Cass. crim., Conclusions, 12-07-2022, n° 20-86.652
A84992R9
Référence
AVIS DE M. VALAT, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 773 du 12 juillet 2022 (FS- B) – Chambre criminelle Pourvoi n° 20-86.652 Décision attaquée : chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 16 novembre 2020, M. [V] [B] _________________
Pourvoi formé par M. [V] [B] contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, en date du 16 novembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'enlèvement et séquestration d'otage pour obtenir l'exécution d'un ordre ou d'une condition avec libération volontaire avant le septième jour commis en bande organisée, association de malfaiteurs, a prononcé sur sa requête en annulation d'actes de la procédure.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Le 22 décembre 2019, [Y] [W] prévenait la police que son fils [Z], âgé de 17 ans, avait été enlevé et était séquestré par des personnes pour le compte desquelles il
avait assuré la garde de produits stupéfiants qui lui avaient été dérobés. Les ravisseurs lui demandaient de leur rembourser 500 000 euros. [Y] [W] expliquait avoir reçu la nuit précédente de nombreux appels de la part de son fils, terrorisé. Les ravisseurs avaient indiqué vouloir rencontrer [Y] [W] au [Adresse 1] dans le [adresse 2] . [Y] [W] avait reçu une photo de son fils sur la tempe duquel un pistolet automatique était braqué. Le procureur de la République autorisait la géolocalisation du téléphone de [Z] [W] ainsi que celles de deux téléphones utilisés par les ravisseurs. Diverses personnes étaient ainsi interpellées puis mises en examen dont M. [V] [B] qui présentait une requête en annulation visant, notamment, les opérations de géolocalisation des téléphones portables utilisés par les ravisseurs. Cette requête était rejetée par l'arrêt attaqué contre lequel M. [B] s'est régulièrement pourvu en cassation. Il a fait déposer un mémoire ampliatif et présenter une question prioritaire de constitutionnalité.
ANALYSE SUCCINCTE DES MOYENS La question prioritaire de constitutionnalité met en cause la constitutionnalité des articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale en ce qu'ils permettent au procureur de la République d'ordonner des géolocalisations. Le mémoire ampliatif soutient deux moyens. Le premier moyen de cassation reproche à la chambre de l'instruction d'avoir rejeté le moyen tiré de la nullité des autorisations de géolocalisation des lignes téléphoniques n°06.17.35.74.31 et n°06.41.29.96.39 ; Alors que d'une part, en édictant les dispositions des articles 230-32 et 230-33 du Code de procédure pénale – lesquelles autorisent, dans le cadre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou d'une procédure prévue aux articles 74 à 74-2, le recours à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel d'une personne, à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, par décision du seul procureur de la République et sans contrôle préalable par une juridiction indépendante pour une durée maximale de quinze jours ou huit jours consécutifs selon les cas –, le législateur a, d'une part, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ainsi qu'aux droits de la défense et à un recours effectif et, d'autre part, méconnu sa propre compétence en affectant ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a rejeté la demande d'annulation des autorisations de géolocalisation prises par le seul procureur de la République sur le fondement de ces textes ; que dès lors, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale consécutivement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra ;
Alors que d'autre part, l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte, s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale (CJUE, 2 mars 2021, H.K/Prokuratuur, Aff. C-746/18) ; que, dès lors, en refusant d'annuler les décisions d'autorisation de géolocalisation des lignes téléphoniques n°06.17.35.74.31 et n°06.41.29.96.39, prises par le seul procureur de la République sur le fondement des articles 230-32 et 230-33 du Code de procédure pénale sans contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative indépendante, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ; Alors qu'enfin, toute ingérence dans le droit au respect de la vie privée doit être nécessaire et proportionnée, ce qui implique qu'elle soit entourée de garanties adéquates et suffisantes contre les abus ; qu'en refusant d'annuler les décisions d'autorisation de géolocalisation des lignes téléphoniques n°06.17.35.74.31 et n°06.41.29.96.39 prises par le seul procureur de la République, lorsque ce magistrat, qui dirige la procédure d'enquête et exerce l'action publique, est partie à la procédure et, par conséquent, ne présente pas les garanties d'impartialité et d'indépendance nécessaires pour apprécier la nécessité et la proportionnalité de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent les opérations de géolocalisation, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le second moyen de cassation (subsidiaire par rapport au premier moyen) reproche à la chambre de l'instruction d'avoir rejeté le moyen tiré de la nullité des autorisations de géolocalisation des lignes téléphoniques n°06.17.35.74.31 et n°06.41.29.96.39 ; Alors que d'une part, la décision du procureur de la République autorisant, à l'occasion d'une enquête de flagrance, une opération de géolocalisation, doit être écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire ; que la chambre de l'instruction, saisie d'une requête en annulation de cette décision prise par le procureur de la République, au motif du défaut de motivation de cette dernière conformément aux exigences légales, ne peut substituer sa propre motivation à celle de ce magistrat ; qu'en l'espèce, par une décision écrite prise au visa de « l'enquête de flagrance conduite sur des faits d'enlèvement, séquestration en bande organisée », le procureur de la République a autorisé la géolocalisation de la ligne téléphonique n°06.17.35.74.31 aux seuls motifs que « les nécessités de l'enquête exigent qu'il soit procédé à des réquisitions aux fins de géolocalisation en temps réel » de cette ligne téléphonique « utilisée par un des ravisseurs » ; qu'en écartant la demande d'annulation de cette autorisation, motifs pris que celle-ci « expose explicitement les éléments de fait rendant ces opérations aussi nécessaires qu'éminemment urgentes, à savoir l'utilisation de cette ligne téléphonique par l'un des auteurs des faits d'enlèvement et de séquestration en cours au moment où l'autorisation critiquée a été sollicitée et accordée, faits susceptibles d'exposer leur auteur à des peines criminelles et aussi d'aboutir à des conséquences extrêmes pour la victime, conséquences dont il existait alors des raisons plausibles de penser que seule une réaction rapide et efficace des autorités publiques pouvait permettre de les limiter », lorsque la décision du procureur de la République n'exposait aucun élément factuel susceptible d'établir l'existence d'un lien entre les ravisseurs et la ligne téléphonique dont elle autorisait la géolocalisation et qu'elle ne mentionnait ni ne caractérisait l'existence d'une quelconque urgence, la chambre de l'instruction, qui ne pouvait
substituer ses propres motifs à ceux de la décision du procureur de la République, a violé les articles préliminaire, 230-32 et 230-33 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; Alors que d'autre part, la décision du procureur de la République autorisant, à l'occasion d'une enquête de flagrance, une opération de géolocalisation, doit être écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire ; que la chambre de l'instruction, saisie d'une requête en annulation de cette décision prise par le procureur de la République, au motif du défaut de motivation de cette dernière conformément aux exigences légales, ne peut substituer sa propre motivation à celle de ce magistrat ; qu'en l'espèce, par une décision écrite prise au visa de « l'enquête de flagrance diligentée (…) sur des faits d'enlèvement et séquestration sans libération volontaire en bande organisée », le procureur de la République a autorisé la géolocalisation de la ligne téléphonique n°06.41.29.96.39 aux motifs que « les nécessités de l'enquête exigent qu'il soit procédé à des réquisitions aux fins de géolocalisation en temps réel » de cette ligne téléphonique « non identifiée à ce jour mais susceptible d'être utilisée par l'un des auteurs des faits » ; qu'en écartant la demande d'annulation de cette autorisation, motifs pris que celle-ci « expose explicitement les éléments de fait rendant ces opérations aussi nécessaires qu'éminemment urgentes, à savoir l'utilisation de cette ligne téléphonique par l'un des auteurs des faits d'enlèvement et de séquestration en cours au moment où l'autorisation critiquée a été sollicitée et accordée, faits susceptibles d'exposer leur auteur à des peines criminelles et aussi d'aboutir à des conséquences extrêmes pour la victime, conséquences dont il existait alors des raisons plausibles de penser que seule une réaction rapide et efficace des autorités publiques pouvait permettre de les limiter », lorsque la décision du procureur de la République n'exposait aucun élément factuel susceptible d'établir l'existence d'un lien entre les ravisseurs et la ligne téléphonique dont elle autorisait la géolocalisation et qu'elle ne mentionnait ni ne caractérisait l'existence d'une quelconque urgence, la chambre de l'instruction, qui ne pouvait substituer ses propres motifs à ceux de la décision du procureur de la République, a violé les articles préliminaire, 230-32 et 230-33 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
DISCUSSION 1. Le moyen est-il nouveau Le moyen pris de l'incompétence du procureur de la République pour autoriser la géolocalisation n'a pas été soulevé devant la chambre de l'instruction dont l'arrêt est attaqué. Le demandeur soutient qu'il s'agit d'un moyen de pur droit. Il ne semble pas que l'on puisse considérer que la seule invocation du droit de l'Union constitue un moyen de pur droit1. Cependant, le moyen me parait recevable quand même pour les raisons suivantes.
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CJCE, arrêt du 7 juin 2007, J.W, C-222/05 à 225/05, points 41-42 ; Tribunal, arrêt 8 juillet 2010, Commission c. Françoise P…, T-160/08 P, point 38)
Une question prioritaire de constitutionnalité constitue un moyen à l'appui du pourvoi, comme l'a justement relevé la 2e chambre civile de votre Cour2. Si Le moyen pris de l'incompétence du procureur de la République pour autoriser la géolocalisation avait été irrecevable comme nouveau, vous n'en auriez pas saisi le Conseil constitutionnel puisque, même en cas de déclaration d'inconstitutionnalité, vous auriez du déclarer le moyen irrecevable. D'autre part, la jurisprudence de la CJUE invoquée par le moyen est issue de l'arrêt Prokuratuur rendu le 2 mars 2021 soit postérieurement à l'arrêt attaqué prononcé le 16 novembre 2020. Cette position de la CJUE ne ressortait pas de son arrêt Tele2 Sverige du 21 décembre 2016 et pas explicitement de l'arrêt Quadrature du Net du 6 octobre 2020 rendu dix jours avant la tenue des débats dans l'affaire qui vous est soumise. Il n'est pas possible de reprocher à un demandeur de ne pas s'être prévalu d'une jurisprudence qui n'existait pas encore lorsque son affaire a été examinée par la chambre de l'instruction. Enfin, vous pourriez également considérer que le moyen consistant à soutenir que le procureur de la République n'était pas compétent pour autoriser une localisation en temps réel et que l'autorisation aurait dû être donnée par une juridiction (la possibilité que l'autorisation soit donnée par une autorité administrative indépendante semble plutôt, dans la tradition juridique française, concerner les actes autorisés en dehors d'une enquête judiciaire où c'est plutôt un magistrat qui délivre les autorisations), revient à exciper d'une incompétence qui peut être invoquée en tout état de la procédure3. Vous avez certes distingué en considérant que l'exception tirée de l'incompétence d'un service enquêteur ne pouvait être soulevée qu'avant tout débat au fond, car quoique s'agissant d'une nullité substantielle, elle n'affectait pas la compétence juridictionnelle4 mais qu'en revanche, lorsque c'est la compétence de la juridiction de renvoi elle-même qui est affectée, l'exception est recevable5. Il peut être rappelé que vous jugez que l'irrégularité tenant au fait qu'un officier de police judiciaire qui délivre une réquisition à personne qualifiée ou à un opérateur de téléphonie se
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2e Civ., 21 juin 2012, pourvoi n° 12-60.176
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Crim., 15 février 2000, pourvoi n° 99-81.685, Bull. crim. 2000, n° 70
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Crim., 13 novembre 1996, pourvoi n° 95-84.897, Bull. crim. 1996, n° 405
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Crim., 7 juin 2000, pourvoi n° 99-82.788, Bull. crim. 2000, n° 219
passe de l'autorisation du procureur de la République échappe aux prévisions de l'article 802 du code de procédure pénale et peut être invoquée par toute personne y ayant intérêt6. Si cette position tient au fait que, ce faisant, l'officier de police judiciaire empiète sur la compétence du procureur de la République et se substitue à lui, vous pourriez éventuellement retenir, dans le même esprit, que le moyen qui soutient que l' autorisation de géolocalisation doit être donnée par un juge indépendant et non par le procureur de la République revient à alléguer que le ministère public se substitue au juge et empiète sur des prérogatives que lui seul peut exercer, constitue une question de compétence invocable pour la première fois en cassation. 2. Le moyen entendant tirer les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité à intervenir La 1ère branche du 1er moyen soutient que la déclaration d'inconstitutionnalité des articles230-32 et 230-33 du code de procédure pénale qui sera prononcée privera l'arrêt de base légale. Par décision du 9 juin 2021, vous avez saisi le Conseil constitutionnel qui, par décision n° 2021-930 QPC du 23 septembre 2021, a jugé que la première phrase du 1 ° de l'article 230-33 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui donne compétence au procureur de la République pour autoriser une localisation en temps réel pour 8 ou 15 jours selon le type d'enquête, était conforme à la Constitution. La 1ère branche du 1er moyen est donc devenue sans objet.
3 - Conformité de la géolocalisation autorisée par le procureur de la République au droit européen Les deuxième et troisième branches du premier doivent être examinées ensemble. Les géolocalisations en temps réel des téléphones répondant aux numéros 06.17.35.74.31 et 06.41.29.96.39 utilisés par les ravisseurs ont été autorisées par un vice-procureur de la JIRS de Marseille (D18, D37) le 22 décembre 2019 pour 6
Crim., 14 octobre 2003, pourvoi n° 03-84.539, Bull. crim. 2003, n° 187 - Crim., 1 septembre 2005, pourvoi n° 05-84.061, Bull. crim. 2005, n° 211 - Crim., 18 juin 2019, pourvoi n° 19-80.105, Bull. crim 2019, n° 121
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une durée de 15 jours conformément aux dispositions de l'article 230-33 du code de procédure pénale. Il n'est pas contestable qu'une localisation en temps réel à partir d'un téléphone mobile conduit les enquêteurs à avoir accès aux données relatives à la localisation d'une personne. C'est même la raison d'être, au cas particulier, de la mesure mise en place par la DIPJ de Marseille sur autorisation du parquet. Or, la CJUE dit maintenant pour droit7 que l'article 15 de la directive2002/58 s'oppose à ce qu'une législation nationale donne compétence au ministère public pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale. Dans cette décision était en cause le ministère public estonien, qui a des points communs avec le ministère public français. Sans qu'il y ait lieu de s'arrêter sur les questions d'indépendance et d'impartialité des différents ministères publics, force est de constater que le ministère public français a en commun avec le ministère public estonien -comme avec beaucoup d'autres- la mission de diriger la procédure d'enquête et d'exercer l'action publique. Vous avez jugé à plusieurs reprises que les dispositions légales relatives à la géolocalisation n'étaient « pas contraires à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que l'autorisation donnée par le ministère public, nécessaire au sens des textes conventionnels, l'est pour une très courte durée et que la prolongation de la mesure est autorisée par un juge qui en contrôle l'exécution »8. L'arrêt attaqué, en
validant l'opération, s'est donc conformé à votre position. Il semble que la primauté du droit de l'Union vous contraigne à adopter, au-delà du traité (le TUE prévoit en son article 4§2 que « Elle [l'Union] respecte les fonctions essentielles de l'État, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. En particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre »), l'interprétation des textes qu'en fait la CJUE, nonobstant les termes de l'article 1§3 de la Directive en cause selon lequel « la présente directive ne s'applique pas aux activités qui ne relèvent pas du traité instituant la Communauté européenne, telles que celles visées dans les titres V et VI du traité sur l'UE, et, en 7 8
2 mars 2021, H.K/Prokuratuur, Aff. C-746/18
Crim., 11 décembre 2018, pourvoi n° 18-82.365, Bull. crim. 2018, n° 211 - Crim., 7 mai 2019, pourvoi n° 18-85.596
tout état de cause, aux activités concernant la sécurité publique, la défense, la sûreté de l'Etat (y compris la prospérité économique de l'Etat lorsqu'il s'agit d'activités liées à la sûreté de l'Etat) ou aux activités de l'Etat dans des domaines relevant du droit pénal »9. Dès lors, l'arrêt attaqué doit être regardé comme n'étant pas conforme au droit de l'Union puisque les opérations de géolocalisation en temps réel ont été autorisées par une autorité qui, selon l'interprétation que la CJUE donne de l'article 15 de la directive 2002/58, ne présentait pas les garanties lui permettant d'exercer le contrôle préalable nécessaire. Le fait qu'au bout de 15 jours l'autorisation ne puisse plus être donnée que par le juge des libertés et de la détention, magistrat du siège indépendant, ne permet pas de considérer que serait opéré le contrôle exigé par la CJUE. Celle-ci indique dans l'arrêt Prokuratuur que le contrôle doit être préalable. Si l'article 230-37 prévoit que « Les opérations prévues au présent chapitre sont conduites sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées ou qui a autorisé leur poursuite », cela donne au juge des libertés et de la détention le pouvoir de contrôler uniquement les mesures dont il a autorisé la poursuite mais pas la possibilité d'exercer un contrôle effectif de la mesure autorisée auparavant par le procureur de la République. Le juge des libertés et de la détention aura seulement la possibilité, s'il estime que l'autorisation donnée au départ de l'enquête ne répond pas aux exigences légales et conventionnelles, de ne pas en autoriser la poursuite mais les procès-verbaux resteront au dossier. Seule la chambre de l'instruction ou la juridiction de jugement, si elles sont saisies, auront le pouvoir d'annuler ou d'écarter les procès-verbaux établis sur autorisation du procureur de la République. Encore faut-il noter que le juge des libertés et de la détention n'intervient que dans les opérations qui durent un certain temps, soit, selon les chiffres communiqués par le Ministère de la Justice dans 0,2% des cas. Dans le cas de M. [B], le juge des libertés et de la détention n'a pas eu à intervenir. La CJUE a réservé l'hypothèse de l'urgence dûment justifiée (§51) qui nécessite un contrôle à brefs délais. La possibilité qu'ont les parties de présenter une requête en annulation devant la chambre de l'instruction ou de soulever la nullité devant une juridiction de jugement lorsqu'elle est saisie directement, sans passage par l'instruction, ne peut être tenue pour satisfaisante en termes de délais dès lors que la chambre de l'instruction dispose d'un délai de deux mois, dont le non-respect n'est pas sanctionné et qui est souvent dépassé 10, pour statuer sur une requête en annulation et que la saisine de la juridiction de jugement est encore moins encadrée par des délais stricts. 9
Dans ce sens, CE, n° 393099, 394922, 397844, 397851, 424717, 424718, 21 avril 2021
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Dans l'affaire qui vous est soumise la requête en annulation a été déposée le 26 juin 2020 et l'arrêt a été rendu le 16 novembre 2020 après débats à l'audience du 19 octobre 2020.
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Néanmoins, la censure de l'arrêt ne me semble pas devoir être prononcée même s'il apparaît souhaitable que les conditions de l'article 230-33 du code de procédure pénale soient modifiées pour l'avenir. Conséquences à tirer de la non-conformité au droit de l'Union La CJUE s'oppose à ce que vous moduliez les effets de sa position puisqu'elle juge que «Seule la Cour peut, à titre exceptionnel et pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, accorder une suspension provisoire de l'effet d'éviction exercé par une règle du droit de l'Union à l'égard du droit national contraire à celle-ci. Une telle limitation dans le temps des effets de l'interprétation de ce droit donnée par la Cour ne peut être accordée que dans l'arrêt même qui statue sur l'interprétation sollicitée».
Le principe de sécurité juridique me parait cependant imposer que vous n'annuliez pas les géolocalisations qui ont, en l'espèce, été autorisées par le procureur de la République et que vous n'imposiez pas à une chambre de l'instruction de renvoi de prononcer l'annulation des géolocalisations et, par voie de conséquence, des actes qui trouvent leur support nécessaire dans ces opérations de géolocalisation ce qui pourrait conduire au prononcé de l'annulation des interpellations, puis des placements en garde à vue et enfin de tout ou partie de la procédure qui en découle. Le principe dégagé par l'arrêt Prokuratuur est nouveau. Il n'était pas en germe dans les arrêts que la CJUE avait rendus sur la question de la conservation des données de connexion. Dans l'affaire Télé2 Sverige11, la compétence de l'autorité habilitée à autoriser l'accès aux données n'était pas abordée. Il en allait de même dans l'affaire Ministerio fiscal12. Seul l'arrêt Quadrature du Net, rendu 13 jours avant l'audience tenue par la chambre de l'instruction dans l'affaire que vous examinez, évoquait au § 189 « une décision autorisant le recueil en temps réel des données relatives au trafic et des données de localisation doit être fondée sur des critères objectifs et non discriminatoires prévus dans la législation nationale. Aux fins de garantir, en pratique, le respect de ces conditions, il est essentiel que la mise en œuvre de la mesure autorisant le recueil en temps réel soit soumise à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction, soit par une entité 11
21 décembre 2016 C-203/15 et C-698/15
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2 octobre 2018, C-207/16,
administrative indépendante, dont la décision est dotée d'un effet contraignant, cette juridiction ou cette entité devant notamment s'assurer qu'un tel recueil en temps réel n'est autorisé que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire».
Il n'était pas dit dans cet arrêt, comme il sera affirmé dans l'arrêt Prokuratuur, que le ministère public ne pouvait pas autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation parce que sa mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure. L'appréciation que pouvait avoir la CJUE du statut du ministère public français était d'autant plus incertaine que, dans des arrêts relatifs à l'émission de mandats d'arrêt européens13, elle avait estimé que le statut du parquet français lui conférait une garantie d'indépendance suffisante pour émettre de tels mandats en considération de règles statutaires et organisationnelles propres à garantir que les autorités concernées ne soient pas exposées, dans ce cadre, à un quelconque risque d'être soumises à des ordres ou à des instructions individuels de la part du pouvoir exécutif. Elle admettait que l' indépendance des membres du parquet français n'était pas remise en cause par le fait qu'ils étaient chargés de l'action publique, ni par le fait que le ministre de la Justice pouvait leur adresser des instructions générales de politique pénale ni par le fait qu'ils étaient placés sous la direction et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques, eux-mêmes membres du parquet, et donc tenus de se conformer aux instructions de ces derniers. La CEDH avait pour sa part jugé dans son arrêt Uzun 14 que la géolocalisation étant moins attentatoire à la vie privée d'une personne que, par exemple, des écoutes téléphoniques, l'autorisation préalable d'un juge n'était pas indispensable. En l'espèce elle avait été ordonnée par le procureur général. Le Conseil constitutionnel jugeait de façon constante que «L'indépendance reconnue à l'autorité judiciaire concerne « à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet » (décision n° 93-326 DC du 11 août 1993 )15. Il sera d'ailleurs relevé que, dans la présente affaire, en réponse à la question prioritaire de constitutionnalité que vous lui avez transmise, le Conseil constitutionnel a maintenu sa position et validé la possibilité que le procureur de la République autorise une géolocalisation pour un temps bref en jugeant qu'il est « ... un magistrat de l'ordre judiciaire auquel l'article 39-3 du code de procédure pénale confie la mission notamment de contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits», ce qui ne semble pas avoir conduit la 13
C-566/19 PPU et C-626/19 PPU, 12 décembre 2019
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2 septembre 2010 UZUN c. ALLEMAGNE (Requête n o 35623/05)
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Extrait de «L'indépendance de l'autorité judiciaire» sur le site Internet du Conseil constitutionnel
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CJUE, dans le cadre d'un dialogue des juges bien compris et dans le cadre du respect de l'identité constitutionnelle des Etats membres16 à revoir sa position. Il est également important de rappeler qu'à la suite des deux arrêts de cassation du 22 octobre 2013 de votre chambre jugeant qu'il se déduisait de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme que la géolocalisation en temps réel - de téléphones mobiles en l'espèce - constituait une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessitait qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge, en fait avec son accord préalable, le législateur avait estimé, lors de l'élaboration de la loi du 28 mars 2014 créant les articles 230-32 à 230-44 du code de procédure pénale que l'opération pouvait être autorisée pour un temps limité par le procureur de la République. On pouvait lire dans la présentation du projet de loi :
3.2. UNE MESURE SOUMISE A L 'AUTORISATION PRÉALABLE D'UN MAGISTRAT 3.2.1. Option 1 (écartée) : Soumettre systématiquement les opérations de géolocalisation en temps réel à l'autorisation préalable d'un juge Aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2013, « la technique dite de “géolocalisation” constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge ». Le projet de loi aurait pu s'inscrire strictement dans la continuité de cet attendu et ne permettre le recours aux opérations de géolocalisation en temps réel que sur autorisation d'un juge des libertés ou d'un juge d'instruction. Cette option, qui aurait largement restreint les capacités d'actions du procureur de la République, dont dépendent directement quatre-vingt-quinze pour cent des procédures pénales, n'a pas été retenue. D'un point de vue opérationnel, il est en effet souhaitable que le ministère public, qui dirige l'activité de la police judiciaire en application de l'article 41 du Code de procédure pénale et dont l'organisation permet une très grande réactivité, conserve la possibilité d'ordonner, parfois dans l'urgence, la mise en place d'une géolocalisation en temps réel. Plusieurs arguments démontrent que le dispositif proposé ne présente pas de risques juridiques. D'abord, le Conseil constitutionnel a affirmé à de nombreuses reprises que le procureur de la République est une composante à part entière de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles. Il bénéficie donc de toute la légitimité constitutionnelle pour contrôler une mesure de géolocalisation.
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Cons. Cons, n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021
Ensuite, dans son arrêt Uzun c/ Allemagne précitée, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas censuré la législation allemande qui permet au procureur de la République d'autoriser de façon illimitée une mesure de géolocalisation en temps réel. Dès lors, le principe même de l'intervention du procureur de la République n'encourt pas non plus la censure de la CEDH. Enfin, la jurisprudence précitée de la Cour de cassation doit être analysée au regard de la législation française actuelle, qui ne prévoit aucun cadre légal précis qui garantisse les droits des justiciables puisque les mesures de géolocalisation en temps réel ne sont soumises à aucune durée maximum et peuvent être utilisées quelle que soit l'infraction poursuivie. Le présent projet de loi, en ce qu'il édicte de nombreuses règles garantissant le respect de la vie privée (infractions d'une certaine gravité, durée limitée de l'autorisation donnée par le procureur de la République), est respectueux des cadres conventionnel et constitutionnel. 3.2.2. Option retenue : Une mesure soumise, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours, à l'autorisation d'un juge Le dispositif retenu, afin d'être conforme aux exigences de la jurisprudence tant de la Cour de cassation que de la Cour européenne des droits de l'homme, prévoit donc l'intervention d'un juge, non pas immédiatement, mais à l'issue d'un délai maximum de quinze jours. Cette durée, qui équivaut à celle de l'enquête de flagrance prolongée, est suffisamment courte pour justifier que le parquet, qui fait partie de l'autorité judiciaire comme l'a rappelé le Conseil Constitutionnel à de nombreuses reprises, puisse exercer des prérogatives particulières. Ainsi, lors d'une enquête dirigée par le parquet, le procureur de la République pourra autoriser une mesure de géolocalisation en temps réel pour une duré e de quinze jours. A l'issue de cette durée, la poursuite des opérations devra être prescrite par décision du juge des libertés et de la détention, sur re quête du procureur de la République. Dans le cadre d'une information judiciaire, le juge d'instruction garde le contrôle de cette mesure qu'il autorise et à laquelle il met un terme.
Enfin le texte qui allait être promulgué le 28 mars 2014 avait été soumis au Conseil constitutionnel qui avait considéré que le législateur avait entouré la mise en oeuvre de la géolocalisation de mesures de nature à garantir que, placées sous l'autorisation et le contrôle de l'autorité judiciaire, les restrictions apportées aux droits constitutionnellement garantis soient nécessaires à la manifestation de la vérité et ne revêtent pas un caractère disproportionné au regard de la gravité et de la complexité des infractions commises ; que, par ces dispositions, le législateur n'avait pas opéré entre les droits et libertés en cause une conciliation déséquilibrée 17. La nécessité de sauvegarder la sécurité juridique d'une mesure que ces éléments pouvaient conduire les juges à juger non seulement légale mais aussi constitutionnelle et conventionnelle paraît prégnante. Vous avez la possibilité, que vous avez déjà utilisée et qui fait partie du corpus juridique français, de vous borner à moduler la nature de la sanction de la non-conformité au droit de l'Union (et non de limiter dans le temps les effets de l'inconventionnalité) en 17
Cons. constit. Décision n° 2014-693 DC du 25 mars 2014
décidant que les opérations de géolocalisation contraires au droit de l'Union ne devront pas fonder un renvoi devant la juridiction de jugement et une déclaration de culpabilité. Dans le cadre d'un mouvement général de préservation de la sécurité juridique commun aux juridictions judiciaires et administratives, vous avez, en matière de garde à vue, après la tentative, par plusieurs arrêts du 19 octobre 2010 18, de reporter les effets de l'absence de notification du droit de se taire et de notification du droit à l'assistance d'un avocat sur laquelle l'Assemblée plénière19 a été en désaccord avec vous, décidé de façon constante que les déclarations ainsi recueillies ne pourraient fonder une déclaration de culpabilité. Vous avez explicité cette possibilité dans une espèce jugée le 11 décembre 2018 20. Dans cette espèce, des personnes qui avaient été placées en garde à vue en 1999 se plaignaient, en 2015, de ce qu'au cours de leur garde à vue le droit de se taire ne leur avait pas été notifié et de ne pas avoir pu être assistées par un avocat pendant leurs auditions. La chambre de l'instruction avait écarté leurs prétentions en retenant que leurs déclarations au cours de leurs gardes à vue n'étaient pas le support de leurs mises en examen dont ils demandaient l'annulation. Vous avez jugé que «si c'est à tort que, pour écarter la demande d'annulation des auditions de Mme D… et de M. L…, la chambre de l'instruction énonce qu'elles n'étaient pas le support de leur mise en examen, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors qu'en l'absence, à la date des mesures critiquées, de jurisprudence établie ayant déduit de l'article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme le droit pour la personne gardée à vue d'être assistée par un avocat lors de ses auditions et l'obligation de lui notifier le droit de garder le silence, l'exigence de prévisibilité de la loi et l'objectif de bonne administration de la justice font obstacle à ce que les auditions réalisées à cette date, sans que la personne gardée à vue ait été assistée d'un avocat pendant leur déroulement ou sans qu'elle se soit vue notifier le droit de se taire, soient annulées pour ces motifs ; qu'il résulte, toutefois, des stipulations de l'article précité de ladite Convention que les déclarations incriminantes faites lors de ces auditions ne peuvent, sans que soit portée une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, fonder une décision de renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité».
Dès lors qu'à la date à laquelle la chambre de l'instruction d'Aix-en-Provence a statué il ne résultait pas d'une jurisprudence bien établie que le procureur de la République, dirigeant l'enquête et susceptible d'exercer l'action publique, ne présentait pas les garanties d'indépendance nécessaires pour autoriser le recours à une géolocalisation en temps réel, vous pourriez procéder comme dans l'affaire jugée le 11 décembre 2018. 18
Crim. 19 oct. 2010, no 10-82.306, 10-85.051, 10-82.902, B. no 164
19
Ass. Plén., 15 avril 2011, n 10-17.049, n° 10-30.242, 10-30.313 et 10-30.316, B. Ass. plén. no 1, 2, 3 et 4 20
Crim., 11 décembre 2018, pourvoi n° 18-82.854, Bull. crim. 2018, n° 209
Vous le pourriez d'autant plus que la recevabilité des preuves relève, conformément au principe d'autonomie procédurale des États membres, du droit national, sous réserve du respect notamment des principes d'équivalence21 et d'effectivité. Ainsi je conclus à ce que vous disiez : qu'il résulte de l'article 15 de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002 de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte que les opérations de géolocalisation en temps réel ne peuvent être autorisées, sauf cas d'urgence résultant d'un risque imminent de dépérissement des preuves ou d'atteinte grave aux personnes ou aux biens relevant de l'article 230-35 du code de procédure pénale, par le procureur de la République mais doivent l'être par un juge, mais qu'en l'espèce, la cassation n'est pas encourue, dès lors qu'il n'existait pas à la date à laquelle les géolocalisations ont été autorisées par le procureur de la République de Marseille de jurisprudence établie imposant que de telles opérations soient autorisées préalablement à leur mise en oeuvre par une juridiction ou une entité administrative indépendante de sorte que la seule conséquence dans l'affaire examinée sera que la mesure de localisation en temps réel mise en oeuvre ne pourra pas fonder une décision de renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. 3Le 2ème moyen qui fait grief aux deux autorisations de géolocalisation en temps réel de ne pas être suffisamment motivées et à l'arrêt attaqué d'avoir refusé de prononcer l'annulation de ces autorisations en substituant sa propre motivation à celle du procureur de la République alors qu'elle ne pouvait le faire est infondé. Il est exact que, depuis la loi du 23 mars 2019, l'autorisation de géolocalisation doit être «écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires» alors qu'auparavant le texte de l'article 230-33 imposait seulement une décision écrite ce qui vous conduisait à juger que « les articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale .... ne sont pas contraires à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; Que l'autorisation donnée par le ministère public, nécessaire au sens des textes conventionnels, hors la démonstration par la personne concernée du recours à un procédé déloyal, l'est pour une très courte durée, et que la prolongation de la mesure est autorisée par un juge qui en contrôle l'exécution»22.
21
CJUE, C-140/20, Commissioner of An Garda Síochána, 5 avril 2022
22
Crim., 7 mai 2019, pourvoi n° 18-85.596
Vous avez jugé en matière de géolocalisation - à l'inverse de ce que vous permettez en matière de détention provisoire - que la chambre de l'instruction ne pouvait pas substituer ses motifs à ceux erronés du premier juge quand le procureur de la République ou le juge d'instruction avait validé la mise en place d'une géolocalisation en urgence par un officier de police judiciaire 23 . Vous avez amendé cette jurisprudence, qui concernait également les autorisations de perquisition, en jugeant qu'une autorisation qui se réfère à la procédure dans laquelle elle est sollicitée est valable. Vous avez, ainsi, jugé régulière une autorisation du juge des libertés et de la détention qui se référait expressément à la procédure d'enquête dont la synthèse, jointe à la requête du parquet, exposait les éléments de fait permettant de suspecter l'existence d'un trafic de stupéfiants, infraction punie d'une peine d'emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans, qui précisait l'adresse du lieu dans lequel les opérations pouvaient être effectuées et qui exposait le motif pour lequel il convenait de recourir à cette procédure, à savoir éviter la disparition éventuelle des produits stupéfiants ainsi que de tous les éléments de preuve permettant de constater les infractions visées et d'identifier leurs auteur24. Plus récemment, statuant sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour de renvoi après votre arrêt de cassation du 11 mai 2021 précité, vous avez fait évoluer sensiblement vos exigences puisque vous avez admis que le visa dans la commission rogatoire du procès-verbal de l' officier de police judiciaire informant le magistrat de la pose d'une balise en urgence prenait nécessairement en compte les considérations contenues dans le procès-verbal et qu'il ne pouvait donc être retenu que la chambre de l'instruction avait substitué sa propre appréciation à celle du juge d'instruction 25 . Le cas de figure qui vous est soumis s'apparente aux hypothèses que vous avez validées. Le procureur de la République de Marseille a visé dans ses autorisations la procédure en cours à la DIPJ de Marseille qui contenait des rapports spécifiques pour expliquer la nécessité des géolocalisations et solliciter l'autorisation de les mettre en place. Un des rapports (D 20 contient d'ailleurs une coquille quant au numéro de procédure (N° 2419 au lieu de 2411) et la coquille a été reproduite par le vice-procureur (D37), preuve qu'il a bien pris connaissance de ce rapport spécial et que c'est sur cette base qu'il a accordé l'autorisation.
23
Crim., 25 juillet 2018, pourvoi n° 18-80.651, Bull. crim. 2018, n° 134 - Crim., 11 mai 2021, pourvoi n° 20-83.435, 20-86.180 24
Crim., 26 juin 2018, pourvoi n° 18-80.596
25
Crim., 5 avril 2022, pourvoi n° 21-85.681
Il s'ensuit qu'en faisant référence, dans les écrits autorisant les géolocalisations, à une procédure dont il résulte qu'un jeune homme de 17 ans a été enlevé par des trafiquants de drogue en représailles de la perte par le père de la victime de 30 kilos de résine de cannabis, que le jeune homme est séquestré par une bande organisée, menacé d'une arme à feu, qu'il est demandé au père de la victime de payer 500.000 euros puis de se rendre à un rendez-vous, le procureur de la République a suffisamment justifié la nécessité de mettre en place en urgence un dispositif de géolocalisation permettant de déterminer l'endroit où se trouvent les ravisseurs et la victime ainsi que d'assurer la sécurité du père qui doit se rendre au rendez-vous fixé par les ravisseurs de son fils qui a demandé à son père de se dépêcher. Il sera ajouté - on a presque scrupule à l'indiquer tant cela devrait être une évidence pour tous - que le fait que le père de la victime se rende à la police pour s'accuser d'avoir gardé 30 kilos de cannabis avec les risques judiciaires que cela comporte pour lui montre à quel point la géolocalisation était «nécessaire» au sens de l'article 230-33 du code de procédure pénale ou exigé par les «nécessités de l'enquête» comme mentionné dans l'autorisation du parquet. Le second moyen sera donc également écarté. Le pourvoi sera donc rejeté
PROPOSITION Avis de rejet.