Cass. com., Conclusions, 05-04-2023, n° 21-20.905
A85382RN
Référence
AVIS DE M. LECAROZ, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 260 du 5 avril 2023 – Chambre commerciale Pourvoi n° 21-20.905 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 9 juin 2021
M. [D] [W] C/ Société générale _________________
Le présent pourvoi pose des questions de droit bien connues en matière de cautionnement, qui portent sur les mentions manuscrites exigées par la loi en matière de cautionnement et sur le devoir de mise en garde.
1. - Le premier moyen : les mentions manuscrites de l'acte de cautionnement du 12 décembre 2011 On sait que la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique, dite « loi Dutreil », a considérablement élargi le domaine du formalisme du cautionnement en prévoyant des mentions selon un modèle légal que la caution devait reproduire de manière manuscrite sous peine d'annulation de l'acte. Votre jurisprudence en la matière est bien connue. On notera d'ailleurs qu'elle aura vocation à disparaître avec l'ordonnance n° 201-1192 du 15 septembre 2021, qui supprime les formules légales du cautionnement et du cautionnement solidaire, en prévoyant simplement à l'article 2297 du code civil un certain nombre d'indications que l'acte de cautionnement conclu à compter du 1er janvier 2022 devra comporter.
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Dans le cadre du régime antérieur à l'ordonnance de 2021, vous avez d'abord retenu que la moindre divergence entre les mentions manuscrites exigées ad validatem par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation et celles figurant dans l'acte de cautionnement, entraînait l'annulation de ce dernier, sauf erreur matérielle (voir par exemple, Com., 5 avr. 2011, n° 09-14.358, Bull. N° 55). Puis vous avez choisi, comme la première chambre civile, une voie plus équilibrée selon laquelle l'annulation du cautionnement pouvait être prononcée à la condition que le non-respect des mentions exigées par la loi ait altéré le sens et la portée de la mention. Le juge de cassation, devenu juge de l'altération du sens et de la portée de l'engagement de la caution, est donc obligé de statuer au cas par cas. On rappellera donc les constatations de l'arrêt qui rappelle le contenu des mentions manuscrites du cautionnement du 12 décembre 2011 par lequel M. [W] s'est porté caution des dettes de la SARL Chez [D] : « En me portant caution de la SARL Chez [D], dans la limite de la somme de 71 500 € (soixante et onze mille cinq cents euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard pour une durée (au lieu de la) de 9 années, Je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus ou (au lieu de et) mes biens si la SARL Chez [D] n'y satisfait pas lui-même (le débiteur dans la formule légale). En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec la SARL Chez [D]. Je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il puisse poursuivre préalablement la SARL Chez [D]. » La cour d'appel, comme le tribunal de commerce de Melun, a considéré que les défauts rédactionnels des mentions manuscrites de M. [W] n'entraînaient pas annulation de cet acte « dès lors que les minimes altérations n'ont pas modifié la compréhension par M. [W] du sens et de la portée de son engagement ». Cette analyse peut être partiellement validée pour certaines erreurs relatives à la ponctuation, à une majuscule et à la substitution d'un article défini par un article indéfini. La première chambre civile a déjà jugé que ni l'omission d'un point, ni la substitution d'une virgule à un point entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité, ni l'apposition d'une minuscule au lieu d'une majuscule au début de la seconde de ces formules, n'affectent la portée des mentions manuscrites prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation (1re Civ., 11 sept. 2013, n° 12-19.094, Bull. N° 174). Vous avez aussi jugé que l'absence de ponctuation au sein de la mention manuscrite n'affecte pas la validité de l'engagement de la caution (Com., 14 juin 2016, n° 15-11.106). En revanche, la substitution de la conjonction de coordination « et » par « ou » me semble d'une autre nature puisqu'elle a pour effet de réduire l'assiette du gage du créancier. Vous avez approuvé une cour d'appel qui avait annulé un cautionnement qui comportait la même erreur selon les motifs suivants : « qu'après avoir constaté que la formule écrite de la main de la caution prévoyait que celle-ci s'engageait sur ses revenus ou ses biens et non sur ses revenus et ses biens, conformément à la mention manuscrite légale, c'est exactement que la cour d'appel a retenu qu'elle en modifiait le sens et la portée quant à l'assiette du gage du créancier » (Com., 26 janv. 2016, n° 14-20.868). Je suis donc à la cassation sur le premier moyen, pris en sa première branche.
2. Le second moyen : l'obligation de mise en garde
Par deux arrêts rendus le même jour, la chambre mixte a posé le principe selon lequel une banque doit justifier avoir satisfait à son obligation de mise en garde à l'égard d'un emprunteur non averti « à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts » (Ch. Mixte., 29 juin 2007, n° 05-21.104, Bull. N° 7 ; Ch. Mixte., 29 juin 2007, n° 06-11.673, Bull. N° 8). Ce principe a été étendu aux cautions non averties (voir par exemple, 1re Civ., 27 fév. 2007, n° 05-12.262 ; 1re Civ., 27 fév. 2013, n° 12-13.950), avec cette particularité que, caractère accessoire du cautionnement oblige, la caution non avertie pouvait se prévaloir, d'un côté de l'inadaptation de son engagement de caution au regard de ces capacités financière et, de l'autre de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. Ainsi, la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ( Com., 15 nov. 2017, n° 1616.790, Bull. N° 149). Ces principes généraux relatifs à l'obligation de mise en garde méritent d'être précisés en cas d'annulation du cautionnement et quant à la condition d'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur. 2.1. - Le sort de l'obligation de mise en garde en cas d'annulation du cautionnement L'existence du devoir de mise en garde malgré l'annulation du contrat de cautionnement paraît difficilement envisageable. D'abord, selon une jurisprudence constante, le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter (Com., 20 oct. 2009, n° 08-20.274, Bull. N° 127) « à de meilleures conditions », ajoutent certains auteurs de doctrine. Vous avez jugé qu' « en conséquence, viole l'article 1147 du code civil, la cour d'appel qui retient que le préjudice découlant du manquement d'une banque à son devoir de mise en garde envers une caution consiste pour celle-ci à devoir faire face au remboursement du prêt consenti au débiteur principal à concurrence du montant de son engagement » (Com., 20 oct. 2009, n° 08-20.274, Bull. N° 127). Dès lors que le contrat de cautionnement est annulé rétroactivement, ce qui devrait libérer la caution de toute obligation d'exécuter le contrat et obliger la banque à rembourser les sommes perçues en vertu de celui-ci, on voit mal quel préjudice complémentaire serait réparé par le manquement au devoir de mise en garde, qui sanctionne une perte de chance de ne pas contracter. Ensuite, le maintien d'une obligation contractuelle (ou précontractuelle, nous ne rentrerons pas dans ce débat doctrinal), ne peut s'envisager que dans les cas du maintien au moins partiel des effets du cautionnement. Ce maintien a été consacré en cas d'annulation d'un contrat à exécution successive garanti par le cautionnement en cas de livraisons déjà intervenues. Vous avez jugé que « si le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable, au cas où est constatée la nullité d'un contrat successif, seule la disparition des obligations nées de ce contrat peut entraîner la disparition du cautionnement, lequel conserve son efficacité à l'égard des obligations subsistantes. Dès lors doit être censuré l'arrêt qui, après avoir énoncé que la convention conclue entre deux sociétés pour la distribution de carburants était nulle et retenu que son exécution nécessitait d'établir les comptes entre les parties, décide que les cautions seront libérées de leur engagement, alors que la nullité du contrat n'ayant pas éteint l'obligation de
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payer les livraisons effectuées, les cautions demeureront tenues à cet égard comme la société débitrice » (Com., 4 fév. 1986, n° 84-13.496 Bull. IV n° 1 ; Com., 12 fév. 1991, n° 89-10.882 Bull. IV n° 61). De même, le cautionnement consenti subsiste pour assurer les restitutions devant intervenir à la suite de l'annulation du contrat du prêt, quand bien même l'exécution serait instantanée (1re Civ., 25 mai 1992, n° 90-21.031, Bull. IV n° 154) ; Mais nous sommes ici confrontés à une annulation du contrat de cautionnement lui-même. Je ne vois en l'espèce qu'une situation qui pourrait justifier le maintien du cautionnement et donc du devoir de mise en garde malgré la violation des dispositions légales relatives aux mentions manuscrites exigées en matière de cautionnement. Il s'agit de la confirmation de l'acte de cautionnement irrégulier par son exécution volontaire par la caution. En effet, vous avez jugé que la violation du formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l'affectant, qui vaut confirmation au sens de l'article 1338 du code civil (Com., 5 fév. 2013, n° 12-11.720, Bull. N° 20). Même si cette situation peut relever du cas d'école, il est possible d'envisager qu'une caution serait à la fois prête à exécuter ses obligations de caution en vertu d'un cautionnement irrégulier, sans pour autant renoncer à engager la responsabilité de la banque qui aurait manqué à son devoir de mise en garde. 2.2. - Contenu de l'obligation de mise en garde On sait que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur (Com., 15 nov. 2017, n° 1616.790, Bull. N° 149 - FS-P+B+I). Vous pourriez vous interroger sur le contenu de l'obligation de mise en garde : la banque a-telle l'obligation de mettre en garde la caution contre le risque que les revenus de l'emprunteur ne permettent pas à celui-ci d'honorer les échéances du prêt, ou si elle est seulement tenue de mettre en garde la caution contre le risque d'endettement de l'emprunteur, apprécié au regard de l'ensemble des biens et revenus de ce dernier. Il me semble que c'est en considération de l'ensemble des biens et revenus de l'emprunteur que doit s'apprécier l'adaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, et non en fonction de ses seuls revenus. En effet, le risque de défaillance du débiteur principal ne se résume pas à la comparaison des montants des échéances du prêt et de ses revenus. C'est le risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, qui résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur, qui doit être pris en considération. Or cette notion renvoie à celle du devoir de mise en garde de l'établissement de crédit à l'égard de l'emprunteur lui-même. Dans cette matière, vous avez ainsi apprécié les capacités financières de l'emprunteur de manière globale en tenant compte, non seulement du montant des échéances mensuelles du prêt, mais aussi, du fait que le financement portait sur la totalité de la valeur d'un fonds de commerce, l'emprunteur n'ayant fait aucun apport, que les loyers étaient en forte augmentation et que « selon l'administrateur chargé de la procédure judiciaire de la société débitrice, le fonds
de commerce avait été acquis à un prix trop élevé, le financement de l'opération étant insuffisant et la société avait souffert d'un manque d'activité depuis l'ouverture » (Com., 24 nov. 2021, n° 19-25.195). La solution est ancienne et constante. Le patrimoine immobilier de l'emprunteur doit être pris en considération, ou du moins, le juge du fond ne peut condamner la banque pour manquement à son devoir de mise en garde sans répondre aux conclusions de cette banque qui se prévalait de ce patrimoine (Com., 27 nov. 2012, n° 11-19.311). Cet arrêt est intéressant en ce que la cour d'appel, pour condamner la condamnation de la banque, avait retenu que la banque, débitrice d'une obligation de mise en garde envers ... [les] emprunteurs non avertis, aurait dû attirer leur attention sur le risque d'endettement né de l'octroi du crédit dont les échéances de remboursement s'élevaient à 50 % de leurs ressources mensuelles moyennes, au vu de l'avis d'imposition du ménage sur ses revenus de l'année 2004. De même, pour apprécier les capacités de remboursement de l'emprunteur, il faut tenir compte de son patrimoine immobilier (1re Civ., 24 mai 2017, n° 16-14.962). Et vous avez jugé que pour apprécier l'adaptation du prêt souscrit aux capacités financières de l'emprunteur, condition de l'existence de l'obligation de mise en garde du banquier dispensateur de crédit, il faut prendre en considération l'ensemble des biens et revenus, ainsi que les charges (Com., 8 mars 2017, n° 15-13.860, 14-29.766). Je conclus donc à la cassation de l'arrêt sur le premier moyen, pris en sa première branche.
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