Cass. soc., Conclusions, 06-07-2022, n° 21-15.189
A85492R3
Référence
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AVIS DE Mme ROQUES, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 892 du 6 juillet 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-15.189 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 01 avril 2021
la société SIP C/ la fédération Nationale des industries chimiques-CGT
I.
Faits et procédure
Le Groupe Sanofi, un des acteurs mondiaux de l'industrie pharmaceutique, emploie près de 28.000 salariés en France, répartis dans diverses entités juridiques1.
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La SA Sanofi Aventis-France, chargée de la commercialisation et mise sur le marché des médicaments, la SA Sanofi Aventis Recherche et Developpement, les SA Sanofi Chimie, SAS Genzyme Polyclonals et SA Sanofi Winthrop Industrie, chargées notamment de la fabrication de principes actifs et de préparations pharmaceutiques, les SA Sanofi Pasteur et SAS Sanofi Pasteur Europe, en charge de la fabrication et commercialisation de vaccins, ainsi que la SA Sanofi Aventis Groupe et la SCS SIP chargées des activités tertiaires et des fonctions supports.
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Afin de freiner la propagation de l'épidémie de Covid-19, un confinement a été décidé du 17 mars au 10 mai 2020 inclus. Diverses dispositions ont été adoptées pour organiser cette période. Ainsi, une loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures d'urgence « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi ». Sur le fondement de cette habilitation, une ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos a prévu en ses articles 2 et 4 la possibilité pour l'employeur de fixer unilatéralement des jours de RTT, de repos conventionnels ainsi que les jours épargnés sur un CET ou de modifier unilatéralement les jours pris à ce titre par ses salariés « Lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 ». Dans une note de service du 26 mars 2020 intitulée « Mesures sur les congés », le Groupe Sanofi a décliné l'application de ces dispositions pour ses sociétés situées sur le territoire français. Par une loi n°2020-472 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020, il a été prévu dans un article 20 que « I. - Sont placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs » tenant à leur situation personnelle (personne vulnérable ou vivant avec une telle personne ainsi que salarié ayant un enfant de moins de 16 ans ou une personne en situation de handicap maintenu à domicile). Le 29 avril 2020, le Groupe Sanofi a pris une note de service relative « aux salariés actuellement à domicile pour garder un enfant de 16 ans ainsi qu'aux salariés vulnérables ou qui partagent le même domicile qu'une personne vulnérable » prévoyant que, pour éviter la mise en place du « dispositif de chômage partiel », ceux-ci seraient soumis à compter du 4 mai 2020 aux mesures prévues dans la note de service du 26 mars concernant les jours de congés. Contestant les mesures ainsi prises, la Fédération Nationale des Industries Chimiques - CGT (ci-après désignée FNIC-CGT) a saisi en mai 2020 le président du tribunal judiciaire de Paris, selon la procédure de référé d'heure à heure, afin : - de faire interdiction aux sociétés du Groupe Sanofi de mettre en œuvre ces deux notes de service, et ce sous astreinte, - en tant que de besoin, d'enjoindre à ces mêmes sociétés de rétablir les salariés concernés dans leurs droits. Dans une ordonnance rendue le 31 juillet 2020, le président du tribunal judiciaire a : 2
3 - déclaré recevable la demande de l'organisation syndicale tendant à l'interdiction sous astreinte aux sociétés du Groupe Sanofi de poursuivre la mise en œuvre des deux notes de service litigieuses, - débouté la FNIC-CGT de cette demande, - déclaré irrecevable cette dernière en sa demande de rétablissement des salariés concernés dans leurs droits à congés, - rejeté les autres demandes présentées, - et condamné la FNIC-CGT aux dépens ainsi qu'à verser à chaque société du Groupe Sanofi mise en cause une somme de 250 euros au titre de ses frais irrépétibles. Sur appel de la FNIC-CGT, la cour d'appel de Paris a, dans un arrêt rendu le 1 er avril 2021 : - infirmé l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a déclaré l'organisation syndicale irrecevable en sa demande tendant au rétablissement des salariés dans leur droit à congés, - statuant à nouveau, a dit que les mesures prises dans les notes de service des 26 mars et 29 avril 2020 constituaient un trouble manifestement illicite, rejeté les autres demandes et condamné les sociétés du Groupe Sanofi mises en cause aux dépens ainsi qu'au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. C'est l'arrêt attaqué tant par les sociétés du Groupe Sanofi que par la FNIC-CGT. Les sociétés du Groupe Sanofi le contestent en ce que la cour d'appel a considéré que les notes de services des 26 mars et 29 avril constituaient des troubles manifestement illicites. S'agissant de la note de service du 26 mars, elles reprochent à la cour d'appel d'avoir estimé que le premier juge avait apprécié de la légalité des dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 et d'avoir ainsi outrepassé ses pouvoirs, alors que, selon elles, il n'a fait qu'interpréter ces dispositions en se référant à la loi d'habilitation du 23 mars 2020 (1ère branche). Elles estiment également que la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en leur imposant « d'apporter la contradiction à la partie soulevant l'existence d'un trouble manifestement illicite » (2ème branche). Enfin, elles soutiennent que les dispositions dont elles ont fait application n'exigent pas que l'employeur qui veut les mettre en oeuvre soit confronté à des « difficultés économiques liées à la propagation du Covid-19 » et les établisse en cas de contentieux, ces difficultés résultant de facto de la crise sanitaire et du confinement décidé par le Gouvernement (3ème branche). Elles reprennent ce dernier argument pour critiquer également les termes de l'arrêt relatifs à la note du 29 avril 2020, contestant par ailleurs le fait que, comme l'a retenu la cour d'appel, les dispositions de la loi du 25 avril 2020 étaient impératives 3
et ne leur permettaient donc pas de prévoir un autre dispositif, même plus favorable, que celui du placement en l'activité partielle des salariés concernés. Dans son pourvoi incident, la FNIC-CGT conteste l'irrecevabilité de sa demande tendant au rétablissement des salariés dans leurs droits à congés soutenant que celle-ci ne tend pas « à la constitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés » et qu'elle entre donc dans les prévisions de l'article L. 21323 du code du travail.
II.
Discussion et avis
Le pourvoi principal invite la chambre à s'interroger sur le sens et les conditions d'application des dispositions sur le fondement desquelles le groupe Sanofi a pris les deux notes de services contestées. Le pourvoi incident pose la question de la recevabilité d'une des demandes présentées par l'organisation syndicale.
A/ SUR LE POURVOI PRINCIPAL Afin de répondre aux questions soulevées, tenant tant à la procédure qu'au fond, il me semble important de replacer dans leur contexte de l'époque les dispositions en question avant de se prononcer, pour chaque moyen, sur le sens à leur donner mais aussi sur la façon dont elles ont été mises en oeuvre par le Groupe Sanofi. 1/ Rappel du contexte dans lequel les normes en question ont été élaborées 2 Dès le tout début de l'année 2020, les autorités sanitaires françaises ont été placées en état de vigilance, suite à l'apparition en Chine d'un nouveau virus qui sera dénommé Covid-19. Les premiers cas de personnes infectées en France ont été dépistés fin janvier 2020. Le 27 janvier, le centre de crise sanitaire a été mis en place. Des clusters ont été mis à jour dans divers endroits du territoire en février. Les premières mesures concernant les entreprises ont été arrêtées au même moment avec la reconnaissance du Covid-19 comme « cas de force majeure » pour
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Pour une chronologie plus complète, voir la page https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus/les-actions-dugouvernement
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5 les entreprises (le 28 février) et la garantie des prêts demandés par les PME par Bpifrance afin de les accompagner dans la gestion de la situation (le 2 mars). Le 12 mars, il a été décidé de la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités et la mise en oeuvre d'un dispositif exceptionnel de chômage partiel, avec prise en charge par l'État de l'indemnisation des salariés contraints à rester chez eux. Le 16 mars, le Président de la République a annoncé un confinement général de la population débutant le 17 mars à 12H00 pour une durée initiale de 15 jours. Ce confinement a été prolongé une première fois jusqu'au 15 avril, par annonce du Premier ministre du 27 mars, puis une seconde fois jusqu'au 11 mai, par annonce du Président de la République du 13 avril 2020. La « stratégie » de déconfinement a été annoncée à l'Assemblée Nationale puis au Sénat par le Premier ministre les 28 avril et 4 mai, avec notamment le détail des mesures qui allaient entrer en vigueur au cours de la première phase devant s'achever le 2 juin 2020. A cette même période, de nombreux autres pays étaient également touchés par ce virus et avaient décidé de mesures de confinement, plus ou strictes 3. Pendant le cours de ce confinement ont été prises diverses normes dont celles qui font débat dans notre pourvoi.
2/ Sur le premier moyen relatif à la note de service du 26 mars 2020 a) Contenu des normes contestées
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Cf. Pour une carte détaillée un article du quotidien Le Monde du 30 mars 2020 intitulé « Coronavirus : quels pays sont confinés ? »
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Par une loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie 4 a été introduit dans le code de la santé publique un chapitre sur l'état d'urgence sanitaire. Le titre II de cette loi, intitulé « MESURES D'URGENCE ÉCONOMIQUE ET D'ADAPTATION À LA LUTTE CONTRE L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19 », prévoit dans un article 11 les dispositions suivantes : « I. - Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, à les étendre et à les adapter aux collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution : 1° Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : [...] b) En matière de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit de la fonction publique ayant pour objet : - de limiter les ruptures des contrats de travail et d'atténuer les effets de la baisse d'activité, en facilitant et en renforçant le recours à l'activité partielle pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, notamment en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre, en l'étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l'employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre, en favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel ; [...] - de permettre à un accord d'entreprise ou de branche d'autoriser l'employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d'une partie des congés payés dans la limite de six jours ouvrables, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise de ces congés définis par les dispositions du livre Ier de la troisième partie du code du travail et par les conventions et accords collectifs applicables dans l'entreprise ; 4
LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (1)
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7 - de permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique ; - de permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger aux règles d'ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ; [...] II. - Les projets d'ordonnance pris sur le fondement du présent article sont dispensés de toute consultation obligatoire prévue par une disposition législative ou réglementaire. III. - Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance. » Par une ordonnance n°2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos 5, dans sa version initiale, il va être prévu ce qui suit : - « Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19, par dérogation aux sections 2 et 3 du chapitre Ier du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail et aux stipulations conventionnelles applicables dans l'entreprise, l'établissement ou la branche, un accord d'entreprise, ou, à défaut, un accord de branche peut déterminer les conditions dans lesquelles l'employeur est autorisé, dans la limite de six jours de congés et sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d'un jour franc, à décider de la prise de jours de congés payés acquis par un salarié, y compris avant l'ouverture de la période au cours de laquelle ils ont normalement vocation à être pris, ou à modifier unilatéralement les dates de prise de congés payés. » (article 1) ; - « Lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, et par dérogation à l'accord ou à la convention collective instituant un dispositif de réduction du temps de travail maintenu en vigueur en application de la loi du 20 août 2008 susvisée ou un dispositif de jours de repos conventionnels mis en place dans le cadre des dispositions prévues aux
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Ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos (version initiale)
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articles L. 3121-41 à L. 3121-47 du code du travail, l'employeur peut, sous réserve de respecter un délai de prévenance d'au moins un jour franc : 1° Imposer la prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos au choix du salarié acquis par ce dernier ; 2° Modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos. La période de prise des jours de repos imposée ou modifiée en application du présent article ne peut s'étendre au-delà du 31 décembre 2020. » ; (article 2) - « Lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, et par dérogation au titre V du livre Ier de la troisième partie du code du travail, notamment ses articles L. 3151-3 et L. 3152-2, et aux stipulations conventionnelles applicables dans l'entreprise, l'établissement ou la branche, l'employeur peut imposer que les droits affectés sur le compte épargnetemps du salarié soient utilisés par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates en respectant un délai de prévenance d'au moins un jour franc. La période de prise de jours de repos imposée en application du présent article ne peut s'étendre au-delà du 31 décembre 2020. » (article 4) ; - « Le nombre total de jours de repos dont l'employeur peut imposer au salarié la prise ou dont il peut modifier la date en application des articles 2 à 4 de la présente ordonnance ne peut être supérieur à dix. » (article 5). L'article 8 de cette ordonnance prévoit qu'elle « sera publiée au Journal officiel de la République française et qui entrera en vigueur immédiatement. » Si un projet de loi de ratification de cette ordonnance a été élaboré et déposé à l'Assemblée nationale le 13 mai 2020, ce texte n'a jamais été adopté. Ainsi, comme l'a rappelé le Conseil d'Etat dans sa décision d'Assemblée du 16 décembre 20206, « Une habilitation donnée par le Parlement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution élargit de façon temporaire le pouvoir réglementaire dont le Gouvernement dispose, en l'autorisant à adopter des mesures qui relèvent du domaine normalement réservé à la loi, que ce soit en vertu de l'article 34 de la Constitution ou d'autres dispositions de celle-ci. Alors même que les mesures ainsi adoptées ont la même portée que si elles avaient été prises par la loi, les ordonnances prises en vertu de l'article 38 de la Constitution conservent le caractère d'actes administratifs, aussi longtemps qu'elles n'ont pas fait l'objet d'une ratification, qui ne peut être qu'expresse, par le Parlement. [...] Toutefois, celles de leurs dispositions qui relèvent du domaine de la loi ne peuvent plus, après l'expiration du délai de l'habilitation conférée au Gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au Gouvernement. [...] Par sa décision n° 2020851/852 QPC du 3 juillet 2020, le Conseil constitutionnel en a déduit que les 6
CE ASS 16 décembre 2020, N° 440258
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9 dispositions d'une ordonnance qui relèvent du domaine législatif entrent, dès l'expiration du délai d'habilitation, dans les prévisions de l'article 61-1 de la Constitution et que leur conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit ne peut ainsi être contestée que par une question prioritaire de constitutionnalité. » Le délai prévu par la loi d'habilitation ayant expiré, les dispositions qui nous intéressent, et qui relèvent du domaine législatif, sont entrées dans les prévisions de l'article 61-1 de la Constitution. Leur éventuelle inconstitutionnalité ne peut donc plus être soulevée que par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Dans notre espèce, les parties n'ont soulevé aucun argument tenant à l'inconstitutionnalité de ces textes et n'ont pas déposé de QPC.
b) Interprétation de ces dispositions et appréciation de leur mise en oeuvre A titre liminaire, il convient de relever que, dans notre espèce, seuls les jours de RTT ou les « jours de repos conventionnels mis en place dans le cadre des dispositions prévues aux articles L. 3121-41 à L. 3121-47 du code du travail » et les droits affectés sur un compte épargne-temps (CET) sont concernés par les deux notes de service contestées. Quant à la nature de chacun de ces droits, je ne peux que renvoyer aux développements très complets faits dans le rapport. Il faut également rappeler que les juridictions du fond ont été saisies par la voie d'un référé d'heure à heure au visa de l'article 835 du code de procédure civile. Celui-ci prévoit notamment que « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. » Un trouble manifestement illicite peut être caractérisé par « la violation évidente d'une règle de droit résultant d'un fait matériel ou juridique »7. La réalité de ce trouble s'apprécie « au jour où le premier juge a rendu sa décision »8, soit le 31 juillet 2020 dans notre espèce. 7
Cf. 1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n° 256
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Cf. 2e Civ., 4 juin 2009, pourvoi n° 08-17.174, Bull. 2009, II, n° 144
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L'article 9 de ce même code dispose qu' « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »
Le pourvoi critique l'arrêt de la cour d'appel de Paris en ce qu'il a estimé que le juge de première instance s'était livré à un contrôle de légalité de l'ordonnance du 25 mars 2020, en ce que les juges du fond ont inversé la charge de la preuve, en estimant qu'il incombait à l'employeur d'établir qu'il pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de cette ordonnance, et enfin en en conditionnant le bénéfice à la preuve de difficultés économiques. Pour répondre à ce moyen, il est nécessaire de se prononcer sur le sens des articles 2 et 4 et de déterminer leur champ et leurs conditions d'application, les parties ayant une lecture différente de ces textes. Dans un second temps, il conviendra déterminer si le groupe Sanofi pouvait s'en prévaloir et s'il ne les a pas mis en oeuvre de façon critiquable. Quels sont le champs et les conditions d'application des articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ? Répondre à cette question impose d'interpréter ces deux articles. Pour ce faire, il convient de s'attacher aux termes du textes mais aussi de se référer aux travaux préparatoires ainsi qu'à la loi d'habilitation, qui fixe le cadre dans lequel le Gouvernement pouvait prendre des normes relevant du domaine législatif. Cette référence à la loi d'habilitation ne peut, selon moi, s'analyser en un contrôle de la légalité de l'ordonnance, qui ne relève pas de la compétence du juge judiciaire, et ce d'autant plus qu'en l'espèce, lesdites dispositions ont désormais valeur législative, comme cela a été expliqué plus haut. Or, le premier juge s'était livré au même travail d'analyse et d'interprétation et n'était d'ailleurs pas saisi de moyens tenant à l'illégalité de ces deux articles. La cour d'appel ne pouvait donc retenir qu'il s'était livré à un contrôle de légalité, comme le soulève, à juste titre, le mémoire ampliatif. Toutefois, ce motif ne fondant pas la décision de la cour d'appel, qui repose sur sa propre interprétation des articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020, cet argument ne me semble pas opérant. La loi d'habilitation du 23 mars 2020 autorise le Gouvernement à prendre des mesures relatives notamment aux jours de RTT et jours de repos conventionnels « Afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la 10
11 propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi ». Dans l'exposé des motifs de cette loi, il est ainsi mentionné ce qui suit s'agissant des « mesures d'urgence économique et d'adaptation à la lutte contre l'épidémie », dont fait partie l'article 11 qui nous intéresse : « La crise sanitaire exceptionnelle traversée actuellement par la France et les mesures prises pour y faire face affectent profondément l'activité économique nationale. Certains secteurs sont plus particulièrement touchés par l'impact de l'épidémie sur leurs salariés, la rupture des chaînes d'approvisionnement, l'annulation de commandes et les mesures prises pour limiter la propagation du virus. La solidarité nationale doit jouer à tous les niveaux pour en limiter les conséquences tant pour les entreprises que les salariés et permettre à l'économie française de surmonter ce moment difficile. [...] Aux ii), iii), et iv) du b) du 1°, une adaptation du droit du travail est nécessaire pour permettre aux entreprises de faire face aux difficultés d'organisation auxquelles elles sont confrontées, compte tenu d'un fort taux d'absentéisme et, partant, d'un surcroît exceptionnel d'activité. Les dispositions mentionnées aux iv) et v) du permettent d'y répondre par une dérogation aux règles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical d'une part et par une modification des conditions d'acquisition et des modalités d'utilisation d'une partie des congés payés d'autre part.» L'étude d'impact de ce texte indique s'agissant des « IMPACTS POUR LES ENTREPRISES » et d'autres dispositions concernant les entreprises que « Les conséquences de l'épidémie du Coronavirus Covid -19 sur l'économie sont assimilables à la fois à un choc d'offre et à un choc de demande. Du côté de l'offre, de nombreuses entreprises sont contraintes dans leur production du fait des restrictions d'ouverture ou de l'impossibilité de travailler pour une partie des salariés, se traduisant par une chute temporaire du nombre d'heures travaillées. La désorganisation des chaînes de production pourrait également peser sur la productivité. Les entreprises subissent parallèlement un choc de demande, transitant par une baisse contrainte de la consommation, en particulier dans les secteurs du loisir, du tourisme ou du transport, mais également dans tous les secteurs frappés par des restrictions d'ouverture, ainsi que de la demande extérieure pour celles qui exportent . L'investissement des entreprises pourrait également pâtir de ce climat inédit et dont la durée est incertaine. [...] Il s'agit d'éviter les faillites d'entreprises saines qui n'auraient pas eu lieu en l'absence de ce choc exogène, les destructions d'emplois associées, ainsi que, 11
pour les entreprises qui poursuivront leur activité, d'investissement qui pèseront sur la croissance potentielle. »
les
retards
L'avis du Conseil d'Etat du 18 mars 2020 9 peut expliquer que les deux articles de l'ordonnance qui nous intéressent ne soient pas rédigés en des termes identiques à la loi d'habilitation puisqu'ils conditionnent leur mise en oeuvre de la façon suivante : « Lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 ». En effet, faisant référence à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat a, dans cet avis portant sur l'examen des dispositions de la future loi d'habilitation du 23 mars 2020, indiqué ce qui suit : « 28. En ce qui concerne plus spécifiquement la possibilité de dérogation aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical, ainsi que les conditions d'acquisition des congés payés et d'utilisation du compte épargne-temps du salarié, le Conseil d'Etat rappelle qu'il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que «le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 » (Décision n°2007 -556 DC du 16 août 2007, Ct 17) et que le juge administratif retient également une telle approche (CE, Ass, 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d'Olivet, n°271737). Il considère que s'il appartiendra au Gouvernement, lors de la préparation de l'ordonnance à intervenir, de veiller à ce qu'une atteinte excessive ne soit pas portée aux contrats en cours, les impératifs d'intérêt général en lien avec la crise sanitaire actuelle sont susceptibles de justifier des mesures applicables à ces contrats, de sorte que la conformité à la Constitution de ces dispositions d'habilitation ne peut être mise en cause. » Cette formule ne figure pas dans l'article 1 de l'ordonnance qui est, lui, relatif aux congés payés. Toutefois, ce texte ne peut être mis en oeuvre que par accord collectif, tandis que les articles 2 et 4 sont plus aisés à mobiliser puisqu'ils relèvent d'une décision unilatérale de l'employeur, ce qui peut là encore justifier l'introduction d'une condition supplémentaire. Dans le rapport fait au Président de la République par le Gouvernement, il est simplement indiqué qu' « Afin de répondre aux difficultés que l'entreprise ou l'établissement rencontre en cas de circonstances exceptionnelles, l'article 2 permet à l'employeur d'imposer ou de modifier sous préavis d'un jour franc, les journées de repos acquises par le salarié au titre des jours de réduction du temps de travail 9
Avis CE 18 mars 2020
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13 attribués au titre d'un dispositif de réduction du temps de travail maintenu en vigueur en vertu de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 dans l'entreprise ou dans l'établissement, ou un dispositif de jours de repos conventionnels mis en place dans le cadre des dispositions prévues aux articles L. 3121-41 à L. 3121-47 du code du travail. » Dans l'exposé des motifs du « Projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises pour faire face à l'épidémie de covid-19 en matière de travail, d'emploi et de formation professionnelle » daté du 13 mai 2020, il est indiqué au sujet de l'ordonnance qui nous intéresse qu' « Elle permet aux employeurs de déroger provisoirement au droit du travail concernant la prise de congés payés et de RTT, de durée du travail et de repos pour adapter leur organisation et faire face aux difficultés économiques dans le contexte de l'épidémie du covid-19. » Enfin, il y a lieu de rappeler que : - la loi d'habilitation et l'ordonnance ont été prises, moins d'une dizaine de jours après que le confinement général avait été annoncé et alors que son renouvellement était envisagé, - les dispositions de l'ordonnance étaient d'application immédiate. A mon sens, les dispositions ainsi prises avaient vocation à répondre dans l'urgence aux difficultés auxquelles faisaient face les entreprises, qui ne pouvaient être exclusivement économiques, puisque le caractère très récent de la mesure de confinement ainsi que l'incertitude quant à sa durée rendaient impossible toutes prévisions de la situation économique des entreprises et de son évolution. Cette analyse est confirmée par la réponse du Directeur général du travail, datée du 12 avril 2022, qui précise que « Cette mesure étant identifiée comme une mesure d'urgence, le législateur ne pouvait raisonnablement exiger de l'entreprise d'apporter la preuve de difficultés économiques alors même qu'elles ne disposaient évidemment pas du recul nécessaire pour cela. » De même, ces textes étaient applicables à toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d'activité et alors même que certaines allaient continuer à « fonctionner », mais également à des établissements publics qui emploient des « agents de droit privé »10 et dont la nature de leur activité exclut toutes difficultés économiques. Enfin, c'est bien une acception large qui est retenue dans l'exposé des motifs de la loi d'habilitation qui évoque « une adaptation du droit du travail [...] nécessaire pour permettre aux entreprises de faire face aux difficultés d'organisation auxquelles elles sont confrontées, compte tenu d'un fort taux d'absentéisme et, partant, d'un surcroît exceptionnel d'activité. »
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Comme par exemple Pôle emploi cf. Conseil d'Etat - 1ère chambre - décision du 22 juillet 2021 - n°441352
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C'est pourquoi, je considère que l'application des articles 2 et 4 précités n'est pas limitée aux entreprises justifiant de difficultés économiques. D'ailleurs, tel qu'ils sont rédigés, il me semble que ces textes induisent plutôt que la circulation du Covid-19 et les mesures prises pour limiter sa propagation engendrent des « difficultés économiques » d'ordre général11. Reste que ces dispositions ne doivent s'appliquer que « si l'intérêt de l'entreprise le justifie » et c'est là que peut résider, selon moi, le contrôle que doit opérer le juge. En effet, un employeur ne doit pouvoir mettre en oeuvre ces dispositions que si l'intérêt de l'entreprise préside à l'adaptation des jours de congés (jours de RTT ou de repos conventionnels, jours épargnés sur le CET). Dès lors que cette précision a été introduite dans le texte, cela implique également que l'employeur doit en justifier de façon concrète, et non arguer de la situation générale de confinement ou d'autres mesures restrictives prises par la suite. Il me semble par ailleurs que cet « intérêt » devrait être apprécié de façon similaire aux difficultés économiques en matière de licenciement pour motif économique, à savoir, lorsque l'employeur est un groupe, en tenant compte de la situation de toutes ces entreprises ou établissements, oeuvrant dans le même secteur d'activité et situés sur le territoire national. Ainsi, il incomberait à l'employeur de produire tout document attestant des difficultés qu'il a rencontrées soit au niveau de tous ses établissements, soit au niveau de certains d'entre eux sans que les autres puissent être en mesure d'y remédier. Par ailleurs, la possibilité de mettre en oeuvre immédiatement ces dispositions, sur décision unilatérale de l'employeur, implique nécessairement que celui-ci est le seul à disposer des informations et pièces lui permettant d'apprécier cet « intérêt » et d'en justifier. De ce fait, je considère, tout comme les juges du fond, qu'il incombait au Groupe Sanofi de prouver que la situation de ses entreprises justifiait qu'elles bénéficient de ces dispositions, et ce d'autant plus qu'elles sont dérogatoires au droit commun du travail. Il n'y a donc pas eu inversement de la charge de la preuve. Si vous suiviez mon raisonnement, il incomberait alors aux juges du fond d'apprécier si l'intérêt de l'entreprise est ou non caractérisé par l'employeur. 11
Ce que précise également le Directeur général du travail dans sa réponse du 12 avril 2022 lorsqu'il écrit que « Ces dispositions n'avaient ni pour objet, ni pour effet de faire peser une exigence de preuve des difficultés économiques mais bien de constater la situation générale affectant tout le pays en mars 2020. »
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15 Pour ce faire, il me semble qu'ils devraient s'attacher à la situation concrète de l'entreprise, et donc aux difficultés invoquées par l'employeur qui ne pourrait se contenter de faire état des seules restrictions décidées pour limiter la propagation du virus. Toutefois, ces dispositions ayant vocation à s'appliquer dès leur publication, les employeurs étaient en droit de les mettre en oeuvre rapidement, alors même que la situation générale, ainsi que celle de leur entreprise, pouvait être incertaine. Cela conduit, selon moi, à une appréciation de ces difficultés au moment de la mise en oeuvre des mesures et en l'état de connaissance de l'employeur à cette date, comme cela peut être le cas lorsqu'il s'agit d'apprécier si un licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse. En outre, si l'intérêt de l'entreprise est caractérisé, au regard des pièces produites par l'employeur, les juges du fond ne pourraient porter d'appréciation sur l'opportunité ou non d'avoir recours au dispositif prévu par les articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020. En effet, les juges du fond ne peuvent, sous couvert du contrôle des conditions légales, s'immiscer dans les choix de gestion de l'employeur, sauf cas de fraude ou légèreté blâmable s'apparentant à une attitude frauduleuse. Cette limite a déjà été posée par la chambre en matière de licenciements pour motifs économiques. Dans un arrêt du 17 mars 202112, elle a rappelé cette jurisprudence dans les termes suivants : « 12. Il ressort en outre de la jurisprudence de la Cour de cassation, que si les juges du fond doivent contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique de licenciement au regard des critères posés par l'article L. 1233-3 du code du travail pour autant ils ne peuvent pas se substituer à l'employeur quant aux choix qu'il effectue pour faire face à la situation économique de l'entreprise. La Cour de cassation veille ainsi à ce que dans le cadre de ce contrôle de la réalité et du sérieux du motif économique, les juges du fond ne procèdent pas à une appréciation des choix de gestion de l'employeur ( Ass. plén., 8 décembre 2000, pourvoi n° 9744.219, Bull. 2000, Ass. plén., n° 11, Soc., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-40.046, Bull. 2009, V, n° 173) 13.
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Soc., 17 mars 2021, pourvoi n° 19-12.025, 19-12.026, 19-12.027
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Cf. On peut citer également Soc., 4 mai 2017, pourvoi n° 15-28.185 ou Soc., 24 mai 2018, pourvoi n° 16-18.307
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13. Il ressort de cette jurisprudence que dès lors que l'employeur justifie de difficultés économiques réelles et sérieuses, de mutations technologiques, d'une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou d'une cessation d'activité totale et définitive, il ne peut pas être sanctionné pour ses choix de gestion, même lorsqu'ils résultent d'une erreur d'appréciation (Soc., 14 décembre 2005, pourvoi no 03-44.380, Bull. 2005, n° 365)14. Seuls certains comportements fautifs de l'employeur, ne constituant pas une simple erreur dans l'appréciation du risque inhérent à tout choix de gestion, peuvent priver de cause réelle et sérieuse un licenciement de nature économique (Soc., 16 janvier 2001, pourvoi n° 98-44.647, Bull. V, n° 10 ; Soc., 4 novembre 2020, pourvoi n° 18-23.029, publication en cours). 14. Les difficultés économiques ne sauraient être ainsi issues d'une situation volontaire [...] » Ainsi, c'est seulement dans l'hypothèse d'une faute de l'employeur caractérisée par une « attitude intentionnelle et frauduleuse » de sa part ou «une situation artificiellement créée résultant d'une attitude frauduleuse »15 ou, enfin, en cas de légèreté blâmable de sa part16 que les juges du fond peuvent déclarer les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Or, il me semble qu'une solution identique devrait être retenue pour le dispositif prévu par l'ordonnance du 25 mars 2020 prévu dans l'urgence pour tenter de minimiser les effets de la crise sanitaire et du confinement. J'estime donc que l'employeur qui a fait application de ces textes devrait pouvoir justifier que sa décision repose sur l'intérêt de l'entreprise, caractérisé par des difficultés concrètes de tous ordres en lien avec la crise sanitaire rencontrées par ce dernier, à charge pour les juridictions saisies d'un éventuel contentieux de s'assurer de la réalité du motif ainsi invoqué mais également, lorsque cela est soulevé, de vérifier que l'employeur n'a pas agi par fraude ou légèreté blâmable s'apparentant à une attitude frauduleuse, soit dans le choix du recours à ce dispositif, soit dans sa mise en oeuvre. Il reste à déterminer si, dans notre espèce, ces textes pouvaient être mis en oeuvre dans notre espèce. 14
Voir également par exemple Soc., 24 mai 2018, pourvoi n° 17-12.560, Bull. 2018, V, n° 85, Soc., 4 novembre 2020, pourvois nº 18-23.029 à n° 18-23.033, Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 18-26.140, publié au Bulletin ou Soc., 24 novembre 2021, pourvoi n° 20-10.007 15
Cf. Par exemple Soc., 9 octobre 1991, pourvoi no 89-41.705, Bull. 1991, V, no 402 pour le cas d'un employeur ayant organisé son insolvabilité, Soc., 13 janvier 1993, pourvoi n° 91-45.894, Bull. 1993, V, n° 9 ; Soc., 12 janvier 1994, pourvoi n° 92-43.191 16
Cf.Soc., 22 septembre 2015, pourvoi n° 14-15.520
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Le Groupe Sanofi pouvait-il bénéficier de ces dispositions ? Cette question recouvre deux aspects : - d'une part, le groupe Sanofi invoquait-il et prouvait-il dans le cadre de la présente instance un quelconque « intérêt » à mettre en oeuvre ces dispositions ? - d'autre part, compte tenu de la nature des droits concernés, y a-t-il une atteinte à un droit protégé par une norme conventionnelle qui pourrait mettre en échec l'application de ces textes dans notre espèce ?
Le groupe Sanofi indique dans sa note du 26 mars 2020 ce qui suit : « Nous avons une mission à remplir. Nous sommes une entreprise solide, très bien organisée et structurée pour faire front à une situation exceptionnelle, et ce dans la durée. C'est une chance dans ce contexte inédit. Tous les moyens ont été mis en oeuvre pour que le travail puisse se poursuivre, lorsque cela est possible, dans des conditions satisfaisantes sur nos sites ou à domicile. Cela passe en premier lieu par la sécurisation de l'organisation et de ses salariés. Dans ce contexte sans précédent et fortement évolutif lié, d'une part, à la décision des autorités de renouveler les mesures de confinement pour une durée encore incertaine et, d'autre part, à la loi du 23 mars 2O2O d'urgence pour faire face à l'épidémie Covid-19, nous nous devons de poursuivre mais aussi d'ajuster les mesures prises au sein de notre Groupe. Au-delà de notre mobilisation actuelle, indispensable à l'effort national de santé, nous devons également préparer l'avenir en nous assurant que la reprise effective de nos activités puisse se dérouler dans les meilleures conditions lors des levées des mesures de confinement, afin de mettre à disposition nos traitements et vaccins pour des millions de patients en France et dans le monde. Nous savons pouvoir continuer à compter sur la contribution de chacun à la réalisation de notre mission de santé, sur la responsabilité et la collaboration de tous à l'effort collectif qui nous permettra de relever ces défis. » Puis, va être détaillée la série de mesures qui vont être prises au sein des sociétés du groupe, qui vont être explicitées ainsi : « Plus généralement, compte tenu de la probable prolongation du confinement, et afin d'être en mesure, après cette date, de reprendre pleinement nos activités au service de notre mission de santé, aucune prise de congés payés, JOTT, JRTT ne pourra intervenir au cours du mois de mai 2020, sauf circonstances particulières notamment pour les salariés actuellement mobilisés sur nos sites. » Ainsi, l'employeur invoquait au soutien de sa décision de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures, dont celles contestées, la poursuite de l'activité de façon 17
dégradée pendant le confinement mais aussi le surcroît d'activité prévisible à la fin de celui-ci. Il précisait dans ses conclusions que « Concrètement, les sociétés du Groupe SANOFI ont dû composer et adapter leur organisation en tenant compte : · d'une augmentation inattendue de l'absentéisme tenant au fait qu'une partie de leurs collaborateurs se trouvaient à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail ; · de la nécessité d'aménager les espaces de travail et d'adapter le taux d'occupation des locaux en raison des conditions sanitaires. » Ces difficultés d'ordre organisationnel sont, selon moi, susceptibles de justifier la mise en oeuvre des articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 comme je l'ai exposé plus haut. Par ailleurs, dans le cadre du litige l'opposant à la FNIC-CGT, le groupe Sanofi a produit diverses pièces pour justifier de la situation de ces établissements situés en France pendant la période de confinement et après la levée de celui-ci, et notamment divers extraits de PV de réunions de CSE ayant eu lieu courant mars 2020 ou tout début mai et évoquant des questions organisationnelles (cf. Pages 24 à 28 des conclusions d'appel). Je considère donc que la cour d'appel ne pouvait valablement, d'une part, estimer que les textes précités ne trouvaient à s'appliquer qu'en cas de difficultés économiques justifiées par l'employeur, d'autre part, ne pas examiner les pièces produites en l'espèce pour déterminer si elles établissaient ou non la réalité de difficultés rencontrées par l'employeur et liées à la crise du Covid-19 et à la mesure de confinement décidée par le Gouvernement.
En outre, et bien que cela ne soit pas invoqué par le FNIC-CGT, il ne me semble pas que les mesures prises par cette note de service portent atteinte aux droits des salariés, et notamment à leurs biens au sens de l'article 1 du protocole additionnel n°1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH). Ce texte est rédigé comme suit : « Article 1 du Protocole no 1 – Droit de propriété « 1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. 2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
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19 Les développements faits ci-après sont extraits du guide sur cet article17 accessible sur le site internet de la Cour européenne des droits de l'Homme. « La notion de « biens » [...] est une notion autonome, qui peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime ». L'espérance légitime « doit être plus concrète qu'un simple espoir et se fonder sur une disposition juridique ou un acte juridique tel qu'une décision judiciaire portant sur l'intérêt patrimonial en question ». Pour être réputée compatible avec l'article 1 du Protocole n°1, « l'atteinte [au droit de propriété] doit répondre à certains critères : elle doit se conformer au principe de légalité et poursuivre un but légitime par des moyens présentant un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but visé (arrêt du 5 janvier 2000, Beyeler c. Italie [GC], §§ 108-114) ». Ainsi, pour être compatible avec ce texte, « une ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens doit, en plus d'être prévue par la loi et servir une cause d'utilité publique, ménager aussi un « juste équilibre » entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ». Il convient de relever que ce texte a déjà été invoqué devant le Conseil d'Etat pour contester la légalité d'une instruction prise par le directeur général adjoint de Pôle emploi chargé des ressources humaines et des relations sociales et relative aux jours de repos des agents de l'institution. Dans sa décision du 22 juillet 202118, le Conseil d'Etat a jugé que : « 12. L'ordonnance est sans incidence sur le nombre de jours auxquels ont droit les salariés mais se borne, durant l'état d'urgence sanitaire, à permettre à l'employeur de leur imposer de prendre un congé. La circonstance que les déplacements hors du domicile aient été interdits au cours de la période concernée, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, ne conduit pas à considérer que les jours pris au cours de cette période n'étaient pas des jours consacrés au repos, à la détente et aux loisirs. La seule circonstance que les salariés peuvent se voir imposer de prendre des congés à des dates qu'ils n'ont pas choisies ne caractérise pas une atteinte à un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de
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Cf. Guide sur l'article 1 du protocole n°1 de la CEDH
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CE 1ère chambre, décision 22 juillet 2021, n° 441352
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sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit, dès lors, être écarté. » Il me semble que cette analyse peut être transposable à notre espèce. En effet, la décision contestée devant le Conseil d'Etat concernait tant les agents publics que les agents de droit privé. Il avait été appliqué à ces derniers les mêmes dispositions que celles qui nous intéressent. Or, ces textes ne privent pas les salariés de jours de congé mais permettent seulement à l'employeur de fixer les dates auxquelles ils seront pris ou de leur imposer un mode et une période « d'usage » de leurs jours épargnés sur leur CET. En tout état de cause, même si la chambre sociale estimait qu'il y a tout de même une atteinte au droit de propriété des salariés, notamment parce qu'ils se trouvent privés de jours épargnés sur leur CET, il convient de relever que cette atteinte était limitée à 10 jours, pour l'année 2020, dans la version initiale des dispositions qui vous sont soumises. Elle reposait sur des textes qui ont désormais valeur législative et était justifiée par la crise sanitaire mondiale et les mesures prises en France pour l'endiguer. Ces textes ont été pris pour tenter de prévenir autant que faire ce peut les cessations d'activité des entreprises et préserver les emplois de leurs salariés. Il me semble donc que ces dispositions ont assuré un équilibre entre divers droits, au nom de l'intérêt général, et que l'ingérence dans les droits des salariés concernés n'est pas objectivement critiquable.
Enfin, dans notre espèce, la mise en oeuvre de ces textes par les sociétés du groupe Sanofi ne l'est pas non plus, selon moi. Tout d'abord, la note de service en question ne comporte pas que la mesure relative aux jours de RTT, jours de repos conventionnels et jours épargnés sur le CET. Elle prévoit également le maintien des congés des salariés qui en avaient posés entre le 30 mars et le 30 avril 2020 ainsi que l'impossibilité de prendre des jours de congés en mai 2020, sauf circonstances particulières, mais, en contrepartie, la possibilité de reporter jusqu'au 31 août les jours non pris au titre de l'année 2020, jours dont le nombre passait de 5 à 10. Par ailleurs, s'agissant des mesures fondées sur les articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020, le groupe Sanofi les a appliquées aux « salariés qui sont 20
21 actuellement à domicile sans que leur activité principale ne puisse être exercée en télétravail de manière prolongée », ce qui, au vu des écritures des parties, représentait à peu près 2.800 des 28.000 salariés que le groupe emploie en France. De même, les 10 jours ainsi pris étaient positionnés sur la période allant du 30 mars au 17 avril 2020 soit pendant la période du confinement général, alors qu'il était initialement possible d'appliquer ces mesures jusqu'au 31 décembre 2020. Cette note de service est ainsi assez proche des mesures qui ont été édictées pour les « fonctionnaires et agents contractuels de droit public de la fonction publique de l'Etat, les personnels ouvriers de l'Etat ainsi que les magistrats de l'ordre judiciaire » par une ordonnance n°2020-430 du 15 avril 202019. Ce texte prévoit en son article 1 que, pour les agents de l'Etat qui ne peuvent télétravailler et sont placés en autorisation spéciale d'absence, 5 jours de RTT leur seront retirés pour la période allant du 16 mars au 16 avril 2020 et 5 autres jours, de RTT ou de congés annuels, pour la période allant du 17 avril au jour de la reprise par l'agent de son service. Il me semble donc qu'en limitant dans le temps à la stricte période de confinement mais également en circonvenant l'application de la mesure aux seules personnes n'ayant pu télétravailler pendant tout ou partie de ce confinement, tout en appliquant des mesures ayant des effets similaires aux autres salariés, le groupe Sanofi a fait une application des textes qui est conforme à leur objectif d'intérêt général.
c) avis Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que le groupe Sanofi pouvait se prévaloir des dispositions des articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020, qu'il les a mises en oeuvre dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux droits des salariés, qu'il n'est donc pas caractérisé un trouble manifestement illicite et que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er avril 2021 doit être cassé sur la troisième branche du premier moyen du pourvoi principal.
3/ Sur le deuxième moyen relatif à la note de service du 29 avril 2020
La question posée par le second moyen du pourvoi principal est de savoir si ce dispositif devait s'appliquer à tous les salariés concernés ou si l'employeur pouvait décider de l'écarter et mettre en oeuvre d'autres mesures prévues par les 19
Ordonnance n° 2020-430 du 15 avril 2020 relative à la prise de jours de réduction du temps de travail ou de congés dans la fonction publique de l'Etat et la fonction publique territoriale au titre de la période d'urgence sanitaire
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ordonnances prises pendant la période de confinement, et notamment dans notre espèce les mesures prévues aux articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020. a) La norme dont l'application a été écartée par le Groupe Sanofi Le recours plus aisé à l'activité partielle avait été prévu dès le début du confinement. En effet, comme cela a été indiqué plus haut, la loi d'habilitation du 23 mars 2020 avait prévu que le Gouvernement pouvait prendre des mesures pour « limiter les ruptures des contrats de travail et d'atténuer les effets de la baisse d'activité, en facilitant et en renforçant le recours à l'activité partielle pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille, notamment en adaptant de manière temporaire le régime social applicable aux indemnités versées dans ce cadre, en l'étendant à de nouvelles catégories de bénéficiaires, en réduisant, pour les salariés, le reste à charge pour l'employeur et, pour les indépendants, la perte de revenus, en adaptant ses modalités de mise en œuvre, en favorisant une meilleure articulation avec la formation professionnelle et une meilleure prise en compte des salariés à temps partiel ». Un décret n°2020-325 du 25 mars 2020 relatif à l'activité partielle puis une ordonnance n°2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle20 avaient adapté les textes du code du travail pour tenir compte de la situation sanitaire. Alors que la fin du confinement avait déjà été annoncée par le Président de la République, par une loi n°2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 202021, il a été prévu dans un article 20 que : « I. - Sont placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs suivants : - le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2, selon des critères définis par voie réglementaire ; - le salarié partage le même domicile qu'une personne vulnérable au sens du deuxième alinéa du présent I ; - le salarié est parent d'un enfant de moins de seize ans ou d'une personne en situation de handicap faisant l'objet d'une mesure d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile. II. - Les salariés mentionnés au I du présent article perçoivent à ce titre l'indemnité d'activité partielle mentionnée au II de l'article L. 5122-1 du code du travail, sans que les conditions prévues au I du même article L. 5122-1 soient requises. Cette indemnité 20
Ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière d'activité partielle
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LOI n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 (1)
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d'activité partielle n'est pas cumulable avec l'indemnité journalière prévue aux articles L. 321-1 et L. 622-1 du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux articles L. 732-4 et L. 7423 du code rural et de la pêche maritime ou avec l'indemnité complémentaire prévue à l'article L. 1226-1 du code du travail. L'employeur des salariés mentionnés au I du présent article bénéficie de l'allocation d'activité partielle prévue au II de l'article L. 5122-1 du code du travail. III. - Le présent article s'applique à compter du 1er mai 2020, quelle que soit la date du début de l'arrêt de travail mentionné au premier alinéa du I du présent article. Pour les salariés mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du même I, celui-ci s'applique jusqu'à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2020. Pour les salariés mentionnés au dernier alinéa dudit I, celui-ci s'applique pour toute la durée de la mesure d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile concernant leur enfant. Les modalités d'application du présent article sont définies par voie réglementaire. » Ainsi, ce texte ne va régir que la situation des personnes ne pouvant reprendre le travail pour des raisons personnelles qui sont énumérées. A compter du 1er mai 2020, elles ne relèveront plus du régime de l'assurance maladie, comme c'était le cas auparavant. Les modalités d'application de ce texte vont être notamment précisées par décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 définissant les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 et pouvant être placés en activité partielle au titre de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, modifié ultérieurement à plusieurs reprises.
b) interprétation de cette disposition Il doit être relevé que l'article 20 précité n'exclut pas, sauf dérogation expressément prévue, l'application des articles L. 5122-1 et suivants et R. 5122-1 et suivants, qui fixent le régime de droit commun de la mise en activité partielle. Ainsi, s'il est indiqué que les conditions prévues au I de l'article L. 5122-1 sont écartées, les autres dispositions du code du travail ne le sont pas. Or, l'article R. 5122-1 prévoit que la décision de placement en activité partielle appartient à l'employeur, qui doit, toutefois, solliciter l'autorisation préalable de l'administration. En outre, la formulation impérative de l'article 20 (à savoir « Sont placés en position d'activité partielle.... ») est similaire à celle de du I de l'article L 5122-1 alors même qu'en application de ce second texte, l'employeur conserve le choix de placer ou non ses salariés en activité partielle, si un certain nombre de conditions sont remplies.
Enfin, cet article 20, introduit par amendement, n'a pas été présenté lors des débats parlementaires comme un dispositif impératif. A mon sens, il a été prévu pour permettre de régler durablement la situation des salariés qui, en raison de leur situation personnelle, n'allaient pas pouvoir retourner au travail ou télétravailler, malgré la fin du confinement. Je pense donc que, contrairement à ce qu'a pu jugé la cour d'appel, ce dispositif n'était pas impératif et que l'employeur pouvait faire le choix de ne pas y recourir. Pouvait-il pour autant, comme l'ont fait les sociétés du groupe Sanofi, faire application des articles 2 et4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 évoqués plus haut ? c) Possibilité de mettre en oeuvre d'autres dispositions prises dans le cadre de la crise sanitaire Les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 étaient, dans la version initiale du texte, applicables jusqu'au 31 décembre 2020. Ainsi, l'employeur pouvait toujours les mettre en oeuvre, même après la fin du confinement. Pour autant, il devait justifier que « l'intérêt de l'entreprise » présidait à cette application. Comme je l'ai proposé et expliqué plus haut, il me semble qu'il incombe à l'employeur de prouver qu'il remplit cette condition et celle-ci doit être appréciée à la date à laquelle la mesure est mise en oeuvre, soit dans notre espèce au 29 avril 2020. Contrairement à celle du 26 mars 2020, la seconde note de service ne fait aucunement mention de la situation générale et de la situation des sociétés du groupe. Elle se limite à exposer le dispositif instauré par l'article 20 de la loi de finances rectificative du 25 avril 2020, à indiquer que l'employeur « souhaite éviter » la mise en place de ce « dispositif de chômage partiel » et, ensuite, à reprendre les mesures prévues dans la note de service du 26 mars, avec la précision que les 10 jours de congés seraient positionnés à compter du 4 mai. Elle n'explique pas pourquoi l'employeur privilégie la prise de jours de congés plutôt que le placement en activité partielle, et en quoi cela pourrait répondre à l'intérêt de l'entreprise. Dans le cadre de la présente instance, il n'est fourni aucune indication sur le nombre de salariés, qui ne pouvaient reprendre leur activité et dont l'absence devait donc être
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organisée, sur les éventuelles difficultés rencontrées à cette époque par le groupe, étant précisé que le confinement s'achevait le 10 mai au soir. Par ailleurs, dans ses écritures d'appel, le groupe Sanofi soutient qu'il était en droit d'appliquer les articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020 car ce dispositif était plus favorable que le placement en activité partielle des salariés concernés. Mais, ce seul fait ne saurait suffire, à mon sens, à caractériser l'intérêt de l'entreprise. Enfin, il convient de relever que, dans la note de service du 29 avril, il est indiqué in fine ce qui suit : « Compte tenu du caractère très exceptionnel de la situation sanitaire et en fonction de son évolution notamment au regard de la reprise de la vie scolaire et des modalités d'application, nous pourrions prendre d'autres dispositions dont nous ne manquerons pas de vous tenir informés. » Certes, cette phrase figurait déjà dans la première note de service du 26 mars. Cependant, dans leurs écritures d'appel, les sociétés du groupe Sanofi indiquaient également en page 35 : « à compter du 4 mai 2020 : il a été imposé à ces salariés la prise de JRTT / JOTT ou de jours épargnés sur le CET à hauteur de 10 jours. Au-delà de la période couverte par la prise imposée de 10 jours de repos, ces salariés ont été placés en dispense d'activité intégralement rémunérée, et ce jusqu'au 31 mai 2020. » Or, l'employeur ne s'est pas expliqué sur cette date 22, alors qu'il se réservait le droit de « prendre d'autres dispositions » ultérieurement.
c) avis Pour toutes ces raisons, je considère que, si la cour d'appel ne pouvait valablement retenir que les dispositions de l'article 20 de la loi du 25 avril 2020 étaient impératives et ne permettaient pas à un employeur de ne pas les mettre en oeuvre, il me semble qu'en l'espèce, les sociétés du groupe Sanofi ne justifiaient pas du respect des conditions légales pour faire application à leurs salariés, et à cette période, des dispositions des articles 2 et 4 de l'ordonnance du 25 mars 2020. Je pense donc, pour des motifs différents de ceux retenus par la cour d'appel, que la violation de ces textes est caractérisée et par là-même le trouble manifestement illicite. Je suis donc d'avis de rejeter ce second moyen.
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Qui ne coïncide pas avec le passage au second stade du déconfinement fixé au mardi 2 juin 2020.
B/ SUR LE POURVOI INCIDENT La FNIC-CGT estime que sa demande tendant au rétablissement des salariés dans leurs droits à congés est recevable, en vertu des dispositions de l'article L. 2132-3 du code du travail, au motif qu'elle ne tend pas « à la constitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés ». Ce texte prévoit que « Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent. » La doctrine a notamment pu voir dans la défense de l'intérêt collectif de la profession conférée aux organisations syndicales « une fonction [...] préventive : éviter les atteintes aux droits des travailleurs par une sanction dissuasive ou obtenir une interprétation du droit favorable aux intérêts de ceux-ci. »23 ou encore un rôle de « gardien de la légalité sociale ou conventionnelle », un syndicat pouvant « demander réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif en raison d'une violation du code du travail ou demander l'exécution d'un accord collectif »24. La chambre a eu l'occasion d'apporter des précisions sur la notion d'intérêt collectif. S'il est vrai qu'elle a pu casser des arrêts qui avaient déclaré irrecevables l'action de syndicats qui « ne tendait pas au paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées »25, elle a aussi rappelé, à plusieurs reprises, qu'un syndicat ne pouvait agir pour exercer ou défendre des droits exclusivement attachés à la personne du ou de salariés26. 23
Cf. Répertoire de droit du travail, article intitulé « Syndicats professionnels : prérogatives et action », rédigé par M. Ylias FERKANE Maître de conférences à l'Université Paris Nanterre, version de juin 2020
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Cf. Pascal Lokiec et Jérôme dans un article intitulé « Droit du travail - Relations professionnelles septembre 2016 - septembre 2017 », Recueil Dalloz 2017 p.2270 25
Cf. Par exemple Soc., 12 février 2013, pourvoi n° 11-27.689, Bull. 2013, V, n° 36 : « Qu'en statuant ainsi, alors que l'action du syndicat, qui ne tendait pas au paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées, mais à l'application du principe d'égalité de traitement, relevait de la défense de l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; » 26
Cf. Par exemples Soc., 11 septembre 2012, pourvoi n° 11-22.014, Bull. 2012, V, n° 226 et Soc., 9 mars 2016, pourvoi n° 1411.837, 14-11.862, Bull. 2016, V, n° 46 pour une action en contestation du transfert d'un contrat de travail ou Soc., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-20.812, Bull. 2016, V, n° 255 pour « les demandes autres que celle relative au constat de l'irrégularité de la mise en oeuvre des dispositions conventionnelles relatives à la convention de forfait » à savoir « les demandes tendant à voir déclarer inopposable aux salariés la convention irrégulière de forfait en heures et à dire que le décompte de leur temps de travail et le paiement des heures supplémentaires doivent être effectués selon le droit commun »
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Or, dans notre espèce, si le constat de l'illégalité des notes de service constitue une demande tendant à la défense de l'intérêt des salariés, et donc à celle de l'intérêt collectif de la profession, la demande de rétablissement des salariés dans leurs droits à congés ne l'est pas. En effet, bien que les salariés ne soient pas dénommés, ni que n'est chiffré le nombre de jours de congés à restituer à chacun, il ne peut qu'être relevé que les droits à congés sont, par nature, des droits attachés à la personne de chaque salarié. Pour toutes ces raisons, je considère que les juges du fond ont, à juste titre, déclaré irrecevable la demande du syndicat et je suis au rejet du pourvoi incident. Ainsi, je suis d'avis de casser l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 1er avril 2021 sur le premier moyen du pourvoi principal mais de ne pas renvoyer l'affaire à une cour d'appel, la cassation ne laissant rien à juger au fond entre les parties.