(M. GÉRARD D.)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 février 2012 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1365 du 29 février 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Gérard D., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 222-33 du code pénal.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ;
Vu la loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes ;
Vu la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs ;
Vu la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations en intervention produites pour l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail par Me Nadjette Guenatef, avocate au barreau de Créteil, enregistrées le 19 mars et le 12 avril 2012 ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 23 mars et le 6 avril 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 23 mars 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Claire Waquet, Me André Soulier, Me Nadjette Guenatef et M. Xavier Potier ayant été entendus à l'audience publique du 17 avril 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 222-33 du code pénal « Le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en punissant « le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle » sans définir précisément les éléments constitutifs de ce délit, la disposition contestée méconnaît le principe de légalité des délits et des peines ainsi que les principes de clarté et de précision de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique ;
3. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;
4. Considérant que, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 juillet 1992 susvisée, le harcèlement sexuel, prévu et réprimé par l'article 222-33 du nouveau code pénal, était défini comme « Le fait de harceler autrui en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions » ; que l'article 11 de la loi du 17 juin 1998 susvisée a donné une nouvelle définition de ce délit en substituant aux mots : « en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes » les mots : « en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions graves » ; que l'article 179 de la loi du 17 janvier 2002 susvisée a de nouveau modifié la définition du délit de harcèlement sexuel en conférant à l'article 222-33 du code pénal la rédaction contestée ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article 222-33 du code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis ; qu'ainsi ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
7. Considérant que l'abrogation de l'article 222-33 du code pénal prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date,
Décide :
Article 1
L'article 222-33 du code pénal est contraire à la Constitution.
Article 2
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au considérant 7.
Article 3
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 3 mai 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.