Avis, Conclusions, 08-07-2022, n° 22-70.005
A86082RA
Référence
AVIS DE M. APARISI, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n°15008 du 8 juillet 2022 – Deuxième Chambre civile Pourvoi n° 22-70.005 Décision attaquée : Demande d'avis en date du 13 avril 2022 transmise par la cour d'appel de Paris
- M. [K] C/ - société JPSI (SAS) - société LBC (SAS) _________________
Audience en formation de section du 5 juillet 2022
Par un arrêt en date du 13 avril 2022, la cour d'appel de Paris a transmis une demande d'avis aux termes de laquelle elle a soumis deux questions à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation : 1° Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont-ils immédiatement applicables aux instances d'appel en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires ?
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2° Dans l'affirmative, une déclaration, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue-t-il l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, dès lors que la déclaration d'appel mentionne expressément l'existence d'une annexe, et ce, même en l'absence d'empêchement technique ? Les conditions de recevabilité de la demande d'avis, tant au fond, au titre de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, que sur la forme, au titre des articles 1031-1 et 1031-2 du code de procédure civile, paraissent remplies et n'appellent pas d'observation particulière.
- Les dispositions visées par la demande d'avis : Le décret du 25 février 2022 a modifié l'article 901 du code de procédure civile relatif à la déclaration d'appel en ajoutant au premier alinéa : “La déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe, contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité : 1° La constitution de l'avocat de l'appelant ; 2° L'indication de la décision attaquée ; 3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ; 4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. (...)” L'arrêté du 25 février 2022 est venu modifier l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel : - en complétant l'article 3 de ce dernier arrêté par l'alinéa suivant : « Lorsque ce fichier est une déclaration d'appel, il comprend obligatoirement les mentions des alinéas 1 à 4 de l'article 901 du code de procédure civile. En cas de contradiction, ces mentions prévalent sur celles mentionnées dans le document fichier au format PDF visé à l'article 4. » - en remplaçant les dispositions de l'article 4 de l'arrêté du 20 mai 2020 par : « Lorsqu'un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document. Ce document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier visé à l'article 3. Ce document est un fichier au format PDF, produit soit au moyen d'un dispositif de numérisation par scanner si le document à communiquer est établi sur support papier, soit par enregistrement direct au format PDF au moyen de l'outil 2
informatique utilisé pour créer et conserver le document original sous forme numérique. » Tant le décret que l'arrêté comportent un dispositif d'entrée en vigueur prévoyant l'application de ces dispositions “aux instances en cours”. Il en découle que les dispositions ont, par définition, vocation à s'appliquer aux instances d'appel en cours au lendemain de la publication de ces textes réglementaires, sans égard pour la date d'introduction de ces instances. Pour autant, ces dispositions peuvent-elles s'appliquer aux déclarations d'appel ellesmêmes, y compris lorsqu'elles leur sont antérieures ? Nous pensons devoir répondre par l'affirmative à cette question. Pour conclure en ce sens, peuvent être proposés deux raisonnements alternatifs, l'un principal, tiré des principes d'entrée en vigueur des textes en matière de procédure, l'autre subsidiaire, tiré du caractère interprétatif des nouvelles dispositions.
- L'application aux instances en cours : D'abord il doit être rappelé le principe ancien et constant selon lequel la loi ou le règlement nouveaux ne sauraient remettre en cause la validité d'actes de procédure régulièrement effectués sous l'empire d'anciens textes : “Vu les principes généraux du droit transitoire, selon lesquels, en l'absence de disposition spéciale, les lois relatives à la procédure et aux voies d'exécution sont d'application immédiate ; Cependant, si elles sont applicables aux instances en cours, elles n'ont pas pour conséquence de priver d'effet les actes qui ont été régulièrement accomplis, sous l'empire de la loi ancienne.” - Cour de cassation saisie pour avis, 22 mars 1999, pourvoi n° 09-90.005, Bulletin civil 1999, Avis, n° 2 Cela étant dit, si le principe de la prohibition de l'invalidation d'un acte antérieur par une loi ou un règlement paraît acquis, la règle inverse c'est à dire celle consistant à interdire à un nouveau texte de conférer à postériori une validité ou des effets à un acte antérieur dans une procédure encore en cours, ne ressort d'aucune disposition ou jurisprudence clairement identifiées. Ainsi, il a été retenu, assez récemment, que la faculté d'accorder un délai de trois ans au locataire pour apurer sa dette locative pouvait s'appliquer aux baux en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi édictant ce nouveau délai, “la loi nouvelle régissant immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées”1. De même, en matière de protection des personnes vulnérables, les dispositions encadrant les durées de renouvellement des mesures ont été appliquées aux mesures de protection prises initialement avant l'entrée en vigueur de la loi du 16 février 2015 et 1
Avis de la Cour de cassation, 16 février 2015, n° 14-70.011, Bull. 2015, Avis n°2 3
ce, en se fondant sur l'intention du législateur et le caractère plus protecteur du nouveau régime2. Sur un plan plus procédural, l'article 34 de la loi du 9 juillet 1991 relatif au régime de l'astreinte a été appliqué par la chambre sociale, aux demandes de liquidation en cours, y compris celles introduites avant la promulgation de ce texte, ce, au motif que : “le principe de non-rétroactivité des lois édicté par [l'article 2 du code civil] ne fait pas obstacle à l'application immédiate aux instances en cours de toute loi nouvelle relative à la procédure et aux voies d'exécution”3. Et il a déjà été jugé qu'un acte de procédure pouvait être apprécié à l'aune d'un texte procédural postérieur : “Attendu que les lois de procédure étant d'application immédiate, la cour d'appel n'était tenue de viser que les dernières conclusions de Mme Pionchon, lesquelles, selon l'article 954, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret no 98-1231 du 28 décembre 1998, devaient reprendre les prétentions et moyens précédemment invoqués, peu important que ceux-ci l'aient été, le 13 janvier 1997, antérieurement à la date d'entrée en vigueur du texte précité ;” - 1re Civ., 16 mars 2004, pourvoi n° 01-10.636 Ainsi, le principe de non rétroactivité de la loi énoncé à l'article 2 du code civil doit être bien circonscrit et bien compris lorsqu'il s'agit de l'appliquer dans le domaine de la procédure civile qui bénéficie à cet égard, d'un régime particulier. Comme l'observe Sophie Gaudemet (Art. 2 - Fasc. 20 : Application de la loi dans le temps. - Le juge et l'article 2 du Code civil - in Jurisclasseur civil) : “La solution a été classiquement justifiée par l'idée que l'instance, qui se distingue du rapport de droit substantiel, est à l'origine d'une « nouvelle situation juridique, qui est le litige lui-même » (P. Roubier, préc. n° 6, spéc. n° 101, p. 545)”. Appliquer à une procédure en cours des dispositions nouvelles ne confère ainsi aucune rétroactivité à ces dernières mais revient à leur conférer un effet immédiat, lequel peut impliquer d'apprécier un acte réalisé sous l'empire du droit antérieur, à la lumière du droit nouveau dès lors que cet acte n'a pas d'ores et déjà épuisé ses effets, ce qui est le propre d'un acte introductif d'instance tant que l'instance est toujours en cours (a contrario, une déclaration d'appel dont la nullité a été constatée ne saurait être réhabilitée au prétexte d'un changement de textes ultérieur à ce constat). Ainsi, sous la réserve importante de la préservation des droits acquis, il s'agit seulement, pour le juge, d'appliquer les textes en vigueur au jour où il statue, à l'instance en cours, c'est à dire à une situation juridique qui, par hypothèse, n'est pas encore figée et ne l'est pas tant qu'il n'a pas statué4. En ce sens, il pourrait d'ailleurs être considéré que le principe de non remise en cause d'un acte établi conformément au droit antérieur par la loi nouvelle ne répond pas tant à une exigence de non rétroactivité des lois qu'à un principe de protection des droits acquis (sécurité juridique) : autrement dit, à cet égard, l'application immédiate des lois 2
1re Civ., 15 juin 2017, pourvoi n° 15-23.066, Bull. 2017, I, n°145
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Soc., 19 octobre 1999, pourvoi n° 97-42.451
A rapprocher du principe énoncé à l'article L. 221-4 du code des relations entre le public et l'administration qui pose en réalité un principe similaire : “Sauf s'il en est disposé autrement par la loi, une nouvelle réglementation ne s'applique pas aux situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur ou aux contrats formés avant cette date”. 4
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de procédure, y compris à des actes antérieurs, ne constitue pas une exception au principe de non rétroactivité mais uniquement la mise en oeuvre du principe d'application immédiate des lois de procédure. En l'espèce, d'ailleurs, à défaut, que signifierait : “applicable aux instances en cours” s'agissant des dispositions qui n'affectent en réalité que l'acte qui donne naissance à l'instance d'appel ? Sur ce point en effet, la difficulté résulte de ce que toutes les instances en cours au jour de la publication du décret et de l'arrêté du 25 février 2022, l'ont été par des actes d'appel qui leur sont nécessairement antérieurs. En d'autres termes : - soit l'on fait prévaloir l'antériorité de la déclaration d'appel pour exclure l'application de la réforme et l'on vide alors le dispositif d'entrée en vigueur de son contenu : en pratique, les nouvelles dispositions ne s'appliqueront qu'aux déclarations d'appel postérieures et donc, elles ne s'appliqueront en fait pas aux instances en cours à la publication du décret ; - soit l'on donne son plein sens aux dispositions transitoires et alors, il faut bien appliquer la réforme aux déclarations d'appel ayant ouvert une instance encore en cours à la date de publication du décret, c'est à dire, aux déclarations d'appel antérieures. Au total, si l'on retient en l'espèce que la réforme permet la prise en compte de l'annexe à la déclaration d'appel pour apprécier l'étendue de l'effet dévolutif de l'appel et ne remet donc en cause aucun droit acquis puisque, au contraire, elle assure un accès plus effectif au juge d'appel, alors il paraît conforme tant aux dispositions transitoires du décret et de l'arrêté, qu'aux principes d'application immédiate des dispositions nouvelles de procédure, d'apprécier la portée des déclarations d'appel antérieures à ces dispositions, dès lors qu'elles ont introduit des procédures d'appel encore en cours à la date de leur entrée en vigueur. C'est, au demeurant, la conclusion à laquelle parvient très clairement le Professeur Nathalie Fricero qui aborde explicitement la question (Dalloz Actualité du 8 mars 2022) : “Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire et modifiant certaines dispositions et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, sont entrés en vigueur le lendemain de leur publication (soit le 27 février 2022) et sont applicables aux instances en cours (ce qui régularise les déclarations d'appel antérieures dès lors que l'instance est en cours et que la déclaration d'appel renvoyait expressément au fichier joint listant les chefs du jugement).” Et, enfin, cette conclusion paraît rejoindre la position des praticiens, tant du côté des juridictions d'appel que du côté des avocats, qui, selon les amicii curiae entendus dans le cadre de la présente procédure d'avis, appliquent très majoritairement les nouveaux textes y compris aux déclarations d'appel antérieures, sans d'ailleurs que cette question n'ait apparemment fait l'objet de débats ou de discussions particulières devant les juridictions de fond ou même en leur sein.
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- Le caractère interprétatif des nouveaux textes : A titre subsidiaire, l'approche fondée sur le caractère interprétatif des nouveaux textes permet de conclure dans le même sens. La troisième chambre civile dans un arrêt du 27 février 2002 propose la définition suivante de la loi interprétative : “Attendu qu'une loi ne peut être considérée comme interprétative qu'autant qu'elle se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverses ;” - 3e Civ., 27 février 2002, pourvoi n° 00-17.902, Bulletin civil 2002, III, n° 53, Et, selon la doctrine : “On admet traditionnellement que le caractère interprétatif d'une loi tient à la réunion de deux éléments : d'une part, l'existence d'une controverse préalable sur le sens de la loi interprétée, d'autre part, l'absence de nouveauté de la loi interprétative. Le juge veille cependant aux qualifications abusives ; il rétablira au besoin l'effet immédiat de la loi.” - Répertoire de procédure civile - Conflits de lois dans le temps – Droit commun du conflit : l'article 2 du code civil – Caroline Malpel-Bouyjou Il convient donc de s'interroger sur l'application de ces principes au cas d'espèce en observant tout d'abord que, si la doctrine parle plus généralement et plus volontiers de la “loi” interprétative, il convient de prendre ce terme au sens large, le caractère interprétatif de textes réglementaires ayant déjà été consacrés ou admis par la jurisprudence, tant administrative5 que judiciaire6. Ensuite, il ne peut qu'être constaté que la possibilité d'adjoindre une annexe à la déclaration d'appel a été admise avant l'adoption des textes du 25 février 2022 qui n'ont donc pas ici introduit une possibilité nouvelle pour les plaideurs. C'est ainsi que la circulaire publié le 4 août 2017 7 par la Direction des affaires civiles et du Sceau affirmait déjà : “Dans la mesure où le RPVA ne permet l'envoi que de 4080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d'appel une pièce jointe la complétant afin de lister l'ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie Cités par : Circulaires et légalité – Bertrand Seiller – RFDA 1997. 1218 : CE, Sect., 12 mars 1965, Fédération des chambres syndicales de négociants importateurs de la métallurgie et de la mécanique, Rec., p. 165 ; JCP 1966.II.14771, concl. Braibant ; CE, Sect., 26 avr. 1978, Comité d'entreprise de la société nationale de télévision en couleur « Antenne 2 », Rec., p. 186 ; AJDA 1978, p. 502, concl. Massot ; D. 1979, p. 308, note F. Chevallier ; Dr. soc. 1979, p. 43, note J.-Y. Plouvin 5
Voir, par exemple : Soc., 8 février 1961, pourvoi n° , N° 172, 2e Civ., 9 novembre 1971, pourvoi n° 70-11.933, Bulletin des arrêts Cour de Cassation Chambre civile 2 N 303 P222 6
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Circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n°2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, modifié par le décret n°20171227 du 2 août 2017 6
numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d'appel. L'attention du greffe et de la partie adverse sur l'existence de la pièce jointe pourra opportunément être attirée par la mention de son existence dans la déclaration d'appel.” Il est intéressant d'observer que, pour la Chancellerie, administration qui se trouve à l'origine de la quasi totalité des textes de procédure civile, la possibilité d'annexer un document listant “l'ensemble des points critiqués du jugement” était alors envisagée à droit constant, sans encadrement juridique particulier ni sanction procédurale spécifique. Il peut être en outre relevé que la condition d'utilisation de l'annexe était en réalité ambiguë car la formule : “dans la mesure où le RPVA ne permet l'envoi que de 4080 caractères” peut renvoyer aussi bien à une condition restrictive à apprécier dans chaque cas, qu'à une considération d'ordre général sur les limites du dispositif technique qui justifie la possibilité de recourir à l'annexe sans que l'on soit contraint de déterminer le nombre de caractères employés dans la déclaration d'appel proprement dite ou, plus précisément, dans le cadre ou fenêtre informatiques consacrés à cette information8. Quoiqu'il en soit, il a fallu attendre l'arrêté technique du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel pour conférer un statut à cette annexe, sous le vocable de : “la pièce jointe” (article 8 de l'arrêté) : “Le message de données relatif à une déclaration d'appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d'appel, de même que leur édition par l'avocat tient lieu d'exemplaire de cette déclaration lorsqu'elle doit être produite sous un format papier.” A cette date, ni le code de procédure civile, ni cet arrêté ne posaient de condition explicite à l'usage de l'annexe comme en témoigne l'emploi de l'expression : “le cas échéant” qui sera d'ailleurs reprise ensuite pour être intégrée à l'article 901 du code de procédure civile par le décret du 25 février 2022. Par ailleurs, aucune sanction n'était davantage spécifiquement prévue. C'est l'arrêt rendu par la deuxième chambre le 13 janvier 2022 qui posera un cadre procédural à l'usage de l'annexe à la déclaration d'appel : “Il résulte de la combinaison des articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ainsi que des articles 748-1 et 930-1 du même code, que la déclaration d'appel, dans laquelle doit figurer l'énonciation des chefs critiqués du jugement, est un acte de procédure se suffisant à lui seul.
Pour un aperçu du formulaire informatique avec son mode d'emploi (site du CNB) : - mode d'emploi déclaration d'appel 8
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Cependant, en cas d'empêchement d'ordre technique, l'appelant peut compléter la déclaration d'appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.” - 2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.516 Cette jurisprudence a donné lieu, ainsi que le rappelle le rapport, à une assez vive réaction de la doctrine, ainsi qu'à l'intervention du Conseil national des barreaux auprès du garde des Sceaux, lequel, dans un courrier daté du 18 janvier 2022 9, rendu public par cette instance professionnelle, faisait valoir que : “Cette décision censure ainsi la pratique des avocats consistant, en raison de la limite des 4080 caractères sur le RPVJ, à annexer à la déclaration d'appel un document listant les chefs de jugements attaqués. C'est ainsi que désormais, lorsque la motivation [sic] de la déclaration d'appel dépasse les 4080 caractères, il faut préciser, dans l'encart des 4080 caractères, qu'une annexe précisant les chefs de jugement critiqués est jointe à la déclaration d'appel du fait du dépassement des 4080 caractères. En-dessous des 4080 caractères, la Cour n'est pas saisie des chefs de jugement qui sont mentionnés dans la pièce jointe. Cette solution est déplorable pour la profession d'avocat, d'autant plus que la Cour de cassation ne reporte pas les effets dans le temps de son arrêt, qui est donc rétroactif [sic]. ” Ce courrier revendiquait une intervention du ministère de la justice, laquelle s'est manifestée dans les décret et arrêté du 25 février 2022. Au total, il en ressort que la possibilité d'adjoindre une annexe n'est pas apparue avec ces textes mais existait bien en droit positif et dans la pratique avant ces réformes qui, de ce point de vue, n'ont pas modifié l'ordonnancement juridique. Il en ressort également qu'il existait une divergence d'appréciation des textes en vigueur s'agissant des modalités d'utilisation de cette annexe entre la doctrine, les praticiens et la Cour de cassation, laquelle a justifié l'intervention du pouvoir réglementaire aux fins d'une “clarification de la déclaration d'appel10” dont il est admis par une doctrine majoritaire qu'elle vient en quelque sorte, neutraliser les effets de la jurisprudence du 13 janvier 2022 s'agissant des conditions d'utilisation de l'annexe en imposant une interprétation plus souple des textes en vigueur. A cet égard, la technique de rédaction mise en oeuvre dans la réforme et qui s'est traduite par l'ajout de l'expression : “le cas échéant” traduit bien en réalité la permanence des textes. L'ambiguïté de l'expression peut en effet irriter s'agissant d'une réforme dont l'objectif annoncé est de clarifier les textes alors que sa double interprétation possible, abstraction faite du contexte et de l'intention de l'auteur de la réforme, rend en réalité 9
Courrier du 18 janvier 2022 adressé par Monsieur le Président du Conseil national des barreaux au Garde des Sceaux 10
DACS infoflash du 28 février 2022 8
cette dernière compatible y compris avec la jurisprudence qu'elle est réputée venir combattre11. Mais elle témoigne aussi de ce que le gouvernement n'a pas entendu, par cette réforme, créer une nouvelle norme procédurale mais bien ouvrir la porte à une nouvelle interprétation des textes existant. Il peut donc en être déduit que le décret du 25 février 2022 a une dimension interprétative visant à revenir, au moins partiellement, sur la jurisprudence de la deuxième chambre civile12.
S'agissant plus particulièrement de l'arrêté du 20 mai 2020 modifié par l'arrêté du 25 février 2022, il convient de souligner que ses dispositions ne se situent pas au même niveau, au sein de la hiérarchie des normes, que les textes de procédure civile stricto sensu figurant dans le code de procédure civile adopté aux termes du décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975 instituant un nouveau code de procédure civile, lequel a été pris après avis du Conseil d'Etat. Par ailleurs, cet arrêté ayant été pris en application des articles 748-6 et 930-1 du code de procédure civile qu'il vise expressément, les règles qu'il édicte ont une portée limitée au champ d'application prévu par ces articles, c'est à dire : définir les conditions dans lesquelles les procédés techniques utilisés garantissent “la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d'établir de manière certaine la date d'envoi et, celle de la mise à disposition ou celle de la réception par le destinataire”. Autrement dit, l'arrêté ne saurait être lu ou interprété comme fixant des normes procédurales nouvelles ou supérieures par rapport à celles contenues dans le code de procédure civile en général ou l'article 901 de ce code, en particulier, et ce, notamment sur le contenu formel de l'acte procédural correspondant à la déclaration d'appel 13.
Voir article cité au rapport de C. Lhermitte : « l'ajout ne sert à rien » in Procédure d'appel : une mini réforme pour un maxi bazar procédural ? Christophe LHERMITTE, Dalloz actualité 2022, 03 mars 2022. 11
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RTD Civ. 2004 p.341 - Le droit à une législation figée ? - Professeur Philippe Théry : “L'interprétation par le juge est naturelle mais aussi opportune, parce qu'il est matériellement impossible au législateur de prendre en charge toutes les difficultés d'interprétation. Mais, cette concession à la commodité ne pouvait interdire au législateur de recourir aux lois interprétatives. Après tout, le nouveau code de procédure civile, malgré la règle du dessaisissement, permet au juge d'interpréter ses décisions avec les mêmes limites que celles données aux lois interprétatives : donner le sens sans rien modifier. Si l'on admet que le juge peut interpréter des jugements obscurs, pourquoi le législateur ne pourrait-il le faire pour des lois mal faites ?” A rapprocher de l'arrêt rendu le 26 septembre 2019 par la deuxième chambre civile dans lequel la deuxième chambre a rappelé, au moins implicitement, la prééminence du décret sur l'arrêté (18-14.708), affaire soumise ensuite à la Cour européenne des droits de l'Homme qui n'a d'ailleurs pas remis en cause cet aspect de la décision ( CEDH - Lucas c France, 9 juin 2022, requête 15567/20 ). 13
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Ainsi, et à titre de comparaison, l'arrêté du 20 mai 2020 ne saurait avoir d'impact procédural supérieur, pour apprécier la validité de la déclaration d'appel, que n'en a, par exemple, l'arrêté du 7 février 2007 modifié, fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux, sur les notifications par lettres recommandées avec accusés de réception. Au demeurant et en tout état de cause, la modification apportée par l'arrêté du 25 février 2022 à l'arrêté du 20 mai 2020 se contente ici aussi de traduire, dans ce texte, un mode d'emploi ou un processus qui était en réalité déjà en vigueur auparavant et qui correspond aux modalités de saisine informatique de la déclaration d'appel dans l'application correspondante14. Il faut d'ailleurs et de façon plus générale, se garder de transposer dans le domaine de la communication par voie électronique, les raisonnements appliqués aux échanges procéduraux matérialisés. Dans ce dernier cas, il existe en effet, un acte composé éventuellement de plusieurs feuillets mais présentant une certaine unité et se suffisant à lui seul. Il y a dans cette hypothèse, une sorte d'identité formelle entre l'acte et sa présentation physique. Au contraire, lorsqu'il est dématérialisé, l'acte procédural correspond en réalité à un ensemble de fichiers informatiques ou informations saisis successivement sur l'application idoine : la déclaration d'appel est alors, en quelque sorte, démembrée ou décomposée en fonction des différentes étapes de saisine de son auteur et correspondra à l'agrégation des informations saisies successivement dans l'application. Ainsi, dans l'application est notamment identifiée une “zone” ou “fenêtre” intitulée : “objet, portée de l'appel”, qui permet à l'avocat de saisir les chefs du jugement expressément critiqués dans les limites que nous connaissons (4080 caractères devenus 8000 caractères entre temps). Mais cette “zone” n'est pas à elle seule la déclaration d'appel. C'est d'ailleurs ce que traduit concrètement l'article 8 de l'arrêté : “Le message de données relatif à une déclaration d'appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d'appel, de même que leur édition par l'avocat tient lieu d'exemplaire de cette déclaration lorsqu'elle doit être produite sous un format papier.” C'est dans ce contexte qu'il convient de lire les modifications apportées par l'arrêté du 25 février 2022 à l'arrêté du 20 mai 2020 dont la portée doit être limitée à celle de l'explicitation d'un mode opératoire informatique de valeur infra procédurale. En outre et en tout état de cause, s'agissant de la nécessité de mentionner l'annexe ou pièce jointe dans “l'acte”, c'est à dire en réalité, dans la fenêtre de l'application intitulée : “objet, portée de l'appel” qui constituera le fichier XML visé à l'article 3 de l'arrêté technique (puisque, in fine, comme nous venons de le voir, l'acte procédural sera en Voir à cet égard, le mode d'emploi mis en ligne par le CNB sur son site internet qui reprend et détaille de façon très pédagogique ces différentes étapes successives : - mode d'emploi déclaration d'appel 14
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réalité constitué de l'ensemble des informations saisies et des annexes elles-mêmes!), il ne s'agit pas davantage d'un apport de la réforme ou d'une obligation nouvelle puisque, précisément, elle est déjà énoncée dans l'arrêt du 13 janvier 2022. En conclusion de ces développements, il apparaît que les dispositions des décret et arrêté du 25 février 2022 n'ont en définitive modifié le droit positif qu'en ce qu'elles ont pris, s'agissant du statut de l'annexe, le contre-pied de l'analyse des textes en vigueur telle que posée par la deuxième chambre civile dans son arrêt du 13 janvier 2022, de sorte que cette réforme peut aussi être analysée comme une réglementation interprétative conférant aux déclarations d'appel qui lui sont antérieures, une portée procédurale des textes conforme à l'interprétation qu'en fait le pouvoir réglementaire en les conciliant aux contraintes techniques d'un dispositif dont il est par ailleurs l'architecte et le maître d'oeuvre et dont il doit répondre.
- L'usage de l'annexe à la déclaration d'appel : Ainsi qu'il a été vu, l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 13 janvier 2022 paraît limiter doublement l'emploi de l'annexe à la déclaration d'appel : - d'une part, en conditionnant le recours à cette dernière à la démonstration d'un empêchement d'ordre technique, - d'autre part, en cantonnant son contenu à un complément de la déclaration d'appel. Le décret confère un statut procédural à l'annexe jointe, “le cas échéant”, à la déclaration d'appel. Si l'expression : “le cas échéant” est certes ambiguë et pourrait être comprise comme renvoyant à une condition d'utilisation de l'annexe, force est de constater, d'abord, qu'aucun texte ne précise en réalité, en tout cas explicitement, quelle serait cette condition d'utilisation : ainsi si le caractère “d'annexe” du document le confine certes à un rôle limité d'accessoire à l'acte d'appel proprement dit, aucune norme ne vient subordonner son usage à une difficulté technique ou aux limites de l'application informatique. En outre, le contexte dans lequel le décret a été adopté suggère, assez naturellement, et c'est ainsi que l'ensemble de la doctrine et les praticiens paraissent également l'avoir compris, que l'ajout de cette expression vise, dans les faits, à prendre le contre-pied de l'arrêt du 13 janvier 2022, de telle sorte qu'en réalité, l'expression renvoie non pas à une condition d'utilisation mais bien à une simple éventualité ou faculté dont on pourrait d'ailleurs estimer qu'elle n'est pas simplement due aux limites du nombre de caractères offert par le formulaire informatique mais, est probablement également imputable au caractère malcommode de l'application qui ne permet pas, par exemple, le même contrôle de la mise en page qu'un document sous format PDF intégralement produit par l'avocat déclarant, ainsi qu'il ressort de l'audition des représentants de la profession dans le cadre de l'amicus curiae pratiqué par la deuxième chambre dans la présente affaire. Le recours à l'annexe, encouragé par l'administration, paraît donc être justifié par les limites techniques du dispositif comprises au sens large, ces limites justifiant à ellesseules un large recours à l'annexe dès lors que le dispositif de la décision entreprise 11
est un peu long et complexe (nombre de parties, contentieux familial, liquidation de préjudice corporel, construction, etc.). Dit autrement : la déclaration d'appel peut donc parfaitement être accompagnée d'une annexe et ce, même en l'absence d'empêchement technique spécifique démontré au cas d'espèce ou tenant au nombre de caractères nécessaires pour énoncer les chefs de dispositif de la décision entreprise. Et si cette “annexe” est mentionnée dans “l'acte d'appel”, conformément à la jurisprudence posée par la chambre le 13 janvier 2022, reprise par l'arrêté du 25 février 2022, et comporte les chefs de dispositif du jugement critiqués, alors la déclaration d'appel transmise électroniquement entrera parfaitement dans les prévisions de l'arrêté du 20 mai 2020 modifié, plus particulièrement pris en ses articles 3, alinéa 2, et 4, alinéa 1er. Ainsi une déclaration à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue, à n'en plus douter, un acte d'appel conforme à l'article 901 du code de procédure civile et il devrait dés lors emporter effet dévolutif. Enfin, s'il paraît préférable de faire figurer dans le formulaire RPVJ, explicitement, la mention de l'annexe, demeure toutefois posée la question de la sanction de l'absence de cette mention, même si ce point n'est pas directement abordé par la demande d'avis. En effet, en considération de la jurisprudence récente de la cour européenne des droits de l'Homme, exprimée dans l'arrêt “Lucas contre France”15, la sanction consistant à considérer que la cour d'appel n'est saisie d'aucun des chefs de jugement mentionnés dans l'annexe (et donc d'aucun chef s'ils s'y trouvent tous récapitulés), c'est à dire, en pratique, à interdire à l'appelant d'exercer son droit de recours, pourrait être jugée comme non proportionnelle. La justification principale de cette mention repose sur le principe du contradictoire et la loyauté procédurale qui exigent une certaine transparence et information de l'appelant à l'égard de l'intimé. Plus précisément, l'objectif de cette mention est d'attirer l'attention de l'intimé de ce que la portée de l'appel est susceptible d'être précisée dans un document qui n'est pas nécessairement et immédiatement accessible pour être seulement annexé à la déclaration d'appel, étant toutefois observé qu'en principe, le greffe devrait désormais
Arrêt Lucas contre France : “S'il ne lui appartient pas de remettre pas en cause le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation pour infirmer la solution retenue par la Cour d'appel de Douai (paragraphes 49 50 ci-dessus), la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l'application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité du procès. Or, elle considère, dans les circonstances de l'espèce, que les conséquences concrètes qui s'attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l'obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d'appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s'était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d'un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n'imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif.” 15
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adresser cette annexe avec la déclaration d'appel proprement dite, conformément aux articles 902 du code de procédure civile et 8 de l'arrêté technique du 20 mai 2020. A ce stade de cette procédure soumise à représentation obligatoire, l'enjeu principal pour l'intimé est ainsi de déterminer s'il doit ou non constituer avocat et, ce faisant, prendre part ou non, à l'instance d'appel. Et, à cette fin, il est certes utile pour lui d'évaluer ce besoin en fonction de la portée du recours auquel il doit faire face. Néanmoins, il peut en pratique, constituer avocat jusqu'à l'expiration du délai de deux mois pour conclure, laissé à l'intimé par l'article 909 du code de procédure civile, lequel délai court à compter de la signification des conclusions de l'appelant, à la personne même de l'intimé s'il n'a pas encore constitué avocat. Force est d'admettre que ces conclusions renseigneront en réalité l'intimé sur la portée et l'objet de l'appel bien plus explicitement que la déclaration d'appel elle-même. Dans ces conditions, et considérant que l'intimé aura été informé de l'existence d'un appel et, par le biais des conclusions d'appelant, de la portée et de l'objet de l'appel, il paraît d'autant plus sévère de sanctionner le défaut de mention de l'annexe que, d'une part, l'annexe devrait être portée à sa connaissance, avec la déclaration d'appel ellemême, transmise par les soins du greffe, d'autre part, le défaut de mention n'emporte en lui-même que peu de conséquences pour l'intimé qui pourra en tout état de cause se constituer à la lecture des conclusions de l'appelant et jusqu'à l'expiration de son délai pour conclure. Quoiqu'il en soit et en conclusion, il convient donc de répondre positivement aux deux questions transmises par la cour d'appel de Paris.
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