Arrêt du 22 décembre 2010

Arrêt du 22 décembre 2010

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Z18405KW

Au nom du peuple français,

La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :

Vu le code des juridictions financières, notamment le titre Ier du livre III, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre du 29 décembre 2008, enregistrée au Parquet le 30 décembre 2008, par laquelle le président de la 7e chambre de la Cour des comptes a informé le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, de la décision de ladite chambre de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de faits présomptifs d'irrégularités dans la gestion de la chambre régionale d'agriculture de Midi-Pyrénées (CRAMP), ensemble les pièces à l'appui ;

Vu le réquisitoire du 18 février 2009 par lequel le procureur général a saisi la Cour desdites irrégularités, conformément à l'article L. 314-1 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du 21 juillet 2009 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a nommé en qualité de rapporteur M. Paul Serre, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu la lettre recommandée du 27 octobre 2009 par laquelle le procureur général a informé M. Jean-Louis Cazaubon, président de la chambre régionale d'agriculture de Midi-Pyrénées du 19 mars au 1er juillet 2001 puis du 11 décembre 2001 à ce jour, de l'ouverture d'une instruction dans les conditions prévues à l'article L. 314-4 du code des juridictions financières, ensemble l'avis de réception de cette lettre ;

Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 15 avril 2010 transmettant au procureur général le dossier de l'affaire, après dépôt du rapport d'instruction, conformément aux dispositions de l'article précité ;

Vu la lettre du procureur général en date du 8 juillet 2010 informant le président de la Cour de discipline budgétaire et financière de sa décision, après communication du dossier de l'affaire, de poursuivre la procédure en application de l'article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu les lettres du 12 juillet 2010 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière transmettant le dossier au ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat et au ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche pour avis, en application de l'article L. 314-5 du même code, ensemble les avis de réception de ces lettres ;

Vu l'avis du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche du 12 août 2010, enregistré au greffe le 18 août 2010 ;

Vu l'avis du ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat du 17 août 2010, arrivé et enregistré au greffe de la Cour le 30 août 2010 ;

Vu la lettre du 31 août 2010 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a transmis au procureur général le dossier de l'affaire, conformément à l'article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu la décision du procureur général du ler octobre 2010 renvoyant M. Cazaubon devant la Cour de discipline budgétaire et financière, conformément à l'article L. 314-6 du code des juridictions financières ;

Vu la lettre recommandée adressée le 5 octobre 2010 par la greffière de la Cour de discipline budgétaire et financière à M. Cazaubon l'avisant qu'il pouvait prendre connaissance du dossier de l'affaire et produire un mémoire en défense dans les conditions prévues à l'article L. 314-8 du code des juridictions financières, et le citant à comparaître le 10 décembre 2010 devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble l'avis de réception de cette lettre ;

Vu la décision du 22 octobre 2010 par laquelle le président de la Cour de discipline budgétaire et financière a nommé en qualité de rapporteur Mme Anne Mondoloni, conseillère référendaire à la Cour des comptes, en remplacement de M. Serre, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu le mémoire en défense produit par Me Vermot pour M. Cazaubon le 18 novembre 2010, et les pièces à l'appui ;

Vu la lettre de Me Vermot, pour M. Cazaubon, au président de la Cour en date du 18 novembre 2010, demandant à ce que M. Lesoin, ancien directeur de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la ruralité au conseil régional de Midi-Pyrénées, soit cité en tant que témoin à la séance publique de jugement, et vu le permis délivré le 29 novembre 2010 par le président, après conclusions du procureur général du 24 novembre 2010, de citer cette personne à ladite séance ;

Vu la convocation à témoin adressée le 29 novembre 2010 par la greffière, ensemble l'avis de réception de cette lettre ;

Vu les autres pièces du dossier, notamment les procès-verbaux d'audition et le rapport d'instruction de M. Serre ;

Vu le code rural (ancien) et le code rural et de la pêche maritime ;

Entendu le rapporteur, Mme Mondoloni, résumant le rapport écrit, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu le représentant du ministère public, résumant la décision de renvoi, en application des articles L. 314-12 et R. 314-1 du code des juridictions financières ;

Entendu sous serment le témoin, M. Lesoin, en sa déposition ;

Vu la pièce n° 69 versée au dossier au cours de l'audience par Me Vermot pour M. Cazaubon ;

Entendu le premier avocat général en ses conclusions, en application de l'article L. 314-12 du code des juridictions financières ;

Entendu en sa plaidoirie Me Vermot pour M. Cazaubon, M. Cazaubon ayant été invité à présenter ses explications et observations, celui-ci et son conseil ayant eu la parole en dernier ;

Sur la compétence :

Considérant que la chambre régionale d'agriculture de Midi-Pyrénées (CRAMP) a été créée par arrêté du ministre de l'agriculture du 14 février 1974 ; qu'en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code rural dans sa rédaction alors en vigueur « les chambres d'agriculture sont des établissements publics » ;

Considérant que les chambres régionales d'agriculture relèvent notamment, en application de l'article R. 512-5 du code rural, des dispositions prévues aux articles R. 511-74 à R. 511-83 du même code ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 511-79 du code rural, le président de la chambre régionale d'agriculture « est ordonnateur des dépenses et des recettes, dans les conditions prévues par le décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique » ;

Considérant qu'aux termes de l'article R. 511-80 du même code, « l'agent comptable a qualité de comptable public justiciable de la Cour des comptes [...] il exerce ses fonctions dans les conditions prévues par le décret du 29 décembre 1962 » ; qu'aux termes de l'article D. 511-82 « le président et l'agent comptable rendent compte de leur gestion dans un document commun, le compte financier [... transmis] à la Cour des comptes avant l'expiration du dixième mois qui suit la clôture de l'exercice » ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-3 du code des juridictions financières : « la Cour des comptes vérifie sur pièces et sur place la régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptabilités publiques et s'assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services de l'Etat et [...] par les autres personnes morales de droit public » ;

Considérant, en conséquence, que tout représentant, administrateur ou agent de la chambre régionale d'agriculture de Midi-Pyrénées est, en application de l'article L. 312-1 du code des juridictions financières, justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Sur la prescription :

Considérant que l'article L. 314-2 du code des juridictions financières prévoit que « la Cour ne peut être saisie après l'expiration d'un délai de cinq années révolues à compter du jour où aura été commis le fait de nature à donner lieu à l'application des sanctions prévues par le présent titre » ;

Considérant que le déféré du président de la 7e chambre de la Cour des comptes en date du 29 décembre 2008 a été enregistré au parquet près la Cour de discipline budgétaire et financière le 30 décembre 2008 ; qu'ainsi les faits antérieurs au 30 décembre 2003 sont couverts par la prescription prévue par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ; que toutefois les contrats, quoique conclus avant cette date, ont pu continuer à produire leurs effets, tant qu'ils n'ont pas été dénoncés ou rompus ; que, par suite, les salaires versés à M. Gieules ainsi que les subventions et les locaux attribués à la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles de Midi-Pyrénées (FRSEA) à compter du 30 décembre 2003 sont de nature à donner lieu à l'application des sanctions mentionnées à l'article L. 314-2 ;

Sur les faits et leur qualification juridique :

Sur la mise à disposition de M. Gieules et le versement de sa rémunération jusqu'au 31 mars 2004 :

Sur les faits :

Considérant que, le 11 octobre 1999, a été conclu entre M. Sabin, président de la CRAMP, et M. Gieules un contrat de travail à durée indéterminée prévoyant notamment qu'une convention de mise à disposition serait signée entre la CRAMP et la FRSEA et que ce salarié, recruté par la CRAMP travaillerait sous l'autorité et la responsabilité du président de la FRSEA en qualité de directeur de cet organisme ;

Considérant que cette convention de mise à disposition a été conclue le même jour entre la CRAMP, représentée par M. Sabin, et la FRSEA représentée par son président de l'époque et futur président de la CRAMP, M. Cazaubon ;

Considérant que cette convention prévoyait que le traitement de M. Gieules, calculé sur la base de l'indice 620 du statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, serait pris en charge par la CRAMP à hauteur de 580 points et par la FRSEA sur la base de 40 points d'indice ;

Considérant que, dans une lettre en date du 23 janvier 2002 adressée au président de la CRAMP, le préfet de la région Midi-Pyrénées observait que « l'animateur de la FRSEA est intégré dans les effectifs de salariés au sein du service économie. Cette situation pose interrogation au regard du principe récemment réaffirmé d'assurer la transparence du financement du syndicat agricole qui voit ses premiers impacts sur les financements consacrés au développement agricole. Il m'apparaît nécessaire, en conséquence, de justifier la participation de l'animateur à des projets que mène votre établissement » ;

Considérant que, par un avenant à la convention, conclu le 19 décembre 2003 et signé par les présidents de la CRAMP et de la FRSEA, la répartition de la charge du traitement de M. Gieules entre la CRAMP et la FRSEA a été modifiée, la FRSEA devant rembourser, en sus des 40 points de salaire de M. Gieules, une somme forfaitaire de 45 735 € ;

Considérant que, le 23 décembre 2003, M. Gieules a adressé au président de la CRAMP une lettre de démission dans laquelle il sollicitait une « dispense partielle de délai de préavis » ;

Considérant que le président de la CRAMP lui a confirmé son accord par courrier du 26 février 2004 ; que M. Gieules a perçu son dernier salaire en février 2004, à hauteur de 3 484 EUR nets, payés sur mandat n° 29 du 18 février 2004 sur le service d'utilité agricole (SUA) « économie », rattaché à la CRAMP, ainsi qu'un treizième mois au prorata (580,73 EUR nets), payé sur mandat n° 77 sur le SUA « économie » du 18 mars 2004 ;

Considérant que l'instruction a établi que la rémunération brute versée par la chambre régionale d'agriculture de Midi-Pyrénées, sous la présidence de M. Cazaubon, dans le cadre de cette mise à disposition et en période non prescrite, du 1er janvier 2004 au 31 mars 2004, s'élevait à 7 549,73 EUR ; qu'à ces rémunérations brutes se sont ajoutées des charges patronales portant à 11 007,28 EUR le total des sommes payées par la CRAMP, en 2004, au titre de la rémunération de M. Gieules ;

Sur la qualification juridique des faits au regard de l'infraction prévue à l'article L. 313-6 du code des juridictions financières :

Considérant que l'article L. 511-4 du code rural, dans sa rédaction applicable au moment des faits, disposait que « les chambres d'agriculture peuvent, dans leur circonscription, créer ou subventionner tous établissements, institutions ou services d'utilité agricole, toutes entreprises d'intérêt collectif agricole » ;

Considérant que les chambres d'agriculture sont soumises au principe de spécialité des établissements publics ; que ce principe doit s'entendre en ce sens qu'un établissement public ne peut se livrer à des activités excédant le cadre des missions qui lui ont été assignées par les textes qui l'ont institué ; qu'ainsi une chambre d'agriculture ne peut intervenir directement au profit d'organismes tiers que dans le cadre des dispositions précitées du code rural ;

Considérant qu'un financement public des organisations syndicales d'exploitants agricoles a été institué par la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 portant loi de finances pour 2002 ; que le versement des sommes prévues à cet effet a été confié à l'Association nationale pour le développement agricole (ANDA), à laquelle a succédé l'Agence du développement agricole et rural (ADAR), créée par la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 portant loi de finances rectificative pour 2002 ; que le législateur n'a pas prévu la participation des chambres d'agriculture au financement public des organisations syndicales ;

Considérant que lors de la réunion de bureau de la CRAMP, le 17 septembre 2001, la question de l'embauche de M. Gieules a été explicitement évoquée comme le « soutien apporté par la chambre régionale d'agriculture à la FRSEA » ; que la mise à disposition de M. Gieules était une mesure de soutien direct de la FRSEA, accordée ainsi en violation de la mission de la chambre d'agriculture ;

Considérant au surplus que le remboursement par la FRSEA, en 2003, de la somme supplémentaire de 45 735 € a été établi par référence au versement effectué par l'ADAR à cette fédération au titre du financement public des organisations syndicales d'exploitants agricoles ; qu'est ainsi confirmé que la prise en charge par la CRAMP de la plus grande partie du traitement du directeur de la FRSEA visait jusqu'alors à financer l'activité de ce syndicat en l'absence de financement public ;

Considérant que M. Cazaubon soutient que M. Gieules travaillait au profit de l'intérêt général agricole et que sa mise à disposition « n'a, en aucune façon, consisté à subventionner une activité syndicale » ;

Considérant toutefois que la convention de mise à disposition de M. Gieules ne prévoyait aucune contrepartie de la part de la FRSEA en termes d'activité d'intérêt général correspondant à l'objet de la chambre d'agriculture ; que, comme indiqué auparavant, l'article 1er du contrat de travail à durée indéterminée établi entre M. Sabin, président de la CRAMP, et M. Gieules stipule que ce dernier « est engagé par la CRAMP (...) pour assurer les fonctions de directeur à la FRSEA pour une durée de travail hebdomadaire de 39 heures » ; qu'« il travaillera sous l'autorité et la responsabilité du président de la FRSEA » et qu'il « pourra être amené à se déplacer dans les zones habituelles d'intervention de FRSEA aussi bien en métropole qu'à l'étranger » ;

Considérant que les fonctions exercées par M. Gieules comprenaient, selon ses propres termes, celle « d'assurer la relation entre la fédération régionale et, d'une part, les fédérations départementales de la région et, d'autre part, la fédération nationale », activité qui ne relève pas de l'intérêt général ; qu'ainsi, à supposer même qu'une part des activités de M. Gieules aurait servi, en fait, l'intérêt général agricole, il est établi que, conformément à l'intitulé de ses fonctions, certaines des activités qu'il exerçait au sein de la FRSEA revêtaient un caractère proprement syndical ;

Considérant que la mise à disposition continue de M. Gieules représente dès lors un avantage injustifié accordé à la FRSEA ; que cet avantage a été accordé par la CRAMP en méconnaissance de l'objet de cet établissement public et des dispositions législatives applicables au financement des activités syndicales ; qu'il en est résulté un préjudice pour la CRAMP à raison des rémunérations versées à M. Gieules ; qu'est ainsi constituée l'infraction prévue à l'article L. 313-6 du code des juridictions financières qui dispose que « toute personne [...] qui, dans l'exercice de ses fonctions ou attributions, aura, en méconnaissance de ses obligations, procuré à autrui un avantage injustifié, pécuniaire [...], entraînant un préjudice pour [...] l'organisme intéressé [...] sera passible d'une amende dont le minimum ne pourra être inférieur à 300 EUR et dont le maximum pourra atteindre le double du montant du traitement ou salaire brut annuel qui lui était alloué à la date de l'infraction » ;

Considérant, s'agissant d'une infraction d'habitude pour le paiement mensuel de la rémunération de M. Gieules et d'une infraction continue pour la mise à disposition du même au profit de la FRSEA, que le délai de prescription court à partir du dernier acte constitutif de l'habitude ou de la fin de l'infraction continue ; que le contrat de travail de M. Gieules ayant pris fin le 29 février 2004, ce jour doit être considéré, dans les deux cas comme le point de départ de la prescription édictée à l'article L. 314-2 ;

Sur la qualification juridique des faits au regard de l'infraction prévue à l'article L. 313-4 du code des juridictions financières :

Considérant, qu'en application des articles 5 et 7 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique applicable à la CRAMP, « les ordonnateurs engagent et liquident les dépenses » et « sont responsables des certifications qu'ils délivrent » ; qu'en application de l'article 27 de ce décret « les dépenses des organismes publics doivent être prévues à leur budget et être conformes aux lois et règlements » ;

Considérant que le contrat de travail de M. Gieules et la convention de mise à disposition précités prévoyaient qu'il serait mis à disposition de la FRSEA et qu'il travaillerait, en qualité de directeur de cette fédération, sous l'autorité et la responsabilité du président de ce syndicat ; que la conclusion de contrats comportant de telles dispositions n'entrait pas dans l'objet de la chambre régionale d'agriculture ;

Considérant en outre que les conventions précitées ne mentionnent pas de fonction ou de tâche d'intérêt général agricole qui serait confiée à M. Gieules dans le cadre de son activité rémunérée par la CRAMP ; qu'ainsi ces conventions ne prévoyaient l'exécution d'aucune mission de M. Gieules pour le compte de son employeur contractuel ;

Considérant que le traitement de M. Gieules a fait l'objet de mandats mensuels ; qu'il ne s'agit donc pas d'une dépense sans ordonnancement ;

Considérant que le mandatement des rémunérations de M. Gieules a été effectué sur le fondement d'un contrat de travail et d'une convention de mise à disposition conclus en violation du principe de spécialité des établissements publics et n'exigeant l'exécution d'aucune mission exercée pour le compte de la chambre d'agriculture ou pour la réalisation de ses missions d'intérêt général ; que ces paiements sont ainsi intervenus en violation des règles précitées établies par le règlement général de la comptabilité publique ; que ces faits sont constitutifs d'une infraction aux règles d'exécution des dépenses de la chambre régionale d'agriculture, sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières, lequel dispose que « toute personne visée à l'article L. 312-1 qui [...] aura enfreint les règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses des organismes mentionnés à ce même article [...] sera passible de l'amende prévue à l'article L. 313-1 » ;

Sur l'attribution de subventions par la CRAMP à la FRSEA :

Sur les faits :

Considérant qu'à la suite de la démission de M. Gieules, une « convention d'attribution d'une subvention », visant l'article L. 511-4, premier alinéa, du code rural, a été conclue le 23 décembre 2004 entre la CRAMP et la FRSEA, représentées par leurs présidents respectifs, pour les exercices 2004, 2005 et 2006, au motif « d'un soutien [à la FRSEA] à la mise en œuvre d'actions d'intérêt général agricole dans la région Midi-Pyrénées » à travers un plan d'actions « révisé au moins annuellement, pour être adapté aux besoins nouveaux » ;

Considérant que, pour 2004, le montant maximal de la subvention a été fixé par avenant conclu le même jour à 34 000 € ; qu'au sein de ce montant il a été convenu par les cocontractants d'isoler la somme de 11 007,28 EUR correspondant aux dépenses, évoquées ci-avant, déjà exposées par la CRAMP en paiement de la rémunération de M. Gieules pour les mois de janvier et février 2004 et des charges sociales y afférentes ; que le versement du reliquat de 22 992,72 € de subvention était subordonné à la fourniture par la FRSEA des justificatifs prévus par la convention ;

Considérant que l'article 5 de cette convention prévoyait, d'une part, que les dépenses prises en charge par la CRAMP étaient constituées du « coût réel du temps passé » à la réalisation des actions précitées et d'une « imputation de frais de déplacements et de secrétariat dans la limite de 20 % du coût du temps passé par les chargés de mission » et, d'autre part, que « la FRSEA devra rendre compte des éléments ayant servi de base à l'établissement du coût facturé » ;

Considérant que l'article 6 de la convention prévoyait que le versement de la subvention interviendrait en juin, dans la limite de 40 % du montant annuel de celle-ci, sur présentation du programme annuel ; en novembre, à hauteur de 40 % de son montant annuel sur présentation d'un rapport d'étape avant le 15 novembre ; le solde, soit 20 % le 15 mars de l'exercice suivant, sur production, le 28 février au plus tard d'un compte rendu annuel d'exécution et d'un justificatif du nombre de jours consacrés à la réalisation du programme d'action ;

Considérant que 12 845 € ont été versés à la FRSEA au titre de 2004 sur mandat n° 573 du 21 décembre 2005 ;

Sur la qualification juridique des faits au regard de l'infraction prévue à l'article L. 313-6 du code des juridictions financières :

Considérant, ainsi qu'il a déjà été indiqué plus haut, que le législateur n'a pas prévu la participation des chambres d'agriculture, au financement public des organisations syndicales d'exploitants agricoles ;

Considérant que, lors de la réunion de bureau du 17 septembre 2001 de la CRAMP, la question du maintien du financement direct du poste de directeur de la FRSEA a été évoquée dans les termes suivants : « concernant le soutien apporté par la chambre régionale d'agriculture à la FRSEA au travers de l'embauche de son directeur et sans remettre en cause l'appui que doivent apporter les chambres au syndicalisme majoritaire, il serait peut être plus judicieux d'apporter une contribution sous forme de subvention, peut être inférieure à l'aide actuelle étant donné l'enveloppe attribuée à la FRSEA par l'ANDA » ;

Considérant que, du point de vue de la FRSEA, tel qu'exprimé au cours de la réunion du bureau de la CRAMP du 22 septembre 2003, l'arrêt de la prise en charge directe par l'institution régionale des coûts salariaux de son directeur, devait avoir pour « contrepartie, l'engagement de l'institution régionale chambre d'agriculture de soutien financier pluriannuel à la FRSEA » ; et que M. Cazaubon a répondu « qu'en l'état actuel des financements, la chambre régionale d'agriculture ne pourrait aller au-delà des 18 000 € restant à sa charge en 2003 » ;

Considérant que les débats au sein du bureau de la CRAMP démontrent que la convention de subvention avait pour objet de maintenir un soutien financier au profit de la FRSEA ; que le soutien antérieur apporté à l'activité syndicale, sous forme de mise à disposition d'un directeur, a ainsi été poursuivi alors même que les dispositions de la loi de finances pour 2002 avaient établi un cadre nouveau, reposant sur un financement public des organisations syndicales d'exploitants agricoles ;

Considérant que la défense soutient que la FRSEA a contribué, par la mise à disposition de ses salariés, à des actions qui ont été définies par la convention ; qu'il ne peut donc, selon le moyen, être considéré qu'il n'y a eu aucune contrepartie à la subvention accordée ;

Considérant toutefois que l'instruction a établi que ces contreparties ne sont en tout état de cause que partielles ; qu'ainsi, à supposer même qu'au cas d'espèce, des actions d'intérêt général aient été exécutées dans le cadre de la convention du 23 décembre 2004, une part de la subvention accordée a été versée en l'absence de contrepartie en termes de missions d'intérêt général ; qu'il en est résulté un avantage injustifié au bénéfice de la FRSEA ;

Considérant qu'est ainsi démontré que la CRAMP a financé l'activité syndicale ; que le versement de 12 845 € intervenu le 21 décembre 2005 pour solde de la convention de subvention au titre de l'année 2004 a été effectué par la CRAMP en méconnaissance de ses obligations ; que ce versement a accordé un avantage injustifié à la FRSEA tout en entraînant un préjudice pour la CRAMP ; que l'infraction sanctionnée par l'article L. 313-6 du code des juridictions financières précité est dès lors constituée ;

Sur la qualification juridique des faits au regard de l'infraction prévue à l'article L. 313-4 du code des juridictions financières :

Considérant que si l'échéancier de paiement de la convention signée en décembre 2004 ne pouvait trouver à s'appliquer en toutes ses dispositions pour cet exercice, le solde de la subvention devait toutefois être versé le 15 mars 2005, sur production avant le 28 février 2005 au plus tard, d'un compte rendu annuel d'exécution et d'un justificatif du nombre de jours consacrés à la réalisation du programme d'action ;

Considérant que les dispositions conventionnelles portant sur l'imputation des frais de déplacement et de secrétariat « dans la limite de 20 % du coût du temps passé par les chargés de mission » étaient ambiguës et ne permettent pas d'affirmer, contrairement à ce que soutient la défense, qu'elles autorisaient un versement forfaitaire de frais de missions et la non-production de justificatifs détaillés ; que, dans le doute, en application de l'article 47 du règlement général de la comptabilité publique et conformément à un principe constant, les dépenses en cause devaient être appuyées de pièces justificatives suffisantes ;

Considérant ainsi, que le versement du solde de la subvention a été effectué de façon irrégulière ; qu'il est intervenu par un mandat n° 573 du 21 décembre 2005 établi hors délais conventionnels ; qu'il comporte à son appui un justificatif non daté qui impute forfaitairement des frais de déplacement et de secrétariat à la CRAMP à hauteur de 20 %, soit le plafond autorisé par la convention, sans fournir le détail des frais ainsi exposés et par conséquent sans en justifier la réalité ; que le mandat susmentionné a donc été établi sur le fondement de pièces justificatives ne correspondant pas aux termes de la convention et en violation des dispositions précitées du règlement général de la comptabilité publique ; que ces faits constituent une infraction aux règles d'exécution des dépenses de la chambre régionale d'agriculture, sanctionnée par l'article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Sur la mise à disposition de locaux à titre gratuit au profit de la fédération régionale de syndicat des exploitants agricoles (FRSEA) :

Sur les faits :

Considérant qu'aux termes d'un contrat de bail du 10 juin 1986, « renouvelable par tacite reconduction pour une période d'un an sans pouvoir excéder trente-neuf ans » et commençant le 1er avril 1986, trois bureaux ont été loués par la CRAMP à la FRSEA, dont un à titre gratuit ;

Considérant que la mise à disposition gratuite de ce bureau n'a pas été modifiée par les avenants conclus les 1er octobre 1998 et 18 août 2006 ; qu'elle a pris fin le 5 janvier 2009 ;

Sur la qualification juridique des faits au regard de l'infraction prévue à l'article L. 313-6 du code des juridictions financières :

Considérant que, selon le président de la chambre régionale d'agriculture, « cette mise à disposition accordée depuis 1977 correspond à une pratique instituée dans le cadre de la complémentarité et des bonnes relations entre la CRAMP et la FRSEA » ;

Considérant que le loyer annuel de ce bureau peut être estimé, par référence au loyer appliqué en exécution du même contrat de bail, aux bureaux occupés à titre onéreux par la FRSEA, à un montant annuel progressant de 1 021 € en 2004 à 1 218 € en 2008, en fonction de l'évolution de l'indice du coût de la construction ;

Considérant que le maintien de cette mise à disposition au profit d'une seule fédération syndicale, en méconnaissance du principe d'égalité, constitue un avantage injustifié accordé à cette dernière par la CRAMP ; que cet avantage a entraîné un préjudice pour la CRAMP ; que l'infraction visée à l'article L. 313-6 du code des juridictions financières est ainsi constituée dans tous ses éléments ;

Considérant, s'agissant d'une infraction continue, que le délai de prescription court à partir de la fin de l'infraction continue ; que la mise à disposition gracieuse d'un bureau au profit de la FRSEA ayant pris fin le 5 janvier 2009, ce jour doit être considéré comme le point de départ de la prescription édictée à l'article L. 314-2 ;

Sur les responsabilités :

Considérant qu'en sa qualité de président de la CRAMP, M. Cazaubon a poursuivi, à compter du 11 décembre 2001, la mise à disposition de M. Gieules au profit de la FRSEA jusqu'à la démission de ce dernier ; qu'il a ensuite signé, le 23 décembre 2004, la convention de subvention conclue entre la CRAMP et la FRSEA ; qu'enfin il a poursuivi, en période non prescrite, la mise à disposition de locaux à titre gratuit au bénéfice de la FRSEA ; que M. Cazaubon a ainsi engagé sa responsabilité personnelle en octroyant des avantages injustifiés à la FRSEA en méconnaissance des obligations qui lui incombaient au titre de ses fonctions de président de la CRAMP et au détriment de celle-ci ;

Considérant qu'à compter du 11 décembre 2001 la responsabilité des paiements irréguliers incombe à M. Cazaubon, ordonnateur de la CRAMP relevant des dispositions de l'article R. 511-79 du code rural et de l'instruction codificatrice n° 01-100-M92 du 8 novembre 2001 sur la réglementation budgétaire, financière et comptable des chambres d'agriculture et de leur assemblée permanente ; que M. Cazaubon a signé, en période non prescrite, les mandats de rémunération de M. Gieules résultant d'un contrat de travail et d'une convention de mise à disposition irréguliers, et le mandat n° 573 du 21 décembre 2005 autorisant le versement du solde de la subvention accordée à la FRSEA pour l'année 2004, émis hors délais conventionnels, en l'absence des pièces justificatives et visant à financer l'activité syndicale de la FRSEA ; qu'en signant ces mandats irréguliers, il a engagé sa responsabilité personnelle ;

Sur la présence de circonstances atténuantes :

Considérant que M. Cazaubon soutient devoir bénéficier de circonstances atténuantes pour avoir, progressivement et sans provoquer de contentieux, régularisé la situation en dénouant les modalités de collaboration très ancienne entre la CRAMP et la FRSEA ;

Considérant toutefois que la substitution d'une convention de financement irrégulière au dispositif antérieur ne peut s'analyser comme une régularisation de la situation ; que ces démarches n'ont été engagées qu'à la suite des observations formulées par le préfet de la région Midi-Pyrénées ; que la fin de la mise à disposition gratuite des locaux n'est elle-même intervenue qu'à la suite des observations oralement formulées par le magistrat instructeur de la Cour des comptes ;

Considérant ainsi qu'il n'y a lieu, en l'espèce, de retenir ni circonstances atténuantes ni au demeurant de circonstances aggravantes ;

Sur l'amende :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en infligeant une amende de 2 000 EUR à M. Cazaubon ;

Sur la publication au Journal officiel de la République française :

Considérant qu'il y a lieu, compte tenu des circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française en application de l'article L. 314-20 du code des juridictions financières,

Arrête :

Article 1

M. Jean-Louis Cazaubon est condamné à une amende de 2 000 € (deux mille euros).

Article 2

Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, première section, le 10 décembre 2010 par M. Migaud, premier président de la Cour des comptes, président ; MM. Martin, Loloum et Pêcheur, conseillers d'Etat, M. Vachia et Mme Fradin, conseillers maîtres à la Cour des comptes.

Lu en séance publique le 22 décembre 2010.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main, à tous les commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par le président de la cour et la greffière.

Le président,

D. Migaud

La greffière,

M. Le Gall

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