Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 26-10-2022, n° 21-19.075

Cass. soc., Conclusions, 26-10-2022, n° 21-19.075

A85542RA

Référence

Cass. soc., Conclusions, 26-10-2022, n° 21-19.075. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409127-cass-soc-conclusions-26102022-n-2119075
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AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 1150 du 26 octobre 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-19.075 Décision attaquée : 8 juin 2021 de la cour d'appel de Toulouse Société Distribution Casino France C/ Inspection du Travail de la Haute Garonne Unité Régionale de Lutte contre le Travail Illégal, et autres _________________

La société Distribution Casino France (la société de vente) exploite plusieurs commerces de détail alimentaire à Toulouse. Par contrat du 21 juin 2019, elle a externalisé les activités de surveillance et de gardiennage de ses supermarchés auprès de la société Lynx. Des contrôles ont été effectués par l'inspection du travail un dimanche des mois d'octobre et de novembre 2019 dans trois supermarchés de la société situés à Toulouse, où il a été constaté la présence de salariés de la société de sécurité précitée. Par actes des 19, 20 et 21 février 2020, des inspecteurs du travail de l'Unité régionale de lutte contre le travail illégal et des unités de contrôle n° 1, 3 et 5 de la Haute-Garonne ont assigné plusieurs sociétés dont notamment la société de vente ainsi que celle de surveillance et de gardiennage devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de voir prononcer l'obligation de fermer les magasins le dimanche à 13 heures sous astreinte par jour d'ouverture et salarié concerné, et la 1

désignation d'un huissier chargé de recueillir dans chaque magasin, les informations nécessaires au respect de cette interdiction. Par ordonnance du 30 juillet 2020, le juge a notamment : - rejeté l'exception de nullité de l'assignation délivrée à l'encontre de la société de surveillance et de gardiennage ; rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société de surveillance et de gardiennage ; - dit recevable l'action engagée par les demandeurs à l'encontre notamment de la société de vente ; - interdit à la société de gardiennage et de surveillance d'employer des salariés le dimanche après 13h dans les trois magasins visés, lorsque ceux-ci sont ouverts ; - ordonné une astreinte provisoire par dimanche et par salariés illégalement employés à l'encontre de la société de surveillance et de gardiennage ; - ordonné à la société de vente de fermer trois supermarchés le dimanche après-midi à compter de 13 heures, dès la signification de l'ordonnance et à défaut sous astreinte provisoire par ouverture constatée ; - désigné un huissier de justice chargé de l'application de l'ordonnance ; - déclaré recevable les interventions volontaires de la fédération de l'équipement Environnement Transport et Services force ouvrière et le syndicat CFDT Services Ariège Gascogne Midi Toulousain dans l'instance opposant les inspecteurs du travail à la société de vente et à la société de surveillance et de gardiennage ; - condamné notamment la société de vente et la société de surveillance et de gardiennage à payer des dommages et intérêts à la fédération et au syndicat précités. La société de vente a interjeté appel et par arrêt prononcé le 8 juin 2021, la cour d'appel de Toulouse a notamment confirmé l'ordonnance du juge des référés sauf en ce qui concerne la recevabilité de l'action engagée à l'encontre des sociétés autres que la société de vente et la société de surveillance et de gardiennage et la condamnation des sociétés autres que la société de vente à payer des dommages et intérêts au syndicat et à la fédération ; statuant de nouveau sur les chefs infirmés, déclaré irrecevable l'action engagée à l'encontre des sociétés autres que la société de vente et la société de surveillance et de gardiennage. La société de vente s'est pourvue en cassation. Le pourvoi est fondé sur trois moyens développés respectivement en deux, une et trois branches. Le premier moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit recevable l'action en référé formée par les inspecteurs du travail : - pour avoir violé, par fausse application, les articles L. 3111-1 et L. 3132-31 du code du travail les articles 31 et 32 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'autonomie de la personne morale alors que les dispositions relatives à la durée du travail aux repos et aux congés, sont “applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés”, de sorte que seul l'emploi illicite par l'employeur de ses propres salariés, en méconnaissance des dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13, relatifs au repos dominical, rend recevable la demande en référé, formée par l'inspecteur du travail, à l'encontre de cet employeur, alors que la cour d'appel a constaté qu'aucun salarié de la société de vente n'était présent sur les lieux le dimanche après-midi ; - pour avoir violé les articles L. 3132-31 et R. 3132-5 du code du travail, ensemble les articles 31 et 32 du code de procédure civile en retenant que la société de vente 2

hébergeait des salariés sur son site le dimanche en infraction à la législation, alors que la recevabilité de la saisine en référé du juge judiciaire, par l'inspecteur du travail, est subordonnée à la double condition d'un emploi illicite des salariés et de ce que l'illicéité résulte de la méconnaissance par leur employeur des dispositions des articles L. 31323 et L. 3132-13 relatifs au repos dominical ; qu'il résulte de l'article R. 3132-5 du code du travail que les entreprises de surveillance et de gardiennage font partie des catégories d'établissement admis à donner le repose hebdomadaire par roulement à leurs salariés, effectuant des services de surveillance, de gardiennage et de lutte contre l'incendie. Le deuxième moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la fermeture de trois magasins de la société de vente sous astreinte ; d'avoir condamné cette dernière à verser des dommages et intérêts au syndicat et à la fédération et interdit, sous astreinte, à la société de surveillance et de gardiennage d'employer des salariés le dimanche après 13h dans les trois magasins : - en ne déduisant pas les conséquences légales de ses constatations, et en violant, par fausse application, les articles L. 3132-31 du code du travail, ensemble par refus d'application, les articles L. 3132-12 et R. 3132-5 du même code, pour avoir retenu l'existence d'un “emploi illicite” des agents de sécurité, au motif inopérant que les inspecteurs du travail avaient constaté que certains d'entre eux avaient empiété sur les activités normalement dévolues aux salariés de la société de vente ; alors que l'emploi illicite de salariés, en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail, s'apprécie exclusivement au regard de la fonction et des missions confiées par l'employeur à ces salariés. Le troisième moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la fermeture de trois magasins de la société de vente sous astreinte ; d'avoir condamné cette dernière à verser des dommages et intérêts au syndicat et à la fédération : - en violant l'article L. 3132-31 du code du travail en ordonnant la fermeture des trois magasins après avoir constaté que les agents de sécurité présents sur les lieux étaient employés de la société de surveillance et de gardiennage alors qu'il résulte de l'article L. 3132-31 du code du travail que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 31312-3 et L. 3132-13 du même code ; qu'il s'en déduit que seules des mesures peuvent être prononcées à l'encontre de l'employeur, responsable de l'emploi illicite ; - en violant, par fausse application l'article L. 3132-31 du code du travail ensemble le principe de la liberté du commerce et de l'entreprise pour avoir dit que la mesure de fermeture des trois magasins à partir de 13h était légitime et proportionnelle en retenant la présence d'agents de sécurité pour admettre l'existence d'un emploi illicite alors que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du même code ; - en portant une atteinte disproportionnée au principe de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise alors que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures nécessaires et proportionnées pour faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail ; que la circonstance qu'une infraction par l'employeur des salariés peut être réitérée n'est pas de nature à justifier la fermeture des commerces appartenant à une société tierce, dans lesquels ces salariés travaillent.

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Le principe d'un repos hebdomadaire, en ce qu'il contribue à la préservation de la santé et de la sécurité des travailleurs ainsi qu'à la protection des liens familiaux, est l'une des garanties du droit constitutionnel reconnues aux salariés. Ce repos hebdomadaire est fixé le dimanche par l'article L. 3132-3 du code du travail1. Comme de nombreux principes, celui du repos dominical souffre de plusieurs exceptions et le législateur a donc instauré des dérogations à celui-ci, notamment celles concernées par un fondement géographique, mises en oeuvre par la loi n° 2015990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ; celles relevant d'une autorisation du maire ; celles pour les établissements dont l'ouverture est rendue nécessaire par les contraintes de production ou par les besoins du public. L'une des dérogations est un simple tempérament énoncé à l'article L. 313213 du code du travail, aux termes duquel dans les commerces de détail alimentaire, le repos hebdomadaire peut être donné le dimanche à partir de treize heures (alinéa 1 er). La consultation réalisée dans ce dossier auprès de la direction générale des entreprises2 énonce que selon une étude Nielsen (publiée en juillet 2019), de plus en plus d'enseignes de la grande distribution automatisent leurs services et de plus en plus de clients reconnaissent avoir recours aux moyens de paiement alternatifs. Cette situation ne génère toutefois pas systématiquement l'ouverture des commerces le dimanche après-midi. Il est également indiqué que le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc), qui suit depuis 2008 les opinions et les pratiques des français quant au développement de l'offre dominicale d'achat, a noté dans sa dernière enquête sur l'ouverture des commerces le dimanche publiée en septembre 2021 (chiffres de 2019) que les avis des français n'ont que très légèrement évolué sur cette question (une faible majorité -53%- se prononce pour). Cependant, la pratique des achats le dimanche a connu un certain essor : 27% des consommateurs ont déclaré y avoir “souvent” recours (contre 10% en 2008), soit une augmentation de 17 points. L'enquête révèle enfin l'existence de fortes disparités en fonction du lieu de résidence et de l'âge des interrogés : les habitants des agglomérations à fortes densité, notamment ceux de la région parisienne sont plus favorables aux ouvertures dominicales. De même, “Les plus jeunes générations réalisent plus souvent des achats le dimanche (66 % de “souvent” et “de temps en temps” pour les 18-34 ans et 61 % pour les 35-44 ans) que les 65 ans et plus (46 %).” La question de l'ouverture dominicale devient un véritable enjeu pour les commerces physiques concurrencés par les plateformes de e-commerce.

Sur les deux branches réunies du premier moyen : Aux termes de l'article L. 3132-31 du code du travail, “L'inspecteur du travail peut, nonobstant toutes poursuites pénales, saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13. Article L. 3132-3 du code du travail : “Dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche.” 1

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Consultation de la Direction générale des entreprises du 8 juin 2022 4

Le juge judiciaire peut notamment ordonner la fermeture le dimanche du ou des établissements concernés. Il peut assortir sa décision d'une astreinte liquidée au profit du Trésor.” L'action en justice dans le cadre du référé obéit aux règles générales d'ouverture des actions en justice. Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, “L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.”, tandis que l'article 32 du même code dispose “Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.” La Cour juge que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action (1re Civ., 17 mai 1993, pourvoi n° 91-15.761 ; 2e Civ., 6 mai 2004, pourvoi n° 02-16.314 ; 2e Civ., 13 janvier 2005, pourvoi n° 03-13.531). Il est donc nécessaire de distinguer les conditions de recevabilité de l'action, de son bien-fondé. En l'espèce, le pourvoi soutient que la recevabilité de l'action en référé des inspecteurs du travail est conditionnée à la démonstration de l'existence d'un emploi illicite dans le magasin contrôlé, l'emploi devant être occupé par un salarié de l'employeur exploitant l'établissement. En premier lieu, il convient de souligner que la mention litigieuse de l'article L. 3132-31 du code du travail énonce “l'emploi illicite de salariés”, laquelle ne signifie pas “l'emploi illicite des salariés de l'entreprise”, sauf à en dénaturer le sens. Ainsi, cette rédaction est suffisamment générale pour que la portée de la disposition soit large et ne renvoie pas aux seuls salariés de l'entreprise exploitant l'établissement de vente au détail et de prestations de services au consommateur dans lequel l'emploi illicite de salariés est constaté. Par ailleurs, l'intérêt à agir en référé, au succès ou au rejet de leur prétention, des inspecteurs du travail découle des dispositions mêmes de l'article L. 3132-31 du code du travail, texte spécifique qui leur confère un droit d'agir en référé. La cour d'appel qui a constaté que des salariés étaient présents le dimanche après-midi, au mépris des règles du repos dominical édictées aux articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail a valablement retenu la recevabilité de l'action des inspecteurs du travail. La condition de la licéité ou non de l'emploi constatée intervient dans un second temps, pour l'examen du bien-fondé de l'action. En effet que resterait-il à examiner au titre du bien-fondé de l'action en référé, si la licéité de l'emploi était une condition de la recevabilité de cette action ? Dans notre espèce, la présence de salariés le dimanche après-midi ayant été constatée, il appartient aux inspecteurs du travail de démontrer que l'intervention des salariés ne s'inscrit pas dans l'un des cas de travail dominical autorisé par la législation pour justifier du bien-fondé de leur action en référé afin de voir prononcer toute mesure propre à faire cesser le trouble.

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Sur le deuxième moyen : L'article L. 3132-12 du code du travail dispose “Certains établissements, dont le fonctionnement ou l'ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l'activité ou les besoins du public, peuvent de droit déroger à la règle du repos dominical en attribuant le repos hebdomadaire par roulement. Un décret en Conseil d'Etat détermine les catégories d'établissements intéressées.” L'article R. 3132-5 du code du travail accorde une dérogation permanente de droit au repos dominical aux entreprises assurant des services de surveillance, de gardiennage et de lutte contre l'incendie. Toutefois, ils ne bénéficient de cette dérogation qu'à la condition que leurs salariés n'exercent leur emploi que dans le cadre de leurs missions. En l'espèce, la cour d'appel a rappelé le contenu du contrat de prestations de service et des contrats de travail des agents de sécurité ou de gardiennage dont elle a relevé qu'ils contenaient une interdiction d'exercer des activités qui relèvent de celles des salariés du commerce du client et notamment les dimanches à partir de 13h. Toutefois, contrairement à ce que propose le moyen, je considère qu'il n'y a pas lieu de s'en tenir au seul contenu du contrat de travail des salariés de la société de surveillance et de gardiennage mais que les missions qu'ils effectuent réellement doivent également être examinées. En effet, si leurs actions outrepassent leurs missions du fait de l'exécution de tâches normalement dévolues aux salariés de la société de vente, cette situation tend à démontrer que les modalités de fonctionnement et de paiement du magasin ne sont pas automatisées de façon telle qu'elles permettent l'absence d'une présence humaine mais qu'au contraire, l'illicéite de l'emploi le dimanche est établie. Or, outre le rappel du contenu des contrats de prestations et de travail, la cour d'appel a repris les constatations effectuées par les inspecteurs du travail, les courriers de la société de vente et de la société de surveillance et de gardiennage pour en conclure que la preuve était rapportée que les agents de surveillance et de gardiennage exerçaient des fonctions normalement dévolues aux salariés de la société de vente et étrangères à leur mission de surveillance et de gardiennage. Le repos hebdomadaire est donné le dimanche (article L. 3132-3 du code du travail) ; cette règle est tempérée dans les commerces de détail alimentaire où il peut être donné le dimanche à partir de 13h (article L. 3132-13 du code du travail). Ce repos peut même être donné un autre jour pour les salariés des sociétés de surveillance et de gardiennage dans l'exercice de leurs missions (article R. 3132-5 du code du travail). Dès lors que l'intervention de ces salariés excède leurs missions dans les commerces de détail alimentaire, l'exception n'est plus applicable et l'obligation du repos dominical retrouve sa pleine application.

Sur le troisième moyen : Sur la première branche : J'ai rappelé dans l'examen du premier moyen que je considère que l'article L. 3132-31 du code du travail ne s'applique pas aux seuls salariés de la société de vente dès lors que sa rédaction est suffisamment générale pour que la portée de la 6

disposition relative à “l'emploi illicite de salariés” soit large. Par ailleurs, la chambre a déjà jugé que “Selon l'article L. 3132-31 du code du travail, l'inspecteur du travail peut, nonobstant toutes poursuites pénales, saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail. Il en résulte que ce pouvoir peut s'exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche.” (Soc., 6 avril 2011, pourvoi n° 09-68.413, Bull. 2011, V, n° 93). Il résulte de ce sommaire un principe comprenant toutes les hypothèses où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche. Si une société de vente envisage une ouverture le dimanche, ce qui en soit n'est pas interdit, ainsi que le soutient le mémoire ampliatif, dans la mesure où seule une atteinte au principe du repos le dimanche l'est, les modalités de fonctionnement et de paiement doivent être automatisées. Si la chambre a déjà jugé qu'“Aux termes de l'article L. 3134-15 du code du travail, disposition particulière aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du HautRhin, l'inspecteur du travail peut, nonobstant toutes poursuites pénales, saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l'emploi illicite de salariés en infraction aux articles L. 3134-10 à L. 3134-12. Selon l'article L. 3134-11 du même code, lorsqu'il est interdit, en application des articles L. 3134-4 à L. 3134-9, d'employer des salariés dans les exploitations commerciales, il est également interdit durant ces jours de procéder à une exploitation industrielle, commerciale ou artisanale dans les lieux de vente au public.” (Soc., 12 décembre 2012, pourvoi n° 11-13.100, Bull. 2012, V, n° 330), il convient de relever que les articles précités figurent dans le code du travail dans un chapitre V “Dispositions particulières aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin” et que l'article L. 313411 du code du travail3 prévoit expressément que lorsqu'il est interdit d'employer des salariés dans les exploitations commerciale, il est également interdit durant ces jours de procéder à une exploitation industrielle, commerciale ou artisanale. Or, à côté de ces mesures spécifiques à certains départements, si l'article L. 3132-29 du code du travail4 permet au préfet, sous certaines conditions, de prendre un Article L. 3134-11 du code du travail : “Lorsqu'il est interdit, en application des articles L. 3134-4 à L. 3134-9, d'employer des salariés dans les exploitations commerciales, il est également interdit durant ces jours de procéder à une exploitation industrielle, commerciale ou artisanale dans les lieux de vente au public. Cette disposition s'applique également aux activités commerciales des coopératives de consommation ou associations.” 3

Article L. 3132-29 du code du travail : “Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. 4

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arrêté de fermeture d'établissements pour faire respecter le repos hebdomadaire, il prévoit une limite à cette possibilité en cas d'activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. Toutefois, dans l'arrêt précité, la chambre avait considéré qu'il n'y avait pas lieu de s'interroger sur la réalité des contrats de travail dont se prévalaient les gérants en ajoutant “Il en résulte que le pouvoir reconnu à l'inspecteur du travail peut s'exercer dans tous les cas où, alors que l'emploi dans l'établissement de salariés le dimanche est interdit, il est procédé néanmoins à une exploitation industrielle, commerciale ou artisanale dans les lieux de vente au public, quels que soient la taille de l'établissement ou le statut juridique des personnes qui y travaillent.”, la chambre reconnaissant ainsi une conception large de l'emploi illicite de salariés car contrevenant au repos dominical. Par ailleurs, la législation impose à la société de vente la présence d'agents de surveillance ou de gardiennage en cas d'ouverture de l'établissement5. Ainsi, la présence de ces agents est la conséquence du choix de la société de vente d'ouvrir ses magasins le dimanche, agents dont la mission est strictement définie et ne concerne que la surveillance des locaux ouverts au public. En l'espèce, la cour d'appel, qui a rappelé les constatations réalisées par les inspecteurs du travail, desquelles il résultait que les agents de surveillance et de gardiennage effectuaient des tâches relevant des salariés de la société de vente et non de leur mission de surveillance, a, valablement caractérisé l'existence d'un emploi illicite de salariés. A la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois.” Article R. 273-1 du code de la sécurité intérieure : “Les exploitants, qu'ils soient ou non propriétaires, de magasins de commerce de détail d'une surface de plancher supérieure à 6 000 m² ou d'une surface de vente supérieure à 3 000 m² sont tenus de faire assurer la surveillance des lieux ouverts au public par un service interne de surveillance ou par une entreprise prestataire de services, lorsque ces magasins sont implantés : 1° Soit dans des communes dont la population municipale dépasse 25 000 habitants ; 2° Soit dans des communes insérées dans une zone urbanisée contiguë d'une commune dont la population municipale dépasse 25 000 habitants ; 3° Soit dans un des grands ensembles ou des quartiers mentionnés au 3 de l'article 42 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Le dispositif doit comporter au moins la présence d'un agent pendant tout le temps où le magasin est ouvert au public.” 5

Article R. 273-3 du code de la sécurité intérieure : “En dehors des communes, grands ensembles et quartiers mentionnés aux 1° à 3° de l'article R. 273-1, les exploitants, qu'ils soient ou non propriétaires, de magasins de commerce de détail d'une surface de plancher supérieure à 6 000 m² ou d'une surface de vente supérieure à 3 000 m² sont tenus, pendant tout le temps où le magasin est ouvert au public, d'en faire assurer la surveillance par au moins un agent. A défaut, cette surveillance est exercée au moyen d'un système de vidéoprotection autorisé en application du titre V du présent livre.” 8

Sur les deuxième et troisième branches réunies : Il résulte de la rédaction même de l'article L. 3132-31 du code du travail qu'en cas d'emploi illicite de salariés en infraction au repos dominical, le juge judiciaire peut notamment ordonner la fermeture le dimanche du ou des établissements concernés. Ainsi que je l'ai rappelé, à mon sens, la seule constatation d'un emploi illicite dans l'établissement, peu important que celui-ci soit occupé par un salarié de la société de vente ou par un salarié d'une société liée à cette dernière par un contrat de prestations de services, justifie le bien-fondé de l'action en référé des inspecteurs du travail. Dès lors, toutes les sanctions édictées par l'articles L. 3132-31 du code du travail sont encourues par la société de vente si son choix d'une ouverture le dimanche permet de caractériser une infraction aux dispositions relatives au repos dominical. Il est permis au législateur de réduire la liberté d'entreprendre si l'atteinte est justifiée et proportionnée à l'objectif poursuivi. En effet, si toute disposition législative limitant la liberté d'entreprendre était considérée comme une atteinte à celle-ci, les règles de droit deviendraient inutiles. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité au sujet de l'article L. 313229 du code du travail, le Conseil constitutionnel a jugé que cet article est conforme à la Constitution dès lors qu'il répond à un motif d'intérêt général ; qu'il vise à assurer l'égalité entre les établissements d'une même profession, quelle que soit leur taille, au regard du repos hebdomadaire et que l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre n'est pas disproportionnée à l'objectif poursuivi (Conseil constitutionnel n° 2010-89 QPC du 21 janvier 2011). Dans un considérant 3, le Conseil avait relevé “que la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'il est toutefois loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;”. Par ailleurs, dans une décision antérieure, (Conseil constitutionnel n° 2009-588 DC du 6 août 2009), le Conseil avait jugé que le principe d'un repos hebdomadaire est l'une des garanties du droit au repos ainsi reconnu aux salariés (onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation “garantit à tous [...] la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs”) et qu'en prévoyant que le repos hebdomadaire est donné en principe le dimanche, le législateur a agi dans le cadre de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux du droit du travail et qu'il a entendu ainsi opérer, comme il lui incombe de le faire, la conciliation entre la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, et le dixième alinéa du Préambule de 1946 (“La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement”) (considérants 2 et 3 de la décision). En l'espèce, la cour d'appel a retenu que la société de vente contournait la règle du repos dominical du fait de la présence dans ses magasins d'agents de surveillance et de gardiennage outrepassant leur mission de surveillance du fait de la réalisation de tâches dévolues aux salariés de la société de vente ; que la réitération de ces infractions avait été constatée par les inspecteurs du travail ; que les sociétés de vente et de surveillance et de gardiennage reconnaissaient qu'il était difficile pour elles de “respecter une imperméabilité stricte entre les tâches dévolues exclusivement aux 9

agents de sécurité et celles relevant des salariés du commerce client”. Elle a jugé que la proposition alternative à la fermeture de la société de vente d'enjoindre sous astreinte l'employeur de la société de surveillance et de gardiennage de faire respecter la législation par ses salariés, n'apparaissait “ni suffisante ni judicieuse dès lors qu'une part que malgré une première observation en octobre 2019, les faits ont été aussitôt réitérés en novembre et que d'autre part, la solution proposée nécessite de mettre en place de nouveaux contrôles de l'inspection du travail” et qu'une telle sanction qui permettrait de mettre un terme à une infraction éventuellement constatée, ne permettrait pas suffisamment d'en prévenir la réitération. Ce faisant, je considère que la cour d'appel a valablement caractérisé le caractère proportionné de l'atteinte à la liberté d'entreprendre, consistant dans le prononcé d'une mesure de fermeture des magasins, par rapport à l'objectif poursuivi par la règle d'intérêt général de la protection du repos dominical. ➤ Dès lors, je conclus au rejet

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