AVIS DE M. GAMBERT, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 1085 du 23 octobre 2024 (B) –
Chambre sociale Pourvoi n° 23-19.629⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Pau du 8 juin 2023 La société Orthograu Technologies C/ Mme [Y] [D] _________________
Audience FS1 du 24 septembre 2024
Faits et procédure Un rappel exhaustif des faits et de la procédure figurent au rapport auquel il convient de se reporter. Pourvoi Le pourvoi comprend deux moyens. Le premier moyen divisé en six branches reproche à l'arrêt d'avoir dit que le licenciement économique était dépourvu de cause réelle et sérieuse faute pour l'employeur d'avoir rempli son obligation de reclassement. Le second moyen porte sur le calcul du montant de l'indemnité de licenciement. Le rapport propose un rejet non spécialement motivé du premier moyen, pris en ses deux premières branches (obligation de prospection et périmètre du groupe de reclassement - charge de la preuve) qui ne sera pas discuté dans le présent avis.
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Discussion -A- Sur le premier moyen pris en ses troisième à sixième branches L'obligation de reclassement L'obligation de reclassement, qui pèse sur l'employeur en cas de licenciement pour motif économique, est d'origine jurisprudentielle. Elle a été reprise par le législateur et renforcée par le Conseil constitutionnel qui considère que ce droit au reclassement des salariés licenciés « découle directement du droit de chacun d'obtenir un emploi » (Cons.Const. 13/01/2005, n° 2004-509 DC). Le droit au reclassement est donc devenu un droit fondamental. Il impose à l'employeur une recherche loyale et approfondie d'emplois de substitution pour chaque salarié menacé de licenciement économique, dans l'entreprise ou dans les autres entreprises du groupe auquel elle est intégrée. L'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur est une obligation de moyens renforcée qui doit être exécutée de bonne foi, le cas échéant en adaptant le salarié aux attributions nouvelles que comporterait la possibilité de reclassement (
Soc. 17/02/1998, n° 95-45.261⚖️). Le droit au reclassement revêt une dimension individuelle qui ne se confond pas avec l'obligation d'élaborer un plan de reclassement dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi qui a lui une dimension collective. L'obligation de reclassement s'apprécie donc à deux niveaux : - d'une part à un niveau individuel, - d'autre part, le cas échéant, à un niveau collectif à l'aune du PSE. L'obligation de reclassement individuelle existe en amont du licenciement, le licenciement économique signe l'échec du reclassement. Aux termes de l'
article L. 1233-4 du code du travail🏛, dans sa rédaction issue de l'
ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017🏛 : « Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'
article L. 233-16 du code de commerce🏛. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
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L'employeur adresse de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. » L'obligation de reclassement implique pour l'employeur une obligation de prospection, et en cas de succès, une obligation de proposition. Le premier moyen pris en ses troisième à sixième branches, porte sur l'obligation de proposition, il pose la question de la précision des offres de reclassement proposées au salarié. Selon l'
article D. 1233-2-1 du code du travail🏛, dans sa rédaction modifiée par le
décret n° 2017-1725 du 21 décembre 2017🏛 : « I.-Pour l'application de l'article L. 1233-4, l'employeur adresse des offres de reclassement de manière personnalisée ou communique la liste des offres disponibles aux salariés, et le cas échéant l'actualisation de celle-ci, par tout moyen permettant de conférer date certaine. II.-Ces offres écrites précisent : a) L'intitulé du poste et son descriptif ; b) Le nom de l'employeur ; c) La nature du contrat de travail ; d) La localisation du poste ; e) Le niveau de rémunération ; f) La classification du poste. III.-En cas de diffusion d'une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise et les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. La liste précise les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste, ainsi que le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite. Ce délai ne peut être inférieur à quinze jours francs à compter de la publication de la liste, sauf lorsque l'entreprise fait l'objet d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire. Dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours francs à compter de la publication de la liste. L'absence de candidature écrite du salarié à l'issue du délai mentionné au deuxième alinéa vaut refus des offres. ». Ce texte prévoit donc la procédure que doit suivre l'employeur pour satisfaire à son obligation de proposer des offres « écrites et précises », il porte sur : - I - Les modalités de diffusion des offres (communication personnalisée ou de l'ensemble de la liste à tous les salariés sans présélection de l'employeur), - II - Le contenu des offres, en donnant une liste de six informations à apporter, - III - Le périmètre, les critères de départage en cas de diffusion d'une liste à tous les salariés concernés et le délai accordé pour répondre à la proposition. S'agissant du contenu (II), le texte reprend les règles dégagées par la Cour de cassation, antérieurement au décret n° 2017-1725 du 21 décembre 2017, qui considère
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que pour qu'une offre soit sérieuse, la proposition écrite doit indiquer les caractéristiques du poste offert. Le non-respect de l'exigence de précision des offres constitue une méconnaissance par l'employeur de son obligation individuelle de reclassement, qui n'est pas sanctionnée par la nullité de la procédure de licenciement ni par l'allocation de dommages-intérêts comme en matière d'absence d'information du salarié sur les critères d'ordre des licenciements, mais par le licenciement privé de cause réelle et sérieuse (
Soc. 20/09/2006, n° 04-45.703⚖️ ). S'agissant du niveau de rémunération, la chambre sociale a jugé que l'offre de reclassement devait indiquer le montant exact de la rémunération (Soc. 3/05/2009, n° 07-43.893) et non une fourchette de rémunération (
Soc. 28/09/2022, n° 21-13.064⚖️ ), ou comporter une mention relative au niveau de rémunération du poste (Soc.15/06/2022, n° 21-10.641 ). De même, le fait d'indiquer la localisation de l'emploi d'une offre de reclassement par la mention d'une région ne confère pas à cette offre la précision exigée par l'article L. 1233-4 du code du travail (cf Supra Soc. 28/09/2022, n° 21-13.064). Au stade de la recherche proprement dite, l'employeur n'est pas contraint par la loi quant à la méthode et à la démarche qu'il entend adopter, il dispose d'une certaine latitude et ne saurait être soumis à des obligations excessives. Dans un arrêt du 17 mars 2021 relatif à la pratique de la lettre circulaire, la chambre indique que les recherches de postes disponibles dans les sociétés du groupe, auquel appartient l'employeur qui envisage un licenciement économique collectif, n'ont pas à être assorties du profil personnalisé des salariés concernés par le reclassement (destinataires des offres) (
Soc. 17/03/2021, n° 19-11.114⚖️). Cependant l'employeur doit agir avec la volonté de préserver l'emploi du salarié, à cet effet il est incité à ne pas s'en tenir aux seuls postes correspondant à la qualification exacte du salarié, puisque la loi le soumet à une obligation de formation et d'adaptation du salarié, et même de reclassement “sur un emploi de catégorie inférieure”. En revanche, au stade de la proposition, pour éviter que l'employeur ne procède qu'à une tentative de reclassement formelle, les dispositions légales et réglementaires sont précises, elles détaillent le contenu de l'obligation mise à la charge de l'employeur. Ces propositions doivent apporter aux salariés un minimum d'informations sans lesquelles ils ne sauraient se décider en connaissance de cause. Il y a là une obligation de forme qui conditionne le respect de l'obligation de moyens renforcés qui pèse sur l'employeur. Au cas présent, l'offre de reclassement écrite proposée à la salariée le 12 juillet 2019 (prod. MA n° 5) indique : « Nous sommes à ce jour en mesure de vous proposer dans le cadre d'une offre de reclassement conformément à l'article L. 1233-4 du code du travail un poste de magasinière à [Localité 3] (12) avec reprise de votre ancienneté et au même niveau de rémunération ». A ce sujet l'arrêt de la cour d'appel observe que l'employeur, la société Orthograu Technologies, ne disposait pas d'établissement en ce lieu. Il constate que l'offre ne mentionne pas le nom de l'entreprise, son activité et la classification du poste. Il estime que la seule mention «au même niveau de rémunération» est très insuffisante pour permettre à la salariée de répondre valablement à cette offre. De ces constatations, il résulte que le contenu de la proposition ne répondait pas à toutes les conditions fixées par l'article D. 1233-2-1 du code du travail. Or, l'absence de
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plusieurs éléments d'informations essentielles exigées par le code du travail, sans que l'employeur puisse arguer de difficultés particulières pour les apporter, affecte le critère de précision de l'offre de telle sorte que l'employeur n'a pas respecté l'obligation de moyens renforcés qui pèse sur lui. Je conclus au rejet du moyen.
-B- sur le second moyen Selon l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛 : « Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous. » Pour un salarié ayant une ancienneté de 30 ans et au-delà, l'indemnité est comprise entre 3 mois et 20 mois de salaire brut. Le même article dispose dans son alinéa 4 que : « Pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9. ». Le salarié qui est licencié abusivement subit nécessairement un préjudice dont le juge apprécie l'étendue. Pour obtenir une indemnisation, le salarié n'a donc pas à prouver l'existence d'un préjudice (
Soc.13/09/2017, 16-13.578⚖️ ). Les montants minimaux et maximaux fixés par le barème sont exprimés en mois de salaire brut (
Soc, 15/12/2021, n° 20-18.782⚖️). S'agissant du montant du salaire brut de référence à prendre en considération l'ancien article L. 1235-3 ancien du code du travail ordonnait de prendre la moyenne des six derniers mois de salaire avant la rupture calculés sur la rémunération brute. Pour le calcul de l'indemnité de licenciement, l'
article R. 1234-4 du code du travail🏛 prévoit : « Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié : 1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ; 2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion. ». Depuis la réforme du 22 septembre 2017, l'article 1235-3 du code du travail ne donne aucune indication pour le calcul du salaire brut mensuel de référence, faisant présumer que le juge peut prendre comme salaire de référence, le salaire brut mensuel du dernier mois précédent le licenciement ou la moyenne des derniers mois selon la formule la plus avantageuse pour le salarié.
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La Cour de cassation considère également qu'à défaut de précision contraire, le montant de l'indemnité indiquée dans la décision de justice se lit en brut, avant déduction des cotisations salariales (
Soc. 03/07/2019, n°18-12.149⚖️). Dès lors que la somme est comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par le « barème Macron », les juges du fond apprécient souverainement l'existence et l'étendue du préjudice subi (
Soc. 18/10/2023, n° 22-12.462⚖️). La Cour de cassation exerce un contrôle de légalité qui consiste à vérifier que les juges du fond ont appliqué le barème prévu à l'article L. 1235-3 du code du travail (
Soc. 20/09/2023, n° 22-12.751⚖️). Enfin et en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, la chambre sociale rappelle que pour déterminer le montant de l'indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'
article L. 1234-9 du code du travail🏛 (
Soc.03/04/2024, n° 23-13.452⚖️). Au cas présent, le demandeur au pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir retenu un salaire de référence de 2.005€/mois ; ce qui correspondrait au montant du salaire brut de septembre 2019, prime d'ancienneté comprise ; alors que la moyenne des salaires bruts versés de septembre 2018 à septembre 2019 est de 1.893,97€. Or le texte de l'article L. 1235-3 du code du travail n'impose pas de retenir la moyenne des salaires brut de la dernière année de travail pour le calcul du salaire brut mensuel de référence. En retenant comme salaire de référence celui qui avait été effectivement perçu juste avant la rupture du contrat de travail et en fixant l'indemnité dans les limites déterminées par la loi, les juges du fond ont souverainement apprécié l'évaluation du préjudice conformément à la loi. Au surplus, si le juge peut tenir compte des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 1234-9 du code du travail, il ne s'agit que d'une faculté dont il dispose souverainement sans avoir à se justifier. Je conclus au rejet du second moyen.
Avis de rejet
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