Jurisprudence : Cass. civ. 1, Conclusions, 21-09-2022, n° 21-50.042

Cass. civ. 1, Conclusions, 21-09-2022, n° 21-50.042

A85082RK

Référence

Cass. civ. 1, Conclusions, 21-09-2022, n° 21-50.042. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409081-cass-civ-1-conclusions-21092022-n-2150042
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AVIS DE Mme CARON-DÉGLISE, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 660 du 21 septembre 2022 – Première chambre civile Pourvoi n° 21-50.042 Décision attaquée : 29 avril 2021 de la cour d'appel de Papeete M. le procureur général de la cour d'appel de Papeete c/ Mme [N] [S] Et autres ____________________________

Sens de l'Avis : Cassation Plan de l'Avis : I - Rappel des faits et de la procédure. II - Moyens du pourvoi et questions de droit. III - Eléments de discussion. 3.1. L'état du droit. 3.2. La Polynésie française, la conception de la famille et la coutume polynésienne du fa'a'amu. 3.3. Les regards sur la pratique de délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption en Polynésie française. 3.4. Les consultations extérieures. IV - Analyse des moyens et Avis.

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I - Rappel des faits et de la procédure L'enfant [I] [M] est née le 18 avril 2020 à Papeete de Mme [S] et de M. [M]. Le couple avait déjà deux enfants ensemble, Mme [S] en ayant elle-même trois d'une précédente union, dont l'un a été adopté par un couple de métropolitains à la suite d'une délégation de l'autorité parentale. Suivant acte du 6 mai 2020, Mme [S] et M. [M] et M. et Mme [T] ont déposé une requête aux fins de délégation d'autorité parentale devant le tribunal de première instance de Papeete sur le fondement de l'article 377-1 du code civil, précisant que la requête visait à l'adoption ultérieure de [I] [M]. Par un jugement du 12 août 2020, le juge aux affaires familiales a fait droit à la demande, dit que l'autorité parentale sur l'enfant [I] [M] serait exercée par M. et Mme [T] et dit que les délégataires devront requérir l'organisation de la tutelle de l'enfant mineur à l'effet de faire désigner un tuteur chargé de l'administration de son patrimoine dans le cas où la consistance de celui-ci justifierait une telle mesure. Statuant sur l'appel du procureur de la République qui soutenait en particulier que, dans la mesure où elle était expressément destinée à permettre l'adoption de [I] [M], la délégation d'autorité parentale constituait un détournement de la prohibition de la gestation pour autrui interdite et un détournement des lois sur l'adoption, la cour d'appel de Papeete a confirmé la décision du premier juge par un arrêt du 29 avril 2021. C'est l'arrêt attaqué.

II - Moyens du pourvoi et questions de droit. 2.1. Les moyens du pourvoi. Le procureur général de la cour d'appel de Papeete développe neuf moyens par lesquels il fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de première instance de Papeete délégant l'exercice de l'autorité parentale sur l'enfant [I] [M] à M. et Mme [T], alors : Premier moyen 1° : « qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a enfreint la prohibition d'ordre public de la gestation pour autrui, spécifiée aux articles 16-7 et 16-9 du code civil» ; 2° : « qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 348-4 du code civil qui ne prévoit pas pour les parents biologiques la possibilité de choisir les adoptants, choix tout aussi impossible au terme de l'article 29 de la convention de La Haye régissant l'adoption internationale » ; 3° : « qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, alors même qu'elle sait que la procédure en délégation d'autorité parentale, utilisée dans un tel contexte, a pour principal 2

objectif de confier définitivement cet enfant aux délégataires, détourne la procédure de délégation d'autorité parentale » ; Deuxième moyen 1° : « qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a donné une toute autre portée à la jurisprudence de la Cour de cassation qui n'entend permettre le recours à la délégation d'autorité parentale que lorsque l'enfant est étranger et que l'adoption est interdite dans le pays d'origine de l'enfant » ; 2° : « que le code civil applicable en Polynésie française n'interdit pas l'adoption»; 3° : « que la même cour d'appel prononce régulièrement des jugements d'adoption d'enfants par application du code civil » ; 4° : « que l'absence d'arrêté organisant le conseil de famille ne fait pas obstacle à la possibilité d'adopter » ; 5° : « que l'éventuelle mauvaise interprétation des textes par l'administration territoriale du service de l'aide sociale à l'enfance ne fait pas obstacle à l'application de la loi par la cour d'appel » ; Troisième moyen 1° : « qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 377, al. 1 er, du code civil qui ne permet pas en cas de délégation d'autorité parentale volontaire une délégation par plusieurs délégataires » ; 2° : « qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a conféré à l'article 555 du code de procédure civile de Polynésie française des effets réservés à l'article 377, al. 1er, du code civil lequel limite pourtant en cas de délégation d'autorité parentale volontaire la possibilité de désigner un seul délégataire » ; 3° : « que l'intérêt supérieur de l'enfant ne saurait être invoqué à l'appui d'une interprétation contraire à un texte clair » ; Quatrième moyen 1° : « en statuant ainsi, la cour d'appel donne une portée à l'arrêt de Cour de cassation non transposable en l'espèce dès lors que l'article 353-2 du code civil, appliqué par la Haute juridiction, concerne exclusivement la recevabilité de la tierce opposition à l'encontre d'un jugement d'adoption » ; 2° : « en statuant ainsi, en se référant à un arrêt sans constater l'analogie des situations ni en préciser les motifs, la cour d'appel de Papeete n'a pas motivé sa décision » ; Cinquième moyen -3-

Il est fait grief à l'arrêt attaqué de dire d'une part « ni l'enquête sociale, ni l'enquête de gendarmerie n'ont montré d'indice que cette délégation ait été faite moyennant des contrepartie matérielles ou financières. (...)» et, d'autre part, « la présence de [Z] [T] à la clinique et au moment de l'accouchement, comme sa participation aux frais de clinique et à la vie familiale », de sorte que, « en statuant ainsi, la cour d'appel s'est contredite dans sa motivation » ; Sixième moyen 1° : « en statuant ainsi, dans le domaine particulier de la délégation d'autorité parentale volontaire, le juge ne saurait fonder sa décision sur la précarité matérielle et financière des parents, étrangères aux circonstances exigées par l'article 377, al. 1er, du code civil, la décision de la cour d'appel a manqué de base légale » ; 2° : « en statuant ainsi, dans le domaine particulier de la délégation d'autorité parentale volontaire, le juge a ainsi insuffisamment motivé sa décision qui ne saurait se fonder sur une supposée absence de projet de parentalité, et s'exonérer ainsi des déclarations de la délégante qui a exposé tant son désir d'enfant que ses atermoiements sur le fait de remettre son enfant » ; Septième moyen 1° : « en statuant ainsi, le consentement des parents à la délégation devant s'étudier distinctement du choix du délégataire dont il ne peut découler, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision » ; 2° : « en statuant ainsi, le consentement libre et éclairé des parents devant s'étudier au jour de la signature de la requête, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision » ; 3° : « en statuant ainsi, le consentement libre et éclairé des parents ne pouvant se déduire de la seule absence de vice ou de fraude constaté ou d'intention de tromper le juge, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision » ; 4° : « en ne statuant pas sur les circonstances de la remise de l'enfant et de la signature de la requête, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision » ; 5° : « en statuant ainsi, la qualité de proche digne de confiance d'un délégataire devant se constater au moment de la remise de l'enfant et de la requête, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision » ; 6° : « en statuant ainsi, et en les qualifiant de proches au sens de l'article 377, al. 1 er, du code civil, après avoir constaté que le délégataire, M. [T], était inconnu des déléguants et que la délégataire, Mme [T], n'était connue que depuis quelques semaines, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations»; 7° : « en statuant ainsi, le caractère digne de confiance d'un délégataire devant s'apprécier par le juge également sur sa capacité à respecter tant les fonctions 4

parentales des parents, que le maintien du lien entre l'enfant et ses parents et la définition par nature réversible de la délégation d'autorité parentale, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision » ; Huitième moyen 1° : « en statuant ainsi, sans avoir tiré les conséquences de la volonté des parents de consentir des droits de visite et de correspondance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations » ; 2° : « en statuant ainsi, sans examiner si les droits de l'enfant tels que définis par les conventions internationales et notamment les articles 7, 8, 9 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20.11.1989, étaient respectés, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision » ; Neuvième moyen « en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 377, al. 1 er, du code civil, la délégation d'autorité parentale ne pouvant être déposée que par les seuls parents délégants ». 2.2. Les questions de droit. Le procureur général de la cour d'appel de Papeete soutient que le dispositif de délégation de l'autorité parentale aux fins d'adoption simple ou plénière pratiqué en Polynésie française, permettant une entente directe entre des parents polynésiens et des métropolitains pour que des enfants de moins de 2 ans soient confiés à ces derniers dès leur naissance, sans remise préalable à l'aide sociale à l'enfance, contrevient aux dispositions légales applicables. Il pose principalement les questions suivantes : 1) Le dispositif ainsi organisé peut-il être assimilé à une forme de gestation pour autrui, prohibée par le droit français ? (M1B1) 2) Ce dispositif constitue-t-il une violation de l'article 348-4 du code civil, disposition selon laquelle le choix de l'adoptant relève pour l'enfant remis à l'aide sociale à l'enfance (ASE) de la décision du tuteur en accord avec le conseil de famille des pupilles de l'Etat ou du conseil de famille de la tutelle ? (M1B2) 3) Ce dispositif constitue-t-il un détournement de la procédure de délégation d'autorité parentale ? (M1B3) 4) Les critères posés par l'article 377 du code civil, sur l'unicité de délégataire et sur la qualité de tiers digne de confiance ne font-ils pas obstacle à la délégation de l'autorité parentale à plusieurs délégataires ? (M3 B1, B2 et M 7 B6).

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III- Enjeux du pourvoi et éléments de discussion. Les situations de délégation de l'autorité parentale à l'égard d'un enfant, par la volonté des parents ou par contrainte, sont très diverses. Celles qui conduisent à l'adoption le sont sans doute plus encore. Si toutes deux commencent par une séparation d'avec au moins un des parents biologiques, qui est une perte et pour beaucoup un abandon, elles ne sont en juridiquement pas liées entre elles. Une délégation d'autorité parentale, quelle que soit sa forme, n'a pas pour objectif initial de devenir la création d'un lien de filiation mais de répondre aux besoins de l'enfant en donnant à un tiers, au sens de l'article 377, alinéa 1 er du code civil, les moyens concrets de s'en occuper. L'adoption vise d'autre objectifs. Du côté des candidats à l'adoption, c'est le désir d'enfant et de devenir parents qui fonde le plus souvent la demande. Du côté des enfants, c'est le besoin de stabiliser les repères, les figures d'attachement et les parcours qui conduit à rechercher de nouvelles familles stables. De nombreux enfants, en particulier en protection de l'enfance, formulent ce souhait lorsqu'ils sont en âge de s'exprimer. Lorsqu'ils ne sont pas encore discernants, et tout particulièrement lorsqu'ils sont tout petits, des garanties sont posées par le cadre juridique pour les protéger des dérives et de la tentation constante des candidats à l'adoption d'accueillir le plus possible des enfants quasiment à l'identique que s'ils étaient nés directement dans leur foyer. Les pratiques d'adoption s'opèrent, pour l'essentiel, sous le régime juridique de la loi fondatrice n° 66-500 du 11 juillet 1966. Elles ont été modifiées en partie par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant qui a en particulier réformé la procédure de déclaration judiciaire d'abandon – devenue procédure judiciaire de délaissement parental (C. civ., art. 381-1 et 381-2) – et a introduit des commissions d'examen de la situation des enfants confiés, pour permettre que davantage d'entre eux bénéficient du statut de pupille de l'Etat et, le cas échéant, d'un projet d'adoption. Parallèlement, pour tenir compte de la diversité des besoins des pupilles de l'Etat, cette loi reconnaît que le projet de vie de ces enfants peut, parfois, ne pas être un projet d'adoption. Ainsi, au-delà du statut juridique de l'enfant, le bilan d'adoptabilité est devenu une étape incontournable de l'élaboration de son projet de vie1. Les objectifs poursuivis par ces textes, et par la récente loi n° 2022-219 du 21 février 2022 réformant une nouvelle fois partiellement l'adoption, sont toujours de parvenir à respecter au mieux « l'intérêt supérieur de l'enfant » au sens de l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, texte porté au plus haut niveau de la hiérarchie des normes par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013−669 DC du 17 mai 2003. S'appuyant sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », le Conseil a ainsi décidé que l'adoption doit être conforme à l'intérêt de l'enfant et jugé que, pour tous les couples, 1 L'instauration d'un bilan obligatoire d'adoptabilité par décret est souhaitée par le

CNPE dans son rapport du 8 mars 2018

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les dispositions relatives à la procédure d'agrément ne sauraient conduire à ce que celui-ci soit délivré sans que l'autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l'exigence de conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant. Et de ce point de vue, l'intérêt de l'enfant vis-à-vis de l'adoption doit sans doute être interrogé tant au regard de la situation réelle de ses parents, de ce qu'ils ont à en dire s'ils peuvent s'exprimer et de l'aide appropriée qui peut leur être apportée pour qu'ils disposent d'une alternative, que du côté des candidats à l'adoption. S'ils ne sont pas des membres de la famille, se pose alors principalement la question de l'agrément, de la préparation et du choix des adoptants. Lorsque l'enfant est adoptable, il est aussi de son intérêt supérieur de respecter ses droits pendant la procédure d'adoption et après. Entrent alors en jeu notamment, la façon dont l'enfant est informé et associé au cours de la procédure, la question de son consentement s'il est discernant, celle de sa représentation s'il ne l'est pas, l'information de sa parenté et de ses proches, les conditions de la modification de sa filiation, son droit à la connaissance de ses origines personnelles, ses nom(s) et prénom(s), son droit à être protégé de toute immixtion dans sa vie privée et dans celle de sa famille devenue élargie. C'est donc l'enjeu de ce pourvoi spécifique et des sept autres dont la Cour de cassation est saisie à propos du dispositif de délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption organisé depuis plusieurs années en Polynésie française, collectivité d'outre-mer autonome en vertu de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 20042, en s'appuyant pour partie sur la coutume locale du fa'a'amu. Pour répondre aux moyens développés par le procureur général de la cour d'appel de Papeete dans le présent pourvoi, il est nécessaire d'analyser au préalable plusieurs données : – L'état du droit applicable à la délégation de l'autorité parentale et à l'adoption ; – Le statut de la Polynésie française, la conception de la famille et la pratique coutumière du fa'a'amu ; – Les regards portés sur la pratique de la délégation de l'autorité parentale aux fins d'adoption ; – Les consultations extérieures effectuées auprès des directions des administrations centrales concernées du ministère de la justice, du ministère des solidarités et de la santé et du ministère des outre-mer. 3.1. L'état du droit : la délégation de l'autorité parentale et l'adoption. 3.1.1. L'autorité parentale et les conditions de sa délégation. Les textes relatifs à l'autorité parentale et à sa délégation figurent dans le code civil au titre IX du Livre Premier consacré aux personnes, aux côtés des textes concernant notamment l'assistance éducative, le retrait de l'autorité parentale ou encore le délaissement parental. 2

complétée par la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 -7-

a) La distinction entre la titularité et l'exercice de l'autorité parentale. “L'autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l'intérêt de l'enfant” (C. civ., art. 371-1, al. 1er) et devant permettre en particulier de “le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité afin d'assurer son éducation et de permettre son développement (...)” (C. civ., art. 371-1, al. 2). En principe, ce sont les parents qui exercent l'autorité parentale à l'égard de leurs enfants et ils en sont les seuls titulaires. Outre les droits qu'elle leur confère, qui concernent principalement son éducation, sa surveillance et les droits sociaux dont ils peuvent bénéficier3 ,l'autorité parentale impose des devoirs aux parents qui sont le corollaire des droits. Il s'agit principalement du devoir de protéger l'enfant, qui est une condition de son éducation et de son développement, et de l'entretenir en fonction de ses besoins. Par exception, la titularité ou l'exercice de l'autorité parentale peuvent se perdre: – La titularité de l'autorité parentale se perd dans des hypothèses précises : en raison de la majorité ou de l'émancipation de l'enfant (C. civ. art. 413-7, al. 1er, et 413-1), étant précisé que certaines prérogatives sont cependant maintenues ; en raison de l'anéantissement du lien de filiation, par exemple en cas d'adoption plénière (C. civ., art. 356, al. 1er) ou encore en cas de déchéance de l'autorité parentale (C. pén., art. 378 et 378-1). – L'exercice de l'autorité parentale peut être perdu par l'un des parents, ou les deux, tout en conservant la titularité. Les causes en sont variables4 et correspondent à des régimes différents. Cette perte d'exercice de l'autorité parentale n'entraîne pas pour autant la perte de toute prérogative pour les parents qui conservent en principe un droit de correspondance avec l'enfant, ainsi qu'un droit de visite. Ils peuvent en outre exercer un droit de surveillance (C. civ., art. 373-3-1, al. 4). Le fait que le parent titulaire de l'autorité parentale ne l'exerce pas n'entraîne pas obligatoirement son transfert à un tiers. Le plus souvent, c'est l'autre parent qui l'exercera seul. Cependant, lorsque l'intérêt de l'enfant le commande ou lorsque le seul parent titulaire de l'autorité parentale, ou les deux, sont dans l'incapacité de l'exercer, il est nécessaire que tout ou partie des prérogatives de l'autorité parentale soient exercées par un tiers (C. civ., art. 373). Les conséquences du transfert de l'exercice de l'autorité parentale sont variables suivant qu'il a lieu : – dans le cadre de la tutelle des mineurs (C. civ., art. 390), 3 En particulier au titre des prestations familiales, Casf, art. L. 112-2 4 Par exemple en raison d'un désintérêt manifeste pour l'enfant ou de l'impossibilité

pour le parent d'exprimer sa volonté, de son absence ou de l'établissement tardif ou judiciaire de la filiation (C. civ., art. 372, al. 2) 8

– dans le cadre des mesures d'assistance éducative qui, en principe n'ont pas d'incidence sur l'exercice de l'autorité parentale (C. civ., art. 375-7, mais la loi n° 2022-140 du 17 février 2022 a introduit des nuances pour les enfants confiés), – d'une délégation (C. civ., art. 376) – de l'intervention d'un administrateur ad hoc (C. civ., art. 388-2, 383 ; C. proc. pén., art. 706-50 ; Ceseda, art. 221-5 et 751-1). Seul nous intéresse ici le régime de la délégation de l'autorité parentale. b) La délégation de l'exercice de l'autorité parentale. – Conditions : Ainsi que le dispose l'article 376 du code civil, «aucune renonciation, aucune cession portant sur l'autorité parentale, ne peut avoir effet, si ce n'est en vertu d'un jugement» dans les cas spécifiés aux articles 376-1 et suivants du code civil (préciser exactement les articles). La loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 a considérablement simplifié le régime de la délégation d'autorité parentale5 qui peut notamment être consentie par les parents de l'enfant ou demandée par le tiers qui l'a recueilli. La délégation de l'exercice de l'autorité parentale peut être prononcée par le juge aux affaires familiales, qui est le magistrat compétent en la matière, en présence du ministère public (Cpc, art. 1208, al. 2) dans différentes hypothèses visées par les textes suivants : * aux articles 381-2, alinéa 5, du code civil et 224-8 du Casf (mesure accessoire d'une autre décision et en particulier de l'admission en qualité de pupille), * à l'article 373-2-8 du code civil (délégation partielle prononcée par le JAF au bénéfice de tiers, par exemple les grands-parents) * aux articles 377, 377-1 et 377-2 du code civil. Dans ces dernières hypothèses, la délégation de l'exercice de l'autorité parentale peut être volontaire (C. civ., art. 377, al. 1er), hypothèse qui nous intéresse dans les pourvois en cause, « lorsque les circonstances l'exigent », ou imposée par le juge sur demande d'un tiers lorsque les parents se sont manifestement désintéressés de l'enfant ou sont dans l'impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale (C. civ., art. 377, al. 2). Seule nous intéresse ici la délégation volontaire qui constitue une exception au principe de l'indisponibilité de l'autorité parentale. – Mode de délégation volontaire de l'autorité parentale : La loi impose aux parents de choisir le tiers délégataire parmi quatre catégories de personnes : un membre de la famille, un proche digne de confiance, un établissement agréé pour le recueil des enfants ou le service de l'aide sociale à l'enfant (C. civ., art. 377, al. 1er). 5 H. Bosse-Platière et a., «Les relations de l'enfant avec d'autres personnes que ses

père et mère», Droit et patrimoine 2000.71 ; A. Gouttenoire et P. Murat, «L'intervention d'un tiers dans la vie de l'enfant», Droit fam. 2003, Chron.1 -9-

Si la qualité de membre de la famille est suffisante pour justifier le choix des parents, le juge n'a pas l'obligation de désigner le délégataire par priorité parmi les membres de la famille (1ère Civ., 16 avril 2008, pourvoi n° 07-11.273) et le tiers délégataire peut être choisi en dehors de la famille (CA Bordeaux, 26 février 1992). Toutefois, si le délégataire est choisi en dehors de la famille, il doit être «un proche digne de confiance», c'est à dire une personne qui a déjà des liens et des contacts suffisamment étroits et stables pour que ce soit instaurée une confiance. Il ne peut donc s'agir d'un inconnu. A titre d'exemple, les juges du fond ont pu retenir que le concubin du parent, du beau-père ou du partenaire, ou encore de la grand-mère pouvaient être qualifiés de proche digne de confiance (CA Rouen, 27 novembre 2014, n° 13/03151). Il convient de relever que le législateur lui-même a introduit une nuance dans la rédaction de l'article 377 du code civil en distinguant d'une part à l'alinéa 1 er, le «proche digne de confiance» pour la délégation volontaire de l'autorité parentale et, d'autre part à l'alinéa 2, le «particulier qui a recueilli l'enfant» pour la délégation imposée de l'autorité parentale. La qualité de «proche digne de confiance» est une notion de fait, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Par ailleurs, la délégation de l'autorité parentale ne peut être réalisée qu'à un seul délégataire et non à plusieurs, même en couple. Si le rapport DekeuwerDefossez6 à l'origine de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a souligné qu'il serait «opportun de faire de la délégation un mode d'organisation souple et efficace de prise en charge de l'enfant par un tiers, notamment par les grands-parents ou par les beaux-parents», le principe de l'unicité de délégataire a été maintenu par le loi de 20027. - Conséquences et périmètre de la délégation d'autorité parentale : Lorsque le juge prononce une délégation de l'autorité parentale, la conséquence est de transférer tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale au bénéficiaire, les parents demeurant titulaires de leurs fonctions. C'est le sens des alinéas 1er et 2 de l'article 377 du code civil et de l'article 376-1 du même code selon lequel l'autorité parentale est d'ordre public, elle appartient aux parents qui ne peuvent en disposer. Ainsi que le rappelle A. Gouttenoire8, « la part faite à leur volonté réelle ou présumée ne concerne que l'exercice de leur fonction sous le contrôle du juge. Surtout, cette distinction permet de bien distinguer 6 Rapport Dekeuwer-Defossez, «Rénover la famille», rapport remis au garde des

Sceaux, ministre de la Justice, 1999, p. 78 à 80 7 C. Neirinck, Jcl civ. - Fasc. 30 8 v. supra, note 5

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délégation et retrait, les parents qui se voient retirer perdant l'autorité parentale ellemême et non seulement son exercice.» Le périmètre exact de cette délégation n'est pas toujours aisé à déterminer. Elle peut, en principe, être soit une délégation partage (lorsque les parents exercent encore des prérogatives et a alors pour objectif de permettre à un tiers d'intervenir, par exemple un beau-parent) soit une délégation supplétive (lorsque l'objectif est de suppléer plus ou moins durablement la carence des parents). Dans ce dernier cas, la délégation n'est en général pas volontaire. En l'absence de précision dans la décision, la délégation est totale, le maintien d'un droit de visite et le cas échéant d'hébergement ayant été considéré par la Cour de cassation comme caractérisant une délégation partielle (1 ère Civ., 14 février 1989, pourvoi n° 86-81.038). Plusieurs observations peuvent être formulées sur ce point puisque, d'une part, en vertu des dispositions de l'article 373-2-1, alinéa 2, les parents continuent en principe toujours de bénéficier de droits en tant que titulaires de l'autorité parentale (notamment le droit d'entretenir des relations avec leur enfant 9), et puisqu'en tout état de cause il est un droit qui ne peut pas être délégué, celui de consentir à l'adoption (C. civ., art. 337-3). En effet, le droit de consentir à l'adoption entraînant, lorsqu'elle est plénière, la rupture du lien de filiation il a des conséquences bien plus graves que l'usage des autres attributs de l'autorité parentale. En outre, relevons que la délégation de l'autorité parentale ne met pas fin à l'obligation d'entretien des parents de sorte que le délégataire peut obtenir d'eux une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant (CA Poitiers, 28 février 1990, Juris-data n° 1990-044207). Pourtant, lorsque le transfert n'est pas total, la délimitation entre les prérogatives pouvant être exercées par le délégataire et celles que continue d'exercer le parent peut poser difficulté, les juges n'établissant pas toujours, en pratique, des listes suffisamment précises. c) Une délégation toujours provisoire : La délégation de l'autorité peut, dans tous les cas, prendre fin ou être transférée par un nouveau jugement s'il est justifié de «circonstances nouvelles» (C. civ., art. 377-2). Les parents ou l'un d'eux peuvent donc toujours se voir restituer leurs droits s'ils établissent des éléments nouveaux susceptibles de modifier l'appréciation de l'intérêt de l'enfant faite précédemment. Le juge apprécie souverainement et peut désigner un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts de l'enfant (1ère Civ., 23 février 1999, Droit. fam. 2000, n° 146, obs. A. Gouttenoire-Cornut). 9 v. dans ce sens, CEDH, 16 février 2016, Soares de Melo c/ Portugal, req.

n° 72850/14 : une délégation totale de l'autorité parentale, voire partielle mais qui ne conserverait aux parents qu'un droit de visite et de correspondance porterait une atteinte excessive au droit du parent d'élever son enfant, comme composante de son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme -11-

La jurisprudence considère que le délégataire de l'autorité parentale consentie par les parents ne peut pas estimer qu'il est à l'abri d'une demande de levée de cette délégation et se comporter comme un parent adoptif (1ère Civ., 29 octobre 1996, D. 1997, Somm. 160, obs. Granet).

3.1.2. L'adoption. Les textes relatifs à l'adoption ne figurent pas au même titre du code civil que ceux relatifs à l'autorité parentale et sa délégation. Ils se trouvent également au Livre Premier relatif aux personnes, mais au titre VIII alors que les dispositions relatives à l'autorité parentale et à sa délégation sont inscrites au titre IX. Ils figurent également pour partie dans le code de l'action sociale et des familles (livre II, chapitres V et VI). Le code de l'action sociale et des familles (CASF) comprend ainsi des dispositions sur l'accès aux origines personnelles, sur la procédure d'agrément, sur l'adoption des pupilles de l'Etat et sur le fonctionnement des organismes autorisés pour l'adoption. En outre, les décrets n° 2004-1136 et 1137 du 21 octobre 2004 ont adjoint une partie réglementaire à la partie législative. L'adoption permet de créer un lien juridique de filiation entre des personnes qui n'ont, en général, aucun lien de sang. Jusqu'à présent, en droit français, l'adoption était principalement constituée de deux éléments : la volonté des personnes concernées, à travers le consentement de l'adoptant et de l'adopté (selon l'âge de celui-ci) et l'intervention de l'autorité publique, le juge, qui la prononce. La loi n° 2022-219 du 22 février 2022, applicable sur tout le territoire de la République sauf en Nouvelle-Calédonie, a assoupli le critère de volonté pour faire entrer l'appréciation de l'intérêt de l'adopté, pour les mineurs de treize ans et les majeurs protégés hors d'état de consentir personnellement (C. civ., art. 348-7 nouveau). Dans l'ordre international, tous les Etats ne connaissent pas l'adoption et certains pays de droit musulman par exemple autorisent seulement l'accueil des enfants sans effet juridique sur la filiation (la kafala). D'autres pays, qui partagent le concept d'adoption, organisent des régimes propres, par exemple sur les conditions d'âge des parties, sur les effets de l'adoption ou encore sur l'intervention ou non de l'autorité judiciaire. a) Les deux formes de l'adoption. Dans l'ordre interne, il existe deux formes d'adoption prévues aux chapitres 1 et 2 du code civil : - l'adoption plénière (C. civ., art. 343 à 359) : le jugement d'adoption plénière entraîne la rupture du lien de filiation avec la famille par le sang pour le remplacer par un nouveau lien de filiation (C. civ., art. 356, al. 1 er) non fondé par la procréation, excepté le cas de l'enfant du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin (C. civ., art. 356, al. 2) et confère à l'enfant les mêmes droits que l'enfant reconnu légalement (en termes de transmission du nom, d'autorité parentale, de succession, etc.). Cette adoption est irrévocable (C. civ., art. 359). 12

- l'adoption simple (C. civ., art. 360 à 370-2) : ce type d'adoption ajoute la filiation adoptive à la filiation d'origine, ce qui permet en particulier la conservation du nom d'origine accolé au nom de l'adoptant, le maintien des droits successoraux dans la famille d'origine et les droits successoraux dans la famille adoptive qui ne s'étendent pas à la succession de la génération des grands-parents). S'il est justifié de motifs graves, l'adoption peut être révoquée (C. civ., art. 370). b) Les principales conditions requises pour l'adoption. Un grand nombre de dispositions relatives aux conditions de l'adoption sont les mêmes, quelle que soit la forme de l'adoption, le législateur ayant procédé par renvoi de législation du régime de l'adoption plénière vers celui de l'adoption simple. Il en va ainsi de la majorité des conditions relatives aux personnes concernées, à leur consentement et au cadre procédural. Nous rappellerons, pour mémoire, les conditions relatives aux enfants qui peuvent être adoptés, les conditions relatives au consentement des personnes concernées et les conditions spécifiques aux enfants de moins de deux ans, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 qui n'est elle-même applicable qu'à compter du 23 février 2022 : – Conditions relatives aux enfants qui peuvent être adoptés : L'article 347 du code civil dispose que «peuvent être adoptés : 1° les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l'adoption; 2° les pupilles de l'Etat ; 3° les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues aux articles 381-1 et 381-2.» Il doit ici être relevé que ne figure pas dans cette liste les enfants à l'égard desquels l'autorité parentale a été déléguée. Il peut en être déduit qu'il n'existe pas de lien entre le mécanisme de la délégation d'autorité parentale et celui de l'adoption, la première n'étant pas le préalable de la seconde et ne rendant pas l'enfant adoptable. Cependant, l'adoption de l'enfant après délégation volontaire ou contrainte de l'autorité parentale, n'est pas prohibée et, par exemple, un beau-parent bénéficiaire d'une délégation d'autorité parentale pourra ensuite adopter l'enfant si les conditions sont remplies. Lorsque la délégation est contrainte, notamment à la suite du délaissement de l'enfant (C. civ., art. 381-1 et 381-2), celui-ci sera adoptable lorsqu'il aura acquis le statut de pupille. – Conditions relatives au consentement des personnes concernées : * L'enfant : Lorsqu'il a plus de 13 ans, l'enfant doit consentir personnellement à son adoption plénière (C. civ., art. 345, al. 3). * Le ou les parents : Le droit pour un parent de consentir à l'adoption de son enfant mineur est une prérogative de l'autorité parentale qui ne dépend pas de son exercice effectif mais est attaché à sa qualité d'auteur de l'enfant.

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En conséquence, lorsque la filiation est établie à l'égard des deux parents, chacun doit personnellement consentir à l'adoption (C. civ., art. 348, al. 1 er). Lorsque la filiation n'est établie qu'à l'égard d'un seul parent, celui là seul donne son consentement (C. civ., art. 348-1). Cependant, tant que l'enfant n'a pas été placé en vue de l'adoption, l'autre parent peut reconnaître l'enfant (C. civ., art. 352 a contrario). * Le conseil de famille : A défaut de parents, seul le conseil de famille est habilité à consentir à l'adoption. En l'absence de filiation établie ou connue, l'enfant est admis en qualité de pupille de l'Etat (Casf, art. L. 244-4) et c'est le conseil de famille des pupilles de l'Etat qui donne son consentement à l'adoption. Lorsque la filiation est établie, et en cas de décès des parents ou de tutelle, le consentement est donné par le conseil de famille (C. civ., art. 348-2, art. 399 en cas de tutelle et 411 en cas de tutelle vacante). * L'expression du consentement : Le consentement à l'adoption d'un enfant est un acte unilatéral particulièrement important puisqu'il entraîne la renonciation aux droits de l'autorité parentale et la rupture du lien de filiation, si l'adoption plénière est prononcée. C'est pourquoi la loi entoure ce consentement de garanties et de formalités très strictes afin qu'il soit donné en pleine connaissance de cause, la rétractation étant possible sous condition de délais (C. civ., art. 348-3). La loi n° 2022-219 du 21 février 2022 a ajouté aux dispositions de l'article 348-3 du code civil, l'alinéa suivant : «le consentement à l'adoption doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption, en particulier s'il est donné en vue d'une adoption plénière, et sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant.» Les dispositions des autres alinéas du texte n'ont pas été modifiées. Le consentement est donné devant un notaire français ou étranger, ou devant les agents diplomatiques ou consulaires français, ou encore au service de l'aide sociale à l'enfance lorsque l'enfant lui a été remis. Il peut être rétracté pendant deux mois, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à la personne ou le service ayant reçu le consentement à l'adoption, étant précisé que la remise de l'enfant à ses parents sur demande, même verbale, vaut preuve de la rétractation (al. 3, in fine). A l'expiration de ce délai de deux mois, les parents peuvent encore demander la restitution de l'enfant à condition que celui-ci n'ait pas été placé en vue de l'adoption. Si la personne qui a reçu l'enfant refuse de le rendre, les parents peuvent saisir le tribunal qui apprécie en fonction de l'intérêt de l'enfant (al. 4). La restitution rend caduc le consentement à l'adoption (al. 4, in fine). * La portée du consentement. 14

La portée du consentement est différente suivant qu'il s'agit d'une adoption directe ou d'une adoption après remise de l'enfant au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé pour l'adoption. Dans le cadre d'une adoption directe, le consentement des parents ou du conseil de famille est spécial et doit être donné en désignant l'adoptant. Cela n'est alors possible que pour les enfants de plus de deux ans ou lorsque les adoptants ont un lien de parenté ou d'alliance jusqu'au sixième degré inclus avec l'enfant (C. civ., art. 348-5). En revanche, le consentement est général lorsque l'enfant a été remis soit au service de l'aide sociale à l'enfance, le choix de l'adoptant étant laissé au tuteur avec l'accord du conseil de famille des pupilles, soit à un organisme autorisé pour l'adoption, le choix de l'adoptant étant laissé au conseil de famille de la tutelle organisée à l'initiative de cet organisme (C. civ., art. 348-4). Il est utile ici de préciser que, lorsque l'enfant a été remis à l'ASE ou à un organisme habilité, le législateur a décomposé le processus de l'adoption plénière en deux phases: une phase administrative au cours de laquelle l'enfant est placé en vue de l'adoption et une phase judiciaire qui a pour finalité le jugement d'adoption. Le principal effet du placement en vue de l'adoption est de faire obstacle à toute restitution de l'enfant à sa famille d'origine (C. civ., art. 352, al. 1 er), l'objectif poursuivi étant d'assurer la sécurité des adoptants dès le recueil de l'enfant et non depuis le jugement d'adoption. * Les conditions spécifiques aux enfants de moins de deux ans. En vertu de l'article 348-5 du code civil, l'adoption d'un enfant de moins de deux ans n'est possible que s'il a été remis aux services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou à un organisme autorisé pour l'adoption (OAA), excepté lorsqu'il existe un lien de parenté ou d'alliance jusqu'au sixième degré inclus entre l'adoptant et l'adopté. La remise de l'enfant à l'ASE entraîne son admission au statut de pupille de l'Etat et conduit à organiser une tutelle spécifique autour du préfet de département, qui exerce la fonction de tuteur, et du conseil de famille des pupilles de l'Etat, composé de personnes du champ de la protection de l'enfance et de la famille (CASF, art. L. 224-1). La remise de l'enfant à un OAA conduit ce dernier à solliciter du juge aux affaires familiales qu'il organise une tutelle de droit commun, le tuteur et les membres du conseil de famille étant choisis parmi les membres ou proches de L'OAA. Les parents peuvent consentir à l'adoption de leur enfant lors de sa remise à l'ASE ou à un OAA (C. civ., art. 348-3), mais le choix de l'adoptant appartient au tuteur avec l'accord du conseil de famille (C. civ., art. 348-4). L'article L. 225-1 du code de l'action sociale et des familles dispose en outre que, dans le cadre de la tutelle des pupilles de l'Etat, il revient au tuteur de définir le projet -15-

d'adoption du pupille, si tel est son projet de vie, et de choisir les adoptants. Ces choix sont réalisés avec l'accord du conseil de famille. Le rapporteur de la loi n° 66-500 du 11 juillet 1966, qui a introduit les articles 348-4 et 348-5 du code civil, justifiait l'interdiction des conventions isolées entre candidats à l'adoption et parents ou futurs parents, ainsi que la création d'organismes intermédiaires, à propos d'enfants nés ou à naître, par le souci «d'éviter tout marché noir d'enfants, toutes pression sur la mère en détresse»10. La pratique des juridictions du fond confirme que la remise de l'enfant à l'ASE par ses parents ne peut s'entendre d'un simple transit qui leur laisserait le choix de l'adoptant (TGI Montpellier, 10 mai 1990, RTD civ. 1990.249). 3.2. La Polynésie française, la conception de la famille et la coutume polynésienne du Fa'a'amu. 3.2.1. La Polynésie française et le cadre juridique. La Polynésie française est un territoire de 279.550 habitants 11, composé de cinq archipels regroupant 121 îles dont 75 sont habitées12, sur un ensemble maritime de 5 millions de km2. Les distances entre les îles sont grandes, parfois au sein du même archipel. Elle constitue une collectivité d'outre-mer dont l'autonomie est régie par l'article 74 de la Constitution. Son statut actuel est défini par la loi organique n° 2004192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, complété par la loi n° 2004-193 du 27 février 2004, ces deux textes ayant renforcé le statut d'autonomie. En l'état de ces dispositions, la répartition des compétences entre l'Etat et la collectivité territoriale est ainsi définie : – l'Etat exerce une compétence d'attribution, dans les domaines fixés par celles-ci ; – la collectivité territoriale exerce sa compétence sur toutes les matières qui ne sont pas expressément dévolues à la compétence de l'Etat. Ce sont alors les institutions locales qui définissent le droit applicable.

10 Rapport Zimmerman à l'Assemblée Nationale, J.O. débats Ass. Nat. 1965, p. 4690

; rapport de la commission des lois n° 1665, J.O. débats Ass. Nat. 1966, p. 769, Zimmerman ; rapport Jozeau-Marigné, Sénat, n° 134, p. 41 11 Au 31 décembre 2021, Institut de la statistique de Polynésie française (ISPF)

12 L'archipel de la Société qui regroupe 85% de la population, dont 75% sur la seule

île de Tahiti ; l'archipel des Tuamotu, ; l'archipel des Gambier ; l'archipel des Marquises et l'archipel des Australes 16

Les matières relevant de l'Etat sont notamment définies à l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004 qui dispose que sont applicables de plein droit, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives en particulier : « (...) 4° A la nationalité, à l'état et la capacité des personnes ; » De surcroît, il résulte de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004 que les autorités de l'Etat sont compétentes dans les seules matières suivantes : « 1° Nationalité ; droits civiques ; droit électoral ; droits civils, état et capacité des personnes, notamment actes de l'état civil, absence, mariage, divorce, filiation; autorité parentale ; régimes matrimoniaux, successions et libéralités ; » En revanche, en vertu des articles 13 et 14 de cette même loi organique, le code de procédure civile métropolitain ne s'applique pas en Polynésie française. Et on trouve les dispositions de la délégation d'autorité parentale dans le code de procédure civile de Polynésie française (art. 556 à 559 et 563 du code de procédure civile polynésien) qui reprend partiellement les articles 1205 et 1207 du code de procédure civile. Les textes applicables en Polynésie française opèrent donc la distinction entre l'état et la capacité des personnes, relevant de l'Etat et les règles de procédure civile relevant de la collectivité territoriale. Ainsi, l'adoption d'un enfant français né en Polynésie française et la délégation d'autorité parentale sont régies par les textes du code civil et par les dispositions à valeur réglementaire prises par les institutions territoriales. Toutefois, en vertu des articles 31 et suivants de la loi organique du 27 février 2004, les institutions de la Polynésie française peuvent également, dans certaines limites et sous certaines conditions, participer à l'exercice de compétences continuant à relever de l'Etat. Elles peuvent ainsi, en vertu de l'article 31, être habilitées à participer, sous le contrôle de l'Etat, à l'exercice des compétences que celui-ci conserve dans le domaine législatif et réglementaire dans les matières suivantes : « 1° Etat et capacité des personnes, autorité parentale, régimes matrimoniaux, successions et libéralités ; » En résumé, dans les domaines qui intéressent le pourvoi, les dispositions suivantes sont applicables en Polynésie française : > En matière de délégation d'autorité parentale : L'ensemble des dispositions du code civil sur l'autorité parentale figurant aux articles 377 et suivants du code civil est applicable en Polynésie française. En revanche, en vertu de la compétence de la collectivité territoriale en matière de procédure civile (art. 14 de la loi organique), un certain nombre de dispositions concernant la délégation de l'autorité parentale figurent au code de procédure civile polynésien -17-

(articles 555 à 559 et 563). Ainsi en est-il de l'article 555, alinéa 3, de ce dernier code qui prévoit que la requête aux fins de délégation d'autorité parentale «doit être accompagnée lorsque les délégataires ne résident pas en Polynésie française de l'enquête sociale et de l'avis motivé émanant de l'organisme habilité à le faire suivant la loi de leur domicile ou résidence habituelle». > En matière d'adoption : L'ensemble des dispositions du code civil concernant l'adoption est applicable en Polynésie française, dont l'article 348-5 aux termes duquel le consentement à l'adoption des enfants de moins de deux ans n'est valable que si l'enfant a été effectivement remis au service de l'aide sociale à l'enfance ou une oeuvre d'adoption autorisée. > En matière d'action sociale et d'aide sociale à l'enfance : – Le code de l'action sociale et des familles : Les dispositions du code de l'action sociale et des familles (CASF) ne sont applicables à la Polynésie française que pour certaines d'entre elles. Ainsi l'ordonnance n° 2000-1249 du 21 décembre 2000 relative à la partie Législative du CASF, texte ayant adopté l'actuel CASF, a rendu applicable en Polynésie française les dispositions relatives à la définition du statut des pupilles et à leur adoption. Le rapport fait au Président de la République dans le cadre de cette ordonnance du 21 décembre 2000 a précisé la répartition de compétence entre l'Etat et la Polynésie française : «Saisi par le gouvernement de la Polynésie française de la question de la répartition de compétence entre l'Etat et ce territoire en matière de définition du statut des pupilles de l'Etat, le Conseil d'Etat a été d'avis de considérer que ce statut ne relève pas de l'organisation administrative de la prise en charge de ces enfants, conduisant à désigner le territoire comme seul compétent, mais touche à l'état et à la capacité des personnes. La compétence de l'Etat ayant ainsi été précisée, les dispositions du projet de code de l'action sociale et des familles régissant cette matière trouvent à s'appliquer à la Polynésie française. » Le Conseil d'Etat a apporté des précisions sur cette répartition par plusieurs avis: * Avis du 4 février 1997, CE n° 359.500), affirmant d'une part que ni la loi relative à l'organisation de la Polynésie française, ni le statut d'autonomie n'ont réservé l'aide sociale à l'enfance à l'Etat et d'autre part que la section adoption du service des affaires sociales de Papeete a les mêmes compétences que le service de l'aide sociale à l'enfance en métropole, pour appliquer en Polynésie les lois relatives à l'adoption. * Avis du 24 novembre 2000 (CE, n°364.750) : « S'il revient à l'Etat, en vertu de sa compétence en matière de droit civil, d'édicter les dispositions relatives à l'état civil et à la capacité des personnes, il incombe en revanche à la Polynésie française 18

d'adopter les mesures nécessaires en matière d'aide sociale et, en particulier, de prendre les mesures relatives à la tutelle et à l'adoption des pupilles de l'Etat. ». Ainsi, le titre II du livre II du CASF relatif à l'Enfance dans les différentes formes et d'aides d'action sociale est applicable en Polynésie française en ses articles L. 225-1 à L. 225-7 (chapitre IV, pupilles de l'Etat) et L. 225-1 à L. 225-7 (chapitre V, section 1, adoption des pupilles) du titre II (Enfance) du livre II (différentes formes et d'aides d'action sociale) du CASF, adaptés à la Polynésie française selon les modalités prévus aux articles L. 562-1 à L. 562-5 du code de l'action sociale et des familles (dispositions particulières à la Polynésie française). L'article L. 225-2 du CASF dispose en particulier, s'agissant de la composition et du fonctionnement du conseil de famille, que « La composition et les règles de fonctionnement du ou des conseils de famille institués en Polynésie française sont fixées par voie réglementaire. ». Cependant, alors que des dispositions ont été prises pour la métropole (v. CASF, art. R. 224-1 à R.224-25), les mesures d'application nécessaires n'ont pas été prises en Polynésie française. Le Titre VI de la partie réglementaire du CASF consacré à la Polynésie française ne comprend ainsi aucune disposition sur le statut des pupilles de l'Etat. Précisons par ailleurs que l'article L. 227-1 du CASF, qui relève du chapitre II (mineurs accueillis hors du domicile parental), n'est pas applicable en Polynésie française. Cet article dispose : « Tout mineur accueilli hors du domicile de ses parents jusqu'au quatrième degré ou de son tuteur est placé sous la protection des autorités publiques. Sous réserve des dispositions des articles L. 227-2 à L. 227-4, cette protection est assurée par le président du conseil départemental du lieu où le mineur se trouve. Elle s'exerce sur les conditions morales et matérielles de leur accueil en vue de protéger leur sécurité, leur santé et leur moralité.» – La prise en charge des enfants en protection de l'enfance. En matière de protection de l'enfance, le dispositif de protection judiciaire entre dans les compétences de l'État tandis que le dispositif de protection administrative de l'enfance relève des compétences de l'Assemblée territoriale de Polynésie française. Cette dualité est un héritage des lois de décentralisation dont le principe est de transférer davantage de compétences aux collectivités locales. D'ailleurs, depuis l'adoption de la loi organique de février 2004, le statut d'autonomie interne de la Polynésie française est venu « confirmer la compétence du Pays en matière de protection de l'enfance dont la mission a été dévolue au service des affaires sociales»13.

13 Observatoire national de l'enfance en danger (ONED), 2005 : 28

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La compétence de l'aide sociale à l'enfance, et donc celle relative à l'organisation administrative de la prise en charge des enfants pupilles, revient à la Communauté territoriale de Polynésie française qui avait pris, le 27 janvier 1983, une décision donnant compétence au service territorial des affaires sociales pour appliquer la loi n°66-500 du 11 juillet 1966 relative à l'adoption 14 et avait notamment créé, au sein du service territorial des affaires sociales, une section chargée de l'adoption. L'Assemblée territoriale avait en outre voté plusieurs délibérations visant à organiser et contrôler les délégations d'autorité parentale en vue d'une adoption ordonnées par le tribunal. Ainsi, une délibération du 12 avril 1990 a notamment prévu l'obligation, pour toute association dont l'objet est d'apporter son concours aux personnes effectuant des démarches en vue d'une délégation d'autorité parentale, d'obtenir préalablement l'agrément délivré par arrêté du gouvernement territorial, après avis d'une commission. Cette délibération a par ailleurs décidé de l'interdiction et de la répression pénale d'annonce, par voie de presse ou tout autre moyen, des avis de recherches ou d 'offres d 'enfants aux fins de délégation d'autorité parentale. Plus récemment, la Communauté territoriale de Polynésie française a pris différentes mesures destinées à organiser la prise en charge des enfants pupilles : - la création d'une commission d'agrément à l'adoption en Polynésie française, au visa des articles L. 225-1 à L. 225-7 du code de l'action sociale et des familles. Cette commission est chargée d'émettre des avis sur les demandes d'agréments instruits par le service en charge des affaires sociales (arrêté n° 1382 CM du 7 septembre 2020 portant création et fonctionnement d'une commission d'agrément à l'adoption en Polynésie française). - la création et l'organisation de la direction des solidarités, de la famille et de l'égalité (arrêté n° 419 CM du 15 mars 2018 portant création et organisation de la direction des solidarités, de la famille et de l'égalité - DSFE). L'article 1er de cet arrêté confie à la DSFE les missions de l'aide sociale à l'enfance. L'article 6 prévoit par ailleurs que la cellule aide sociale à l'enfance a pour mission «d'informer les usagers sur les mesures d'adoption, de traiter, d'accompagner et de centraliser toutes les situations de délégation d'exercice de l'autorité parentale et d'adoption. » 3.2.2. La famille polynésienne et le fa'a'amu. Il existe de forts contrastes entre le modèle familial polynésien et les modèles occidentaux, dont le modèle nucléaire dans lequel l'enfant vit avec ses deux parents, mariés ou non. Ainsi que le souligne Pascal Gourdon 15, la composition même de la 14 Décision n° 82 CSG du 27 janvier 1983 relative à l'adoption en Polynésie française 15 P. Gourdon, Droit de la famille, n° 7-8, Juillet 2004, étude 18

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famille polynésienne est élargie, «élastique» et de nombreux enfants sont confiés, souvent dès la naissance, à des membres de la famille ou à des tiers. Une distinction existe entre les enfants « fanau » élevés par leurs père et mère et enfants « fa'a'amu» confiés à des parents nourriciers. a) Une organisation de la famille polynésienne, le ‘utuafare16, fondée principalement sur le rapport à la terre et à la famille élargie. La première dimension du ‘utuafare est l'attachement à la terre qui relève d'une conception économique de la vie en groupe, reposant essentiellement sur la notion de subsistance17. Il est généralement accepté que le ‘utuafare ou le ‘ati (clan) soit composé de cinq à vingt membres d'une même lignée familiale, liés soit par la consanguinité, le mariage ou encore par l'adoption à la polynésienne. Les membres du ‘utuafare habitent généralement sur une même terre familiale ancestrale. Dans cette organisation dynamique, chaque individu se situe par rapport au groupe selon sa fonction dans la satisfaction des besoins de subsistance 18 et les enfants jouissent traditionnellement d'une grande liberté, apprenant et intégrant leur rôle dans la société par mimétisme. Chacun des membres du ‘utuafare a sa place dans un système de règles et de tapu (tabou) qui régit leur organisation et leur vie sociale. Un auteur19 explique que, lors de la venue au monde d'un enfant, il est de tradition d'enterrer le placenta sur la terre à laquelle il est rattaché (maternelle ou paternelle puisque la terre fait fondamentalement partie de la parenté et que, selon lui : «Les terres sont comme la descendance l'un des éléments de la parenté. En fait la parenté, considérée en soi sans références à des terres et à des propriétés précises n'a guère de sens ». Selon plusieurs études20, l'importante mobilité géographique engendrée par l'implantation du centre d'essais nucléaires en Polynésie a contribué, de manière générale, à l'éclatement de la famille élargie. En effet, pour les Polynésiens, en particulier pour les hommes, aller travailler en ville répond à « un désir d'échapper à une société vécue comme trop traditionnelle avec ses limites et ses contraintes, 16 ‘Utuafare est le nom commun qui en français se traduit par « maison familiale ».

Ce mot est aussi utilisé pour désigner la famille - ceux qui habitent la même maison-. Il est aussi possible d'utiliser le nom commun fēti'i qui désigne la famille ou un parent qui est uni par la parenté. En verbe, fēti'i peut être traduit par attacher ou lier en français - Académie Tahitienne 2017 17 v. travaux de l'Association polynésienne de recherche, intervention et formation

(A.P.R.I.F., 1993.67)

18 A.P.R.I.F., 1993.47 19 B. Saura, «Entre nature et culture. La mise en terre du placenta en Polynésie

française», 2005

20 v. notamment A.P.R.I.F., 1993.67 ; A.J. Asselin, «Te fa'a'amu :défis et enjeux

aujourd'hui pour les familles et les professionnels des services sociaux de Polynésie française», Mémoire, Université de Laval, Québec, 2020, p. 36 et s. -21-

particulièrement dans les îles et les atolls », au souhait d'un avenir meilleur ou à la volonté d'aider financièrement les siens restés sur les îles ou les atolls. La deuxième dimension du ‘utuafare renvoie quant à elle à la composition même de la famille, divisée en trois pôles21 : - Le premier est constitué des parents, le père et la mère ; - Le deuxième pôle est celui des oncles et des tantes qui participent de façon importante à l'éducation des enfants. En effet, dans le modèle de parenté malayopolynésien, l'accent est mis sur la séparation entre générations (système générationnel), dans lequel, comme mentionné plus haut, la filiation est indifférenciée et les familles sont organisées de façon élargie ; - Le troisième pôle est celui des frères, sœurs, cousins et cousines, qui ont un rôle de socialisation et d'initiation. Dans la même logique d'indifférenciation, il n'existe pas de distinction entre les termes d'adresse pour désigner les « cousins » et les « frères » ainsi que les « cousines » et les « sœurs ». Le choix des prénoms (i'oa22) est aussi un élément constitutif et de continuité de la famille pour la plupart des Polynésiens. Nommer un enfant n'est pas seulement l'affaire du père et de la mère et, dans les faits, les grands-parents et parfois la famille élargie interviennent dans le choix qui intervient en relation étroite avec les tupuna (ancêtres). En attribuant le nom d'un ancêtre de la lignée à un enfant, il s'agit de les faire revenir à la vie, d'attacher l'enfant à une terre appartenant à la lignée de l'ancêtre et de souligner (sinon, réitérer) la généalogie. b) Le Fa'a'amu, Le fa'a'amu, qui signifie nourrir/adopter/élever, est une forme de prise en charge coutumière chez les Ma'ohi, peuple autochtone de Polynésie française. Ainsi que le souligne une étude québecoise récente23, « cette coutume ancestrale de circulation d'enfants, qui se retrouve dans toute l'Océanie 24, relève d'un mode de régulation sociale qui consiste à confier son enfant à des parents proches. Elle repose sur une entente entre les parents adoptifs et les parents biologiques, lesquels gardent en général des liens avec l'enfant. Si cette pratique a changé avec la colonisation - les archipels composant la Polynésie française ont été colonisés par la France à partir de 1842 - et les bouleversements entraînés par l'implantation du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP), un centre d'expérimentation nucléaire, 21 A.J. Asselin, “Te fa'a'amu : défis et enjeux aujourd'hui pour les familles et les

professionnels des services sociaux de Polynésie française”, p. 38 et s.

22 I'oa est le nom commun tahitien pour désigner le prénom, le nom, l'appellation, la

désignation ou la dénomination 23 A.J. Asselin, précitée

24 Firth 1936; Beaglehole 1940; Carroll 1970; Levy 1973; Brady 1976; Charles

1995; Saura 1998; Leblic 2004; Bowie 2004; Demian 2004; Marshall 2008; Schachter 2008; Howell 2009; Collard et Zonabend 2015, cités par A.J. Asselin 22

en 1962, elle est toujours répandue, bien qu'elle demeure officieuse. Alors que la population aux origines ma'ohi représente plus de 80% de la population de ce territoire situé à 18.000 km de la France métropolitaine, le code civil, introduit dès les années 1860, ne prend pas en considération ce type d'adoption (Peres, 2007) ». Traditionnellement, ce don entrait dans la solidarité due aux personnes âgées et sans enfant, les anciennes générations dépendant des plus jeunes, dans une économie vivrière, ou encore à des couples stériles. Les échanges d'enfants, parfois entre familles de chefs, permettaient aussi de consolider les alliances (au même titre que les mariages unissent ensemble deux familles qui n'ont en principe aucun lien entre elles) entre groupes, prévenir les guerres et ainsi maintenir la paix. Des règles s'étaient construites pour consolider ces pratiques par référence à la transmission et à l'obligation de la continuité de la généalogie. Il s'agissait par exemple d'éviter des ruptures dans la filiation et, en l'absence de descendants, de maintenir une transmission des terres et des noms des ancêtres et de maintenir les devoirs familiaux. Le fa'a'amu permettait de combler cette rupture dans la généalogie et ainsi, de poursuivre la transmission du patrimoine foncier et des noms. Dans un certain nombre de cas, il s'agissait de faciliter certaines démarches administratives comme l'inscription à l'école ou les rendez-vous médicaux. Ceci était particulièrement important dans les situations où les parents biologiques et les parents d'accueil n'habitaient pas dans la même île, étant donné l'immensité du territoire et les difficultés associées au transport inter-îles et aux communications. Encore aujourd'hui, les chercheurs sont d'accord pour affirmer que le principe général de cette pratique relève toujours d'un don d'enfant comme contrat de fait entre deux parties qui se connaissent préalablement25.Toutefois, le fa'a'amu, qui relevait traditionnellement d'un principe organisateur de la vie sociale, est maintenant réalisé dans des visées toujours de plus en plus privées. C'est une pratique qui est, selon un auteur26, passée de la sphère publique à la sphère privée. La dimension sociale d'alliance qui plaçait les adultes au cœur du fa' a' amu, et qui gouvernait autrefois cette pratique, est donc de plus en plus remplacée au profit d'une dimension individuelle qui amène les parents polynésiens à confier leurs enfants pour des raisons de contraintes économiques, notamment à des métropolitains (Popa'ā). Un des éléments récents caractérisant ce qui a été appelé «l'adoption à la polynésienne» est en effet son ouverture à des métropolitains. Depuis les années 1970-1980, des couples de France métropolitaine sont ainsi venus en Polynésie française dans le but de repartir avec un enfant polynésien 27. Dans la 25 Charles 1995 : 446 ; Saura 1998 : 28 ; de Monléon 2002 : 2 ; de Monléon 2004 :

75 ; Brillaux 2007 : 77 ; Leblic 2014: 449, mentionnés dans l'étude d'A.J. Asselin précitée 26 Saura 1998, 27, cité par l'étude québecoise

27 de Monléon 2002 : 2 ; de Monléon 2004 : 49 ; Leblic 2014: 449, mentionnés par

l'étude québecoise précitée

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plupart des cas, c'est parce que les parents biologiques ne peuvent pas subvenir aux besoins de l'enfant à naître qu'ils le confieront en adoption à des Popa'ā, en soulignant l'argument selon lequel l'enfant aura la «chance» d'être éduqué en métropole. Les motifs qui poussent des parents à confier leur enfant en «adoption à la polynésienne» sont multiples et souvent complexes. Lorsqu'il s'agit de la famille (proche et élargie), l'entraide familiale permet à des mères ou à des couples - trop jeunes, en situation de vulnérabilité ou encore simplement en impossibilité de subvenir aux besoins de l'enfant- de pouvoir s'appuyer sur leur réseau de soutien élargi. Les conditions parfois difficiles de la naissance d'un enfant qui n'était pas désiré, par exemple, dans les cas de viols ou d'incestes, peuvent aussi être la cause du recours au fa'a'amu. Dans ces cas, le groupe familial veut à la fois protéger l'enfant en le déplaçant dans une autre famille, et même dans une autre île où il n'aura pas à être confronté de façon quotidienne à cette histoire et protéger ses membres et la bonne réputation. Le rapport d'étude sur les violences familiales en Polynésie française28, réalisé par Loïs Bastide, maître de conférence à l'Université de la Polynésie Française, dresse un état des lieux de la pratique fa'a'amu en Polynésie française. Il y présente notamment les différents motifs actuels parentaux du don d'enfants soulignant qu'au sein de la cellule familiale, cette pratique peut être source d'obligations fortes : « Jean Vital de Monleon (2002) propose à ce titre une typologie des motifs parentaux pouvant conduire à confier un enfant, dans la société polynésienne actuelle ; selon lui, le fa'fa'famura'fa peut manifester : 1. Une forme de coopération familiale, lorsque le couple accède à la demande d'enfant d'un membre de la famille (sans doute la modalité la plus proche des motifs traditionnels). 2. Il sert éventuellement d'alternative à la planification familiale, en permettant de réguler le nombre d'enfants à charge. 3. Il peut répondre à des raisons conjugales, lorsqu'un enfant d'un premier lit devient indésirable au moment de la remise en couple. 4. L'enfant peut être placé temporairement dans le cadre de mobilités liées à la vie professionnelle des parents, dans une configuration qui s'apparente alors au « confiage » (Isiugo-Abanihe, 1985), meme si l'intégration de cette modalité dans le cadre du fa'a'amura'a fait débat. (...) En tant que transaction sociale, le fa'fa'famura'fa est donc porteur d'obligations fortes. Par exemple, lorsqu'un grand-parent réclame un enfant, il peut être difficile pour son ou ses parents biologiques d'esquiver la demande, dans la mesure ou ce refus peut

28 L. Bastide, «Les violences familiales en Polynésie française. Entrer, vivre et sortir

de la violence», INJEP Notes & rapports/Rapport d'étude, 2020 24

faire l'objet d'un jugement social dépréciatif, au sein du opu feti'i et au-dela. Ainsi, plusieurs interviewées ont exprimé la crainte, voire la peur, vécue au moment de leur grossesse, de se voir réclamer l'enfant. Une jeune femme SDF dit ainsi avoir fui à la rue, lorsqu'elle était enceinte, pour éviter que ses parents ne revendiquent le nourrisson, révélant en creux la force de la contrainte associée à cette norme sociale. Il est attendu par ailleurs, on l'a dit, que le ou les parents adoptants permettent le maintien du lien aux parents biologiques. Enfin, soulignons qu'il peut être difficile aussi de refuser l'offre d'un enfant. La mère de […], on l'a vu, l'a ainsi confiée à une cousine qu'elle connaissait à peine, qui l'a prise de mauvaise grâce. » Cet auteur souligne par ailleurs que ce don d'enfant ne signifie pas pour autant la rupture avec la famille biologique : « 4.1. Une institution sociale : Nous avons vu que la pratique de l'adoption est courante en Polynésie française. Elle correspond a une institution ancienne, le fa'fa'famurafa, qui désigne un système de transactions sociales, spécifiquement polynésien, organisé autour du don d'enfant. (...)Dans la société polynésienne, les enfants sont ainsi susceptibles d'être donnés en adoption, le plus souvent à l'intérieur du opu - grands-parents au premier chef (traditionnellement, il semble s'agir de la modalité dominante), oncles ou tantes, parfois à des parents plus éloignés, voire à des personnes extérieures à la famille(...). Le fa'fa'amura'fa consiste donc en un don d'enfant par ses parents biologiques à un tiers nourricier (fa'fa'famu signifie « nourrir » en tahitien), qui le fait entrer ainsi dans sa filiation au même titre que ses enfants biologiques, le cas échéant. Dans cette configuration sociale et culturelle, ce transfert de responsabilité ne signifie pas pour autant la rupture du lien aux parents biologiques qui, souvent, maintiennent une relation plus ou moins continue avec l'enfant ainsi confié. Cette pratique s'articule d'ailleurs aujourd'hui au système d'adoption français, auquel certains adoptants ont recours pour sécuriser, sur le plan juridique, le transfert des droits parentaux. C'est surtout le cas des enfants polynésiens confiés à des non-Polynésiens, ce type d'adoption donnant lieu, le plus souvent, réciproquement, à la reconnaissance morale par l'adoptant du droit des parents biologiques à maintenir le lien avec l'enfant en adoption même si cet engagement n'est pas toujours réalisé (Leblic, 2014 ;Charles, 1995 ; Monleon, 2002 ; 2004). Par ailleurs, faisant le lien avec le sujet d'étude du rapport sur les violences intrafamiliales en Polynésie française, l'auteur du rapport souligne que le fa'a'amu peut être un facteur de vulnérabilité de l'enfant ainsi confié, dans le contexte actuel de transformations sociales, avec une diffusion plus large du modèle de la famille occidentale : « Si le fa'a'amura'a se passe sans doute, très majoritairement, dans de bonnes conditions et est probablement bien vécu par la majorité des enfants confiés, comme l'illustrent au demeurant de nombreux témoignages, il s'avère aussi être un facteur de fragilité potentielle. Dans le cadre de la population d'enquête, il constitue clairement un facteur de risque au regard des violences familiales. On observe par exemple un schéma récurrent, dans lequel l'enfant adoptif est assigné aux tâches domestiques, parfois déscolarisé, marginalisé par rapport aux enfants biologiques et -25-

se voit ainsi privé de « reconnaissance affective » (Honneth, 2000) au sein de sa famille fa'a'amu. Il faut garder à l'esprit, cependant, le biais de sélection propre à la population d'enquête, uniquement composée, du fait de la problématique, de personnes directement touchées par les violences familiales. Reste que dans ce cadre strict, le fa'a'amura'a joue bien un rôle prépondérant dans l'organisation des violences, au sein des familles. Cela est sans doute lié, au moins en partie, au fait que l'institution du fa'a'amura'a est aujourd'hui bousculée par les transformations sociales à l'oeuvre sur le territoire. La monétarisation des rapports sociaux, notamment, a conduit à de nouveaux motifs d'adoption, liés à de nouvelles formes de prolétarisation et aux pressions induites dans les familles. Par ailleurs, la diffusion du modèle de la famille conjugale a sans doute partie liée au fait que le fa'a'amura'a soit souvent vécu sur le mode de l'abandon, tant de la part des parents biologiques que des enfants. Cette plainte est omniprésente dans la population d'enquête et ressort des discussions avec les travailleurs sociaux. Elle témoigne d'un fort attachement à la dimension biologique de la parenté, sans doute récent. Dans ces conditions, on peut se demander si cette transformation n'est pas de nature à éroder la stabilité avérée de la pratique, dans les générations à venir. » Enfin, relevons que le recours à la pratique du fa'a'amu en Polynésie française au sein de familles polynésiennes ne donne pas lieu nécessairement à une concrétisation juridique des liens créés. La pratique du fa'a'amu est maintenant bien connue dans les réseaux et associations de parents métropolitains29 désirant adopter. Les métropolitains, qui sont parfois passés par des démarches longues et coûteuses d'adoption internationale sans succès, se tournent vers l'adoption en Polynésie française, notamment parce qu'il s'agit d'une adoption nationale et donc moins complexe et pouvant être vue comme moins coûteuse malgré le prix élevé du séjour sur place et du billet d'avion pour aller en Polynésie. La Polynésie française est également attrayante parce qu'elle permet aux parents adoptifs de se voir confier un enfant dès sa naissance, l'entente avec les parents biologiques étant établie, dans la plupart des cas, pendant la grossesse, ce qui est rare pour ce qui est des pupilles de l'État en métropole et impossible dans le cadre d'une adoption internationale. Alors que, traditionnellement, le maintien des liens entre les familles biologiques et fa'a'amu est un principe fort, certains contextes l'empêchent. L'étude québécoise précitée souligne ainsi le constat fait par des professionnels de la cellule d'adoption de la DSFE de métropolitains repartis en France avec un enfant polynésien et coupant le lien alors que les parents biologiques avaient demandé à la famille adoptive des nouvelles de leur enfant. Elle mentionne d'ailleurs le découragement du personnel des services sociaux face à la conduite de 29 v. l'association Maeva Polynésie : créée en 1995 par des familles appartenant à

l'association Enfance et Familles d'Adoption (EFA) qui regroupe 10.000 adhérents. Elle compte environ 200 familles adoptives d'enfants polynésiens. Elle se décrit comme «un interlocuteur privilégié pour les candidats à l'adoption, les professionnels de l'enfance, les pouvoirs publics et les médias». 26

certains Popa'ā en recherche d'enfant, qui recourent à des démarches douteuses, telle la distribution de cartes de présentation dédiées aux potentielles « confieuses » d'enfants. L'inclusion des Popa'ā dans la pratique du fa'a'amu a conduit à ce que l'étude québécoise appelle une « procédure judiciaire bricolée » pour permettre aux métropolitains candidats à l'adoption de rentrer en métropole avec l'enfant, dans les jours suivant sa naissance. Ayant préalablement, pour la plupart, obtenu un agrément auprès de l'Aide sociale à l'enfance de leur lieu de résidence, ils font une requête au juge aux affaires familiales du tribunal de première instance de Papeete en délégation d'autorité parentale « aux fins d'adoption ». Cette étude ajoute que, « pour pallier l'absence de dispositions légales concernant en propre l'adoption à la polynésienne dans une société en profonde mutation, les parents (biologiques et adoptifs) ainsi que leurs avocats se tournent parfois vers les dispositions du Code civil relatives à la délégation de l'exercice de l'autorité parentale et à l'adoption de façon à bricoler des dispositions pour protéger l'enfant, même si celles-ci ne recouvrent qu'imparfaitement les réalités culturelles des Polynésiens ». La pratique coutumière qu'est le fa'a'amu n'est en effet pas reconnue légalement en Polynésie française contrairement à d'autres pays que la France. Ainsi en NouvelleZélande par exemple, l'adoption wangai entraîne des conséquences légales en matière d'héritage foncier depuis 1993. Au Canada, l'adoption coutumière en milieu autochtone est également reconnue, notamment dans les territoires du Nord-Ouest, la Colombie britannique et le Québec. L'absence de statut civil coutumier du fa' a' amu tend d'ailleurs, de manière générale et y compris pour les Polynésiens qui y ont recours, à compliquer les questions de succession (notamment dans le domaine foncier), et peut placer les enfants fa' a' amu dans des situations d'instabilité juridique, administrative et sociale, alors que ce type d'adoption touche un nombre important d'enfants. 3.2.3. Les éléments statistiques sur le fa'a'amu. Selon une étude de l'institut de la statistique de la Polynésie française diffusée en mars 2018, 11% des femmes de plus de 35 ans auraient donné un enfant à fa'a'mu. Cette étude fait ressortir un certain nombre de caractéristiques sur les personnes concernées par le fa'a'amu : – Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les femmes adolescentes, lycéennes ou étudiantes qui confient leurs enfants en fa'a'amu, mais plutôt les femmes âgées de 35 ans et plus : « Sachant que l'âge moyen à la maternité en Polynésie française est de plus de 27 ans depuis 1996 (27,7 ans en 2012), la question d'avoir donné des enfants à fa'a'amu prend véritablement son sens auprès des femmes de plus de 35 ans. Bien que relativement marginale (89 % d'entre elles n'y ont pas eu recours), cette pratique apparaît tout d'abord d'une remarquable -27-

stabilité au fil des générations. On constate en effet que la proportion de celles qui ont un jour donné un enfant à fa'a'amu se maintient à un niveau qui oscille autour de 11 % pour les femmes interrogées à partir de 35 ans et ce, quel que soit leur âge. Il faut de plus noter que cette stabilité subsiste malgré l'exceptionnelle baisse de la fécondité qui est passée de 7 enfants par femme (au sens de l'indicateur conjoncturel de fécondité) dans les années 1950 à 2 enfants par femmes en 2012. Ainsi, le maintien de cette pratique compte tenu de la diminution du nombre d'enfants au sein de chaque famille révèle une véritable persistance du fa'a'amura'a dans la société polynésienne. » – La pratique concerne plus fréquemment des femmes moins diplômées : deux tiers des femmes ayant donné un ou plusieurs enfants à fa'a'amu n'ont aucun diplôme. Ces femmes sont le plus souvent originaires des îles les plus éloignées de Tahiti, en particulier celles où la situation économique s'est le plus dégradée ces dernières années mais aussi dans les lieux les moins affectés par la diffusion des normes de parenté occidentale ; – Les femmes qui ont le plus d'enfants sont celles qui ont plus propension à les confier en fa'a'mu : 30 % des femmes ayant eu 6 enfants ont au moins donné un enfant à fa'a'amu contre seulement 2 % des femmes ayant eu 1 enfant et 4 % des femmes ayant eu 2 enfants. – La proportion des femmes qui reçoivent des enfants fa'a'amu croît régulièrement avec leur âge et atteint 20 % à partir de 55 ans avec un maximum de 24% pour les femmes de 70 à 74 ans. Ainsi que relevé par l'étude : «Cela est cohérent avec les travaux anthropologiques qui décrivent une pratique qui favorise notamment le confiage des petits-enfants aux grands-parents. » Les femmes déclarant recevoir des enfants à fa'a'amu sont elles aussi plus souvent sans diplômes (64 %) que l'ensemble des femmes du même âge (47 %).

3.3. Les regards portés sur la pratique de la délégation de l'autorité parentale aux fins d'adoption. 3.3.1. Le Rapport de la commission des lois déposé lors des travaux parlementaires de la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption30. Ce rapport souligne en particulier que : « Les missions successives effectuées en Polynésie française par plusieurs de ses membres l'ont en effet amenée à prendre connaissance des difficultés particulières rencontrées pour l'adoption de ces enfants qui se heurte à des obstacles de nature culturelle, au sein d'une société traditionnelle habituée à pratiquer le don et le partage de l'enfant sans admettre pour autant la rupture du lien de filiation par le sang dans la mesure où ce lien est associé à la terre et donc à l'âme. 30 Rapport n° 295 (1995-1996), déposé le 27 mars 1996 , L. Dejoie

28

La méconnaissance de ces spécificités conduit trop souvent des familles métropolitaines à accueillir des enfants polynésiens sous le régime de la délégation d'autorité parentale dans le cadre de l'article 377 du code civil et à se heurter ensuite à un refus de la famille d'origine lorsqu'elles demandent la conversion de la délégation en adoption plénière. La situation démographique du territoire et ses traditions culturelles encouragent pourtant les familles polynésiennes à multiplier le placement de leurs enfants, c'est pourquoi il est indispensable que les familles métropolitaines qui accueillent ces enfants aient pleinement conscience de la précarité de leur situation, le juge n'acceptant bien entendu de prononcer l'adoption que si les parents par le sang y consentent effectivement, dans le cadre de la loi française, ou si l'abandon a été judiciairement prononcé. Votre commission des Lois estime qu'il n'est pas possible de modifier le droit applicable mais tient à attirer tout particulièrement l'attention des autorités territoriales et des familles adoptantes sur cette situation dont elle souhaite l'évolution rapide dans l'intérêt des enfants concernés qui se trouvent actuellement trop souvent déchirés entre deux familles et deux univers culturels très éloignés l'un de l'autre. Il lui semble notamment que l'accouchement secret devrait pouvoir être mis en oeuvre en Polynésie française ainsi que la remise d'enfant aux fins d'adoption alors que, faute de services et d'associations compétentes pour accueillir l'enfant, cette faculté n'est actuellement pas applicable. » 3.3.2. Le Rapport sur l'adoption « Enfants d'ici, enfants d'ailleurs : l'adoption sans frontières» de J. F. Mattéi, M. C. Le Boursicot31 : Ce rapport se montre plutôt favorable à la pratique aux motifs suivants : « Néanmoins, en remettant l'enfant à des familles de métropole, les familles polynésiennes n'ignorent pas les conséquences de leur décision. Elles n 'attendent pas le retour de l'enfant dans la communauté. Il arrive même qu'elles confient plusieurs de leurs enfants, successivement, tout en conservant les autres. Elles bénéficient d'un délai de plus de deux ans pour revenir sur leur décision. Lorsque, passé ce délai, elles consentent à l'adoption plénière, dont les conséquences leur sont expliquées par un magistrat, il est raisonnable de penser que leur consentement est réfléchi et définitif.» 3.3.3. Les Rapports successifs des Défenseures des enfants, Claire Brisset (2003) et Dominique Versini (2008), et du Défenseur des droits au Comité des droits de l'enfants des Nations Unies (2015) :

31 Rapport fait au 1er ministre, «Enfants d'ici, enfants d'ailleurs : l'adoption sans

frontières», J. F. Mattéi, M. C. Le Boursicot, 1er janvier 1995, p. 96 -29-

– Dans son rapport annuel de 2003, fait au Président de la République et au Parlement, la Défenseure des enfants a ainsi exposé la question de l'adoption en Polynésie française32 : «De plus en plus d'enfants ont été adoptés ces dernières décennies par des métropolitains, par une adaptation «de fait» de (la) procédure traditionnelle (du fa'a'amu). Des abus ont été constatés dans certains cas, des pressions économiques notamment. Dans d'autres cas, la tradition du maintien des liens entre l'enfant et sa famille d'origine a été respectée par les parents adoptants, malgré la distance. (...) En moyenne, et jusqu'en 2000, ce sont approximativement 2% des enfants polynésiens qui, chaque année, se sont trouvés confiés en adoption, taux fort élevé au regard de la population du Territoire. Depuis 1999, l'adoption via la délégation d'autorité parentale ne cesse de décroître (89 en 2001, 71 en 2002) car les services sociaux de Territoire souhaitent voir l'adoption passer par leur canal, ce qui suppose que les enfants fassent l'objet d'une tutelle de droit commun, tutelle exercée localement par un conseil de famille. Cette nouvelle procédure prend une importance croissante : 11 en 2000, 21 en 2001. Mais qui doit présider le conseil de famille ? (...) La situation est aujourd'hui bloquée et demande, à l'évidence, une solution urgente.» – Dans son rapport au Comité des droits de l'enfant de l'ONU de 2008 33, la Défenseure des enfants s'est montrée «préoccupée par les discriminations envers les enfants qui résident dans les départements et les collectivités d'outre-mer», en particulier concernant l'état civil, la justice des mineurs et la protection de l'enfance. Elle a relevé l'insuffisance de prise en compte des spécificités des collectivités ultramarines et le manque de moyens affectés. S'agissant spécifiquement de l'adoption en Polynésie française, elle a indiqué : «101. La préoccupation évoquée par le Comité en 2004 reste d'actualité. La Polynésie française connaît depuis mai 2004 une situation politique instable, qui s'est traduite par une quasi paralysie des initiatives dans le domaine de la protection de l'enfance. 102. Il semble néanmoins que les dérives qui ont pu avoir lieu, avec la pratique du «don d'enfant» (prospection intensive en Polynésie française par des métropolitains pour obtenir des enfants à adopter, accompagnée de pressions sur la famille polynésienne, surtout la mère, pour qu'elle consente à l'adoption, rupture du lien avec la famille biologique après le départ de l'enfant) se tarissent, du fait de la vigilance et d'une meilleure coordination des services sociaux, des juges et des associations. 103. L'adoption de dispositions plus protectrices concernant spécifiquement l'adoption en Polynésie française reste néanmoins nécessaire. Une modernisation du processus par un meilleur encadrement des conditions d'adoption est souhaitable, afin que soient mieux respectés les principes du droit international de l'adoption. Le dispositif légal devrait ainsi exclure l'adoption si des solutions locales 32 Rapport annuel 2003, p. 204 et s. 33 Rapport au Comité des droits de l'enfant, 2008, spéc. p. 46 à 48

30

peuvent être trouvées ; si l'adoption représente la plus conforme à l'intérêt de l'enfant, le consentement des parents devrait être davantage protégé. Une grande avancée serait que l'Assemblée de la Polynésie française, dans le cadre de ses compétences et dans le respect de celles de l'Etat, adopte dans le futur «code de l'action sociale et de la famille» des principes inscrits dans la tradition polynésienne, tels que la mise en oeuvre en priorité de l'adoption simple, reposant sur des liens de respect, de confiance et d'estime réciproques entre la famille adoptante et la famille biologique, en favorisant l'envoi régulier d'informations sur l'enfant. 104. De plus, la pratique de la délégation d'autorité parentale en vue de l'adoption devrait être rendue caduque. Pour cela, il conviendrait notamment de permettre la mise en oeuvre du régime des pupilles de l'Etat pour les enfants dont la filiation n'est pas établie, ce qui aurait pour conséquence de rendre inutile la délégation d'autorité parentale. Dans cette optique, l'institution du conseil de famille, par décret d'application, reste nécessaire.» – Dans son rapport de 201534, le Défenseur des droits souligne : « 72. La situation en Polynésie Française et Nouvelle-Calédonie n'a guère évolué. Les délégués du Défenseur des droits rapportent que les adoptions traditionnelles, appelées « circulation d'enfants », ont toujours lieu, sans intermédiaire agréé et sans réelle garantie pour les familles et les enfants concernés. » Il recommande en particulier d'encadrer «l'adoption coutumière en Polynésie française» et, de manière générale sur l'adoption, d'engager une révision d'ensemble de la législation sur l'adoption, s'assurant de la prise en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant à toutes les étapes de la procédure, de recentrer l'agrément des candidats à l'adoption sur sa finalité qui est de répondre aux besoins des enfants effectivement adoptables, de développer des programmes de préparation à la parentalité adoptive et de renforcer le suivi des familles après adoption. 3.3.4. Le Rapport alternatif au Comité des Droits de l'Enfant des Nations unies de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, 2004 : « VII. Il existe deux procédures en la matière : l'adoption via délégation de l'autorité parentale et l'adoption via les services sociaux. La procédure d'adoption via délégation de l'autorité parentale s'inspire d'une institution traditionnelle selon laquelle les familles polynésiennes qui ne peuvent assurer à leur enfant un avenir serein le confient en adoption FA'A'AMU (faire manger), sorte de parenté adoptive qui ne rompt pas les liens avec la famille d'origine. (...) Il a souvent été reproché à cette procédure d'avoir servi de support juridique officiel à de nombreuses transactions d'enfants d'origine polynésienne conclues à l'insu des autorités judiciaires. A titre d'exemple, certains nouveaux-nés étaient confiés dès la sortie de la maternité ou dans les semaines qui suivaient à des parents d'origine 34 Rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l'enfant de l'ONU, p. 30

et 31

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métropolitaine, voire européenne, dans l'attente d'une régularisation judiciaire et ce, moyennant contrepartie financière fixée d'accord par les parties. L'objet des présentes n'étant pas de porter un jugement de valeur à l'encontre de l'une ou l'autre des parties, ni sur les raisons qui les poussent à contracter, mais d'évoquer un dysfonctionnement dans le cadre de la procédure d'adoption via délégation de l'autorité parentale ; elle repose sur un consentement des deux parties qui n'est pas toujours « éclairé » en rapport avec l'intérêt supérieur de l'enfant et qui peut violer l'article 21 paragraphe de la Convention qui interdit un profit matériel indu dans le cadre des adoptions. Selon la seconde procédure, qui a tendance à se développer justement pour répondre aux risques ci-dessus évoqués, les Services Sociaux du Territoire polynésien sont habilités à recueillir des enfants et à les proposer à l'adoption. Un conseil de famille a été mis en place , qui est chargé de sélectionner les candidats à l'adoption. La famille d'accueil s'occupera alors deux mois du bébé sur place et pourra rentrer en métropole avec le statut de famille d'accueil. Pendant les 6 mois qui suivront, c'est le directeur des services sociaux de Polynésie qui sera le tuteur de l'enfant. Au terme de ces 8 mois (2 mois + 6 mois) la famille d'accueil pourra entreprendre les démarches d'adoption plénière. La Défenseure des Enfants précise toutefois que les textes ne déterminant pas qui doit présider le Conseil de famille (le représentant de l'Etat ou les représentants du Territoire), les adoptions selon cette procédure sont actuellement bloquées. La LPDH et la FIDH appellent les autorités françaises et polynésiennes à prendre les mesures nécessaires pour que l'adoption via délégation parentale ne donne pas lieu à des abus et pour que les adoptions via les services sociaux soient débloquées. » 3.3.5. La doctrine : Selon certains auteurs35 c'est l'absence pendant très longtemps de service départemental de l'aide sociale à l'enfance en Polynésie ou d'association agréée sur ce territoire mais aussi la tradition des tahitiens, réticents à confier leur enfant à l'administration, qui ont rendu délicate l'application de l'article 348-5 du code civil sur le territoire polynésien. Pascal Gourdon36 écrit ainsi : «(...) Pour comprendre la procédure d'adoption d'enfants polynésiens par des couples métropolitains, il faut savoir que le Code de l'action sociale et des familles n'est pas applicable de plein droit en Polynésie française. Cela a pour conséquence de faire obstacle à l'existence, dans ce pays, d'une structure analogue à l'Aide sociale à 35 M.N. Charles, S.F. Ribot-Astier, « Le placement en vue de l'adoption des enfants

de Polynésie française est-il conforme au droit français ? », Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 20, 15 Mai 1998, p. 773

36 P. Gourdon, «Quelques réflexions sur l'amélioration du processus d'adoption des

enfants polynésiens», Droit de la famille, n°7-8, juillet 2004, Etude 18 32

l'enfance. L'article 348-5 du Code civil se trouve donc privé d'effet, qui prescrit la nullité du consentement donné directement - de famille à famille - lorsqu'il porte sur l'adoption d'un enfant de moins de deux ans.(...) 16. - À cause de cette carence, les avocats polynésiens ont recouru, à partir de 1973, à la délégation d'autorité parentale prévue aux articles 377 et suivants du Code civil. Ils ont pris l'habitude de présenter une requête sollicitant cette délégation « en vue de l'adoption », au nom des parents d'origine et des futurs adoptants.(...)Cette pratique a touché 199 enfants en 1993, dont 168 dans le contexte d'un arrangement direct entre les parents d'origine ou les gardiens de l'enfant et les candidats adoptants. 17. - Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que des pressions aient été exercées sur des parents biologiques pour les décider à donner leur enfant. Cette adoption facile a été très tôt dénoncée. Elle est à rapprocher de la situation récemment observée par le rapporteur spécial des Nations unies, le 6 janvier 2003. Devant la Commission des droits de l'homme des Nations unies, ce dernier a souligné que, désormais, « on ne cherche plus tant à offrir un foyer à un enfant qui en est dépourvu qu'à offrir un enfant à des parents qui en sont privés ». Il a ajouté que : « Du coup, il s'est développé une véritable industrie comportant le recours à des manoeuvres frauduleuses ou à la contrainte pour persuader les mères célibataires de donner leurs enfants à l'adoption» La Polynésie française n'échappe pas à ce triste constat. Ainsi, le service des affaires sociales a effectué vingt signalements au procureur de la République, au cours de ces trois dernières années. On en dénombre pour des motifs tels que l'usurpation d'identité d'un agent de la cellule d'adoption, le rôle d'un intermédiaire faisant connaître des enfants à naître ou de fortes pressions exercées sur les parents biologiques... Il faut se souvenir que la délégation est une exception au principe de l'indisponibilité de l'autorité parentale . C'est précisément pour cette raison que le droit positif affirme son caractère révocable et temporaire. Il est donc regrettable qu'elle puisse servir de prélude systématique à l'adoption, même si le consentement des parents biologiques ne les engage pas définitivement s'agissant d'enfants n'ayant pas atteint l'âge de deux ans » Ce même auteur ajoute : (...) Au début des années 1990, les autorités judiciaires et les services sociaux ont convergé pour dénoncer les inconvénients de la délégation d'autorité parentale « en vue de l'adoption ». Au mois de juillet 1993, un accord passé entre le Tribunal de première instance de Papeete et le service des affaires sociales a permis d'instituer la participation des travailleurs sociaux à cette procédure de délégation. Cette mesure a permis de mieux s'assurer de la réalité du consentement éclairé des parents, sans pouvoir entraîner une baisse considérable des délégations d'autorité parentale accordées. ». L'auteure de l'étude québécoise précédemment citée, A.J. Asselin, écrit elle-même dans un article paru en 202137 : 37 A.J. Asselin, «L'adoption à la polynésienne à Tahiti : regards sur l'interaction du

droit officiel et local», Les Cahiers du CIÉRA, Mars 2021, n° 18 -33-

« Depuis février 2017, cependant, les juges aux affaires familiales exigent une enquête sociale avant de se prononcer sur la DEAP afin de s'assurer du consentement libre et éclairé des parents biologiques, mais également de la qualité des liens entretenus par les deux familles tout au long des deux mois accordés pour l'enquête. En effet, puisque les parents métropolitains justifient leur requête par l'intérêt que représente pour eux le fa'a'amu (...) c'est une façon, pour les magistrats, de vérifier dans une certaine mesure les intentions des parents et de s'assurer que l'enfant ne sera pas totalement coupé de ses origines, y compris sur le plan culturel. Lorsque l'enfant atteint l'âge de deux ans, ses parents biologiques peuvent signer un consentement à l'adoption (Cussac et Gourdon 2006 : 1). Les parents adoptifs peuvent ensuite saisir un juge aux affaires familiales en France métropolitaine pour procéder à l'adoption simple ou plénière, sans que les deux couples de parents n'aient besoin de se revoir (ibid.). C'est à ce moment que l'enfant peut être repris par les parents biologiques qui peuvent refuser de consentir à l'adoption. Cette situation est néanmoins plutôt rare, compte tenu du fait que les parents s'entendent dès le début sur le fait qu'il s'agit d'une DEAP en vue d'une adoption (Brillaux 2007 : 79 ; de Monléon 2002 : 3). Quand la requête en adoption est déposée en métropole, il s'agit le plus souvent d'une adoption plénière qui fait en sorte que l'adopté acquiert une nouvelle filiation en remplacement de sa filiation d'origine. Dans certains cas, les parents polynésiens ne consentent jamais à l'adoption plénière, sans pour autant reprendre l'enfant. Dans d'autres cas encore, des liens sont maintenus sur le long terme entre les deux familles, mais les 18 000 km qui séparent la métropole de la Polynésie française et les coûts associés au voyage ont souvent pour effet d'atténuer les contacts. L'adaptation de la procédure, depuis 2017, visait à contrer quelques dérives constatées quant à la conduite de certains métropolitains à la recherche d'un enfant. Il arrivait, en effet, que ces derniers exercent une pression indue sur de jeunes femmes enceintes ou recourent à des démarches jugées douteuses, comme la distribution large de cartes de visite dans les lieux publics en vue d'entrer en contact avec des «confieuses » d'enfants potentielles ou la promesse de sommes d'argent ou de biens de première nécessité comme un réfrigérateur (de Monléon 2002 : 23).» 3.4. Les consultations extérieures (jointes en annexes de l'avis). 3.4.1. La Direction des affaires civiles et du sceau (DACS). La DACS considère d'une part que la délégation de l'autorité parentale à plusieurs délégataires, fussent-ils un couple, apparaît contra legem et d'autre part, que l'objectif assumé de la pratique polynésienne d'obtenir l'exercice de l'autorité parentale comme préalable à l'adoption est un dévoiement du dispositif et de l'esprit de la délégation de l'autorité parentale telle que la loi du 4 mars 2002 les a conçus.

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Selon elle, alors que la délégation d'autorité parentale est un mode d'organisation de prise en charge d'un enfant, le code de procédure civile de Polynésie française en fait la première étape vers un changement de filiation. S'agissant de l'adoption d'un enfant de moins de deux ans, la DACS rappelle sa prohibition sans remise préalable à l'ASE ou à un OAA, sauf l'exception constituée par le lien de parenté ou d'alliance jusqu'au sixième degré inclus entre l'adoptant et l'adopté (C. civ., art. 348-5). Dans cette hypothèse, les parents choisissent donc eux-mêmes les futurs adoptants, mais leur choix est limité à un parent ou allié de l'enfant jusqu'au 6ème degré inclus, ce qui exclut d'office toute personne étrangère à la famille de l'adopté. 3.4.2. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). La DGCS expose que les dispositions de l'article 555 du code de procédure civile polynésient peuvent être comprises par les candidats métropolitains à l'adoption comme une obligation préalable de déposer une demande d'agrément auprès de leur département de résidence. Elle indique avoir donné la consigne aux services départementaux, dans les cas qui ont pu lui être remontés, de ne pas délivrer d'agrément en vue d'adoption dans la mesure où, tel qu'il est prévu par le code de l'action sociale et des familles, l'agrément n'a pas pour objet de permettre aux personnes de détourner la procédure de délégation d'autorité parentale. Une telle délégation est un mode d'organisation dans la prise en charge d'un enfant et non une première étape vers un changement de filiation. Pour la DGCS, la délégation d'autorité parentale telle qu'elle est prévue en Polynésie constitue en réalité un contournement des dispositions du code civil interdisant toute adoption d'enfant de moins de deux ans qui n'aurait pas été remis à un service de l'aide sociale à l'enfance. Elle peut donc être constitutive de dérives de la part d'adoptants, plus particulièrement métropolitains, rencontrant de plus en plus de difficulté pour mener à terme leur projet d'adoption d'un nourrisson. Une pratique plus respectueuse des coutumes locales et des droits de l'enfant serait de réserver plus spécifiquement la Fa'a'amu à des personnes résidant durablement en Polynésie française. La DGCS ajoute que la proposition de loi n° 754 visant à réformer l'adoption déposée par la députée Monique Limon, et adoptée à l'Assemblée nationale le 8 février 202238, doit s'accompagner d'une adaptation des textes réglementaires relatifs à l'agrément et à la tutelle des pupilles de l'Etat au cours de l'année 2022. Ces travaux ont vocation à intégrer des dispositions d'adaptation à la Polynésie afin de rendre pleinement effectif le statut de pupille de l'Etat sur ce territoire d'ici la fin de l'année. Une concertation avec la direction générale de l'Outre-Mer et avec la Polynésie aura lieu pour réaliser ces travaux. 38 Loi n° 2022-219 du 21 février 2022

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3.4.3. La Direction générale des outre-mer (DGOM). La DGOM rappelle que la coutume polynésienne n'ayant pas d'existence juridique en droit métropolitain, la pratique du fa'a'amu n'est pas intégrée dans le droit civil métropolitain. L'Etat étant seul compétent pour édicter les normes en matière d'autorité parentale (art. 14 de la loi organique n° 2004-192), la conception métropolitaine de l'autorité parentale s'applique ainsi en Polynésie française sans prise en compte du droit coutumier. Elle souligne que le recours à cette pratique en vue d'une adoption est consécutif à l'inapplication des dispositions du code civil relatives à l'adoption, l'article 348-5 ayant longtemps été inapplicable en Polynésie française parce qu'il n'existait pas d'oeuvre autorisée pour l'adoption et parce que la compétence du service territorial d'aide à l'enfance n'a été reconnue que tardivement, en 1983 par une décision du Conseil du Gouvernement confirmée par un avis du Conseil d'Etat n° 353-500 du 4 février 1997. Elle considère que l'adoption par des métropolitains est une dérive du fa'a'amu, les parents biologiques n'étant pas préservés de la pression notamment financière exercée par les adoptants alors que 24,7% de la population urbaine et 38,20% de la population rurale se trouvent sous le seuil de pauvreté relatif (Institut statistique de la Polynésie française, chiffres 2009). Elle conclut que « si le dispositif de fa'a'amu doit pouvoir perdurer, et justifier des délégations d'autorité parentale dans certaines hypothèses, celles-ci doivent être limitées à l'exercice du fa'a'amu traditionnel de solidarité familiale au sens large, au sein de la population pratiquante de la coutume polynésienne, et sur le territoire polynésien. L'article 555 du code de procédure civile polynésien, support des délégations d'autorité parentale en vue d'une adoption, doit être interprété au regard des dispositions du code civil telles qu'elles résultent de la loi du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale et ne peut servir à autoriser une délégation d'autorité parentale en vue d'une adoption. Il appartient à la collectivité de Polynésie française de prendre les mesures organisationnelles et normatives nécessaires pour assurer la mission d'aide sociale à l'enfance pour laquelle elle est statutairement compétente, avec le soutien des services administratifs et judiciaires de l'Etat. » La DGOM souligne enfin que des échanges sont en cours entre la DACS, le ministère des solidarités et de la santé et elle aux fins de prendre les mesures règlementaires de nature à permettre la création d'un conseil de famille en Polynésie française, dans le respect des compétences de la collectivité en matière d'aide sociale à l'enfance.

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IV - L'Analyse des moyens et l'Avis 4.1. L'analyse des moyens du pourvoi. Le procureur général de la cour d'appel de Papeete développe neuf moyens, dont certains sont irrecevables ou non fondés. Nous partageons à cet égard l'avis du conseiller rapporteur qui propose des rejets non spécialement motivés : - Sur l'irrecevabilité de plusieurs griefs : a) les griefs qui n'indiquent pas le cas d'ouverture et ne précisent notamment pas le texte sur lequel repose le grief : M2 B1 à B5 ; M4 B1 ; M8 B1. b) les griefs concernant l'absence de motivation de la cour d'appel tout en critiquant des motifs de l'arrêt : M4 B2 ; M6 B2 ; M7 B1 à B5 et B7 c) les griefs imprécis puisqu'ils n'ont pas précisé en quoi le grief allégué est encouru: M3 B3 ; M5 ; M8 B2. d) le grief du M9 est irrecevable en raison de sa nouveauté. Il ne résulte pas, en effet, des conclusions du parquet général qu'il ait été soulevé la nullité de la requête devant la cour d'appel au motif qu'elle aurait été présentée par les délégants et les délégataires. - Sur le caractère non fondé d'un grief : Le grief M6 B1 n'est pas fondé en ce qu'il se heurte à l'appréciation souveraine des juges du fond s'agissant de l'appréciation du caractère nécessaire de la délégation d'autorité parentale. En revanche, le grief M1B2 ne peut selon nous être qualifié de complexe comme mettant en oeuvre plusieurs cas de cassation, ni même d'inopérant, dès lors qu'il vise clairement la violation des dispositions de l'article 348-4 du code civil, ne faisant que mentionner à titre surabondant et au soutien de son grief les dispositions relatives à l'adoption internationale. S'agissant du grief M1 B3, qui ne précise pas le texte sur lequel repose le grief, nous proposons de relever d'office un moyen de pur droit. En conséquence, les premier, troisième et septième moyens en certaines de leurs branches appellent des développements qui s'articuleront autour des trois principales questions suivantes : 1. Le recours à une délégation volontaire d'autorité parentale en préalable à une adoption emporte-t-il violation des dispositions prohibant la pratique de la gestation pour autrui (M1, B1)? 2. L'usage en Polynésie française de la délégation d'autorité parentale sur un enfant de moins de deux ans en vue d'une adoption constitue-t-il un détournement des articles 348-4 et 348-5 du code civil (moyen de pur droit qui pourrait être relevé d'office) M1 B2 et 3? -37-

3. Les conditions de la délégation volontaire d'autorité parentale, telles que prévues à l'article 377 du code civil, ont-elles été respectées et en particulier : - en ce que plusieurs délégataires ont été désignés ? (M3 B1 et B2) - au regard de la qualité de « proche digne de confiance » au sens de l'article 377, alinéa 1er du code civil ? (M7B6) 4.2. Avis. Selon les données du ministère de la justice, qui ne comptabilisent ni les délégations d'autorité parentale ni les adoptions prononcées en Polynésie, 12.000 enfants en moyenne sont adoptés chaque année en France. En 2018, les juges ont statué sur 9.979 requêtes et prononcé l'adoption de 12.473 adoptés. Parmi ces jugements, 73% étaient des adoptions simples et 27% des adoptions plénières 39. Il s'agissait à titre principal d'adoptions intrafamiliales (surtout intraconjugales, 97,9% des adoptions simples et 61,6% des adoptions plénières), nationales (1,9% des adoptions simples et 31% des adoptions plénières) et, pour une part résiduelle, d'adoptions internationales (0,2% des adoptions simples et 7,3% des adoptions plénières). Le nombre d'adoptions internationales ne cesse quant à lui de baisser depuis 2005, passant de 4.000 adoptions environ à moins de 300 en raison du principe de subsidiarité institué par la Convention de La Haye40. En 2021, selon le rapport annuel de la Mission de l'adoption internationale41, 252 enfants ont été adoptés à l'étranger par des ressortissants français ou étrangers résidant en France contre 244 en 2020. Les cinq premiers payes d'origine sont la Thaïlande, la République du Congo, le Vietnam, la Colombie et Madagascar. En France, parmi les adoptés, une minorité relève du statut de pupille de l'Etat (ils représentent 28% des adoptions plénières et 0,2% des adoptions simples), étant précisé que, selon l'Observatoire national de la protection de l'enfance, 3.035 enfants bénéficiaient en France au 31 décembre 2018 du statut de pupille de l'Etat. Parmi ces pupilles, 949 sont confiés à une famille en vue de leur adoption et 2.086 vivent dans des familles d'accueil (pour les trois quarts d'entre eux) ou dans des établissements et 720 enfants ont quitté le statut de pupille de l'Etat à la suite d'un jugement d'adoption. 39 Z. Belmokhtar, «L'adoption en 2018», Ministère de la justice, septembre 2020 40 Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la

coopération en matière d'adoption internationale

41 Mission de l'adoption internationale (MAI), autorité centrale prévue apr la

Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale, France Diplomatie, www.diplomatie.gouv.fr et www.data.gouv.fr 38

Par ailleurs, de nombreuses familles souhaitent adopter un enfant en France : elles sont 10.263 à avoir été agréées au 31 décembre 2019. Même si ce chiffre est en baisse depuis plusieurs années (il était du double en 2012), il est devenu sans proportion avec le nombre d'adoptions effectivement prononcées. Selon l'Observatoire national de la protection de l'enfance42, au 31 décembre 2019, la durée d'attente moyenne entre l'octroi d'un agrément en vue d'adoption et le placement en vue d'adoption d'un enfant est d'environ trois années. Cette durée varie de quatre mois en Guadeloupe à 8,1 an en Vendée. Le rapport de l'ONPE ne comporte aucune donnée sur la Polynésie française (ni d'ailleurs sur la Nouvelle-Calédonie). En revanche, les tableaux sont renseignés pour la Martinique, la Guyane, la Réunion et Mayotte. En Polynésie française, entre 2017 et 2021 inclus, ce sont 328 enfants qui ont été adoptés, dont 248 selon la forme de l'adoption simple (dont 80 en intrafamilial et 168 hors de la famille) et 72 selon celle de l'adoption plénière(dont 19 en intrafamilial et 53 hors de la famille. Par ailleurs, 544 délégations d'autorité parentale ont été prononcées par les juges (dont 425 en intrafamilial et 119 hors de la famille)43. Ainsi que le relèvent de nombreux rapport44, s'appuyant en particulier sur l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant (intérêt supérieur de l'enfant) et sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (droit à la vie privée et familiale), « deux grands principes doivent guider l'éthique de l'adoption : l'intérêt de l'enfant et le souci de donner une famille à un enfant et non l'inverse». Dans sa décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel a jugé, à propos de l'adoption d'un enfant «que ces dispositions (CC, art. 353), applicables que les adoptants soient de même sexe ou de sexe différent, mettent en oeuvre l'exigence résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon laquelle l'adoption ne peut être prononcée que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant » (n° 54). Le Conseil a également jugé que les dispositions relatives à la procédure d'agrément ne sauraient conduire à ce que celui-ci soit délivré sans que l'autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l'exigence de conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant. Depuis lors, par une décision n° 2018768 QPC du 21 mars 2019, le Conseil a reconnu la valeur constitutionnelle de l'intérêt de l'enfant en le rattachant au Préambule de la Constitution de 1946. La poursuite de cet objectif s'inscrit tout entière dans l'application des dispositions légales relatives en particulier à l'adoption mais aussi à la délégation de l'autorité parentale, ou encore en protection de l'enfance. Sur le territoire de la République, la 42 Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE), «La situation des

pupilles de l'Etat - Enquête au 31 décembre 2019», octobre 2021

43 Nous ne disposons pas de statistique comparative pour la métropole

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délégation de l'autorité parentale et l'adoption, qui correspondent à deux régimes juridiques différents, sont en principe organisées par le code civil et, pour la seconde, également par le code de l'action sociale et des familles. Nous savons pourtant que des exceptions existent et que certains territoires, tels Mayotte et Wallis-et-Futuna par exemple, connaissent un statut personnel de droit local, contrairement à la Polynésie française. Lors du cinquième examen de l'application par la France de la Convention internationale des droits de l'enfant, en 2016, le Comité des droits de l'enfants des Nations unies a formulé des observations45 et s'est dit «préoccupé par : a) le manque d'information concernant l'adoption traditionnelle en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, dite «circulation des enfants», qui continue d'être pratiquée, sans intermédiaires agréés et sans réelles garanties pour les parents et les enfants concernés; b) L'insuffisance de l'aide apportée aux parents adoptifs et aux autres membres de la famille lors de l'adoption d'enfants ayant des besoins particuliers compte tenu de leur âge, de leur fratrie, de leur handicap ou de leur maladie (...)». Le Comité a recommandé à la France de «garantir qu'en ce qui concerne les adoptions, le principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant soit strictement respecté» et : «a) De recueillir, de manière systématique et continue, des données statistiques ventilées et des informations pertinentes sur les adoptions nationales et internationales afin de mieux comprendre et gérer le phénomène ; b) De fournir des renseignements sur la « circulation des enfants » en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie dans son prochain rapport périodique et d'adopter des mesures pour prévenir l'apparition de nouveaux cas». Le sixième examen du Comité des droits de l'enfant est en cours et portera nécessairement également sur ces sujets, la France devant être entendue en 2023.

45 Comité des droits de l'enfant, Observations finales concernant le cinquième rapport

périodique de la France adoptées lors de la 71ème session (11-29 janvier 2016), partie E. Milieu familial et protection de remplacement, Adoption, points 55 et 56, CRC/C/FRA/CO/5 40

Dans ce contexte, la proposition de loi réformant l'adoption, qui a donné lieu à la loi n° 2022-219 du 22 février 2002 aurait pu être une réforme globale mais elle ne l'a pas été et il est apparu lors des débats au Parlement que, en particulier, «le cas des territoires d'outre-mer, qui connaissent des spécificités comme en Polynésie française avec la tradition du fa'a'amu qui favorise une utilisation détournée des délégations d'autorité parentale dans le but de pouvoir ensuite adopter l'enfant après ses deux ans, n'est même pas évoquée »46. C'est dire si les pourvois soumis à l'examen de notre chambre sont délicats et sensibles. Les solutions qui seront apportées aux questions posées pour la première fois sous cette forme sont attendues et seront lourdes de conséquences à n'en pas douter, en tout premier lieu à l'égard des enfants et des familles concernées, dont nous devons nous soucier, mais aussi en termes de sécurité juridique. Ainsi qu'il a été exposé précédemment, le cadre légal de l'adoption et des dispositions relatives à l'autorité parentale en Polynésie française est clairement posé tout en se heurtant à des obstacles d'application identifiés : – Le statut de la Polynésie française résulte de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française et de la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 la complétant. En l'absence de toute reconnaissance d'un statut civil coutumier particulier, il ne fait aucun doute que l'ensemble des dispositions du code civil relatives à la délégation de l'autorité parentale et l'adoption, et donc en particulier les articles 377, 348-4 et 348-5 du code civil, qui trouvent à s'appliquer de plein droit en Polynésie française. Sont également applicables sur ce territoire les dispositions législatives du code de l'action sociale et des familles relatives au statut des pupilles et à leur adoption, et donc les articles L. 224-1 à L. 224-7 et L. 225-1 à L. 225-7, les adaptations prévues aux articles L. 562-1 à L. 562-5 du même code étant mineures. – La difficulté qui n'a toujours pas été surmontée malgré les nombreuses alertes répétées (v. supra) tient au fait d'une part, que les dispositions du code de procédure civile polynésien, domaine de compétence territoriale, prévoient à l'article 455 en particulier une procédure qui déroge significativement à celle prévue aux articles 377 du code civil et 1202 et suivants du code de procédure civile métropolitain et d'autre part, que les dispositions réglementaires d'application spécifiques à la Polynésie française qui doivent être prises en application de l'article L. 224-2 du code de l'action sociale et des familles pour composer et faire fonctionner le ou les conseils de famille ne le sont toujours pas. Elles relèvent de l'Etat. – S'y ajoutent les spécificités de la Polynésie française, dont ses pratiques coutumières, et les difficultés de fonctionnement de la DSFE, laquelle relève, comme en métropole, de la politique décentralisée de l'action sociale et de la protection de l'enfance.

46 Rapport M. Jourda au nom de la commission des lois du Sénat, enregistré à la

présidence le 13 octobre 2021, p. 8-9

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Dans ce contexte, et au cas d'espèce, pour valider une délégation d'autorité parentale à des métropolitains sur un enfant de moins de deux ans et confirmer la décision du premier juge, la cour d'appel s'est appuyée sur le raisonnement suivant : 1) La spécificité du territoire qui, selon elle, contribue « à structurer la violence au sein des familles ». a) 20% des ménages ont un revenu disponible inférieur au seuil de pauvreté (Etude ISPF, Enquête budget des familles, 2015) ; b) « certaines catégories de population sont intrinsèquement dépendantes - et donc vulnérables à la violence - à l'instar des enfants et plus encore des enfants fa'a'amu, des personnes âgées dépendantes, des personnes handicapées -Bastide L. 2020, Les violences familiales en Polynésie française. Entrer, vivre et sortir de la violence, INJEP Notes &rapports/rapport d'étude» ; c) il existe de « fortes mobilités familiales, problèmes fonciers et questions d'héritages, ménages polynucléaires, marginalisation économique dans le contexte de marginalisation rapide de l'économie » ; d) l'administration en charge de la protection sociale dispose de moyens humains insuffisants (Rapport commun sur l'évaluation du système de protection sociale et de santé, IGAS-IGA-IGF, 2019) ; 2) L'impossibilité de recourir à l'adoption en Polynésie française et l'organisation par les autorités locales d'un procédé de délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption qui correspond à une pratique traditionnelle (le fa'a'amu) et répond à une nécessité concrète. a) Une jurisprudence locale constante appliquée depuis plusieurs années : « La jurisprudence de la cour d'appel de Papeete retient que le placement d'un enfant à l'aide sociale à l'enfance en vue d'une adoption n'est pas possible en Polynésie française en raison du caractère incomplet des textes, et que la délégation volontaire de l'autorité parentale par des parents polynésiens à des personnes agréées en métropole pour adopter est licite dès lors que les conditions légales sont remplies, et que le consentement de chacun des parents à la délégation est libre, éclairé et sans réserve (CA Papeete 6 mars 2014)». b) Une pratique prenant en compte la coutume locale : « Dans cette collectivité, la pratique du don d'enfant dans la famille élargie ou entre amis (fa'a'amu) fait de l'adoption une norme sociale naturelle. Elle n'est pas perçue comme la création d'un lien ayant vocation à remédier à une situation d'abandon, et est attachée à la fois au droit des parents de choisir la famille à qui ils vont confier l'enfant et à la liberté d'une remise directe à celle-ci ». 42

c) Une pratique connue et identifiée par les pouvoirs publics : « Le recours à la délégation d'autorité parentale en vue de préparer une adoption est une pratique connue et clairement identifiée par les pouvoirs publics, qui ont mis à la disposition du juge les moyens de contrôler que la mesure est conforme à l'intérêt de l'enfant et ne s'inscrit pas dans le cadre d'un trafic d'enfants ou d'exploitation du corps de la mère, par le recours à une gestation pour autrui occulte. Les articles 555 et suivants du code de procédure civile de la Polynésie française confèrent ainsi au juge des moyens spécifiques et effectifs de contrôler la situation des enfants concernés par une demande de délégation d'autorité parentale». d) Des mesures spécifiques prises par l'Autorité polynésienne pour tenir compte et réguler les pratiques locales (CPCPF, art. 541, 555, 556, 557, 558, 559, en particulier), sous le contrôle du juge aux affaires familiales qui a, selon elle, des moyens de contrôle importants à sa disposition : « Le contrôle exercé par le juge aux affaires familiales permet effectivement d'atteindre, dans le respect primordial de l'intérêt supérieur de l'enfant, l'objectif de prévenir les trafics portant sur des nouveau-nés. La possibilité d'ententes illicites contrevenant à l'indisponibilité du corps humain, que le ministère public doit combattre dans l'exercice de ses attributions et dans l'intérêt de la société et des personnes à qui celle-ci doit protection, ne permet pas de constituer une présomption de mauvaise foi contre les requérants qui s'adressent à justice. C'est, au contraire, l'obligation de soumettre leur projet à l'autorité judiciaire qui est de nature à permettre de prévenir les délits d'abandon ou d'incitation à l'abandon d'enfant, et de les sanctionner. (…)». Le mémoire en défense soutient cette motivation. Peut-on aller dans ce sens et valider une procédure construite par la pratique judiciaire et territoriale locale en contradiction avec les dispositions légales relatives à la délégation de l'autorité parentale et à l'adoption, issues du code civil et applicables à tous les parents et tous les enfants de la République, à l'exception de ceux pour lesquels un statut personnel de droit local a été spécialement reconnu, ce qui n'est pas le cas de la Polynésie française ? Peut-on ainsi considérer que les enfants de Polynésie française, et leur parents, ne doivent pas recevoir la même protection et les mêmes garanties qu'en métropole ? Et peut-on aller jusqu'à considérer qu'il appartient au juge de valider par son intervention dans une procédure réglementaire contraire aux dispositions organiques et légales un processus qui, de fait, avalise l'absence de structures ? La Cour de cassation ne s'est jamais prononcée sur la validité d'une délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption dans un contexte de fa'a'amu. Si elle a rendu -43-

une décision en 2008 (1ère Civ., 5 novembre 2008, pourvoi n° 07-20.868) en rejetant le grief de fraude invoqué à l'occasion de la tierce-opposition formée par un enfant adopté devenu majeur contre le jugement d'adoption intervenu dans ce contexte, le cadre juridique du présent pourvoi est différent. Pour autant, le pourvoi d'un enfant fa'a'amu devenu adulte, qui invoque la fraude et les conditions dans lesquelles sa mère a été amenée à le remettre à un couple de métropolitains, doit nous alerter sur les conséquences du processus mis en place. Le pourvoi dont nous sommes ici saisis, et les sept autres formés par le procureur général de la cour d'appel de Papeete, doivent selon nous conduire la Cour de cassation à dire rigoureusement et humainement le droit, en ce compris les principes fondamentaux ici invoqués au regard de l'intérêt de l'enfant, tout en prenant en compte les éléments particuliers de chaque affaire et les conséquences des décisions à intervenir, presque deux années après le jugement du juge aux affaires familiales du tribunal de première instance de Papeete alors que l'enfant a maintenant deux ans et vit avec les époux [T] qui l'élèvent quasiment depuis sa naissance. La tâche est délicate, mais il nous apparaît essentiel de ne pas nous laisser emporter par la situation de fait créée, faute sans doute de décisions mettant en cohérence le cadre juridique choisi pour ce territoire avec les compétences décentralisées exercées par lui en matière d'aide sociale et de protection de l'enfance. Ces décisions relèvent d'arbitrages politiques qui ne nous appartiennent pas. En revanche, il entre dans notre office de dire clairement le droit applicable en matière de délégation d'autorité parentale et d'adoption des enfants nés en Polynésie française. En conséquence, nous sommes d'avis qu'il doit être répondu aux questions posées par les premier moyen (B1 et B2), troisième moyen (B1 et B2) et septième moyen (B6) ainsi qu'il suit : 1. Le recours à une délégation volontaire d'autorité parentale en préalable à une adoption emporte-t-il violation des dispositions prohibant la pratique de la gestation pour autrui (M1, B1) ? Autrement formulée, la question posée consiste à se demander si le recours à la délégation parentale aux fins d'adoption peut être assimilé à une forme de recours à la gestation pour autrui, prohibée par le droit français. Nous savons que les conventions de maternité pour autrui sont prohibées par l'article 16-7 du code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. » Le texte concerne tant la procréation que la gestation pour le compte d'autrui, c'est-à-dire la période de temps s'écoulant entre la fécondation et la naissance. Ces pratiques sont, sur le territoire de la République française, réprimées par le code pénal qui sanctionne les parents d'intention (atteintes à l'état, délit de provocation à 44

l'abandon d'enfant), et la mère porteuse dans l'hypothèse où elle dissimulerait son accouchement ou son identité (C. pén., art. 227-12 et 227-13). Relevons que, depuis la loi de bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, «le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de leur remettre est punissable». Il s'agit du délit d'entremise qui sanctionne les intermédiaires. La prohibition de la gestation pour autrui repose principalement sur la contrariété de cette pratique avec les principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état de personnes (Ass. plén., 31 mai 1991, pourvoi n° 90-20.105, Bull. 1991, Ass. plén., n° 4): « la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes ». Au cas d'espèce, la cour d'appel écarte la possibilité d'une GPA en relevant que «la recherche de cette relation a été délibérément dirigée par les parents vers une famille adoptante en métropole. [N] [S] explique qu'elle s'est adressée à une amie à Toulouse qui a adopté le fils de sa soeur. (...) Cette relation s'est déroulée en toute transparence. Aucun élément ne permet de retenir une intention de tromper le juge aux affaires familiales. L'enquête diligentée par le procureur de la République n'a pas fait apparaître d'indice d'incitation à l'abandon ni de contreparties matérielles ou financières». Il apparaît de surcroît à la lecture de l'arrêt attaqué qu'il n'y a pas eu d'accord entre les parents de l'enfant et la famille candidate à la délégation en vue de la conception de l'enfant. Le mémoire en défense soutient que, dès lors que l'enfant avait été conçu bien avant que ses parents n'entrent en contact avec le couple candidat à la délégation, cette circonstance suffit à écarter une gestation pour autrui, laquelle aurait supposé que l'enfant ait été conçu dans le cadre d'une commande. Cependant, ainsi qu'il a été rappelé, la rédaction de l'article 16-7 du code civil ne porte pas seulement sur la conception et la procréation de l'enfant mais aussi sur la gestation pour autrui. En conséquence, la question de la validité d'un contrat conclu pendant la grossesse de la mère dans le but de recueillir l'enfant à naître ET de l'adopter mérite certainement d'être posée. La conclusion de cette convention revient en effet à faire porter l'enfant par une femme devenue «mère porteuse» pour le compte d'autrui. En l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué et des conclusions du ministère public telles que reprises dans l'arrêt que la mère de l'enfant a connu les époux [T] qui cherchaient un enfant à adopter en janvier 2020, par téléphone, par l'intermédiaire d' «une amie à Toulouse qui a adopté le fils de sa soeur». Mme [T] est venue à Tahiti le 10 février 2020, deux mois avant la naissance de l'enfant, «accompagnant la mère aux courses et aux rendez-vous médicaux. Elle a assisté à l'accouchement, coupé le cordon ombilical et pris immédiatement l'enfant -45-

en charge dans sa chambre à la maternité, privant la mère de créer un lien ou bien de se raviser. Les relevés bancaires montrent que les époux [T] ont payé fréquemment des courses ainsi que des frais de clinique. Devant le juge aux affaires familiales, [N] [S] a déclaré qu'elle avait changé d'avis quand elle avait accouché et [Z] [T] était très choquée. L'enquête sociale le confirme. (...) Elle a indiqué aux gendarmes qu'au début elle voulait le garder puis le couple avait décidé qu'il serait mieux de le faire adopter». Quelle différence peut-on faire entre cette démarche initiale de mise en contact d'une mère portant un enfant à naître avec des candidats métropolitains à l'adoption et celle qui consiste à entrer en contact avec des cliniques de mères porteuses dans le cadre des GPA ? Comment effectivement ne pas s'interroger sur les possibles dérives d'un dispositif qui permet de conclure une convention de délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption d'un enfant à naître, de le recueillir comme le sien dès sa naissance, d'obtenir une décision judiciaire de délégation d'autorité parentale précisant clairement le projet d'adoption, sans préciser si celle-ci sera simple ou plénière, quelques jours après la naissance ? En la présente espèce, et au cas particulier, la cour d'appel n'a pas retenu la fraude au regard de la prohibition de la gestation pour autrui. La question est posée par le procureur général de la cour d'appel de Papeete et la Cour devra apprécier si elle doit aller plus loin que la prise en compte de l'appréciation souveraine des faits et des pièces produites. Ici, la cour d'appel a jugé que les faits n'emportaient pas violation de l'article 16-7 du code civil prohibant la procréation et la gestation pour autrui et il pourrait en effet être retenu classiquement que c'est dans son pouvoir souverain qu'elle a ainsi jugé. Nous concluons dans ce sens au rejet de ce moyen, l'essentiel de notre argumentaire portant sur la question suivante. 2. L'usage en Polynésie française de la délégation d'autorité parentale sur un enfant de moins de deux ans en vue d'une adoption constitue-t-il un détournement des articles 348-4 et 348-5 du code civil (moyen de pur droit) M1 B2 et 3? Il est selon nous indispensable que la Cour de cassation dépasse le pur examen des griefs par la technique de cassation. Compte tenu des éléments de contexte précédemment développés, il est en effet essentiel que la Cour, dont le rôle est de dire le droit, s'interroge sur la validité d'un processus qui, à partir d'une requête en délégation volontaire d'autorité parentale fondée sur les dispositions de l'article 377 du code civil mais avec pour objectif clairement déclaré de réaliser ensuite une adoption (dont la forme n'est nullement précisée) permet de parvenir à la création d'un lien de filiation entre un enfant et un couple étranger à sa famille, en contournant l'application des règles impératives des articles 348-4 et 348-5 qui constituent pourtant des garanties pour les enfants (de moins de deux ans) et leurs parents. 46

Nous sommes d'avis que la Cour doit relever d'office le moyen de pur droit tenant à une violation des articles 348-4 et 348-5 du code civil et, en conséquence, casser l'arrêt attaqué, étant observé que le conseiller rapporteur a lui-même invité les parties à conclure sur ce moyen de sorte que la question est incontestablement dans le débat. En effet, la rédaction des articles 348-4 et 348-5 du code civil est claire : si les parents d'un enfant peuvent, ensemble ou séparément, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de déléguer tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale dans les conditions de l'article 377, les articles 348-4 et 348-5 ont été introduits dans le code civil par la loi du 11 juillet 1966 afin précisément d'interdire les conventions isolées entre candidats à l'adoption et parents ou futurs parents d'enfants nés ou à naître, ainsi que la création d'organismes intermédiaires par souci «d'éviter tout marché noir d'enfants, toutes pressions sur la mère en détresse» (v. supra, p. 1647). Ces textes disposent que l'adoption d'un enfant de moins de deux ans n'est possible que s'il a été préalablement remis aux services de l'ASE ou à un organisme autorisé pour l'adoption, la remise de l'enfant à l'ASE entraînant l'admission de l'enfant au statut de pupille de l'Etat et conduisant à l'organisation d'une tutelle spécifique. Or, l'examen de la procédure de délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption telle qu'organisée en Polynésie française démontre que, contrairement au droit commun issu de la loi n° 2002- du 5 mars 2002 relative à l'autorité parentale, cette délégation est en réalité la première étape d'un objectif déclaré d'adoption par des couples de métropolitains. S'il peut être envisagé que l'aménagement de cette délégation, prévu à l'article 555 du code de procédure civile polynésien par une délibération locale n° 2001-200 APF du 4 décembre 2001, se soit appuyé sur des constats répétés de dérives pour tenter d'y apporter des solutions (v. supra, notamment p. 30 à 34), la Cour de cassation ne peut pas valider un dispositif contra legem, la loi étant ici non seulement la loi civile mais encore la loi organique. L'Etat étant seul compétent pour édicter les normes en matière d'autorité parentale, de filiation et d'adoption en vertu de l'article 14 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004, la cour d'appel ne peut pas ainsi qu'elle l'a fait dans l'arrêt attaqué, les écarter en considérant que «dans cette collectivité, la pratique du don d'enfant dans la famille ou entre amis (fa'a'amu) fait de l'adoption une norme sociale naturelle». Elle le peut d'autant moins que, non seulement la coutume polynésienne n'a pas d'existence juridique en droit, la pratique du fa'a'amu n'étant pas intégrée dans le droit civil applicable en Polynésie française, mais encore cette coutume apparaît plus subtile que l'approche que la cour d'appel en a fait. En effet, ainsi que développé précédemment (v. p. 21 à 27), la coutume du fa'a'amu s'appuie sur une conception de la famille polynésienne fondée sur le 47 v. notamment : Rapport Zimmerman à l'Assemblée Nationale, J.O. débats Ass.

Nat. 1965, p. 4690 ; Rapport Jozeau-Marigné, Sénat, n° 134, p. 41 -47-

rapport à la terre et à la famille élargie dans laquelle la terre fait fondamentalement partie de la parenté et «Les terres sont comme la descendance l'un des éléments de la parenté. En fait la parenté, considérée en soi sans références à des terres et à des propriétés précises n'a guerre de sens »48. Le maintien des liens entre les familles biologiques et fa'a'amu est une dimension essentielle, le confiage des enfants s'appuyant sur une logique d'entraide. Tel n'est pas le cas du dispositif organisé, «bricolé» ainsi que le qualifie l'étude québécoise précitée, pour «permettre aux métropolitains candidats à l'adoption de rentrer en métropole avec les enfants dans les jours suivant sa naissance»49. Ainsi que le soulignent les trois directions d'administration centrales consultées (DACS, DGCS et DGOM, p. 35 à 37), la délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption telle qu'elle est prévue en Polynésie française constitue en réalité un contournement des dispositions du code civil, en particulier celles qui interdisent toute adoption d'un enfant de moins de deux ans qui n'aurait pas été remis à un service de l'aide sociale à l'enfance ou à un organisme autorisé pour l'adoption. Cette pratique locale constitue en outre une dérive du fa'a'amu. Elle peut donc être constitutive de dérives de la part d'adoptants, plus particulièrement métropolitains, rencontrant de plus en plus de difficultés en métropole pour mener à terme leur projet d'adoption d'un nourrisson. D'autant que la dimension sociale d'alliance, qui plaçait les adultes au coeur de l'adoption et qui gouvernait autrefois cette pratique, apparaît aujourd'hui remplacée au profit d'une perspective plus individuelle dans laquelle les parents polynésiens sont amenés à confier leurs enfants à cause d'une précarité socio-économique qui interroge, et en tout cas inquiète le Comité des droits de l'enfant de l'ONU. Soulignons, dans ce sens, qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a retenu que «les parents biologiques vivent dans un logement fait de bric et de broc dépourvu d'électricité. Ils bénéficient d'aides alimentaires délivrées par le service social et de colis alimentaires de la Croix rouge (...), vont régulièrement manger chez leur tante maternelle en raison du peu de moyens financiers». Il en est déduit que qu'ils «ne sont pas en capacité de prendre convenablement en charge [I], qu'ils se trouvent dans une grande précarité financière». Une pratique plus respectueuse des coutumes locales et des droits de l'enfant serait de réserver plus spécifiquement le Fa'a'amu à des personnes résidant durablement en Polynésie française et, en tout état de cause, de ne pas rompre les liens entre l'enfant et sa famille d'origine.

48 P. Gourdon, cité p. 21 49 A.J. Asselin précitée, p. 27

48

3. Les conditions de la délégation volontaire d'autorité parentale, telles que prévues à l'article 377, alinéa 1er, du code civil ont-elles été respectées (M3, B1 et B2 ; M7, B6) ? Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné une délégation d'autorité parentale à deux délégataires, contrairement au principe d'unicité, ne présentant en outre pas la qualité de proche digne de confiance au sens de l'article 377, alinéa 1 er, du code civil. Nous avons rappelé dans nos développements précédents (v. p. 9 et 10) qu'en vertu des dispositions de l'article 377, alinéa 1er, du code civil les parents sont tenus de choisir le tiers délégataire parmi quatre catégories de personnes : un membre de la famille, un proche digne de confiance, un établissement agréé pour le recueil des enfants ou le service de l'aide sociale à l'enfant (C. civ., art. 377, al. 1er), sans que le juge ait l'obligation de désigner par priorité un membre de la famille ( 1 ère Civ., 16 avril 2008, pourvoi n° 07-11.273). Toutefois, si le délégataire est choisi en dehors de la famille, il doit être «un proche digne de confiance», c'est à dire une personne qui a déjà des liens et des contacts suffisamment étroits et stables pour que ce soit instaurée une confiance. Nous avons en outre relevé que le législateur lui-même avait introduit une nuance dans la rédaction de l'article 377 du code civil en distinguant d'une part à l'alinéa 1 er, le «proche digne de confiance» pour la délégation volontaire de l'autorité parentale et, d'autre part à l'alinéa 2, le «particulier qui a recueilli l'enfant» pour la délégation imposée de l'autorité parentale. En l'espèce, il ne peut être sérieusement contesté qu'au moment où la demande de délégation d'autorité parentale aux fins d'adoption a été faite, les époux [T] n'étaient pas des proches au sens de l'article 377, alinéa 1 er, du code civil, la relation engagée par eux auprès des parents de l'enfant étant une relation qui peut être qualifiée de contractuelle puisse qu'elle consistait sans équivoque aucune à se voir remettre un enfant aux fins d'adoption. Il sera de surcroît observé que la convention a été passée avant même la naissance de l'enfant, alors que l'autorité parentale n'avait pas commencé à être exercée par les parents, de sorte qu'aucune relation de proximité et de confiance ne pouvait encore exister entre les époux [T] et l'enfant. Par ailleurs, la délégation de l'autorité parentale ne peut être réalisée qu'à un seul délégataire et non à plusieurs, même en couple. Si le rapport Dekeuwer-Defossez50 à l'origine de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a souligné qu'il serait «opportun de faire de la délégation un mode d'organisation souple et efficace de prise en charge de l'enfant par un tiers, notamment par les grands-parents ou par les beaux-parents», le principe de l'unicité de délégataire a été maintenu par le loi de 200251. 50 Rapport Dekeuwer-Defossez, «Rénover la famille», rapport remis au garde des

Sceaux, ministre de la Justice, 1999, p. 78 à 80 51 C. Neirinck, Jcl civ. - Fasc. 30

La cassation est donc également encourue sur les griefs développés dans les troisième branche (B1 et B2) et septième branche (B6).

En conséquence, au bénéfice de l'ensemble de ces développements, nous concluons à la cassation de l'arrêt attaqué. Nous suggérons toutefois de ne pas renvoyer les parties devant une autre cour d'appel car il nous apparaît fondamental, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et plus encore dans l'intérêt de l'enfant qui a commencé à construire ses repères et sa vie familiale, de statuer au fond. Dans cette perspective, deux hypothèses se présentent : le différé d'application par la modulation des effets de la décision à intervenir et la prise en compte de l'atteinte disproportionnée qui serait portée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'enfant en cas de cassation sans recherche de solution respectueuse du cadre juridique existant. a) Le différé d'application : La Cour pourrait en effet s'interroger sur l'opportunité de prévoir un aménagement des effets dans le temps de la décision à intervenir. Nous savons que la Cour de cassation pratique, dans certains cas, la modulation des effets dans le temps d'une décision. Elle l'a ainsi fait à partir de 2004 (2 ème Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10.426, Bull. 2004, II, n° 387), puis à plusieurs reprises dans différentes chambres (par exemple : Com. 13 novembre 2007, pourvoi n° 05-13.248, Bull. 2007, IV, n° 243 ; Com. 21 mars 2018, pourvoi n° 16-28.412, Bull. 2018, IV, n° 33 ; 2ème Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 19-22.316 ; 1ère Civ., 26 septembre 2012, pourvoi n° 10-28.032, Bull. 2012, I, n° 181 ; 1ère Civ., 6 avril 2016, pourvoi n° 15-10.552, Bull. 2016, I, n° 80 ; 1ère Civ., 19 mai 2021, pourvoi n° 20-12.520)52. En matière civile, la Cour de cassation a admis la possibilité d'une modulation des effets dans le temps en présence d'une évolution jurisprudentielle, qu'il s'agisse d'un revirement ou d'une position nouvelle. Et, de manière générale, la modulation dans le temps des effets d'une nouvelle jurisprudence n'a été jusqu'à présent admise par la Cour de cassation que lorsque la solution nouvelle affecte le droit au recours des justiciables, de sorte que le champ de la modulation semble se limiter à l'interprétation nouvelle d'une règle de procédure. Le Conseil d'Etat et le tribunal des conflits admettent plus largement la modulation, en particulier sur le fondement de la sécurité juridique en matière contractuelle (CE, ass.,

52 Recherche du SDER, citée par le rapporteur

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16 juillet 2007, Sté Tropic, req. N° 291545 ; T. conflits, 9 mars 2015, Mme Rispal c/ ASF, RFDA 2015.270)53. Par ailleurs, ainsi que l'a relevé le conseiller rapporteur, la Cour EDH et la CJUE sont attentives à ce que l'application rétroactive d'une jurisprudence nouvelle ne se trouve pas en contradiction avec les exigences de la Convention ou du droit de l'Union européenne en matière d'accessibilité et de prévisibilité du droit. Dans un arrêt Wagner c/ Luxembourg du 28 juin 2007, cité par le conseiller rapporteur, la Cour EDH a retenu une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme en retenant qu'en l'espèce : 130. «une pratique existait avant les faits litigieux, selon laquelle les jugements péruviens ayant prononcé une adoption plénière étaient reconnus de plein droit au Luxembourg. Ainsi – et le Gouvernement ne le conteste pas -, plusieurs femmes célibataires avaient pu transcrire un tel jugement sur les registres de l'état civil luxembourgeois sans en demander l'exequatur. La première requérante entreprit dès lors ses démarches de bonne foi en vue d'une adoption au Pérou. L'intéressée ayant suivi toutes les règles imposées par la procédure péruvienne, le juge prononça l'adoption plénière de la deuxième requérante. Une fois au Luxembourg, les requérantes pouvaient légitimement s'attendre à ce que l'officier de l'état civil procédât à la transcription du jugement péruvien. Toutefois, la pratique de la transcription des jugements avait subitement été abrogée et leur dossier fut soumis à l'examen des autorités judiciaires luxembourgeoises. (...) 132. La Cour estime que la décision de refus d'exequatur omet de tenir compte de la réalité sociale de la situation. Aussi, dès lors que les juridictions luxembourgeoises n'ont pas admis officiellement l'existence juridique des liens familiaux créés par l'adoption plénière péruvienne, ceux-ci ne déploient pas pleinement leurs effets au Luxembourg. Les requérantes en subissent des inconvénients dans leur vie quotidienne et l'enfant ne se voit pas accorder une protection juridique rendant possible son intégration complète dans la famille adoptive. 133. Rappelant que c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer dans ce genre d'affaires (voir, mutatis mutandis, Maire, précité, § 77), la Cour estime que les juges luxembourgeois ne pouvaient raisonnablement passer outre au statut juridique créé valablement à l'étranger et correspondant à une vie familiale au sens de l'article 8 de la Convention. Cependant, les autorités nationales ont refusé une reconnaissance de cette situation en faisant prévaloir les règles de conflit luxembourgeoises sur la réalité sociale et sur la situation des personnes concernées, pour appliquer les limites que la loi luxembourgeoise pose à l'adoption plénière. » Le conseiller rapporteur expose que : « eu égard à l'ancienneté de la jurisprudence de la cour d'appel de Papeete en la matière non remise en cause jusqu'à présent, à l'existence d'aménagements institutionnels organisés pour valider la pratique en cours dans un contexte de carence de dispositions réglementaires dont la compétence appartient à l'Etat, et aux conséquences concrètes sur la situation des enfants 53 Recherche SDER, citée par le rapporteur

concernées en cas de censure de la mesure de délégation prononcée il y a plus de deux ans, la question de la modulation des effets dans le temps de la jurisprudence de la Cour de cassation peut se poser.» Nous ne partageons pas cette analyse pour plusieurs raisons : – En premier lieu, il n'existe pas de jurisprudence fixée en matière de délégation volontaire d'autorité parentale aux fins d'adoption puisque la Cour de cassation ne s'est jamais prononcée sur cette question. De surcroît, l'ancienneté de la pratique de validation du processus par la cour d'appel ne peut pas être invoquée puisque nous venons de démontrer que cette pratique viole les dispositions de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, complétée par la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 et des articles 348-4, 348-5 et 377 du code civil en les contournant. – En second lieu, la pratique de la modulation telle qu'admise par le Conseil d'Etat et le Tribunal des conflits, ne peut davantage être retenue puisqu'elle se fonde sur la sécurité juridique en matière contractuelle, alors que les droits extra-patrimoniaux sont indisponibles en droit français. – En troisième lieu, l'arrêt Wagner précité de la Cour EDH ne peut pas totalement être rapproché au cas d'espèce puisqu'il fait référence au «statut juridique créé valablement», ce qui n'est pas le cas en la cause ainsi que nous l'avons démontré. En outre, il apparaît difficile de considérer la totale bonne foi des candidats métropolitains à la délégation d'autorité parentale en vue de l'adoption en Polynésie française au regard d'une pratique non validée et contestée de longue date ainsi qu'il a été exposé. En revanche, la Cour EDH estime que «la réalité sociale de la situation» doit être prise en compte et que «c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit primer». Alors sans doute la Cour de cassation peut-elle prendre en compte l'atteinte excessive qui serait portée au droit à la vie privée et familiale de l'enfant, et donc à son intérêt supérieur, si la cassation prononcée ne prenait pas en considération la réalité sociale de la situation à la date à laquelle elle va se prononcer. b) L'atteinte excessive au droit à la vie privée et familiale de l'enfant. En l'espèce, il est incontestable que le processus validé par l'arrêt attaqué viole les dispositions des articles 348-4, 348-5 et 377 du code civil. Cependant, nous ne pouvons ignorer que, désormais existent des liens entre l'enfant aujourd'hui âgé de plus de deux ans et ceux qui l'élèvent quasiment depuis sa naissance. Ils ont aujourd'hui, au sens juridique du terme, la qualité de tiers dignes de confiance. Doit-on les contraindre à retourner devant une cour de renvoi ou à reprendre une procédure en délégation d'autorité parentale sur le fondement de l'article 377 du code civil, en sachant que les conditions relatives à la qualité de tiers sont remplies et qu'ils devront choisir lequel d'entre eux sera le délégataire ?

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Ou doit-on faire le constat de l'installation de l'enfant auprès des époux [T] depuis presque deux années et de la nécessité de ne pas fragiliser la situation de l'enfant dès lors que des liens familiaux se sont concrétisés ? Dans cette seconde hypothèse, nous pourrions considérer qu'imposer une nouvelle procédure porterait une atteinte excessive et disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'enfant et des accueillants, consacrée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. C'est la voie que nous vous invitons à suivre en cassant l'arrêt attaqué pour les motifs précédemment exposés qui fixeront clairement le droit pour l'avenir, mais en considérant que, les conditions de la délégation volontaire d'autorité parentale consentie par Mme [S] et M. [M] étant désormais remplies au regard de la condition attachée à la qualité de tiers, cette délégation peut être consentie à Mme [T] seule pour tenir compte du principe d'unicité. Cette délégation d'autorité parentale ne pourra avoir pour finalité l'adoption de l'enfant de sorte que, si les conditions sont remplies et si les époux [T] entendent engager cette démarche, elle devra respecter le cadre juridique posé par le code civil et sans doute aussi le cadre culturel coutumier polynésien en le respectant. Ainsi que le souligne la consultation de la DGOM, jointe au présent avis, «le fa'a'amu est un dispositif traditionnel d'éducation des enfants hors de la famille nodulaire mais, en Polynésie, dans un cadre culturel coutumier polynésien. Si une forme de reconnaissance du fa'a'amu, par l'attribution de l'autorité parentale au sens du droit de l'Etat applicable aux parents accueillants, peut-être envisagée pour permettre l'exercice effectif, par les parents accueillant un enfant dans le cadre du fa'a'amu, du rôle coutumier qui leur est confié à l'égard de l'enfant, cette qualification ne peut, sans atteindre l'intérêt supérieur des enfants, aboutir à l'exode d'enfants polynésiens hors des contraintes du droit à l'adoption. L'intérêt de l'enfant est défini par des normes internationales qui regardent comme prioritaire le droit, pour l'enfant, de vivre avec sa famille ou tout au moins dans sa culture, sur son territoire de naissance.»

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