Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-17.916

Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-17.916

A85212RZ

Référence

Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-17.916. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409094-cass-soc-conclusions-19042023-n-2117916
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AVIS DE Mme LAULOM, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 501 du 19 avril 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-17.916 Décision attaquée : 26 mai 2021 du tribunal judiciaire d'Auxerre M. [C] [F] C/ la société Transdev Auxerrois _________________

Ce pourvoi concerne la désignation de délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 50 salariés et il vous donne l'occasion de vous prononcer sur l'interprétation de l'article L. 2143-6 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017. Selon cet article “dans les établissements qui emploient moins de cinquante salariés, les syndicats représentatifs dans l'établissement peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un membre de la délégation du personnel au comité social et économique comme délégué syndical. Sauf disposition conventionnelle, ce mandat n'ouvre pas droit à un crédit d'heures. Le temps dont dispose le membre de la délégation du personnel au comité social et économique pour l'exercice de son mandat peut être utilisé dans les mêmes conditions pour l'exercice de ses fonctions de délégué syndical”. Peut-on admettre, contrairement à ce que la chambre sociale jugeait avant la réforme de 2017, que, dans une entreprise employant moins de 50 salariés, un syndicat représentatif puisse désigner comme délégué syndical un membre du comité social et économique dont la candidature aux élections a été présentée par un autre syndicat et qui a démissionné de son précédent mandat syndical ? Cette question a fait l'objet de la procédure d'amicus curiae de l'article L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire et de l'article 1015-2 du code de procédure civile et les organisations syndicales et professionnelles d'employeurs représentatives au niveau 1

national et interprofessionnel ont été invitées à présenter leurs observations, au cours de l'audience du 18 janvier 2023.

1. La jurisprudence antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 C'est en 1982, dans le cadre des lois Auroux (loi n° 82-915 du 28 oct. 1982), que le législateur, afin de favoriser l'implantation syndicale, a reconnu aux organisations syndicales représentatives la faculté de désigner un délégué du personnel en qualité de délégué syndical dans les entreprises de moins de 50 salariés (ancien article L. 412-11 du code du travail). Sous réserve de conventions ou d'accords d'entreprise comportant des clauses plus favorables, dans les entreprises de moins de cinquante salariés, seul un représentant élu peut donc être désigné délégué syndical pour la durée de son mandat. Cette faculté n'a pas été remise en cause lors de l'instauration du comité social et économique en 2017. Simplement, en lieu et place du délégué du personnel, ce sera un membre de la délégation du personnel au comité social et économique qui pourra occuper le rôle de délégué syndical. En 1994, la Cour de cassation a considéré qu'un délégué du personnel ne pouvait représenter un syndicat autre que celui qui avait présenté sa candidature aux élections1. La solution retenue par la chambre sociale se fonde essentiellement sur l'absence de crédit d'heure propre pour le délégué syndical ainsi désigné. Commentant ce premier arrêt, G. Borenfreud, considérait que “cette position semble la plus respectueuse du mode de scrutin en vigueur pour les élections professionnelles. Une solution contraire équivaudrait à admettre qu'un délégué du personnel peut utiliser ses heures de délégation au bénéfice d'un autre syndicat que celui sur la liste duquel il a été élu. Partant, c'est le choix exprimé par la collectivité des salariés, en faveur de telle ou telle organisation, qui se verrait contrarié”2. La Cour de cassation a, en revanche, admis qu'un syndicat pouvait désigner comme délégué syndical, dans les entreprises employant moins de 50 salariés, un délégué du personnel élu en tant que candidat libre3. La cohérence de cette jurisprudence est loin d'être évidente. Si l'on admet qu'il serait en quelque sorte déloyal pour un délégué du personnel, désigné délégué syndical, d'utiliser le crédit d'heures au profit d'un autre syndicat que celui sur la liste duquel il a été élu, la même critique ne peut-elle être faite à un salarié élu sans étiquette syndicale? Une uniformisation des solutions revenait néanmoins à réduire considérablement la portée de l'ancien article L. 412-11 du code du travail. L'objectif du législateur étant de favoriser l'implantation syndicale, particulièrement faible dans les petites entreprises où beaucoup de représentants du personnel sont élus sans étiquette syndicale, la solution dégagée par la Cour de 1

Soc., 2 novembre 1994, pourvoi n° 94-60.008. Dans cette affaire, la salariée avait été élue, en qualité de déléguée du personnel FO. Elle avait ensuite cessé d'être syndiquée au syndicat FO et avait adhéré au syndicat CGT, qui l'avait désigné en qualité de déléguée syndicale. La Cour de cassation estime que le tribunal d'instance a fait une exacte application de l'article L. 412-11 du code du travail, en retenant que la désignation de la salariée en qualité de déléguée syndicale était subordonnée à son élection en qualité de déléguée du personnel et que celle-ci ne pouvait valablement représenter un autre syndicat que celui qui avait présenté sa candidature aux élections. 2 G. Borenfreund, D. 1995, somm. 374. 3 Soc., 6 juillet 1999, pourvoi n° 98-60.329, Bull. 1999, V, n° 336. Voir également Soc., 14 mars 2000,

pourvoi n° 99-60.180, Bull. 2000, V, n° 107.

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cassation pour les délégués du personnel élus sans étiquette confortait l'objectif législatif . Ainsi selon J. Mouly, “exiger, pour qu'un syndicat puisse nommer un délégué du personnel délégué syndical que celui-ci soit déjà l'élu d'un syndicat, ce serait fermer l'application de la disposition en cause à nombre de petites entreprises et ce contrairement au voeu du législateur de 1982"4. Sur cette question, l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 a simplement adapté le dispositif existant à la substitution des délégués du personnel par le comité social et économique dans les entreprises de moins de 50 salariés. On pourrait alors estimer que les solutions antérieures peuvent perdurer. C'est en ce sens que se sont prononcées les organisations patronales, invitées à présenter leurs observations, lors de l'audience du 18 janvier 2023. Ces dernières sont favorables au maintien de la jurisprudence actuelle au nom de la loyauté et la sincérité de l'engagement syndical du salarié. Une autre solution, selon le Medef, remettrait en cause la légitimité électorale du délégué syndical vis-à-vis des salariés qui l'ont élu au regard de son appartenance syndicale au moment du scrutin.

2. Une évolution nécessaire de la jurisprudence Néanmoins, le contexte dans lequel s'inscrit cette jurisprudence a évolué et justifie, selon moi, une remise en cause de la distinction opérée entre les représentants du personnel élus sans étiquette syndicale et les autres. Consultées, l'ensemble des organisations syndicales se sont prononcées en ce sens. D'une part, l'élargissement du rôle attribué à la négociation collective s'est poursuivi, de même que les possibilités de négociation en dehors des organisations syndicales représentatives lorsque celles-ci sont absentes. Si en 2021, 71,2% des accords restent conclus par des délégués syndicaux, 10,1% le sont par des élus non mandatés. La proportion d'accords collectifs signés par des délégués syndicaux tombe à 25% dans les entreprises de moins de 50 salariés. En 2021, la part de textes signés par un délégué syndical augmente légèrement (8%) après une baisse continue depuis 2017 5. Admettre qu'un élu puisse être désigné comme délégué syndical d'un autre syndicat sous l'étiquette duquel il s'est présenté est ainsi de nature à favoriser une négociation collective avec des représentants syndicaux, qui ont, selon les termes du Conseil Constitutionnel, “vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs”6. D'autre part, depuis que la désignation du délégué syndical est conditionnée, sauf exceptions légales, à sa candidature aux élections professionnelles et à l'obtention d'au moins 10% des voix des salariés, il est admis que l'appartenance successive à 4 J. Mouly, “La nomination en qualité de délégué syndical, dans une petite entreprise, d'un délégué du

personnel élu en candidat libre”, Droit social, 1999, p. 1052. Voir également le commentaire de G. Borenfreund en ce sens. Ministère du Travail, du plein emploi et de l'insertion, Direction générale du travail, La négociation collective en 2021, Bilan et Rapports Edition 2022. 5

6 Cons. Const., Décision n° 96-383 DC du 6 nov. 1996. Les modes alternatifs de négociation collective

ne doivent donc pas avoir pour objet ou effet de faire obstacle à la négociation collective avec les organisations syndicales représentatives. Ce principe est également reconnu par l'OIT (convention fondamentale n° 98 de l'OIT sur le droit d'organisation et de négociation collective).

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plusieurs syndicats n'est pas un obstacle à la désignation du salarié en qualité de délégué syndical7. Ainsi, vous estimez que “si l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats aux élections des membres du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs en ce qu'elle détermine la représentativité du syndicat, le score électoral exigé d'un candidat par l'article L. 2143-3 du code du travail pour sa désignation en qualité de délégué syndical est un score personnel qui l'habilite à recevoir mandat de représentation par un syndicat représentatif”8. Cette conception du vote semble se vérifier particulièrement dans les petites entreprises, où les salariés votent plutôt pour une personne que pour un syndicat9. S'il est admis que le score électoral est ainsi un “score personnel”, la solution ne devrait-elle pas être la même quel que soit l'effectif de l'entreprise? Certes, la situation dans les entreprises de moins de 50 salariés est spécifique. Il s'agit, en effet, que des salariés, qui ont été élus pour un mandat de délégué du personnel et depuis 2017 de membre du comité social et économique, puissent également être désignés comme délégué syndical. Le coût reste identique pour l'entreprise dans la mesure où le crédit d'heures est mutualisé entre les deux fonctions. C'est précisément l'absence d'un crédit d'heures spécifique à la fonction de délégué syndical qui a justifié l'impossibilité pour une organisation syndicale de désigner un élu qui se serait présenté sous une autre étiquette syndicale. Mais dès l'origine en 1982, alors même qu'alors les délégués syndicaux ne bénéficiaient pas d'une autre légitimité que la légitimité syndicale, le législateur a admis qu'un délégué du personnel puisse être investi d'un mandat syndical et utilise son crédit d'heures pour l'exercice de ses deux missions distinctes. La mutualisation des moyens permet ainsi l'exercice de deux mandats distincts. Peu importe alors que le salarié opte, en cours de mandat, pour un autre syndicat que celui pour lequel il s'est présenté à une fonction élective. Invitées à présenter leurs observations, lors de l'audience du 18 janvier 2023, les organisations syndicales se sont unanimement prononcées en faveur d'une évolution de la jurisprudence, au nom de la liberté syndicale pour le salarié d'adhérer au syndicat de son choix et pour l'organisation syndicale de désigner son représentant. Une solution identique devrait prévaloir entre les salariés élus sous une étiquette syndicale et sans étiquette et quelle que soit la taille des entreprises. Cette solution est également de nature à favoriser la négociation avec des représentants des syndicats, qu'il convient de privilégier. Selon nous c'est effectivement cette solution qu'il convient de retenir. Ici, le tribunal judiciaire d'Auxerre a annulé la désignation du salarié en qualité de délégué syndical, en considérant “qu'aux termes de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation applicable dans les entreprises de moins de 50 salariés, les syndicats représentatifs ne peuvent désigner comme délégué syndical qu'un élu titulaire dont la candidature a été présentée par son syndicat ou un candidat libre”.

7 Soc., 13 janvier 2010, pourvoi n° 09-60.108, Bull. 2010, V, n° 12 8 Soc., 28 septembre 2011, pourvoi n° 10-26.762, Bull. 2011, V, n° 212. 9 La CFE-CGC estime en ce sens que “la philosophie des élections dans les entreprises de moins de 50

salariés est caractéristique, de sorte que les électeurs votent le plus souvent pour la personne candidate (qu'on connaît!) et moins pour son étiquette syndicale”.

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Je suis d'avis de casser cette décision pour violation de l'article L. 2143-6 du code du travail. Avis de cassation

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