Cass. soc., Conclusions, 26-10-2022, n° 20-17.501
A85612RI
Référence
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AVIS DE Mme WURTZ, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 1121 du 26 octobre 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 20.17-501 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 20 mai 2020 _________________
M. [J][V] C/ M. [G][H]
1- FAITS ET PROCÉDURE Engagé en qualité de peintre par Monsieur [V], à compter du 1er juillet 2010, Monsieur [G] [H] a été placé en arrêts de travail successifs pour maladie à compter du 30 mai 2017, puis pour maladie professionnelle à compter du 24 novembre au 22 décembre 2017, arrêt prolongé jusqu'au 19 janvier 2018. Par lettre du 13 novembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable à licenciement pour motif économique fixé au 21 novembre, puis différé au 27 novembre 2017. Son licenciement lui a été notifié pour motif économique par lettre recommandée du 6 décembre 2017 avec dispense d'exécuter le préavis.
Le 18 décembre le médecin du travail, dans le cadre d'une visite de reprise, a déclaré l'intéressé inapte définitivement à son poste de peintre. M. [V] a définitivement cessé son activité et a été radié du registre des métiers le 31 décembre 2017. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour voir annuler son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes. Par arrêt infirmatif, la cour d'appel a prononcé la nullité du licenciement et a condamné l'employeur à payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts, rappel d'indemnités et de salaires. C'est l'arrêt attaqué par le pourvoi fondé sur un moyen unique de cassation articulé en trois branches tirées : - d'un manque de base légale de l'arrêt au regard des articles L.1132-1, L.1233-3 et L.1235-3-1 du code du travail faute d'avoir recherché « si la circonstance que dès le 13 novembre 2017, l'employeur avait convoqué le salarié à un « entretien préalable à un licenciement économique » fixé au 21 novembre suivant, qu'à la suite d'une erreur de distribution de La Poste, le courrier avait été reçu moins de 5 jours ouvrables avant l'entretien, de sorte que l'employeur avait convoqué, par lettre du 20 novembre, le salarié à un nouvel « entretien préalable à un licenciement économique » le 27, avant de lui notifier, le 6 décembre, son licenciement économique pour cessation totale d'activité de l'entreprise au 31 décembre 2017, n'établissait pas que cette cessation d'activité constituait la cause du licenciement , d'autant qu'il résultait de ses propres constatations que c'était seulement postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement pour motif économique que, le 24 novembre 2017, le salarié avait adressé à l'employeur un arrêt de travail pour maladie professionnelle, l'avait informé le 28 novembre d'une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l'assurance maladie et qu'il avait pris l'attache de la médecine du travail pour une visite de reprise;« ( 1ère branche) - une violation des articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail en « ayant retenu que le licenciement du 6 décembre 2017 était nul car lié à l'état de santé du salarié, sans avoir constaté, d'abord, que M. [G] [H] présentait des éléments laissant présumer qu'il avait été licencié en raison de son état de santé et, dans l'affirmative, sans avoir vérifié si l'employeur ne justifiait pas que le licenciement était objectivement justifié, comme il le soutenait, par la cessation d'activité de l'entreprise au 31 décembre 2017 » ( 2ème branche) - un manque de base légale au regard des articles L.1132-1, L.1233-3 et L.1235-3-1 du code du travail qu'en « se fondant sur les circonstances qu'au moment de la notification du licenciement pour motif économique, le 6 décembre 2017, l'employeur était informé d'une demande de reconnaissance de maladie professionnelle par le salarié et que le médecin du travail était saisi par celui-ci en vue d'une visite de reprise, et que « l'employeur disposait d'éléments suffisants lui permettant de retenir que l'état de santé du salarié pourrait faire l'objet d'une inaptitude en lien avec l'activité professionnelle », quand ces éléments étaient inopérants pour en déduire
3 que « le véritable motif du licenciement était lié à l'état de santé du salarié » et non à la cessation définitive d'activité au 31 décembre 2017, d'autant qu'elle relevait par ailleurs que l'employeur « n'était pas informé du caractère professionnel de l'inaptitude envisagée » et n'avait pas connaissance de l'imminence d'un avis d'inaptitude pour origine professionnelle » (troisième branche)
2- DISCUSSION Le licenciement pour cessation définitive d'activité de l'employeur, engagé et notifié antérieurement à la déclaration d'inaptitude du salarié à son poste mais au cours d'une demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle dont l'employeur a été informé en cours de procédure peut-il être analysé comme discriminatoire ? Office du juge saisi d'une contestation de la cause véritable de licenciement.
2-1 Le double motif de licenciement, articulation des régimes : une jurisprudence nuancée S'il est admis que peuvent coexister un motif personnel et un motif économique de licenciement, les juges doivent rechercher le motif qui a été la cause première et déterminante de la rupture 1.
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Soc.10 octobre 1990, n°87-45.366
Cependant, la chambre sociale juge que la mise en oeuvre d'un licenciement économique du fait de la cessation d'activité de l'employeur ne peut lui permettre d'éluder le régime de protection du salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail 2, y compris lorsque cette déclaration d'inaptitude n'est que temporaire 3, voire même seulement « en germe» lorsque l'intéressé est placé en invalidité deuxième catégorie au sens de la sécurité sociale : « Dès lors qu'il a connaissance du classement en invalidité deuxième catégorie d'un salarié au moment d'engager la procédure de licenciement pour motif économique ou pendant son déroulement, l'employeur est tenu, après avoir fait procéder à une visite de reprise, de lui proposer une offre de reclassement qui prenne en compte les préconisations du médecin du travail exprimées à l'issue de cette visite » 4. En dehors de la seule exception prévue à l'article L.1133-3 du code du travail qui précise que « Les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées », le licenciement prononcé en raison de l'état de santé d'un salarié est nul en application de l'article L.1132-1 du code du travail 5 : « Vu les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, ensemble l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; Attendu qu'en application des dispositions des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de son état de santé est nul ; que, dès lors qu'il caractérise une atteinte au droit à la protection de la santé, garanti par l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction et le jugement constatant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou revenus de remplacement pendant cette période ; » 6 .
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Soc. 14 mars 2000, Bull.V n° 103 ; Soc. 7 mars 2007, n°05-43.872, formation plénière
Soc. 29 mai 2013, n°12-15.313 s'agissant d'un salarié licencié pour motif économique entre deux visites de constat d'inaptitude 3
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Soc.5 décembre 2012, n°10-24.203
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Soc. 26 mai 2004, n° 02-41.325, P+B ; Soc.11 juillet 2012, n°10-15.905 ; 7 mars 2012, n°1015.223 6
Soc.29 mai 2013, n° 11-28.734
5 « Mais attendu qu'ayant relevé que le licenciement de la salariée avait été prononcé notamment en raison du placement en invalidité de celle-ci, la cour d'appel en a exactement déduit que ce licenciement était nul en application de l'article L. 1132-1 du code du travail ; que le moyen, qui critique des motifs surabondants, est inopérant ; »7 Comment articuler ces principes en présence d'une cessation d'activité définitive de l'employeur qui constitue un motif légitime de rupture ? En effet, selon une jurisprudence constante « la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement, sans qu'il soit nécessaire de rechercher la cause de cette cessation d'activité quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de l'employeur » 8. Et l'article L.1233-3 modifié par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, consacre expressément la cessation d'activité de l'entreprise comme un motif économique de rupture autonome. Par ailleurs, s'agissant d'un salarié licencié le lendemain de sa déclaration d'inaptitude, la chambre sociale, confirmant le principe posé par un arrêt du 9 décembre 2014 9 et du 4 octobre 2017 10 a précisé que « repose sur un motif réel et sérieux le licenciement économique d'un salarié déclaré inapte dès lors que le motif économique du licenciement, non remis en cause par le salarié, ressortissait à la cessation définitive de l'activité de la société et qu'il n'était pas prétendu que la société appartenait à un groupe, ce dont se déduisait l'impossibilité de reclassement » 11. Commentant cet arrêt Matthieu Babin, écrit : « L'approche adoptée ici par la Cour de cassation est non seulement fine et pragmatique mais généralisable. Elle consiste à procéder en deux temps. D'abord la Cour s'intéresse au point de savoir si le motif économique retenu par l'employeur était contestable en lui même, dans sa réalité et son sérieux : tel n'est pas le cas, le salarié ne contestant pas le motif économique en lui même. La cessation d'activité, totale et définitive, n'était pas contestée dans sa 7
Soc. 20 décembre 2017, n° 12-19.886
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Soc. 16 janvier 2001, n° 98-44647, Bull. V n° 10 ;Soc. 31 janvier 2012, n° 10-19424 ; Soc. 10 mai 2012, n° 11-14463 ; Soc. 27 novembre 2013, n° 12-22857 ; Soc. 2 juillet 2014, n° 1224624 cités dans le mémoire ampliatif 9
Soc.9 décembre 2014, n° 13-12.535
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Soc. 4 octobre 2017, n° 16-16.441, Bull.V n°168
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Soc. 15 septembre 2021, n° 19-25.613
matérialité ; or il s‘agit, on le sait, d'un motif autonome déterminé par la loi ( C.trav, art. L.1233-3). Et il n'était pas soutenu non plus que le véritable motif du licenciement, dans l'intention de l'employeur, ait été un autre motif que celui-là. Ensuite la Cour examine le point de savoir si, en retenant ce motif, l'employeur a pu se soustraire à l'obligation essentielle inhérente à l'état d'inaptitude du salarié, à savoir l'obligation de reclassement (C.trav.,art.L.1226-10) : là encore, tel n'était pas le cas. L'entreprise liquidée n'appartenant à aucun groupe, c'était le cadre même de toute potentielle recherche de reclassement qui se trouvait réduit à néant. Réalité et sérieux du motif invoqué d'une part ; absence de soustraction à une obligation inhérente à l'autre motif possible d'autre part. La méthode est intéressante et sans doute transposable à d'autres situations. En tous cas cette méthode est bien préférable à l'énoncé d'un soit disant principe selon lequel l'inaptitude médicale prévaudrait sur tout autre motif de licenciement et donc interdirait tout licenciement fondé sur un motif autre que l'inaptitude». Dans notre présente espèce, les circonstances sont différentes : si la matérialité de la cessation définitive d'activité n'est pas contestée ni contestable, la cause véritable du licenciement est contestée par le salarié. Par ailleurs, la déclaration d'inaptitude est postérieure au licenciement, contrairement aux faits de l'arrêt du 15 septembre 2021 où elle était antérieure de 24 h. https://www.courdecassation.fr/decision/61372830cd5801467742fe7e?search_api_ful ltext=1120049 2-2 Office du juge saisi d'une contestation de la cause véritable du licenciement : Lorsqu'ils sont saisis d'une contestation sur le véritable motif de licenciement, la chambre sociale censure les juges qui ont méconnu l'étendue de leurs pouvoirs en 12 s'abstenant de vérifier la cause exacte du licenciement
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Soc.26 mai 1998, n°9641062, Bull.V n° 276, RJS 7/98 n°840
7 . Elle rappelle qu' il incombe au juge de rechercher la cause de la rupture, au delà des énonciations de la lettre de licenciement 13. Face à deux causes légitimes de rupture, il appartient donc aux juges de rechercher, dès lors qu'elle est contestée, l'intention véritable de l'employeur lors de l'engagement de la procédure de licenciement d'une part et d'autre part, si cette cause véritable n'a pas eu pour effet d'éluder une protection et des droits spécifiques du salarié. Chargée de vérifier la légalité de la décision des juges, la Cour de cassation n'exerce donc aucun contrôle s'agissant de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve qui leur sont soumis, lesquelles relèvent de leur appréciation souveraine. Elle contrôle néanmoins qu'ils tirent les conséquences légales de leurs constatations. Comme rappelé plus haut, si à la date de l'engagement de la procédure ou pendant son cours, l'inaptitude du salarié est formellement constatée par le médecin du travail, la jurisprudence de la chambre fait prévaloir le régime de l'inaptitude, eu égard aux règles protectrices dues au salarié inapte et en particulier à la nécessité pour l'employeur de faire des recherches de reclassement conformes à l'avis du médecin du travail.
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Soc.10 avril 1996, n°93-41.755 ; Soc. 23 novembre 1999, n°9744667 RJS 1/00
A l'inverse, pour un salarié qui n'est pas classé en invalidité deuxième catégorie 14, ni déclaré inapte par le médecin du travail lors de l'engagement de la procédure, il ne saurait être reproché à l'employeur de ne pas recourir à un licenciement pour inaptitude. Une telle procédure encourrait, au contraire, la nullité, précisément pour discrimination, le législateur autorisant les seules différences de traitement en lien avec un état de santé, fondées sur une inaptitude formellement constatée par le médecin du travail. Ces principes prévalent indépendamment de toute contestation sur le motif véritable du licenciement. Or si le motif véritable du licenciement est contesté, dans sa matérialité et dans l'intention véritable de l'employeur, la chronologie des faits devient encore plus importante à vérifier, dès lors que c'est à la date de l'engagement de la procédure que se matérialise l'intention de rompre le contrat.
3- RÉPONSE AU MOYEN : 3-1 Sur les première et troisième branches du moyen : Pour retenir que le licenciement était en réalité prononcé en lien avec l'état de santé du salarié, la cour d'appel a retenu les faits suivants : « Il résulte des pièces et éléments produits aux dossiers que le salarié a bénéficié d'arrêts de travail pour maladie à compter du 30 mai 2017, régulièrement prolongés ; que par courriel du 24 novembre 2017, le salarié a adressé à l'employeur un arrêt de travail pour maladie professionnelle ; que par courriel du 28 novembre 2017, le salarié a informé l'employeur de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l'assurance maladie ; que par lettre notifiée le 12 juin 2018, l'assurance maladie a informé le salarié qu'une décision n'avait pu être arrêtée sur la demande de reconnaissance de maladie professionnelle effectuée le 24 novembre dans le délai réglementaire de trois mois car les éléments transmis ne permettaient pas de se prononcer sur le caractère professionnel de la maladie, en l'absence de réponse au questionnaire employeur ; qu'alors que le salarié a informé l'employeur le 28 novembre 2017 qu'il avait pris l'attache de la médecine du travail pour une visite de reprise, l'employeur n'a pas sollicité la médecine du travail à cette fin avant le 6 décembre 2017 ». Puis en a déduit : « Si au moment de la notification du licenciement le 6 décembre 2017, l'employeur
n'avait pas connaissance de l'imminence d'un avis d'inaptitude pour origine Qui donne nécessairement lieu à une procédure d'inaptitude subséquente pour libérer les parties du lien contractuel. 14
professionnelle, il était cependant informé à cette date de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle par le salarié et de ce que le médecin du travail était saisi par celui-ci en vue d'une reprise. Dès lors, au moment de la notification du licenciement pour motif économique, l'employeur disposait d'éléments suffisants lui permettant de retenir que l'état de santé du salarié pourrait faire l'objet d'une inaptitude en lien avec l'activité professionnelle ». Ce faisant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations qui établissent au contraire que lors de l'engagement de la procédure, pendant son cours et à la date du licenciement, l'inaptitude du salarié n'était pas encore constatée d'une part ; d'autre part, l'existence d'une demande formée par le salarié auprès de la CPAM en reconnaissance d'une maladie professionnelle, ainsi que d'une demande formée auprès du médecin du travail d'organisation d'une visite médicale sont des circonstances impropres à remettre en cause la légitimité et la réalité, à la date de l'engagement de la procédure, du motif économique de la rupture et impropres à établir une intention de l'employeur d'éluder le régime juridique de l'inaptitude.
Avis de cassation.