère, la Cour d’appel de Douai a ainsi pu décider que les aveux obtenus lors d’une garde à vue totalement irrégulière étaient susceptibles de vicier la vérité[2139]. En réalité, cette forme particulière du grief marque la progression du principe de loyauté dans la recherche de la preuve.
Dans un arrêt du 27 février 1996, la Cour de cassation constate que « l’interpellation de X… a procédé d’une machination de nature à déterminer ses agissements délictueux et que, par ce stratagème, qui a vicié la recherche et l’établissement de la vérité, il a été porté atteinte au principe de la loyauté des preuves »[2140]. Dans cette décision, la fonction du vice dans la recherche de la vérité a évolué. Ce grief sert non plus de condition sine qua non pour obtenir l’annulation d’un acte contraire à une disposition du Code, mais de fondement à la nullité d’un acte contraire au principe de loyauté. Le raisonnement est indiscutable. Dès lors que la recherche de la vérité a été entravée, déformée ou plus généralement viciée, les preuves qui en découlent ne peuvent être reçues et les actes qui transcrivent ces preuves doivent être annulés. La sanction s’est déplacée de la nullité d’une mesure restrictive de liberté (garde à vue, arrestation) vers les actes procéduraux les plus essentiels en ce qu’ils contiennent les preuves nécessaires à la condamnation.
Le vice dans la recherche de la vérité est donc un grief à part dans le droit des nullités. Utilisé à diverses fins dans la jurisprudence, il n’en marque pas moins la pénétration du principe de loyauté dans la procédure pénale.
La place des principes directeurs se dessine donc plus précisément avec l’exigence du grief dans la procédure des nullités. La violation d’une disposition textuelle ou substantielle est le fondement nécessaire mais insuffisant de l’annulation de l’acte. Une condition supplémentaire vient s’ajouter au mécanisme : celle du grief. Par ailleurs ce grief peut résulter de la violation d’un principe. Les principes directeurs apparaissent donc à deux niveaux différents : ils peuvent servir de fondement à la nullité, mais ils sont aussi au cœur du mécanisme d’annulation qui nécessite l’existence d’un grief. Si la charge de la preuve du grief pèse normalement sur la partie qui se prévaut de la nullité, il se peut que la violation d’un principe directeur permette de faire présumer son existence.
A) Les droits de la défense et la présomption du grief.
Dans certaines décisions, la Cour de cassation se contente de constater l’atteinte aux droits de la personne poursuivie. L’article 63-1 al 1 du Code de procédure pénale dispose que « toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire (…) des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3, et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévue par l’article 63 »[2146]. La notification des droits, dès le placement en garde à vue, est un aspect essentiel de l’exercice des droits de la défense dans la mesure où la personne ne bénéficie pas encore de la présence de son avocat. Dans une espèce de 1996, une personne avait été placée en garde à vue après avoir renversé un piéton alors qu’elle était en état d’ébriété. Après dégrisement, l’individu fut interrogé par deux fois avant que son placement en garde à vue ainsi que ses droits lui soient notifiés. La Cour de cassation a annulé le procès verbal d’audition au motif qu’« en différant le placement en garde à vue au-delà du temps nécessaire au dégrisement, les services de police ont méconnu les intérêts de X… et ont porté atteinte à ses droits »[2147]. L’analyse de cet arrêt pose encore des difficultés. La Cour de cassation a-t-elle posé une présomption de grief consécutive à la notification différée des droits ou constate-t-elle simplement en l’espèce que le préjudice est effectivement réalisé ? La juridiction suprême a eu l’occasion de répondre à cette interrogation quelques mois plus tard en déclarant que « tout retard injustifié dans la notification des droits porte nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne »[2148]. La présomption est donc établie avec certitude dans cette hypothèse[2149].
La Cour de cassation alterne donc entre l’utilisation d’une formule qui ne laisse pas de doute sur l’existence d’une présomption et un silence qui sollicite l’interprétation doctrinale. En procédure civile, elle a annulé une assignation déclarant la personne sans domicile alors que l’huissier n’avait pas recherché concrètement le domicile de cette personne, sans plus de précision concernant le grief[2150]. La doctrine a déduit de cette solution l’existence d’un grief présumé dans le silence de l’arrêt[2151].
L’équivoque de la construction jurisprudentielle de la présomption de grief est renforcée par les revirements de jurisprudence. L’article 57 du Code de procédure pénale🏛 prescrit à peine de nullité que les perquisitions doivent être faites en présence de la personne chez qui les opérations ont lieu. Dans une espèce en date de 1988, la Cour de cassation a pu annuler, en application de cet article, des perquisitions effectuées au domicile d’une personne absente en considérant que « la méconnaissance de ce texte porte nécessairement atteinte aux droits de la personne chez laquelle les perquisitions ont été effectuées »[2152]. En 1996, dans une espèce similaire, la Cour de cassation a décidé que la perquisition « n’a pas été de nature à porter atteinte aux intérêts du demandeur dès lors que ses épouse et maîtresse, (…) qu’aucun intérêt n’oppose (…) ont assisté aux investigations faites au domicile commun ». Elle a pu encore rejeter une demande d’annulation d’un procès verbal de perquisition qui n’avait pas été signé en soulignant que « le demandeur ne peut invoquer une quelconque atteinte à ses intérêts tirée de ce qu’il n’a pas signé le procès verbal de perquisition »[2153]. Le commentaire de cette décision a conduit logiquement à déduire que la Cour de cassation exigeait à présent la preuve d’un grief pour mettre en œuvre la nullité textuelle tirée de l’article 57 du Code de procédure pénale🏛[2154].
La présomption de grief est donc attachée à certaines règles de forme sans que l’on puisse déterminer les raisons exactes qui motivent cette présomption. La violation du principe des droits de la défense peut donner naissance à un double régime de grief prouvé ou au contraire présumé selon les dispositions violées. La situation se complique encore lorsque la jurisprudence institue des présomptions de grief en dehors de toute atteinte aux droits de la défense.
B) La présomption du grief et la protection de la liberté individuelle.
Le cumul entre une mesure de rétention douanière et une garde à vue a été une nouvelle fois sanctionné. La Cour de cassation a estimé que l’addition des deux mesures ne pouvait dépasser la durée de vingt-quatre heures sans l’autorisation d’un magistrat. « Le dépassement de ce délai constitue par lui-même une atteinte aux intérêts de la personne concernée »[2156].
Une telle solution s’impose à l’évidence. L’atteinte à la liberté d’aller et de venir que représente la garde à vue ne peut déborder le cadre légal. Elle se distingue nettement du droit procédural (information sur les charges et les droits, accès au dossier…) dont la méconnaissance peut théoriquement laisser intacte la possibilité de se défendre. La liberté est un droit qui dépasse largement le cadre du procès et il paraît difficile d’en subordonner le respect à l’exigence du grief. La Cour de cassation suit cette voie en faisant présumer le grief en cas d’atteinte au principe selon lequel l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Le problème a été soulevé par l’information du Procureur de la République prescrite par l’article 77 « dans les meilleurs délais ». Dans deux arrêts successifs, du 24 novembre 1998[2157] et du 29 février 2000[2158], elle a décidé à propos du devoir d’informer le ministère public que « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée ». La juridiction judiciaire s’est à ce titre conformée à la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 août 1993 selon laquelle les termes « meilleurs délais ne sauraient avoir pour portée de priver les magistrats concernés du pouvoir de contrôle qu’il leur appartient d’exercer » [2159]. De même, l’absence de motivation d’une autorisation de renouvellement de la garde à vue prescrite par l’article 77 al 2 du Code de procédure pénale a été jugée par la Cour de cassation comme portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne gardée à vue[2160]. Le commentateur de cette décision a d’ailleurs considéré, au regard de la jurisprudence de la chambre criminelle, que « la garde à vue comportant un dispositif protecteur des intérêts de la personne concernée, la Cour de cassation considère que toute violation des normes régissant ce dispositif porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne gardée à vue »[2161].
Dans les arrêts relatifs à la protection de la liberté individuelle, la présomption d’existence du grief n’est pas susceptible d’être remise en cause car c’est l’atteinte à la liberté qui est sanctionnée. En conséquence tout dépassement du délai de garde à vue ou retard dans l’information du Procureur de la République est de nature à restreindre la portée de ce droit. Peut-on encore parler de présomption à cet égard ? La relation qui s’établit entre l’atteinte à l’obligation d’information et le grief est indestructible. La Cour de cassation n’ouvre aucune possibilité de la remettre en cause.
Avec les décisions sur la protection de la liberté individuelle, on se rend compte de la pluralité des formes que peut prendre le grief. Il ne s’agit pas seulement d’un préjudice procédural, mais encore d’une atteinte à un droit fondamental. Il faut alors souligner la complexité de l’action des principes directeurs dans le déroulement du procès. L’action procédurale qui permet de sanctionner un acte n’est pas réservée aux seuls principes procéduraux. Les droits fondamentaux de l’individu s’inscrivent dans le mécanisme des nullités. On admettra en effet qu’une ordonnance de placement en détention provisoire puisse être annulée en raison de sa contradiction avec le principe de liberté[2162]. La remise en liberté de l’individu n’a pas d’incidence sur la validité des actes d’instruction. Lorsque le principe de liberté est utilisé pour sanctionner un dépassement de la durée d’une garde à vue ou l’absence de contrôle de l’autorité judiciaire sur une telle mesure, les conséquences peuvent être plus graves car la nullité va porter sur des actes d’enquête ou d’instruction. On retrouve ce phénomène lorsque la Cour de cassation décide d’annuler des actes procéduraux en raison de l’atteinte à la présomption d’innocence[2163].
Une telle solution peut paraître paradoxale. Elle souligne néanmoins la puissance de l’action de certains principes dans le champ procédural. Ce fait est d’autant plus marquant que dans les arrêts relatifs à la protection de la liberté individuelle, l’existence du grief semble irréfragablement présumée. En conséquence tout dépassement du délai de garde à vue ou retard dans l’information du Procureur de la République est de nature à restreindre la portée de ce droit. Une solution plus radicale encore consiste à évincer l’exigence du grief comme condition de la nullité.
Les articles 171 et 802 du Code de procédure pénale🏛🏛 ne se prononcent pas sur la question de l’ordre public. La Cour de cassation a ainsi pu développer une jurisprudence abondante qui utilise cette notion pour sanctionner un acte sur le simple constat de son irrégularité. Un auteur établit un parallèle entre l’ordre public et l’intérêt général[2165] ; un autre estime que les nullités d’ordre public « sont par hypothèse les plus graves »[2166] ; d’autres assimilent l’ordre public et « les principes fondamentaux, les règles essentielles à la validité de la procédure (…) l’ensemble des règles qui garantissent le bon fonctionnement du système répressif ou l’ensemble des intérêts généraux de la société »[2167]. De l’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation[2168] il ressort que les nullités d’ordre public peuvent être classées en trois catégories. Les premières sanctionnent les conditions d’exercice de l’action publique ; les deuxièmes corrigent les vices en matière d’organisation de la juridiction pénale ; les dernières garantissent le respect des principes fondamentaux de la procédure pénale[2169].
L’intérêt de relever une irrégularité d’ordre public est d’échapper à l’exigence du grief prévue notamment à l’article 802 du Code de procédure pénale🏛. La jurisprudence affirme clairement cette solution en décidant que l’article 802 ne saurait trouver application lorsqu’il s’agit d’appliquer une disposition d’ordre public[2170]. Dans un arrêt du 25 février 1980, la chambre criminelle précise encore que certaines dispositions de la loi du 29 juillet 1881 « tendent à garantir les droits de la défense et touchent à la protection de la liberté d’expression (…) qu’ainsi l’application des articles 565 et 802 (…) se (trouve) exclue »[2171].
La Cour de cassation opère donc une interprétation stricte de l’article 802 en écartant de son champ d’application les irrégularités qui remettent en cause l’ordre public processuel. Dans cet ordre public, on trouve un certain nombre de règles purement techniques qui concernent l’expertise, l’ordre et la composition des juridictions[2172]… mais aussi certains principes directeurs.
Il est effectivement étonnant de voir que le principe s’immisce partout dans le droit des nullités sans pour autant gouverner clairement leur mise en œuvre. Les droits de la défense servent de fondement à certaines nullités, ils constituent des griefs prouvés, présumés, ou peuvent entraîner une nullité d’ordre public. Ils sont présents à travers des règles techniques ou à travers d’autres principes.
La relation entre l’ordre public, les droits de la défense et d’autres principes n’est pas toujours aussi nette. Si certains principes, éléments des droits de la défense, sont globalement considérés comme faisant partie de l’ordre public, d’autres n’y sont intégrés que partiellement. De même on assiste à un mouvement jurisprudentiel qui tend à retirer le qualificatif d’ordre public à des principes pour lesquels une telle appartenance ne faisait aucun doute.
L’oralité des débats est un principe essentiel de la procédure de jugement. En jurisprudence, il est considéré comme un principe d’ordre public. Dans un arrêt du 31 mars 1965, la Cour de cassation affirmait clairement qu’« il est de principe qu’en Cour d’assises, le débat doit être oral ». Sur ce fondement, elle a cassé un arrêt qui refusait d’entendre un témoin qui avait été interrogé pendant l’instruction par les autorités de police et le juge d’instruction en affirmant que « la Cour a méconnu le principe du débat oral et porté atteinte aux droits de la défense »[2181]. La chambre criminelle ne vise par directement l’ordre public et la référence aux droits de la défense n’est pas, cette fois, éclairante. Il est difficile de savoir si la Cour pense que la violation des droits de la défense a causé un grief à la partie concernée ou au contraire, si par l’intermédiaire de ce principe, elle assimile l’oralité des débats à l’ordre public. Le silence de la juridiction suprême ne trompe pas le commentateur de l’arrêt selon lequel « le principe d’oralité des débats est d’ordre public et la Cour de cassation a toujours veillé strictement à son application »[2182]. Effectivement, d’autres arrêts sont plus nets à ce sujet. Par exemple cette décision du 27 octobre 1997 par laquelle la chambre criminelle affirme que « l’omission du rapport oral, formalité destinée à l’information de la juridiction saisie, n’entre pas dans les prévisions de l’article 802 C.pr.pén. et doit être sanctionnée par l’annulation de l’arrêt qui ne mentionne pas l’accomplissement de cette formalité »[2183].
Cet arrêt affirme clairement le caractère d’ordre public de l’oralité mais ne donne pas d’explication sur les fondements d’une telle solution. Dans l’arrêt de 1965, l’oralité semble appartenir à l’ordre public parce qu’elle protège les droits de la défense et permet à l’accusé de faire interroger un témoin oralement. Dans l’arrêt de 1997, l’oralité est d’ordre public car elle permet une bonne information de la juridiction, c’est à dire une bonne administration de la justice. Cette finalité se distingue de la protection des intérêts des parties. L’oralité garantit donc tout à la fois les droits des parties et les intérêts de la justice. L’ordre public qui assure une protection efficace de ce principe présente une polymorphie évidente. Un même principe trouve en son sein deux raisons différentes de s’inscrire dans le champ de l’ordre public.
La complexité demeure lorsque l’ordre public ne s’attache qu’à certaines règles qui mettent en œuvre un principe. Le double degré de juridiction en est une illustration. La Cour de cassation ne range pas de façon générale le double degré de juridiction parmi les règles d’ordre public. Elle déclare que les formes et les délais d’appel sont d’ordre public et attribue particulièrement ce caractère à la requête prévue à l’article 507 al 4 du Code de procédure pénale qui permet à l’appelant de demander au président de la chambre des appels correctionnels de déclarer immédiatement recevable sa demande[2184]. La Cour accorde donc la qualité d’ordre public à des règles qui encadrent et limitent le droit au double degré de juridiction (formes et délai de l’appel) mais aussi à d’autres qui tendent à la promotion de ce droit (requête en recevabilité immédiate)[2185]. Elle a aussi déclaré d’ordre public la règle de l’article 546 du Code de procédure pénale🏛 qui interdit l’exercice de l’appel contre certaines décisions rendues en matière contraventionnelle. Le double degré de juridiction connaît donc une intégration complexe dans la catégorie des règles d’ordre public. Le principe en lui-même ne possède pas cet attribut. En revanche certaines règles techniques qui en améliorent l’application ont cette qualité. A l’inverse, des règles qui en diminuent la portée peuvent aussi trouver leur place dans le domaine de l’ordre public. Il n’existe donc pas de relation uniforme et cohérente entre le principe et l’ordre public. Cette incohérence se retrouve dans l’évolution jurisprudentielle à propos du principe de publicité.
L’article 400 du Code de procédure pénale🏛 prescrit que les audiences sont publiques pour le jugement des délits. La Cour de cassation a déclaré de façon constante non seulement que la « publicité des débats est un principe essentiel de la procédure pénale »[2186] mais encore qu’il s’agit d’une « règle d’ordre public qui ne souffre d’exception que dans les cas déterminés par la loi »[2187]. Une telle solution s’impose et les juges du fond rappellent que « la publicité des débats dans la société démocratique relève de l’ordre public processuel, de nature à permettre d’éviter la suspicion sur l’impartialité des juges »[2188]. Pourtant, dans un arrêt récent, la Cour de cassation a opéré un revirement en décidant que la violation du principe de publicité des débats « ne doit pas entraîner l’annulation de la décision, dès lors qu’il n’est pas établi, ni même allégué, qu’elle ait porté atteinte aux intérêts du demandeur »[2189].
La situation bien établie d’un principe dans le domaine de l’ordre public est donc, en toute hypothèse et quel qu’en soit le bien fondé, soumise à l’aléa jurisprudentiel. Un tel phénomène trouve certainement une partie de son explication dans l’absence de définition de la notion même d’ordre public et dans les intérêts complémentaires ou contradictoires qui s’y trouvent protégés. Cet état de fait est d’autant plus regrettable que l’incidence de la qualification d’ordre public est essentielle dans le régime des nullités de la procédure pénale. A ce titre, l’exigence systématique du grief imposée par le nouveau Code de procédure civile pour sanctionner une nullité de forme peut paraître simpliste. Elle présente néanmoins le mérite non négligeable de fournir des solutions claires et uniformes.
L’utilisation de l’ordre public pour écarter l’exigence du grief n’est pas une technique très efficace de sanction des principes directeurs. Les relations qu’entretiennent ces deux catégories (règles d’ordre public et principes directeurs) présentent une telle diversité de situations qu’elles s’avèrent inadaptées à l’unification du système des principes directeurs autour d’un mécanisme de sanction cohérente. La présence des principes dans ce mécanisme se caractérise par une action essentielle dans la mise en œuvre des recours sanctionnateurs des irrégularités procédurales.
Section 3 : Les principes directeurs du procès judiciaire et la mise en œuvre de la sanction procédurale
§ 1 : Le droit au juge judiciaire français
A) Le recours procédural contre le jugement rendu à l’étranger
Le fait qu’une décision rendue à l’étranger puisse avoir des conséquences juridiques en France est de nature à causer un préjudice aux personnes à qui cette décision est opposable. Une telle situation n’est admissible que s’il existe une garantie que le procès mené à l’étranger l’ait été conformément aux principes fondamentaux de la procédure. Si aucune demande en vue d’obtenir l’exequatur n’est formulée, le contrôle procédural de l’acte est impossible. C’est pour cette raison que la jurisprudence a développé une action en inopposabilité ouverte aux personnes qui subissent les effets de la sentence étrangère. Cette action a été consacrée pour la première fois par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en 1948[2192]. La juridiction française avait alors accordé qu’un jugement de divorce prononcé à l’étranger soit déclaré inopposable à l’époux en France. L’action en inopposabilité est considérée comme symétrique à la demande d’exequatur car le juge français va exercer le même contrôle[2193]. Le juge contrôle la compétence de la juridiction et la loi applicable, mais il vérifie aussi que la procédure n’a pas été contraire à l’ordre public et « aux principes du droit international qui imposent la sauvegarde des droits de la défense »[2194]. La conformité de la décision étrangère avec le principe des droits de la défense est effectivement l’un des aspects essentiels du contrôle procédural exercé par le juge français. La Cour de cassation a ainsi pu casser un arrêt qui avait admis l’opposabilité d’un jugement rendu au Maroc, à l’encontre d’un marocain domicilié en France, en reprochant à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si (..) la procédure suivie devant les autorités marocaines permettait à chaque partie de faire valoir ses prétentions ou ses défenses »[2195].
Un autre moyen peut être mis en avant en application du principe fraus omnia corrumpit. La fraude peut provenir d’un détournement de la loi normalement applicable (fraude sur le fond du litige) mais elle peut encore consister dans la saisine d’un juge incompétent en créant frauduleusement les conditions de sa compétence (fraude au jugement)[2196].
Les principes directeurs interviennent donc à deux niveaux dans la mise en œuvre du recours en inopposabilité. D’une part, le droit au juge permet à la personne qui subit un préjudice du fait de la décision étrangère de demander un contrôle de la régularité de cette décision. D’autre part, le contrôle procédural opéré par le juge français s’effectue au regard des principes directeurs que sont les droits de la défense, et l’interdiction de la fraude. Tous les principes directeurs du procès judiciaire ne servent pas de fondement à l’inopposabilité et le recours au juge français n’ouvre le droit qu’à un contrôle superficiel de la décision étrangère.
L’explication de cet examen de surface peut se trouver dans l’idée que l’affaire ayant déjà été jugée, il peut donc paraître contestable de remettre en cause un jugement souverainement adopté à l’étranger. Il faut alors chercher un équilibre entre le contrôle des principes essentiels et le respect de la décision étrangère. Cet équilibre guide encore le contrôle de la régularité procédurale des sentences arbitrales.
B) Le recours procédural contre les sentences arbitrales
Les juridictions judiciaires ont pu développer une jurisprudence qui tend à assurer le respect des règles procédurales essentielles par les arbitres. Dès le 19ème siècle, elles ont déclaré l’appel recevable contre ces sentences malgré la renonciation conventionnelle[2199]. Cette recevabilité concerne les moyens fondés sur l’ordre public ou sur un excès de pouvoir résultant notamment du fait que les arbitres ont statué sans avoir donné aux parties le délai convenu pour présenter leur défense. Cette jurisprudence s’est maintenue au vingtième siècle et la Cour d’appel de Paris a pu déclarer que la renonciation à l’appel était sans effet lorsque le recours visait une irrégularité contraire à l’ordre public et se trouvait fondée « notamment sur des moyens tirés de la violation des droits de la défense »[2200].
Une réforme intervenue par deux décrets du 14 mai 1980🏛 et du 12 mai 1981 s’est inspirée de cette jurisprudence et a institué un recours approprié contre les sentences arbitrales fondé sur l’irrégularité de la décision : le recours en annulation. Le droit au recours est au centre de la réforme de l’arbitrage. L’esprit des changements alors opérés était de « toujours laisser ouverte une voie de contestation, mais une seule, à l’encontre de la décision prise par les arbitres »[2201]. Ainsi, la voie de l’appel est théoriquement ouverte contre les décisions des arbitres mais la pratique l’élude généralement. Lorsque l’appel est exclu par la convention, ou qu’il n’a pas été expressément prévu pour l’amiable composition[2202], les parties disposent alors d’un recours approprié visant à l’annulation de la sentence[2203]. Cette voie de recours est venue se substituer à l’appel-nullité créé en jurisprudence et à l’opposition à l’exequatur[2204]. Si le recours en annulation est une voie ordinaire, il n’en reste pas moins que son exercice est soumis à la réalisation d’une des conditions prévues par l’article 1484 du nouveau Code de procédure civile. Ces cas d’ouverture sont au nombre de six : l’arbitre a statué sans convention d’arbitrage ou sur convention nulle ou expirée ; le Tribunal a été irrégulièrement composé ou l’arbitre unique irrégulièrement désigné ; l’arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été conférée ; le principe de la contradiction n’a pas été respecté ; la sentence n’est pas motivée ; le nom, la signature des arbitres ou la date ne figurent pas sur l’acte ; l’arbitre a violé une règle d’ordre public.
Le recours en annulation est uniquement un processus de contrôle procédural. La jurisprudence a eu l’occasion de déclarer que la liste des conditions d’ouverture figurant à l’article 1484 était limitative et qu’une Cour d’appel n’avait pas à répondre à une argumentation concernant le fond de l’affaire[2205].
Ce recours procédural est donc une construction complexe autour des principes directeurs qui organisent les voies de recours. Ces principes ne sont pas les seuls à agir dans le mécanisme de contrôle d’une décision arbitrale. D’autres font partie des conditions de mise en œuvre de cette voie de recours. Ils sont apparents ou dissimulés.
L’arbitre doit se conformer à sa mission. Celle ci peut avoir été définie dans la convention d’arbitrage, mais le Code détermine aussi des obligations qui s’imposent à la juridiction arbitrale[2207]. Si les arbitres ne sont généralement pas tenus par les règles qui régissent le déroulement du procès judiciaire, l’article 1460 du nouveau Code de procédure civile précise que les « principes directeurs du procès énoncés aux articles 4 à 10, 11 al 1 et 13 à 21 sont toujours applicables dans l’instance arbitrale ». Les principes directeurs prévus dans les dispositions liminaires sont donc pour la plupart des causes d’ouverture de la voie d’annulation. Seuls certains aspects du principe de coopération ne s’appliquent pas à l’arbitrage en raison du particularisme de cette voie de recours. Tel est le cas de l’article 12 du nouveau Code qui fait obligation au juge de statuer conformément aux règles de droit alors que l’arbitre peut s’en dispenser s’il siège en amiable compositeur. Les principes relatifs aux droits de la défense[2208] s’imposent à l’arbitre de même que ceux qui règlent la charge de la preuve[2209]. Dans le cadre de sa mission, l’arbitre devra encore respecter certains principes. Celui du secret des délibérés est affirmé à l’article 1469 du nouveau Code. Ceux de l’indépendance et de l’impartialité peuvent encore servir de fondement au recours en annulation[2210].
L’obligation pour l’arbitre de se conformer à sa mission est donc un cas d’ouverture du recours en annulation qui occupe un domaine très vaste. Les principes y prennent place comme les règles essentielles que l’arbitre ne peut contourner. Par ailleurs, l’article 1484 prévoit spécialement l’action de deux principes dans la mise en œuvre du contrôle procédural de la décision arbitrale. Il s’agit du contradictoire et de la motivation.
Le principe du contradictoire, en raison de l’application combinée des articles 1484, 1460 et 16 du nouveau Code de procédure civile, oblige l’arbitre à faire respecter et respecter lui-même la contradiction. Il s’impose même si l’arbitre statue en amiable compositeur. Cette obligation était déjà sanctionnée avant l’entrée en vigueur des décrets de 1980 et1981[2211]. Elle soumet l’arbitre aux mêmes obligations que le juge.
Le principe de la motivation est un motif fréquent de recours en annulation. L’obligation de la motivation de la sentence arbitrale française est une règle d’ordre public et s’impose à chaque arbitre qu’il statue en droit ou en amiable compositeur. Le juge judiciaire sera amené à contrôler l’existence des motifs, leur pertinence et leur caractère non contradictoire[2212]. Ce contrôle demeure purement procédural puisque la Cour d’appel ne peut vérifier l’exactitude ou le bien fondé des motifs[2213].
Le dernier moyen d’annulation qui concerne les principes directeurs est celui de la violation par l’arbitre d’une règle d’ordre public. Au regard des principes, ce moyen fait double emploi puisqu’il sanctionne principalement la violation du principe de motivation pour les sentences rendues sous l’empire de la loi française et celui des droits de la défense aujourd’hui sanctionné la plupart du temps sous le visa du contradictoire[2214].
Les décisions des arbitres, comme celles qui sont rendues à l’étranger, n’échappent donc pas aux principes directeurs. Ces derniers justifient tout à la fois l’existence de mécanismes de contrôle par le juge français et les fondements juridiques qui permettent la mise en œuvre de ces processus. Le réexamen par le juge national prend parfois la forme d’un double degré de juridiction. Il s’agit là du principe qui gouverne le procédé de vérification des jugements rendus par le juge judiciaire en premier ressort.
§ 2 : Le droit au double degré de juridiction
L’appel comme voie de réformation va permettre de remettre en cause la chose qui a été jugée par les premiers juges pour qu’il soit à nouveau statué au fond. Le principe du double degré de juridiction en ce qu’il prescrit le double examen au fond est donc le fondement normatif de la voie d’appel[2217]. La mise en œuvre de ce recours est déterminé par l’esprit du principe et la manière dont il est conçu. Ainsi, la conception de l’appel voie de réformation a pu évoluer progressivement en procédure civile vers un appel voie d’achèvement du litige. Au-delà du double degré de juridiction, l’appel voie de réformation n’intéresse pas les principes directeurs. Le réexamen du fond de l’affaire est lié à des questions de fait et de droit substantiel. Les principes ont pour fonction de gouverner la procédure ; c’est donc l’appel voie d’annulation qui concerne avant tout l’action des principes. Si cette action se développe dans le mécanisme traditionnel de l’appel tel qu’il est prévu par les textes (A), on constate que les principes ont surtout permis d’étendre ce recours contre les textes (B).
A) L’appel, voie d’annulation en vertu d’un texte
En procédure pénale, un auteur fait remarquer que la doctrine se préoccupe peu de la question de l’annulation par la voie d’appel[2218]. La raison se trouve vraisemblablement dans le fait que l’attention de la doctrine pénaliste est focalisée sur la question des nullités de la mise en état. Il faut néanmoins souligner que, hors les cas où l’affaire fait l’objet d’une instruction, la Cour d’appel est compétente pour se prononcer sur les irrégularités qui ont pu affecter des actes d’enquête[2219]. Les pouvoirs de la Cour d’appel sont donc étendus en matière pénale. Ils portent tant sur la phase préliminaire que sur la décision des premiers juges. Ils pourront sanctionner le manquement du juge à l’obligation de motiver sa décision ou encore la négligence du Tribunal au regard du principe du droit au juge par le truchement du défaut de réponse à conclusions.
En procédure civile, l’appel-nullité remplit la même fonction. Il permet d’examiner la conformité de la procédure aux principes directeurs durant la phase préparatoire du procès, mais encore pendant l’audience, les délibérés et le prononcé de la sentence. La voie de l’appel ne marque pas pour autant la spécificité du contrôle vis-à-vis des principes directeurs. En réalité, c’est sur l’ensemble des règles procédurales que les juges du second degré vont se fonder pour valider ou censurer la procédure conduite antérieurement. Les principes peuvent néanmoins renforcer l’efficacité du recours quant à son effet suspensif. L’article 514 du nouveau Code de procédure civile permet au juge d’ordonner l’exécution provisoire de sa décision si celle-ci ne bénéficie pas d’une exécution provisoire de droit. Cette mesure peut porter gravement préjudice à la personne qui a été condamnée et, malgré son appel, doit exécuter la sentence. L’article 524 du même Code autorise donc le premier président de la Cour d’appel à arrêter cette exécution dans les cas limitativement énumérés[2220]. La jurisprudence a procédé à une interprétation extensive de cette disposition en autorisant l’arrêt de l’exécution provisoire en raison de la violation par les juges du premier degré de certains principes directeurs. Les juges du fond ont ainsi pu décider qu’il y avait lieu à arrêter l’exécution provisoire d’un jugement en cas de méconnaissance grossière des droits de la défense[2221], lorsqu’un magistrat qui a prononcé la décision n’a assisté ni aux débats, ni même participé aux délibérés[2222], lorsque le jugement n’est pas motivé[2223] ou que la mesure d’exécution provisoire ne l’est pas[2224]. Les principes directeurs, en permettant l’arrêt de l’exécution provisoire, soutiennent l’effet suspensif du double degré de juridiction et de la voie d’appel. Leur action a surtout servi à développer l’appel-nullité lorsque un texte exclut les recours.
B) L’appel, voie d’annulation contre un texte
L’ouverture d’un appel-nullité est subordonnée à l’existence d’un texte qui exclut l’appel sans qu’il ne soit possible d’utiliser une autre voie de recours[2226]. Parmi ces exclusions, certaines dispositions du Code du travail déclarent les jugements du Conseil des prud’hommes ordonnant la délivrance de certaines pièces non susceptibles d’appel[2227]. Ces interdictions sont aussi fréquentes dans le droit des procédures collectives[2228]. Dans cette matière, l’appel peut être totalement fermé ou encore réservé à certaines personnes. L’article 174 de la loi du 25 janvier 85 intégré dans le Code de commerce par l’ordonnance du 18 septembre 2000 aux articles 623-5 et 623-6 mentionne ainsi que l’appel de certains jugements est réservé au ministère public. L’interdiction de l’appel peut aussi être provisoire. Le nouveau Code de procédure civile dispose de façon générale dans son article 545 que l’appel des jugements qui ne tranchent pas une question de fond ne peut être formé indépendamment de celui contre le jugement qui tranche le litige au principal[2229].
Une autre condition est nécessaire à la mise en œuvre de l’appel-nullité : la décision attaquée doit être entachée d’un vice grave[2230]. Ce dernier peut consister dans le fait que les juges ont dépassé leur pouvoir. L’excès de pouvoir prend plusieurs formes et, dans le cadre de l’appel nullité, celle de la violation d’un principe. La Cour de cassation a considéré que l’injonction donnée à une autorité administrative par un Tribunal représentait un excès de pouvoir et méconnaissait le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire. Cette transgression du principe justifiait l’annulation de la sentence judiciaire[2231].
Indépendamment de l’excès de pouvoir, la violation d’un principe essentiel de la procédure est assimilée au vice grave. Dans une décision du 30 mars 1993[2232] la chambre commerciale affirmait qu’« aucune disposition ne peut interdire de faire constater, selon les voies de recours du droit commun, la nullité d’une décision rendue en violation d’un principe essentiel de procédure ». Parmi les nombreux arrêts de la juridiction de cassation ou des juges du fond qui retiennent cette formule, on a pu relever comme moyens d’annulation, le principe du contradictoire[2233] ou plus généralement celui des droits de la défense[2234]. Le principe de la motivation des décisions de justice a aussi servi de fondement à une annulation[2235]. Une telle décision n’a pas emporté l’adhésion unanime[2236]. Il a été soutenu que le grief de la motivation était facile à formuler et représentait une part importante des prétentions qui fondent les pourvois en cassation (défaut, contradiction, insuffisance de motifs…). Y avoir recours en matière d’appel-nullité conduirait à dénaturer la notion même de principe essentiel de procédure. Un auteur à proposé d’opter pour une acception plus stricte des principes essentiels sans, pour autant, s’avancer à en proposer une liste[2237]. Ces normes semblent être « contenues dans le livre 1er du nouveau Code de procédure civile »[2238] affirme-t-il. Cette réflexion conduit droit aux principes directeurs. Une autre position est celle qui consiste à dire que les recours-nullité servent à restaurer les droits de la défense[2239].
Il faut donc souligner l’importance de la place des principes directeurs dans la mise en œuvre de ce recours contra legem. Une telle solution renforce l’idée selon laquelle les principes ont vocation à trouver une place spécifique au sein de la hiérarchie normative, mais aussi qu’ils sont à la recherche de sanctions autonomes. Pour autant, l’appel-nullité présente une ambivalence en ce qui concerne sa relation avec le principe du double degré de juridiction.
C) L’appel, voie d’annulation et le double degré de juridiction
Le double degré de juridiction exprime le droit pour une partie de bénéficier d’un double examen au fond de sa cause. L’appel voie d’annulation ne satisfait pas systématiquement à cette exigence.
L’article 544 al 1 du nouveau Code de procédure civile décide que « les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d’instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d’appel comme des jugements qui tranchent tout le principal ». Cette disposition a été appliquée en jurisprudence à un jugement par lequel un Tribunal se reconnaît compétent pour statuer sur une voie de fait et ordonne une expertise pour évaluer le préjudice[2240]. La voie d’appel, notamment celle de l’appel-nullité, est ouverte à l’encontre de ce type de décision. Combiné à l’article 568 qui autorise la Cour d’appel à évoquer lorsqu’elle est saisie d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction, l’appel-nullité revient à évincer le double examen au fond de l’affaire. Dans l’exemple cité, aucune décision au fond n’a été rendue en première instance. La Cour d’appel, si elle décide d’évoquer, va faire office de juge du premier et du second degré[2241].
Le phénomène est le même lorsque l’appel nullité est admis contre l’application de l’article 545 du nouveau Code de procédure civile qui oblige les parties à lier leur appel à celui sur le fond. La jurisprudence dans la mise en œuvre de l’appel-nullité contra legem a conféré à ce recours un effet dévolutif[2242]. Conformément à l’article 561 du même Code, son exercice « remet en cause la chose jugée » de sorte que la Cour peut se trouver saisie de l’ensemble des questions de fait et de droit abordées par le litige[2243]. A nouveau, la Cour d’appel va juger pour la première fois une question qui porte sur le fond du dossier.
Pour autant, l’appel-nullité permet de garantir l’examen au fond lorsqu’il a été écarté. Un jugement statuant sur une exception de procédure peut mettre fin à l’instance. L’appel-nullité est alors le moyen d’accéder au second degré de juridiction[2244]. Lorsque le recours est interdit, l’appel-nullité contra legem est incontestablement le seul moyen d’accéder au second juge et d’obtenir un jugement sur le fond[2245].
La relation entre le double degré de juridiction et l’appel voie d’annulation se présente donc comme la recherche d’un équilibre entre le contrôle nécessaire de la procédure d’un jugement rendu en première instance et l’impératif d’achèvement du litige. Il faut admettre que, parfois, le contrôle des formes se fait au détriment de l’examen du fond. Ce constat conduit un auteur à souligner que la voie de recours adéquate pour sanctionner les irrégularités procédurales demeure le recours en cassation[2246].
§ 3 : Le droit au recours en cassation
Pourtant, si l’ouverture à cassation est liée à un principe directeur du procès, il faut admettre que l’action de ces normes sur la régularité des procédures ne tient pas une place particulière dans le mécanisme de contrôle opéré par la Cour[2249]. Une proposition de loi a été déposée en 1996 relative au filtrage des pourvois en cassation[2250]. Celle-ci envisageait d’insérer un article L. 131-5-1 au Code de l’organisation judiciaire qui permettait à une formation d’admission des pourvois en cassation de rejeter un recours « s’il n’est manifestement irrecevable, s’il n’argue pas de la violation d’un texte précis ou d’un principe général du droit ». La proposition a été largement modifiée et dans le texte définitif, la référence aux principes généraux du droit n’a pas été reprise[2251]. Cette tentative manquée avait pourtant pour objectif de mettre en évidence l’importance des principes généraux du droit dans le contrôle effectué par la Cour de cassation. Il s’agissait surtout de formaliser une situation bien établie[2252]. Le terme de « principes généraux du droit » est utilisé dans ce texte en référence aux principes dégagés par la jurisprudence. La Cour de cassation trouve dans ces principes de nouveaux fondements pour annuler les sentences des juges du fond. Par ailleurs, les principes directeurs textuels s’intègrent dans certains mécanismes de contrôle utilisés par la juridiction suprême. La définition de l’objet du pourvoi en cassation dans l’article 604 du nouveau Code de procédure civile se présente comme une formule générale. La doctrine a pu dégager une typologie des causes de pourvoi en cassation[2253]. Les principes trouvent leur place dans ces différentes causes.
L’intérêt du moyen fondé sur l’excès de pouvoir réside notamment dans le fait qu’il justifie l’ouverture du pourvoi même contre le texte. La Cour de cassation a admis, à l’instar de l’appel-nullité, un pourvoi contra legem. En matière de procédures collectives elle a décidé qu’« aucune disposition ne peut interdire de faire constater, selon les voies de recours du droit commun, la nullité d’une décision entachée d’excès de pouvoir[2265].
Les principes directeurs ont donc une action certaine sur le mécanisme du pourvoi en cassation. Pour autant, la singularité de cette action reste à démontrer. Certains principes sont intimement attachés au pourvoi tel le droit au recours, qui en est le fondement, ou la motivation, qui est la cause la plus fréquente de censure. En revanche, l’objet et le processus des sanctions prononcées par la Cour de cassation sont identiques lorsque cette juridiction utilise un principe ou une règle technique. Il est dès lors difficile de dégager une action procédurale qui soit propre aux principes. Le particularisme de leur action peut être recherché dans les sanctions exceptionnelles que sont les modes de révision du procès.
§ 4 : Le droit à la révision d’une décision
La première cause tient directement à la mise en œuvre du principe fraus omnia corrumpit. L’article 595 du nouveau Code prévoit l’ouverture du recours « s’il se révèle après le jugement que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ». La fraude a entaché la décision d’irrégularité car elle a trompé les juges dans leur appréciation des faits.
Les autres causes sont indirectement liées à une hypothèse de fraude. Deux d’entre elles résident dans le fait qu’une pièce utilisée dans la première procédure a été déclarée fausse par la suite ou encore que des attestations, témoignages ou serments ont été judiciairement déclarés faux. La Cour de cassation a décidé que l’utilisation de fausses pièces, bien qu’étant une cause distincte de révision, peut aussi constituer un élément de la fraude[2277]. C’est donc bien le même principe qui est à l’origine de ces cas d’ouverture du recours. La dernière cause vise le cas où, postérieurement au jugement, des pièces retenues par l’une des parties ont été recouvrées. La jurisprudence interprète cette hypothèse comme le fait que la pièce a été retenue volontairement par la partie sortie victorieuse du procès[2278].
Deux autres principes interviennent dans le processus de révision. L’un de ces principes est celui de l’intime conviction du juge. La fraude consiste dans l’intention de tromper. Elle vise donc à modifier la conviction du juge dans un sens favorable au fraudeur. La certitude du juge a été modifiée et doit être révisée. L’autre principe est celui de la preuve légale. Lorsque le juge a statué sur des actes, il a été lié par leur existence et leur force probante. La fraude est encore plus conséquente dans cette hypothèse. Si une partie a retenu une pièce, produit une fausse attestation, elle a lié le juge par cette preuve falsifiée. Dans le respect de la preuve légale, le juge a fait droit à une demande ou une défense illégitime. La révision rétablit soit la conviction du juge sur des faits exacts, soit la réalité des actes écrits que celui-ci est tenu de prendre en compte. La révision civile repose donc sur les principes directeurs qui concernent la fraude[2279] et l’appréciation des preuves dans le procès.
De la même façon que pour la révision civile, les conditions d’ouverture de la révision pénale éclairent sur l’action des principes directeurs. Une personne condamnée pour crime ou délit peut demander devant une commission de la Cour de cassation à ce que sa condamnation soit révisée dans quatre hypothèses déterminées à l’article 622 du Code de procédure pénale🏛 : après une condamnation pour homicide, il existe un doute sur la réalité du décès de la victime ; une contradiction est née entre deux sentences pénales qui tend à démontrer l’innocence de l’un des condamnés ; un témoin à charge a été condamné par la suite pour faux témoignage ; un fait nouveau révélé après la condamnation est « de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné ».
La dernière cause englobe en réalité les trois premières. Le pourvoi en révision est ouvert s’il existe un doute sur la culpabilité de la personne condamnée définitivement. Ce recours trouve donc son origine dans une résurgence de la présomption d’innocence. Le jugement ou l’arrêt ayant acquis autorité de la chose jugée est censé avoir mis un terme à l’existence de cette présomption. Néanmoins des circonstances postérieures redonnent, à la suite du procès, une signification nouvelle au principe : si la charge de la preuve qui incombait aux parties poursuivantes a été un temps satisfaite, les éléments nouveaux viennent modifier cet état de fait.
L’autre principe en jeu est une nouvelle fois celui de l’intime conviction. Au jour du jugement, il apparaît que les juges n’ont pas disposé de la totalité des éléments de la cause et se sont prononcés en méconnaissance d’une partie des faits. Il apparaît concevable que la conviction viciée de la juridiction puisse être la source d’un nouveau procès. L’action de ce principe dans la révision pénale n’est pas parfaite car elle ne peut se produire qu’en faveur du condamné.
L’article 626-1 du Code de procédure pénale🏛 prévoit que « le réexamen d’une décision pénale définitive peut être demandé au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’une infraction lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que la condamnation a été prononcée en violation des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales🏛 ou de ses protocoles additionnels ». Une condition est posée au réexamen de la décision pénale. La violation d’une stipulation de la Convention doit avoir « par sa nature et sa gravité » entraîné des conséquences plus graves que celles qui ont été réparées par la « satisfaction équitable » allouée par la CEDH[2283].
Ce recours est une nouveauté et la France rejoint dans cette avancée démocratique d’autres pays du Conseil de l’Europe[2284]. En effet, jusqu’à l’entrée en vigueur des articles 626-1 et suiv. du Code de procédure pénale🏛[2285], la victime d’une violation de la CESDH ne pouvait obtenir qu’une « satisfaction équitable » en vertu de l’article 41 de ce texte[2286]. Les arrêts de la CEDH n’étant pas exécutoires mais simplement déclaratoires, leur autorité ne permettait pas de remettre en question ce qui avait été jugé par les juridictions françaises. Cette situation se modifie aujourd’hui sensiblement en procédure pénale, mais uniquement en faveur des personnes condamnées.
Ce recours a pour fondement la violation par les juridictions internes des principes de la CESDH et donc des principes procéduraux qui y figurent. On pense en premier lieu au procès équitable ou encore à ceux de la dignité ou de l’intimité de la personne. Pour autant, il n’est pas certain que tous les principes procéduraux conventionnels puissent être source de réexamen de la condamnation. Si un manquement au principe d’impartialité des magistrats justifiera sans contestation possible une remise en cause de la chose jugée, la méconnaissance de l’impératif du délai raisonnable ne saurait avoir une incidence sur la culpabilité de la personne[2287]. De même, si la violation de la présomption d’innocence comme règle de preuve devrait pouvoir justifier une révision du procès, la transgression du droit fondamental à la présomption d’innocence en dehors du procès n’entraînera pas la modification de la situation du condamné. Tous les principes de la CESDH ne devraient donc pas pouvoir fonder le recours en révision tel qu’il a été institué par la loi du 15 juin 2000🏛.
Une question supplémentaire est soulevée par cette institution nouvelle. La violation des principes conventionnels doit être prise en compte par les juridictions françaises. Une condamnation obtenue en violation du principe du procès équitable ne devrait pas, en théorie, pouvoir échapper à la censure de la Cour de cassation avant tout recours devant la CEDH. Il faut alors admettre que le réexamen des condamnations répressives permettra de vaincre les résistances de la juridiction suprême française à appliquer le droit de la Convention européenne. On ne peut s’empêcher de penser à la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle les preuves produites par les parties privées dans le procès pénal doivent être reçues malgré leur illicéité[2288]. Il n’est pas certain qu’une telle solution résiste notamment à la protection de l’intimité de la vie privée inscrite dans le droit international.
Le recours créé par la loi du 15 juin 2000🏛 est donc un moyen d’obtenir la révision d’une condamnation en raison de la contrariété du droit interne avec les principes directeurs du procès définis dans la CESDH et interprétés par la CEDH. On peut regretter que l’ambition du législateur ait été un peu trop modeste. L’ouverture de cette nouvelle voie de recours est une avancée incontestable, mais on peut se demander pour quelles raisons elle a été limitée aux cas de révision in favorem. Quelle justification peut-on trouver pour refuser à une victime, ou au ministère public, de voir sanctionnée une procédure contraire à un principe européen lorsque cette procédure a conduit à une relaxe ou un acquittement ? Ne serait-ce pas là, une violation de l’égalité des armes et des droits des victimes ? La loi du 15 juin 2000🏛 affiche pourtant la protection de ces droits parmi ses objectifs. L’héritage de la révision pénale traditionnelle a été trop lourd pour modifier radicalement le Code de procédure pénale. On notera toutefois que cette avancée, aussi modérée soit elle, ouvre la voie de transformations futures. On attendra avec impatience que la révision européenne intègre le Code de procédure civile et consacre, un peu plus, l’action des principes de la CESDH sur les procédures internes. Ce recours constituera alors une sanction efficace qui s’ajoutera à la sanction limitée mais désormais classique qui consiste dans l’indemnisation par la Cour européenne de la victime d’une atteinte à la Convention. Cette double sanction révèle que l’action des principes directeurs porte sur les actes de la procédure mais peut aussi toucher les acteurs du procès judiciaire.
Les causes de récusation possèdent toutes un lien avec le principe d’impartialité. Il peut s’agir de cas circonstanciels dans lesquels le magistrat, de par sa situation, ne possède pas cette qualité, par exemple si le magistrat ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l’une des parties ou encore s’il a déjà connu de l’affaire comme juge ou arbitre ou a conseillé l’une des parties[2292]. On retrouve ici l’une des applications particulières du principe de séparation des fonctions[2293]. Le Code de procédure pénale prévoit en outre une cause générale de récusation « s’il y a eu entre le juge ou son conjoint et une des parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité »[2294].
La récusation peut être demandée jusqu’à la clôture des débats mais la partie qui s’en prévaut doit se montrer diligente. Elle a l’obligation de former sa requête dès qu’elle a connaissance de l’existence d’une cause de récusation à peine d’irrecevabilité. Cette condition est indispensable dans la mesure où les effets de la récusation, si elle est prononcée, sont importants. Le magistrat récusé doit être remplacé. L’action immédiate du principe d’impartialité réside donc dans la mise à l’écart du magistrat susceptible d’être partial. Elle peut aussi avoir des conséquences médiates sur le déroulement de la procédure. Les règles prévues par le nouveau Code de procédure civile et auxquelles renvoie le Code de procédure pénale[2295] prévoient que les actes accomplis par le juge antérieurement à sa récusation ne peuvent être mis en cause. La sécurité de la procédure est donc assurée. Toutefois, un auteur souligne que la juridiction de jugement dont la composition a été modifiée risque de devoir reprendre l’audience[2296]. En vertu du principe d’oralité, tous les juges doivent avoir assisté à l’intégralité des débats. La récusation en cours d’audience possède ainsi des effets potentiels sur la procédure en raison de la combinaison des principes d’impartialité et d’oralité.
Ce mécanisme possède plusieurs avantages sur la récusation. Outre son caractère préventif qui permet d’éviter les désagréments d’une récusation en cours d’audience, il relève de l’appréciation du magistrat sur sa propre partialité[2298]. En admettant l’abstention « en conscience » on permet à un juge qui doute de sa capacité à écarter ses propres convictions dans le traitement d’un dossier, de se placer à l’écart. De même, afin de privilégier la crédibilité de l’institution juridictionnelle, le magistrat peut s’abstenir dans une affaire. Bien qu’il estime être impartial, en raison de circonstances particulières, ce juge préférera écarter toute suspicion à l’égard de la juridiction dans laquelle il aurait dû siéger.
L’abstention ouvre la voie d’une action objective de l’impartialité au regard des causes de récusation prévues dans le nouveau Code de procédure civile[2299] ou en raison d’une apparente partialité. Elle permet encore une action subjective du principe puisqu’elle fait appel à la conscience propre au magistrat. Ce dernier est appelé à se retirer d’une affaire en raison des sentiments qu’il sait posséder à cet égard. Cette action subjective est imparfaite puisqu’elle présuppose l’honnêteté du magistrat sur sa propre partialité.
Contrairement à la récusation, la suspicion légitime n’est pas dirigée contre un magistrat en particulier mais contre une juridiction[2303]. Si la juridiction est collégiale, la suspicion doit toucher l’ensemble des magistrats[2304]. La suspicion à l’égard d’un seul magistrat ouvre simplement la voie de la récusation[2305].
Le renvoi pour suspicion légitime demeure un procédé délicat à mettre en œuvre sur le plan pratique. En jetant le doute sur l’impartialité d’une juridiction dans son entier, c’est l’institution judiciaire plus généralement qui est mise en cause. Aussi, les magistrats de la Cour de cassation en matière pénale sont « peu enclins à incriminer ou à désavouer leur collègues »[2306]. De plus il se peut que le danger visant l’impartialité de la juridiction ne provienne pas des juges eux-mêmes mais du contexte dans lequel se déroule le procès.
Pour cette raison, le Code de procédure pénale a institué le renvoi d’une juridiction à une autre « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice »[2307]. Depuis la loi du 4 janvier 1993🏛, cette requête peut être formulée par le Procureur général près la Cour de cassation ou encore près la Cour d’appel qui agit alors sur initiative des parties. Cette cause de renvoi permet de prendre en compte les événements susceptibles d’influencer notamment des jurés d’assises lorsque le procès criminel a eu d’importantes répercussions dans la société civile. Il paraît alors souhaitable qu’une personne accusée de crime ne soit pas jugée par la Cour d'assises du ressort où a eu lieu l’infraction.
La circulaire d’application de la loi du 4 janvier 1993🏛 prévoit encore que le renvoi pour cause de bonne administration de la justice se justifie[2308], lorsqu’est en cause dans un procès pénal, une personne exerçant une fonction publique ou titulaire d’un mandat électif public devant une juridiction du lieu de son département « si l’indépendance et l’impartialité de cette juridiction peuvent s’en trouver suspectées »[2309]. Le renvoi devant une autre juridiction est un procédé efficace pour réduire tout à la fois les risques de partialité d’une juridiction et les doutes qui peuvent être émis par les parties ou l’opinion publique sur l’impartialité des juges qui sont en définitive, saisis de l’affaire.
Ces mécanismes procéduraux visant les magistrats se combinent ainsi vers un but unique et essentiel : celui de garantir la mise en œuvre du principe d’impartialité. L’action des principes se diversifie lorsqu’elle concerne les parties au procès.
Il se trouve des situations dans lesquelles l’action en demande va échouer avant même d’avoir été examinée sur le fond. Ce peut être en raison d’une exception de procédure qui sanctionne un défaut dans la régularité des actes effectués ou d’une fin de non-recevoir qui caractérise le défaut dans le droit d’agir. Les fins de non-recevoir sont énumérées à l’article 122 du nouveau Code de procédure civile. Cette disposition comprend des règles techniques telles que le défaut de qualité ou d’intérêt pour agir. On trouve par ailleurs dans cet article l’expression de deux principes directeurs : le principe de célérité est à l’origine de la prescription et du délai préfix ; le principe de l’autorité de la chose jugée y est visé explicitement in fine.
La procédure pénale, est à la fois plus claire et plus ambiguë sur la sanction de l’autorité de la chose jugée. La clarté résulte de l’article 6 du Code de procédure pénale🏛. Cette disposition affirme que « l’action publique pour l’application des peines s’éteint par (…) la chose jugée ». Lorsqu’une chose a déjà été jugée, qu’un droit a été reconnu ou rejeté, l’action qui concerne ce droit n’existe plus ; elle est éteinte. Des auteurs, reprenant une formule jurisprudentielle traditionnelle, expliquent que l’autorité de la chose jugée « met obstacle, fût-ce en méconnaissance de la loi, à ce que des poursuites soient reprises devant une juridiction qui a précédemment épuisé sa saisine par une décision définitive »[2315]. L’ambiguïté dans la sanction du principe provient de la qualification qui est attribuée à cette sanction. La doctrine qualifie la chose jugée comme relevant d’une « exception de procédure »[2316]. Une telle expression rapproche l’autorité de la chose jugée d’un vice de procédure qui atteint l’acte en lui-même, ce qui n’est pas le cas. Un autre auteur, tout en qualifiant le moyen visant le principe de fin de non-recevoir, range sa sanction parmi les nullités d’ordre public[2317]. Il semble délicat de prononcer la nullité d’un acte procédural en raison de la violation de l’autorité de la chose jugée. Cet acte n’est pas nul pour vice de forme. Plus simplement, il ne produit pas d’effet car il soutient une action éteinte.
La nature de la prescription est mixte. Elle est non seulement un moyen d’acquérir ou de perdre un droit substantiel ; mais elle est aussi, d’un point de vue procédural, un mode d’extinction de l’action[2319] susceptible d’être sanctionné par une fin de non-recevoir[2320].
L’idée qui sous-tend la prescription de l’action en justice est inspirée par le principe de célérité[2321]. En effet, l’expression de cette règle ne se réduit pas au « délai raisonnable » qui doit caractériser le cours de la justice à partir du déclenchement de l’action. Le principe de célérité trouve une application anticipée dans l’idée de la prescription. A compter de l’apparition d’un droit substantiel, le procès naît virtuellement pendant un certain délai. Passé ce laps de temps, le créancier du droit en question, s’il n’a pas fait preuve des diligences requises, perd la possibilité de faire valoir ce droit en justice. La virtualité d’un procès s’éteint. A l’inverse, s’il a été assez rapide, il conserve la possibilité de réaliser son droit.
A la prescription traditionnelle doit être ajouté le délai préfix, qui constitue au même titre une fin de non recevoir. La forclusion qui l’assorti peut parfois faire l’objet d’un relevé, mais cela n’est pas toujours le cas. On trouvera à ce titre un exemple intéressant d’extinction partielle du droit d’action dans la loi du 25 janvier 1985🏛 relative aux procédures collectives. Il s’agit de l’action en revendication dont bénéficie le vendeur d’un bien meuble en raison d’une clause de réserve de propriété. L’article 115 al 1 de la loi de 1985 prévoit que « la revendication des meubles ne peut être exercée que dans le délai de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire immédiate ». La jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer qu’il s’agissait d’un délai préfix qui ne pouvait être ni interrompu, ni suspendu et n’était assorti d’aucune possibilité de relevé de forclusion[2322]. Le délai instauré par l’article 115 ne vise que l’action en revendication et non la créance du propriétaire sur le débiteur qui fait l’objet de la procédure. Si le délai n’est pas respecté, le propriétaire des biens meubles se trouve dans une situation intermédiaire. Du point de vue de l’action en revendication résultant de la clause de réserve de propriété, il est forclos et en perd le bénéfice. Cependant, « il n’en reste pas moins propriétaire »[2323]. La jurisprudence décide qu’il conserve la qualité de cocontractant[2324] et demeure à ce titre créancier de la personne en redressement ou en liquidation. D’un point de vue purement procédural, on observe que la même personne peut posséder sur le même bien deux actions différentes, perdre le bénéfice de l’une tout en conservant celui de l’autre. Une telle solution met en évidence les liens étroits qui unissent les sanctions procédurales et celles qui touchent au droit substantiel. Un tel constat se répète à propos de la preuve des prétentions.
L’action du principe de coopération sur la charge de la preuve est puissante. L’article 11 du nouveau Code prévoit ainsi que le juge peut « tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus » d’une partie, de concourir à la mesure d’instruction. On a pu dire de l’article 11 qu’il entraînait au détriment de la partie qui refuse de coopérer « un transfert du risque de la preuve »[2326]. De même on a parlé de résistance analysée comme une présomption[2327]. En réalité, l’article 11 ne produit pas un renversement automatique de la charge de la preuve. Par l’intermédiaire du principe de coopération, il transfère une partie de cette charge entre les mains du juge sous la forme d’une prérogative. Le magistrat détient un pouvoir souverain d’appréciation sur le silence de la partie qui s’abstient ou refuse de collaborer[2328]. Pour illustration, un mari qui refuse de produire des justificatifs de ses revenus fiscaux verra la pension alimentaire qu’il verse à son ancienne épouse augmenter[2329].
Ce pouvoir est toujours accru en raison du principe de coopération durant l’audience. L’article 1347 al 3 du Code civil admet comme équivalent à un commencement de preuve par écrit « les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre, ou son absence à la comparution ». Cette disposition, reprise en substance dans le nouveau Code de procédure civile[2330], permet au juge de se départir du principe relatif à la charge de la preuve, mais encore d’assouplir considérablement le principe des preuves légales[2331].
L’une des sanctions procédurales du principe de coopération s’applique donc aux parties au regard de leurs prérogatives et obligations procédurales. Le Code confie au juge certains droits et crée de nouvelles obligations pour les parties. Cette situation possède d’inévitables conséquences sur les chances de réussite ou d’échec de leurs actions. L’action des principes oblige les parties. Elle peut aussi les protéger notamment dans l’exercice de leur liberté.
L’action d’un principe directeur sur l’acteur du procès qu’est la personne poursuivie peut être médiate. Elle résulte de la sanction d’un acte de procédure irrégulier. L’article 114 du Code de procédure pénale🏛 prescrit qu’avant chaque interrogatoire de la personne mise en examen, le dossier doit être mis à la disposition de son avocat. Cette exigence résulte du principe des droits de la défense et permet au débat qui suit de se dérouler dans le respect de la contradiction. Pendant cette période, il ne peut être opposé à l’avocat que les exigences du bon fonctionnement du cabinet d’instruction pour empêcher la communication du dossier. La Cour d’appel de Nancy a étendu les effets de cet article protecteur des droits de la défense, au débat préalable à la prolongation de la détention provisoire. L’avocat d’une personne mise en examen ayant été convoqué à ce débat se présentait le matin afin d’avoir accès au dossier. Il lui fut répondu que le dossier était indisponible, un acte étant en cours dans le cabinet du juge. Le débat se tenait aux jour et heure indiqués et se concluait par la prolongation de la détention. Saisie d’une demande en annulation, la Cour d’appel a déclaré que « s’agissant d’un interrogatoire au cours duquel il a été statué sur la détention provisoire de M. X…, le défaut de communication préalable du dossier à l’avocat de celui-ci a fait grief à ses droits »[2333]. L’ordonnance décidant de la prolongation de la détention a été annulée et la Cour d’appel a ordonné la « mise en liberté immédiate de l’intéressé, le mandat de dépôt se trouvant privé d’effets ». L’annulation d’une pièce de procédure ne limite pas son effet à la recherche de la vérité et à la recevabilité des preuves. En frappant des actes attentatoires à la liberté individuelle, l’action des droits de la défense s’étend à la personne mise en examen.
Un principe peut encore agir directement sur la liberté de l’individu. Tel est le cas du principe de célérité qui vise généralement la procédure, mais s’applique avec une particulière rigueur au régime de la détention provisoire. Une personne poursuivie pour plusieurs viols sous la menace d’une arme était détenue dans l’attente de son procès d'assises. Suite au rejet de son pourvoi contre l’arrêt de renvoi, elle formait une demande de mise en liberté. La Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de mise en liberté du prévenu en constatant que l’affaire n’étant pas encore audiencée, elle ne pourrait être jugée dans un délai raisonnable au sens de l’article 6§1[2334]. Dans cette décision, l’action du principe de célérité sur la liberté de l’individu est remarquable. La juridiction y précise les antécédents de la personne poursuivie, le risque de renouvellement de l’infraction[2335], mais elle ne tient pas compte de ces faits pour apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure. La remise en liberté s’impose alors.
Cette solution a été confirmée par la loi du 15 juin 2000🏛. Dans l’article 179 du Code de procédure pénale🏛 relatif aux ordonnances de renvoi du juge d’instruction, la loi a modifié plusieurs alinéas relativement à la liberté de prévenu. L’alinéa 2 décide désormais que ce dernier est automatiquement remis en liberté « si le Tribunal correctionnel n’a pas commencé à examiner le fond à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date de l’ordonnance de renvoi »[2336]. Par ordonnance motivée, deux prolongations peuvent être décidées. A l’expiration d’un délai maximum de six mois, la remise en liberté est de droit. En matière criminelle, la loi a prévu un dispositif identique portant le délai initial de comparution à un an et celui des prolongations à six mois[2337]. L’utilisation du principe de célérité procède d’une initiative jurisprudentielle et se poursuit par une consécration législative. Ce phénomène met aussi en évidence la pénétration des principes européens dans le droit interne. Dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale, figure un alinéa qui dispose qu’« il doit être définitivement statué sur l’accusation dont (la personne poursuivie) fait l’objet dans un délai raisonnable ». Ce texte est issu de l’article 6§1 de la CESDH. La Cour d’appel de Paris a eu l’occasion d’en dégager une application technique qui a ensuite été reprise par le Code. Les principes présentent cette qualité de solliciter l’utilisation combinée des sources formelles du droit.
La responsabilité du service de la justice est donc avant tout une responsabilité de l’Etat pour les fautes commises par ses agents. L’article 781-1 du Code de l’organisation judiciaire🏛 dispose que « l’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice ». Elle concerne avant tout les actes accomplis par les magistrats professionnels. Ceux qui composent les juridictions d’attribution[2341] demeurent sous le régime de la prise à partie prévu aux articles 505 et suivants du Code de procédure civile🏛 (ancien)[2342]. En revanche, le régime général de l’article 781-1 vise aussi les fautes commises par les officiers et agents de police judiciaire lorsqu’ils agissent sous la responsabilité ou le contrôle d’un magistrat. Tel est le cas des actes effectués en raison d’une commission rogatoire, mais encore des actes d’enquête diligentés sous le contrôle d’un magistrat du parquet[2343]. En dernier lieu, les personnes qui bénéficient de ce régime d’indemnisation sont les usagers du service public[2344] à l’exclusion notamment de ses collaborateurs[2345].
Le particularisme de la responsabilité du service de la justice réside dans la restriction des fautes susceptibles d’entraîner une réparation : le déni de justice et la faute lourde. L’interprétation jurisprudentielle de ces notions a conduit à faire de la violation d’un certain nombre de principes directeurs un fait générateur de la responsabilité de l’Etat.
Dans un jugement du 6 juillet 1994, le Tribunal de grande instance de Paris affirme qu’il « faut entendre par déni de justice, non seulement le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger de juger les affaires en état de l’être, mais aussi, plus largement tout manquement de l’Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu »[2346]. C’est le manquement au principe du droit au juge qui permet de retenir la qualification de déni de justice. Plus particulièrement, les juridictions du fond se réfèrent au droit de la CESDH pour assimiler la méconnaissance du délai raisonnable au déni de justice. L’application du principe de célérité, conséquence du devoir de protection juridictionnelle, a été d’abord timide[2347]. En 1993, la Cour d’appel de Paris a considéré que l’absence d’audiencement devant une Cour d'assises alors que le renvoi datait depuis plus de cinq ans n’était pas constitutif d’un déni de justice[2348]. Puis les juges du fond ont fait preuve de plus de sévérité à l’égard de l’institution judiciaire. Le déni de justice a été retenu pour un renvoi des plaidoiries à plus de trois ans après l’enregistrement de la déclaration d’appel[2349]. De même, un délai de plus de trois ans entre l’annulation d’une ordonnance du juge d’instruction et le prononcé de l’ordonnance de non-lieu est « en soi révélateur d’un fonctionnement défectueux du service de la justice, constitutif d’un déni de justice »[2350]. Enfin, le devoir de protection juridictionnelle de l’individu « comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ». En conséquence, est considéré comme un déni de justice, le fait qu’une procédure engagée devant une Cour d’appel ne puisse être examinée avant le délai de quarante mois suivant la date de la saisine[2351].
Les juridictions du fond considèrent qu’un retard exagéré pour statuer équivaut à un refus de statuer. Un auteur explique ainsi que « le temps n’est pas une modalité du droit, il en est une composante »[2352]. Ne pas reconnaître un droit en justice dans un temps raisonnable revient à le méconnaître. Au-delà des explications théoriques, il faut souligner que la réalisation tardive du droit est préjudiciable à son bénéficiaire. Des créances impayées peuvent entraîner des difficultés financières. La contestation sur un droit de propriété peut priver le véritable titulaire de la jouissance de son droit. C’est en raison du préjudice consécutif à la lenteur judiciaire que la jurisprudence a été conduite à élargir la définition du déni de justice.
Le déni de justice réside encore dans le fait pour le juge de contrevenir à un principe qui crée une obligation à son égard. Tel est le cas du principe de coopération. L’article 12 du nouveau Code de procédure civile dispose que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables / Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Lorsqu’une demande est formulée devant une juridiction sans que ses fondements juridiques soient précisés, les juges doivent examiner les faits conformément aux règles de droit qui leur sont applicables[2353]. L’obligation pour le juge de donner un fondement juridique à la demande relève du principe de coopération. Une Cour d’appel a, en application de ce principe, qualifié de déni de justice un jugement rejetant une prétention aux motifs que son auteur ne précisait pas le fondement juridique de son action[2354]. Cette jurisprudence ne devrait pas perdurer en ce qui concerne les instances civiles introduites par une assignation. Depuis le décret n°98-1231 du 28 décembre 1998🏛, l’article 56 du nouveau Code de procédure civile qui définit les mentions obligatoires de l’assignation a été modifié. Le demandeur doit désormais indiquer les moyens « en fait et en droit » qui fondent sa prétention. Ces conclusions qualificatives introduisent une obligation de coopération pour les parties à peine de nullité de forme. La modification de l’article 56 devrait avoir pour conséquence de libérer le juge de la menace de déni de justice qui pesait sur lui au sujet de la qualification du fondement juridique de la demande.
Le principe de coopération crée des obligations procédurales pour le juge. Refuser de s’y conformer relève logiquement d’un déni de justice. A l’inverse, lorsqu’une règle ne crée qu’une simple faculté, la décision du magistrat relève de son pouvoir discrétionnaire. Tel est le cas d’une décision de classement sans suite résultant de l’opportunité des poursuites. Le renoncement aux poursuites ne peut, selon la Cour de cassation, constituer un déni de justice[2355]. De même, la simple faculté pour le juge civil de s’immiscer dans la recherche de la preuve, ne l’oblige pas à se substituer aux parties. Leur carence permet au juge de rejeter leur prétention sans commettre un déni de justice[2356].
Malgré une extension manifeste de son domaine d’application, le déni de justice ne suscite encore que peu de condamnations. Les principes directeurs y sont associés en petit nombre. En tant que règles essentielles de la procédure, leur violation est plus souvent constitutive d’une faute lourde.
L’atteinte à l’honneur d’un individu, par l’intermédiaire de sa présomption d’innocence, est un préjudice qui résulte d’une faute d’un agent de l’Etat. Relève d’une faute lourde, le fait pour un juge d’instruction de faire diffuser dans la presse locale un avis de recherche reproduisant la photographie d’un individu et accompagnée d’un texte le mettant en cause alors qu’aucune charge sérieuse n’existait à son encontre[2358].
L’atteinte à la présomption d’innocence peut résulter d’une violation du secret de la mise en état. Un rapport confidentiel du parquet destiné à la direction des affaires criminelles relativement à un dossier en cours d’instruction avait été communiqué à la presse. Sans rechercher quel avait été l’auteur de la divulgation, le Tribunal de grande instance de Paris retient que « la divulgation de ce rapport par la presse, emportant révélation de faits reprochés aux demandeurs par le ministère public, avant même que les intéressés aient fait l’objet d’une mise en examen, est révélateur d’un dysfonctionnement du service de la justice. (…) Eu égard aux personnalités mises en cause, et à l’effet médiatique nécessairement attaché à la publication dans la presse du rapport en question, la remise (au journal) d’un tel document implique chez son auteur, la conscience d’accomplir un acte contraire à ses devoirs professionnels ; qu’elle constitue une faute lourde au sens de l’article 781-1 du Code de l’organisation judiciaire🏛 »[2359]. Dans cette affaire, les demandeurs avaient allégué l’existence d’un déni de justice pour manquement au devoir de protection juridictionnelle. Le Tribunal ne constate qu’une faute lourde sans pour autant désigner son auteur. L’Etat est responsable de la diffusion d’un rapport confidentiel parce qu’un agent du service public a nécessairement commis cette faute. L’Etat agit comme un garant des actes accomplis par les membres de l’institution judiciaire. La Cour de cassation a suivi les juges du fond pour réparer les atteintes à la présomption d’innocence résultant d’une violation du secret de la mise en état. Dans le cadre d’une enquête, des agents de la répression des fraudes avaient diffusé des informations concernant les personnes poursuivies. La Cour de cassation décide que « la divulgation d’informations permettant d’identifier les personnes mises en cause à l’occasion d’un enquête est constitutive d’une faute lourde »[2360].
Les juges découvrent parfois la faute lourde dans la violation consécutive ou simultanée de plusieurs principes. Commettent ainsi une faute lourde des fonctionnaires des impôts qui procèdent à des visites domiciliaires au moyen d’un détournement de procédure, et se munissent de l’autorisation d’un magistrat pour couvrir l’irrégularité de leur démarche[2361]. Ici la faute réside dans la méconnaissance du principe de loyauté qui a permis aux agents de l’Etat de procéder à une visite domiciliaire portant atteinte à l’intimité de la vie privée. En l’absence de fraude, cette visite n’aurait pas été autorisée par le magistrat. Dans le même état d’esprit, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a sanctionné la faute consistant pour les services de la répression des fraudes, en méconnaissance du principe du contradictoire, à privilégier une interprétation douteuse des faits. Une telle attitude viole la règle qui veut que le doute profite à l’individu suspecté. Elle visait uniquement à maintenir une saisie effectuée par les services de la répression des fraudes pendant un an[2362]. Dans cette décision, la Cour d’appel a utilisé de façon surprenante un principe relatif à l’appréciation des preuves au cours de l’enquête. La violation de ce principe combinée avec le mépris du contradictoire permet à nouveau de retenir la faute lourde.
Les hypothèses qui viennent d’être exposées mettent en évidence l’existence d’une faute lorsque l’agent outrepasse ses pouvoirs. Le cas inverse peut se produire à propos du magistrat qui renonce à son pouvoir discrétionnaire. Il fait alors preuve de dépendance. Des magistrats consulaires saisis d’office avaient repris intégralement, dans leur décision, le projet rédigé par le syndic désigné. Saisie d’une action en responsabilité contre l’Etat, la Cour d’appel affirmait qu’il n’était pas démontré que le jugement prononcé n’était pas l’expression de la décision prise en cours des délibérés. La reprise dans le jugement du projet du syndic n’impliquait pas un renoncement à l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. La Cour de cassation a cassé cette décision en constatant la violation de l’article 781-1 du Code de l’organisation judiciaire🏛[2363]. Les juges qui reprennent le texte rédigé par le syndic ne manifestent pas le pouvoir attaché à leur fonction. On peut aller plus loin en affirmant qu’ils marquent ainsi leur dépendance à l’égard d’une opinion exprimée par une personne extérieure à la juridiction. Implicitement, il y a bien violation du principe d’indépendance.
De son coté, le législateur n’est pas resté insensible au mouvement de responsabilisation croissante. Il a projeté, dans le cadre de la réforme de la justice, « d’associer davantage le justiciable victime aux procédures de mise en jeu de la responsabilité des magistrats »[2367]. A été prévue d’une part, l’institution d’une Commission nationale d’examen des plaintes des justiciables et d’autre part, l’extension de la responsabilité civile prévue à l’article 781-1 du Code de l’organisation judiciaire🏛 aux fautes simples des agents du service de la justice. La substitution de la faute simple à la faute lourde peut être entendue comme un accroissement du rôle des principes directeurs dans l’action en responsabilité des justiciables. L’action contre l’Etat ne devrait pouvoir être mise en œuvre que pour violation d’une règle essentielle de procédure. La violation d’un principe directeur pourrait alors servir de fondement au recours en responsabilité exercé contre l’Etat. Un tel compromis pourrait donc déboucher sur l’institution d’une responsabilité pour faute caractérisée par la méconnaissance d’un principe de procédure. Il n’y a là que réflexion prospective[2368]. Si la réforme vient à son terme, il faudra attendre sa réalisation jurisprudentielle pour mesurer l’action des principes directeurs sur la définition de la faute simple. Par ailleurs, on trouve déjà, dans les régimes spéciaux de responsabilité, une action des principes en faveur d’une ouverture vers un véritable droit à réparation.
a) La violation d’un principe du droit interne
La procédure d’indemnisation a aussi évolué dans la loi du 15 juin 2000🏛. Initialement attribué à une commission de la Cour de cassation, le contentieux de l’indemnisation de la détention a été transféré devant le premier président de la Cour d’appel. La décision rendue pourra faire l’objet d’un recours devant la commission d’indemnisation de la Cour de cassation. Enfin à compter de la publication de la loi, l’audience en indemnisation acquiert un caractère public et la décision de la commission devra être motivée.
A travers les trois réformes de 1970, 1996 et 2000, l’action du principe de la liberté d’aller et venir a conduit le législateur à accroître le droit à réparation de la victime d’une détention injustifiée. L’intérêt d’un telle procédure consiste dans le fait que la faute génératrice de la responsabilité étatique résulte du caractère injustifié de la détention. La responsabilité découle de la réunion de deux éléments dont la réalité ne peut être contestée : une détention provisoire suivie d’un arrêt des poursuites. Le régime de responsabilité s’en trouve assoupli.
Sur le fond, cette loi a consacré textuellement le principe dans l’article 9-1 du Code civil🏛. La loi du 15 juin 2000🏛 a modifié la présentation du principe. Il est inscrit dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui dispose « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ». De même a été modifié l’article 9-1. Ce texte concernait les personnes placées en garde à vue, mises en examen ou visées dans une citation à comparaître, un réquisitoire ou une plainte avec constitution de partie civile. Il semble que l’on retrouve dans cette énumération la notion plus générale de « personne suspectée ou poursuivie » de l’article préliminaire du Code. Pourtant, dans sa nouvelle rédaction, l’article 9-1 énonce que « lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire » le juge peut prendre un certain nombre de mesures. Cette rédaction est surprenante. Un auteur estime qu’elle vise même les personnes qui ne sont pas juridiquement parties à la procédure[2372]. Faut-il entendre alors que l’article 9-1 protège aussi les personnes qui ne sont pas suspectées dans une procédure criminelle ? Par exemple, doit-on comprendre qu’une personne présentée dans la presse comme ayant participé à la commission d’une infraction, alors même qu’aucune poursuite n’est entreprise à son encontre doit bénéficier de l’article 9-1 ? Une telle interprétation procède d’une confusion entre l’atteinte à l’honneur et celle à la présomption d’innocence. Or, si l’aspect fondamental de ce principe trouve son origine dans la protection de l’honneur[2373], les deux notions ne se confondent pas.
Du point de vue de la sanction, l’atteinte à la présomption d’innocence peut faire l’objet d’une action en responsabilité. Ce droit est prévu dans les deux dispositions textuelles qui visent le principe. L’action en responsabilité pour violation du principe est fondée sur le droit commun de la responsabilité civile. L’irrespect de la règle de l’article 9-1 constitue une faute au sens de l’article 1382 du Code civil🏛[2374]. Dans une interprétation littérale la Cour de cassation retient la transgression de l’article 9-1 dans le fait de « présenter publiquement comme coupable avant toute condamnation une personne poursuivie pénalement »[2375]. Par ailleurs, le préjudice est celui qui résulte de l’atteinte au principe. Il consiste d’abord dans la mise en cause de l’honneur de la personne et ensuite dans les conséquences matérielles qu’a pu entraîner cette mise en cause. En dernier lieu, l’article 9-1 vise les personnes privées et non le service de la justice. Pour engager la responsabilité de ce dernier, il faudra trouver dans la violation de la présomption d’innocence, les caractères de la faute lourde[2376].
Il faut noter l’existence d’un mécanisme visant à réparer l’atteinte à l’honneur lorsqu’une personne condamnée a retrouvé son innocence. Il s’agit de la procédure mise en place par l’article 626 du Code de procédure pénale🏛 lorsqu’une personne condamnée est reconnue innocente à la suite d’une révision de son procès. L’indemnisation du préjudice qui résulte de la condamnation injuste suit la procédure des articles 149-1 et 149-2 du même Code qui concernent les personnes injustement détenues. L’indemnisation est à la charge de l’Etat. Il ne s’agit pas, dans ce contexte, de réparer une atteinte à la présomption d’innocence mais plus généralement toutes les conséquences dommageables d’une condamnation lorsque l’innocence est révélée. Ce peut être une atteinte à l’honneur, mais encore à la liberté et plus généralement à tout autre préjudice. Cette procédure dépasse le cadre strict de l’action des principes[2377].
La responsabilité civile fondée sur la méconnaissance d’un principe de procédure trouve donc, en droit interne, des applications qui s’adressent tout autant à l’Etat qu’aux personnes privées. En droit international, la réparation du dommage résultant de la violation d’un principe connaît un succès particulier dans l’application de la Convention européenne des droits de l’homme🏛.
b) La violation d’un principe de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
L’article 50 puis l’article 41 de la CESDH, après la réforme opérée par le protocole n°11 du 11 novembre 1998, prévoit : « si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses protocoles, et si le droit interne de la haute partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable ». La satisfaction équitable est le seul moyen dont dispose la Cour européenne pour condamner matériellement l’Etat qui transgresse la Convention. Elle consiste en une indemnisation qui compense le préjudice moral et matériel lié à la violation de la Convention[2378]. La Cour refuse traditionnellement d’accorder autre chose qu’une réparation pécuniaire[2379]. Par ailleurs, elle peut constater que la condamnation par la Cour d’un Etat signataire constitue en elle-même une satisfaction équitable. Elle le fait notamment pour l’indemnisation d’un préjudice moral[2380].
Dans certaines hypothèses, le droit interne permet de réparer le préjudice résultant de la violation de la Convention. Tel est le cas du mécanisme d’indemnisation des atteintes injustifiées à la liberté. Ce mécanisme satisfait tout autant l’article 5§5 de la CESDH qui exige que la victime d’une arrestation ou d’une détention arbitraire ait droit à une réparation, que l’article 41. Par ailleurs, la révision des condamnations pénales instituée par la loi du 15 juin 2000🏛 est susceptible d’effacer les conséquences d’une violation de la Convention[2381]. Dans cette hypothèse, la Cour européenne a la possibilité de surseoir à statuer sur la satisfaction équitable pour mesurer l’effet d’un recours interne consécutif à la condamnation européenne. Elle l’a fait dans l’affaire Schuler-Zgraggen, en réservant la question du préjudice matériel « car le droit Suisse permet à la requérante de solliciter la réouverture de la procédure »[2382].
L’action des principes procéduraux de la Convention européenne permet donc, lorsque le droit français est défaillant, d’obtenir réparation sur le plan européen. Une étude doctrinale[2383] montre, à titre d’exemple, que la violation du droit à la présomption d’innocence ou à celui de l’accès à un Tribunal peut conduire à des réparations pécuniaires tout à fait conséquentes[2384]. En revanche, il faut constater que le processus d’indemnisation européen n’est pas attaché à la violation des principes procéduraux mais à toutes les stipulations de la Convention. Certains principes directeurs s’y trouvent représentés mais leur action n’est pas singulière.
L’indemnisation est souvent une réparation imparfaite de la violation des principes. L’efficacité de leur action s’accroît avec les sanctions qui garantissent ou rétablissent la conformité avec leurs prescriptions.
En poursuivant la lecture de l’article 11 al 2, on constate que le juge détient de même le pouvoir d’ordonner « la production de tout document détenu par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime ». La production forcée d’une pièce par un tiers permet à l’une des parties de soutenir sa demande. Cette mesure sollicite la coopération du juge. En revanche, le principe du contradictoire n’y trouve aucune expression. Une partie sollicite l’aide du juge et ce dernier contribue à la recherche de la vérité. La coopération domine la production forcée de pièces par les tiers.
Entre alors en jeu l’article 10 du Code civil🏛 introduit par la loi du 5 juillet 1972🏛 : « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ». Celui qui se soustrait à cette obligation encourt une amende civile ou peut y être contraint sous astreinte. Comme le souligne un auteur, le lien entre l’article 10 du Code civil🏛 et l’article 11 du nouveau Code de procédure civile est évident[2386]. Si le contenu de l’article 10 est de nature processuelle, il a été décidé que les pouvoirs du juge d’ordonner la production sous astreinte relevaient de la compétence du législateur. On peut s’interroger sur le principe qui inspire l’article 10. Une première approche consiste à reconnaître dans ce texte l’expression d’un principe général de contribution à la recherche de la vérité[2387]. Le contenu de l’article 10 est normatif et provient d’une source formelle du droit. Il présente une généralité certaine de par les termes que le législateur a utilisés. La flexibilité est encore l’un de ses caractères puisque l’article 10 prévoit dans le « motif légitime » un raison de se dérober à ses prescriptions[2388]. Le caractère qui fait défaut est sans doute celui de la continuité[2389]. L’obligation de concourir à la manifestation de la vérité a été formalisée dans la loi de 1972. Elle s’inscrit d’une certaine manière en rupture avec le droit antérieur. En particulier, elle contredit l’adage selon lequel nul ne peut être contraint à produire dans un procès un document contraire à ses intérêts[2390].
Il n’est donc pas certain que l’article 10 puisse être considéré comme l’expression d’un principe de procédure. Par sa généralité[2391] et par les pouvoirs qu’il confère au juge, il faut admettre qu’il est l’une des applications du principe de coopération. La production forcée résulte donc en premier lieu de ce principe. L’une de ses applications particulières[2392] est inspirée de surcroît par celui de la contradiction.
L’astreinte est une sanction dont la nature est difficile à déterminer. Malgré son caractère pécunier, les auteurs s’entendent pour la distinguer de la réparation pure et simple des dommages résultant de la résistance à une injonction[2396]. D’un autre coté, son caractère sanctionnateur lui donne la nature d’une peine privée[2397]. Enfin son régime, prévu par la loi du 9 juillet 1991🏛 sur les procédures civiles d’exécution la rapproche d’une sanction procédurale[2398]. L’astreinte est une mesure qui vise à faire pression sur la personne sollicitée par le juge[2399]. Elle a donc un caractère préventif et se distingue en cela des dommages et intérêts. Par ailleurs, elle est révisable. Le juge prononce une astreinte provisoire dissuasive et peut, si son injonction est exécutée, en diminuer le montant lorsqu’il fixe l’astreinte définitive. Prise à la suite du manquement ou du retard dans l’exécution de l’injonction, l’astreinte détient le caractère d’une sanction civile et punit la personne négligente ou défaillante a posteriori. La décision sur l’astreinte est exécutoire de plein droit. Elle confère à cette sanction un effet redoutable.
L’amende civile est une sanction quasi-répressive. Habituellement destinée à réprimer un abus du droit d’agir en justice[2400] ou d’exercer un recours[2401], elle sanctionne l’inapplication des règles qui ne visent pas uniquement les intérêts des justiciables. Le paiement de l’amende est dû à l’Etat et dans l’article 10 du Code civil🏛, il peut s’ajouter à l’astreinte ou aux dommages et intérêts. L’effet dissuasif de cette sanction se limite à une intimidation générale. Le juge ne peut en user de manière préventive comme c’est le cas de l’astreinte provisoire. On trouvera plutôt dans l’amende civile l’idée d’un comportement antisocial manifesté par la personne qui refuse d’apporter son concours à la justice. Le prononcé de l’amende révèle, en quelque sorte, l’échec de la coopération volontaire à la manifestation de la vérité.
La production forcée permet d’assurer le respect du principe de coopération au moment où cela est nécessaire car ce principe prévoit une obligation qui peut être mise en œuvre par la force. Lorsqu’un principe qui définit une interdiction est méconnu, l’action a priori du principe est impossible. Il faut alors rétablir la situation antérieure à la transgression. Tel est le cas de l’insertion d’une publication pour faire cesser une atteinte à la présomption d’innocence.
La jurisprudence a pu utiliser le secret de l’instruction pour protéger efficacement la présomption d’innocence. Dans une espèce, un auteur avait utilisé des pièces du dossier de l’instruction en cours pour publier un ouvrage portant sur les faits poursuivis. La Cour de cassation a interdit la diffusion de l’ouvrage litigieux dans la mesure où la violation du secret de l’instruction avait eu pour effet de porter atteinte à la présomption d’innocence[2404].
Les lois du 4 janvier et 24 août 1993 ont créé, avec l’article 9-1 du Code civil🏛, la possibilité pour une personne poursuivie présentée publiquement comme coupable d’une infraction, d’obtenir l’insertion d’un communiqué dans la presse. La loi du 15 juin 2000🏛 a modifié l’article 9-1 pour étendre son domaine d’application et prévoir outre la publication d’un communiqué, celle d’une rectification. Un certain nombre de limites résultant de la loi du 24 août 1993 ont été supprimées. L’ancien texte prévoyait que le communiqué devait être diffusé « dans la publication concernée »[2405]. Cette condition a disparu de sorte que le juge peut non seulement décider que la publication aura lieu dans un périodique qu’il désignera, mais encore dans plusieurs périodiques ou par voie audiovisuelle. Si l’ancien mécanisme pouvait être comparé à l’exercice d’un droit de réponse du fait du parallélisme entre l’atteinte au principe et la sanction consécutive, l’ouverture opérée par la loi du 15 juin 2000🏛 fait de la publication forcée une sanction propre de la présomption d’innocence.
Un auteur a pu affirmer à propos de l’article 9-1 qu’il créait une « faute civile d’atteinte à la présomption d’innocence »[2406]. L’intérêt de la sanction de cette faute réside dans la possibilité de rétablir la situation antérieure à la faute autrement que par une indemnisation. Tel est l’objectif de l’insertion d’un communiqué ou d’une rectification. Il s’agit de remettre en conformité une situation de fait avec le principe de la présomption d’innocence. Cette présomption a subi une atteinte en raison de la présentation publique d’une personne comme coupable d’avoir commis une infraction. La publication d’un rectificatif doit permettre à la personne mise en cause de retrouver le bénéfice de la présomption. Ce renversement supposé de l’atteinte à l’honneur est pourtant théorique. Pour cette raison, dans le prolongement de l’article 9-1, la loi a institué un mécanisme de publication de l’innocence reconnue.
En créant l’article 9-1 du Code civil🏛, le législateur a inséré dans le Code de procédure pénale deux dispositions permettant au juge d’instruction et à la chambre de l’instruction qui prononcent un non lieu, d’ordonner la publication partielle ou intégrale de la décision ou l’insertion d’un communiqué informant le public de la décision et de ses motifs[2407]. La loi du 15 juin 2000🏛 a complété ces articles en permettant aux juges d’ordonner d’office cette publication. Au contraire, si les magistrats refusent de faire droit à la demande de l’intéressé, ils doivent rendre une ordonnance motivée, susceptible d’un recours.
Le texte est allé un peu plus loin dans la protection de l’honneur de la personne anciennement poursuivie. Lorsque cette dernière a été visée nommément dans une plainte avec constitution de partie civile, une action contre la prétendue victime est possible sur le fondement d’une action en dommages et intérêts[2408]. En cas de condamnation le Tribunal peut ordonner la publication de la décision préjudiciable à la partie civile.
Ces différents recours à la publication poursuivent tous la même finalité. Pendant le déroulement de la procédure, la personne poursuivie a subi, du fait de la victime ou d’un tiers, une atteinte à son honneur. Cette atteinte est protégée, jusqu’à la décision définitive, par la présomption d’innocence. A partir de cette décision, l’atteinte peut demeurer du fait de la négligence de la presse pour assurer la publicité du non lieu, de la relaxe, de l’acquittement, voire de la condamnation de la partie civile. Il faut alors rétablir une situation de fait conforme à l’honneur de l’intéressé. L’honneur peut résider dans l’innocence présumée ou encore dans l’innocence révélée.
En tant qu’obligation civile, l’insertion dans la presse peut conduire le juge à utiliser l’astreinte. Pour inciter les directeurs de publication à faire droit à l’injonction, la loi du 4 janvier 1993🏛 a intégré dans l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881🏛 un dernier alinéa qui prévoit une sanction pénale. Le directeur de publication encourt, s’il refuse l’insertion, une peine de trois mois d’emprisonnement et de 25 000 F. d’amende. Le recours à la sanction répressive s’avère être une méthode énergique pour garantir l’action des principes directeurs et réparer le trouble à l’ordre social qui en est résulté.
Comme expression du droit au juge entendu au sens large, le déni de justice suppose, pour être constitué, que le débiteur de l’obligation ait été requis de rendre la justice. Il faut en plus qu’il ait maintenu son refus après injonction de l’autorité supérieure. Cette injonction ne peut porter atteinte au pouvoir discrétionnaire du juge ou provenir du requérant. En conséquence, ne commet pas un déni de justice, le juge d’instruction qui n’a pas fait droit à l’injonction d’une partie de prononcer une « inculpation »[2411].
L’article 434-9 du Code pénal🏛 incrimine la corruption active ou passive de toute personne détenant un pouvoir juridictionnel. Les lourdes peines qui accompagnent cette incrimination[2413] ont un objet dissuasif. Si la corruption passive est commise par un magistrat au bénéfice ou au détriment d’une personne faisant l’objet de poursuites criminelles, l’infraction commise par le juge est criminalisée[2414].
L’impartialité du juge est protégée par l’existence de certaines infractions relatives aux pressions qui peuvent être exercées sur eux. L’article 434-8 du Code pénal🏛 incrimine les menaces et intimidations commises à l’encontre des personnes qui siègent dans une juridiction de jugement. Ces pressions peuvent être indirectes et se produire par voie de presse. Pour cette raison, l’article 434-16 vise la publication, avant qu’une décision juridictionnelle définitive n’ait été rendue, de commentaires qui tendent à exercer des pressions en vue d’influencer une juridiction d’instruction ou de jugement. La responsabilité pour cette infraction suit le régime des infractions de presse. Elle atteint donc le directeur de la publication[2415].
Avant toute incrimination, il est possible de persuader un témoin défaillant de comparaître sous la menace de l’amende civile de l’article 297 du nouveau Code de procédure civile. En procédure pénale, la loi du 15 juin 2000🏛 institue un mécanisme répressif identique en introduisant un article 434-15-1 dans le Code pénal🏛. Il punit le fait pour un témoin de ne pas comparaître devant le juge d’instruction qui l’a cité, de 25 000 F. d’amende. A l’instar des sanctions civiles, la répression du refus de témoigner procède de la mise en œuvre du principe de coopération. Encore faut-il que le témoin soit loyal.
La répression du faux témoignage est prévue aux articles 434-13 et 434-14 du Code pénal🏛🏛. Seul celui qui a déposé sous serment peut être touché par cette incrimination, mais le faux témoignage est poursuivi quelle que soit la juridiction devant laquelle le témoin dépose[2416]. Le témoignage mensonger est celui qui altère volontairement la vérité[2417] et donc la conviction des juges. En ce sens, le faux témoignage introduit la fraude dans le litige. Il est empreint de déloyauté envers la juridiction et la partie lésée par les fausses affirmations qu’il contient. Le faux témoignage peut aussi résulter de la subornation de témoin. Prévue à l’article 434-15, elle permet de poursuivre les personnes qui ont tenté d’obtenir par dons, promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de faits, manœuvres ou artifices, une déposition, déclaration, ou une attestation. La corruption passive n’existe pas à l’encontre du témoin déloyal. Celui-ci n’encourt que les peines prévues pour le témoignage mensonger.
La fraude peut encore s’introduire dans le procès avec l’altération des preuves. Il peut s’agir du fait de modifier l’état des lieux d’un crime ou d’un délit, ou encore de détruire, soustraire ou altérer des documents qui faciliteraient la découverte de la vérité. Ces faits sont incriminés par l’article 434-4. Il faut y ajouter le recel de cadavre de l’article 434-7 qui fait obstacle à la découverte de la vérité.
Cette illustration montre que le droit pénal est parfois un instrument adéquat pour assurer un rôle d’encadrement du droit processuel. Cette fonction ne se réduit pas aux infractions visant directement la matière. Certaines incriminations concernent incidemment des questions de procédure.
L’infraction principale est prévue à l’article 226-1 du Code pénal🏛. Elle réprime de façon générale les procédés volontaires qui permettent de capter, d’enregistrer et de transmettre l’image et la parole d’un individu sans son consentement. L’article 226-15 interdit à son tour l’interception et le détournement des correspondances. Cette infraction d’atteinte au secret des correspondances est reprise dans le livre IV du Code pénal. L’article 432-9 prévoit l’interdiction d’ordonner, de faciliter ou de commettre une atteinte aux correspondances pour une personne dépositaire de l’autorité publique. La commission de cette infraction n’a pas lieu lorsqu’elle est autorisée par la loi. Tel est le cas des écoutes téléphoniques opérées en application de la loi du 10 juillet 1991. En revanche, si la personne dépositaire de l’autorité publique effectue de telles écoutes en dehors du cadre légal, elle s’expose aux sanctions de l’article 432-9. Concernant le procès civil, l’article 226-15 du Code pénal🏛 s’applique à toutes les parties à la procédure. La jurisprudence a eu l’occasion de l’appliquer à des époux en rejetant l’hypothèse d’une éventuelle immunité[2422].
Toujours dans le cadre de la protection de l’intimité, le Code pénal incrimine depuis 1810 la violation de domicile lorsqu’elle est commise par un fonctionnaire. En 1832, l’infraction a été étendue à l’acte accompli par un particulier[2423]. L’article 226-4 du Code pénal🏛 reprend cette incrimination et, depuis la réforme de 1992, a été inséré dans le Code un article 432-8. Cette disposition réprime l’atteinte à l’inviolabilité du domicile commise par une personne dépositaire de l’autorité publique hors des cas prévus par la loi. Cet article s’applique particulièrement aux huissiers de justice chargés d’établir des constats, mais encore aux officiers de police judiciaire qui effectuent des perquisitions. Encore une fois, le fait pour ces personnes de se détourner du cadre légal, est constitutif de l’infraction de violation de domicile.
D’autres principes relatifs aux droits individuels sont protégés par la loi pénale. Les atteintes volontaires à l’intégrité physique sont visées dans le Code pénal sous la qualification de violences. Au sens de l’article 3 de la CESDH, les violences qui prennent la forme de tortures, ou de traitements inhumains ou dégradants sont constitutifs d’une atteinte au principe de dignité de la personne. Les articles 222-12, 222-10 et 222-8 prévoient une circonstance aggravante lorsque ces violences sont exercées par une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de sa mission.
Les différentes infractions envisagées montrent que la protection des principes peut provenir de dispositions qui ne visent pas directement la procédure. Pour autant, que ce soit par le biais d’un article spécial ou d’une circonstance aggravante, les faits infractionnels commis par les acteurs du procès sont définis en tenant compte de leur particularisme.
Définie dans l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881🏛, la diffamation consiste en une « allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». La constitution du délit nécessite qu’une publicité soit faite à l’allégation ou l’imputation[2424]. Prévue en des termes généraux, la diffamation, par ses éléments constitutifs, est susceptible de porter atteinte à la présomption d’innocence. Le fait déterminé est représenté par l’infraction poursuivie ; l’allégation par l’accusation portée contre une personne déterminée d’avoir accompli l’infraction ; l’atteinte à l’honneur, par la mise en cause publique d’une personne qui n’a pas été condamnée pénalement. La jurisprudence décide ainsi que la diffamation peut résider dans le fait de laisser croire à la culpabilité d’une personne contre laquelle n’existe que des soupçons[2425]. Avant tout jugement définitif de la personne diffamée, l’auteur de la diffamation peut néanmoins échapper à des poursuites répressives en démontrant la véracité de ses allégations. La Cour de cassation exige alors que le prévenu en fasse la preuve complète et dans toute leur portée[2426]. L’originalité de cette cause d’exonération réside dans le fait que l’auteur de l’allégation a dû, pour échapper à sa responsabilité, démontrer la culpabilité d’une personne qui n’a pas encore été jugée. Cette dernière est donc toujours présumée innocente dans la procédure qui la concerne. Une telle situation souligne un peu plus la distinction entre les aspects fondamental et procédural de la présomption d’innocence.
Une autre infraction du droit commun est utilisée sous une forme spéciale en droit processuel. Il s’agit du recel prévu à l’article 321-1. Cette infraction consiste notamment dans le fait de « bénéficier par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit ». Le recel s’attache à l’existence d’une autre infraction. Aussi, la Cour de cassation a-t-elle pu retenir l’infraction de recel de violation du secret de l’instruction à l’encontre de journalistes qui ont utilisé des pièces d’un dossier protégé par ce principe[2427]. La juridiction suprême constate que « la communication des documents en cause ne peut avoir lieu qu’en infraction aux dispositions de l’article 11 du Code de procédure pénale🏛 protectrices du secret de l’enquête et de l’instruction (…), que le délit de recel de violation du secret de l’instruction est caractérisé par la publication (…) des photographies obtenues de manière illicite, étant observé que (…) aucun des prévenus ne pouvait ignorer qu’ils provenaient d’enquêtes judiciaires »[2428]. La violation du secret de l’instruction n’est pas en elle-même une infraction. L’article 11 al 2 du Code de procédure pénale prévoit que les personnes qui concourent à la procédure sont tenues au secret professionnel dont l’atteinte est réprimée par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal🏛🏛. L’infraction qui protège le principe de l’article 11 est donc la violation du secret professionnel des personnes participant à la mise en état. Le recel de violation du secret de l’instruction est une infraction constituée par la référence à deux incriminations qui ne concernent pas exclusivement le principe en question : le recel et le secret professionnel.
Un tel mécanisme montre que la protection répressive des principes directeurs peut passer par l’utilisation d’incriminations empruntées au droit pénal commun. En l’absence d’une protection spéciale, les juridictions vont rechercher l’action des principes dans des infractions générales. Cette action d’amplification des sanctions par les principes directeurs se retrouve en matière disciplinaire.
La voie disciplinaire peut faire suite à une condamnation pénale. Toutefois, les poursuites disciplinaires sont indépendantes de l’action devant les juridictions pénales. Il faut les distinguer des possibilités d’une interdiction temporaire d’exercice de l’activité professionnelle du magistrat, lorsque les poursuites pénales engagées contre lui discréditent le magistrat ou l’institution[2429]. La discipline des magistrats du siège et celle des magistrats du parquet ne suivent pas la même voie procédurale. De plus, si la palette des sanctions est commune aux deux ordres[2430], les obligations inhérentes à leurs fonctions divergent.
La référence la plus importante du CSM dans la mise en œuvre de la responsabilité des magistrats est celle de l’impartialité. On pourra reprocher à un magistrat de ne pas s’être « déporté » pour éviter d’avoir à statuer dans une affaire qui mettait en cause une personne avec qui il entretenait des relations intimes. Cette sanction renvoie à l’article 339 du nouveau Code de procédure civile qui fait obligation au juge de s’abstenir lorsqu’une cause de récusation lui est applicable ou s’il estime « en conscience » ne pas être impartial.
L’impartialité s’attache principalement à la fonction de juger, mais elle est aussi une « obligation générale du corps judiciaire »[2433]. En tant que partie au procès, le magistrat du ministère public ne devrait pas être tenu par cette obligation. Toutefois, le Procureur de la République est à l’initiative des poursuites pénales. Il exerce un choix qui détermine l’ouverture d’une procédure ou le classement du dossier. Dans le cadre de ces attributions, le magistrat du parquet doit faire preuve d’impartialité. A été mise en doute cette qualité, à propos d’un substitut qui avait pris des décisions de poursuites et de classement à l’encontre ou au bénéfice de personnes avec qui il était en relation d’affaires[2434]. Les sanctions pour manquement à l’impartialité peuvent être choisies parmi les plus graves. Un tel comportement du magistrat est considéré comme « contraire à l’honneur » et justifie la révocation de l’intéressé[2435].
Dans le même état d’esprit, l’autorité disciplinaire pénètre dans la vie privée des magistrats pour condamner des relations amicales susceptibles de « compromettre gravement l’indépendance du magistrat dans la cité »[2436].
Certains principes créent des pouvoirs au profit des magistrats de l’ordre judiciaire. Ces prérogatives constituent dans le même temps des obligations pour les juges. Un magistrat peut être poursuivi disciplinairement lorsqu’il refuse de siéger à des audiences de juge délégué. Le CSM estime que cette attitude doit être comprise comme « un refus d’assumer les obligations qui lui incombent en tant que juge gardien investi par la Constitution du respect des libertés individuelles et caractérise une totale méconnaissance de l’étendue de ses devoirs et une absence du sens des responsabilités »[2437]. Cette décision est intéressante en ce qu’elle montre que les principes directeurs qui attribuent des pouvoirs aux magistrats leurs confèrent dans le même temps la responsabilité de les exercer.
Les droits des individus opposables à l’institution judiciaire se reportent sur les magistrats. Le principe de célérité confère à tout justiciable le droit de voir sa cause jugée dans un délai raisonnable. Cette obligation est mise à la charge des magistrats qui doivent faire preuve de diligence dans l’exercice de leur fonction. On a reproché à un juge d’instruction un « laps de temps inexplicable entre deux actes successifs de procédure dans une même affaire »[2438]. Le respect du principe de célérité est encore plus indispensable lorsqu’il s’agit de la question de la détention provisoire. Le CSM impose un « devoir de rigueur (…) dès lors qu’il s’agit de la liberté individuelle »[2439]. L’obligation de diligence et de célérité s’étend évidemment aux magistrats du parquet[2440].
Dans une autre perspective, l’action des principes directeurs possède deux aspects distincts. D’un coté, il s’agit d’une action purement juridique : mise à l’écart d’une norme technique supérieure ou inférieure, annulation d’un acte de procédure, sanction à l’égard d’un acteur, sont autant d’aspects pratiques de cette action. D’un autre coté, les principes exercent sur le droit processuel une action politique. Leur origine téléologique permet d’insuffler à l’ensemble des règles de procédure une dimension politique. Le droit processuel n’est pas dénué de fondements ; il n’est pas un droit simplement technique. Au contraire, il possède un esprit, une orientation, une cohérence. Ces caractéristiques existent grâce à l’action des principes. Chaque principe agit d’abord dans un domaine déterminé. Il transmet aux règles techniques prises pour son application la finalité qui fonde son existence. Il prend la forme d’un noyau autour duquel gravitent des règles techniques de procédure. Le principe agit ensuite en coordination avec d’autres. Ces normes se combinent ou se contredisent, de sorte qu’il ressort de l’ensemble de leurs interactions, une cohérence plus globale de l’ordre juridique processuel. Cette cohérence forme la dimension politique de l’action des principes. De par leur dimension téléologique et de par leurs liaisons, les principes s’organisent en une infrastructure ordonnée sur la base de laquelle le droit processuel technique se développe.
En faveur du particularisme, on peut développer plusieurs arguments. Sur un plan technique, certains principes présentent une spécificité incontestable. Tel le cas de la combinaison des trois principes : droit au juge, double degré de juridiction, droit au recours. A eux seuls, ils constituent les fondements de la naissance, de la vie et de la mort de l’action en justice. Ils occupent une place qui leur est propre dans le droit processuel. Plus généralement, les principes se comportent, sur un plan théorique, comme les fondements du système normatif processuel. Ils servent à organiser le droit existant. Ils dirigent le droit dans ses évolutions. Ils unifient les procès civil et pénal. Cette action de coordination générale du droit judiciaire est essentielle mais sous-jacente. Il n’existe pas de volonté politique affichée de leur attribuer une fonctionnalité propre. Officiellement les principes directeurs ne sont que des règles de procédure parmi d’autres.
A l’encontre du particularisme, on doit se rendre à l’évidence que l’action des principes directeurs n’a pas encore trouvé la spécificité qu’elle devrait avoir. Pour annuler un acte de procédure, une juridiction peut se fonder sur la violation d’un principe ou d’une règle technique. D’ailleurs, le non respect d’un principe passe souvent par celui d’une règle de procédure. Lorsque la chambre de l’instruction annule un procès verbal de garde à vue pour dépassement de la durée de la mesure, elle utilise le principe de la liberté d’aller et de venir. Pourtant, elle vise dans son arrêt l’article 63 du Code de procédure pénale🏛 qui règle la durée précise des gardes à vue. L’action des principes sur le déroulement du procès est, dans un grand nombre de cas, une action médiate. Un acte est censuré, un acteur est sanctionné, parce qu’ils ont violé une disposition technique. Cette disposition trouve sa raison d’être dans un principe. L’action du principe est concomitante à celle de la règle technique.
Il faut alors faire la part du particularisme de l’action des principes directeurs. A l’heure actuelle, il n’est reconnu aucune action spécifique aux principes dans les textes. Que ce soit dans les dispositions liminaires du nouveau Code de procédure civile ou dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale, les principes de procédure ne sont pas assortis d’un processus de sanction distinct de celui des autres normes. A l’inverse, on observe de façon assez nette une action autonome des principes directeurs. D’un point de vue théorique, les principes ont une place particulière dans le système normatif qui leur confère une action propre. Les autorités qui détiennent le pouvoir de création du droit utilisent les principes pour organiser leur œuvre et pour lui conférer une dimension politique. D’un point de vue pratique, le juge utilise les principes pour introduire des modifications dans l’ordre hiérarchique organique. Le juge peut neutraliser, voire évincer une norme technique contraire à un principe. Cette action révèle le potentiel normatif des principes.
D’un point de vue politique, il convient de poser les principes comme des règles de base du système processuel. Le législateur et le pouvoir réglementaire doivent systématiquement se référer aux principes lorsqu’ils décident de réformer des règles écrites. Il faut, pour chaque réforme, se poser la question de la conformité ou de la contrariété des règles nouvelles vis-à-vis des principes existants. En cas de contradiction entre la règle technique nouvelle et le principe, le réformateur doit justifier son choix par un argument téléologique présenté dans l’exposé des motifs. Dans cet esprit, le juge, lorsqu’il détermine une règle nouvelle ou qu’il interprète une règle existante, doit se poser la question de la conformité avec le principe. S’il choisit de déroger au principe, il doit lui aussi justifier son choix dans les motifs de sa décision.
D’un point de vue technique, on peut émettre le vœu que les juridictions utilisent avec plus de clarté les principes directeurs du procès. Il serait alors possible de donner à ces normes une plus grande indépendance. D’une part, le juge doit pouvoir, quel que soit le principe qu’il utilise, déclarer que la norme qui lui est contraire soit écartée quelle que soit sa source et quel que soit son rang hiérarchique. D’autre part, la sanction de la violation d’un principe ne devrait pas être conditionnée. Par exemple, la méconnaissance d’un principe susceptible d’entraîner l’annulation d’un acte ne doit pas être limitée par l’exigence d’un grief. Il ne s’agit pas d’inclure la catégorie des principes dans celle des règles d’ordre public[2441]. Il faut en revanche considérer que la transgression d’un principe entache l’acte d’un vice si grave qu’il doit être automatiquement annulé. La condition du grief doit pouvoir être supprimée lorsque le juge constate qu’un principe de procédure a été méconnu[2442]. Dans le même état d’esprit, le non respect d’un principe qui cause un préjudice personnel devrait constituer le fait générateur d’une action en responsabilité civile contre son auteur. De telles actions existent déjà pour les principes de l’intimité de la vie privée[2443], de la présomption d’innocence[2444], ou de la coopération[2445]. On peut imaginer que cette action soit étendue lorsqu’il s’agit d’engager la responsabilité de l’Etat pour violation du principe d’impartialité ou encore pour une méconnaissance du droit au juge lorsqu’il en est résulté un préjudice. L’intérêt d’une telle action réside dans le fait que la violation du principe constitue le fondement du droit à la réparation. Ainsi, la violation du droit au juge assortie d’un préjudice et d’un lien de causalité devrait permettre d’ouvrir la voie de la responsabilité civile sans qu’il soit nécessaire d’établir l’existence d’une faute lourde ou d’un déni de justice.
De nombreuses perspectives s’offrent pour que l’action des principes directeurs monte en puissance et acquière son autonomie. A ce titre, l’avenir des principes directeurs dépend probablement de la consécration formelle à laquelle cette catégorie échappe actuellement.
Les principes directeurs du procès judiciaire se sont-ils dévoilés au chercheur individuel ? Qu’avons-nous réellement communiqué de ce que nous avions été capable de voir ou d’apercevoir en eux ?
Il est temps de rassembler les observations pour savoir si une réponse peut être apportée autour de la problématique initialement posée. Rappelons-en les termes : les principes directeurs du procès judiciaire forment-ils une catégorie juridique distincte de celle constituée par les règles techniques de la procédure ? Le lecteur attentif ne pourra s’attendre à une réponse univoque. L’ambiguïté des principes a trop souvent été soulignée. Elle empêche toute conclusion péremptoire. La mesure incite à faire la part entre ce qui est et ce qui peut être.
Dans une seconde approche, on remarque que l’absence de formalisme dans la définition des principes conduit à entraver le développement de sanctions appropriées à la violation de ces normes. Les principes directeurs sont des règles essentielles du droit processuel. Il est regrettable que leur respect ne soit pas particulièrement assuré. Leur efficacité dépend de cette protection. Si l’on inscrit dans le droit positif un principe de célérité, on doit l’assortir d’une action en responsabilité civile contre celui qui retarde le déroulement de l’instance. Cette action doit être la plus générale possible. Elle ne peut être soumise à la preuve d’un déni de justice ou d’une faute lourde. Si le principe de loyauté a été transgressé, les pièces ou actes qui résultent de cette violation doivent automatiquement être annulés car la recherche de la vérité et la crédibilité de l’institution sont mises en cause. Nullité et responsabilité sont deux sanctions parmi d’autres dont le développement est soumis à la reconnaissance formelle des principes dans le droit positif.
La réalité de la catégorie des principes directeurs du procès judiciaire n’est pas établie avec certitude dans le droit positif. Le Professeur BERGEL expose que les catégories juridiques « procèdent (…) de choix intellectuels même si ceux-ci sont orientés par l’observation des faits, l’étude du droit objectif et les exigences des réalités »[2448]. Tel est bien la réalité des principes directeurs. Il s’agit avant tout d’une catégorie doctrinale construite sur l’observation du droit positif. La présente étude ne sort pas de ce contexte. Elle propose simplement une alternative.
Le constat mitigé qui vient d’être posé suscite deux types de réactions. La première est de cantonner les principes dans leur statut de catégorie doctrinale pourvue d’une dimension idéologique forte, mais dont l’action sur le droit positif est sous-jacente. Les principes demeurent des constructions intellectuelles qui désignent des règles de droit ne présentant pas de fonction propre au sein du système normatif processuel ou du procès judiciaire. La seconde est de considérer que les principes doivent accéder au rang de catégorie juridique autonome du droit positif. Ces normes seront sélectionnées selon des critères prédéfinis et disposeront d’un statut particulier. La première attitude marque un retrait, voir une méfiance vis-à-vis des principes. La seconde est plus novatrice ; elle repose aussi sur une certaine confiance à l’égard de l’autorité judiciaire.
Sans hésitation, nous choisissons la seconde. Il faut alors tracer la voie de ce que les principes peuvent être.
Les deux tentatives de faire émerger des principes dans les Code de procédure doivent être considérées avec réserve. Dans le nouveau Code de procédure civile, le travail de la doctrine n’a porté que partiellement ses fruits. Certes, l’esprit du procès civil réside dans les vingt-quatre premiers articles du Code. Toutefois, il est plus de règles techniques dans les dispositions liminaires que de véritables principes. On y trouve une approche globale du procès, mais pas une consécration positive des principes en tant que normes autonomes.
L’article préliminaire du Code de procédure pénale résultant de la loi du 15 juin 2000🏛 n’est pas plus convaincant. Il débute par une référence à la CESDH : « la procédure doit être équitable ». A la réflexion on peut même douter de l’héritage européen de ce premier alinéa. Dans le projet, il avait été prévu que l’article préliminaire serait ainsi rédigé : « la procédure pénale doit être juste et équitable ». Dans cette formulation, la référence philosophique est immédiate. La justice doit être… juste. Quoi de plus commun pour ouvrir un Code ! Cette réflexion critique n’a d’autre but que de montrer la défaillance méthodologique de l’œuvre du législateur dans la loi du 15 juin 2000🏛. La liste retenue dans l’article préliminaire n’est aucunement justifiée. Elle ne correspond à aucune démarche réfléchie. Certains principes figurent déjà dans les textes (la présomption d’innocence, le procès équitable), d’autres n’ont été que partiellement consacrés (la séparation des fonctions). Hormis la reconnaissance des droits des victimes, chacun des principes énoncés existait déjà dans le droit positif. Leur intégration dans le Code ne modifie pas leur autorité normative. Plus grave encore est l’absence d’audace dans la détermination des principes. L’exemple significatif est le dernier alinéa ainsi rédigé : « Toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction ». On aimerait trouver dans cet alinéa la reconnaissance du droit au double degré de juridiction. Tel n’est pas le cas. Aucun des termes employés ne suggère le double examen au fond de la condamnation. La formule rappelle plutôt la réserve de la France émise à l’égard du protocole n°7 additionnel à la CESDH. Cette réserve assimile le recours en cassation à un second degré de juridiction. Elle était destinée à garantir la conformité de la procédure criminelle avec la Convention européenne et n’a plus de sens depuis l’instauration, par la loi du 15 juin 2000🏛, d’un appel contre les décisions rendues en premier ressort par les Cours d’assises. Absence de méthode et de courage politique, tels sont les principaux reproches que l’on peut émettre à l’encontre de la loi du 15 juin 2000🏛. Tout effort pour mettre en valeur les principes directeurs nécessite au contraire de mettre en avant ces deux qualités.
Notre démarche est sensiblement différente. Ancrée dans le passé, elle se veut le relais de règles préexistantes qui constituent les fondements du droit processuel. Tournée vers l’avenir, elle ambitionne de créer dans le droit positif une catégorie de normes nouvelles dont le particularisme manifesterait une autre façon de concevoir le système procédural.
Au préalable, il est nécessaire de définir des objectifs. Seul un modèle perfectible appelle au changement. Qu’y a-t-il donc à parfaire dans le système processuel français ? Ce droit est artificiellement divisé. Il est constitué de très nombreuses règles dont la cohérence n’est pas toujours décelable. Il est parfois trop technique et éloigné des préoccupations essentielles que sont la résolution du différend et le respect des droits des parties.
De par leurs caractères, les principes directeurs constituent les instruments adéquats pour améliorer la qualité du droit processuel interne. Pourtant, leur action est souvent entravée par le fait qu’ils ne sont pas assortis de sanctions suffisamment efficaces pour en garantir l’application. Le juge doit pouvoir imposer le respect des principes dans le déroulement du procès[2451]. Il doit encore assurer leur prédominance sur les autres normes juridiques. Si l’on attribue aux principes directeurs un statut normatif particulier, il est indispensable de déterminer avec précision quels sont ces principes. C’est le système juridique dans son entier qui doit être redéfini.
La reconnaissance de principes directeurs du procès judiciaire sollicite une réforme du système juridique dans sa globalité. En créant les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, le constituant de 1946 ne mesurait pas l’essor que prendrait cette catégorie de normes dans le droit français. Aujourd’hui, ces principes possèdent une puissance normative considérable au regard de leur position dans la hiérarchie organique et de l’importance des finalités qu’ils protègent. L’exemple des principes fondamentaux montrent que les appellations juridiques engendrent des réalités juridiques, pour peu qu’elles figurent dans un texte constitutionnel. Il faut aller plus loin. Les principes fondamentaux ont acquis leur statut grâce au juge constitutionnel. Le constituant ne doit pourtant pas être mis à l’écart de l’élaboration de types de normes nouvelles. On peut imaginer la création d’une catégorie de « principes juridiques » dans le texte même de la Constitution assortie d’un statut et d’une fonctionnalité propre. Il ne s’agit pas de faire figurer dans la Constitution une liste de principes directeurs. En revanche, la notion de principe juridique doit y être définie de façon conceptuelle. Le texte constitutionnel renverrait ainsi au législateur et au juge le soin de déterminer le contenu de cette catégorie.
La présence de la notion de principe dans le droit constitutionnel constituerait ainsi le fondement de l’action du législateur et de l’autorité juridictionnelle. En effet, le juge doit être impliqué dans le processus de détermination des principes directeurs. Si la catégorie des principes juridiques existe dans la Constitution, si une liste de principes directeurs est établie dans un Code, l’autorité judiciaire doit aussi contribuer à la construction et au développement de ces normes. En toute état de cause, les juridictions ont pris les devants sur cette évolution souhaitable du droit. Ils formalisent des principes, en assurent la mise en œuvre, les imposent face aux normes textuelles. Ce mouvement ne doit pas être contrarié. Bien au contraire, il est possible de lui donner plus d’ampleur. Une telle innovation n’est pas dénuée de risques. Elle établit une division entre des normes supérieures et inférieures en fonction de critères matériels et non formels. Elle entraîne inévitablement un accroissement des pouvoirs du juge. Pour cette raison, il est nécessaire de poser un cadre à ce développement. Ce cadre passe par le recours au droit constitutionnel, mais encore par la rigueur dans la définition des principes. Cette exigence concerne le législateur comme le juge. Il est un temps où le pouvoir ne suffit plus, il faut alors faire preuve de méthode.
De manière conventionnelle, on décide de repérer l’autorité matérielle de chaque norme sur un axe horizontal (dit axe des abscisses) et l’autorité formelle sur un axe vertical (dit axe des ordonnées). Dès lors, la puissance juridique d’une norme ne sera plus représentée par sa position sur un axe mais par la surface qu’elle occupe sur un repère orthogonal appelé « repère plan ». Si l’on compare l’autorité juridique d’une règle technique et d’un principe, on peut obtenir le schéma suivant.
La lecture de ce schéma fait apparaître qu’un principe, qui trouve sa source dans une origine organique inférieure vis-à-vis d’une autre règle technique écrite, peut détenir une autorité supérieure. Cette autorité est proportionnelle à la surface qu’il occupe sur le repère-plan car il émane d’une source téléologique plus importante. La valeur ou l’utilité qu’il incarne se doit d’être protégée, si nécessaire en écartant l’application d’une règle théoriquement supérieure.
Sur cette figure sont représentés deux principes de rang constitutionnel. Leur autorité normative n’est pas la même car la finalité sociale qu’ils incarnent n’a pas la même position sur l’axe téléologique :
A valeur constitutionnelle égale, le principe n°2 occupe une surface plus importante dans le repère plan en raison d’une dimension axiologique (en l’espèce) plus grande (protection d’une valeur plus importante). Les sous-catégories d’un même niveau sont donc graduées en fonction de leur dimension téléologique.
Restée à un niveau conceptuel, la théorie des trois plans ouvre la voie d’explications nouvelles sur le fonctionnement du système juridique. Une représentation graphique peut aider à sa compréhension.
L’intérêt de la représentation graphique est de montrer que le juge peut se placer à un endroit quelconque sur le plan du droit. Il peut donc utiliser toutes les règles juridiques quelle que soit leur valeur. Une réserve peut être apportée à cette représentation. Il semble en effet que le plan de l’activité juridictionnelle n’occupe pas une position verticale[2454]. Le juge est saisi par les parties sur un fait ou un ensemble de faits donnés. De même, le litige fait apparaître en filigrane, un ou plusieurs faits sociaux. Le plan de l’activité juridictionnelle est donc préalablement lié au plan du fait par l’étendue de la saisine de la juridiction. Par contre, les magistrats peuvent disposer librement de l’application de la règle de droit. Rien n’interdit au juge de se situer à un endroit quelconque du plan du droit, pourvu qu’il y trouve ou détermine lui même une règle pour résoudre le litige. Il n’est pas possible de dire que cette règle se trouve obligatoirement sur un plan perpendiculaire aux faits dont la juridiction est saisie. Le plan de l’activité juridictionnelle coupe les deux plans horizontaux selon un angle déterminé par le juge. Pour une même situation factuelle, ce dernier peut déterminer l’angle que prendra le plan de son action comme le montre le schéma suivant :
La théorie des trois plans néglige la complexité du plan du fait. Cette représentation graphique est lacunaire dans la description de la réalité. Selon l’angle que forme le plan du fait avec celui de l’activité juridictionnelle, la norme appliquée par le juge prendra une place différente sur le plan du droit. Cette réflexion mène à une autre constatation : selon le fait mis en valeur dans le litige, l’angle pourra varier comme le montre le schéma suivant :
Sur cette figure, on peut observer que la position du fait sur son plan peut influencer le choix du juge. Ce dernier se sert des informations inhérentes au fait pour déterminer sa projection sur le plan du droit. L’analyse est pourtant toujours lacunaire dans la mesure où l’on ne sait pas comment est constitué le plan du fait et quels sont les critères qui déterminent la position du fait sur son plan. En effet, il est malaisé de représenter sur un même plan, les faits et les règles (non juridiques) de la vie en société, les actes individuels et collectifs, les faits objectifs dénués de connotation idéologique ou téléologique et les faits déterminés ou en relation avec de telles connotations. On se trouve ici confronté à la complexité et à la polymorphie du phénomène étudié. L’analyse juridique ne permet pas de l’appréhender sous des angles multiples ; ce qui réduit ainsi sa compréhension et sa représentation. La recherche se limite à une observation juridique partielle mais qui constitue un commencement d’explication, une partie de l’approche globale.
Pour comprendre la représentation qui va être développée ; il est indispensable d’admettre au préalable que l’ensemble des faits matériels et des enjeux qui en découlent forment la matière première du procès. C’est sur cette base que va se dérouler le processus du choix ou de la création de la norme par le juge en fonction de différents critères. Si l’on poursuit la représentation graphique du Professeur MORVAN, le plan de l’activité juridictionnelle coupe celui des faits en un ou plusieurs points fictivement constitutifs d’une situation donnée préliminaire[2455].
Le rôle du juge est de joindre le fait et le droit. Le juge, pour déterminer la norme applicable, part des faits qui sont dans le conflit. Il s’agit de faits bruts (les faits de l’espèce), sans connotation téléologique, et de faits sociaux (valeurs et utilités mises en jeu par le litige). Ces faits lui donnent des indications sur la règle applicable, mais encore sur la position de cette règle dans la hiérarchie des normes. C’est grâce à ces éléments que le juge peut remonter jusqu’au plan du droit.
On peut alors combiner la théorie des trois plans avec celle du repère-plan qui a été développée plus haut[2456]. On peut reprendre l’idée que l’autorité d’une norme figure, non pas sur un axe unique mais plutôt sur un repère-plan marqué par deux axes hiérarchiques différents (l’axe hiérarchique organique et l’axe hiérarchique téléologique). Il semble alors possible de dire que l’autorité de la norme appliquée par le juge dépend en partie du plan du fait. Si la norme incarne une valeur ou une utilité importante dans le plan du fait, cela se répercute sur le plan du droit. La figure suivante est une illustration de cette explication. Sur cette figure, le droit est représenté sous la forme d’un plan. La hiérarchie des règles au sein de ce plan s’organise autour de deux axes : l’axe formel ou organique, qui définit les trois principales strates de la hiérarchie en droit interne et l’axe matériel ou téléologique, qui détermine l’autorité sociale de la valeur ou de l’utilité incarnée dans la norme.
Sur cette figure, on voit que la place de la règle applicable dépend du fait à l’origine du litige. Si ce fait met en jeu une valeur sociale dont l’importance est croissante, la place du fait sur son plan change et, en conséquence, la place de la règle de droit sur son plan est aussi modifiée. Si cette place est modifiée, l’autorité de la règle n’est plus la même. Ainsi, la règle applicable peut évoluer du domaine réglementaire vers le domaine légal ou constitutionnel. Elle peut encore évoluer sur l’axe hiérarchique téléologique de sorte que sa surface va croître et donc son autorité normative va augmenter.
Il faut admettre que cette représentation est abstraite et qu’il est impossible, pour un litige donné, de définir sa place sur le plan du fait. De même, sur le plan du droit, il est impossible de graduer l’axe représentant le critère téléologique. Une valeur ou une utilité est difficilement quantifiable. En revanche, le juge peut faire primer une valeur sur une autre. La première occupera donc une position supérieure à la seconde sur l’axe téléologique.
Sur le schéma, on peut constater que c’est effectivement sur le plan du fait que se dessinent les coordonnées téléologiques de la norme que le juge va appliquer. Sur le plan du droit, on retrouve l’image de la surface occupée par la norme qui confère à cette norme son autorité juridique. Si le juge place deux normes en confrontation dans un même procès, il devra se poser la question de l’origine de chacune de ces normes sur le plan du fait et, en fonction de leur position respective, les replacer correctement sur le plan du droit, tant sur l’axe organique que sur l’axe téléologique. La norme occupant la plus grande surface sera appliquée par préférence à l’autre.
La représentation du droit dans l’espace permet d’expliquer la faculté dont dispose chaque juge de placer une norme à un endroit quelconque du système juridique. Le juge peut déterminer une nouvelle règle et la positionner en tout lieu sur le plan du droit, dans la mesure où la dimension téléologique de la règle semble indiquer cette position. Il peut encore déplacer une règle préexistante d’une strate à une autre sur ce plan.
I) Ouvrages généraux, traités, manuels
ALEX P.
- Le positivisme et le droit, Leroux, Paris, 1876
AMSELEK P.
- Méthode phénoménologique et théorie du droit, LGDJ, Paris, 1964
ASSIER-ANDRIEU L.
- Le droit dans les sociétés humaines, Nathan, Paris 1996
ATIAS CH.
- Epistémologie juridique, PUF, Paris, 1985
BAKAS CH.
- Les principes directeurs du procès pénal au regard de l’intérêt de la personne poursuivie, thèse, Paris 2, 1982.
BARANES W. et FRISON-ROCHE M.A. (sous la direction de)
- La justice, l’obligation impossible, éditions Autrement, Paris, 1994
BASTID P.
- Les grands procès politiques de l’histoire, Fayard, Paris, 1962
BATTIFOL H.
- Problèmes de bases de la philosophie du droit, LGDJ, Paris, 1979
BECCARIA J.
- Des délits et des peines, Librairie Droz, Genève, 1965
BENTHAM J.
- Traité des preuves judiciaires, traduction Dumont, édition Bossange 2ème éd°, 1830, t 1
BERGEL J.L.
- Méthode du droit, théorie générale du droit, Dalloz, Paris, 3ème éd°, 1999
BONFILS H.
- Traité élémentaire d’organisation judiciaire de compétence et de procédure, 3ème éd° refondue par L. Beauchet, LGDJ, Paris, 1901
BOUZAT P. PINATEL J.
- Traité de droit pénal et de criminologie, t. 2, Dalloz, Paris, 1963
BUISSON J. GUINCHARD S.
- Procédure pénale, Litec, Paris, 2000
BURDEAU G. HAMON F. TROPER M.
- Droit constitutionnel, 26ème éd°, LGDJ, Paris, 1999
CADIET L.
- Droit judiciaire privé, 2ème éd°, Litec, Paris, 1998
CARBONNIER J.
- Flexible droit, 9ème éd°, LGDJ, Paris, 1998
- Droit civil, introduction, 26ème éd°, PUF, 1999,
- Droit civil, les obligations, t. 4, PUF, Paris, 22ème éd°, 2000
CATALA P. TERRE F.
- Procédure civile et voies d’exécution, PUF, Paris, 1976
CONTE PH. MAISTRE DU CHAMBON P.
- Procédure pénale, 3ème éd°, Armand Colin, Paris, 2000
- Droit pénal général, 5ème éd°, Armand Colin, Paris, 2000
CONTE SPONVILLE A.
- Petit traité des grandes vertus, PUF, Paris, 3ème éd°, 1998, p. 80.
CORNU G. (sous la direction)
- Vocabulaire juridique, 8ème ed°, PUF, Paris, 2000
CORNU G. FOYER J.
- Procédure civile, PUF, Paris, 1ère éd°, 1958
- Procédure civile, PUF. Paris, 3ème éd°, 1996
COUCHEZ G.
- Procédure civile, Dalloz, Paris, 1998
CROZE H. MOREL CH.
- Procédure civile, PUF, Paris, 1988
DE BECHILLON D.
- Qu’est ce qu’une règle de droit ? éditions Odile Jacob, Paris, 1997
DELMAS-MARTY M. (sous la direction de)
- Procédures pénales d’Europe, PUF, Paris, 1995
FAVOREU L. PHILIP L.
- Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, Paris, 10ème éd°, 1999
FLOUR J. AUBERT J.L.
- Les obligations, l’acte juridique, t. 1, Armand-Colin, Paris, 1998
- Les obligations, Le fait juridique, t. 2, Armand-Colin, Paris, 1999
GASSIN R.
- Criminologie, 4ème éd°, Dalloz, Paris, 1998
GENY F.
- Science et technique en droit privé positif, tome 1, Sirey,Paris, 1913
- Méthodes d’interprétation et sources en droit privé positif, 2ème éd°, 1919, t1, n°22, réédition LGDJ, Paris, 1995
GHESTIN J. GOUBEAUX G. FABRE-MAGNAN M.
- Droit civil, introduction générale, 4ème éd°, LGDJ, Paris, 1994
GOYARD-FABRE S.
- Essai de critique phénoménologique du droit, Librairie Klincksieck, Paris, 1972
GOYARD-FABRE S. SEVE R.
- Les grandes questions de la philosophie du droit, PUF, Paris, 1993
GUINCHARD S., BANDRAC M., LAGARDE X., DOUCHY M.,
- Droit processuel, Dalloz, Paris, 2001
HART W.
- Le concept du droit, traduction Van de Kerchove, ed° des Facultés universitaires St Louis, Bruxelles, 1976
HELIE F
- Traité de l’instruction criminelle, t 1 et 2, éd° de Nypels, Bruxelles, 1863
HERON J.
- Droit judiciaire privé, Montchrestien, Paris, 1991
HUET H. KOERING-JOULIN R.
- Droit pénal international, PUF, 1ère éd°, Paris, 1994
ISAAC G.
- Droit communautaire général, 7ème éd°, Armand-Colin, Paris, 1999
JAPIOT R.
- Traité élémentaire de procédure civile et commerciale, 3ème éd°, Librairie A. Rousseau, Paris, 1935
JOUSSE.
- Traité de la justice criminelle en France, t1, Paris, 1771
KELSEN H.
- Théorie générale de la norme, Paris, PUF, 1996
- Théorie pure du Droit, traduction Thévenaz, éditions de la Baconnière, Neuchatel, 2ème éd°, 1988
LALANDE A.
- Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, Paris, 1956
MALAURIE PH.
- Droit civil, introduction générale, t. 1, 2ème éd°, Cujas, Paris, 1994
MERLE R. VITU A.
- Traité de droit criminel, procédure pénale, t. 2, 4ème éd°, Cujas, Paris, 1989
MOREL R.
- Traité élémentaire de procédure civile, 2ème éd°, Sirey, Paris, 1949, p. 344.
MOTULSKY H.
- Droit processuel, Monchrestien, Paris, 1973
OST F. et VAN DE KERCHOVE M.
- Jalons pour une théorie critique du droit, Publication des facultés universitaires de St Louis, Bruxelles, 1987
PERELMAN CH.
- Droit, morale et philosophie, LGDJ, Paris, 1968
PEROCHON F. BONHOMME R.
- Entreprises en difficulté, instruments de crédit et de paiement, 4ème éd°, LGDJ, Paris, 1999
PERROT R.
- Institutions judiciaires, Montchrestien, Paris, 8ème éd°, 1998
PRADEL J.
- Procédure pénale, 9ème éd°, Cujas, Paris, 1997
PRADEL J. CORSTENS G.
- Droit pénal européen, Dalloz, Paris, 1999
PRADEL J. VARINARD.
- Les grands arrêts du droit criminel, t 2, 4ème édition, Sirey, Paris, 1998
putman e.
- Contentieux économique, PUF, Paris, 1998
RASSAT M.L.
- Droit pénal spécial, infractions des et contre les particuliers, 2ème éd°, Dalloz, Paris, 1999
RAWLS J.
- Théorie de la Justice, traduction C. Audard, Seuil, Paris, 1987
RESWEBER J-P.
- La philosophie des valeurs, Paris, PUF, 1992
RICOEUR P.
- Le juste, Seuil, Paris, 1995
RIPERT G.
- Les forces créatrices du droit, 2ème éd°, Paris, LGDJ 1955
RIVERO J.
- Les libertés publiques, 6ème éd°, Paris, PUF, 1997
ROULAND N.
- Aux confins du droit, Odile Jacob, Paris, 1991
STARCK B. ROLAND H. BOYER L.
- Introduction au droit, 4ème éd°, Litec, Paris, 1996
STEFANI G. LEVASSEUR G. BOULOC B.
- Procédure pénale, 17ème éd°, Dalloz, Paris, 2000
TERRE F.
- Introduction générale au droit, 4ème éd°, Dalloz, Paris, 1998
TERRE F. SIMLER PH. LEQUETTE Y.
- Droit civil, les obligations, Dalloz, Paris, 7ème éd°, 1999
VEDEL G.
- Droit administratif, 5ème éd°, 1973
VERON M.
- Droit pénal Spécial, 7ème éd°, Armand Colin, Paris, 1999
VILLEY M.
- Le droit et les droits de l’homme, PUF, Paris, 1983
- Réflexion sur la philosophie et le droit, les carnets, PUF, Paris, 1995
VINCENT J. GUINCHARD S.
- Procédure civile, 25ème éd°, Dalloz, Paris, 1999
VINCENT J. GUINCHARD S. MONTAGNIER G. VARINARS A.
- Institutions judiciaires – Organisation – Juridictions - Gens de justice, 5ème éd°, 1999
VIZIOZ H.
- Etudes de procédure, éditions Bière, Bordeaux, 1956
VON BERTALANFLY L.
- Théorie générale des systèmes, Dunod, Paris, 1973
II) Ouvrages spéciaux, thèses, monographies, rapports
BEIGNIER B.
- L’honneur et le droit, LGDJ, Paris, 1995
- Les droits fondamentaux dans le procès civil, Montchrestien, Paris, 1997
BEKAERT H.
- La manifestation de la vérité dans le procès pénal, éd° Bruylant, Bruxelles, 1972.
BERGEL J.L. (sous la direction de)
- Analogie et méthodologie juridique, Les cahiers de méthodologie juridique, RRJ 1995-4
BIGNON J. SAUVADET F.
- L’insoutenable application de la loi, rapport d’information de l’assemblée nationale, n°2172
BONFILS PH.
- L’action civile, essai sur la nature juridique d’une institution, PUAM, 2000, préface S. CIMAMONTI
BORE J.
- La cassation en matière pénale, LGDJ, Paris, 1985
- La cassation en matière civile, Dalloz, 1997
CLIQUENNOIS M. (sous la direction de)
- La Convention Européenne des Droits de l’Homme🏛 et le juge français, l’Harmattan, Paris, 1997
COHEN-JONATHAN G.
- Aspects européens des droits fondamentaux, Montchrestien, Paris, 1996
Commission « Justice pénale et droits de l’homme »
- La mise en état des affaires pénales, rapports, La documentation française, Paris, 1991
Commission de réforme du droit du Canada
- Notre procédure pénale. Rapport, Ottawa, 1987.
COULON J.M.
- Réflexions et propositions sur la procédure civile, rapport au garde des sceaux, La documentation française, Paris, 1997
COUTANT F.
- Essai d’une théorie générale des nullités en procédure civile, pénale et administrative, thèse Aix-en-Provence, 1996
D’AMBRA D.
- L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, LGDJ, Paris, 1994
De BECHILLON M.
- La notion de principe général de droit privé, PUAM, Aix-en-Provence, 1998
DELICOSTOPOULOS Y.
- Le procès civil à l’épreuve du droit processuel européen, Thèse, Paris II, 1999
DELMAS-MARTY M. (sous la direction de)
- Corpus Juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’union européenne, Paris, Economica, 1997
DELMAS-MARTY M. LUCAS DE LEYSSAC C.
- Droits et libertés fondamentaux, Seuil, Paris, 1996
DEVEZE J.
- Contribution à l’étude de la charge de la preuve en matière civile, Thèse, Toulouse, 1980
DOST C.
- Collégialité et juge unique dans le droit judiciaire français, thèse, Bordeaux, 1999
DURIEUX F.
- Le double degré de juridiction appliqué à la peine, théorie et pratique d’une voie de recours à partir de l’étude de 6 mois d’arrêts de la Cour d’appel de Lyon, Thèse, St Etienne, 1991
FABRE M. GOURON-MAZEL A.
- Convention européenne des droits de l’homme🏛, application parle juge français, 10 ans de jurisprudence, Litec, Paris, 1998
FRISON-ROCHE M.A.
- Généralités sur le principe du contradictoire (droit processuel), thèse, Paris II, 1988
GENTOT M.
- Les autorités administratives indépendantes, Montchrestien, Paris, 1991.
GIUDICELLI-DELAGE G.
- La motivation des décisions de justice, thèse, Poitiers, 1979
GRIFFIN-COLLART E.
- L’égalité : égalité et Justice dans l’utilitarisme, Vol 2, Bruxelles, 1974
HAENEL H. ARTHUIS J.
- Justice sinistrée, démocratie en danger, rapport de la commission de contrôle du Sénat chargée d’examiner les modalités d’organisation et les conditions de fonctionnement des services relevant de l’autorité judiciaire, Economica, Paris, 1991
HARICHAUX M.
- La protection des libertés et droits corporels, Montchrestien, Paris, 1995
JAPIOT R.
- Des nullités en matière d’actes juridique, thèse, Dijon, 1909
JOSSERAND S.
- L’impartialité du magistrat en procédure pénale, LGDJ, Paris, 1998, p. 592.
MADIOT Y.
- Considérations sur les droits et les devoirs de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 1998
MARIE-SCHWARTZEMBERG N.
- Libertés publiques et procès politique en URSS, thèse, Paris 1, 1986
- Le Droit retrouvé ? Essai sur les droits de l’homme en URSS, Paris, PUF, 1989
MIGUET J.
- Immutabilité et évolution du litige, LGDJ, Paris, 1977
MOLFESSIS N.
- Le Conseil constitutionnel et le droit privé, Thèse, Paris 2, 1994
MORVAN P.
- Le principe de droit privé, éd° Panthéon – Assas, Paris, 1999
MOTULSKY H.
- Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, la théorie des éléments générateurs des droits subjectifs, Dalloz, Paris, 1991
OCQUETEAU F. PEREZ-DIAZ C.
- L’évolution des attitudes des français sur la justice pénale, CESDIP, rapport n°54, 1988
PARODI C.
- L’esprit général et les innovations du nouveau Code de procédure civile, Defrénois, Paris, 1976,
PERUCCA B.
- L’impartialité de la justice pénale, thèse, Nice, 1997
PIN X.
- Le consentement en matière pénale, Thèse, Grenoble, 1999
POLIN R. (sous la direction de)
- L’ordre public, PUF, Paris, 1996
REVET TH. (sous la coordination de)
- L’ordre public à la fin du 20ème siècle, Dalloz, Paris, 1996
RIALS S.
- Le juge administratif et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité), LGDJ, 1980
ROBERT PH. FAUGERON C.
- La justice et son public, les représentations sociales du système pénal, collection Déviance et société, Paris, 1978
ROETS D.
- Impartialité et justice pénale, Cujas, Paris, 1997
ROUSSEAU D.
- Les libertés individuelles et la dignité de la personne humaine, Montchrestien, Paris, 1998
VIALA A.
- Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, LGDJ, Paris, 1999
WALSER M.
- Sphères de Justice, une défense du pluralisme et de l’égalité, Seuil, Paris, 1997
III) Articles, chroniques, doctrine
ALLEHAUT M.
- Les droits de la défense, Mélanges PATIN, Cujas, Paris, 1965, p.455.
AMSELEK P.
- Brèves réflexions sur la notion de sources du droit, APD 1982, tome 27, p. 251.
- Le droit, technique de direction publique des conduites humaines, Droits 1989, n°10, p.7.
ANCEL M.
- La protection de la personne dans le procès pénal et les doctrines de la défense sociale, RSC 1967, p. 7.
ANGEVIN H.
- Incidence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme sur la procédure pénale française et plus spécialement sur celle de la Cour d’assises, Droit pénal 1991, n°7, chron., p. 3.
- De la motivation des décisions des juridictions comportant un jury, Droit pénal 1996, n°8-9.
ARNAUD A.J.
- Essai d’une définition stipulative du droit, Droits 1989, n°10, p. 11.
ATIAS C.
- Observations sur la notion de droit positif, RRJ 1980, p.44.
- Eléments pour une mythologie juridique de notre temps, RRJ 1980, p. 52.
- L’ambiguïté des arrêts dits de principe en droit privé, JCP 1984, I, 3145.
- La fin d’un mythe ou la défaillance du juridique, Dalloz 1997, chron, p. 44.
- Présence de la tradition juridique, RRJ 1997, n°67, p. 387.
- Quelle procédure pénale pour quel droit ? RIDP 1997, p. 30.
AUVRET P.
- Le droit au respect de la présomption d’innocence, JCP 1994, I, 3802.
BAILLY P.
- La collégialité est-elle morte ? Gaz. Pal. 1996, 1, doct, p. 209
BARANES W. FRISON-ROCHE M.A.
- Le souci de l’effectivité du droit, Dalloz 1996, chron, p. 301.
BARANES W. FRISON-ROCHE M.A. ROBERT J. H.
- Pour le droit processuel, Dalloz 1993, chron., p. 9.
BASTIT M.
- Réflexions introductives sur le procès, RRJ 1983, p. 123.
BAUDOUIN J.M.
- La collégialité est-elle une garantie de la sûreté des jugements ? Réflexions sur un exercice d’école, RTD civ., 1992, p. 532.
BEAUD O.
- Pour une autre lecture de Ronald Dworkin, théoricien de la pratique juridique à propos de « prendre le droit au sérieux », Droits 1997, n°25, p. 135.
BEGUIN J.
- Peut-on remédier à la complexité croissante du droit ? Mélanges Blaise, Economica, Paris, 1995, p. 1.
BEKES I.
- Le rôle des principes généraux du droit dans le droit pénal, Journées de la société de législation comparée 1980, vol 2, p. 359.
BELLAMY M.
- Le pouvoir de commandement du juge ou le nouvel esprit du procès, JCP 1973, I, 2522.
BENABENT A.
- L’ordre public en droit de la famille, in, L’ordre public à la fin du 20ème siècle, Dalloz, Paris, 1996, p. 27.
BENCIMON M. BENABE O. HAROUIN P. NABOUDER-VOGEL P. PASSERA O.
- Autorité de la chose jugée et immutabilité du litige, Justices 1997, n°5, p. 157.
BENOIT-ROHMER F.
- La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Dalloz 2001, chron. p. 1483.
BERGEL J.L.
- Juridiction gracieuse et matière contentieuse, Dalloz 1983, chron., p. 165.
- Avants propos du colloque « les standards dans les divers systèmes juridiques », RRJ 1988, n°35, p. 805.
BIANCARELLI J.
- Les principes généraux du droit communautaire applicables en matière pénale, RSC 1987, p. 131.
BLANC E.
- Les principes généraux de la nouvelle procédure civile (étude analytique des « dispositions liminaires » du décret du 9 septembre 1971), JCP 1973, I, 2559.
BLONDEL PH.
- Les principes généraux dans la jurisprudence de cassation – Rapport de synthèse, JCP E 1989 Cahiers du droit de l’entreprise, n°5, p. 16.
BOCCARA B.
- La procédure dans le désordre : le désert du contradictoire, JCP 1981, I, 3004.
BOLARD G.
- L’appel-nullité, Dalloz 1988, chron, p. 177.
- Les principes directeurs du procès civil : le droit positif depuis Henri MOTULSKY, JCP 1993, I, 3693.
- Les recours-nullité en procédure civile, Justices 1996, n°4, p. 119.
- Les jugements en l’état, JCP 1997, I, 4003.
- Les écritures qualificatives, JCP 2000, I, 214.
BONCENNE J.
- L’astreinte, Gaz. Pal. 1993, 1, doct, p. 276.
BONFILS PH.
- L’application par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence des dispositions générales du « nouveau » Code pénal, Bulletin d’Aix 1997-1, p. 160.
BONICHOT J.C.
- L’application de l’article 6§1 de la CEDH aux autorités de régulation : la position du Conseil d’Etat, Petites affiches 11 mai 2000, p. 3.
BONNAN J.C.
- Justice étatique et justice alternative, la stratification des institutions de règlement des litiges dans l’anthropologie juridique de N. Rouland, et dans les textes normatifs de l’Inde ancienne, Droit et Cultures 1990, n°19, p. 221.
borricand J.
- Bilan du droit de l’extradition passive en France en matière politique, RDPC, 1987, p. 813
BOULAN F.
- La conformité de la procédure pénale française avec la Convention européenne des droits de l’homme🏛, Mélanges Larguier, PUG, Grenoble, 1993, p. 21.
BOULANGER J.
- Principes généraux du droit et droit positif, Mélanges Ripert, tome 1, LGDJ, Paris, 1950, p. 51.
BOURDEAU B.
- L’injonction pénale avortée : scolies sur une question de confiance, ALD 1995, p. 45.
BOURDILLAT J.J.
- La réforme des conclusions récapitulatives ou la quête du succès improbable, Dalloz 2000, chron., p. 427.
BOUZAT P.
- La loyauté dans la recherche de la preuve, Mélanges Hugueney, Sirey, Paris, 1964, p. 155.
BREDIN J.D.
- Le doute et l’intime conviction, Droits 1996, n°23.
BRIMO A.
- Les principes généraux du droit et les droits de l’homme, APD 1983, tome 28, p. 257.
BROUILLAUD J.P.
- Les nullités de procédure : des procédures pénales et civiles comparées, Dalloz 1996, chron., p. 98.
BRUN J.P.
- La procédure pénale, dépasser le dilemne accusatoire – inquisitoire, RRJ 1992, n°49, p. 339.
BUCH H.
- La nature des principes généraux du droit, RIDC 1962, p. 55.
- A propos des principes généraux dans l’élaboration jurisprudentielle des actes administratifs, Mélanges Ganshof Van Der Meersch, t 3, LGDJ, Paris, 1972, p. 417.
BUISSON J.
- La légalité dans l’administration de la preuve pénale, Procédures 1998, n°12, p. 3.
- Les limites de l’intime conviction du juge répressif, Procédures 2000, n°5, p. 3.
BUREAU H.
- La présomption d’innocence devant le juge civil, cinq ans d’application de l’article 9-1 du Code civil🏛, JCP 1998, I, 166.
BURGELIN J.F.
- De la constitution de partie civile devant la Cour de justice de la République, Dalloz 2000, n°22, interview, p. IV.
BURGELIN. J.F. COULON. J.M. FRISON-ROCHE. M.A.
- Le juge des référés au regard des principes procéduraux, Dalloz 1995, chron, p. 67.
CABRILLAC R.
- Le symbolisme des codes, Mélanges Terré, PUF-Dalloz-Juris-Classeur, Paris, 1999, p. 212.
CADIET L.
- Sur l’appel-nullité dans les procédures collectives, Rev proc coll 1988, n°1, p. 17.
- L’évolution de l’appel dans les procédures de redressement et de liquidation judiciaire des entreprises, Rev proc coll 1989, n°3, p. 371.
- L’avènement du nouveau Code de procédure civile, in, Le nouveau Code de procédure civile : vingt ans après, la documentation françaises, Paris, 1998, p. 45.
- Premières vue sur le décret n°98-1231 du 28 décembre 1998🏛 modifiant le Code de l’organisation judiciaire et le nouveau Code de procédure civile, JCP 1999, Actualités, p. 397
- Chronique de droit judiciaire privé, JCP 1999, I, 130, p. 727.
CALAIS-AULOY M.TH.
- De la recherche en droit (spécialement en ce qui concerne la légitimité du droit positif), Dalloz 1999, Actualités, p.1.
CANIVET G.
- Du principe d’efficience en droit judiciaire privé, Mélanges Drai, Dalloz, Paris, 2000, p. 243.
CAPRIOLI E.
- La loi française sur la preuve et la signature électronique dans la perspective européenne, JCP 2000, I, 224
CARATINI M.
- Vérité judiciaire et vérité objective en matière civile, Gaz Pal 1981, 2, chron, p. 405.
CARTIER M.E.
- Les modes alternatifs de règlement des conflits en matière pénale, RGDP 1998, p. 1.
- La judiciarisation de l’exécution des peines, RSC 2001, p. 87.
CATALA P.
- Ecriture électronique et actes juridiques, Mélanges Cabrillac, Litec-Dalloz, 1999, p. 91.
- A propos de l’ordre public, in Mélanges DRAI, Dalloz, Paris, 2000, p. 510.
CATALA P. GAUTIER P.Y.
- L’audace technologique de la Cour de cassation, vers la libération de la preuve contractuelle, JCP 1998, actualités, p. 905.
CATALA P. GAUTIER P.Y. HUET J. DE LAMBERTERIE I. LINANT DE BELLEFONDS X.
- L’introduction de la preuve électronique dans le Code civil, JCP 1999, I, p. 182.
CATARINI M.
- Vérité judiciaire et vérité objective en matière civile, Gaz Pal 1981, II, chron, p. 405.
CHAGNOLLAUD D.
- La Cour de cassation confirme la supériorité de la Constitution sur les traités, Dalloz 2000, n°24, interview, p. V
CHAMPEIL-DESPLATS V.
- La notion de droit « fondamental » en droit constitutionnel français, Dalloz 1995, chron, p. 323.
CHAMPY G.
- Inquisitoire – accusatoire devant les juridictions pénales internationales, RIDP 1997, 1er et 2ème trimestres, p.149.
CHANTREAU A.
- Fluctuation des valeurs et permanence de l’éthique ou le dialogue difficile entre le temps de la linéarité et celui de l’anamnèse, in, Valeurs et changements sociaux, l’Harmattan, Paris, 1993, p. 21.
CHAPUS R.
- De la soumission au droit des règlements autonomes, Dalloz 1960, chron, p. 119.
- De la valeur juridique des principes généraux du droit et des autres règles jurisprudentielles du droit administratif, Dalloz 1966, chron, p. 99.
CHAVANNE A.
- Les effets du procès pénal sur le procès engagé devant le tribunal civil, RSC 1954, p. 239.
- La protection de la personne dans le procès pénal en droit français, RSC 1967, p. 11.
CHEVALLIER J.
- Droit, ordre, institution, Droits 1989, n°10, p.19.
CHOPIN F.
- Compte rendu des tables rondes du colloque : accusatoire – inquisitoire, un écroulement des dogmes en procédure pénale ? RIDP 1997, p. 199.
CIMAMONTI S.
- L’ordre public et le droit pénal, in, L’ordre public à la fin du 20ème siècle, Dalloz, Paris, 1996, p. 89.
CINTURA P.
- L’usage de la conception de l’équité par le juge administratif, RIDC 1972, p. 657.
CLEMENT G.
- L’appel voie de nullité en procédure pénale, RSC 1990, p. 260.
COLLEYN J.P.
- Valeurs et droit dans une société sans pouvoir politique univoque, Droit et Culture 1983, n°6, p. 23.
COMBALDIEU R.
- Le juge et la vérité, Annales de la faculté de droit de Toulouse 1978, p. 315.
COMMAILLE J.
- La régulation des temporalités juridiques par le social et le politique, in Temps et droit, le droit a-t-il vocation de durer ? sous la direction de OST F. Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 317.
COMMARET D.
- La responsabilité déontologique des magistrats à la lumière de la jurisprudence du Conseil Supérieur de la Magistrature, (document internet), http://www.enm.justice.fr/centre _de_re…s /responsabilité_ du_juge/annexe_4.htm.
CORNU G.
- Le visible et l’invisible, Droits 1989, n°10, p. 27
- Le règne discret de l’analogie, Mélanges Colomer, Litec, Paris, 1993, p. 129
- Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes (fragment d’un état des questions), Mélanges Bellet, Litec, Paris, 1991, p. 83.
- L’élaboration du nouveau Code de procédure civile in, La Codification, Dalloz, Paris, 1996, p. 71 ; Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique 1995, n°16, p. 241.
CORNU G. MOTULSKY H.
- Les modifications apportées à la procédure de la mise en état des causes par le décret du 7 décembre 1967, JCP 1968, I, 2150.
COTTA S.
- Le problème de la vérité du jugement, APD 1994, t 39, p.219.
COTTINO A. FISCHER M.G.
- Pourquoi l’inégalité devant la loi ? Déviance et société 1996, n°3, p. 199.
COUCHEZ G.
- Production forcée de pièces, Juris-Classeur, procédure, 1999, fasc. 623, n°1, p. 2.
COULON J. M.
- Les évolutions possibles de la procédure civile, Gaz Pal 1996, 2, doct, p. 1000.
- Présentation du rapport et réflexions sur les réactions qu’il a suscitées, in, La réforme de la procédure civile, autour du rapport Coulon, Dalloz, Paris, 1997, p. 15.
COURNARIE L. DUPOND P.
- Introduction à la théorie de la Justice de Rawls, in Penser la Justice, édition MAFPEN, Toulouse, 1998, p. 371.
COURTOIS G.
- Le procès des droits de l’homme, Droit et Culture 1991, n°22, p. 153.
COUTURE E.
- Le procès comme institution, RIDC 1950, p. 276.
COUVRAT P. GIUDICELLI-DELAGE G.
- Rapport de synthèse du colloque « Une nouvelle procédure pénale ? », RSC 2001, p. 139
CROCQ P.
- Le droit à un tribunal impartial, in, Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, Paris, 6ème ed°, 2000, p. 375
D’ORS A.
- Le droit ? Tout ce qu’approuvent les juges, Droits 1989, n°10, p. 51.
DAGOT M.
- La publicité de la justice et l’application des règles de fond accessoire au litige : diffamation et secrets, Annales de la faculté de droit de Toulouse 1968, t16, fasc 1, p. 309.
DANJAUME G.
- Le principe de la liberté de la preuve en procédure pénale, Dalloz 1996, chron., p. 153.
DANTI-JUAN M.
- A propos du principe de l’égalité en droit pénal français, RDPC 1985, p. 217.
- L’égalité en procédure pénale, RSC 1985, p. 505.
- Les principes directeurs du droit pénal et le Conseil constitutionnel, Travaux de l’institut de sciences criminelles du Poitiers, « droit constitutionnel et droit pénal », 2000, Cujas.
DAVID R.
- La doctrine, la raison, l’équité, RRJ 1986, n°24, p. 159.
DE BELVAL B.
- Procédure et Commission des opérations de bourse à l’occasion du décret du 31 juillet 1997🏛, Procédure 1998, n°1, p. 3.
DE GOUTTES R.
- Les principes de la Convention européenne ont bouleversé la manière de dire le droit en France, Le Monde 29 juillet 1999, p. 10.
DEBBASCH O.
- Les juridictions françaises et les principes généraux du droit international, Mélanges, Boulouis, Dalloz, Paris, 1991, p. 139.
DELICOSTOPOULOS Y. S.
- L’influence du droit européen quant aux pouvoirs du juge judiciaire national sur le fait et le droit, Justices 1997, n°6, p. 117.
DELMAS MARTY M.
- Pour des principes directeurs de législation pénale, RSC 1985, p. 225.
- Rapport introductif au cinquantenaire de la revue de sciences criminelles, RSC 1987, p. 25.
- Légalité pénale et prééminence du droit selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales🏛, Mélanges Vitu, Cujas, Paris, 1989.
- La preuve pénale, Droits 1996, n°23, p. 53.
- Evolution du ministère public et principes directeurs du procès pénal dans les démocraties européennes, Justices 1996, n°3, p. 75.
- Pluralisme et traditions nationales (revendication des droits individuels), in quelle Europe pour les droits de l’homme, sous la direction de TAVERNIER P. Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 81.
- De la juste dénomination des droits de l’homme, Droit et Culture 1998, n°35, p. 101.
DELVOLVE P.
- Le nouveau Code de procédure civile devant le Conseil d’Etat, Dalloz 1979, chron, p. 281.
DESDEVISES Y.
- Action en justice, Juris-Classeur, procédure, 1996, Fasc. 126-1, n°7, p. 2.
DESMONS E.
- La preuve des faits dans la philosophie moderne, Droits 1996, n°23, p. 13.
DEYGAS S.
- La création du Code de justice administrative, Procédures 2000, n°6, p. 3.
DIARRA E.
- De l’Europe à l’Afrique : le modèle européen est-il exportable ? 1 La protection des droits de l’homme en Afrique et en Europe, convergences et divergences, in Quelle Europe pour les droits de l’homme, sous la direction de TAVERNIER P. Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 407.
DORSNER-DOLIVET A. BONNEAU TH.
- L’ordre public, les moyens d’ordre public en procédure, Dalloz 1986, chron., p. 59.
DOUVRELEUR J. DOUVRELEUR O.
- Le principe d’indépendance : de l’autorité judiciaire aux autorités administratives indépendantes, Mélanges Robert (Jacques), Montchrestien, Paris, 1998, p. 323.
DRAGO G. MOLFESSIS N.
- Chronique de justice constitutionnelle, Justices 1997, n°5, p. 241.
DRAI P.
- Allocution du 6 janvier 1992, Rapport de la Cour de cassation, 1991, p. 46.
DUBOUCHET P.
- Herméneutique et théorie normative du droit, RRJ 1994, n°58, p. 735.
- Herméneutique et théorie normative du droit, l’apport de l’existentialisme juridique, RRJ 1995, p. 189.
- Programme pour une théorie générale du droit, RRJ 1996, p. 335.
DUFOUR A.
- La théorie des sources du droit dans l’école du droit historique, APD 1982, t. 27, p. 85.
DUFOUR O.
- Article 6 de la CEDH : la COB revoit sa procédure de sanction, Petites affiches 31 mars 2000, p. 3.
DUVERGER M.
- Pour affermir l’Etat de droit, Commentaire 1986-87, n°36, p. 708.
DWORKIN R.
- La chaîne du droit, Droit et société 1985, n°1, p. 1985.
EDELMAN B.
- La dignité de la personne humaine, un concept nouveau, Dalloz 1997, chron, p. 185.
ESTOUP P.
- Une institution oubliée, l’arbitrage judiciaire, Gaz. Pal. 1986, 2, chron., p. 620
- L’offre judiciaire d’amiable composition et de conciliation après clôture des débats, Dalloz 1987, chron., p. 269.
FABRE M.
- Le droit à un procès équitable, étude de la jurisprudence sur l’application de l’article 6§1 de la Convention EDH, JCP 1998, I, 157.
FADLALLAH I.
- Nouveau recul de la révision au fond : motivation et fraude dans le contrôle des sentences arbitrales internationales, Gaz. Pal. 1er et 2 décembre 2000, p. 5.
FAVOREU L.
- La constitutionnalisation du droit pénal et de la procédure pénale, Mélanges Vitu, Cujas, Paris, 1989, p. 169.
favoreu l. gaïa p. labayle H.
- trois points de vue sur l’affaire Koné, RFDA, 1996, p. 882 et suiv.
FLAUSS J.F.
- Chronique de la Cour européenne des droits de l’homme, RGDP 1998, p. 219.
- L’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme🏛 aux procédures arbitrales, Gaz. Pal. 1986, 2, doct., p. 407.
FONTBRESSIN P.
- Au-delà des approches institutionnelles, le juge européen, un philosophe de l’action, JCP 1997, I, 4049.
FORTIER V.
- La fonction normative des notions floues, RRJ 1991, n°46, p. 769.
FOSSIER TH.
- Droits de la défense et personnes vulnérables, RSC 1998, p. 57.
FRICERO N.
- La caducité, Juris.-Classeur, fasc 680, n°3.
FRICERO N. PERROT R.
- Autorité de la chose jugée, Juris-Classeur, procédure, fasc. 554, 1996, n°184, p. 33.
FRISON-ROCHE M.A.
- 2+1 = la procédure, in, La Justice, l’obligation impossible, éditions Autrement, Paris, 1994, p. 193.
- L’année où la justice s’est installée à la télévision, JCP 1996, numéro spécial « les dossiers de la semaine juridique », p. 24.
- La procédure injuste, in, De l’injuste au juste, Dalloz, Paris, 1996, p. 77.
- Principes et intendance dans l’accès au droit et l’accès à la justice, JCP 1997, I, 4051.
- Les offices du juge, Mélanges Foyer, PUF, Paris, 1997, p. 463.
- Le juge et son objet, Mélanges Mouly, t 1, Litec, Paris, 1998, p. 21.
- Incident de procédure, obligation de concourir à la manifestation de la vérité, Juris-Classeur procédure, 1999, fasc. 620, n°6, p. 3.
- La responsabilité des magistrats : l’évolution d’une idée, JCP 1999, I, 174.
- Les droits de la défense en matière pénale, in, Libertés et droits fondamentaux, 6ème éd°, Dalloz, Paris, 2000, p. 439.
GARAPON A.
- Prendre la justice au sérieux, Projet 1997, n°252, p. 95.
- Vers une nouvelle économie politique de la justice ? Réactions au rapport remis au garde des sceaux par J.M. COULON sur la réforme de la procédure civile, Dalloz 1997, chron., p. 69.
- Les responsabilités des juges, (document internet), http://www.enm.justice.fr/centre_de_re…es /responsabilité_du_juge/annexe_3.htm.
GASSIN R.
- Lois spéciales et droit commun, Dalloz 1961, chron., p. 91.
- Système et droit, RRJ 1981, p. 353.
- L’audience et le jugement, in La procédure pénale, bilan des réformes depuis 1993, Dalloz, Paris, 1995, p. 105.
GAUTIER P.Y. LINANT DE BELLEFONDS X.
- De l’écrit éléctronique et des signatures qui s’y rattachent, JCP 2000, I, 236
GENEVOIS B.
- Les principes généraux du droit (aspect de droit administratif), journées de la société de législation comparée 1980, vol 2, p. 279.
GERARD PH.
- Aspects de la problématique actuelle des principes généraux du droit, Déviance et société 1988, vol 12, n°1, p. 75.
GERBAY PH.
- Les effets de l’appel voie d’annulation, Dalloz 1993, chron, p. 143.
GHIRARDI O. A.
- Quelques réflexions sur une loi logique qui régit l’évolution des concepts juridiques fondamentaux, RRJ 1985, n°23, p. 723.
GILLET J.L.
- le second degré de juridiction en matière civile, sa place et sa portée, Gaz Pal 1996, 2, doct, p. 996.
GIUDICELLI A.
- L’indemnisation des personnes injustement détenues ou condamnées, RSC 1998, p. 11.
GIVERDON C.
- Appel - Appel-nullité, Juris-Classeur, fasc. 717-3, p. 2.
GOYARD-FABRE S.
- Les sources du droit et la révolution copernicienne : quelques réflexions sur Kant et Rousseau, APD 1982, tome 27, p. 247.
- Le procès révélateur, RRJ 1983, p. 143.
GRIDEL J.P.
- Les juridictions de l’ordre judiciaire et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, RRJ 1985, p. 395.
GUASTINI R.
- Théorie et Ontologie du droit chez DWORKIN, Droit et Société 1986, n°, p. 15.
GUERY CH.
- Les paliers de la vraisemblance pendant l’instruction préparatoire, JCP 1998, I, 140, p. 1031.
GUIGOU E.
- Extrait du discours de présentation des propositions du gouvernement pour renforcer l’indépendance et l’impartialité de la justice, JCP 1998, actualités, p. 165.
- Discours de Madame le Garde des Sceaux devant le sénat, 30 mai 2000, (document internet), http://www.justice.gouv.fr/discours/d300500.htm.
GUINCHARD S.
- Le second degré de juridiction en matière civile, aujourd’hui et demain, Gaz. Pal. 1996, 2, p. 1004.
- L’influence de la Convention européenne des droits de l’homme🏛 et la jurisprudence de la Cour européenne sur la procédure civile, Petites affiches 1999, n°72, p. 4.
- L’ambition d’une justice rénovée : commentaire du décret n°98-1231 du 28 décembre 1998🏛 et de quelques aspects de la loi n°98-1163 du 18 décembre 1998🏛, Dalloz 1999, chron., p. 65.
- Les juges : de l’irresponsabilité à la responsabilité ? La responsabilité civile, in Les juges : de l’irresponsabilité à la responsabilité, colloque Aix-en-Provence, mai 2000, PUAM, (à paraître).
- Retour sur la constitutionnalisation de la procédure civile, Mélanges Drai, Dalloz, Paris, 2000, p. 355.
GUYON G.
- Utopie religieuse et procès pénal : l’héritage historique 5ème-15ème siècle, APD 1994, t 39, p. 105.
HAARSCHER G.
- Après Perelman, Justice et argumentation, essai à la mémoire de Chaim Perelman, éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1986, p. 223.
HABA E.P.
- Logique et idéologie dans la théorie des sources, APD 1982, tome 27, p. 235.
HAMMJE P.
- Droits fondamentaux et ordre public, Rev. Crit. DIP 1997, p. 1.
HEBRAUD P.
- Le juge et la jurisprudence, Mélanges Couzinet, Université des sciences sociales de Toulouse, 1974, p. 329.
- La vérité dans le procès et les pouvoirs d’office du juge, Annales de la faculté de droit de Toulouse 1978, p. 379.
HERCZEGH G.
- Le rôle des principes généraux du droit dans le droit international public, journées de la société de législation comparée 1980, n°2, p. 271.
HERON J.
- Le particularisme procédural du contentieux de la concurrence, Justices 1997, n°6, p. 199.
Hillaire J.
- Un peu d’histoire, Justices1996, n°4, p. 9
HUBAC S. PISIER E.
- Les autorités face aux pouvoirs, in, Les autorités administratives indépendantes, PUF, Paris, 1988, p. 117.
HUET J.
- Vers la consécration de la preuve et de la signature électronique, Dalloz 2000, chron. p. 95
HUNOUT P.
- Droit et Culture, un couple fondamental ? Vers une anthropologie des décisions judiciaires, Droit et Cultures 1986, n° 12, p. 71.
HUSSON L.
- Echange de vues, in, Le droit, les sciences humaines et la philosophie, Librairie J. Vrin, Paris, 1973, p. 291.
HUYETTE M.
- Le contradictoire en assistance éducative : l’indispensable réforme de l’article 1187 du nouveau Code de procédure civile, Dalloz 1998, chron., p. 218.
- La contradiction et la procédure d’assistance éducative. Quelle réforme du nouveau Code de procédure civile ? Dalloz 2001, Point de vue, p. 1803.
INTZESSILOGLOU N.
- Espace-temps et champs de relativité juridiques dans la galaxie du système ouvert, in Temps et droit le droit a-t-il vocation de durer ?, sous la direction de OST F. Bruylant, Bruxelles, 1998, p.271.
JEANDIDIER W.
- La juridiction collégiale d’instruction du premier degré, Mélanges Vitu, Cujas, 1989, p. 263
JEANNEAU B.
- La nature des principes généraux du droit en droit français, Travaux de l’institut de droit comparé de l’université de Paris, Tome 23, 1962, p. 208.
JEAN-PIERRE D.
MELIN-SOUCRAMANIEN F.
- Le principe de l’égalité des armes, RRJ 1993, n°53, p. 511.
JESTAZ PH.
- L’avenir du droit naturel ou le droit de seconde nature, RTD civ. 1983, p. 233.
- La jurisprudence : réflexion sur un malentendu, Dalloz 1987, chron. P. 11.
- Sources délicieuses… (remarques en cascades sur les sources du droit), RTD Civ.. 1993, p. 73
KAYSER P.
- Le Conseil constitutionnel protecteur du secret de la vie privée à l’égard des lois, Mélanges Raynaud, Dalloz- Sirey, 1985, Paris, p.329.
- Essai de contribution au droit naturel à l’approche du troisième millénaire, RRJ 1998, p. 387.
KERBAOL G.
- Tableau comparatif des régimes de responsabilité des magistrats dans les magistratures occidentales, (document internet), http://www.enm.justice.fr/centre_de_re…s/responsabilité_du_juge /annexe_14.htm.
KIEJMAN G.
- Les présomptions de fait de culpabilité et la présomption légale d’innocence, Déviance, travaux de l’institut de criminologie de Paris, 1976, p. 14.
KITAMURA I.
- L’avenir de la justice conciliationnelle, Mélanges Terré, Dalloz–PUF-Jurisclasseur, 1999, p. 801.
KOERING-JOULIN R.
- De l’art de faire l’économie d’une loi, Dalloz 1990, chr., p. 187.
- La notion européenne de « tribunal indépendant et impartial » au sens de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, RSC 1990, p. 765.
LAGARDE X.
- Vérité et légitimité dans le droit de la preuve, Droits 1996, n°23, p. 31.
LALOU H.
- Le Code de procédure civile et la procédure pénale, Dalloz 1951, chron., p. 33.
LAMBERT P.
- De la participation du ministère public au délibéré de la Cour de cassation… à l’erreur de menuiserie, JT 1992, p. 161.
LAMBERT R.
- Vérité et Justice, in, L’amour des lois, Presses universitaires de Laval, l’Harmattan, Paris, 1996, p. 441.
LARGUIER J,
- Remarques sur l’évolution d’une voie de recours : le domaine de l’appel des ordonnances rendues par le juge d’instruction, Mélanges Vitu, Cujas, Paris, 1989, p. 287.
LE BARS TH.
- La théorie du fait constant, JCP 1999, I, 178.
LE FRIANT M.
- L’accès à la justice, in, Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, Paris, 1999, 5ème éd°, p. 357.
LE GUNEHEC F.
- Commentaires des dispositions de la loi du 8 février 1995🏛 : réformettes, réformes d’ampleur et occasions manquées, deuxième partie : la procédure de jugement, JCP 1995, I, 3864.
- Aperçu rapide de la loi du 30 décembre 1996🏛 relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme, JCP 1997, actualités, 22/01/97.
- Présentation de la loi n°99-515 du 23 juin 1999🏛 : dispositions relatives aux alternatives aux poursuites, JCP 1999, actualités, p. 1325.
- Présentation de la loi n°99-515 du 23 juin 1999🏛 : dispositions renforçant l’efficacité de la procédure pénale, JCP 1999, actualités p. 1393.
- Aperçu rapide de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000🏛 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ; Première partie : dispositions communes à l’enquête et à l’instruction, JCP 2000, actualité, p. 1223 ;
- Aperçu rapide de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000🏛 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, Deuxième partie : dispositions spécifiques à l’enquête ou à l’instruction, JCP 2000, actualité, p. 1299
- Aperçu rapide de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000🏛 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, Troisième partie : dispositions concernant la phase de jugement, JCP 2000, actualité, p. 1351
- Aperçu rapide de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000🏛 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, Quatrième partie et dernière partie : dispositions concernant l’application des peines et l’après-jugement, JCP 2000, actualité, p. 1407.
- Aperçu rapide de la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000🏛 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, JCP 2000, p. 1587.
- Les deux étapes de la juridictionnalisation de l’application des peines, commentaire DD. 13 et 30 décembre 2000 relatifs à l’application des peines, et de certaines dispositions de L. 30 décembre 2000, JCP 2001, actualités, p. 173
LE ROY E.
- Les fondements anthropologiques des droits de l’homme, RRJ 1992, p. 139.
LEAUTE J.
- Les principes généraux relatifs aux droits de la défense, RSC 1953, p. 47.
LEBEN. CH.
- Le Droit, quelque chose qui n’est pas étranger à la Justice, Droits 1990, n°11, p. 35.
LEBLOIS-HAPPE J.
- De la transaction pénale à la composition pénale, JCP 2000, I, 198.
LEBORGNE A.
- l’impact de la loyauté sur la manifestation de la vérité ou le double visage d’un grand principe, RTD civ. 1996, p. 535
LECLERC H.
- Les limites à la liberté de la preuve, aspects actuels en France, RSC 1992, p. 16.
- La procédure française de contumace et la Convention européenne des droits de l’homme🏛, Dalloz 2001, interview, p. 935.
LEMEE J.
- La règle « pas de nullité sans grief » depuis le nouveau Code de procédure civile, RTD civ. 1982, p. 55.
Lemonde M.
- L’appel en matière criminelle, Justices1996, n°4, p. 85
LESCLOUS V. MARSAT C.
- Chronique des parquets et de l’instruction, Droit pénal, 1995, n°12, p. 2.
- Enquête filmée : nullité, Droit pénal 1996, n°12, p. 6.
- L’existence d’une nullité est-elle soumise à l’exigence d’un grief ? Droit pénal 1997, n°3, p. 7.
LOBIN Y.
- La notion de grief dans les nullités des actes de procédure, Mélanges Vincent, Dalloz, Paris, 1981, p. 233.
LOMBOIS C.
- RSC, 1984, p. 804
LOUIS-LUCAS P.
- Vérité matérielle et vérité juridique, Mélanges Savatier, Dalloz, Paris, 1965, p. 405.
LOUSSOUARN.
- Les voies de recours dans le décret du 14 mai 1980🏛 relatif à l’arbitrage, Rev. Arb. 1980, p. 682.
MAGNIER V.,
- La notion de justice impartiale à la suite de l’arrêt Oury, JCP 2000, I, 252
MAISTRE DU CHAMBON P.
- La régularité des « provocations policières » : l’évolution de la jurisprudence, JCP 1989, I, 3422.
MARCUS-HELMONS S.
- La présence du ministère public au délibéré de la Cour de cassation ou l’affaire Borgers, Mélanges Velu, édition Bruylant, Bruxelles, 1992, t3, p. 1379
MARON A.
- La détention nouvelle est arrivée, Droit pénal 1998, n°1, p. 4.
MARON A. ROBERT J.H. VERON M.
- Chronique de droit pénal et procédure pénale, JCP 2000, I, 207.
MARTEAU-PETIT M.
- Les voies de recours prétoriennes en procédure civile, RRJ 1999, p. 703.
MARTIN R.
- La crise du contradictoire entre juge et avocat, Gaz Pal 1978,II, doct, p. 419.
- Sur l’unité des ordres de juridiction, RTD civ. 1996, p. 109.
- L’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme contre l’article 12 du nouveau Code de procédure civile, Dalloz 1996, chron., p. 20.
- Une nouvelle perspective sur la procédure civile, après le rapport de Monsieur le président Jean-Marie COULON, JCP 1997, actualités, (19/02/97).
- Conclusions qualificatives, recherche d’une sanction, Procédures 1998, n°2 ; Chron, p. 3.
- Loi n°98-1163 du 18 décembre 1998🏛 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits, JCP 1999, actualités, p. 121
- La justice en faute lourde ou simple, Procédures 2001, n°4, p. 4.
MARTIN R. MAS D.
- Juris-classeur procédure, fasc 705, Voies de recours – dispositions communes
MATHIEU B.
- Pour une reconnaissance de « principes matriciels en matière de protection constitutionnelle des droits de l’homme », Dalloz 1995, chron., p. 211.
- La dignité de la personne humaine : quel droit ? Quel titulaire ? Dalloz 1996, chron., p. 282.
MATHIEU B. et VERPEAUX M.
- Chronique de jurisprudence constitutionnelle, JCP 1997, I, 4023
- Chronique de jurisprudence constitutionnelle, JCP 1997, I, 4066.
- La reconnaissance et l’utilisation des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République par le juge : la contribution de l’arrêt Koné du Conseil d’Etat à l’analyse de la hiérarchie des normes en matière de droits fondamentaux, Dalloz 1997, chron, p. 219.
MAYAUD Y.
- Chronique de justice pénale, Justices 1995, n°1, p. 262.
MAYER D.
- L’apport du droit constitutionnel au droit pénal en France, RSC 1988, p. 439.
- L’information du public par la presse sur les affaires en cours d’instruction, Dalloz 1995, chron, p. 80.
MENABE J.P.
- Premières réflexions sur les dispositions de la loi n°95-125 du 8 février 1995🏛 relative à l’organisation judiciaire, ALD 1995, p. 41.
MERLE R.
- Lignes directrices pour une harmonisation européenne en matière pénale, RSC 1987, p. 183.
- Le secret et la procédure en droit français, Mélanges Merle, Cujas, Paris, 1993, p. 149.
MESCHERIAKOFF A.S.
- La notion de principes généraux du droit dans la jurisprudence récente, AJDA 1976, doct, p. 596.
MEUNIER J-L.
- Un gadget incertain et pervers : la systématisation des conclusions récapitulatives, Gaz Pal 1999, 1, doct, p.4.
MEURISSE R.
- Réflexions sur l’effet dévolutif de l’appel et l’évocation, Gaz. Pal. 1964, 2, doct, p. 102.
MIAILLE M.
- Définir le droit, Droits 1990, n°11, p. 41.
MIATTI F.
- La « Due process ou law » américaine : quelle traduction française ? RRJ 1997, p. 683.
MICHAUT F.
- Vers une conception postmoderne du droit. La notion de droit chez Ronald Dworkin, Droits 1990, n°11, p. 107.
MINATI G.
- Introduction à la systémique, (document internet), http//www.afcet.org/public/pp.g…archives/g.minati/intro .minati.04,.
MODERNE F.
- Légitimité des principes généraux et théorie du droit, RFDA 1999, p. 722.
MOLFESSIS N.
- Le double degré de juridiction - La protection constitutionnelle, Justices 1996, n°4, p. 17.
- La procédure civile et le droit constitutionnel, in, Le nouveau Code de procédure civile : vingt ans après, La documentation française, Paris, 1998, p. 245
MONIN M.
- 1989 : réflexions à l’occasion d’un anniversaire : trente ans de hiérarchie des normes, Dalloz 1990, chron, p. 27.
MONTANARI B.
- La faute et l’accusation : réflexions sur la vérité dans le procès, RIDP 1997, p. 43.
MORANGE G.
- Une catégorie juridique ambiguë : les principes généraux du droit, RDP 1977, p. 761.
MOTULSKY H.
- Le droit naturel dans la pratique jurisprudentielle, le respect des droits de la défense en procédure civile, Mélanges Roubier, Dalloz – Sirey, Paris, 1961, t2, p. 175 ; Ecrits, t1, Dalloz, Paris, 1973, p. 60.
- La réforme du Code de procédure civile par le décret du 13 octobre 1965 et les principes directeurs du procès, JCP 1966, I, 1996.
- Prolégomènes pour un futur Code de procédure civile : la consécration des principes directeurs du procès civil par le décret du 9 septembre 1971, Dalloz 1972, chron., p. 91.
MOUTOUH H. MONTAGNE-MOUTOUH I.
- Une réforme attendue : la responsabilité des magistrats, Dalloz 2000, n°8, point de vue, p. V.
MUIR WATT.
- Effets en France des décisions étrangères, Juris-Classeur procédure, fasc. 124-10, p. 3.
NATAF PH. LIGHTBURN J.
- La loi portant adaptation de la preuve aux technologies de l’information, JCP E 2000, étude, p. 836
NAVARO J.S.
- Standards et règles de droit, RRJ 1988, n°35, p. 834.
NDIAYE B.
- De l’Europe à l’Afrique : le modèle européen est-il exportable ? 2 Modèle européen ou universalité des droits de l’homme ? in Quelle Europe pour les droits de l’homme, sous la direction de TAVERNIER P. Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 439.
NERAC PH.
- Les garanties d’impartialité du juge répressif, JCP 1978, I, 2890.
NIORT J. F.
- Formes et limites du positivisme juridique, RRJ 1993, p. 157.
NORMAND J.
- le juge judiciaire, gardien non-exclusif des libertés. Le cas des étrangers, RTD civ. 1996, p. 235.
NOTTE G.
- La directive 2000/31/C.E. du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, JCP 2000, n°38, actualités, p. 1687.
OPPETIT B.
- Les principes généraux dans la jurisprudence de cassation, JCP E. 1989, cahiers du droit de l’entreprise, n°5, p. 12.
- De la codification, Dalloz 1996, chron., p. 33.
ORIANNE P.
- Les standards et les pouvoirs du juge, RRJ 1988, n°35, p. 1038.
OST F.
- L’instantané ou l’institué ? l’institué ou l’instituant ? le droit a-t-il vocation de durer ? in Temps et droit le droit a-t-il vocation de durer ?, sous la direction de OST F. Bruylant, Bruxelles, 1998, p. 7.
OST F. VAN DE KERCHOVE M.
- « Juris-dictio » et définition du droit, Droits 1989, n°10, p. 53.
OURLIAC P.
- La puissance de juger, le poids de l’histoire, Droits 1989, n°9, p. 21.
PALLARD H.
- La règle et le droit : la subjectivité et la genèse de la normativité dans l’ordre juridique, RRJ 1988, n°32, p. 211.
PATARIN J.
- Le particularisme de la théorie des preuves en droit pénal, in Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, sous la direction de STEFANI G. Dalloz, Paris, 1956, p. 7.
PATTARO E.
- Les dimensions éthiques de la notion de standard juridique, RRJ 1988, n°35, p. 814.
PECES-BARBA MARTINEZ G.
- Une définition normative du droit, Droits 1990, n°11, p. 51.
PEDROT PH.
- Les droits fondamentaux spécifiques au procès civil, in Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, Paris, 6ème éd°, 2000, p. 477.
PEPY A.
- Encyclopédie Dalloz, Lois et décrets, n°113.
PERDRIAU A.
- Les droits de la défense devant les chambres civiles de la Cour de cassation, JCP 1993, I, 3650.
- Pour une limitation des « appels-nullité », Gaz Pal 1996, 1, doct, p. 204.
- Contrôle formel de la procédure, Juris-classeur, procédure, fasc. n°791, p. 1.
PERELMAN CH.
- Intervention in, Le droit, les sciences humaines et la philosophie, Librairie J. Vrin, Paris, 1973, p. 289.
- Ontologies juridiques et sources du droit, APD 1982, t 27, p. 23.
PERROT R.
- Le principe de la publicité dans la procédure civile, Annales de la faculté de droit de Toulouse 1968, t16, fasc 1, p. 271.
- Le rôle du juge dans la société moderne, Gaz Pal 1977, 1, doct, p. 91.
- Le juge unique en droit français, RIDC 1977, p. 659.
- Le silence en droit judiciaire privé, Mélanges Raynaud, Dalloz – Sirey, Paris, 1985, p. 627.
- Brèves réflexions sur le rapport de J-M COULON, Procédures 1997, n°4, p. 4
PETEV V.
- Standards et principes généraux du droit, RRJ 1988, n°35, p. 826.
- Une conception socio-axiologique du droit, Droits 1989, n°10, p.69.
- Jugement juridique et jugement moral, APD 1994, t 39, p. 211.
- Temps et transmutation des valeurs en droit, in Temps et droit le droit a-t-il vocation de durer ?, sous la direction de OST F. Bruylant, Bruxelles, 1998, p.171.
PETTITI L.E.
- Les principes généraux du droit pénal dans la Convention européenne des droits de l’homme🏛, RSC 1987, p. 167.
PFERSMANN O.
- Carré de Malberg et la « hiérarchie des normes », RFDC 1997, n°31, p. 481.
PHILIPPE X.
- La liberté d’aller et de venir, Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, Paris, 6ème éd°, 2000 p. 263.
PLANTEY A.
- Définition et principes de l’ordre public, in, L’ordre public, PUF, Paris, 1996, p. 27.
PLUYETTE G. CHAUVIN P.
- Responsabilité du service de la justice et des magistrats, Juris-Classeur, 1993, fasc. 74.
POIRAT F.
- La doctrine des « droits fondamentaux » de l’Etat, Droits 1992, n°16, p. 83.
PONSARD A.
- Rapport français, in La vérité et le droit, Travaux de l’association Capitant 1987, t. 38, p. 529.
PRADEL J.
- La notion européenne de tribunal impartial et indépendant selon le droit français, RSC 1990, p. 692.
- Ecoutes téléphoniques et Convention européenne des droits de l’homme🏛, Dalloz 1990, chron, p. 15.
- Vers des principes directeurs communs aux diverses procédures pénale européennes, Mélanges Levasseur, Litec, Paris, 1992, p. 459.
- Un exemple de restauration de la légalité criminelle : le régime des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, Dalloz 1992, chr., p. 40.
- La rapidité de l’instance pénale, aspects de droit comparé, RPDP 1995, p. 213.
- D’une loi avortée à un nouveau projet sur l’injonction pénale, Dalloz 1995, chron., p. 171.
- La procédure de jugement applicable devant la Cour de justice de la République. Un mode d’emploi à préciser, Dalloz 1996, chron., p. 1.
- Inquisitoire – Accusatoire, une redoutable complexité, RIDP 1997, 1er et 2ème trimestres, p. 213.
- Centenaire de la loi du 8 décembre 1897 sur la défense avant jugement pénal : essai d’un bilan, Dalloz 1997, chron., p. 375.
- Une consécration du « plea-bargaining » à la française : la composition pénale instituée par la loi n°99-515 du 23 juin 1999🏛, Dalloz 1999, chron., p. 379
- Encore une tornade sur la procédure pénale, Dalloz 2000, n°26, point de vue, p. V.
- De la véritable portée de la loi du 10 juillet 2000🏛 sur la définition des délits non intentionnels, Dalloz 2000, , n°29, point de vue, p. V.
PRALUS M.
- A propos de la règle non bis in idem, valeur en droit interne de l’un des aspects de non bis ? APD 1996, n°18, p. 37.
PUECH M.
- Les principes généraux du droit (aspect pénal), Journée de la société de législation comparée, 1980, vol 2, p. 337.
PUTMAN E.
- Cinq questions sur les nullités en procédure civile, Justices 1995, n°2, p. 193.
- Rapport de thèse : collégialité et juge unique dans le droit judiciaire français, RTD civ. 2000, p. 216.
RAMBAUD P.
- in, Les grandes questions de la philosophie du droit, sous la direction de GOYARD-FABRE S. et SEVE R. 2ème éd°, Paris, PUF, 1993.
RASSAT M. L.
- La réforme de la procédure pénale en France, le « rapport Rassat », RICPT 1997, p. 259.
REBUT D.
- Réformer la responsabilité des élus. Le point de vue du pénaliste, Justices 2000, n°2, p. 135.
RENAUT A.
- L’idée contemporaine du droit, Droits 1989, n°10, p.73.
RENOUX TH.
- Le droit au recours juridictionnel, JCP 1993, I, 3675.
RENUCCI J.F.
- Le réexamen d’une décision de justice définitive dans l’intérêt des droits de l’homme, Dalloz 2000, chron., p. 655.
RIALS S.
- La fonction de juger, l’office du juge, Droits 1989, n°9, p. 3.
RICHERT J.P.
- La procédure du plea-bargaining en droit américain, RSC 1975, p. 375.
RIVERO J.
- Le juge administratif français, un juge qui gouverne ? Dalloz 1951, Chron, p. 21.
- Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, une nouvelle catégorie juridique ? Dalloz 1972, chron p. 265.
ROBERT J.
- La loi du 29 décembre 1972 et l’évolution du droit pénal, JCP 1973, I, 2525 ;
RODIERE R.
- Les principes généraux du droit privé français, Journées de la société de législation comparée 1980, vol. 2, p. 309.
RODRIGUEZ Y.
- La Cour de cassation et le contrôle de l’avis de la chambre d’accusation en matière d’extradition, Dalloz, 1984, chr, p. 223
ROMNICIANU M.
- Détention provisoire et ordre public, JCP 1975, I, 2744.
RONDEAU-RIVIER M.C.
- Arbitrage – la décision arbitrale, Juris-Classeur, fasc. 1046, p. 4.
ROSSI H.
- De l’association du juge de l’application des peines à la juridiction de jugement, JCP 1964, I, 1833.
Roubier P.
- L’ordre juridique et la théorie des sources du droit, Mélanges Ripert, tome 1, LGDJ, Paris, 1950, p. 9.
ROUETTE G.
- L’ordre juridique processuel, réflexions sur le droit du procès, Mélanges Raynaud, Dalloz – Sirey, Paris, 1985, p 687.
- Brèves remarques sur l’application de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, Justices 1997, n°7, p. 63.
ROUJOU DE BOUBEE G. DE LAMY B. A.
- propos de la création en procédure pénale d’un pourvoi dans l’intérêt des droits de l’homme, Dalloz 2000, Point de vue, n°10, p. V.
ROULAND N.
- Penser le droit, Droits 1989, n°10, p. 77.
- Les utilisations de la notion de droits de l’homme dans le nouvel ordre international, RRJ 1992, n°48, p. 133.
RUELLAN F.
- Les modes alternatifs de résolution des conflits, pour une justice plurielle dans le respect du droit, JCP 1999, I, 135.
SABOURIN P.
- Les autorités administratives indépendantes dans l’Etat, in, Les autorités administratives indépendantes, PUF, Paris, 1988, p. 93
SAILLARD J.P. MORENO D.
- La réforme du droit de la preuve et les nouvelles technologies, position du CCI de Paris, JCP 2000, actualité, p. 55
SAINTE-ROSE J. MUCCHIELLI P.
- Le contrôle du juge judiciaire sur la rétention administrative, Gaz. Pal. 1996, 2, doct., p. 989
SAINT-JAMES V.
- Réflexion sur la dignité de l’être humain en tant que concept juridique du droit français, Dalloz, 1997, chron., p. 61.
SALAS D.
- Etat et droit pénal, le droit pénal entre « thémis » et « diké », Droits 1992, n°15, p. 77.
- Le juge dans la cité : nouveaux rôles, nouvelle légitimité, Justices 1995, n°2, p. 181.
SALOMON R.
- Le pouvoir de sanction des autorités administratives indépendantes en matière économique et financière, conformité aux garanties fondamentales, JCP 2000, I, 264.
SAMPER CH.
- Argumentaire pour l’application de la systémique au droit, APD 1999, t. 43, p. 327.
SANTA-CROCE M.
- Le droit, l’honnête homme et l’article 1009-1 du nouveau Code de procédure civile, Dalloz 1997, chron., p. 239.
SARGOS P.
- Les principes généraux du droit dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Les gardes fous des excès du droit, JCP 2001, I, 306.
SAVATIER R.
- Droit privé et droit public, Dalloz 1946, chron., p. 25.
SCHAERER R.
- Droit morale et axiologie, in Le droit, les sciences humaines et la philosophie, Librairie J. Vrin, Paris, 1973.
SERIAUX A.
- Les enjeux de l’activité de juristictio, RRJ 1998, p. 445.
SEVE R.
- Introduction, APD 1986, Le système juridique, t. 31, p. 1.
- La juste diversité des définitions du droit, Droits 1989, n°10, p.89.
SILVESTRE C.
- Le principe du contradictoire en procédure pénale, RRJ 1993, n°54, p. 913.
- Le principe de célérité en procédure pénale française, RRJ 1996, n°64, p. 145.
SOINNE B.
- Le recours nullité dans le cadre des procédures collectives, Gaz Pal 1987, 2, doct, p. 695.
SOLUS H.
- Les réformes de la procédure civile, étapes franchies et vues d’avenir, Mélanges Ripert, LGDJ, Paris, 1950, p. 193.
SOURIOUX J.L.
- Les sources du droit en droit privé, APD 1982, p. 33.
STORME M.
- Le droit judiciaire De divesitate unitas ? Justices 1997, n°7, p. 69.
SUDRE F.
- Droit de la Convention européenne des droits de l’homme🏛, JCP 1996, I, 3910.
- Existe-t-il un ordre public européen ? in quelle Europe pour les droits de l’homme, sous la direction de TAVERNIER P. Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 39.
- La communauté européenne et les droits fondamentaux après le traité d’Amsterdam, vers un nouveau système européen de protection des droits de l’homme ? jcp 1998, I, 100.
TAVERNIER P.
- Le droit à un procès équitable dans la jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Les communications individuelles, RTDH 1996, n°25, p. 3.
THERY PH.
- Les finalités du droit de la preuve en droit privé, Droits 1996, n°23, p. 41.
THOMAS L.V.
- En découdre avec les valeurs, in Valeurs et changements sociaux, l’Harmattan, Paris, 1993, p. 9.
TIMSIT G.
- Pour une nouvelle définition de la norme, Dalloz 1988, chr, p. 267.
TRICAUD F.
- Le procès de la procédure criminelle à l’âge des lumières, APD 1994, t 39, p. 161.
TROPER M.
- Les juges pris au sérieux ou la théorie du droit selon DWORKIN, Droit et société 1986, p. 41
- Système juridique et Etat, APD 1986, t 31, p. 29.
- Pour une définition stipulative du droit, Droits 1989, n°10, p. 101.
TURLAN J.M.
- Principe. Jalons pour l’histoire d’un mot, in La responsabilité à travers les âges, Economica, Paris, 1989, p. 115
VAN DE KERCHOVE M.
- La preuve en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des droits de l’homme, RSC 1992, p. 1. Spécialement p. 4, note 21.
VANDERLINDEN J.
- Contribution en forme de mascaret à une théorie des sources du droit au départ d’une source délicieuse, RTD Civ.. 1995, p. 69.
VANDERVORST A.
- Les droits fondamentaux à l’épreuve du terrorisme, RRJ 1998, p. 1009.
VERBAERE C.
- Essai d’une théorie générale de la notion de valeur, application au droit de rétention, RRJ 1999, p. 685.
VERDIER R.
- Signes de vérité et d’innocence, gages de certitude et de conviction : les rituels probatoires dans les sociétés de tradition orale, Droits 1996, n°23, p. 91.
VERGES J.
- Droits fondamentaux de la personne et principes généraux du droit communautaire, Mélanges Boulouis, Dalloz, Paris, 1991, p. 113.
VERON M.
- La responsabilité pénale du directeur de la publication . Infractions de presse et infractions par voie de presse, Droit pénal 1996, n°2, chron., p. 1.
VETÖ M.
- Le procès dans la philosophie du droit de Hegel, RRJ 1983, p. 409.
VIALA A.
- L’interprétation du juge dans la hiérarchie des normes et des organes, Les cahiers du Conseil constitutionnel, 1999, n°6, p. 87.
VILLACEQUE J.
- Le tribunal de grande instance statuant au fond en matière civile : la collégialité menacée par les juges uniques, Dalloz 1995, juris., p. 317.
VINCENT J.
- La procédure civile et l’ordre public, Mélanges Roubier, t2, Dalloz-Sirey, Paris, 1961, p. 303.
- Les dimensions nouvelles de l’appel en matière civile, Dalloz 1973, chron., p. 179.
- Droit, morale et axiologie, in, Le droit, les sciences humaines et la philosophie, Librairie J. Vrin, Paris, 1973, p. 263.
VISSER’T HOOFT H. PH.
- Pour une mise en valeur non positive, de la positivité du droit, Droits, 1989, n°10, p. 105.
VITU A.
- Les rapports de la procédure pénale et de la procédure civile, Mélanges Voirin, LGDJ, Paris, 1967, p. 812.
- Le principe de la publicité dans la procédure pénale, Annales de la faculté de droit de Toulouse 1968, t. 16, fasc. 1 ; p. 293.
- Lignes directrices pour une harmonisation européenne en matière pénale, RSC 1987, p. 183.
WACHSMANN P.
- La liberté individuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, RSC 1988, p. 1.
WALD A.
- Rapport général in, La vérité et le droit, Travaux de l’association Capitant, T 38, 1987, p. 529.
WIEDERKEHR G.
- Le principe du contradictoire, Dalloz 1974, chron, p. 95
- Droits de la défense et procédure civile, Dalloz 1978, chron, p. 36.
- Chronique de justice civile, Justices 1997, n° 7, p 171.
WILLKE H.
- Le droit comme codage de la puissance publique légitime, Droits 1989, n°10, p. 113.
WROBLEWSKI J.
- Le rôle des principes du droit dans la théorie et l’idéologie de l’interprétation juridique, Archivum Juridicum Cracoviense 1984, vol XVIII, p. 5.
ZOLLINGER L.
- L’intime conviction du juge, Déviance, travaux de l’institut de criminologie de Paris 1976, p. 33.
Abstention (d’un juge), 443
Accès à la justice, 62, 117, 446
Accès au dossier, 101, 416, 450
Accusatoire, 179, 194
- principe : 18, 222, 390
Acte de procédure
- anéantissement : 405
- action des principes, 393 et suiv.
- rejet, 406
- validité, 407
Action contra legem, (des principes), 346 et suiv.
Action en justice, 33, 145, 336, 446, 448, 484
- civile, 94, 139, 216, 218, 354, 370, 389, 397
- extinction, 216, 336, 383, 447 et suiv.
- prescription, 397, 405, 448
- publique, 144, 216, 277, 315, 336, 383, 389, 418, 447 et suiv.
Action fondatrice, 359 et suiv.
Action unificatrice, 380 et suiv.
Adage, 208
Affaiblissement (d’un principe), 217 et suiv., 312
- déclin, 219
- recul, 218
Amende civile, 467
Amiable composition, 215
Antinomie (du droit), 372 et suiv.
Appel (effet dévolutif), 122, 226, 323, 384, 429
Appel-nullité, 154, 347 et suiv., 424, 427 et suiv.
Arbitrage 16, 158, 407
- judiciaire, 215
- recours en annulation, 424 et suiv.
Arrêt de principe, 54
Assistance éducative, 101
Astreinte, 467
Autonomie (des principes), 488
Autorité normative, 154, 204, 241, 248 et suiv.
Autorités administratives indépendantes, 16,185, 218, 379,
Aveu, 200, 300, 319, 362, 133, 306, 413
Axiologie, 114 et suiv., 349
- standards, 244
Bipolarisation (fin de la), 166
Bonne administration de la justice, 136 et suiv.
Caducité, 405
Cassation (recours), 348, 430 et suiv., (Cf. aussi recours en cassation)
Catégorie juridique, 17, 275
Champ procédural
- concurrence, 296
- empiétement, 295
- partage, 292 et suiv.
Champ relationnel, 284 et suiv.
- champ interactionnel, 285 et suiv.
- champ non-interactionnel, 291 et suiv.
Classement sous condition, 216
Combinaison (de principes), 226, 299 et suiv.
Commission des opérations de bourse, 16, 379, 398
Commission « Justice pénale et droits de l’homme », 4, 363
Communauté de droits 178 et suiv.
Communication des pièces, 101, 104, 144, 227
Compétence (ratione loci), 255
Complétude (du droit), 81 et suiv., 375 et suiv.
Composition pénale, 133, 216
Conciliation, 122, 214 et suiv.
- civile, 215
- pénale, 216
- des principes, 313
Conclusions
- qualificatives, 223, 455
- tardives, 122
Conseil constitutionnel, 336
Conseil supérieur de la magistrature, 481
Consubstantialité, 182 et suiv.
- indices, 185
- notion, 184
Continuité, 206 et suiv., 365
Contrôle constitutionnel par voie d’exception, 351
Contrôles d’identité, 122, 238, 339, 345
CESDH, 69 et suiv.
- contrôle du droit interne, 330
- utilisation par la Cour de cassation, 331 et suiv.
Correspondances (interception, détournement), 477
Corruption, 473
COULON (rapport), 138, 142, 223, 257, 259, 270
Cour de justice de la République, 372
Cour de justice des communautés européennes, 72, 86
Cour européenne des droits de l’homme, 87
- influence sur la jurisprudence interne, 330
Déambulation (des principes), 224, 234
Décision de justice (contrôle), 141, 421 et suiv.
Déduction, 198 et suiv.
- interprétation, 199
Déduction/induction (théories), 203, 197
Délai préfix, 446, 448
Démocratie, 178 et suiv.
- procès démocratique, 191 et suiv.
Déni de justice, 455, 472
Désistement, 389
Détention provisoire, 33, 48, 49, 200, 203, 233, 247, 250, 268, 270, 301, 344, 362, 363, 370, 375, 398, 416, 450, 460, 481
Diffamation, 94, 133, 264, 468, 478
Droit au silence, 13, 128, 192, 223, 391, 419, 449
Droit communautaire, 72, 86, 181
Droit comparé, 13
Droit européen (commun), 180, 181
Droit naturel, 60 et suiv.
Droit processuel
- cohérence, 361
- conflit de valeurs, 104
- construction, 360et suiv.
- droit commun, 381 et suiv.
- finalités, 113 et suiv.
- fondements, 112 et suiv.
- organisation, 362
- réforme, 363
- relativité, 175
- valeurs, 116 et suiv.
Droits de l’homme, 166 et suiv., 172
Dualité (des droits), 278
Ecoutes téléphoniques, 94, 103, 300, 306, 322 et suiv., 363, 477
Efficacité, 124, 132, 135, 142 et suiv., 192, 219, 270, 348
- célérité, 144
Encadrement (d’un principe), 318 et suiv.
Etat (contrôle de la puissance étatique), 159
Eviction
- d’un principe, 311
- de la règle formellement supérieure, 346
Evocation, 143, 250, 264, 384
Evolution du litige, 143, 211, 219
Excès de pouvoir, 47, 154, 347, 378, 424, 428, 432
Exequatur, 95, 257, 267, 407, 423 et suiv.
Expert, 95, 104, 193, 371, 389, 412, 418, 429, 466
Extradition, 163, 190, 348, 357
Fait constant, 223
Faits sociaux, 60, 62, 63, 83, 171, 244 et suiv., 355, 365
Faux témoignage, 128, 437, 474
Fin de non-recevoir, 49, 311, 446 et suiv.
Flexibilité (d’un principe), 241 et suiv.
- contraintes temporelles, 272
- facteurs, 261 et suiv.
- notion, 241, 242 et suiv.
- seuil, 249 et suiv.
- urgence, 272
Force d’inertie, 207 et suiv.
Force probante, 300, 321, 365, 387, 399, 436
Forclusion, 448
Garde à vue, 87, 108, 121, 190, 200, 250, 255, 397 et suiv., 403, 413, 415 et suiv., 461, 484
Généralité (d’un principe), 224 et suiv., 377
- domaine d’application, 229 et suiv.,
- éléments, 230 et suiv.
- formulation, 225 et suiv.
- relation principe/principe, 238
- relation principe/règle technique, 237
Genèse
- principes directeurs du procès civil, 3
- principes directeurs du procès pénal, 4
Grief, 408 et suiv.
- éviction, 417 et suiv.
- exigence, 409 et suiv.
- intérêt de la partie qui s’en prévaut, 412
- notion, 410
- présomption, 414 et suiv.
- vice dans la recherche de la vérité, 413
Hiérarchie des normes, 147 et suiv.
- classique, 148
- critère téléologique, 155 et suiv.
- nouvelle, 153 et suiv.
- place du juge, 158, 357
- théorie des « trois plans », 353 et suiv.
- théorie française, 149
- théorie française (limites), 150 et suiv.
Immigration (contrôle), 313
Inclusion (d’un principe dans un autre), 287
« Inculpation » tardive, 410
Indemnisation, 453 et suiv. (Cf. aussi responsabilité)
Induction, 202 et suiv.
- amplifiante, 377
- induction/déduction, 203
- théorie, 197
Inertie, 210 et suiv.
Infraction politique, 190
Inquisitoire, 143, 179, 190, 194, 222, 382, 389
Insertion d’un communiqué, 468 et suiv.
Instance (conduite de l’) 247
Interaction (entre principes), 285 et suiv.
Interprétation, 343 et suiv., 368 et suiv.
- déductive, 199
- direction, 372 et suiv.
- divergence, 101 et suiv.
- extensive, 344
- signification, 370 et suiv.
- standards, 245
- stricte et restrictive, 345
Intimidations, 473
Juge
- chargé de suivre la procédure, 138, 214, 221
- chargé de la mise en état, 144, 204, 390, 391
- légitimité, 60
- pouvoir normatif, 80 et suiv., 354 et suiv.
- administratif (et le procès civil), 96
- d’application des peines, 122, 288
- des enfants, 122, 193, 257, 293
- des tutelles, 193
- judiciaire (détermination de principes constitutionnels), 90
- judiciaire (et la Constitution), 339
- judiciaire (et la jurisprudence du CC), 338
Jugement
- contradictoire, 192, 362
- étranger, 432
- par défaut, 192
- réputé contradictoire, 192
Juridicité, 42
Jurisprudence
- arrêt de principe, 54
- pouvoir normatif du juge, 80 et suiv.
Justice, 113, 117
- bonne administration de, 136 et suiv.
Lacunes (du droit), 375 et suiv.
Liberté de la presse, 264, 355, 475
Litige
- évolution, 143, 211, 219
- règlement définitif, 145
Logique du flou, 241
Loi de l’inertie, 210 et suiv.
Loi spéciale, 349
Marge nationale d’appréciation, 169, 181, 242
Matière gracieuse, 16, 199 et suiv., 241, 272
Médiation
- civile, 215
- pénale, 216
Menaces, 473
Mesure d’administration judiciaire, 227, 345
Mise en état des affaires pénales, 4
Modalités relationnelles, 297 et suiv.
Neutralisation
- d’une norme, 158
- de la règle formellement supérieure, 342 et suiv.
Normativisme, 59
Norme
- inclassable, 152
- primaire/secondaire, 196
- puissance normative, 149, 349, 493, 354
- fondamentale, 149
- sociale, 40, 42, 44, 83, 204, 258, 355
Norme juridique, 36 et suiv.
- contrainte, 38
- origine étatique, 42
- production, 35, 86
- sanction, 40 et suiv.
Norme non juridique, 258
Notion floue, 243 et suiv.
Nullités, 401 et suiv., 408 et suiv.
- d’ordre public, 410
- fondements, 402, 403
Opposition
- d’un principe et d’une norme juridique, 263 et suiv.
- d’un principe et de l’ordre public, 266 et suiv.
- entre principes, 264, 310 et suiv.
Opposition (recours en), 192
Ordonnance de clôture, 95, 122, 144, 221, 223, 406
Ordre public, 266 et suiv.
- notion, 266
- nullité, 410, 418
- relation avec les droits de la défense, 419
Pattegiamento, 133
Péremption d’instance, 270, 405
Plea-bargaining, 133, 216
Pluralisme, 61, 168, 173 et suiv.
Positivisme, 60
- sociologique, 60, 62, 63
Prescription (de l’action), 397, 405, 448
Présomption, 132, 133, 145, 271, 278, 362, 364, 386 et suiv.
Preuve
- charge, 5, 103, 132, 278, 291, 322, 362, 373, 386, 398, 413, 437, 449
- civile et pénale, 389
- coopération des parties, 449
- divorce, 406
- littérale, 365
- production, 387
- rejet d’un moyen, 406
- risque de la, 449
Primauté, 195 et suiv.
- déduction/induction, 203, 197
- définition, 195
Principe
- contra legem, 147, 154, 158, 342, 344, 346 et suiv., 428, 432
- définitions, 7 et suiv.
- règle de, 254 et suiv.
- typologies, 9
- vocable, 18, 46 et suiv.
Principe à contenu variable, 100
Principe constitutionnel, 89 et suiv.
Principe directeur
- corpus, 18
- définition, 10 et suiv., 275
- index des principes directeurs (voir la liste en fin d’index)
- unité, 277
Principe général du droit, 52, 92 et suiv.
- universalité, 174 et suiv.
- droit naturel, 61
Principe générique, 288 et suiv., 306
Principe latent, 144, 204, 256 et suiv.
Principe matriciel, 151, 238, 290, 412
Principe-cadre, 106 et suiv., 306
Principe-condition, 314 et suiv.
Principe constitutionnel, 89 et suiv.
Principes fondamentaux (article 34 de la Constitution), 55
Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, 53, 74, 89, 100, 151 et suiv., 157, 218, 351, 493
Principes internationaux, 85 et suiv.
Principe juridique, 8 et suiv., 10, 13, 18, 30 et suiv., 52, 56, 62, 80 et suiv., 101, 112, 158, 162, 174, 206, 254, 355, 392, 493
Principe matriciel, 151, 290
Principe sous-jacent, 204
Principe-technique, 122
Principe-valeur, 119 et suiv.
Prise à partie, 382
Procès
- civilisation du procès pénal, 389
- démocratique, 191 et suiv.
- enjeux, 271
- pénalisation du procès civil, 390
- politique, 187 et suiv.
- procès politique (terrorisme), 190
- procès politique (URSS), 189
Procès judiciaire
- définition, 14 et suiv.
- étendue, 15
- procédures satellites 16
Production forcée (de pièces), 464 et suiv.
Protection
- détournée, 307
- englobante, 306
- fonction principale, 303
- fonction secondaire, 304
Prototype (de principe), 277
Provision, 345, 370
Qualification, 18, 46, 48 et suiv., 89, 127 et suiv., 133, 139, 143, 152, 157, 190, 211, 221 et suiv., 236, 253 et suiv., 257, 408
Qualité du procès, 4, 125 et suiv.
Rabat d’arrêt, 89, 348, 377
Radiation, 405
Delmas-Marty (Rapport), 4
Recel, 474
- de violation du secret de l’instruction, 264, 478
Recours en cassation, 430 et suiv.
- contra legem, 348
- effet suspensif, 270
- excès de pouvoir, 432
- vice de motivation, 434
- violation de la loi, 431
- violation des formes de la procédure, 433
- voie d’annulation, 348
Recours en révision, 435 et suiv.
Récusation, 442 et suiv.
Référé, 78, 195
Référé législatif, 209, 343
Référé-liberté, 301
Réformation in pejus, 122, 273, 384
Règle de principe, 254
Relation conditionnelle, 314 et suiv.
Renforcement (d’un principe), 213 et suiv.
Renvoi, 286, 444
- bonne administration de la justice, 444
- suspicion légitime, 444
« Repère-plan » (théorie du), 155 et suiv.
Responsabilité
- atteinte à la liberté, 460
- atteinte à la présomption d’innocence, 461
- civile, 453 et suiv.
- déni de justice, 455
- disciplinaire, 480 et suiv.
- faute disciplinaire, 481
- faute lourde, 456
- pénale, 471 et suiv.
- régimes spéciaux, 458 et suiv.
- satisfaction équitable, 438, 462
- service public de la justice, 454 et suiv.
Révision (Cf. aussi Recours en révision)
- civile, 323, 436
- du procès 128
- pénale, 437
- violation de la CESDH, 438
Saisine in rem, 128, 143
Sanction
- des normes juridiques, 40
- procédurale, 393 et suiv., 440 et suiv.
Secret professionnel, 133, 232, 264, 397, 478
Serment, 175, 200, 239, 265, 323, 362, 419, 436, 466, 474
- des jurés, 75
- des magistrats, 481
Seuil de flexibilité, 248 et suiv.
Signature électronique, 365
Soft-law, 241
Sources du droit, 20 et suiv.
- coexistence des principes (dans plusieurs sources), 77
- coutume, 25, 28
- droit international, 23
- jurisprudence, 24
- morale, 32
- sources formelles, 21 et suiv.
- sources formelles (décloisonnement), 97
- sources internationales, 68 et suiv., 85 et suiv.
- sources internes, 73 et suiv., 89 et suiv.
- sources jurisprudentielles, 79 et suiv.
- sources matérielles, 30 et suiv.
- sources textuelles, 67 et suiv.
Standard, 8, 243 et suiv.
Subornation de témoins, 474
Sursis à statuer, 397, 462
Système, 279 et suiv.
- du droit processuel, 281
- juridique, 280
- juridique (représentation dans l’espace), 353
Témoin, 47, 104 et suiv., 109, 200, 239, 270, 295, 306, 316, 330, 387, 389, 391, 420, 474
- assisté, 406
- faux témoignage, 128, 437
- subornation de témoins, 474
Terrorisme, 190, 250
Torture, 78, 123, 133, 168, 190, 296, 300
Tradition juridique, 207
Transaction, 122, 215 et suiv.,
Transformation (d’un principe), 220 et suiv.
« Trois plans » (théorie des), 353 et suiv.
- critique de la théorie, 355
Unité des fautes civile et pénale, 218
Universalité, 163 et suiv.
- droits de l’homme, 166 et suiv.
- pluralisme, 61, 168, 173 et suiv.
- principes généraux du droit, 174
Utilité, 124 et suiv.
- notion, 124
- qualité du procès, 125 et suiv.
- vérité, 126 et suiv.
Valeur, 114 et suiv.
- clémence, 122
- conflit de valeurs, 123
- dignité, 120, 121, 123
- droit processuel, 116
- égalité, 121
- impartialité, 120, 122
- indépendance, 120
- intimité, 122
- justice, 117
- liberté, 121
- loyauté, 122, 120
- notion, 115 et suiv.
- proximité, 122
- relativité (des valeurs), 171
- sérénité, 122
Vérité, 126 et suiv.
- concours à la manifestation, 128, 264, 391, 465, 467
- conviction, 134
- déformation, 131 et suiv.
- entrave, 133
- judiciaire, 131 et suiv.
- matérielle, 127 et suiv.
- présomption de 132
- recherche, 126 et suiv., 413, 474
Violation de domicile, 100, 132, 406, 477
Visa de principe, 18, 47, 48
INDEX des Principes directeurs
Autorité de la chose jugée, 13, 47, 52, 57, 72, 108, 110, 122, 123, 126, 128, 132, 139, 146, 151, 188, 208, 252, 265, 286, 289, 311, 312, 315, 330, 362, 379, 383, 398, 423, 424, 437, 446, 447
Autorité de la chose jugée (au criminel sur le civil), 94, 139, 209, 218, 244, 289, 312, 383
Autorité judiciaire gardienne des libertés individuelles, 4, 53, 74, 218, 286, 303, 313, 336, 349, 364, 403, 416
Célérité, 33, 47, 71, 109, 110, 112, 122, 130, 144, 204, 219, 234, 247, 264, 273, 286, 301, 362, 383, 397, 405, 406, 411, 446, 448, 450, 455, 481, 482, 489
Charge de la preuve (incombe à l’auteur d’une prétention), 5, 226, 278, 291, 317, 322, 362, 373, 386, 398, 413, 425, 449
Collégialité, 4, 47, 62, 90, 120, 122, 144, 238, 257 et suiv., 270, 271, 277, 293, 296, 307, 338
Conciliation, 62, 122, 214 et suiv., 315, 344, 389
Contradictoire, 2, 3, 4, 5, 16, 22, 39, 48, 61, 86, 87, 88, 95, 96, 101, 104 et suiv., 108, 109, 110, 117, 128, 138, 140, 141, 143, 144, 152, 179, 180, 184, 185, 188, 190, 192, 193, 194, 199, 208, 227, 238, 264, 265, 272, 277, 286, 300, 301, 303, 304, 308, 312, 315, 317, 322, 327, 334, 362, 391, 396, 398, 399, 406, 420, 425, 428, 433, 456, 465
Coopération, 18, 47, 87, 112, 128, 138, 144, 211, 222 et suiv., 226, 227, 228, 257, 260, 264, 286, 315, 361, 362, 371, 389, 390, 405, 406, 425, 432, 449, 455, 465 et suiv., 474, 485
Dignité de la personne humaine, 4, 5, 13, 43, 61, 78, 87, 91, 101, 121, 123, 133, 151, 164, 190, 204, 226, 234, 252, 260, 266, 300, 380, 383, 387, 396, 438, 477
Dispositif, 3, 18, 47, 211, 221 et suiv., 227, 261, 389 et suiv.
Droit à la vie, 168, 174
Droit au juge, 2, 33, 41, 71, 109, 110, 143, 239, 273, 301, 317, 361, 371, 383, 389, 397, 402, 403, 421, 422 et suiv., 427, 432, 446, 455, 472, 484, 485
Droit au recours, 5, 13, 16, 33, 47, 71, 108, 110, 117, 121, 128, 141, 227, 228, 238, 239, 250, 267, 270, 286, 301, 304, 311, 323, 330, 344, 347 et suiv., 357, 362, 375, 377 et suiv., 412, 421, 424 et suiv., 430 et suiv., 484
Droit d’avoir la parole en dernier (pour la personne poursuivie), 4, 122, 141, 203, 334, 348, 357
Droits de la défense, 3, 4, 5, 13, 16, 22, 34, 43, 47, 48, 52, 53, 57, 62, 70, 74, 86, 88, 89, 94, 101, 103, 104, 105, 106, 107 et suiv., 117, 121, 122, 143, 152, 158, 175, 180, 184, 188 et suiv., 192, 193, 194, 203, 227, 231, 238, 264, 265, 267, 271, 290, 300, 306, 316, 333, 336, 345, 348, 350, 355, 356, 361, 364, 374, 377, 379, 383, 387, 397, 402, 403, 407, 408, 410, 412, 415, 416, 418 et suiv., 423, 424, 427, 428, 432, 433, 450
Egalité, 3, 5, 13, 53, 68, 72, 74, 83, 86, 87, 90, 96, 105, 109, 117, 121, 122, 123, 138, 158, 168, 174, 199, 211, 234, 257, 273, 300, 307, 327, 338, 361, 362, 380, 389
Egalité des armes, 68, 87, 88, 104 et suiv., 109, 121, 122, 184, 251, 290, 316, 321, 331, 334, 361, 364, 379, 383, 389, 438
Fraude corrompt toute chose (la), 158, 323, 387, 399, 406, 407, 423, 436, 456, 474
Immunité de juridiction, 47, 85, 227
Immutabilité du litige, 47, 143, 211, 219, 277
Impartialité des juges, de la justice, 2, 5, 16, 39, 68, 71, 95, 108, 109, 110, 117, 120, 122, 123, 185, 188, 193, 194, 202, 209, 211, 231, 234, 238, 243, 252, 257, 258, 264, 267, 277, 288, 301, 303, 304, 308, 379, 382, 383, 391, 396, 407, 420, 425, 433, 438, 441 et suiv., 473, 474, 481, 485
Indépendance des juges, de la justice, 4, 16, 53, 68, 71, 74, 89, 109, 110, 120, 122, 123, 141, 185, 188, 189, 211, 234, 238, 303, 304, 351, 383, 425, 444, 454, 456, 457, 473, 481
Initiative, 4, 18, 22
Intime conviction, 43, 75, 134, 200, 226, 246, 287, 300, 318 et suiv., 362, 387, 436 et suiv.
Intimité de la vie privée, 13, 53, 68, 70, 97, 100, 103, 122, 123, 133, 151, 200, 226, 233, 238, 265, 268, 272, 290, 296, 300, 311, 316, 333, 345, 355, 364, 383, 387, 396, 403, 406, 438, 456, 476, 477, 485
Inviolabilité du domicile, 53, 89, 100, 151, 303, 477
Juge unique, 62, 90, 122, 141, 142, 144, 158, 257, 258 et suiv., 270, 271, 278, 292, 293, 296, 307, 338
Liberté d’aller et de venir, 68, 72, 74, 89, 100, 121, 151, 255, 268, 270, 301 et suiv., 391, 398, 416, 450, 459, 460, 484
Liberté de la preuve, 4, 43, 75, 103, 129, 200, 231, 265, 287, 295, 300, 316, 319, 362, 373, 387
Loyauté dans la recherche de la preuve, 4, 47, 94, 103, 109, 120, 121, 123, 129, 133, 158, 176, 204, 233, 251, 300, 306, 308, 362, 364, 373, 383, 387, 399, 411 et suiv., 420, 456, 474, 489
Motivation des décisions de justice, 5, 13, 39, 41, 50, 77, 87, 108, 109, 117, 141, 184, 209, 226, 233, 238, 243, 250, 252, 301, 306, 323, 349, 361, 372, 379, 383, 396, 398, 402, 416, 425, 428, 430, 434
Opportunité des poursuites, 216, 277, 289, 455
Oralité (des débats), 3, 4, 238, 286, 317, 403, 420, 433, 442
Plénitude de juridiction, 33, 218, 286
Présomption d’innocence, 4, 5, 13, 34, 39, 53, 57, 68, 70, 72, 74, 78, 108, 109, 112, 132, 133, 143, 158, 180, 188, 189, 195, 211, 226, 232, 264, 271, 278, 300, 301, 322, 336, 362, 363, 364, 379, 386, 397, 398, 416, 437, 438, 456, 459, 461, 462, 467 et suiv., 475, 478, 485, 491
Preuve légale (ou système des preuves légales), 103, 133, 134, 175, 295, 316, 365, 387, 436, 449
Procès équitable, 16, 68, 70, 71, 87, 88, 102, 105 et suiv., 120, 123, 141, 151, 192, 234, 290, 331, 334, 363, 383, 438, 491
Publicité, 3, 4, 13, 22, 37, 47, 71, 97, 109, 112, 113, 117, 122, 140, 175, 180, 189, 194, 200, 208, 231, 34, 235, 238, 267, 268, 291, 292, 294, 296, 303, 311, 312, 321, 346, 358, 361, 362, 383, 402, 420, 433
Secret, 112, 122, 133, 175, 200, 232, 264, 294, 296, 311, 478
Secret de la mise en état, 122, 143, 181, 232, 264, 397, 412, 456, 468, 475, 478
Secret des délibérés, 122, 142, 202, 209, 294, 304, 322, 345, 425, 433, 481
Séparation des autorités judiciaire et administrative, 47, 53, 209, 218, 265, 286, 313, 428, 432
Séparation des fonctions (et des autorités judiciaires), 4, 5, 91, 120, 122, 202, 237, 238, 257, 288, 304, 315, 336, 362, 370, 379, 391, 396, 442, 491