BOI n° 162 du 15 septembre 1988
Instruction du 6 septembre 1988
12 C-20-88
Contentieux en recouvrement.
Action en recouvrement.
ACTION DES CREANCIERS CONTRE LES DIRIGEANTS ET LIQUIDATEURS DE SOCIETES COMMERCIALES.
CONDITIONS DE MISE EN OEUVRE DES ACTIONS PREVUES PAR LES ARTICLES L266 ET L267 DU LIVRE DES PROCEDURES FISCALES.
Les services trouveront ci-après la teneur d'une instruction qui a été établie conjointement avec la Direction de la Comptabilité publique et qui précise les conditions de mise en oeuvre des actions en responsabilité des dirigeants sociaux prévues par les articles L 266 et L 267 du livre des procédures fiscales.
Les articles L 266 et L 267 du livre des procédures fiscales autorisent l'engagement de la responsabilité des dirigeants de sociétés débitrices envers le Trésor. Les conditions d'exercice de ces actions ont été commentées respectivement pour la Direction générale des impôts dans la Documentation de base (12C 2251) et dans l'instruction du 25 août 1981 (BOI 12C-33-81) et pour la Direction de la Comptabilité publique dans les instructions n° 59-A3, par II du 16 février 1959, n° 70-29 A3, 1° du 12 mars 1970 et n° 81-10 2A3 du 9 juillet 1981.
L'action en responsabilité prévue aux articles L266 et L267 du LPF est l'une des actions ouvertes aux comptables publics pour assurer le recouvrement des créances du Trésor et, comme toutes les actions ayant cet objet, elle participe au maintien du libre jeu de la concurrence entre les entreprises soumises aux mêmes obligations.
L'engagement de la responsabilité des dirigeants n'est d'ailleurs pas une règle propre au droit fiscal. C'est ainsi que les articles 52 et 244 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales prévoient que les gérants de SARL et administrateurs de SA sont responsables envers les tiers d'une part, des infractions aux dispositions législatives et réglementaires applicables à la société, d'autre part des violations des statuts et, enfin, des fautes commises dans leur gestion.
Cependant, si cette action n'est pas, dans son principe, exorbitante du droit commun, elle emporte des conséquences rigoureuses qui doivent conduire à en réserver l'usage aux situations dans lesquelles la gravité et la répétition des manquements reprochés aux dirigeants sont suffisamment établies.
La présente instruction commente les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des dirigeants de société, conformément aux déclarations faites par le Ministre lors de la discussion du projet de loi portant réforme des procédures fiscales et douanières (loi n° 87-502 du 8 juillet 1987).
L'ENGAGEMENT DE L'ACTION.
L'ACTION NE PEUT ETRE ENGAGEE QUE SUR DECISION DU DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX OU DU TRESORIER-PAYEUR GENERAL.
Seul le comptable est juridiquement habilité à représenter l'Etat pour l'engagement et la conduite des actions en justice tendant au recouvrement de l'impôt.
Toutefois, il appartient au directeur ou au trésorier-payeur général, selon le cas, d'exercer son pouvoir hiérarchique dans les affaires de cette nature.
S'agissant spécialement de la procédure prévue aux articles L 266 et L 267, celle-ci ne doit être mise en oeuvre que sur décision personnelle du directeur des services fiscaux ou du trésorier-payeur général. Leur attention est appelée sur la nécessité de s'assurer que les circonstances propres à chaque affaire justifient ou non l'engagement de l'action et d'apprécier toutes les incidences d'une décision d'autorisation ou de refus.
LES MANQUEMENTS IMPUTABLES AU DIRIGEANT DOIVENT AVOIR RENDU IMPOSSIBLE LE RECOUVREMENT DE LA CREANCE SUR LA SOCIETE.
En conséquence, l'action visée aux articles L 266 et L 267 ne peut être intentée qu'à la condition que des poursuites régulièrement engagées contre la société se soient révélées inefficaces ou insuffisantes, ou bien, à tout le moins, que l'inefficacité des poursuites susceptibles d'être exercées soit évidente, ou encore que toute poursuite soit impossible (procédure collective).
L'ACTION DOIT ETRE ENGAGEE DANS DES DELAIS SATISFAISANTS.
Selon la jurisprudence de la Cour des comptes, il appartient aux comptables d'accomplir, en vue du recouvrement, les diligences adéquates, complètes et rapides.
Or, trop souvent, la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants sociaux intervient tardivement, parfois même alors que le comptable envisage de présenter sa créance en non-valeur.
Une telle manière de faire n'est pas souhaitable. Elle se révèle inefficace à l'égard des dirigeants qui ne sont plus solvables et des personnes qui ne peuvent comprendre d'être poursuivies pour des faits par trop anciens.
L'OCTROI D'UN PLAN DE REGLEMENT PEUT INFLUER SUR LA MISE EN CAUSE D'UN DIRIGEANT.
D'une manière générale, les comptables du Trésor et des impôts sont autorisés à consentir des délais de paiement, sous leur responsabilité et moyennant, s'il y a lieu, la constitution de garanties. Les délais peuvent également être accordés par la Commission des Chefs des Services financiers et des représentants des Organismes de Sécurité sociale.
Ainsi, la demande de délais présentée par un dirigeant de société doit, en principe être interprétée comme une manifestation de bonne volonté de l'intéressé qui effectue une démarche en vue de trouver, de concert avec le comptable, une solution aux difficultés financières de l'entreprise. Dès lors, l'octroi de délais de paiement est de nature, à écarter la responsabilité du dirigeant. Toutefois, le comptable public peut estimer, compte tenu des circonstances, qu'il ne pourra se dispenser d'engager ultérieurement la responsabilité du dirigeant en cas de non-respect du plan de règlement. Dans ce cas, il devra formellement informer le dirigeant que le non-paiement de l'arriéré ou des taxes courantes l'amènera à mettre en oeuvre les dispositions des articles L 266 et L 267 du livre des procédures fiscales.
LES MANQUEMENTS REPROCHES AU DIRIGEANT DOIVENT ETRE SUFFISAMMENT GRAVES ET REPETES.
Pour apprécier si les conditions relatives à la répétition et à la gravité des manquements constatés sont réunies, il y a lieu de prendre en considération à la fois le nombre des infractions commises (nombre de déclarations non souscrites ou souscrites sans paiement), le montant de l'impôt non acquitté, et s'il y a lieu, la nature des redressements effectués.
Il va de soi qu'avant d'autoriser l'engagement de l'action, le directeur des services fiscaux et le trésorier-payeur général doivent vérifier que les impositions ne font pas l'objet d'une réclamation assortie du sursis de paiement avec constitution de garanties. L'action pourrait toutefois être engagée en ce qui concerne la partie de la créance non contestée si celle-ci peut encore être considérée comme provenant d'une inobservation grave et répétée des obligations fiscales. Elle pourrait l'être également si la réclamation a été rejetée par le tribunal administratif ou le tribunal de grande instance.
IL CONVIENT DE S'ASSURER QUE LES MANQUEMENTS COMMIS PAR LA SOCIETE SONT BIEN IMPUTABLES AU DIRIGEANT.
C'est ainsi qu'un dirigeant ne peut être rendu responsable du défaut de paiement d'impositions qui, bien que se rapportant à la période antérieure au jugement ouvrant une procédure collective, ne sont cependant pas exigibles à la date de ce jugement, lequel interdit précisément au débiteur de régler les créances nées avant son intervention.
On ne peut non plus reprocher à un dirigeant, en principe, les manquements commis avant sa prise de fonction ou après sa démission. Le dirigeant pouvant être poursuivi est celui à qui incombe la bonne exécution des obligations fiscales. Le service central devra être saisi avant l'engagement de l'action des difficultés qui pourraient se présenter en la matière.
LE DEROULEMENT DE LA PROCEDURE.
LE CARACTERE CONTRADICTOIRE DE LA PROCEDURE.
L'action en responsabilité des dirigeants doit se dérouler dans les meilleurs délais afin d'éviter que le défendeur retarde son issue dans une intention dilatoire et organise son insolvabilité.
C'est pourquoi le législateur a prévu l'application de la procédure à jour fixe.
Toutefois, même dans le cadre de cette procédure il importe que le caractère contradictoire des débats soit respecté.
En conséquence, les reports sollicités par la partie adverse pour assurer sa défense doivent être acceptés de façon libérale s'ils n'ont pas un caractère dilatoire.
CONTESTATION DES IMPOSITIONS EN COURS D'INSTANCE.
Si, en cours d'instance, une réclamation est déposée et fait état d'arguments de nature à mettre en cause la caractère grave et répété des manquements qui ont motivé l'engagement de l'action, il y a lieu de ne pas s'opposer à la demande de sursis à statuer formulée par le dirigeant.
Bien entendu, le dépôt d'une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement suivie de la constitution de garanties sur l'actif de la société elle-même ne peut qu'amener le service à se désister de l'instance.
OUVERTURE D'UNE PROCEDURE COLLECTIVE CONTRE LA SOCIETE.
L'ouverture d'une procédure collective et notamment de la procédure de redressement judiciaire ne fait pas obstacle à l'engagement de l'action en responsabilité, lorsque celle-ci est justifiée et que le règlement du passif ne peut être envisagé dans un délai raisonnable.
Mais, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire le comptable reste tenu de déclarer la créance qui, à défaut d'admission, se trouverait frappée d'extinction. De plus, l'action déjà engagée ou susceptible de l'être contre ce dirigeant, doit amener le comptable à refuser les délais proposés par l'administrateur.
EXECUTION DE LA DECISION.
Si les juges qui prononcent la condamnation ne sont pas habilités à accorder des délais pour le règlement des sommes mises à la charge du dirigeant, celui-ci peut, en revanche, solliciter de tels délais auprès du comptable chargé du renouvellement.
Enfin, les dirigeants rendus responsables par application des articles L 266 et L 267 peuvent déposer des demandes en décharge de responsabilité. Il est statué sur ces demandes en fonction des possibilités de paiement des intéressés et des circonstances propres à chaque affaire notamment, le profit que le dirigeant a effectivement retiré de ses fonctions, et éventuellement, l'intervention d'un tiers dans la direction de la société.