AVIS DE Mme GRIVEL, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 951 du 25 septembre 2024 (B) –
Chambre sociale Pourvoi n° 23-13.992⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon du 25 janvier 2023 Mme [C] [O] C/ La société Verre Equipements _________________
Audience de la FS1 du 9 juillet 2024 L'employeur est-il en droit d'ouvrir des clés USB trouvées dans le bureau d'une salariée, hors sa présence et sans l'avoir appelée, alors qu'elles n'étaient pas connectées à l'ordinateur professionnel mis à sa disposition ? Telle est la question principale posée par la présente affaire, dans la seconde branche du moyen unique du pourvoi de la salariée. Rappelons en effet simplement pour une parfaite compréhension du dossier que l'intéressée a été licenciée pour faute grave pour avoir copié sur cinq clés USB trouvées dans son bureau un nombre considérable de fichiers (cinquante mille) de son entreprise y compris certains relatifs à la fabrication auxquels elle n'avait pas accès de par ses fonctions d'assistante commerciale. A vrai dire, la question de la matérialité des faits ne posait pas en elle-même beaucoup d'interrogation, puisque la salariée les avait reconnus dans ses écritures, y compris dans le cadre des procédures pénales engagées par elle (pour vol des clés USB) et contre elle (pour violation de données informatiques). Mais on sait que dès lors que l'origine de l'aveu judiciaire réside dans une preuve obtenue de manière discutable, il est lui-même touché par cette éventuelle illicéité.
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Par l'arrêt confirmatif attaqué, la cour d'appel a, en tout état de cause, retenu que la preuve n'avait pas été obtenue en violation de la vie privée de la salariée, puisque, contrairement à ses affirmations, «Aucun élément ne vient corroborer (ses) affirmations selon lesquelles les cinq clefs étaient dans son sac à main qu'elle avait laissé dans son bureau, et non pas à un endroit dudit bureau auquel l'employeur avait le droit d'accéder, même en son absence. Enfin, il a été exactement relevé par le premier juge que les cinq clefs qui se trouvaient dans le bureau de la salariée ne pouvaient en ellesmême être identifiées comme étant des clefs personnelles.» Elle en a donc conclu que l'employeur pouvait y avoir accès hors la présence de la salariée et sans l'avoir fait appeler, dès lors qu'elles n'avaient pas été identifiées comme personnelles par la salariée, et que la preuve n'avait pas été obtenue illicitement en violation de sa vie privée. Ces motifs viennent confirmer ceux des premiers juges, le conseil de prud'hommes, dans son jugement du 3 septembre 2019, relevant (page 8) : « La jurisprudence confère une présomption de professionnalité à l'outil informatique utilisé dans le cadre du travail. Cette présomption est étendue aux clés USB branchées sur le poste de travail.(...) Cette présomption s'applique également aux documents détenus par le salarié à l'intérieur de son bureau d'entreprise qui permet à l'employeur d'en prendre connaissance même hors la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme étant personnels (Cour de cassation : arrêt du 4 juillet 2012 n° de pourvoi :11-12330). En l'espèce, la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige précise que l'employeur a trouvé 5 clés dans le bureau de la salariée. Celle-ci indique que ces clés étaient dans son sac à main le matin, qu'elle les a utilisées dans la matinée pour son travail. Elle n'indique pas qu'elle les a remises dans son sac ni l'endroit où elle les aurait déposées (...) Les 5 clés USB ne comportaient aucune indication « personnelle » ou « confidentielle ». (La salariée) ne fait pas état d'une quelconque inscription laissant supposer que ces clés soient personnelles. (...) L'huissier de justice missionné (...)ne déclare aucune mention « personnelle » sur aucune des 5 clés USB. L'employeur pouvait donc en prendre connaissance même hors la présence de la salariée (...) » C'est cette conclusion que le pourvoi de la salariée vient attaquer par un moyen unique en cinq branches, dont la première, qui est principale, relative à la prétendue fouille du sac à main, n'appelle pas d'autres observations ni d'autre réponse que le rejet non spécialement motivé proposé par le rapporteur, la cour d'appel ayant fait une exacte application de l'
article 9 du code de procédure civile🏛 sans inverser la charge de la preuve (le moyen qui veut imposer à l'employeur «de démontrer qu'il ne les avait pas dérobées dans le cadre d'une fouille illicite du sac à main» lui imposant une preuve négative). Les deuxième et troisième branches, qui ne sont donc que subsidiaires, méritent plus d'attention, qui attaquent les motifs de l'arrêt retenant une présomption de caractère professionnel des clés USB au motif qu'elles ont été connectées aux ordinateurs de l'entreprise à plusieurs reprises par la salariée, alors qu'une clé USB n'est présumée utilisée à des fins professionnelles, « de sorte que l'employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu'elle contient, qu'à la condition qu'elle soit connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié. » Le moyen -comme d'ailleurs la motivation critiquée- s'appuie sur un arrêt publié de la chambre,
Soc.12 février 2013, n°11-28649⚖️, Bull n°34, selon lequel « Une clé USB, dès lors qu'elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l'employeur pour l'exécution du contrat de travail, est présumée utilisée à des fins professionnelles. En conséquence, les dossiers et fichiers non identifiés comme
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personnels qu'elle contient sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l'employeur peut y avoir accès hors la présence du salarié. » Ainsi que l'a souligné le Professeur B. Bossu1 : « Cette solution vise évidemment à sauvegarder les intérêts de l'entreprise : il n'est pas admissible qu'un salarié enregistre sur sa clé USB des données confidentielles appartenant à l'entreprise », soulignant que « (…) le droit au respect de la vie privée n'a pas été institué dans le but de couvrir les agissements indélicats 2 et qu'en conséquence il convient de rechercher un équilibre entre la vie privée du salarié et le pouvoir de surveillance de l'employeur ». Notons immédiatement que le moyen transforme légèrement cette jurisprudence, en substituant pour son raisonnement au « dès lors que » un « qu'à la condition que », qui en modifie le sens. S'il ne fait aucun doute en effet que la chambre a entendu tirer la présomption d'utilisation professionnelle de la clé USB du fait qu'elle se trouve connectée à l'ordinateur professionnel au moment du contrôle, ce qui en fait son extension matérielle et lui fait suivre son régime juridique, et ce quand bien même la clé serait personnelle (ce qui n'était pas discuté dans l'espèce de l'arrêt), cela ne signifie pas pour autant qu'elle a entendu limiter cette conséquence à cette seule circonstance. Nous avons là un arrêt de principe pris dans un cas d'espèce, ce qui arrive fréquemment, si bien qu'une autre situation pourrait fort bien aboutir à la même solution, avec un autre raisonnement. Soulignons que la chambre a précisé qu'il s'agissait d'une présomption d'utilisation professionnelle, non de nature, comme il a été dit, ce qui évitait la discussion de savoir si elles étaient ou non mises à la disposition du salarié par l'employeur ; car rien ne ressemble plus à une clé USB qu'une autre. D'où le raisonnement suivi ici par la cour d'appel, qui a pensé qu'il lui suffisait de relever qu'elles avaient été utilisées à titre professionnel, comme le soutenait la salariée elle-même, pour leur conférer ce caractère. Mais le raisonnement peut être critiqué du fait qu'il lui manque sa base : si l'employeur est en droit d'ouvrir la clé connectée à l'ordinateur de l'entreprise au moment de son contrôle, c'est parce qu'il doit pouvoir savoir à quoi sert son matériel, mais si la clé se trouve sur le bureau, cette justification est plus fragile. Pour autant, elle n'est pas nécessairement étrangère au contrôle, tant la présence et l'utilisation de plus en plus répandues de ces périphériques de stockage dans les entreprises font courir des risques à l'intégrité de leurs systèmes informatiques. Or si les clés se trouvaient dans le bureau, c'était bien pour y être utilisées, ce que reconnaissait la salariée. Cette seule présence induit donc une présomption d'utilisation professionnelle -ce qui n'aurait pas été le cas de clés se trouvant dans son sac. La critique du moyen pris en ses deuxième et troisième branches, fondée sur un raisonnement a contrario de l'arrêt précité, n'est donc pas aussi pertinente qu'elle peut apparaître dans un premier temps. D'autant qu'il convient de revenir un instant à l'argumentation de l'employeur, qui était, somme toute, légèrement différente. Celui-ci contestait en effet, en pages 32, 33 et 34 de ses conclusions, connaître le caractère personnel des clés USB en soutenant (et en apportant la preuve) qu'il en remettait (les mêmes) à ses employés pour leur travail et qu'aucune indication de leur caractère personnel ne permettait de les identifier comme telles. Or, c'est ce que retient également la cour d'appel (page 6, 12e paragraphe), en adoptant la motivation qui avait été retenue par le premier juge : les clés USB se 1
B. Bossu, Vie privée du salarié, la consultation par l'employeur de la clé USB du salarié, Jcp S. n°21 du 21 mai 2013, cité au mémoire en défense et au rapport 2
rejoignant ici l'observation du professeur Jean Savatier dans « Portée de l'immunité disciplinaire du salarié pour les actes de sa vie personnelle », Dr. soc. juin 2003, p.629
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trouvaient dans le bureau de la salariée, ce qui les soumettait au régime de l'ensemble des documents qui s'y trouvent - à l'exception de ceux que le salarié conserve dans son armoire personnelle (soc 11 décembre 2001, bull n°377) ou un tiroir fermé à clé, ou qui sont identifiés par lui comme étant personnels (chemise ou fichier portant cette indication). A l'exception également, bien sûr, des effets personnels du salarié et notamment de son sac, pour lequel la chambre a posé de façon générale que "L'employeur (...)ne peut ainsi, sauf circonstances exceptionnelles, ouvrir les sacs appartenant aux salariés pour en vérifier le contenu qu'avec leur accord et à la condition de les avoir avertis de leur droit de s'y opposer et d'exiger la présence d'un témoin." (soc.11 février 2009, bull n°40). Or en l'espèce, rien (le jugement le développe en p.8) ne permettait de laisser présumer une quelconque destination personnelle de ces clés USB, qui ne constituent pas un effet personnel, en dehors de tout signalement spécifique à ce titre par l'intéressée. Et il convient à cet égard de distinguer le moment du contrôle, où s'apprécie la nature, personnelle ou non, ou l'utilisation, professionnelle ou non, du matériel en question qui en conditionnent le régime, du moment judiciaire, où le caractère personnel des clés est constant - tout comme son utilisation d'ailleurs. C'est en s'appuyant cette fois sur une autre jurisprudence établie, et notamment sur l'arrêt précité,
Soc. 4 juillet 2012, n°11-12330⚖️, suivant lequel « les documents détenus par un salarié dans le bureau de l'entreprise sont présumés professionnels, de sorte que l'employeur peut en prendre connaissance même hors la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme étant personnels » (s'agissant de billets de train contenus dans une enveloppe découverte dans un tiroir du bureau non fermé à clé) que les juges ont en conséquence retenu dans notre affaire que la présomption de caractère professionnel (et non plus d'utilisation) s'appliquait et que l'employeur était légitime à consulter ces clés USB hors la présence de la salariée. Soulignons que cet arrêt de 2012, cité dans le jugement, va bien au-delà de ce qui avait été la première étape du raisonnement de la chambre dans son arrêt du 18 octobre 2006, n° 0447.400, qui ne s'appliquait qu'aux documents « mis à la disposition (du salarié) par l'entreprise », précision qui a disparu ensuite. C'est la solution à laquelle aboutissait l'auteur précité (cf. rapport p.12, in fine) citant le cas où une clé USB non connectée à l'ordinateur de l'entreprise et se trouvant par exemple dans un tiroir du bureau n'est pas clairement identifiée comme personnelle. Nonobstant les motifs justement critiqués par les 3e et 4e branches, l'arrêt attaqué m'apparaît donc légalement justifié par ces considérations propres et adoptées. J'ajoute que l'employeur soutenait également, comme il est rappelé à la p.6 de l'arrêt, 3e paragraphe, qu'il avait agi de manière proportionnée (il n'avait consulté sur les clés que les fichiers qui n'apparaissait pas personnels, selon les constatations de l'huissier, en ne conservant sur la clé unique établie en duplicata que les fichiers litigieux) afin d'exercer son droit à la preuve et dans le seul but de préserver ses intérêts légitimes. Si cet argument est repris ab initio par la cour d'appel qui a indiqué que « Le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié, à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi », elle n'a cependant pas exercé ce contrôle de proportionnalité puisqu'elle a considéré que la preuve était licite, si bien que l'on ne peut considérer à mon sens que cet argument, qui est tout à fait pertinent, puisse venir « sauver » l'arrêt si la chambre ne devait pas suivre ma position. Reste en conséquence à étudier les deux dernières branches, puisque les précédentes ne permettent pas, à mon sens, de casser la décision. Mais la quatrième branche conteste vainement la qualification de faute grave retenue par la cour d'appel, alors que, indépendamment de toute divulgation, le simple fait de 4
s'approprier des données de l'entreprise en en faisant la copie et en les emportant hors de l'entreprise, en violation d'une obligation de confidentialité ou de discrétion, telle qu'elle figure au contrat de la salariée, et même en dehors de toute obligation de cette nature, suffit à caractériser une faute grave, dès lors que ses données sont confidentielles ou ne relèvent pas des attributions habituelles du salarié, selon une jurisprudence constante, - ce qui a été relevé en l'espèce par les juges du fond. On peut ainsi citer :
Soc., 5 avril 2006, pourvoi n° 03-40.796, 04-43.817 : «⚖️ la cour d'appel qui a constaté que la salariée se trouvait...en possession d'un nombre important de dossiers et classeurs de la société alors qu'elle quittait l'entreprise et qui a fait ressortir que lesdits documents avaient un caractère strictement confidentiel, a pu décider sans encourir les griefs du moyen que le comportement de la salariée constituait une violation des obligations découlant de son contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis » ; cf encore
Soc.22 septembre 2009, n°08-41873⚖️ ; ou
Soc., 3 mars 2009, n° 07-43.222 : «⚖️ le transfert par le salarié à son domicile d'informations confidentielles appartenant à l'entreprise, sans justification professionnelle, rendait impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise et constituait une faute grave, peu important l'ancienneté de l'intéressé et sa crainte d'un licenciement pour motif économique » ; solution inverse dans l'arrêt, cité dans le mémoire ampliatif, qui relève des constatations des juges du fond exactement contraires à celles de notre espèce: « la consultation de dossiers archivés n'était pas inusitée et leur présence dans le bureau de la salariée était justifiée » :
Soc., 6 octobre 1998, n° 96-42.437⚖️). La chambre criminelle voit d'ailleurs dans la copie d'informations confidentielles pour un usage non professionnel (ce qui est nécessairement le cas quand les données ne relèvent pas des attributions de l'intéressée) un abus de confiance3. Dans les limites du contrôle restreint désormais exercé par la chambre sur la faute grave, la quatrième branche du moyen n'est en conséquence pas fondée. La 5e branche qui est inopérante doit être pareillement rejetée, par un arrêt non spécialement motivé comme proposé par votre rapporteur, la critique portant sur des motifs surabondants prétendument adoptés du jugement de départage du 30 juin 2020, relatifs non au motif du licenciement proprement dit mais à son contexte. ▸ Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi.
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Crim, 22 octobre 2014, n°13-82.630 : «⚖️ en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que le prévenu a, en connaissance de cause, détourné en les dupliquant, pour son usage personnel, au préjudice de son employeur, des fichiers informatiques contenant des informations confidentielles et mis à sa disposition pour un usage professionnel, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu'intentionnel, le délit d'abus de confiance, a justifié sa décision »
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