Cass. soc., Conclusions, 22-11-2023, n° 22-14.807
A85372RM
Référence
AVIS DE Mme LAULOM, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 2096 du 22 novembre 2023 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-14.807 Décision attaquée : 17 février 2022 de la cour d'appel de Versailles Fédération des services CFDT C/ Société Tui France _________________
1. Faits et Procédure Suite à plusieurs opérations de fusion-absorption, la question d'une inégalité de traitement, au sein de la société TUI France, entre les salariés d'une des sociétés absorbées, la société Transat France et les salariés “historiques” de TUI France, a été soulevée par la Fédération des Services CFDT. Faute d'accord avec la direction sur la nature d'une rémunération, la Fédération a saisi le tribunal judiciaire de Nanterre pour obtenir la condamnation de la société Tui France à verser une prime de 13 ème mois aux salariés n'en bénéficiant pas à la suite de ces différents transferts. Le tribunal judiciaire de Nanterre a : - ordonné à la société Tui France de mettre fin à l'inégalité de traitement en versant, à compter du mois suivant celui de la signification du jugement, une prime de treizième mois aux salariés n'en bénéficiant pas et en régularisant la situation pour le passé dans la limite de la prescription triennale applicable, à défaut sous astreinte de 500 euros par salarié concerné et par mois de retard à compter du 1er avril 2020 et pendant six mois,
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- condamné la société Tui France à verser à la Fédération des Services CFDT la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession, - condamné la société Tui France à verser à la Fédération des Services CFDT la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, - rejeté les autres demandes, - ordonné l'exécution provisoire du jugement. La société Tui France a obtenu l'arrêt de l'exécution provisoire ordonnée en première instance et elle a fait appel de la décision. Par arrêt du 17 février 2022, la cour d'appel de Versailles a rejeté la demande de la société tendant à prononcer la nullité du jugement pour défaut de motivation, a infirmé en toutes ces dispositions ce jugement, a déclaré irrecevable l'action de la fédération, a débouté la société de sa demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile et la fédération de sa demande présentée sur le même fondement et a condamné la fédération aux dépens. Le moyen unique du pourvoi reproche à la cour d'appel d'avoir déclaré l'action de la fédération irrecevable alors « que le syndicat peut agir en justice pour contraindre l'employeur à mettre fin à une situation illicite ; que pour dire irrecevable la demande, la cour d'appel a retenu que l'application du principe d'égalité de traitement, qui suppose que la situation de chaque salarié soit comparée à celle des salariés placés dans la même situation ou dans une situation équivalente, ne peut faire l'objet d'une appréciation collective et que l'action intentée consiste donc en la revendication d'un droit lié à la personne et appartient à ce seul salarié, de sorte qu'une atteinte à l'intérêt collectif de la profession ne peut pas être revendiquée ; qu'en statuant ainsi, quand l'action de la fédération syndicale tendait à voir ordonner à l'employeur de mettre fin à une inégalité de traitement et relevait donc de la défense de l'intérêt collectif de la profession, la cour d'appel a violé l'article L.2132-3 du code du travail. »
2. La défense de l'intérêt collectif de la profession Le principe de l'action en justice des organisations syndicales pour la défense de l'intérêt collectif de la profession a été reconnu par la jurisprudence dès 1913 1 et consacré par la loi 12 mars 1920. La formulation législative est restée quasiment inchangée depuis lors: “Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent” (aujourd'hui article L. 2132-3 du code du travail). L'action en défense de l'intérêt collectif est l'une des premières prérogatives reconnues aux organisations syndicales. Elle est aujourd'hui rattachée à la liberté syndicale2. 1
Ch. réunies, 5 avril 1913
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Voir Soc., 5 juin 2013, pourvoi n° 12-27.478, Bull. 2013, V, n° 147, QPC.
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La remarquable stabilité de l'énoncé du principe n'exclut pas que l'application de cet article a toujours suscité un contentieux régulier pour déterminer ce qui relève de l'intérêt collectif de la profession. L'interprétation qui est en faite par la chambre sociale semble stabilisée même si la doctrine a pu la qualifier de “sophistiquée”3 ou de “sinueuse”4. En réalité, les difficultés d'application apparaissent consubstantielles à la coexistence de l'action dans l'intérêt collectif avec celles dans l'intérêt individuel et dans l'intérêt général (qui n'est pas en cause ici), à la variété des situations où les organisations syndicales agissent et à la diversité d'objets des demandes. De manière générale, l'intérêt collectif, en tant qu'il est l'intérêt d'un groupe (distinct du syndicat qui va agir) est distinct des intérêts individuels des membres. L'intérêt collectif n'est donc pas la somme des intérêts individuels des salariés constituant une collectivité5. L'intérêt collectif est caractérisé lorsque se pose une question de principe ou de portée générale intéressant l'ensemble de la collectivité professionnelle 6. La frontière entre ce qui relève de l'intérêt collectif de la profession et ce qui relève de la situation individuelle de chaque salarié reste difficile à tracer en raison des liens qui existent nécessairement entre intérêt collectif et intérêt individuel qui ne s'excluent pas l'un l'autre pas plus qu'ils ne se confondent. Ainsi, l'action collective peut trouver sa source dans l'atteinte d'un intérêt individuel révélateur d'une atteinte au groupe dont il fait partie. Autre source de difficulté, la défense de l'intérêt collectif emporte souvent des conséquences qui relèvent de la défense de l'intérêt individuel 7. F. Guiomard synthétise ainsi la jurisprudence de la chambre sociale: “Les seules réserves que les juges peuvent marquer à l'égard de la recevabilité de l'action dans l'intérêt collectif de la profession se rapportent non à la matière contestée, mais à l'objet des demandes présentées. Dès lors que la demande porte à titre principal sur la défense des intérêts collectifs de la profession, elle ne saurait avoir pour objet que des réparations ou des mesures d'ordre collectif, à l'exclusion de tout droit individuel au profit des salariés concernés. Le syndicat ne saurait, en effet, en application de l'effet relatif du jugement, revendiquer de droits individuels au profit des salariés, qui demeurent des tiers à l'action s'ils n'ont pas été mis dans la cause”8. 3
C. Wolmark, “L'action dans l'intérêt collectif. Développements récents”, Dr. Soc. 2017. 631.
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Y. Ferkane, Syndicats professionnels: prérogatives et action. Répertoire de droit du travail, Dalloz, § 110. 5
Y. Ferkane § 104.
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J.-M. Verdier, Syndicats et droit syndical, 2ème édition, volume I, Dalloz, Droit du travail, dir. G.H. Camerlynck, 1987. 7
B. Gauriau, “De la qualité à agir du syndicat”, JCP 2017 éd. S, n° 5-6, 1045.
F. Guiomard, “L'action en justice des syndicats dans l'entreprise : “vieille lune”, toujours actuelle?”, Dr.soc. 2017.2020. 8
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Les exemples jurisprudentiels de cette ligne de partage sont nombreux, quand bien même les formulations peuvent varier. Ainsi, l'action du syndicat est recevable lorsqu'il sollicite la condamnation de l'employeur à appliquer une convention ou un accord collectif à une collectivité de salariés déterminée, mais non à chacun des salariés nommément désignés9. Même lorsque les faits litigieux portent atteinte à l'intérêt collectif de la profession, la demande du syndicat ne peut avoir pour objet de se substituer à une action individuelle d'un ou des salariés concernés. Seule l'action en substitution, lorsqu'elle admise, est alors possible. La contestation d'un droit individuel propre à un ou des salariés constitue également une limite à l'action syndicale. Ainsi, “si la violation des dispositions de l'article L. 12241 du code du travail ayant pour objet le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert de leur contrat de travail porte atteinte à l'intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat, de sorte que l'intervention de ce dernier au côté du salarié à l'occasion d'un litige portant sur l'applicabilité de ce texte est recevable, l'action en revendication du transfert d'un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié”. L'action du syndicat doit donc être déclarée irrecevable lorsqu'elle a pour objet la poursuite au sein de l'entreprise entrante des contrats de travail des salariés non parties à l'instance10. En matière d'égalité de traitement, dans un arrêt du 12 février 201311, la cour de cassation après avoir constaté que " pour déclarer irrecevable la demande du syndicat tendant à ce qu'il soit ordonné à l'employeur de régulariser au regard de la prime de "temps repas" la situation des salariés de fabrication de nuit et de ceux qui travaillent uniquement selon l'horaire 7 heures / 14 heures 32, la cour d'appel énonce que le syndicat demandait au tribunal de dire que l'employeur devrait payer la prime dite de temps repas à l'ensemble des salariés et que quelle que soit l'origine (usage ou accord collectif) de cette prime, il est certain que le syndicat ne pouvait demander le paiement de cette prime à l'ensemble des salariés, l'objet du litige n'étant pas de nature à mettre en cause l'intérêt collectif de la profession", a admis la recevabilité de l'action syndicale dès lors que celle-ci “ne tendait pas au paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées, mais à l'application du principe d'égalité de traitement”. L'action du syndicat serait recevable dès lors que l'employeur sollicite la condamnation de l'employeur à appliquer le principe d'égalité de traitement à une collectivité de salariés déterminés mais non à chacun des salariés nommément désignés. La 9
Soc. 3 mai 2007, Bull. civ. V, n° 68 ; Soc. 16 janvier 2008, n° 07-10.095, Bull. civ. V, n° 10. Soc. 14 novembre 2014, n° 13-23.899, Bull. civ. V, n° 271. 10
Soc., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-10.460, Bull. 2017, V, n° 121. Voir également Soc., 9 mars 2016, pourvoi n° 14-11.837, 14-11.862, Bull. 2016, V, n° 46 : “si l'action exercée par le syndicat tendant à la constitution d'une réserve spéciale de participation en raison d'une fraude alléguée aux droits des salariés à la participation aux résultats de l'entreprise est recevable, elle ne l'est plus si l'action suppose, au préalable, que le juge se prononce sur la validité du transfert des contrats de travail intervenu en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail”. 11
Soc., 12 février 2013, pourvoi n° 11-27.689, Bull. 2013, V, n° 36.
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formulation du principe semble opérer une ligne de partage claire et assez facile à mettre en oeuvre entre intérêt collectif et intérêt individuel: dès lors que l'objet de la demande concerne la collectivité des salariés et qu'elle n'a pas pour objet le paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées, l'action est recevable. Peu importerait ainsi que la conséquence de l'action syndicale et de la condamnation de l'employeur emporte le versement aux salariés de sommes d'argent ou l'octroi d'avantages directement au profit des salariés, dès lors que la demande ne nomme aucun salarié ou ne précise aucune somme d'argent déterminée. Cette lecture extensive de cet arrêt est pourtant contredite par des arrêts postérieurs de la chambre sociale qui définissent une autre ligne de partage. Ainsi, dans un arrêt du 14 décembre 201612, l'action des syndicats, tendant à l'application de dispositions d'un accord de branche relatives à la rémunération d'une catégorie de salariés et à la reconnaissance de l'irrégularité de leur mise en oeuvre, en l'absence de formalisation d'une convention individuelle de forfait, est déclarée recevable. Les demandes des syndicats tendaient également à ce que la convention de forfait soit déclarée inopposable aux salariés, que le décompte de leur temps de travail et de leurs heures supplémentaires soit effectué en application du droit commun et que l'employeur soit condamné à payer la rémunération majorée des heures supplémentaires éventuelles dues aux salariés. La cour d'appel avait admis la recevabilité de ces demandes au motif que “l'action ne tend pas au paiement de sommes déterminées au profit de personnes nommément désignées”. La chambre sociale casse la décision au motif que “les demandes autres que celle relative au constat de l'irrégularité de la mise en oeuvre des dispositions conventionnelles relatives à la convention de forfait n'avaient pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession”. Plus récemment, dans un arrêt du 30 mars 2022, la chambre sociale a indiqué, dans un moyen relevé d'office, que “si un syndicat peut agir en justice pour faire constater une irrégularité commise par l'employeur affectant le paiement des cotisations de retraite complémentaire d'une catégorie de salariés et demander l'allocation de dommagesintérêts en réparation de l'atteinte portée à l'intérêt collectif, il ne peut prétendre obtenir la condamnation de l'employeur à régulariser la situation des salariés concernés”13. Elle a enfin précisé dans un arrêt du 6 juillet 2022 que “si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier, au regard des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, de prise des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail ou d'une convention de forfait ou résultant de l'utilisation de droits affectés à un compte épargne-temps, sa demande tendant à obtenir que les salariés concernés soient rétablis dans leurs droits, ce qui implique de déterminer, pour chacun d'entre eux, le nombre exact de jours de repos que l'employeur a utilisés au titre des mesures dérogatoires, qui n'a pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, n'est pas recevable”14. 12
Soc., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-20.812, Bull. 2016, V, n° 255. Voir également, Soc., 7 septembre 2017, pourvoi n° 16-11.495, Bull. 2017, V, n° 131. 13
Soc., 30 mars 2022, pourvoi n° 20-15.022, 20-17.230, FS-B. Voir également, Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 19-18.226, FS-B, qui se prononce sur la recevabilité de l'action par un motif de pur droit substitué à ceux critiqués. 14
Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-15.189, FS-B. Des commentateurs des arrêts du 30 mars 2022 et du 6 juillet 2022 y ont vu une lecture rigoureuse et, selon eux, “opportune” de la défense 5
Il ne suffit donc pas que la demande du syndicat ne nomme pas des salariés ou ne définissent pas des sommes précises. Demander la régularisation des rémunérations de manière générale conduit nécessairement à désigner les salariés et les sommes à verser. Ainsi, en matière de rémunération ou de protection sociale, les régularisations ne peuvent être menées qu'à titre individuel. Une telle interprétation semble conforme à l'objet de l'action en défense de l'intérêt professionnel qui a une fonction “plus préventive que réparatrice” 15. Si cette action peut préparer une action en indemnisation des préjudices subis par les salariés ou un groupe de salariés, elle ne peut se substituer à de telles actions. L'action de groupe, qui propose une autre articulation entre action collective et action individuelle des salariés, illustre assez bien à ce titre les limites de l'action en défense de l'intérêt collectif. L'objectif de l'action de groupe tend, en effet, au constat d'un manquement et à sa cessation, mais également à la réparation des préjudices individuels subis par chaque membre du groupe, qui suppose la mise en oeuvre d'une procédure spécifique. Elle n'est pour l'heure admise, de manière limitée, qu'en matière de discriminations 16. Son extension et son assouplissement permettraient précisément de venir compléter l'action dans l'intérêt collectif17.
3. Analyse du pourvoi La cour d'appel a relevé que l'action de la Fédération tendait à ce qu'il soit ordonné à la société Tui France de mettre fin à une inégalité de traitement et de régulariser la situation en versant une prime de 13ème mois aux salariés n'en bénéficiant pas. L'action du syndicat tendait également à l'obtention de dommages-intérêts en réparation du préjudice portée à l'intérêt collectif de la profession. Au regard de la jurisprudence de la chambre sociale, il convenait donc d'analyser l'objet des demandes de l'organisation syndicale en distinguant, si nécessaire, les demandes qui avaient pour objet de mettre fin à une irrégularité, de celles qui avaient pour objet la régularisation de la situation des salariés. A ce titre, l'action du syndicat tendant à mettre fin à l'inégalité de traitement était bien recevable, de même que l'action en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif. En revanche, l'action tendant à la régularisation de la situation par le versement d'une de l'intérêt collectif de la profession, B. Keddouri et A. Teissier, “L'action exercée par les syndicats dans l'intérêt collectif de la profession”, JPC S n° 8, 28 fév. 2023. 1051. 15
J.-M. Verdier, Syndicats et droit syndical, 2ème édition, volume I, Dalloz, Droit du travail, dir. G.H. Camerlynck, 1987. 16
Voir articles L. 1134-6 et suivants du code du travail.
Voir la proposition de loi n° 862, 15 févr. 2023, visant à étendre le domaine de l'action de groupe en droit du travail : www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0862_texte-adoptecommission#). 17
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prime de 13ème mois aux salariés n'en bénéficiant pas ne l'était pas car elle n'a pour objet de constater l'irrégularité de la situation. La cour d'appel a motivé ainsi sa décision : “Pour demander que l'action du syndicat soit déclarée irrecevable, la société Tui France soutient que l'action intentée par la Fédération des Services CFDT ne tend pas à la défense de l'intérêt collectif de la profession que celle-ci représente. Il est constant que l'intérêt collectif que les syndicats ont vocation à représenter ne se confond pas avec les intérêts individuels des salariés. L'action d'un syndicat sur le fondement de l'intérêt collectif de la profession ne peut tendre au paiement de sommes déterminées à des personnes nommément désignées. L'action du syndicat en défense de l'intérêt collectif de la profession trouve ainsi sa limite dans l'interdiction d'empiéter sur des actions exclusivement réservées au salarié s'agissant de la défense d'intérêts purement individuels. L'action ici intentée par la Fédération des Services CFDT tend à ce qu'il soit ordonné à la société Tui France de mettre fin à une inégalité de traitement et de régulariser la situation en versant une prime de treizième mois aux salariés n'en bénéficiant pas. Pour apprécier si, ce faisant, la Fédération des Services CFDT défend l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente, une distinction doit être opérée, ainsi que le propose la société Tui France, car la référence à un « treizième «mois » s'analyse selon les cas, soit comme une partie intégrante du salaire annuel de base, soit comme une prime équivalente à un mois de salaire s'ajoutant à la rémunération annuelle, le régime juridique applicable étant différent selon la situation. Lorsque le treizième mois est analysé comme une prime de treizième mois, c'est-à-dire comme une gratification, il s'agit d'un avantage qui vient s'ajouter au salaire de base. Dans ce cas, le versement de la prime est conditionné à la présence du salarié dans l'entreprise au moment de la date de son versement, le salarié ne pouvant prétendre à la proratisation. Lorsqu'en revanche la treizième mensualité est incorporée au salaire annuel de base, c'est-à-dire lorsqu'elle ne constitue qu'une modalité du paiement du salaire et non une prime ou une gratification venant s'ajouter au salaire de base, le salarié quittant l'entreprise en cours d'année peut prétendre à la partie du treizième mois correspondant à son temps de présence dans l'entreprise. Or en l'espèce, les contrats de travail au sein de Tui France sont rédigés de la manière suivante : « vos appointements bruts mensuels s'élèveront à X euros », « une treizième mensualité, calculée au prorata de votre temps de présence, vous sera versée par douzième chaque mois », « votre rémunération brute globale, par année effective de présence, sera donc de X euros » (pièces 3 et 5 de la société). Il se déduit des termes de cette clause qu'aucune condition de présence en fin d'exercice n'est requise pour bénéficier de cette treizième mensualité, qu'il est prévu un versement prorata temporis et que durant les périodes de suspension du contrat de travail, aucune retenue sur salaire n'est opérée par la société au titre de la treizième mensualité.
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La société Tui France indique donc à juste titre que la treizième mensualité incluse dans le salaire de base n'a pas d'objet spécifique étranger au travail accompli ou destiné à compenser une sujétion particulière et que celle-ci participe bien de la rémunération annuelle versée, au même titre que le salaire de base, en contrepartie du travail du salarié. Il n'y a donc pas d'avantage salarial réservé à certains salariés de la société, mais bien deux modalités de versement du salaire annuel de base, sur douze ou treize mois. Les bulletins de salaire communiqués par la Fédération des Services CFDT (ses pièces 15 à 19) confirment que ce « treizième mois » est versé par douzième mensuellement et non en une seule fois sur le bulletin de salaire du mois de décembre. Il n'existait donc pas d'avantage salarial spécifique qui serait réservé à une catégorie du personnel au détriment d'une autre, celle « n'en bénéficiant pas ». Le principe d'égalité de traitement n'a donc pas vocation à s'appliquer. Le principe d'égalité salariale ne peut davantage trouver à s'appliquer puisqu'il serait nécessaire de démontrer une inégalité arithmétique de salaire entre des salariés dont la rémunération serait versée sur douze ou treize mois et dont la situation serait identique, cette démonstration n'étant pas proposée par le syndicat. La Fédération des Services CFDT ne présente aucun élément permettant de laisser supposer que des salariés dont la rémunération serait calculée sur douze mois seraient moins bien payés que des salariés dont la rémunération est calculée sur treize mois. A l'appui de son action, la Fédération des Services CFDT se limite à faire valoir que lors de leur intégration au sein de la société Tui France, les salariés ex-Transat France se sont aperçus que la société octroyait à ses salariés historiques une prime de treizième mois, ce qui n'est pas leur cas. Elle prétend à une inégalité de traitement. Elle fait valoir que les salariés ex-Transat France sont tous pleinement salariés Tui France depuis la fusion-absorption de sorte qu'ils sont placés dans une situation identique aux salariés « historiques » Tui France au regard du bénéfice de cette prime de treizième mois. Ce faisant, la Fédération des Services CFDT, qui ignore la distinction à faire entre gratification et salaire annuel payable sur treize mois, ne revendique pas l'exécution par l'employeur de dispositions conventionnelles, étant indiqué que la convention collective applicable ne prévoit pas le paiement d'un treizième mois, mais l'application du principe d'égalité de traitement, qui suppose que la situation de chaque salarié soit comparée à celle de salariés placés dans la même situation ou dans une situation équivalente et qui ne peut donc faire l'objet d'une appréciation collective. L'action intentée consiste donc en la revendication d'un droit lié à la personne du salarié et appartient donc à ce seul salarié. Elle ne poursuit donc pas la réparation d'un préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession. Il ne peut donc être revendiqué une atteinte à l'intérêt collectif de la profession. L'action intentée par la Fédération des Services CFDT sur le fondement des dispositions de l'article L. 2132-3 du code du travail, doit en conséquence être déclarée irrecevable, par infirmation du jugement entrepris”.
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Pour écarter la recevabilité de l'action du syndicat, la cour d'appel a considéré que l'application du principe d'égalité de traitement supposerait que la situation de chaque salarié soit comparée à celle de salariés placés dans la même situation ou dans une situation équivalente, ce qui ne peut faire l'objet d'une appréciation collective. Il s'agirait donc d'un droit lié à la personne du salarié qui appartiendrait à ce seul salarié. Une telle analyse ne peut être approuvée. D'une part, se faisant, la cour d'appel s'est prononcée sur le bien fondé de la demande pour conclure à son irrecevabilité. D'autre part, les droits liés à la personne du salarié sont ceux qui relèvent du strict champ contractuel, tels ceux relatifs à la revendication d'un contrat de travail ou à son transfert. Ici ce que revendique le syndicat est bien un avantage collectif dont serait privé certains salariés de l'entreprise et auquel ils ont droit en application du principe d'égalité de traitement, si la violation de ce principe venait à être constatée. Je conclus donc à la cassation de la décision de la cour d'appel qui aurait dû admettre la recevabilité de l'action du syndicat tendant à mettre fin à l'inégalité de traitement et de l'action en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif. En revanche, l'action tendant à la régularisation de la situation par le versement d'une prime de 13ème mois aux salariés n'en bénéficiant pas ne l'était pas car l'atteinte à un intérêt collectif n'est pas, sur ce point, caractérisée.
AVIS DE CASSATION
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