Jurisprudence : Avis, Conclusions, 11-07-2024, n° 24-70.001

Avis, Conclusions, 11-07-2024, n° 24-70.001

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Avis, Conclusions, 11-07-2024, n° 24-70.001. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300772-avis-conclusions-11072024-n-2470001
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AVIS DE M. ADIDA-CANAC, AVOCAT GÉNÉRAL

Avis n° 15008 du 11 juillet 2024 (B) – Deuxième chambre civile Demande d'avis n° 24-70.001 - Tribunal judiciaire de Paris (juge de l'exécution) Société EOS France C/ Mme [A] [S] _________________

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Plan I - La demande d'avis A - Faits et procédure B - La recevabilité de la demande d'avis 1 - La question posée est-elle une question de droit ? 2 - Cette question est-elle nouvelle ? 3 - Cette question présente-t-elle une difficulté sérieuse ? 4 - Cette question est-elle susceptible de se poser dans de nombreux litiges ? 5 - La question est-elle opérante pour la solution du litige ?

II - Examen au fond de la demande d'avis A - L'office du juge de l'exécution quant à la police des clauses abusives 1 - prémices textuels et jurisprudentiels a) Jurisprudence et textes européens b) Jurisprudence de droit interne 2 - Traduction de cet office dans les pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution sur la clause litigieuse a) Moyen ou prétention ? b) L'autorité de la chose jugée opposée par le juge de l'exécution B - L'office et les pouvoirs du juge de l'exécution quant au sort du titre-jugement 1 - Extensions et limites des pouvoirs du juge de l'exécution connues en droit interne : a) Le titre notarié b) Les décisions de justice 2 - Doit-on « laisser inappliquée » une règle de droit interne ? a) Conséquences d'une décision du juge de l'exécution sur le titre-jugement b) Dispense d'une décision du juge de l'exécution sur le titrejugement C - L'office du juge de l'exécution quant à la fixation de la créance

III - Eléments de réponse

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I - La demande d'avis A - Faits et procédure Il est renvoyé au rapport très complet de Mme Jollec, étant seulement précisé, pour les besoins du présent avis, les points suivants : - le titre exécutoire fondant les poursuites est une ordonnance d'injonction de payer du 12 novembre 2003 devenue irrévocable par suite d'un jugement déclarant l'opposition du débiteur irrecevable (mais la question serait identique pour un jugement) ; - les mesures d'exécution forcée mobilière contestées par Mme [S] dans son assignation du 18 novembre 2020 devant le juge de l'exécution ont été pratiquées les 17 janvier 2019 et 19 octobre 2020 (mais la question serait identique en cas de saisie immobilière) ; - par jugement du 11 janvier 2024, le juge de l'exécution de Paris, statuant en formation collégiale, a sollicité l'avis de la Cour de cassation sur les questions suivantes : « Le juge de l'exécution - peut-il, dans le dispositif de son jugement, déclarer réputée non écrite comme abusive la clause d'un contrat de consommation ayant donné lieu à la décision de justice fondant les poursuites ? - dans l'affirmative, * lorsque la clause a pour objet la déchéance du terme, peut-il annuler cette décision ou la dire privée de fondement juridique, notamment lorsque l'exigibilité de la créance était la condition de sa délivrance ? Dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ? * peut-il modifier cette décision de justice, en décidant qu'elle est en tout ou partie insusceptible d'exécution forcée ? Dans ce cas, peut-il statuer au fond sur une demande en paiement ? » - indépendamment des écritures des parties au litige : * par mémoire du 28 février 2024, la fédération bancaire française est intervenue volontairement dans la procédure d'avis ; * par lettre du 16 avril 2024 versée à la présente procédure d'avis, l'association des avocats et praticiens des procédures et de l'exécution (AAPPE) a répondu à une sollicitation du parquet général sur la demande d'avis. B - La recevabilité de la demande d'avis Il résulte du rapport que les conditions de forme et de procédure de la demande d'avis paraissent satisfaites au regard des articles 1031-1 et suivants du code de procédure civile🏛. Le mémoire en intervention, d'un évident intérêt sur le fond quant aux observations qu'il formule, ne précise pas le fondement juridique qui rendrait l'intervention volontaire dans une demande d'avis recevable. De fait, elle ne peut pas l'être

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puisqu'on ne peut se rendre partie dans une procédure où, par construction, il n'y a pas de parties. L'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire🏛 pose quatre conditions de fond cumulatives : la question doit être une question de droit (1), nouvelle (2), qui présente une difficulté sérieuse (3) et se pose dans de nombreux litiges (4), à quoi il faut ajouter que la question doit être opérante pour le litige (5), en contemplation de l'article 5 du code civil🏛. 1 - La question posée est-elle une question de droit ? La condition paraît remplie en ce qu'elle concerne l'étendue des pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution quant au titre exécutoire dans un contexte de réception d'une jurisprudence de la CJUE (effet direct et primauté). Elle n'est pas mélangée de fait et de droit.

2 - Cette question est-elle nouvelle ? La question de l'office du juge de l'exécution en matière de clauses abusives, y compris en présence d'une décision de justice antérieure, est tranchée (2è Civ., 13 avril 2023, n° 21-14.540⚖️, publié), mais la question de ses pouvoirs juridictionnels et son office consécutif reste entière. La question peut donc être considérée comme nouvelle.

3 - Cette question présente-t-elle une difficulté sérieuse ? L'effet direct et la primauté de la jurisprudence européenne en matière de clauses abusives sur les règles de procédures applicables devant les juges du fond ont des conséquences concernant les pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution sur le fond du droit dont dépend la prétention sur la mesure d'exécution forcée dans des proportions telles qu'il est possible de s'interroger sur la nécessité de laisser inappliquées certaines règles du CPCE en application de la jurisprudence Simmenthal de 1978. La question de l'évolution des pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution sur le fond du droit pouvant être ainsi posée, la question est sérieuse.

4 - Cette question est-elle susceptible de se poser dans de nombreux litiges ? La réponse est à l'évidence positive depuis que la 2 e chambre civile a retenu, comme la CJUE, que la police des clauses abusives par les juges du fond dans les conditions fixées par la jurisprudence européenne concernait aussi le juge de l'exécution (2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-14.540).

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Le nombre de pourvois en cours mentionnés par le SDER sur des questions approchantes (23-13.217, 23-25.823, 23-14.012, 23-12.956, 21-18.239, 23-10.521, 23-10.522, 22-22.946, 23-11.407⚖️, 19-20.640, notamment), même si certains ont fait l'objet de désistements, démontre le caractère sériel devant les juridictions du fond de la question des conséquences sur les pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution de la jurisprudence européenne. Les recherches sur les arrêts d'ores et déjà rendus par les cours d'appel démontrent une diversité de solutions.

5 - La question est-elle opérante pour la solution du litige ? Cette condition ne résulte pas du code de l'organisation judiciaire mais de l'article 5 du code civil. La clause de déchéance du terme, susceptible d'être réputée abusive, a déjà fait l'objet de décisions de la Cour de cassation : Com., 8 février 2023, n° 21-17.763⚖️ ; 1re Civ., 29 mai 2024, n° 23-12.904⚖️, publié. La condition paraît donc remplie. Néanmoins, le créancier fait valoir dans ses conclusions devant le juge de l'exécution que la clause de déchéance du terme est inopérante puisque le crédit est arrivé à son terme et que toutes les mensualités impayées sont, de ce fait, exigibles. Selon la pertinence de cette argumentation, cette condition peut donc être discutée. En cet état, et sous cette dernière réserve, la demande d'avis paraît recevable.

II - Examen au fond de la demande d'avis A - L'office du juge de l'exécution quant à la police des clauses abusives 1 - Prémices textuels et jurisprudentiels a) Jurisprudence et textes européens * Se fondant sur la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 relative aux clauses abusives, la CJUE a fixé plusieurs éléments de l'office du juge interne : - le juge doit examiner d'office le caractère abusif d'une clause, dès lors que : * le consommateur ne s'y oppose pas (CJCE 4 juin 2009, aff. C-243/08⚖️, Pannon)1, ce qui peut supposer une réouverture des débats2, 1 Cette règle est un heureux compromis entre l'ancienne jurisprudence de la 1re chambre civile, qui interdisait au

juge de relever d'office l'ordre public de protection, et l'application de ce dernier à un débiteur qui n'y a pas intérêt, économiquement, au cas d'espèce : le juge propose, le débiteur, entendu ou appelé, dispose. 2 Aix-en-Provence, 8 février 2014, RG n° 23/08666.

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* et que le juge dispose pour ce faire des éléments de droit et de fait 3 (CJUE, 14 mars 2013, aff. C-415/11⚖️ ; CJUE 26 janvier 2017, Banco Primus aff. C-421/14⚖️), ce qui implique notamment que le contrat litigieux soit produit, étant précisé que s'il ne l'est pas, le juge peut en demander la production (CJUE 4 juin 2020, Kancelaria Medius, aff. C-495/19⚖️)4 ; - une clause est abusive en soi, par la seule lecture du contrat, indépendamment du contexte et de sa mise en oeuvre (cf. CJUE 29 avril 2021, aff. C-19/20⚖️, point 70 et la jurisprudence citée), et la décision réputant non écrite une clause déclarée abusive emporte restitutions avec effet rétroactif (CJUE 21 décembre 2016, aff. C-154/15⚖️), sauf divisibilité ; si le contrat ne peut survivre sans la clause réputée non écrite, sa disparition rétroactive depuis sa conclusion ne peut en principe être évitée : * par recherche de la volonté implicite des parties5, * par application d'une règle légale supplétive6, sauf le cas exceptionnel cité par le rapport où la remise en cause du contrat préjudicierait au consommateur (CJUE 21 janvier 2015, aff. C-482/13⚖️ ; CJUE 12 janvier 2023, aff. C-395/21⚖️), * par révision, en suppléant une autre clause à la clause réputée non écrite (CJUE 8 septembre 2022, aff. C-80/21⚖️)7 ; - ce contrôle n'est pas soumis à la forclusion (CJUE 21 novembre 2022, aff. C473/00, Cofidis SA)8, ni à la prescription (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19⚖️) ; il en est de même des restitutions9 (même arrêt), ce qui est a priori l'unique élément de régime juridique qui distingue la sanction de nullité de celle de « réputé non écrit » ; - le juge de l'exécution est concerné au même titre que le juge du fond (CJUE 17 mai 2022, aff. jtes C-693/19 et C-831/19 ; CJUE 4 mai 2023, aff. C-200/21⚖️ ; CJUE 18 janvier 2024, aff. C-531/22) ;

3 Ce qui peut ne pas être le cas : JEX Paris, 1er février 2024, RG n° 23/81413. 4 Cette règle est contraire à la règle de procédure civile interne : le juge ne peut, sans manquer au principe

dispositif (article 7 du CPC🏛), se prévaloir de l'article 8 du CPC🏛 l'autorisant à provoquer les explications de fait des parties pour solliciter la production d'une pièce qui ne serait produite par aucune des parties et dont aucune partie n'aurait demandé la production forcée (article 11, alinéa 2, du CPC🏛). 5 Technique du « forçage » du contrat. 6 Telle que l'article L. 312-39 du code de la consommation🏛, pour les crédits à la consommation. 7 Étant précisé qu'avant la première législation sur les clauses abusives de 1978, la question de savoir si la

nullité d'une clause emportait nullité du contrat ou seulement transformation de ce dernier était encore controversée en droit commun des contrats (cf. B. Teyssié, réflexions sur les conséquences de la nullité d'une clause d'un contrat, D. 1976, chron., p. 281 et s.). 8 Cf. en droit interne, dans le même sens : Com., 8 avril 2021, n° 19-17.997⚖️. 9 Ou après « réputé non écrit ».

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- les droits que le consommateur européen tient de la directive n° 93/13 relèvent de l'ordre public européen (CJCE 26 octobre 2006, aff. C-168/05⚖️)10, notamment en ce qu'ils se rattachent à l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (CJUE 17 mai 2022, aff. jtes C-693/19 et C-831/19) ; - l'autorité de la chose jugée attachée à une ordonnance d'injonction de payer n'ayant pas fait l'objet d'une opposition n'est pas un obstacle au contrôle d'office par un autre juge (CJUE 17 mai 2022, aff. C-600/19⚖️ ; CJUE 17 mai 2022, aff. C-725/19⚖️), ce qui implique, concernant le juge de l'exécution, que la solution est transposable à un jugement exécutoire s'il ne résulte d'aucun élément que la discussion concernant les clauses abusives a eu lieu devant le juge du fond. * Les articles pertinents de la directive n° 93/13 sont les suivants : Article 6, paragraphe 1 : « Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s'il peut subsister sans les clauses abusives. » Article 7, paragraphe 1 : « Les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. » * Je vous propose d'en retenir que l'article 6 de la directive se rapporte plutôt au principe d'équivalence, et l'article 7 plutôt au principe d'effectivité, sauf à préciser que ce dernier revêt à mon sens deux dimensions : - celle que retient explicitement la CJUE dans sa jurisprudence (résultant seulement de questions préjudicielles prétendant exclure le principe même du contrôle) en amont de l'examen du caractère abusif de la clause : l'impossibilité de refuser, notamment pour le juge de l'exécution, d'examiner le caractère abusif d'une clause pour tel motif de droit interne, alors qu'il convient au contraire, en application de la jurisprudence Simmenthal de 1978, de laisser inappliquée la règle de droit interne en sens contraire (CJUE 17 mai 2022, aff. C-869/19⚖️), ou même seulement rendant excessivement difficile l'application du droit de l'Union (CJUE 29 février 2024, aff. C724-22) ; la CJUE a rappelé, dans un arrêt du 26 juin 2019 (aff. C-407/18⚖️), la doctrine qui préside à sa jurisprudence sur ce point (points 43 à 49). - celle, moins explicite dans la jurisprudence de la CJUE, impliquant, en aval de l'examen du caractère abusif de la clause, la nécessité de sanctionner la clause déclarée abusive.

10 Il s'agit d'un minimum légal : l'article 8 de la directive prévoit que les Etats membres peuvent adopter des

dispositions plus strictes pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur.

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La CJUE, comme la directive, ne peut que renvoyer sur ce point à l'autonomie procédurale des Etats membres (CJUE 21 décembre 2016, aff. C-154/15), en écho à la liberté des moyens pour parvenir aux objectifs fixés par la directive, puisqu'il n'y a pas identité de sanction de la clause abusive dans tous les Etats membres (il résulte de la jurisprudence de la CJUE que le droit polonais, par exemple, retient, au plus près de la directive, l'inopposabilité de la clause abusive). Pour autant, la CJUE n'est pas totalement silencieuse sur la sanction, inhérente à l'examen du caractère abusif de la clause ; elle l'évoque dans les termes suivants : * un « examen de la validité de la clause » (CJUE 17 mai 2022, aff. C693/19) ; * « la directive 93/13 impose aux États membres, ainsi que cela ressort de son article 7, paragraphe 1, lu en combinaison avec son vingt-quatrième considérant, de prévoir des moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives » (CJUE 15 juin 2023, aff. 520-21, point 56) ; * « il incombe aux juridictions nationales d'écarter l'application des clauses abusives afin qu'elles ne produisent pas d'effets contraignants à l'égard du consommateur » (même arrêt) ; * « une clause contractuelle déclarée abusive doit être considérée, en principe, comme n'ayant jamais existé, de sorte qu'elle ne saurait avoir d'effet à l'égard du consommateur » (même arrêt, citant au point 57 : CJUE il se serait trouvé en l'absence de ladite clause (arrêt du 21 décembre 2016, aff. jtes C-154/15, C-307/15 et C-308/15, point 61) ; * « la Cour a précisé que l'obligation pour le juge national d'écarter une clause contractuelle abusive imposant le paiement de sommes qui se révèlent indues emporte, en principe, un effet restitutoire (...) » (même arrêt, point 58); * [l'article 6§1 de la directive] exige que les Etats membres prévoient que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs « dans les conditions fixées par leurs droits nationaux » (CJUE 21 décembre 2016, aff. Jtes C-154/15, C307/15 et C-308/15 précité, point 64 et la jurisprudence citée). * L'examen du droit interne doit donc obéir à la directive d'interprétation suivante : « l'article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13, lu à la lumière des principes d'effectivité, de proportionnalité et de sécurité juridique » (CJUE 23 novembre 2023, aff. C-321/22⚖️), s'agissant notamment des obligations imposées par la jurisprudence Simmenthal : autant qu'il est nécessaire, mais pas plus que ce qui est suffisant : - nécessaire : je pense que le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne implique : * d'examiner la clause : la déclarer abusive, ce qui peut avoir lieu dans les motifs, et le cas échéant le dispositif, du jugement du juge de l'exécution, * et de se prononcer sur la validité de la clause : réputer la clause non écrite ne se conçoit, puisque c'est une sanction, que dans le dispositif du jugement du juge de l'exécution. - suffisant : réputer non écrite la clause abusive dans le dispositif du jugement du juge de l'exécution est cependant moins une exigence nécessaire, en partie liée à une conception étendue de l'office du juge de l'exécution sur les questions de fond

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préalables à laquelle je ne souscris en général pas, qu'une condition suffisante que la Cour de cassation aurait intérêt à retenir pour cantonner au strict minimum les règles internes laissées inappliquées à la suite de la réception de la jurisprudence européenne. b) Jurisprudence de droit interne * Deux types de clauses ont d'ores et déjà été déclarées abusives par la Cour de cassation : - la clause de déchéance du terme dont le délai de régularisation est inexistant (1re Civ., 22 mars 2023, n° 21-16.476⚖️, publié, et n° 21-16.044⚖️) ou déraisonnablement court (1re Civ., 29 mai 2024, n° 23-12.904, publié) : dans ce cas, le surplus du contrat pouvant survivre sans la clause réputée non écrite, les mensualités impayées échues avant la déchéance du terme réputée n'avoir jamais existé peuvent continuer à être couvertes par le titre exécutoire ; - la clause de conversion en devise étrangère (1re Civ., 20 avril 2022, n° 1911.600 ; 2è Civ., 13 avril 2023, n° 21-14.540) : dans ce cas, il est d'ores et déjà jugé que le surplus du contrat ne peut pas survivre sans la clause réputée non écrite (1re Civ., 12 juillet 2023, n° 22-17.030⚖️). * Il n'y a pas, à ce stade, débat sur la prévisibilité de la solution, puisqu'aucune des décisions de la Cour de cassation précitées n'a fait l'objet d'un différé d'application11, étant par ailleurs précisé que la jurisprudence de la CJUE est interprétative d'une directive de 1993. Le juge de l'exécution de Paris relève, dans son jugement du 11 janvier 2024, que la solution est prévisible depuis la réforme du droit commun des contrats de 2016 (étant précisé qu'en l'espèce, le contrat a été conclu en 2019). Il est désormais possible d'aller au-delà de ce propos, puisque la clause de déchéance du terme sans préavis raisonnable a été déclarée abusive par la Cour de cassation sur le fondement de l'article L. 132-1 du code de la consommation🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016🏛 (1re Civ., 29 mai 2024, n° 23-12.904, publié). * On peut se demander, eu égard aux conséquences en droit interne, s'il faut restreindre l'obligation faite au juge de l'exécution d'examiner le caractère abusif d'une clause aux jurisprudences établies, rien ne s'opposant à ce que le juge de l'exécution soit le premier à procéder à un tel examen directement sur le fondement des critères légaux12. Il y a là un risque d'amplification du dérapage d'insécurité juridique liée à la nouvelle conception de l'autorité de la chose jugée13 et à l'absence de prescription /

11 Ce qu'a relevé la cour d'appel d'Aix-en-Provence dans un arrêt du 18 janvier 2024 (RG n° 23/06999⚖️). 12 Ce qui est possible pour le juge du fond depuis : 1re Civ., 14 mai 1991, Bull., I, n° 153, commenté aux grands

arrêts de la jurisprudence civile comme un « coup d'état jurisprudentiel ». 13 En ce sens : Aix-en-Provence, 8 février 2024, RG n° 23/08819.

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forclusion. Cette combinaison explosive implique déjà que les quelques règles de droit interne14 relatives à la concentration des demandes doivent être écartées : - l'article 910-4 du CPC🏛 (concentration des demandes dans les premières conclusions d'appel : 1re Civ., 2 février 2022, n° 19-20.640⚖️, publié), - l'article R. 311-5 du CPCE (concentration des demandes à l'audience d'orientation en saisie immobilière)15, le caractère abusif d'une clause pouvant être soulevé au stade de l'audience d'adjudication. * On peut même imaginer qu'à l'occasion d'une deuxième saisie entre les mêmes parties, une seconde clause abusive du même contrat soit mise en débat devant le juge de l'exécution, si elle ne l'a pas été à l'occasion de la contestation de la première saisie devant le premier juge de l'exécution (cf. CJUE Ord. 18 décembre 2023, aff. C-231/23). 2 - Traduction de cet office dans les pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution sur la clause litigieuse : La Cour de cassation a procédé à la réception, dans l'ordre juridique interne, de la jurisprudence de la CJUE dans les termes suivants : « Le juge de l'exécution a l'obligation d'examiner d'office, même en présence d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif, pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet sauf s'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée qu'il a été procédé à cet examen (2e Civ., 13 avril 2023, n° 2114.540, publié). » Le fait que l'arrêt du 13 avril 2023 ait envisagé l'examen de la clause abusive par le titre-jugement dans « l'ensemble de la décision » a pour seul effet de restreindre le domaine d'application de la jurisprudence européenne quant au défaut d'autorité de la chose « non examinée », en partie en contradiction avec l'idée de droit interne que seul le dispositif est le siège de l'autorité de la chose jugée. On peut donc déduire de cette décision que : - la question de l'office du juge de l'exécution, s'agissant de l'examen du caractère abusif d'une clause, ne se pose pas en termes de faculté mais d'obligation, - la question de savoir s'il l'examen de la clause est un moyen ou une prétention n'est pas tranchée. a) Moyen ou prétention ? Il résulte de l'ambiguïté de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire🏛 (le juge de l'exécution « connaît ») : 14 La question excède la saisine de la chambre, mais il semble que le rapport cambiaire ne soit plus un rempart

à l'examen des clauses abusives du rapport fondamental : CJUE Ord. 5 octobre 2023, aff. C-25/23. 15 En ce sens : Douai, 23 novembre 2023, RG n° 22/03644 ; en sens contraire : Aix-en-Provence, 19 janvier

2023, RG n° 22/02207.

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- que le juge de l'exécution est compétent pour statuer sur les prétentions relatives à la saisie (qui sont en nombre limité : annulation, mainlevée, caducité, cantonnement), la dernière décision impliquant de fixer la créance en principal, intérêts et frais, - et qu'il dispose, pour ce faire, de pouvoirs juridictionnels sur les questions préalables, y compris de fond, qualifiées de « contestations de saisies », dont le domaine s'est étendu avec la réforme de 2006, le juge de l'exécution immobilier ayant repris les pouvoirs de la chambre des Criées, qui était un juge de fond, et le juge de l'exécution mobilier ayant bénéficié par contrecoup de cette extension (2è Civ., 18 juin 2009, n° 08-10.843⚖️, publié), puisque la distinction entre les juges de l'exécution mobilier et immobilier n'existe pas dans les textes. Ce texte impose par ailleurs deux conséquences : - la question du caractère abusif de la clause doit être une contestation de saisie : si elle n'a pas d'incidence sur la prétention relative à la saisie, ne serait-ce qu'un cantonnement de la saisie, elle ne pourra pas ressortir des pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution (sauf : 2è Civ., 12 avril 2018, n° 16-28.530⚖️, Bull., II, n° 86) ; - la « contestation de saisie » n'est pas nécessairement un moyen16 : elle peut être une prétention17, ce qui implique alors qu'elle soit tranchée par un chef de dispositif qui aura autorité de la chose jugée erga omnes. La 2ème chambre civile a clairement affirmé l'autorité de la chose jugée de ces chefs de dispositif, y compris dans des situations où la solution était discutable (pour la déchéance du droit aux intérêts dans une mesure conservatoire : 2è Civ., 12 avril 2018, n° 16-28.530, précité, rendu sur avis contraire de l'avocat général ; pour une action en revendication en saisie immobilière : 2è Civ., 2 juin 2016, n° 15-12.828⚖️, Bull., II, n° 151, rendu sur avis contraire de l'avocat général ; cf. aussi : 2è Civ., 13 janvier 2022, n° 20-11.081⚖️, rendu sur avis contraire de l'avocat général). Si on admet qu'il s'agit en l'espèce d'une contestation-prétention, s'agissant de prononcer une sanction, il en résulte, en réponse à la première question, qu'au terme du droit interne, la clause déclarée abusive dans les motifs ou le dispositif du jugement, doit être réputée non écrite par le juge de l'exécution dans le dispositif de son jugement, cette décision étant susceptible d'appel18.

16 cf. Actes du colloque du 5 avril 2019 à la Cour de cassation : « Regards croisés : l'office du juge de

l'exécution dans les procédures civiles d'exécution, pour éclairer la théorie du procès ? », revue Procédures, juillet 2019, pp. 22-23. 17 Le rapport cite à propos : T. Goujon-Bethan, « L'autorité de chose jugée de la décision d'admission à

l'épreuve des clauses abusives : la rhétorique de l'exception », Gaz. Pal. 19 septembre 2023, n° 29 : l'auteur relève, pour exclure l'exigence de concentration des moyens, qu' il n'est pas certain que le réputé non écrit d'une clause soit un « moyen ». Il s'agit d'une sanction que l'on demande au juge d'entériner, ce qui correspond davantage à la définition d'une « prétention ». 18 En sens contraire : Versailles, 29 juin 2023, RG n° 23/00740 : la cour d'appel, saisie pour la première fois en

appel de la question du caractère abusif de la clause de déchéance du terme, a déclaré la clause abusive dans les motifs et seulement mentionné au dispositif le défaut d'exigibilité de la créance et ordonné la radiation du commandement de saisie immobilière (sans décision sur sa validité).

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b) L'autorité de la chose jugée opposée par le juge de l'exécution Il est acquis qu'en saisie immobilière le dispositif du jugement d'orientation a autorité de la chose jugée erga omnes (2e Civ., 21 février 2019, n° 18-10.362⚖️). L'article R. 121-14 du CPCE dispose par ailleurs que le juge de l'exécution statue comme juge du principal, sauf dispositions contraires. Cette disposition ne se rapportant pas à l'existence d'une émanation de référé (puisqu'il n'y a pas de référéJEX), elle ne peut se comprendre que comme conférant aux décisions du juge de l'exécution une autorité de la chose jugée au-delà de la procédure relative à la saisie (erga omnes), ce que confirme la teneur des « dispositions contraires » (articles R. 211-12 et R. 151-4 du CPCE). Dans ce contexte, il y a un réel intérêt, en termes de cohérence des décisions et de sécurité juridique quant aux décomptes des sommes dues, à ce que les juges ultérieurs soient tenus par la disparition de la clause abusive : - les juges de l'exécution subséquents, en cas de première saisie partiellement efficace, - mais surtout : la cour d'appel saisie d'un appel contre le titre-jugement. Dans ces conditions, la réponse à la première question posée pourrait être : « Le juge de l'exécution doit, dans le dispositif de son jugement, à la demande des parties ou d'office, et dans ce dernier cas sans opposition expresse du débiteur, réputer non écrite la clause d'un contrat de consommation qu'il juge abusive [au terme d'une jurisprudence établie], même si elle a donné lieu à la décision de justice exécutoire fondant les poursuites, si le juge qui l'a rendue n'a pas déjà examiné le caractère abusif de cette clause dans les motifs ou le dispositif de sa décision. » B - L'office du juge de l'exécution quant au sort du titre-jugement 1 - Extensions et limites des pouvoirs du juge de l'exécution connues en droit interne a) Le titre notarié On déduit en général de l'article R. 121-1 du CPCE, qui interdit au juge de l'exécution de modifier le dispositif du jugement, l'interdiction, a fortiori, de l'annuler. Mais lorsque le titre exécutoire est un titre notarié, le juge de l'exécution peut connaître d'une action en nullité du titre notarié (2è Civ., 18 juin 2009, n° 08-10.843, publié), donc supprimer avec effet rétroactif ce titre exécutoire 19. Réciproquement donc, si le juge de l'exécution peut annuler le titre notarié, il peut, a fortiori, le modifier.

19 En ce sens, J.-D. Pellier, Le relevé d'office des clauses abusives par le juge de l'exécution (CJUE, 17 mai

2022, aff. C-725/19), RDC-3, septembre 2022, p. 64, point 4.

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Se pose en revanche toujours, même dans ce cas, le problème de l'insécurité juridique si le juge de l'exécution déclarant la clause abusive n'est pas celui de la première saisie ; la question des restitutions se posera alors avec une plus grande acuité, même si on admet des restitutions en équivalent sous la forme de compensations. Par ailleurs, la question de savoir si les restitutions après disparition du titre exécutoire entrent dans la compétence ou les pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution ne relève a priori pas de la présente procédure d'avis, mais il faut relever qu'elle n'est pas réglée : - Dans un arrêt du 13 décembre 2022 (RG n° 17/00305), la cour d'appel de Grenoble a, dans une affaire Helvet Immo, annulé le contrat (il semble que ce soit le titre) ensuite de la clause abusive réputée non écrite, annulé le commandement de saisie immobilière, et refusé de se prononcer sur les restitutions20 ; - Dans un arrêt du 5 octobre 2023 (RG n° 22/16365), la cour d'appel de Paris a, dans le même type d'affaire, annulé le titre-contrat et ordonné les restitutions, ce qui l'a conduite, après avoir fait le compte entre les parties, à cantonner la saisie des rémunérations à un montant qu'elle a déterminé21. Je pense qu'il n'est pas envisageable de faire relever les restitutions des pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution, notamment à cause de la question consécutive, susceptible d'être posée, de l'indemnisation de l'emprunteur (cf. rapport, page 36). b) Les décisions de justice Plus problématique est le cas du titre-jugement (ou assimilé). Comment un juge peut-il, en conséquence d'un nouvel office sur la clause abusive, tirer des conséquences sur les sommes dues en exécution du titre-jugement alors qu'il ne dispose à son égard d'aucun pouvoir juridictionnel connu du COJ, du CPC ou du CPCE ? En présence d'une décision de justice en effet, deux séries de règles du droit interne s'appliquent : - l'une prévue par les textes : l'article R. 121-1 du CPCE interdit au juge de l'exécution de modifier le dispositif de la décision fondant les poursuites ou d'en suspendre l'exécution (donc a fortiori de l'annuler) : Le problème ne se pose pas avec une telle acuité dans les systèmes juridiques qui admettent, même dans des cas très limités, une remise en cause du titre-jugement au stade de l'exécution forcée : en République tchèque, il n'est pas possible, en principe, de soulever de nouvelles demandes au cours de la procédure d'exécution qui est destinée à assurer l'exécution d'une décision et ne saurait conduire en conséquence à une révision de la décision dont l'exécution est demandée, mais il est possible, à 20 Pourvoi n° 23-12.242⚖️ en cours d'examen devant la 1ère chambre civile, rapporteur désigné. 21 Un second arrêt dans le même sens a été rendu le même jour : RG n° 22/13360.

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titre exceptionnel, en cas d'atteinte à des droits fondamentaux, de procéder à un contrôle de fond de la décision (ex. : il peut y avoir une injustice manifeste lorsqu'un titre exécutoire accorde une créance en application d'un contrat contenant des dispositions inacceptables). Que les pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution empruntent la voie d'une exception existante ou qu'il faille admettre une nouvelle exception, le traumatisme du droit interne n'est pas le même qu'en droit français où le jugement ne peut jamais être remis en cause par le juge de l'exécution. Dans un arrêt du 16 novembre 2023 (RG n° 23/01906), la cour d'appel de Versailles a refusé de déclarer la clause de déchéance du terme abusive au seul motif que le titre exécutoire était une décision de justice et que l'article R. 121-1 du CPCE lui interdisait de connaître de cette demande à peine d'excès de pouvoir22. On passera sous silence la solution italienne, rappelée au rapport, qui peut inspirer la solution d'un « recours-tiroir » (on retourne devant le juge du fond, puis on revient devant le juge de l'exécution), ce qui serait sans base légale et à rebours de l'évolution historique de l'élimination des questions préjudicielles voulue par l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. - l'autre série de règles est prétorienne : elle déduit de cas textuels dans lesquels le juge de l'exécution peut créer un titre exécutoire, un principe d'interdiction en sens inverse (2è Civ., 19 novembre 2020, n° 19-20.700⚖️, publié ; 2è Civ., 25 septembre 2014, n° 13-20.561⚖️ ; 2è Civ., 3 décembre 2015, n° 13-28.177⚖️), lequel principe supporte non seulement les exceptions légales dont il a été induit, mais également des exceptions jurisprudentielles (ce qui revient à dire que les exceptions légales ne sont pas limitativement énumérées). 2 - Doit-on « laisser inappliquée » une règle de droit interne ? Il paraît résulter de ce qui précède qu'il sera nécessaire, même en restant minimaliste, de laisser inappliquée l'une des interdictions suivantes du droit interne : - le juge de l'exécution ne peut pas suspendre l'exécution du jugement, - le juge de l'exécution ne peut pas modifier le dispositif du jugement, - le juge de l'exécution ne peut pas annuler le jugement, - le juge de l'exécution ne peut pas, sauf exception, créer de titre exécutoire, - le juge de l'exécution n'est pas un juge du fond. Les pistes de réflexion sur les conséquences d'une décision du juge de l'exécution sur le titre-jugement étant envisagée par la demande d'avis, il est nécessaire de les examiner sommairement, y compris celle des conditions d'une dispense de toute décision sur le titre-jugement. a) Conséquences d'une décision du juge de l'exécution sur le titre-jugement : Sanction avec effet rétroactif ou sans effet rétroactif ? - La combinaison de l'absence de prescription / forclusion et de l'absence d'autorité de la chose jugée 22 Pourvoi en cours : 24-12.488, non encore distribué à une chambre.

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quant aux points non examinés est susceptible d'engendrer une insécurité juridique insoutenable en cas d'effet rétroactif d'une sanction prononcée par le juge de l'exécution atteignant le titre. Seules subsisteraient alors pour le créancier, selon le cas, une action en restitution du capital versé ou une action en résolution judiciaire. De plus, en cas de sanction rétroactive du titre-jugement, un certain nombre d'intérêts liés à l'obtention d'un jugement disparaissent pour le créancier, au-delà de la disparition de l'effet interruptif de la prescription de la créance : - la majoration du taux d'intérêt légal (2e Civ., 7 janvier 2016, n° 14-26.449⚖️), - l'inscription d'une hypothèque judiciaire définitive (3è Civ., 21 janvier 2016, n° 1424.795). C'est donc dans un esprit de défiance à l'égard d'une sanction avec effet rétroactif, voire de toute décision du juge de l'exécution sur le sort du titre-jugement, que les pistes d'investigations suivantes sont examinées. L'annulation du jugement. - En-dehors de l'exercice des voies de recours, cette option ne peut raisonnablement être retenue dans le contentieux du juge de l'exécution, le rappel de l'interdiction par la jurisprudence étant ancienne (2è Civ., 25 mars 1998, n° 95-16.913⚖️, publié, cité au rapport, page 19 in fine). L'annulation indirecte du jugement, pour perte de fondement juridique. L'accueil de la notion de perte de fondement juridique dans la jurisprudence de la Cour de cassation, au-delà du seul article 625 du CPC🏛, se souche sur une exigence de cohérence, qu'on retrouve par ailleurs dans l'article 618 du CPC23. * Dans un article publié en 200624, le professeur Le Bars relevait que la Cour de cassation n'admet la perte de fondement juridique que dans le cadre des voies de recours25, à l'exception notable de la jurisprudence « Haribo » (2è Civ., 6 janvier 2005, n° 02-15.954⚖️, Bull., II, n° 1)26, dérogation qu'il critiquait. En l'espèce, il n'est pas possible de se prévaloir d'un fondement juridique spécifique, comme en matière d'astreinte : la solution serait donc frontalement contraire à la jurisprudence de l'Assemblée plénière (Ass. plén., 17 février 2012, n° 10-24.282⚖️, Bull. Ass., plén., n° 2).

23 Auquel il faut ajouter la jurisprudence réglant les incohérences entre une décision pénale et une décision

civile : Ass. plén., 3 juillet 2015, n° 14-13.205⚖️, Bull., Ass. plén, n° 3 ; cf. déjà : Ass. plén., 29 novembre 1996, n° 93-20.799⚖️, Bull. Ass. plén., n° 8. 24 Th. Le Bars, « La perte de fondement juridique en droit judiciaire privé », in Le nouveau code de procédure

civile (1975-2005), sour la dir. de J. Foyer et C. Puigelier, Economina, 2006, p. 269 et s. ; cf. également : G. Wiederkehr, « Autorité de la chose jugée. Perte de fondement juridique. Cassation par voie de conséquence », revue générale des procédures, 1998, n° 2 (avril-juin), pp. 320-324. 25 Ce que confirme l'examen des décisions de la Cour de révision et de réexamen des condamnations pénales

des 2 avril 2015 et 10 décembre 2015. 26 Jurisprudence confirmée, sur le fondement spécifique du caractère accessoire de l'astreinte, par : 2è Civ., 24

septembre 2015, n° 14-14.977⚖️
, Bull., II, n° 210, jurisprudence réitérée depuis lors : 2è Civ., 10 février 2022, n° 20-12.482⚖️.

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* La perte de fondement juridique produisant un effet rétroactif, on peut réfléchir aux conséquences à partir des deux jurisprudences acquises concernant la clause de déchéance du terme et la clause de conversion en monnaie étrangère : - clause de déchéance du terme abusive : le jugement n'est que partiellement privé de fondement juridique et demeure pour les échéances impayés. Le jugement est maintenu, et avec lui l'effet interruptif de prescription de la créance du premier acte valant saisie. Le créancier est seulement contraint d'agir tous les deux ans pour obtenir la condamnation au paiement des échéances impayées sur cette période, jusqu'à l'expiration de la période du prêt. La contrainte est pour lui certaine, mais elle est l'effet du caractère abusif de la clause de déchéance du terme, et il lui est toujours loisible d'agir en résolution du contrat. - clause de conversion en monnaie étrangère abusive (cas des prêts Helvet Immo) : le jugement se trouve en totalité privé de fondement juridique, et sa disparition rétroactive équivaut à une annulation ; elle emporte annulation de toutes les mesures d'exécution forcée subséquentes, conséquence que la sécurité juridique interdit à mon sens d'envisager. Dans ces conditions, et au-delà des objections, compte tenu de cette dernière hypothèse, le recours à la perte de fondement juridique du titre-jugement paraît devoir être écartée, au nom même de la jurisprudence européenne qui prend en compte la proportionnalité comme réponse à l'insécurité juridique. « Suspendre » l'exécution du jugement (ce à quoi revient de le déclarer en tout ou partie inexécutable). - Le juge de l'exécution ne statuerait pas à proprement parler sur le jugement. Il constaterait que sa décision sur la clause litigieuse rend le jugement en tout ou partie inexécutable, en raison d'une cause juridique d'inefficacité du jugement survenue après son prononcé, comme l'article 478 du CPC🏛 ou la prescription du titre. Mais contrairement à la perte de fondement juridique, c'est le caractère partiel de la sanction qui pose ici problème : la rétroactivité du caractère non écrit de la clause de déchéance du terme consiste à revenir sur des effets de droit, mais non à remonter le temps : la délivrance du commandement de saisie immobilière sur une créance se révélant finalement nettement moindre, ne peut permettre de considérer que le défaut de régularisation serait advenu de manière identique, à supposer la créance subsistante susceptible de justifier, eu égard à son montant, une saisie immobilière (article L. 111-7 du CPCE). L'argument est tiré de l'économie de la décision27 : en déclarant la clause de déchéance du terme abusive, le juge de l'exécution fausse l'économie globale du jugement, qui ne pourrait pas survivre pour les seules échéances antérieures impayées. Un créancier peut-il prétendre à des échéances impayées qui ont motivé une déchéance du terme irrégulière ?

27 Cf. La notion d'« économie du contrat » dans l'un des arrêts Chronopost : Com., 4 janvier 2005, n° 03-17.677⚖️,

Bull., IV, n° 5.

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A supposer le jugement déclaré inexécutable, le titre serait néanmoins maintenu, et avec lui l'interversion de la prescription. Le juge de l'exécution n'aurait à effectuer aucun décompte consécutif à sa décision sur la clause abusive. Il se bornerait à prononcer la mainlevée de la saisie (et non sa nullité), à charge pour le créancier de revenir devant le juge du fond pour obtenir un nouveau titre, mais il faudrait alors admettre qu'on ne peut lui opposer l'autorité de la chose jugée (en raison de l'absence d'identité d'objet ?). Le juge du fond devrait en revanche tenir compte de l'autorité de la chose jugée par le juge de l'exécution qui a déclaré la clause abusive réputée non écrite. A noter que : - dans une affaire Helvet Immo, la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion a jugé, dans un arrêt du 15 décembre 2023 (RG n° 15/02123) que la clause abusive n'emportait pas nullité du titre-contrat (un juge du fond ayant été déjà saisi de cette demande), mais qu'il en résultait un défaut d'exigibilité de la créance justifiant la mainlevée de la saisie-attribution ; - dans un arrêt du 11 décembre 2023 (RG n° 23/00903), la cour d'appel de Colmar a déclaré la clause réputée non écrite et « dit que le jugement (...) ne peut valoir comme titre exécutoire ». Cette piste de réflexion paraît donc laborieuse à fonder juridiquement. b) Dispense d'une décision du juge de l'exécution sur le titrejugement * De manière générale, mais notamment celui de plusieurs saisies partiellement efficaces si seul le dernier juge de l'exécution saisi d'une contestation effectue la police des clauses abusives, il est nécessaire de veiller à ce que le titre exécutoire ne soit pas atteint par une sanction rétroactive qui ne serait pas strictement nécessaire à l'effectivité du droit européen. Cette situation a pu être commentée comme une « bombe à retardement »28, mais cette métaphore n'est que partiellement exacte : en réalité, l'explosion sera d'autant plus violente qu'elle aura été retardée. * Au-delà, il y aurait à terme, pour la Cour de cassation, un risque de conflits d'impérativités entre le droit à la protection des consommateurs que le débiteur tient de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le droit à l'exécution des décisions de justice protégé par ailleurs par la CEDH (CEDH, 19 mars 1997, Hornsby C./ Grèce, req. n°18357/91). Or, ce risque n'existe à mon sens que si la réception de la jurisprudence de la CJUE dans le contentieux du juge de l'exécution va au-delà des exigences du droit de l'Union. * Compte tenu des conséquences en termes de sécurité juridique, il serait opportun de dispenser le juge de l'exécution d'avoir à tenir un discours sur le titre-jugement, mais cela n'implique pas qu'aucune disposition du CPCE ne sera laissée inappliquée par un nouveau décompte du juge de l'exécution ensuite du caractère non écrit de la clause de déchéance du terme. 28 C. Hélaine, Dalloz Actualités, 14 février 2023, Nouveau pas décisif dans la conception de l'office du juge en

matière de clauses abusives.

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Revenons à la lettre du texte de l'article R. 121-1, alinéa 2, du CPCE : « Le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution.» Il faut nommer le processus à l'oeuvre : pour un juge de l'exécution, modifier le montant des sommes auxquelles le créancier a droit en vertu du jugement, et modifier le jugement, c'est la même chose. Mais laisser inappliquée cette interdiction du CPCE pour assurer l'effectivité de la jurisprudence de la CJUE permet de passer directement de la décision sur la clause abusive au nouveau décompte, sans avoir à donner un motif relatif au titre. Ainsi, si une décision sur le caractère non écrit de la clause abusive dans le dispositif du jugement du juge de l'exécution est une condition nécessaire à l'effectivité de la jurisprudence de la CJUE, elle me paraît surtout présenter l'intérêt d'être une condition suffisante, qui dispense le juge de l'exécution de se prononcer sur les raisons de la modification du titre, puisqu'elle est cette raison. Le juge de l'exécution ne pourrait en effet, à mon sens, ni s'abstenir de préciser les raisons de la modification du titre, ni se borner à examiner le caractère abusif de la clause de déchéance du terme dans les motifs. L'exemple de la clause abusive de conversion en monnaie étrangère le démontre : si le juge de l'exécution se borne à retenir dans les motifs la disparition rétroactive de l'ensemble du contrat, et que de surcroît il est également muet sur le jugement servant de fondement aux poursuites, il ne peut ensuite prétendre se fonder sur le jugement de condamnation pour fixer la créance à zéro, sans aucune explication. Il manque en réalité un maillon dans le raisonnement. Ce que fait le juge de l'exécution, c'est considérer que le titre exécutoire devient le jugement tel que modifié par son jugement sanctionnant la clause litigieuse29, de sorte que le décompte des sommes dues résulte de ce nouvel ensemble (dispositif du titre-jugement et dispositif du jugement du juge de l'exécution). La règle de l'article R. 121-1, alinéa 2, du CPCE laissée inappliquée n'est alors pas la même, parce que le raisonnement n'est pas le même - si on considère qu'en fixant la créance à un montant moindre que celui résultant du jugement, le juge de l'exécution laisse en partie le jugement inexécuté, on porte atteinte à la règle interdisant de suspendre le caractère exécutoire du titre, - si on considère qu'en fixant la créance à un montant moindre que celui résultant du jugement, le juge de l'exécution applique une combinaison de deux dispositifs de jugements, le jugement au fond et le sien, on porte seulement atteinte à la règle interdisant de modifier le jugement. La conclusion n'est pas la même 29 Douai, 7 septembre 2023, RG n° 22/05730 ; Aix-en-Provence, 1er février 2024, RG n° 23/07850.

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- dans le premier cas, on doit assumer (et c'est impossible en droit interne) qu'il existe un cas où le juge de l'exécution peut refuser d'exécuter un jugement ; - dans le second cas, on affirme que le juge de l'exécution exécute le jugement, l'exécution forcée étant seulement adaptée en fonction des exigences de la jurisprudence européenne en matière de police des clauses abusives. Il y a donc un intérêt à réputer la clause abusive dans le dispositif du jugement du juge de l'exécution pour pouvoir tenir ce second raisonnement, qui dispense la Cour de cassation d'avoir à répondre à un certain nombre de questions posées dans la demande d'avis quant au sort du jugement, questions que ce second raisonnement ne postule pas. Se poserait alors seulement une seconde question, celle de l'office du juge de l'exécution sur la liquidation de la créance cause de la saisie. C - L'office du juge de l'exécution quant à la fixation de la créance Le créancier, qui vous invite à une méthode de calcul dans ses conclusions, ne peut être complètement suivi dans son raisonnement car cette fixation comprend à mon sens trois périodes qui doivent être distinguées en droit, les atteintes au droit positif des pouvoirs juridictionnels du juge de l'exécution n'étant pas de même intensité dans ces trois périodes : - période et montants inchangés : les mensualités impayées à leur échéance avant la déchéance du terme, - période recalculée en considération de la disparition rétroactive de la déchéance du terme prononcée par juge de l'exécution : le juge de l'exécution fixe le montant des mensualités impayées à leur échéance survenue entre la déchéance du terme réputée n'avoir jamais existé et le premier acte d'exécution forcée30, ce qu'est un commandement de saisie immobilière ; - il n'y a pas à mon sens de 3e période : rien ne justifie que le juge de l'exécution prononce une condamnation et crée, comme s'il était juge du fond, un titre exécutoire qu'il fait ensuite exécuter, concernant les mensualités impayées à leur échéance survenue entre la saisie et son jugement. Il ne s'agit pas ici de recalculer les sommes dues en vertu du titre tel qu'affecté par la décision sur la clause abusive, mais: * d'autoriser ex-nihilo une création de titre prohibée : vainement soutiendraiton qu'en prenant en compte les mensualités impayées échues après la saisie, le juge de l'exécution ne statue pas ultra petita compte tenu du montant initialement revendiqué par le créancier poursuivant. Compte tenu de l'absence de déchéance du terme, le capital restant dû ne peut plus être revendiqué de sorte qu'il s'agit bien pour le juge de l'exécution de condamner à des mensualités échues non réclamées et de faire exécuter ensuite sa propre condamnation.

30 En admettant écarté l'argument selon lequel l'économie de la décision se trouve faussé par la disparition

rétroactive de la déchéance du terme.

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* d'intégrer dans la créance cause de la saisie une créance exigible après l'acte de saisie ; * de se fonder sur un décompte erroné : le créancier devra vraisemblablement obtenir dans l'avenir un complément de titre pour une période d'échéances impayées postérieure : il est donc pertinent d'arrêter le décompte à une date déterminée - le jour de la saisie - car il n'existe pas, en réalité, de décompte au jour du jugement (en pratique, le décompte est, au mieux, arrêté au jour de l'audience des débats ; en l'espèce, le décompte est du 5 octobre 2023 pour un jugement rendu le 11 janvier 2024). C'est là également un problème d'autorité de la chose jugée : une somme arrêtée dans un jugement du 11 janvier 2024 est arrêtée à cette date ; le juge de l'exécution suivant, pour une période d'impayés postérieure, ne fera pas le compte entre les parties à compter du 5 octobre 2023. De cette position se déduit en outre une réponse « en tout état de cause » à une partie de la question posée, quelle que soit la piste de réflexion empruntée : « Le juge de l'exécution ne peut pas statuer au fond sur une demande en paiement en vue de la délivrance d'un titre exécutoire pour une période postérieure à la saisie, hypothèse qui échappe aux prévisions du code des procédures civiles d'exécution et à l'article L. 213-6, alinéa 4, du code de l'organisation judiciaire. »

III - Eléments de réponse Il me paraît donc possible de répondre de la manière suivante aux 3 questions posées en substance par la demande d'avis : 1 - Office du juge de l'exécution sur la clause abusive « Le juge de l'exécution doit, dans le dispositif de son jugement, à la demande des parties ou d'office, et dans ce dernier cas sans opposition expresse du débiteur, réputer non écrite la clause d'un contrat de consommation qu'il juge abusive [au terme d'une jurisprudence établie], même si elle a donné lieu à la décision de justice exécutoire fondant les poursuites, si le juge qui l'a rendue n'a pas déjà examiné le caractère abusif de cette clause dans les motifs ou le dispositif de sa décision. 2 - étendue de l'office consécutif Lorsque la clause abusive est celle relative à la déchéance du terme, le juge de l'exécution peut modifier la décision de justice fondant les poursuites en recalculant les sommes dues, en vertu de cette décision et de sa décision réputant la clause abusive non écrite, jusqu'au premier acte valant saisie. 3 - rappel de l'interdiction de principe de la création de titre exécutoire Le juge de l'exécution ne peut pas statuer au fond sur une demande en paiement en vue de la délivrance d'un titre exécutoire pour une période

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postérieure à la saisie, hypothèse qui échappe aux prévisions du code des procédures civiles d'exécution et à l'article L. 213-6, alinéa 4, du code de l'organisation judiciaire. »

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