Cass. soc., Conclusions, 04-10-2023, n° 22-23.551
A85032RD
Référence
AVIS DE Mme BERRIAT, PREMIÈRE AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 1066 du 4 octobre 2023 (B+R) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-23.551 Décision attaquée : 24 novembre 2022 de la cour d'appel de Chambéry Syndicat Union des industries et métiers de la métallurgie de Savoie C/ Syndicat Union syndicale des travailleurs de la métallurgie CGT de la Savoie _________________
Rappel des faits et de la procédure Le dispositif conventionnel de la métallurgie, caractérisé par le grand nombre de conventions territoriales élaborées dans les années 1950, a fait l'objet à partir de 2014 d'un processus de modernisation visant à substituer aux 76 conventions territoriales et à la convention nationale catégorielle couvrant les ingénieurs et cadres, une seule convention collective nationale1. Les partenaires sociaux ont engagé une réflexion paritaire afin de rapprocher les conventions existantes et sont parvenus à un accord de méthode, signé le 27 juin 2016 par l'UIMM, la CFDT, la CGT-FO et la CFE-CGC. Celui-ci pose le principe d'un socle commun « négocié au niveau national » et « destiné à être repris dans son intégralité, paritairement, au niveau territorial ». Il prévoit que « des accords dits « autonomes », 1
Préambule de la convention collective nationale du 7 février 2022.
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qui regrouperont, par thématiques, des règles susceptibles d'évolution rapide en raison d'enjeux sociaux, politiques et économiques » pourront « être applicables à l'ensemble des entreprises de la métallurgie ou être conclus sur un champ d'application national, territorial ou sectoriel ; sur des champs professionnels ou territoriaux restreints »2. Par un accord du 29 septembre 2021, les mêmes parties ont défini l'articulation entre la future convention collective nationale et les conventions territoriales existantes et prévu notamment la possibilité de négocier une « prime conventionnelle territoriale » s'ils constatent d'un commun accord une différence entre l'application de la convention territoriale et celle de la convention nationale3. La convention nationale a été signée le 7 février 2022 par L'UIMM, la CFDT, la CGTFO et la CFE-CGC, sans opposition de la CGT. Comme le rappelle Madame le rapporteur, le préambule de l'avenant contesté du 9 février 2022 dispose notamment qu'« A compter du 1 janvier 2024, la convention collective nationale de la métallurgie sera pleinement applicable en lieu et place des dispositions conventionnelles territoriales auxquelles les entreprises comprises dans leur champ d'application sont actuellement soumises. » Aux termes du premier alinéa de son article 1er « Les partenaires sociaux conviennent que la Convention collective du 29 décembre 1975 modifiée, applicable aux mensuels de la métallurgie de la Savoie et ses avenants et annexe (IDC n° 0822), ainsi que l'ensemble des accords collectifs, leurs avenants et annexes, conclus dans le champ de cette convention collective territoriales, ou dans un champ plus restreint et notamment ceux listés en annexe, sont abrogés et cessent de produire leurs effets à compter de l'entrée en vigueur de la convention collective nationale de la Métallurgie. » Le second alinéa prévoit que les dispositions de la convention nationale relatives à la protection sociale entreront en vigueur au plus tôt le 1er janvier 2023. Enfin l'article 3 précise que « Le présent avenant entre en vigueur au lendemain de la date de son dépôt et entraîne la révision-extinction des dispositions territoriales aux dates indiquées aux articles précédents. » La CGT conteste devant les tribunaux judiciaires plusieurs avenants de révision mettant ainsi fin aux conventions territoriales pour leur substituer la convention nationale du 7 février 2022. La cour d'appel de Chambéry a annulé l'avenant du 9 février 2022 par lequel l'UIMM et les syndicats CFE-CGC, FO et CFDT ont mis fin à la convention territoriale des entreprises métallurgiques de la Savoie du 29 décembre 1975. Outre le pourvoi contre cet arrêt, formé par l'UIMM et doublé d'un pourvoi incident des syndicats signataires de l'avenant de révision, la Cour de cassation est saisie, sous le numéro 23-14.521, d'un pourvoi de la CGT contre un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux qui, au contraire, rejette la demande d'annulation présentée par ce syndicat contre un avenant de révision mettant fin à la convention collective de la Gironde et des Landes.
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Article 1er de l'accord national du 27 juin 2016 relatif à la mise en oeuvre opérationnelle de la négociation de l'évolution du dispositif conventionnel de branche de la métallurgie. 3
Article 2 de l'accord du 29 septembre 2021 portant dispositions en faveur de négociations territoriales et sectorielles en vue de la mise en place d'un nouveau dispositif conventionnel dans la métallurgie. Voir aussi le courrier du 28 juin 2023 du directeur général du travail.
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Le pourvoi principal Le moyen unique du pourvoi principal, articulé en quatre branches, reproche à l'arrêt d'annuler l'accord du 9 février 2022 et soutient dans une première branche que rien n'interdit de mettre fin à un accord collectif par un avenant de révision ; il affirme dans une deuxième branche qu'un tel avenant est soumis aux seules conditions de validité des accords de branches ; la troisième branche fait valoir qu'en se fondant sur l'accord du 29 décembre 1975 pour en déduire qu'il ne pouvait y être mis fin que par dénonciation la cour d'appel a violé l'article 2 de cet accord ; enfin la quatrième branche se fonde sur les articles 1101 à 1103 et 1193 du code civil pour énoncer un principe général de révocation des conventions collectives par consentement mutuel.
Le pourvoi incident Le pourvoi incident formé par les syndicats CFE-CGC, FO et CFDT, aux niveaux local et fédéral, conteste l'annulation de l'avenant du 9 février 2022 en affirmant qu'il peut être mis fin aux dispositions d'un accord collectif de travail par un avenant de révision dont les dispositions se substituent de plein droit à celles de l'accord révisé. L'intervention volontaire de la confédération CGT Par un mémoire déposé le 11 août 2023, la CGT a formé une intervention volontaire au soutien de l'union syndicale des travailleurs CGT de la Savoie et de la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT. Elle affirme qu'elle a intérêt et est recevable à intervenir volontairement dans l'instance parce que le pourvoi pose la question de principe de la validité d'un accord de révision emportant l'extinction d'une convention. Un syndicat a un intérêt à intervenir dans une instance soulevant une question de principe dont la solution est susceptible d'être étendue à tous les adhérents et de présenter un préjudice au moins indirect à l'intérêt collectif de la profession (Soc. 2 juin 1983, n° 81-40.103 P ; Civ. 3e, 24 nov. 1987, n° 85-15.488 P). Or les conditions de la négociation collective concernent tous les membres d'une profession et plus largement l'ensemble des salariés. Par conséquent il y a lieu d'admettre l'intervention volontaire accessoire de la CGT.
Discussion La discussion portera essentiellement sur les première et quatrième branches du pourvoi principal que reprend l'unique branche du moyen du pourvoi incident.
I - La restructuration des conventions collectives dans le secteur de la métallurgie et l'avenant de révision contesté La restructuration des branches fait l'objet d'une réflexion engagée depuis le mois de janvier 2004, date du rapport Virville « Pour un code du travail plus efficace » et poursuivie avec le rapport Poisson de 2009 sur « La négociation collective et les
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branches professionnelles », avant d'aboutir à une première réforme opérée par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014. Cette loi donne au ministre du travail un pouvoir de rationalisation des branches selon des critères cumulatifs énoncés à l'article L. 2261-32 du code du travail. En l'absence de définition légale jusqu'à la loi du 8 août 2016, la branche n'était définie que par ses acteurs, organisations représentatives de salariés ou d'employeurs, et assimilée empiriquement aux conventions collectives qui la régissaient. Ainsi, la restructuration des branches s'est effectuée en réalité par la fusion des champs d'application professionnels et territoriaux des conventions de branche. La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi a étendu les hypothèses dans lesquelles la fusion des branches pouvait être mise en œuvre par le ministre du travail en remplaçant les critères cumulatifs énoncés à l'article L. 2261-32 par des critères alternatifs. Sous l'empire de ces deux lois, le ministre ne pouvait toutefois procéder à la fusion des branches qu'en l'absence d'opposition de la Commission nationale de la négociation collective. Ces dispositions ont été réformées par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, qui fixe l'essentiel des dispositions actuellement applicables. Le législateur a tout à la fois laissé aux partenaires sociaux l'initiative des regroupements et prévu à titre supplétif un dispositif de fusion par arrêté du ministre du travail. Ainsi, aux termes du paragraphe II de l'article 25 de la loi : « I.- Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi : 1° Les organisations professionnelles d'employeurs et les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel engagent une négociation sur la méthode permettant d'atteindre, dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, l'objectif d'environ deux cents branches professionnelles. Les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et multi-professionnel sont associées à cette négociation ; 2° Les organisations liées par une convention de branche engagent des négociations en vue d'opérer les rapprochements permettant d'atteindre cet objectif. ». Les syndicats et organisations patronales représentatives au niveau national et interprofessionnel sont donc invités à engager une négociation sur la méthode permettant d'atteindre, en trois ans, un objectif d'environ 200 branches professionnelles, au lieu des 700 alors dénombrées. La loi définit la branche par ses missions dans un article 2232-5-14 et crée un article L. 2232-5-2 qui affirme que « Les branches ont un champ d'application national. Toutefois, certaines des stipulations de leurs conventions et accords peuvent être définies, adaptées ou complétées au niveau local. / Les organisations d'employeurs constituées conformément à l'article L. 2131-2 affiliées ou adhérentes aux organisations d'employeurs reconnues représentatives dans la branche sont habilitées à négocier, dans le périmètre de la branche, des accords collectifs dont le champ 4
Article L 2232-5-1 La branche a pour missions : 1° De définir, par la négociation, les garanties applicables aux salariés employés par les entreprises relevant de son champ d'application, notamment en matière de salaires minima, de classifications, de garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale, de mutualisation des fonds de la formation professionnelle, de prévention de la pénibilité prévue au titre VI du livre Ier de la quatrième partie du présent code et d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mentionnée à l'article L. 2241-3 ; 2° De définir, par la négociation, les thèmes sur lesquels les conventions et accords d'entreprise ne peuvent être moins favorables que les conventions et accords conclus au niveau de la branche, à l'exclusion des thèmes pour lesquels la loi prévoit la primauté de la convention ou de l'accord d'entreprise ; 3° De réguler la concurrence entre les entreprises relevant de son champ d'application.
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d'application est régional, départemental ou local, et à demander l'extension de ces accords. » Elle réécrit ensuite l'article L. 2261-32 pour définir six critères alternatifs permettant au ministre d'engager la procédure de fusion du champ d'application des conventions collectives de branche. Parmi ceux-ci figure au 3° de l'article le caractère limité du champ territorial, régional ou local d'une convention. Elle supprime le pouvoir d'opposition détenu par la Commission nationale de la négociation collective et prévoit que la fusion entraîne une négociation des partenaires sociaux en vue de l'adoption de « stipulations communes » en lieu et place des stipulations des conventions collectives fusionnées lorsque celles-ci régissent des « situations équivalentes »5. Enfin, pour favoriser l'évolution du dispositif conventionnel, elle modifie l'article L. 22224 et fait de la convention à durée déterminée de cinq ans la norme usuelle6. Les modifications intervenues depuis sont de moindre importance : l'ordonnance 20171385 précise le critère tenant à la faiblesse de l'effectif en fixant le seuil à 5 000 salariés et la loi du 5 septembre 2018 ajoute un critère de fusion tenant à l'absence de capacité d'une branche à organiser la formation professionnelle et l'apprentissage. Cependant, comme le relève Bérénice Bauduin « le législateur s'est davantage intéressé à la restructuration imposée par arrêté ministériel qu'à la restructuration négociée et ce, malgré la volonté affichée de donner la priorité aux rapprochements volontaires (en ce sens V. Le pré-rapport Ramain, dévoilé en 2020, p. 13). Les articles L. 2261-33 et L. 2261-34 du Code du travail se contentent ainsi de saisir les effets du regroupement volontaire sur la négociation d'un accord unique (dit de « remplacement ») dans le périmètre du nouveau champ conventionnel mais ne prévoient aucune règle destinée à encadrer la négociation de l'accord de regroupement en tant que tel (...) Le constat de l'absence de dispositions spécifiques applicables à la négociation d'un accord de regroupement des champs conventionnels doit également être fait s'agissant des conditions de validité de ce dernier. Ici encore le législateur est resté silencieux. En particulier, l'article L. 2261-34 du Code du travail qui ne fixe, en son troisième alinéa, que les conditions de validité de l'accord de remplacement, destiné à se substituer aux accords de branche ayant vu leurs champs conventionnels être regroupés, est muet quant aux conditions de validité de l'accord de regroupement. 7 » En l'espèce, le remplacement des 76 conventions territoriales de la métallurgie par une seule convention nationale avait pour objet de clarifier les normes conventionnelles applicables dans la branche afin, selon le directeur général de l'UIMM de « favoriser la
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Article L. 2261-33 du code du travail.
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Article L. 2222-4 : « La convention ou l'accord est conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. / A défaut de stipulation de la convention ou de l'accord sur sa durée, celle-ci est fixée à cinq ans. / Lorsque la convention ou l'accord arrive à expiration, la convention ou l'accord cesse de produire ses effets. » 7
La Semaine Juridique - Social n° 27-28, 12 Juillet 2022, 1195 Le regroupement négocié des champs conventionnels placé sous le signe de la liberté contractuelle
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compétitivité des entreprises, créer un dispositif agile permettant de s'adapter vite aux évolutions et de simplifier et sécuriser les normes conventionnelles.8 » Pour mener à bien cette opération, les partenaires sociaux devaient surmonter deux difficultés principales. Tout d'abord, compte tenu de l'ancienneté des conventions territoriales, certains syndicats signataires avaient cessé de remplir les conditions de représentativité permettant de conclure un avenant de révision ou de poursuivre le processus de dénonciation conformément aux articles L. 2261-9 à L. 2261-13 du code du travail. De plus, la dénonciation des conventions territoriales pouvait poser des problèmes de concours de norme ou de vide conventionnel lorsque le terme de la période de survie ne correspondait pas avec la date d'entrée en vigueur de la convention collective nationale du 7 février 2022. Cette procédure, suivie pour six des 76 conventions territoriales, conduit pour celles de l'Indre et du Lot et Garonne à la survie de la convention territoriale durant quelques semaines après le 1 er janvier 2024, créant de l'insécurité juridique pour les entreprises comme pour les salariés9. Ce chantier lancé avant la loi de 2016 et dont l'UIMM affirme qu'il « n'est pas motivé par la volonté des pouvoirs publics de restructurer les branches professionnelles pour en réduire le nombre10 », répond cependant à l'objectif défini en 2014 d'inciter les partenaires sociaux à restructurer les branches en fusionnant les conventions collectives. La démarche produit les effets souhaités par le législateur de 2016, qui consistent notamment à fusionner les conventions ayant un champ territorial limité et à donner son plein effet à l'article L. 2232-5-2 selon lequel les branches ont un champ d'application national. Les négociations engagées correspondent à l'objectif énoncé au paragraphe II de l'article 25 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et mettent en place un dispositif similaire à celui que prévoit l'article L. 2261-33. En effet, après l'accord relatif à la mise en oeuvre opérationnelle de la négociation du 27 juin 2016 et l'accord national conclu le 29 septembre 2021, la convention du 7 février 2022 a fixé au 1er janvier 2024 la date de son entrée en vigueur, sauf pour les stipulations relatives à la protection sociale, applicables au plus tard au 1er janvier 2023. Autrement dit, le processus de négociation associant l'ensemble de la branche au niveau national, a permis d'aboutir à une convention qui dans les deux ans suivant la date d'effet de la fusion, soit entre février 2022 et janvier 2024, aura remplacé les stipulations conventionnelles applicables avant la fusion par des stipulations communes, respectant ainsi le délai maximal de cinq ans prévu par l'article L. 2261-33.
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Semaine Sociale Lamy, N° 1757, 20 février 2017 Réfléchir au projet social de la métallurgie Hubert Mongon Délégué général UIMM
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Note de la direction générale du travail du 28 juin 2023, page 5.
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Même article.
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II - Les modalités de révision des accords collectifs En première instance comme en appel, la CGT a soutenu que la disparition d'une convention collective ne pouvait résulter que de la dénonciation ou de la mise en cause. Le mémoire en défense de la CGT devant votre chambre conteste la validité de l'accord de révision en se fondant sur l'arrêt Basirico du 9 mars 1989 qui juge que « Si des organisations représentatives peuvent valablement signer un accord collectif modifiant partiellement une convention collective, le nouvel accord, s'il n'a pas été signé par l'ensemble des signataires initiaux de la convention collective et adhérents ultérieurs, ne peut, à défaut de dénonciation régulière de la convention, être opposé à des salariés qui réclament le bénéfice d'un avantage prévu à ladite convention et supprimé par l'accord. 11». Le mémoire en déduit que « les parties à l'accord collectif qui ne veulent pas l'interpréter ou le modifier, mais le résilier ne peuvent alors que le dénoncer de façon régulière, donc en appliquant le régime de la dénonciation. Autrement dit, ce qui valait sous l'arrêt Basirico, à savoir la dénonciation comme seule alternative à la révision lorsque ses conditions n'étaient pas remplies, vaut aujourd'hui au plus fort, lorsque les parties à l'accord collectif ne souhaitent pas modifier l'accord, mais le résilier. » 12. Plus loin, il reproche au pourvoi d'affirmer que « c'est la signature par la partie patronale d'un avenant (obéissant au régime de la révision, donc signé par les seuls syndicats représentatifs majoritaires) qui permettrait d'éteindre une convention collective, c'est à dire d'obtenir un résultat que même l'accord de tous les syndicats salariés signataires de l'accord initial (voire des seuls syndicats représentatifs majoritaires en cas de perte de la représentativité de l'un d'eux) ne pourraient de toute façon pas obtenir (puisque se déclenche le régime de la dénonciation) » et soutient que « Le régime de la dénonciation ayant donc précisément pour objet d'éviter l'extinction de la convention collective et le vide conventionnel qui en résulterait, il doit s'appliquer que la résiliation soit unilatérale ou qu'elle soit conventionnelle 13. » Avant l'arrêt Basirico, la révision des conventions collectives et accords reposait sur le principe de représentativité "erga omnes" de chaque organisation syndicale représentative des salariés. L'avenant de révision d'une convention ou d'un accord collectif, même s'il n'était signé, du côté des salariés, que par une seule organisation syndicale représentative, se substituait de plein droit aux dispositions anciennes et était opposable à l'ensemble des salariés et employeurs liés par la convention ou l'accord. L'arrêt Basirico, confirmé en Assemblée plénière le 20 mars 1992 14, a fait prévaloir une analyse contractuelle sur la notion de représentativité des syndicats signataires. Il a pu être décrit comme une décision « remettant en cause les fondements mêmes de la
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Soc 9 mars 1989, n° 86-44.025 P.
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Mémoire en défense page 11.
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Mémoire en défense page 15.
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Ass. Plen. 20 mars 1992, n° 89-44.503
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négociation collective » en se fondant sur un raisonnement purement civiliste 15. La doctrine l'a vivement critiqué et lui a principalement reproché d'être un frein au développement de la norme conventionnelle16. En réaction à cet arrêt, la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 a exclu expressément, pour la révision d'un accord collectif de travail, toute exigence d'unanimité des organisations syndicales signataires de l'accord d'origine. Les syndicats signataires ou adhérents à la convention demeuraient seuls habilités à signer les avenants sous réserve d'un droit d'opposition limité aux avenants de révision qui réduisaient ou supprimaient un avantage individuel ou collectif dont bénéficiaient les salariés en application de l'accord 17. La loi du 4 mai 2004 a maintenu, au bénéfice des syndicats représentatifs signataires, l'exclusivité du pouvoir de réviser l'accord initial et soumis l'avenant de révision aux dispositions générales relatives à la négociation et à la conclusion des accords collectifs de travail. Une organisation syndicale représentative pouvait donc réviser l'accord dont elle était signataire, sans condition tenant à la signature des autres parties à l'accord d'origine. L'accord de révision se substituait ainsi à ce dernier et était opposable aux salariés, sauf opposition d'autres organisations syndicales ayant recueilli plus de la moitié des voix.
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La semaine juridique - social, n° 27 du 7 juillet 2015, Olivier Dutheillet de Lamotte.
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La révision de l'accord collectif : le sort de l'accord dépourvu de clause de révision. Laurent Marquet de Vassalot, La semaine juridique - social n° 30, 26 juillet 2011, 1361. 17
Article L. 132-7 de l'ancien code du travail : « Les organisations syndicales de salariés représentatives au sens de l'article L. 132-2 qui sont signataires d'une convention ou d'un accord collectif de travail ou qui y ont adhéré conformément aux dispositions de l'article L. 132-9 du présent code sont seules habilitées à signer les avenants portant révision de cette convention ou de cet accord. Sous réserve de l'exercice du droit d'opposition prévu par les I à III du présent article, l'avenant portant révision de tout ou partie de la convention ou de l'accord collectif, signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés visées à l'alinéa précédent, se substitue de plein droit aux stipulations de la convention ou de l'accord qu'il modifie et est opposable, dans les conditions fixées à l'article L. 132-10 du présent code, à l'ensemble des employeurs et des salariés liés par la convention ou l'accord collectif de travail. I. - Les avenants de révision susceptibles d'ouvrir droit à opposition dans les conditions fixées aux II et III ci-après sont, à l'exclusion de tous autres, ceux qui réduisent ou suppriment un ou plusieurs avantages individuels ou collectifs dont bénéficient les salariés en application de la convention ou de l'accord qui les fondent. II. - Une ou des organisations syndicales de salariés représentatives au sens de l'article L. 132-2 peuvent, lorsqu'elles ne sont pas signataires d'un avenant portant révision d'une convention ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement, s'opposer dans un délai de huit jours à compter de la signature de cet avenant, à l'entrée en vigueur de ce texte, à condition d'avoir recueilli les voix de plus de la moitié des électeurs inscrits lors des dernières élections au comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. III. - Les organisations syndicales de salariés représentatives au sens de l'article L. 132-2, signataires ou adhérentes d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, peuvent s'opposer à l'entrée en vigueur d'un avenant portant révision de cette convention ou de cet accord dans un délai de quinze jours à compter de la date de sa signature. L'opposition d'une organisation syndicale adhérente à la convention de branche ou à l'accord professionnel ou interprofessionnel n'est prise en compte qui si cette adhésion est antérieure à la date d'ouverture de la négociation de l'avenant portant révision. L'opposition ne peut produire effet que lorsqu'elle émane de la majorité des organisations syndicales ainsi définies. Les dispositions du présent paragraphe ne sont applicables qu'à défaut de stipulations différentes concernant la révision des conventions et accords conclus par l'ensemble des organisations représentatives liées par ces conventions et accords. »
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Par un arrêt du 13 novembre 2008 votre chambre a jugé en application de cette loi que «lorsque l'accord initial ne prévoit pas les modalités de sa révision, il résulte de l'article L. 2261-7 du Code du travail que, d'une part, le consentement unanime des signataires est nécessaire pour engager la procédure de révision et que, d'autre part, les organisations syndicales signataires sont seules habilitées à signer l'avenant de révision selon les règles applicables à chaque niveau de négociation» 18. La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a renforcé la légitimité des organisations syndicales, notamment dans le cadre des négociations collectives, en attachant leur représentativité aux résultats des élections professionnelles. La loi du 8 août 2016, dont l'ambition était notamment de rendre possible le changement et l'adaptation des conventions collectives aux évolutions de l'entreprise, a modifié la règle énoncée par l'arrêt du 13 novembre 2008, mais elle a conservé la distinction entre une première phase de décision portant sur l'engagement de la procédure de révision et une seconde phase relative à la négociation de l'accord. En application de cette loi, sont habilités à engager la procédure de révision d'une convention ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement : 1°) jusqu'à la fin du cycle électoral au cours duquel cette convention ou cet accord a été conclu, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d'application de la convention ou de l'accord et signataires ou adhérentes de cette convention ou de cet accord ; 2°) à l'issue de cette période, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d'application de la convention ou de l'accord sans qu'elles soient signataires ou adhérentes de l'accord initial (C. trav., art. L. 2261-7-1) Le consentement unanime des signataires n'est plus exigé pour l'ouverture de la procédure de révision. Vous avez jugé par un arrêt du 21 septembre 2017, statuant sur situation antérieure à l'application de la loi du 8 août 2016, que « L'évolution des conditions d'acquisition par une organisation syndicale de la représentativité telle qu'elle résulte de la loi n° 2008789 du 20 août 2008 conduit à apprécier différemment, en application de l'article L. 2261-7 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les conditions mises à la révision d'un accord collectif d'entreprise. Aux termes de l'article L. 2261-7 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, les organisations syndicales de salariés représentatives, signataires d'une convention ou d'un accord ou qui y ont adhéré conformément aux dispositions de l'article L. 2261-3 du code du travail, sont seules habilitées à signer, dans les conditions prévues au chapitre II du titre III, les avenants portant révision de cette convention ou de cet accord . Il en résulte que l'organisation syndicale de salariés qui, signataire d'un accord d'entreprise, n'est plus représentative pour la durée du cycle électoral au cours duquel la révision d'un accord d'entreprise est proposée, ne peut s'opposer à la négociation d'un tel accord . 19 »
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Soc, 13 novembre 2008, 07-42.481 P
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Soc 21 septembre 2017, n° 15-25.531 P
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Les modalités de révision des accords collectifs actuellement en vigueur sont donc très différentes de celles qu'avait définies votre arrêt Basirico. Est-il néanmoins possible de déduire de cet arrêt une règle qui interdirait de mettre fin à une convention collective autrement qu'en le dénonçant suivant la procédure définie aux articles L. 2261-9 à L. 2261-13 ? Il s'agirait à mon avis d'une sur-interprétation. En effet, la lecture de votre décision indique clairement que la question posée par le pourvoi était de savoir si la convention initiale pouvait être modifiée par un accord signé par des syndicats représentatifs mais non signataires, en l'absence de demande d'annulation judiciaire. C'est d'ailleurs ainsi que la doctrine a compris l'arrêt, focalisant ses critiques sur le caractère excessivement conservateur d'une règle qui remettait le pouvoir de révision aux seuls syndicats signataires. Mais surtout, lui faire dire que la dénonciation serait la seule façon de mettre fin à une convention alors que les règles relatives à la représentativité des syndicats ont été fondamentalement modifiées et que la loi confie à la négociation collective, particulièrement depuis 2016, une part toujours croissante de l'élaboration des normes applicables à la relation de travail paraît anachronique. Il ne peut donc pas être tiré de cette jurisprudence ancienne une règle selon laquelle l'extinction d'une convention collective ne résulterait que de sa dénonciation. Si votre jurisprudence n'impose pas cette règle, faut-il considérer que le code du travail, qui ne prévoit pas explicitement la possibilité de mettre fin à une convention collective par un accord collectif, interdirait aux partenaires sociaux de procéder ainsi ? L'article L. 2261-8 relatif aux avenants ne prévoit pas l'extinction et dispose que « L'avenant portant révision de tout ou partie d'une convention ou d'un accord se substitue de plein droit aux stipulations de la convention ou de l'accord qu'il modifie. » Pris à la lettre, cet article permet de modifier tout le contenu d'un accord, mais ne prévoit pas la possibilité d'y mettre fin. En l'espèce il aurait donc été possible d'imaginer un processus dans lequel l'ensemble des clauses de la convention nationale du 7 février 2022 aurait été substitué au contenu initial de la convention territoriale de la Savoie. Toutefois, cette façon de procéder n'aurait pas permis aux partenaires sociaux d'atteindre l'objectif de regroupement des conventions territoriales qu'ils s'étaient fixé. Il en va de même avec la dénonciation car ce dispositif est conçu pour contraindre les parties signataires de la convention dénoncée à négocier un nouvel accord. Parce qu'elle aurait incité les parties à conclure un nouvel accord au niveau territorial, elle n'aurait pas permis de constituer un socle de normes communes à la branche nationale de la métallurgie. Pour résumer, le code du travail, qui depuis la loi de 2016 fait injonction aux partenaires sociaux de fusionner les conventions collectives, notamment celles conclues au niveau territorial, ne fixe pas les règles pour y parvenir. Et les modalités d'extinction des conventions existantes qu'il contient ne permettent pas d'atteindre l'objectif qu'il fixe. Par ailleurs, il n'énonce expressément aucune limite au pouvoir de révision des accords par les partenaires sociaux. Il faut donc en déduire que le législateur s'en remet à ces derniers pour définir les règles de fusion des accords, conformément au principe de la liberté contractuelle en matière de négociation collective.
III - Le principe de la liberté contractuelle en matière de négociation collective Le pourvoi vous invite ainsi à combler un manque dans le dispositif de regroupement des branches, ici du point de vue territorial. Dans le silence du code du travail quant aux modalités offertes aux partenaires sociaux pour regrouper dans une seule 10
convention nationale les dispositions de nombreuses conventions territoriales, un principe s'impose, celui de la liberté conventionnelle, reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-816 QPC du 29 novembre 2019. Dans cette affaire, les requérants20 reprochaient aux dispositions des alinéas 1 et 12 de l'article L. 2261-32 de donner au ministre du travail le pouvoir de fusionner les branches et critiquaient les critères prévus aux 1°, 2°, 3° et 5° et au 8° alinéa du I de cet article. Le Conseil constitutionnel a reconnu qu'en matière de négociation collective la liberté conventionnelle découlait des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 et de l'article 4 de la Déclaration de 1989. Il a également jugé que le législateur pouvait y apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un intérêt général à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi21. Puis il a jugé que les dispositions des articles L. 2261-32 et L. 2261-33 portaient atteinte à cette liberté, mais que le législateur poursuivait un objectif d'intérêt général avec lequel étaient en rapport les critères contestés, notamment celui, prévu au 3° de l'article L. 2261-32, de la fusion des conventions territoriales22. Or en matière de négociation collective la liberté contractuelle consiste dans le respect des conventions conclues, mais aussi dans le fait pour les partenaires sociaux de pouvoir en conclure de nouvelles en leur donnant le contenu qu'ils estiment utile. Elle commande donc de donner leur plein effet aux stipulations des accords des 27 juin 2016 et 29 septembre 2021, comme à celles de la convention nationale du 7 septembre 2022, négociées dans des conditions conformes au code du travail, ce que la CGT ne conteste pas. De surcroît, l'UIMM et les syndicats signataires de la convention nationale du 7 février 2022 ont entendu poursuivre un objectif que le Conseil constitutionnel a déclaré d'intérêt général, celui de faire disparaître une multitude de conventions territoriales au profit d'une seule convention nationale, conformément à l'article L. 2232-5-2 qui dispose que « Les branches ont un champ d'application national (…)». C'est d'ailleurs ce principe de liberté contractuelle en matière de négociation collective que vous avez fait prévaloir dans votre arrêt du 21 avril 2022, n° 20-18.799 B relatif à la fusion de plusieurs branches professionnelles dans le secteur du bâtiment. 23. Vous aviez alors laissé de côté les articles L. 2261-33 du code du travail et L. 2232-9 dont il se déduisait que la conclusion d'un accord de regroupement des champs devait être suivie de la négociation d'un accord de remplacement unique et qu'une seule CPPNI devait être créée24. Alors que la possibilité d'instaurer deux conventions 20
La fédération nationale du cinéma, de l'audio-visuel et de l'action culturelle CGT (CGT spectacle).
21
Paragraphe 10 de la décision n° 2019-816 QPC.
22
Paragraphes 17 et 18 de la même décision.
23
Article L. 2232-9 : « I.-Une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation est mise en place par accord ou convention dans chaque branche. (...) » 24
Article L. 2261-33 «En cas de conclusion d'un accord collectif regroupant le champ de plusieurs conventions existantes, les stipulations conventionnelles applicables avant (...) le regroupement, lorsqu'elles régissent des situations équivalentes, sont remplacées par des stipulations communes, dans un délai de cinq ans à compter de la date d'effet (...) du regroupement».
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collectives distinctes aussitôt l'accord de regroupement conclu ne paraissait pas autorisée par ces textes, votre solution s'est fondée sur une conception très libérale de la négociation collective pour laisser les partenaires sociaux organiser le dialogue social selon les modalités qu'ils avaient choisies. C'est le même raisonnement, fondé sur ce même principe de liberté de la négociation collective ainsi que sur les articles 1101, 1103 et 1193 du code civil, qui devrait vous conduire à interpréter largement les articles L. 2261-7 et L. 2261-8 du code du travail en les combinant avec l'article L. 2222-4, qui habilite les partenaires sociaux fixer le terme d'une convention collective et à déterminer sa durée par voie d'accord, lequel peut être conclu selon les modalités définies par les articles L. 2261-7 et L. 2261-8. Vous pourriez alors recevoir les première et quatrième branches du moyen unique du pourvoi principal ainsi que le pourvoi incident et casser l'arrêt attaqué. La deuxième branche du pourvoi principal est inopérante car la cour d'appel n'a pas fondé sa décision sur l'absence de validité de l'avenant de révision mais sur son objet et ses effets. La troisième branche justifierait la cassation car contrairement à ce qu'affirme l'arrêt, la convention du 29 décembre 1975 n'a pas prévu expressément que les parties ne pourraient y mettre fin que par dénonciation.
Avis de cassation sur les première, troisième et quatrième branches du pourvoi principal et sur le pourvoi incident.
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