Jurisprudence : Cass. crim., Conclusions, 15-02-2022, n° 21-80.264

Cass. crim., Conclusions, 15-02-2022, n° 21-80.264

A85322RG

Référence

Cass. crim., Conclusions, 15-02-2022, n° 21-80.264. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409105-cass-crim-conclusions-15022022-n-2180264
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AVIS DE M. DESPORTES, PREMIER AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 29 du 15 février 2022 – Chambre criminelle Pourvoi n° 21-80.264 Décision attaquée : M. [G] [L], partie civile C/ _________________

1.1.- Le 14 juillet 2016 au soir, à Nice, alors que plusieurs dizaines de milliers de personnes s'étaient rassemblées sur la promenade des Anglais ou à ses abords pour assister au feu d'artifice, [R] [A] [T], au volant d'un camion, s'y est engagé, zigzagant entre le trottoir et la chaussée afin de heurter le plus grand nombre de personnes possible. Il a parcouru ainsi deux kilomètres avant que le véhicule ne s'immobilise pour une raison mécanique. Un échange de coups de feu s'est alors produit avec les forces de l'ordre au cours duquel le conducteur a été mortellement touché. Durant ce parcours criminel, 86 personnes ont été tuées et plusieurs centaines d'autres blessées. A la suite de ces faits, une information a été ouverte des chefs, notamment, d'assassinats, tentatives d'assassinats et complicité de ces crimes, en relation avec une entreprise terroriste. Plusieurs personnes ont été mises en examen. Au cours de cette information, M. [G] [L] s'est constitué partie civile. Il a exposé en substance que, présent sur la promenade des Anglais lors de l'attentat, il avait vu les gens se faire renverser par le camion et s'était lancé à la poursuite de celui-ci, muni d'un couteau,

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pour neutraliser le conducteur, ce dont il était résulté pour lui un grave traumatisme psychique. Par ordonnance du 21 février 2020, sur réquisitions conformes du ministère public, le juge d'instruction a déclaré sa constitution irrecevable. Sur l'appel de M. [L], la chambre de l'instruction de Paris, par arrêt n° 7 du 16 décembre 2020, a confirmé cette ordonnance. La chambre de l'instruction a admis que “la vision des victimes persécutées et décédées” avait causé à M. [L] un “traumatisme” et, donc, que celui-ci avait subi un préjudice en lien avec sa course-poursuite. Pour déclarer néanmoins la constitution de partie civile irrecevable, la chambre de l'instruction a retenu en substance que l'intéressé n'avait pas été “directement exposé à l'intention homicide de [R] [A] [T]” ou encore, adoptant la formule du juge d'instruction, “qu'il ne s'était pas trouvé directement et immédiatement exposé au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur de camion”. Elle a relevé, à cet égard, qu'il se trouvait “à l'abri de la trajectoire du camion” lorsqu'il a pris la décision de se lancer à sa poursuite et que, selon ses propres déclarations, il ne l'avait jamais rattrapé avant l'immobilisation du véhicule. Elle a encore précisé qu'il ne ressortait “nullement de ses explications qu'il se [fût] trouvé à la hauteur du conducteur dans une possible ligne de tir de celui-ci”.

Les deux moyens de cassation proposés par M. [L] à l'appui du pourvoi qu'il a formé contre cet arrêt sont tirés de la violation des articles 2 et 3 du code de procédure pénale. Dans son premier moyen, le demandeur soutient qu'en cas de crime de masse dont l'objet est d'attenter à la vie du plus grand nombre sans que les victimes soient préalablement déterminées, le traumatisme inhérent à la présence sur les lieux du crime suffit à caractériser l'existence d'un préjudice découlant directement de l'infraction et justifiant en conséquence la constitution de partie civile. Dans son second moyen, subsidiaire, il fait valoir qu'à supposer même qu'il faille considérer, avec la chambre de l'instruction, que seules les personnes directement exposées à l'intention homicide du terroriste puissent être qualifiées de victimes, le déroulement des faits relaté par elle faisait apparaître comme possible qu'il ait été au nombre de ces personnes. Le débat porte donc sur la détermination des personnes qui, à la suite d'un attentat terroriste de grande ampleur, peuvent être considérées comme victimes, recevables, comme telles, à se constituer parties civiles devant le juge pénal. 1.2.- Précisons d'emblée que seul est désormais en jeu, dans ce débat, le droit pour les personnes considérées d'intervenir dans la procédure pénale pour corroborer l'action publique. En effet, dans les procédures suivies pour des actes de terrorisme, le juge pénal n'est plus compétent pour statuer sur les intérêts civils depuis l'entrée en vigueur de l'article L. 217-6 du code de l'organisation judiciaire, issu de la loi de programmation pour la justice du 23 mars 20191, qui donne compétence exclusive au juge civil du tribunal de Paris - le JIVAT2 - pour traiter du contentieux de l'indemnisation. L'objectif poursuivi est d'éviter que la 1

Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

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Juge pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme

dimension indemnitaire de l'action civile ne retarde le déroulement de l'information judiciaire et la tenue du procès pénal. L'article 706-16-1 du code de procédure pénale en tire les conséquences en énonçant que l'action civile exercée devant les juridictions pénales ne peut tendre à la réparation du dommage causé par un acte de terrorisme 3. Les préjudices subis par les victimes de tels actes sont indemnisés, sous le contrôle du JIVAT, par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) en application des articles L. 126-1 et L. 422-1 à L. 422-3 du code des assurances. Cela étant, bien que ce régime d'indemnisation soit autonome, il apparaît souhaitable de rechercher la convergence des solutions lorsqu'il s'agit de déterminer si telle personne peut être considérée comme victime d'un acte de terrorisme.

2.- La doctrine s'accorde pour considérer que la question de la causalité est l'une des plus redoutables du droit de la responsabilité, pénale comme civile. Les tentatives de systématisation, à travers, notamment, la théorie de la causalité adéquate ou de l'équivalence des conditions, apportent de précieux guides à la réflexion. Mais elles trouvent rapidement leurs limites, se heurtant à l'infinie diversité des situations concrètes, dont elles peuvent difficilement rendre compte. 2.1. Le sujet présente une complexité particulière lorsque, comme en l'espèce, il s'agit de déterminer, à la suite d'un attentat de masse à caractère terroriste, parmi toutes les personnes ayant subi un préjudice en lien avec cet attentat, celles qui doivent être considérées comme victimes. Comme l'a relevé la Cour des comptes dans un rapport sur ce thème4 ainsi que plusieurs auteurs5, en raison à la fois de l'impact de telles actions criminelles et de la nature du préjudice réparable, très nombreuses sont les personnes susceptibles de se ressentir comme victimes. Aux termes de l'article 421-1 du code pénal, un assassinat est qualifié de terroriste lorsqu'il est en lien avec "une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur". La formulation retenue à l'article 3 de la directive du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme6 est assez différente mais recouvre la même réalité. Il en résulte que la qualification terroriste trouve notamment à s'appliquer lorsque, par sa "nature" ou son "contexte", le crime peut "porter gravement atteinte à un pays" et qu'il est commis dans le but de "gravement intimider une population". Autrement dit, au-delà des victimes immédiates, le terroriste cherche à atteindre la société toute entière, à la déstabiliser en y répandant un sentiment d'insécurité et de peur. C'est le

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Ces dispositions sont entrées en vigueur le 3 juin 2019 en même temps que le décret d'application n° 2019- 547 du 31 mai 2019.

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sens de la formule bien connue de Raymond Aron dans Paix et guerre entre nations7 et c'est l'idée exprimée au point 16 du préambule de la directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012, dite "victimes"8, aux termes duquel "les victimes du terrorisme ont subi des attaques dont le but est en définitive de porter atteinte à la société". L'effet de souffle ou l'onde de choc de l'attentat terroriste est ainsi susceptible d'atteindre, au moins émotionnellement, un très grand nombre de personnes, bien au-delà de celles présentes sur les lieux. Il en résulte qu'une large partie de la population est susceptible de se considérer comme victime d'un tel attentat, dès lors que, par ailleurs, le préjudice pouvant donner lieu à réparation peut consister, non seulement en une atteinte à l'intégrité physique, mais également pour reprendre les termes de l'article 2 de la directive précitée, en une atteinte à l'intégrité "mentale ou émotionnelle" ou en "une souffrance morale". Comme le relèvent Didier Frassin et Richard Rechtman, "en estompant la frontière entre blessures visibles et les blessures invisibles, le traumatisme devient la marque de toutes les victimes : les blessés, les sinistrés, les rescapés, les impliqués, jusqu'aux secouristes et aux thérapeutes, pour bientôt s'élargir aux téléspectateurs"9. Le constat est partagé10. Bien entendu, une extension aussi démesurée de la notion de victimes n'est pas envisageable et n'est pas suggérée par le demandeur. Dans le procès pénal, la victime ne s'entend pas seulement de toute personne souffrant d'un dommage en lien, direct ou indirect, avec la situation créée par l'infraction. 2.2.- Aux termes de l'article 2 du code de procédure pénale seules peuvent être considérées comme victimes - et donc recevables à se constituer partie civile - les personnes “qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction”. Les conditions exigées par ces dispositions doivent être appliquées avec rigueur comme le prévoit votre chambre en posant en principe que “l'exercice de l'action civile devant les juridictions pénales est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par le code de procédure pénale”11. Cette rigueur doit toutefois être tempérée pour l'application des dispositions de l'article 87 du même code qui autorise la constitution de partie civile “à tout moment au cours de l'instruction”. Selon votre jurisprudence constante, à ce stade, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable, “il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une 7

“Une action violente est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques” (R. Aron, Paix et guerre entre les nations , Paris, Calmann-Lévy, 1962, p. 176) 8

Directive 2012/29/UE " victimes " du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, complété par la directive 2017/541 du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme 9

L'empire du traumatisme, enquête sur la condition de victime

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v. S. Porchy-Simon, préc.

v. not. Crim., 7 sept. 2021, n° 19-87.031, P. ; Crim., 21 avr. 2020, n° 18-86.652 ; Crim. 25 sept. 2007, n° 05-88.324, B. n° 220

5 infraction à la loi pénale"12. Bien entendu, le principe n'exclut pas que la juridiction d'instruction puisse déclarer une partie civile irrecevable s'il est établi que le préjudice subi par l'intéressé n'est pas en relation directe avec l'infraction. Mais, dès lors qu'une telle relation ne peut d'emblée être exclue, la constitution doit être accueillie. C'est après avoir rappelé cet ensemble de règles que, pour les motifs que nous avons évoqués, la chambre de l'instruction a estimé que les circonstances ne permettaient pas d'admettre comme possible un lien de causalité direct entre le préjudice allégué par M. [L] et les assassinats et tentatives d'assassinats, objet de la poursuite. On observera que l'exigence d'un lien direct entre l'infraction et le dommage, prévue à l'article 2 du code de procédure pénale, ne se retrouve pas à l'article 3 du même code qui dispose que l'action civile peut être exercée des “chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objet de la poursuite”. Pour autant, il n'y a pas de discordance entre les deux textes qui n'ont pas le même champ. L'article 2 désigne les personnes pouvant se voir reconnaître la qualité de victimes d'une infraction et donc être admises à se constituer parties civiles tandis que l'article 3 fixe l'étendue du droit à réparation des personnes dont la constitution de partie civile a été jugée recevable13. Au cas présent, seul l'article 2 est appelé à recevoir application, avec la souplesse ménagée par votre chambre au cours de l'instruction. 2.3.- L'exigence qui y est énoncée emporte deux conséquences. D'abord, il en résulte qu'il ne suffit pas que le préjudice soit la conséquence de tout ou partie des actes matériels qui auraient été commis par la personne poursuivie : il doit résulter de l'infraction et donc être en lien avec la qualification donnée à ces actes. La nécessité d'établir le lien avec une infraction déterminée se retrouve d'ailleurs dans le contentieux des refus d'indemnisation opposés par le FGTI dont connaît la deuxième chambre civile14. Ensuite, la seule circonstance que le préjudice soit en lien avec l'infraction ne suffit pas à conférer la qualité de victime à celui qui l'a subi : il faut encore qu'il en soit la conséquence directe.

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v. entre beaucoup d'autres, Crim. 13 avr. 1967, n° 66-91.626, B. n° 66 ; Crim. 5 mars 1990, B. n° 103 ; Crim. 19 févr. 2002, n° 00-86.244, B. n° 31 ; Crim. 11 déc. 2002, n° 01-85.176, B. n° 224 ; Crim. 2 avr. 2003, n° 02-82.674, B. n° 83 ; Crim. 2 mai 2007, n° 06-84.130, B. n° 111 ; Crim., 21 juin 2011, n° 10-85.043 ; Crim. 3 mars 2015, n° 13-88.514, B. n° 38 ; Crim. 29 nov. 2016, n° 15-86.409, B. n° 309 ; Crim., 12 mars 2019, n° 18-80.911, B. n° 53 ; Crim., 25 juin 2019, n° 1884.653, B. n° 129 ; Crim., 8 janv. 2020, n° 19-82.385 13

Seule la personne ayant subi une atteinte à son intégrité physique et psychique en lien avec l'infraction est recevable à se constituer partie civile du chef de violences mais la personne recevable à se constituer pourra demander réparation non seulement du préjudice résultant des soins imposés par une telle atteinte mais également de l'ensemble des préjudices découlant de celle-ci, au nombre desquels, notamment, le préjudice professionnel. De même, si l'atteinte à la réputation ne peut en principe justifier à elle seule une constitution de partie civile du chef d'abus de confiance, la personne dont la confiance a été abusée, recevable comme telle à se constituer, pourra, le cas échéant, demander réparation du préjudice causé par cette atteinte (Crim. 19 mai 2004, n° 03-83.953, B. n° 126). 14

Dans un contentieux né de l'attentat commis le 9 janvier 2015, dans un magasin Hyper Cacher, à Paris, la deuxième chambre civile a jugé qu'une cour d'appel ne pouvait, pour condamner le FGTI à payer une provision, se borner à relever que la requérante avait été à l'évidence victime de l'attentat, sans davantage préciser la nature et les éléments matériels de l'infraction retenue comme ayant été commise à son préjudice. La deuxième chambre a rappelé qu'il appartenait aux juges du fond de caractériser une infraction constitutive d'un acte de terrorisme prévue par l'article 421-1 du code pénal, ouvrant droit de manière non sérieusement contestable, au sens de l'article 809, alinéa 2, devenu 835, alinéa 2, du code de procédure civile, à l'indemnisation sollicitée du FGTI (2ème civ. 20 mai 2020, n° 19-12.780, P.)

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En réalité, ces deux aspects se confondent largement. Le préjudice qui n'est pas la conséquence de l'infraction mais seulement de certains des actes matériels qui la constituent, est, de ce fait, souvent qualifié d'indirect par votre chambre. Néanmoins, la distinction est intellectuellement utile. Elle met en évidence que le lien de causalité et son caractère direct s'apprécient de manière à la fois juridique et matérielle. Dans ces deux aspects cette appréciation appelle quelques précisions, étant rappelé que le caractère direct du lien de causalité est une question de qualification soumise à votre contrôle15. 2.3.1.- D'abord, vous jugez que seul est de nature à permettre une constitution de partie civile un préjudice résultant des faits tels qu'ils ont été qualifiés dans la poursuite, à l'exclusion de celui résultant d'une partie de ces faits, des circonstances ayant entouré leur commission ou de la situation qu'ils ont créée16. Votre jurisprudence est constante même si, dans cette matière foisonnante, certains arrêts semblent s'écarter de cette solution17. Depuis un arrêt du 21 novembre 201818, l'exigence d'un lien de causalité entre le préjudice et l'infraction est exprimée en ces termes par votre chambre: “les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d'un préjudice résultant de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction visée à la poursuite”. Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, vous avez jugé que le préjudice résultant, pour une association sportive, du retentissement médiatique suscité par la participation de certains de ses membres à des matchs truqués ne pouvait être regardé comme découlant du délit d'escroquerie, objet de la poursuite. Le préjudice invoqué était certes, matériellement, en relation avec une partie des agissements reprochés mais il ne l'était pas, juridiquement, avec la qualification appliquée à ces agissements dès lors qu'en incriminant l'escroquerie, le législateur a entendu sanctionner, non une atteinte à la réputation résultant des manoeuvres frauduleuses qui n'en sont qu'un des éléments constitutifs, mais l'atteinte à la propriété d'autrui qui est le résultat du délit consommé dans tous ses éléments. La solution revient à exiger que le préjudice soit de ceux que, selon sa définition légale, l'infraction est susceptible de produire. Pour reprendre les mots de Coralie Ambroise-Castérot, il s'agit d'affirmer que, pour fonder une constitution de partie civile devant le juge pénal, le préjudice doit "correspondre adéquatement à l'incrimination dont le ministère public poursuit l'application"19 ce que l'on 15

par ex. : Crim. 3 mars 2015, n° 13-88.154 ; Crim. 24 nov. 2015, n° 14-86.302

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v. entre beaucoup d'autres, pour quelques illustrations : Crim. 16 mars 1964, n° 63-93.012, B. n° 94 ; Crim. 18 août 1987, n° 87-83.084 ; Crim. 8 mars 1995, n° 94-85.339 ; Crim. 18 oct. 1995, n° 94-83.119, B. n° 312 ; Crim. 23 avr. 2003, n° 0284.375, P. ; Crim. 24 nov. 2004, n° 04-81.169 ; Crim. 22 mai 2012, n° 11-85.507 ; Crim. 17 mars 2015, n° 13-83.191, B. n° 107 ; Crim. 25 oct. 2005, n° 04-85.280 ; Crim. 30 janv. 2007, n° 06-82.819 ; Crim. 12 déc. 2017, n° 07-80.886, P. ; Crim. 12 déc. 2007, n° 07-80.886, P. ; Crim. 25 janv. 2012, n° 11-81.080 ; Crim. 20 mai 2014, n° 13-82.689 ; Crim. 24 nov. 2015, n° 14-86.302, B. n° 266 ; Crim. 9 déc. 2015, n° 14-87.835. 17

Par exemple votre chambre a admis la constitution de partie civile d'une compagnie aérienne en raison de l'atteinte portée à son image par des faits de harcèlement moral commis par l'un de ses employés bien que, selon la définition légale du délit, la victime du harcèlement soit la personne qui en a fait l'objet (Crim. 14 nov. 2017, n° 16-85.161, B. n° 252). Certains cas limites peuvent par ailleurs prêter à discussion : en cas de vol à main armé dans une agence postale, le préposé présent sur les lieux peut être admis à se constituer partie civile en raison du traumatisme qu'il a subi. Ce traumatisme n'est pas en relation avec le délit vol - qui est une atteinte à la propriété - mais il l'est avec le port d'arme qui ne saurait être occulté pas plus que n'aurait pu l'être la circonstance aggravante de violences (Crim. 7 avr. 1993, n° 92-83.858, B. n° 150). 18 19

Crim., 21 nov. 2018, n° 17-81.096, B., n° 193

Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Action civile – Conditions de recevabilité de l'action civile, Dalloz, n° 145. Mme Coralie Ambrose-Castérot rattache ce point à l'exigence du caractère personnel du préjudice.

7 peut encore traduire en retenant que le dommage doit affecter “l'intérêt légitime protégé par l'infraction”20. Depuis cet arrêt, vous avez rappelé la solution à plusieurs reprises dans la même formulation21. En particulier, à la suite de l'attentat de Nice, par un arrêt du 12 mars 2019 22, vous avez approuvé la chambre de l'instruction d'avoir déclaré irrecevable la constitution de la commune qui se prévalait d'un préjudice matériel - dommage causé au mobilier urbain et remboursement des frais engagés pour ses agents - et d'un préjudice de réputation après avoir relevé que ces préjudices ne découlaient pas de l'ensemble des éléments constitutifs des infractions à la législation sur les armes ainsi que des atteintes à l'intégrité ou à la vie de la personne en relation avec une entreprise terroriste, objet de l'information. 2.3.2.- Par ailleurs, pour fonder une constitution de partie civile, le préjudice doit être, matériellement, la conséquence directe de l'infraction. Il est assez fréquent qu'un crime ou un délit produise un “effet domino”, le préjudice qui en résulte ayant des répercussions sur la situation d'autres personnes. Ainsi, les conséquences du préjudice économique subi par la victime d'une escroquerie peuvent s'étendre à ses sous-traitants ou salariés. Pour autant, ces derniers, qui ne sont pas les victimes directes du délit ne seront pas recevables à se constituer parties civiles23. La solution se prête bien entendu à une application nuancée. Elle peut être écartée lorsque le dommage collatéral découle de manière immédiate et nécessaire, du dommage initial de sorte qu'il apparaît comme le produit d'une réaction en chaîne trouvant sa source dans ce dommage24. Il reste que l'irrecevabilité de principe de la constitution de partie civile des victimes collatérales constitue le second aspect, essentiel, de l'exigence posée à l'article 2 du code de procédure pénale. Vous avez eu à le rappeler, par un arrêt du 11 avril 2018, relatif à une constitution de partie civile dans l'information ouverte pour, notamment, assassinats et tentatives d'assassinat en lien avec une entreprise terroriste, à la suite des attentats de Paris du 13 novembre 201525. Dans l'affaire considérée, la personne qui s'était constituée partie civile avait exposé qu'elle avait vu un homme de dos, qui tirait sur les clients en terrasse de la brasserie [...] près de Charonne, et qu'ayant compris qu'il s'agissait d'un attentat terroriste, elle s'était enfuie avec la peur que le terroriste ne se retourne et tire dans sa direction. 20

v. S. Guinchard et J. Buisson, Procédure pénale, 13ème éd., n° 1220

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Crim. 12 mars 2019, n° 18-80.911, B. n° 53 ; Crim. 20 mars 2019, n° 17-85.246, B., n° 56 ; Crim. 28 mai 2019, n° 1881.367 ; Crim. 18 mars 2020, n° 19-83.358 ; Crim. 8 sept. 2020, n° 19-83.991 22

Préc.

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Crim. 8 janv. 2014, n° 13-80.156 ; Crim. 23 mars 2016, n° 15-81.448, B. n° 101 et pour d'autres exemples de préjudice indirect : Crim. 27 juin 1995, n° 94-84.648 ; Crim. 29 juin 2016, n° 16-82.082, B. n° 246. Comme la précédente, la question peut donner lieu à des solutions nuancées. Ainsi, l' emprunteur d'un objet volé a également été considéré comme victime, le délit l'ayant privé de la possibilité de restituer le bien emprunté (Crim. 5 mars 1990, n° 89-80.536 , B. n°103). 24

Ainsi, l' emprunteur d'un objet volé a également été considéré comme victime, le délit l'ayant privé de la possibilité de restituer le bien emprunté (Crim. 5 mars 1990, n° 89-80.536 , B. n°103). De même, vous avez jugé que 'hôtelier pouvait se constituer partie civile du chef du vol dont a été victime l'un de ses clients dès lors qu'il est tenu d'indemniser celui-ci (Crim. 25 juin 2019, n° 18-84.653, B. n° 129). 25

Crim.,11 avril 2018, n° 17-82.818

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Pour déclarer la constitution de partie civile irrecevable, la chambre de l'instruction avait retenu que l'intéressé ne s'était “pas trouvé dans la trajectoire des tirs terroristes visant la brasserie“ mais qu'il avait été “le témoin malheureux de ces faits, comme d'autres personnes passant sur les voies publiques près des différents bars ou restaurants parisiens dont les clients ont été la cible des attaques perpétrées ce soir là par les occupants du véhicule”. Vous avez approuvé cette appréciation, jugeant que la chambre de l'instruction avait “constaté que les circonstances sur lesquelles la constitution de partie civile s'appuyait ne permettaient pas d'admettre comme possible la relation directe du préjudice allégué avec les infractions commises”. Le traumatisme subi par l'intéressé était bien la conséquence des assassinats et tentatives d'assassinat en train de se commettre. En outre, par sa nature, il était bien un préjudice qu'une tentative d'assassinat est susceptible de causer. Mais il n'était pas la conséquence directe d'une telle tentative dès lors que l'intéressé n'avait pas lui-même été l'objet de celle-ci. C'est le spectacle, d'une extrême violence, des assassinats en train de se commettre qui était à l'origine de son traumatisme. 2.3.3.- L'exigence d'un lien de causalité direct entre le préjudice invoqué et l'infraction connaît cependant deux tempéraments d'inégale importance. D'abord, vous admettez que les proches de la victime puissent se constituer parties civiles du chef du dommage “par ricochet” résultant pour eux des atteintes subies par celle-ci en conséquence de l'infraction26. Vous avez ainsi posé en principe que “les proches de la victime d'une infraction sont recevables à rapporter la preuve d'un dommage dont ils ont personnellement souffert et qui découle des faits objet de la poursuite”. Vous avez fait, notamment, application de ce principe au bénéfice des parents d'une jeune femme qui était présente à la brasserie [...] lors des attentats du 13 novembre 201527. A notre sens, le tempérament ainsi apporté à l'exigence d'un lien de causalité direct trouve sa justification dans la proximité des liens entre la victime et ses proches. Etant le prolongement immédiat et nécessaire de celui supporté par elle, le dommage supporté par les proches en est indissociable. Par ailleurs, de manière plus restreinte, vous jugez que la victime d'une infraction est recevable à se constituer partie civile du chef d'une autre qui en est indivisible. De manière emblématique, vous avez retenu cette solution dans l'affaire dite de l'attentat de Karachi, posant en principe que “lorsqu'une information judiciaire a été ouverte à la suite d'une atteinte volontaire à la vie d'une personne, les parties civiles constituées de ce chef sont recevables à mettre en mouvement l'action publique pour l'ensemble des faits dont il est possible d'admettre qu'ils se rattachent à ce crime par un lien d'indivisibilité”. Dans l'affaire considérée, les proches des victimes décédées ont été admis à se constituer du chef

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v. pour les proches d'une victime de violences volontaires (Crim. 23 mai 1991, n° 90-83.280 ; Crim. 4 nov. 2003, n° 0381.256) ; de blessures involontaires (Crim. 9 févr. 1989, n° 87-81.359, B. n° 63) ; de non-empêchement de crime ou délit contre les personnes et non-assistance à personne en péril (Crim. 13 mai 2015, n° 13-83.191, B. n° 107) ; de manque de direction compromettant la santé et la sécurité de l'enfant (Crim. 11 juill. 1994, n° 93-81.881, B. n° 269) ; de viol (Crim. 4 févr. 1998, n° 97-80.305 ; Crim. 27 mars 2008, n° 07-85.076 ; Crim. 27 mai 2009, n° 09-80.023, B. n° 107 ; Crim. 4 nov. 2015, n° 14-84.661 et n° 14-86.836) ; d'abus de faiblesse (Crim. 3 nov. 2009, n° 08-88.438, B. n° 182) ; d'infractions contre les biens (Crim. 10 mai 2011, n° 19-82.119 ; Crim. 10 mai 2011, n° 10-80.643). 27

Crim. 8 janv. 2020, n° 19-82.385

9 d'atteintes aux biens et à l'autorité de l'Etat ayant pu être à l'origine de l'attentat 28. En définitive, comme dans le cas précédent c'est l'indissociabilité qui justifie la solution, non, en ce cas, entre les dommages, mais entre les infractions à l'origine du dommage. La définition de la victime résultant de l'article 2 du code de procédure pénale tel qu'interprété par votre chambre rejoint largement celle figurant à l'article 2, § 1, a) de la directive du 25 octobre 2012, dite "victimes" à la réserve près que la catégorie des victimes par ricochet est définie dans celui-ci de manière plus étroite29.

3.- Au cas présent, la chambre de l'instruction a admis que le préjudice invoqué par M. [L] était en lien avec les assassinats et tentatives d'assassinats, objet de la poursuite, mais elle a estimé que ce lien ne pouvait être qualifié de direct. Comme cela a été indiqué, elle a retenu que l'intéressé ne s'était pas trouvé sur la trajectoire du camion, de sorte que son traumatisme résultait, non de ce qu'il avait été lui-même victime d'une tentative d'assassinat, mais de ce qu'en poursuivant le véhicule, il avait été confronté à des scènes d'une extrême violence. Elle semble ainsi s'être placée dans la ligne de votre arrêt précité du 11 avril 2018. La question qui vous est posée au premier moyen est de savoir si la spécificité d'attentats à la fois massifs et aveugles, perpétrés “en milieu ouvert” pour reprendre une expression utilisée, notamment, par la Cour des comptes dans sa communication sur ce thème30 ou encore par la déléguée interministérielle à l'aide aux victimes31, ne devrait pas conduire à concevoir beaucoup plus largement la notion de victime. Plus précisément, il s'agira pour vous d'apprécier si, en subordonnant la recevabilité de la constitution de partie civile de M. [L] à la nécessité de démontrer, pour caractériser la tentative d'assassinat dont il aurait été l'objet, son exposition directe et immédiate à un risque de mort, la chambre de l'instruction s'est conformée à l'article 2 du code de procédure pénale. A supposer que vous répondiez par l'affirmative, il vous faudra examiner, comme vous y invite le second moyen, si ce critère, tiré de l'exposition directe et immédiate à un risque de mort, a été correctement mis en oeuvre en l'espèce. En tout état de cause, les réponses pouvant être apportées aux questions qui précèdent ne suffisent pas à épuiser le débat. Faisant masse des moyens, vous aurez à vous demander si la recevabilité de la constitution de partie civile de M. [L] n'aurait pas pu ou dû être admise 28

Crim., 4 avril 2012, n° 11-81.124, B., n° 86

29

aux termes de l'article 2 de la directive, la victime s'entend de “toute personne physique ayant subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique, mentale, ou émotionnelle ou une perte matérielle, qui a été directement causé par une infraction pénale” ainsi que des “membres de la famille d'une personne dont le décès résulte directement d'une infraction pénale et qui ont subi un préjudice du fait du décès de cette personne”. On le voit, la catégorie es victimes par ricochet est plus largement conçue par votre chambre. 30

Cour des comptes, La prise en charge financière des victimes du terrorisme, Communication à la commission des Lois du Sénat, déc. 2018 31

Comptes rendus de la Commission des finances du Sénat, 30 janv. 2019 communication précitée de la Cour des comptes.

9

Audition pour suite à donner à la

sans qu'il soit nécessaire d'établir qu'il aurait été victime d'une tentative d'assassinat et donc sans qu'il y ait à démontrer qu'il aurait été exposé directement à un risque de mort susceptible de caractériser une telle tentative. 3.1.- La spécificité des attentats de masse et les difficultés qu'elle suscite pour la détermination des victimes ne font pas de doute32. De tels attentats s'analysent en une multiplicité d'assassinats et tentatives d'assassinats en lien avec une entreprise terroriste s'inscrivant dans une même action criminelle ayant pour objet de causer la mort du plus grand nombre possible de personnes, visées de manière indistincte. L'auteur étant inspiré par la seule volonté de tuer le plus grand nombre sans détermination préalable des victimes, les personnes se trouvant dans son environnement peuvent être considérées comme des victimes potentielles sans qu'il soit aisé, en milieu ouvert, de déterminer le périmètre au-delà duquel, la menace peut être considérée comme écartée. Une telle difficulté ne se retrouve pas, bien entendu, en cas d'attentat ciblé, perpétré contre une personne préalablement identifiée33. Elle est moins sensible lorsque l'attentat est perpétré dans un endroit clos. 3.1.1.- Les instructions ministérielles qui se sont succédé en vue d'organiser et faciliter la prise en charge des victimes d'actes de terrorisme mettent cette difficulté en évidence. Ainsi celles des 6 octobre 200834,12 novembre 201535 et 13 avril 201636 prévoient l'établissement, par le ministère public, conformément d'ailleurs à l'article R. 422-6 du code des assurances, d'une “liste unique des victimes” où sont appelées à figurer, outre les personnes “décédées” ou “blessées”, les personnes “impliquées”. La définition, a priori un peu incertaine, de cette dernière catégorie est allée en se resserrant. Selon l'instruction du 6 octobre 2008 doit être regardée comme impliquée “toute personne qui, n'ayant subi aucun dommage physique ou psychique immédiat lié directement à l'acte terroriste, a été témoin de cet acte", définition assez peu compatible avec celle de la victime résultant de l'article 2 du code de procédure pénale. Par la suite, dans l'instruction du 12 novembre 2015, les personnes impliquées ont été désignées comme celles “qui se trouvaient aux abords du lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui ont présenté ultérieurement aux faits un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié”. La qualité de personne impliquée résultait donc, selon, cette définition, d'un critère géographique combiné avec l'exigence d'un préjudice en lien direct entre l'acte de terrorisme, le lien pouvant, semble-t-il, se déduire de la présence sur les lieux de l'attentat. Enfin, dans l'instruction du 13 avril 2016, en complément du critère géographique, a été introduite l'exigence d'exposition au risque37. La catégorie des personnes impliquées apparaît donc évolutive et entourée d'un

32

v. not. Jonas Knetsch La preuve de la qualité de victime d'acte de terrorisme devant le FGTI, Resp. civ. et assur. 2018, ét. n° 7 ; H. Muscat, La reconnaissance des différentes victimes et la spécificité des dommages, RDSS 2019, p. 265 33

Par exemple, le meurtre du prêtre de Saint-Étienne-du-Rouvray commis en 2016.

34

N° 860/SGDN/PSE/PPS, 6 oct. 2008 relative à la prise en charge des victimes d'actes de terrorisme.

35

N° 5835/15/SG, 12 nov. 2015

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N° 5853/SG, 13 avr. 2016

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Les personnes impliquées sont celles “qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui ayant été exposées au risque, ont présenté ultérieurement aux faits un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié”.

11 certain flou. L'instruction interministérielle du 10 novembre 201738, de même que celle du 11 mars 201939 qui s'y est substituée n'en proposent plus de définition. Il pourrait se déduire des développements de cette dernière relatifs à “la prise en charge psychologique des victimes et des personnes impliquées” que celles-ci ne sont pas des victimes ou, en tout cas, pas nécessairement. Certaines pourraient appartenir à la catégorie plus vaste des personnes qui, en Espagne, dont le dispositif est souvent cité en modèle, sont qualifiées d'affectées (affectados) et peuvent bénéficier, comme telles, d'aides de nature psychologique sans pour autant être regardées comme victimes pour l'exercice du droit à réparation. L'incertitude entourant la détermination des victimes s'est traduite, à la suite de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016, dans la disparité entre les appréciations portées respectivement par le ministère public et le FGTI, le premier s'étant révélé nettement plus strict que le second. Selon le rapport précité de la Cour des comptes, au 31 mars 2018, le FGTI avait enregistré 3291 demandes dont 2086 avait donné lieu à au moins une première prise en charge indemnitaire tandis que la liste établie par le parquet ne comptait que 373 noms.

38

N° 5979/SG, 10 nov. 2017

39

N°6070/SG, 11 mars 2019

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On comprend, dans ces conditions, que la liste unique des victimes, conçue comme un instrument de pilotage de la politique d'aide aux victimes, ait été abandonnée par l'instruction précitée du 10 novembre 2017 qui lui a substitué une “liste partagée” regroupant, selon les indications figurant dans l'instruction du 11 mars 2019, "les personnes décédées et les personnes inconscientes identifiées, dont la liste est établie par le parquet de Paris, et les victimes directes ayant reçu une première provision du FGTI". Dans tous les cas, il va de soi que, dans la ligne de la solution retenue par la deuxième chambre civile à propos de la liste unique, l'inscription sur la liste partagée ne peut lier les juridictions40. 3.1.2.- A la suite de l'attentat de Nice, inspiré par un souci d'efficacité et d'équité, le conseil d'administration du FGTI, lors de ses réunions des 9 septembre et 12 décembre 2016, a dégagé plusieurs critères pour déterminer les personnes pouvant se voir reconnaître la qualité de victimes41. Pour l'essentiel il a fait entrer dans cette catégorie celles qui se trouvaient dans une “zone de danger” correspondant au trajet du camion. Le conseil d'administration a d'abord inclus dans cette zone le trottoir et la voie de circulation de la promenade des Anglais côté mer puis il y a rattaché le terre-plein central et recommandé d'examiner avec bienveillance les demandes d'indemnisation des personnes qui se trouvaient aux abords immédiats de ces limites tracées de part et d'autre du trajet dès lors qu'elles disposaient de certificats médicaux établissant qu'elles avaient subi des blessures physiques ou des traumatismes psychiques. C'est donc, pour l'essentiel, un critère géographique qui, pour le FGTI, détermine le droit à indemnisation. 3.1.3.- Au cas présent, si la chambre de l'instruction n'a pas défini avec la même précision une zone de danger, elle a néanmoins considéré que seules les personnes s'étant trouvées sur le trajet du camion pouvaient se dire victimes d'une tentative d'assassinat dès lors, selon elle, que seules ces personnes ont été exposées directement à un risque de mort. M. [L] tient ce critère pour trop restrictif. En vous proposant, dans son premier son moyen, de reconnaître la qualité de victimes à toutes les personnes qui ont subi un préjudice inhérent à leur seule présence sur les lieux, indépendamment, donc, de l'exposition effective à un risque de mort, il avance un critère pouvant apparaître, de prime abord, séduisant. Si seul le hasard de la présence sur les lieux de l'attentat désigne une personne comme victime, il paraît logique d'en déduire que toute personne présente sur ces lieux est une victime potentielle. Cependant, à l'analyse, il paraît difficile de s'engager dans cette voie qui aboutirait à étendre la catégorie des victimes, bien au-delà des limites tracées par l'article 2 du code de procédure pénale lequel, rappelons-le, réserve aux seules personnes ayant subi un préjudice directement causé par l'infraction le droit de se constituer partie civile. Au cas présent, l'infraction, objet de la poursuite, dont M. [L] pourrait se dire victime est une tentative d'assassinat.

40

Sous l'empire des précédentes instructions, la deuxième chambre civile a eu l'occasion de juger que le FGTI n'était pas lié par la liste unique des victimes dressée par le parquet ( 2 ème Civ. 8 févr. 2018, n° 17-10.456, P). La solution s'impose a fortiori s'agissant des juridictions. 41

v. rapport précité de la Cour des comptes, p. 31 s.

13 Aux termes de l'article 121-5 du code pénal : "La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur". Lors de l'attentat de Nice, les deux cas de figure envisagés à cet article se sont nécessairement présentés. En premier lieu, certaines personnes se sont trouvées sur le parcours du camion ou s'en sont écartées immédiatement avant qu'il ne parvienne jusqu'à elles, pour se mettre hors d'atteinte. Ces personnes peuvent être regardées comme victimes d'une tentative ayant manqué son effet. En second lieu, des personnes ont pu se trouver, devant le camion, dans l'axe de son parcours et immédiatement à sa portée, au moment où sa course a été interrompue. Ces personnes peuvent être regardées comme les victimes d'une tentative interrompue. Toutes ces personnes ont en commun d'avoir été “exposées à l'intention homicide” de l'auteur et donc à un risque de mort. Pour ce motif, elles doivent être considérées comme des victimes sans qu'il soit nécessaire d'établir qu'elles ont été personnellement visées dès lors que l'action meurtrière était dirigée indistinctement contre un ensemble de personnes. Il faut et il suffit qu'en raison de leur positionnement, elles aient été directement exposées à cette action. La solution retenue par la chambre de l'instruction n'est autre que celle résultant de votre arrêt précité du 11 avril 2018, adaptée aux circonstances particulières de l'attentat de Nice. Chaque attentat de masse présente en effet des spécificités qu'il convient de prendre en compte pour l'appréciation d'un lien de causalité direct entre l'infraction et le dommage. Elles tiennent à la fois à la configuration des lieux, aux moyens employés - armes à feu, engins explosifs, véhicule-bélier, etc. - ou encore au ciblage plus ou moins précis du groupe de victimes. Ecarter le critère tiré de l'exposition directe à un risque mortel pour ne retenir que celui tiré de la présence sur les lieux afin d'inclure au nombre des victimes les témoins directs des crimes ayant subi, de ce fait, un traumatisme, revient à assimiler le témoin à une victime, comme le faisait l'instruction du 6 octobre 2008 pour la définition des personnes dites “impliquées”. La solution aboutit à occulter l'exigence d'un lien de causalité direct entre l'infraction et le dommage et fait en définitive de la nature du dommage subi le critère quasi exclusif de détermination des victimes42. Toutes les personnes affectées par le crime pour avoir assisté à sa commission pourraient ainsi se voir reconnaître la qualité de victimes dans le procès pénal. Or, comme vous l'avez jugé dans votre arrêt déjà cité du 11 avril 2018, en approuvant la chambre de l'instruction, être traumatisé parce que l'on a assisté à des assassinats commis à l'encontre d'autres personnes et/ou parce que l'on a craint d'en être soi-même victime, ce n'est pas, quel que soit le sentiment d'horreur ou de peur ressenti, être soi-même victime d'une tentative d'assassinat. En outre, lorsque, comme en l'espèce, l'attentat a été perpétré en milieu ouvert, le critère tiré de la présence sur les lieux apparaît porteur d'incertitude et d'arbitraire. Parmi les 30 000 personnes qui étaient rassemblées, le soir du 14 juillet 2016, sur la promenade des Anglais, il n'apparaît pas d'emblée évident de désigner celles qui devraient être considérées comme “présentes sur les lieux”. Tracer une 42

v. sur ce débat : H. Muscat, La reconnaissance des différentes victimes et la spécificité des dommages, RDSS 2019, p. 265

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limite géographique ne ferait que créer des distinctions arbitraires entre des personnes qui, bien que n'étant pas toutes à égale distance du lieu de commission des faits, auraient subi le même traumatisme psychique. 3.1.4.- Certes, comme le fait valoir le demandeur, il faut tenir compte, pour la détermination des victimes, de la spécificité des crimes se présentant comme des tueries de masse mais, précisément, cette prise en compte nous paraît assurée par le recours au critère tiré de l'exposition directe à un risque mortel. Ce critère n'est pas ordinairement mis en œuvre lorsqu'il s'agit de déterminer si une personne a été victime d'une tentative de meurtre ou d'assassinat. En pareil cas, la victime est en quelque sorte désignée par l'auteur. Il s'agit de la personne, spécifiquement visée par lui, à laquelle il avait l'intention de donner la mort. Une telle approche ne peut être retenue en cas de crime de masse puisque, les victimes n'étant pas préalablement et personnellement désignées, toutes les personnes exposées à l'agression peuvent être regardées comme étant l'objet de sa tentative. Au critère subjectif tiré de l'intention de l'auteur doit alors être associé, sinon substitué, un critère objectif tiré de l'exposition directe au risque mortel. Ce critère permet de retenir comme victimes des personnes qui se trouvaient à portée immédiate du criminel, dans un espace pouvant être regardé comme son champ d'action, alors même qu'en définitive elles n'auraient pas été spécialement visées ou menacées. Ainsi, dans le cas de l'attentat de Nice, il paraît juste de considérer comme victime d'une tentative d'assassinat ayant manqué son effet toutes les personnes qui se sont trouvées dans une zone immédiatement exposée aux manœuvres meurtrières du véhicule compte tenu de son trajet. Dans cette zone, les choix de l'assassin, parfaitement aléatoires, tenant à l'impossibilité de percuter la totalité des personnes à sa portée, ne peuvent être considérés comme des désistements volontaires. Bien entendu, l'appréciation de la réalité et de l'intensité du risque ne peut être portée qu'au cas par cas et les éléments de fait qui la fondent relèvent du pouvoir souverain des juges du fond. En revanche, l'appréciation elle-même nous paraît soumise à votre contrôle de qualification. 3.2.- C'est ce contrôle que vous invite à exercer le second moyen de cassation. Le demandeur y soutient qu'à supposer que la seule présence sur les lieux ne suffise pas à établir l'existence d'un lien de causalité direct entre le traumatisme psychique subi par lui et l'attentat, les motifs de l'arrêt attaqué feraient apparaître qu'en réalité il a bien été exposé à l'intention homicide de [R] [A] [T] - à un risque de mort - de sorte que sa constitution de partie civile aurait dû être admise. De prime abord, vous pourriez approuver la chambre de l'instruction d'avoir jugé que, dès lors qu'il courait derrière le camion, M. [L] ne peut prétendre avoir été exposé à un tel risque de sorte qu'il ne peut être regardé comme victime d'une tentative d'assassinat. Cependant, comme le soutient le demandeur, les énonciations de l'arrêt attaqué relatives aux circonstances de son intervention sont empreintes d'une certaine ambiguïté. Dans l'exposé des faits, la chambre de l'instruction rapporte ses déclarations dont il semble résulter qu'après l'arrêt du camion, il s'est porté au niveau de la cabine alors que la fusillade était en cours, passant côté chauffeur puis passager, ce que l'intéressé soutenait devant elle. Dans les motifs de sa décision, la chambre de l'instruction semble tenir ce point pour constant. Pour écarter néanmoins l'existence d'un préjudice en lien direct avec l'infraction,

15 elle relève qu'il ne ressort nullement des explications de M. [L] qu'il se soit trouvé “à la hauteur du conducteur dans une possible ligne de tir de celui-ci”. A la lecture de ces motifs, on ne sait pas avec certitude si la décision de la chambre de l'instruction a été déterminée par le fait que M. [L] ne se serait jamais trouvé à la hauteur du conducteur ou par le fait que, s'y étant trouvé, il n'a pas été dans l'axe des tirs. Si vous faisiez prévaloir cette seconde interprétation, l'arrêt attaqué encourrait la censure car il ne fait pas de doute que le fait, pour M. [L], de s'être trouvé près de la cabine du camion au moment de la fusillade aurait dû conduire, à tout le moins, à “admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale” pour reprendre la formule, déjà citée, que vous utilisez lorsqu'il s'agit d'apprécier la recevabilité d'une constitution de partie civile au cours de l'instruction. La circonstance qu'il n'ait pas été spécialement visé est indifférente dès lors qu'il se trouvait bien alors au cœur de l'action et donc exposé directement à un risque mortel. Une censure pourrait ainsi être justifiée par l'insuffisance et/ou la contradiction entachant les motifs de l'arrêt attaqué qui ne vous mettent pas en mesure d'exercer votre contrôle sur l'existence d'un lien de causalité direct entre l'infraction et le dommage. 3.3.- Cependant, ce n'est pas la solution que nous vous proposons. Une lecture combinée des deux moyens ouvre une autre voie qui nous semble préférable. Comme nous l'avons relevé lors de l'examen du premier moyen, la seule présence sur les lieux de l'attentat ne peut constituer un critère suffisant pour déterminer celles des personnes affectées devant être regardées comme victime au sens pénal : il ne paraît pas envisageable de faire de tout spectateur d'un attentat terroriste une victime de cet attentat. Mais à l'inverse, il est excessivement rigoureux de n'admettre au nombre des victimes - au-delà des personnes décédées - que les personnes ayant subi un traumatisme physique ou psychique qui résulterait d'une tentative de meurtre ou d'assassinat dirigées contre elles. 3.3.1.- Le préjudice invoqué par M. [L] est né de l'initiative qu'il a prise pour tenter d'interrompre l'action criminelle qui était en train de se commettre. Dès lors, se pose la question de savoir s'il ne conviendrait pas d'admettre que, pour ce motif, ce préjudice est la conséquence directe de cette action et justifie, dès lors, comme tel, la constitution de partie civile de l'intéressé, sans qu'il y ait à démontrer qu'il aurait fait l'objet d'une tentative d'assassinat et, donc, qu'il aurait été exposé directement à un risque de mort ou à l'intention homicide de l'auteur. Certes, dans des cas où une personne s'était lancée à la poursuite de l'auteur présumé d'une infraction, votre Cour a jugé que le préjudice subi par elle lors de sa course ne se rattachait pas directement à cette infraction de sorte que l'auteur de celle-ci ne pouvait en être tenu pour responsable. L'initiative de l'intéressé venait en quelque sorte faire écran entre l'infraction et le dommage, rompant le lien de causalité entre l'une et l'autre. Ainsi, lorsque la victime d'un accident de faible gravité meurt d'une crise cardiaque après s'être acharnée à poursuivre le conducteur responsable, celui-ci ne peut se voir imputer la responsabilité du décès43. Dans le même sens et plus récemment, dans un contentieux relatif à un recours indemnitaire exercé en application de l'article 706-3 du code de 43

Crim. 2 déc. 1965, GP, 1966, 1, 132

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procédure pénale, la deuxième chambre civile a jugé que les blessures subies par un policier à la suite d'une chute qu'il avait faite en poursuivant un scooter n'ayant pas observé l'arrêt à un feu rouge, étaient imputables exclusivement à cet accident survenu au cours de la poursuite. En conséquence, elle a approuvé la cour d'appel d'avoir retenu qu'il n'existait pas de lien de causalité direct et certain entre les blessures et le refus d'obtempérer de sorte que le préjudice ne résultait pas de faits présentant le caractère matériel d'une infraction44. Cependant, si, dans ces cas de figure, l'initiative prise par la victime a été considérée comme rompant l'enchaînement causal entre le fait initial l'ayant déterminée et le dommage, c'est qu'elle n'était pas raisonnable ou proportionnée. La doctrine45 a mis en évidence la nécessité de prendre en compte, pour l'appréciation du caractère causal d'un fait de la victime, de sa légitimité au regard de la gravité des faits imputables à “l'auteur de la première faute chronologique”. L'usager de la route qui brûle un feu rouge ou le responsable d'un accident léger ne peut être tenu pour responsable des blessures voire du décès de celui qui tente de l'interpeller. Au contraire, lorsque l'initiative de la victime à l'origine de son dommage apparaît comme le prolongement nécessaire, inéluctable ou simplement naturel de la faute l'ayant déterminée, cette faute peut être considérée comme la cause du dommage. Loin de rompre le lien de causalité, la réaction de la victime, qui s'inscrit dans la continuité de l'action fautive lui ouvre un nouveau champ. Les dommages subis au cours de la réaction se trouvent alors rattachés à l'action fautive qui l'a provoquée. Ainsi, dans un cas où, s'étant lancée à la poursuite de celui qui venait de voler le sac de son épouse, une personne s'était blessée en chutant après avoir buté sur une racine d'arbre, la deuxième chambre civile a admis que ces blessures étaient imputables au voleur sans qu'il puisse être fait grief à la victime, compte tenu des circonstances, de ne pas être restée passive46. Dans le même sens, vous avez approuvé une cour d'appel d'avoir jugé que les auteurs d'un incendie volontaire pouvaient être tenus pour responsables, du chef de blessures involontaires, des blessures subies par le pompier intervenu pour éteindre le feu47. Dans ces cas de figure, l'initiative légitime prise par la victime ne suffit pas, à elle seule, à rompre l'enchaînement causal entre les faits et son dommage, ce que certains auteurs appellent la continuité du “cheminement du mal”48. 3.3.2.- A la lumière de ces précédents, il ne nous semble pas faire de doute qu'un lien de causalité direct doit être reconnu entre l'attentat et le dommage subi par M. [L]. Celui-ci a tenté d'empêcher des assassinats qui étaient en train de se commettre. La défense de la vie d'autrui a déterminé son initiative dont le caractère légitime et nécessaire est ainsi hors de discussion. Elle aurait pu être qualifiée de légitime défense d'autrui au sens de l'article 122-5 44

2ème Civ., 5 mars 2020, n° 18-26.137, P.

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Droit de la Responsabilité et des contrats, Dall. 11ème éd. sous la direction de Ph. Le Tourneau, n° 2132.192

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2ème civ., 9 avr. 2009, n° 08-16.424, B. n° 93

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Crim. 18 mai 1998, n° 97-80.295

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N. Dejean de la Bâtie, dans Aubry et Rau, t. VI-2, Responsabilité délictuelle, 8e éd. Litec 1989, n° 393 ; Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, n° 239

17 du code pénal si elle avait été invoquée pour justifier la neutralisation du conducteur du camion. Même si elle n'a pas abouti à ce résultat, elle demeure une action “commandée par la nécessité de la légitime défense d'autrui” pour reprendre les termes de l'article précité. A notre sens, une telle initiative justifie la constitution de partie civile à deux conditions. En premier lieu, il importe que les circonstances fassent apparaître que son auteur s'est engagé de manière résolue et univoque dans une action de défense d'autrui l'exposant à une possible réplique de l'agresseur - condition moins rigoureuse que celle tenant à l'exposition directe et immédiate à un risque de mort. Même si elle est louable, une action peut difficilement être regardée comme un acte de défense si elle se révèle totalement vaine en raison de la neutralisation de l'agresseur, de sa fuite ou de son éloignement. Autrement dit, l'acte de défense doit être effectif ce qui suppose que l'agression ne soit pas putative. En second lieu, la personne qui s'est engagée dans l'action de défense doit pouvoir invoquer un préjudice spécifique, lié à l'accomplissement de celle-ci, et donc distinct du préjudice subi par les personnes qui seraient seulement témoins de la commission des crimes. Bien entendu, conformément au principe que vous avez dégagé et que nous avons rappelé, au stade de l'instruction, il suffit que les circonstances fassent apparaître ce préjudice comme possible. Ces deux conditions sont réunies en l'espèce. Si les énonciations de l'arrêt attaqué peuvent prêter à interprétation, il en résulte néanmoins clairement que M. [L] n'a pas été un spectateur passif. Il s'est engagé de manière déterminée et univoque dans une coursepoursuite, animé par la volonté, non contestée, d'interrompre le périple meurtrier du camion. Il apparaît en outre qu'il s'est ainsi exposé à une réplique de l'auteur. Il ne pouvait être exclu que celui-ci, l'ayant repéré, lui tire dessus, ce que M. [L] a d'ailleurs fait valoir devant la chambre de l'instruction. Cette initiative est susceptible d'avoir causé chez lui un traumatisme spécifique lié à la fois à la vision des corps percutés devant lui, qu'il a dû “enjamber” tout au long de la coursepoursuite selon les indications données par lui à la chambre de l'instruction et au sentiment de danger qui a pu l'habiter, quelle qu'ait été la réalité de la menace. A cet égard, contrairement à ce qu'énonce la chambre de l'instruction, “la qualification héroïque donnée au comportement de [G] [L] dans les médias ou au sein de la population locale et la récompense qui lui a été décernée par la ville de Nice” ne sont pas des éléments d'appréciation totalement étrangers à la question de savoir si l'intéressé doit être regardé comme victime ou témoin des faits. Sa constitution de partie civile doit donc être déclarée recevable. 3.3.3.- La solution proposée ne consiste donc pas à affirmer que M. [L] aurait été lui-même la possible victime d'une tentative d'assassinat pour avoir été exposé à l'intention homicide de l'auteur des faits ou à un risque de mort. Elle revient à le considérer comme une victime collatérale des crimes, objet de la poursuite, qu'il a tenté d'interrompre, dès lors que le préjudice qu'il invoque à l'appui de sa constitution de partie civile est lié à l'initiative qu'il a prise pour mettre fin à ces crimes. Si un tel préjudice peut être regardé comme étant la conséquence directe de ces crimes, c'est qu'il est survenu à l'occasion d'une action qui en est indissociable. Le raisonnement n'est pas très différent de celui qui sous-tend la solution que vous retenez pour admettre la constitution de partie civile des proches des victimes. En

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raison du lien de proximité avec les victimes, leur préjudice est indissociable de celui subi par celles-ci. Au cas présent, c'est l'action à l'occasion de laquelle a été subi le préjudice qui doit être regardée comme indissociable du crime lui-même. La solution ne nous paraît pas seulement juridiquement fondée. Elle apparaît en outre équitable, sinon vertueuse. Elle permet de reconnaître que M. [L] n'est pas responsable du dommage qu'il a subi en intervenant pour tenter de mettre un terme à une action criminelle. En jugeant son action recevable, vous jugez que cette responsabilité pèse sur l'auteur du crime. Nous vous proposons ainsi de poser en principe que la personne qui a subi un traumatisme en tentant d'empêcher la commission ou le renouvellement d'atteintes volontaires à la vie est recevable à se constituer partie civile du chef de ces crimes dès lors que, déterminée exclusivement par eux, l'action à l'occasion de laquelle est survenu le dommage en est indissociable.

4.- La cassation pourrait être prononcée sans renvoi49 après que, faisant application de l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, vous aurez déclaré recevable la constitution de partie civile de M. [L].

Avis de cassation (sans renvoi)

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v. Crim., 8 nov. 2005, n° 05-81.613 ; Crim., 29 janv. 2019, n° 17-86.974 ; Crim., 25 juin 2019, n° 18-84.653, B., n° 129 ; Crim., 18 mars 2020, n° 19-82.548 ; Crim., 22 avr. 2020, n° 19-81.273

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