Jurisprudence : Ass. plén., Conclusions, 14-04-2023, n° 21-13.516

Ass. plén., Conclusions, 14-04-2023, n° 21-13.516

A84902RU

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Ass. plén., Conclusions, 14-04-2023, n° 21-13.516. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409063-ass-plen-conclusions-14042023-n-2113516
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AVIS DE M. GAILLARDOT, PREMIER AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 667 (B+R) du 14 avril 2023 – Assemblée plénière Pourvoi n° 21-13.516 Décision attaquée : 26 janvier 2021 de la cour d'appel de Bordeaux Mme [I] [C] veuve [V], et autres C/ la Société de gestion du Normandy, et autres _________________

Mme [I] [V], veuve de [W] [V], sapeur pompier décédé lors d'un accident dans l'exercice de ses fonctions, et ses enfants se sont pourvus contre un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, qui, sur renvoi après cassation (arrêt du 6 juin 2019), confirmant le jugement du tribunal du Mans disant “qu'il résulte de l'application des dispositions de l'ancien article 1351 du code civil devenu l'article 1355 de ce code que lorsqu'une juridiction pénale a statué par une décision définitive sur l'action civile, toute nouvelle demande portant sur les mêmes préjudices, ce qui est le cas en l'espèce, se heurte à l'autorité de la chose jugée, peu importe que la juridiction pénale ait débouté [les] parties civiles de leur demande d'indemnisation.” Le moyen unique présenté par les consorts [V] tend à soutenir : 1) que le principe de la concentration des moyens ne s'étend pas à la simple faculté que la partie civile tire de l'article 470-1 du code de procédure pénale de présenter au juge pénal une demande visant à obtenir, selon les règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite ; que, dès lors, la circonstance que la partie civile n'ait pas usé de cette faculté ne rend pas irrecevables, comme méconnaissant l'autorité de la chose jugée, les demandes de réparation des mêmes dommages présentés par elle devant le juge civil,

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2) qu'en jugeant que la nouvelle demande présentée par les consorts [V] portant sur les mêmes préjudices se heurtait à l'autorité de la chose jugée la cour d'appel a violé les dispositions, ensemble l'article 1351, devenu 1355 du code civil, en contestant aux consorts [V], parties civiles, le droit d'exercer l'option qui leur était octroyée par l'article 470-1 du code de procédure pénale susvisé. La caisse des dépôts, dans un pourvoi provoqué, formule les mêmes critiques contre l'arrêt attaqué. Par arrêt de cassation du 6 juin 2019, n° 18-15.738, la 2ème chambre a jugé, dans la présente affaire, que “le principe de la concentration des moyens ne s'étend pas à la simple faculté que la partie civile tire de l'article 470-1 du code de procédure pénale de présenter au juge pénal une demande visant à obtenir, selon les règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite ; que, dès lors, la circonstance que la partie civile n'ait pas usé de cette faculté ne rend pas irrecevables comme méconnaissant l'autorité de la chose jugée les demandes de réparation des mêmes dommages présentées par elle devant le juge civil”. Les motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, critiqués dans le présent pourvoi étant directement contraires à ceux de l'arrêt de cassation du 6 juin 2019, la 2ème chambre saisissait par arrêt du 30 juin 2022 l'Assemblée plénière de la Cour. L'arrêt de la cour d'appel d'Angers qui a été cassé par l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2019 se référait à la fois au principe de concentration des moyens et à l'autorité de la chose jugée pour déclarer irrecevable les demandes présentées. L'arrêt confirmatif attaqué, s'il ne se réfère pas directement au principe de concentration des moyens, contrairement au jugement du tribunal de grande instance du Mans, se réfère à l'autorité de la chose jugée pour déclarer irrecevable les demandes des parties civiles : après avoir précisé que "la cour d'appel de Caen a débouté les consorts [V], sur le moyen tiré du prononcé de la relaxe de monsieur Renouf "l'arrêt en déduit, au visa de l'article 1355 du code civil" que lorsqu'une juridiction pénale a statué par une décision définitive sur l'action civile, toute nouvelle demande portant sur les mêmes préjudices, ce qui est le cas en l'espèce, se heurte à l'autorité de la chose jugée". La question posée par les moyens est de savoir si l'article 470-1 impose à la partie civile qui réclame au juge pénal l'indemnisation du préjudice consécutif à une infraction involontaire d'invoquer dès cette instance l'ensemble des textes et principes de droit civil sur lesquels elle estime fonder sa demande à défaut de quoi son action devant le juge civil serait irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée par le juge pénal ?

1. L'action civile en cas de faute pénale non intentionnelle La loi 83-608 du 8 juillet 1983 visant à simplifier et renforcer l'efficacité de l'action civile et à accélérer la réparation des préjudices a entendu, dès 1983, “autoriser la juridiction répressive, en cas de relaxe du prévenu et sur demande de la partie civile à statuer aussitôt, en application notamment de l'article 1384 du code civil sur la réparation des dommages”, en limitant toutefois cette disposition aux faits d'homicides ou de blessures involontaires et pour les seules poursuites par le parquet ou faisant l'objet d'une ordonnance de renvoi. 2

Jean Foyer, à l'occasion des travaux parlementaires qualifiait cette innovation des plus considérables. Afin de faciliter l'indemnisation rapide des victimes et d'éviter des procédures ultérieures, l'article 470-1 du CPP permet, dans les seuls cas où le tribunal est saisi à l'initiative du parquet ou sur renvoi d'une juridiction d'instruction et dans les seuls cas de relaxe pour les infractions non-intentionnelles d'homicide et blessures involontaires, de demander devant le juge civil, en application des règles du droit civil, réparation des dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite. Comme le remarque un auteur, “En dépit de ces limites procédurales, l'article 470-1 du Code de procédure pénale améliore très sensiblement le sort de la victime : en effet, jusqu'à la loi n° 83-608 du 8 juillet 1983, elle était contrainte d'engager une nouvelle action devant le juge civil si elle voulait obtenir une condamnation sur le fondement de règles de responsabilité dont l'application était interdite par la chambre criminelle au juge pénal : responsabilité du fait des choses, responsabilité contractuelle, règles de responsabilité objective résultant de textes spéciaux”1. La chambre criminelle distingue expressément l'action spécifique de la partie civile dans l'instance pénale de la procédure instaurée par l'article 470-1 du code de procédure pénale2. D'une manière générale, le législateur tend à dissocier l'action devant les juridictions civiles de celle visant à l'établissement d'une faute pénale. Ainsi, l'abandon de la règle “le pénal tient le civil en l'état” autorise le juge civil à se prononcer sans attendre la décision du juge pénal. De même, l'article 4-1 du code de procédure pénale tel que résultant de la loi n° 2000647 du 10 juil. 2000 modifié par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, dispose qu'en ”l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir la réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1241 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l'existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie.” Par ailleurs, lorsque la partie civile est seule appelante d'une décision de relaxe (CPP, art. 497, 3°), la chambre criminelle décide qu'il appartient au juge pénal de se prononcer sur “l'existence d'une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite”. Ainsi, précise-t-elle “le dommage, dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation, doit résulter d'une faute démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite”3.

Danièle Caron, App. Art. 6 - Fasc. 20 : AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE – Autorité de la chose jugée au pénal sur le civil 1

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Crim., 26 octobre 2004, pourvoi n° 04-80.126, cité au rapport

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Crim., 10 mai 2017, pourvoi n° 15-86.906, Bull. crim. 2017, n° 135

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Ces diverses dispositions ont ainsi porté une atténuation certaine au principe d'unité de la faute civile et pénale.

2. Sur le principe de concentration des moyens Si l'arrêt attaqué ne vise pas expressément ce principe, contrairement au jugement dont appel, le moyen proposé dans sa première branche y fait une référence expresse. L'arrêt d'Assemblée plénière Cesaro du 7 juillet 20064, aussi laconique qu'il soit, revenant sur un principe lui-même posé en Assemblée5 plénière, se référant à l'autorité de la chose jugée, pose pour principe “qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci”. On peut déceler dans le rapport du Président Charruault les motifs qui ont présidé à cette règle, afin d'éviter le morcellement du procès : “Poser en principe que seuls les moyens de droit effectivement débattus devant le juge peuvent être pris en considération pour caractériser l'identité de cause, c'est ouvrir la porte à des procès successifs relativement à un litige pourtant immuable en ses autres composantes. C'est admettre que les mêmes parties, qu'un même différend oppose, soient amenées à comparaître à nouveau devant le même juge, pourvu que l'une d'elles invoque à l'appui de sa prétention un moyen de droit qu'elle n'avait pas présenté à l'occasion du précédent procès”. N'est-ce pas alors ruiner l'exigence de sécurité juridique à la satisfaction de laquelle est dédiée la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée ?” La 2ème chambre faisait dès 2007 une application du principe de concentration des moyens, cassant un arrêt qui, suite à un jugement ayant relaxé et débouté les parties civiles, relevait que la juridiction pénale n'avait statué que sur la responsabilité délictuelle, en jugeant qu' “il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci et qu'elle constatait que, comme la demande originaire, la demande dont elle était saisie, formée entre les mêmes parties, tendait à l'indemnisation des préjudices résultant de l'intervention médicale”6, solution reprise par un arrêt de la 1ère chambre du 17 octobre 20127. La doctrine s'est interrogée sur la portée de ce principe d'origine purement jurisprudentielle devant le juge pénal. Commentant l'arrêt du 25 octobre 2007, le professeur Perrot commentait “La décision dont l'autorité était invoquée n'émanait donc pas d'une juridiction civile, mais d'une juridiction répressive. L'arrêt commenté ne souffle pas mot de cette particularité. Il est pourtant évident que l'on ne peut faire application du principe de concentration inventé par la Cour de cassation en marge des 4

Ass. plén., 7 juillet 2006, pourvoi n° 04-10.672,

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Ass. plén., 3 juin 1994, pourvoi n° 92-12.157, Bull. 1994, Ass. plén., n° 4

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2e Civ., 25 octobre 2007, pourvoi n° 06-19.524, Bull. 2007, II, n° 241

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1re Civ., 17 octobre 2012, pourvoi n° 11-23.946

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textes que si, devant la juridiction répressive, les demandeurs ont la possibilité d'invoquer tous les moyens qu'ils estiment de nature à fonder leur action en réparation, dans les mêmes conditions que devant une juridiction civile.”......”Le lieu n'est pas de disserter sur la nature juridique de cette prorogation exceptionnelle de compétence, mais la question qui se pose dans le cas présent est celle de savoir, pour reprendre l'excellente expression de M. Bassin, si ce texte « fait de l'action civile portée devant les tribunaux répressifs le double parfait de l'action en réparation devant les juridictions civiles »”8. Le professeur Philippe Bonfils observait “Cette solution doit être circonscrite précisément, car, indépendamment du fait que le principe de concentration des moyens lui-même souffre d'un manque de base textuelle sérieux, il s'inscrit sous le visa de la triple identité de parties, d'objet et de cause”9. i cette dernière jurisprudence a mal été reçue par une large partie de la doctrine, le professeur Yves Strickler10 souligne cependant que “la solution a permis d'harmoniser la conception de la cause de la demande en matière civile et pénale. Dans ce dernier domaine en effet, le fait délictueux est envisagé sous une acception factuelle depuis un arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 1956, dit Chevalot (D. 1957, p. 33, note Hugueney), au nom d'ailleurs du principe non bis in idem.” Le principe ainsi posé l'est au regard du principe de l'autorité de la chose jugée en matière civile, défini selon l'article L 1355 du code civil par la triple identité d'objet, de cause et de parties ; c'est sur la notion de cause que le débat s'est alors focalisé et notamment sur la question de savoir si le principe de concentration des moyens s'étendait à la concentration des demandes. La Cour de cassation rappelle régulièrement, récemment encore, que "s''il incombe au demandeur de présenter, dès l'instance relative à la première demande, l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à justifier celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits”11. Revenant sur les principes posés par l'arrêt du 25 octobre 2007, un arrêt de cassation du 15 novembre 2018, dispose que “le principe de la concentration des moyens ne s'étend pas à la simple faculté que la partie civile tire de l'article 470-1 du code de procédure pénale de présenter au juge pénal une demande visant à obtenir, selon les règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite ; que, dès lors, la circonstance que la partie civile n'ait pas usé de cette faculté ne rend pas irrecevables comme méconnaissant l'autorité de la chose jugée les

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RTD Civ. 2008 p.159 Chose jugée : les aléas du principe de concentration en cas de relaxe par une juridiction répressive 9

« La concentration des moyens et la victime d'une infraction », P. Bonfils, le droit entre autonomie et ouverture, Mélanges en l'honneur de Jean-Louis Bergel, coll. Penser le droit, Bruylant, 2013, p. 813 et s 10

Procédures n° 3, Mars 2017, comm. 26 La concentration est bien celle des moyens et non celle des demandes 11

« La concentration des moyens et la victime d'une infraction », P. Bonfils, le droit entre autonomie et ouverture, Mélanges en l'honneur de Jean-Louis Bergel, coll. Penser le droit, Bruylant, 2013, p. 813 et s

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demandes de réparation des mêmes dommages présentées par elle devant le juge civil”12. Commentant, et approuvant cet arrêt, un auteur précise ”on peut se demander si ce que la partie civile aurait pu adresser au juge pénal (et ne lui a pas adressé) est un moyen ou, au contraire, une prétention différente de celle qu'il lui a présentée. S'il s'agit d'un moyen, il faut considérer que le plaignant a omis de procéder à la concentration de ses moyens et il ne doit son salut qu'à la volonté de la Cour de cassation de poser une exception au principe de concentration consacré par la jurisprudence en 2006. Si, pour qualifier ce que la partie civile aurait pu adresser au juge en application de l'article 4701 du Code de procédure pénale, on parle de « demande » ou de « prétention », alors il n'est plus nécessaire de se référer d'aucune manière au principe de concentration des moyens, car la demande soumise au juge civil est par hypothèse différente de celle qui a été adressée au juge pénal (puisqu'elle ne lui a pas été soumise)”13. Un auteur souligne qu' “Après quelques soubresauts, la Cour de cassation ne semble plus vouloir imposer un principe de concentration des demandes qui heurterait le principe dispositif “, et commentant la même décision “le principe de concentration des moyens, pour la Cour de cassation, ne s'étend plus à la simple faculté que la partie civile tire de l'article 470-1 du Code de procédure pénale de présenter au juge pénal une demande visant à obtenir selon les règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits ayant fondé les poursuites. Aussi, si la partie civile n'a pas usé de cette faculté, cela ne rend pas irrecevables ses demandes en réparation des mêmes dommages devant le juge civil ultérieurement “14. Cela l'est d'autant moins que, s'écartant du principe d'unité de la faute civile et de la faute pénale posée depuis un arrêt de 1912, la loi a relativisé l'identité entre faute pénale et faute civile en cas de délit non intentionnel (art 4-1 du code civil, loi du 10 juillet 2000). En tout état de cause, la victime n'ayant formulé aucune demande dans l'instance devant la cour d'appel au titre de l'article 470-1, aux fins de voir jugées ses demandes “en application des règles du droit civil” et même si elle a pu le faire en première instance, la question me paraît ne pas même se poser. Il ne résulte ni du texte créant une prorogation exceptionnelle de compétence de la juridiction pénale, ni des travaux préparatoires que le législateur ait voulu faire de cette possibilité une obligation. C'est donc une simple faculté qui est offerte à la partie civile, et non une obligation. La partie civile n'ayant présenté aucune demande relative à une quelconque faute civile devant la cour d'appel de Caen, celle-ci n'était saisie d'aucune demande à cette fin. Dès lors, et à supposer même que le principe de concentration des moyens trouve à

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2e Civ., 15 novembre 2018, pourvoi n° 17-18.656

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Procédures n° 2, Février 2019, étude 3 Relaxe du chef d'une infraction non intentionnelle et autorité de chose jugée sur les intérêts civils : revirement de jurisprudence Etude par Agnès CERF et Thierry LE BARS 14

Synthése- décision judiciaire Nicolas Gerbay

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s'appliquer devant la juridiction pénale, eusse-t-il fallu que la cour soit saisie d'un quelconque contentieux relatif à une éventuelle faute civile.

3. L'autorité de la chose jugée C'est principalement à ce principe que se réfère l'arrêt attaqué. La jurisprudence de la Cour encadre l'autorité du pénal sur le civil : « devant le juge civil, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s‘attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé”15. Il ne résulte pas d'une telle définition que le juge pénal, en se prononçant sur les faits, leur qualification et sur la culpabilité se prononce sur l'existence d'une quelconque faute civile, et ce d'autant moins, comme analysé précédemment qu'en matière de délit nonintentionnel, la jurisprudence distingue faute pénale et faute civile. Dans une affaire se rapportant à des faits antérieurs à la loi du 10 juillet 2000, la chambre criminelle juge en effet “que la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute non intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence ou de négligence” Cass. crim., 5 sept. 2000, n° 99-82.301, termes mêmes repris par un arrêt de la 1ère chambre civile du 30 janvier 2001, consacrant ainsi la fin de l'identité entre les deux fautes. Comme le soulignait un auteur dès 1954 "Il n'est pas forcément approprié de parler de contradiction entre deux décisions de justice, dès lors qu'il n'y a pas identité entre action publique et action civile, même exercées à propos du même fait matériel. Leur finalité est radicalement différente : la première a pour but de déterminer la culpabilité d'un délinquant sans avoir à prendre en considération le sort qui sera réservé à la victime tandis que la seconde a pour objet d'indemniser un préjudice résultant d'une faute dont le caractère d'infraction pénale ou non est indifférent“16. Madame le professeur Lucie Mayeur, commentant l'arrêt du 15 octobre 2018, précise ”le juge pénal et le juge civil ne statuent pas sur le même litige...le litige dont est saisi le juge pénal est plus étroit que le litige qui sera éventuellement soumis au juge civil, car il se réduit à la question de savoir si l'auteur du fait dommageable a commis une faute pénale”. L'action civile étant accessoire à l'action publique, le débouté prononcé ne saurait être relatif qu'aux demandes relatives à l'indemnisation de la faute pénale résultant du délit non intentionnel et ne saurait dès lors être relatif à toutes autres demandes, au surplus non formulées. La cour d'appel de Caen n'était saisie d'aucune demande à l'effet de voir indemniser les conséquences d'une faute civile. Elle ne s'est dès lors pas prononcée sur 15

Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.442

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A. Chavanne : Rev. sc. crim. 1954, p. 240

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l'existence d'une faute civile. Il ne saurait y avoir une quelconque autorité attachée à un arrêt qui ne saurait s'être prononcé sur l'existence d'une telle faute. En conclusion, ni le principe de concentration des moyens, ni celui de l'autorité de la chose jugée ne justifient la solution retenue par la cour d'appel de Bordeaux. Même si la CEDH17 n'a pas sanctionné au visa de l'article 6&1 de la convention le principe de concentration, comme relevant du droit interne, il paraîtrait paradoxal de priver le justiciable d'une voie de droit, alors que l'article 470-1 du CPP ne pose aucune obligation et que le juge civil reste le juge naturel de l'indemnisation des conséquences d'une faute civile. Ce serait là, rajouter une condition à un texte de procédure visant à faciliter l'indemnisation des victimes et priver le justiciable d'une voie de droit qui lui est reconnue pour solliciter la réparation de ces préjudices et faciliter ainsi les conditions de son indemnisation. Ce serait mettre le justiciable et ses défenseurs dans une situation complexe et paradoxale : comment, alors que les parties civiles soutiennent devant le juge pénal la condamnation de l'auteur pour une faute non-intentionnelle, exiger que dans le même temps que celles-ci soutiennent une demande qui n'a de sens que par rapport à une relaxe. Saisir le juge de cette question est une faculté, ce ne peut être une obligation. Je ne vois pas qu'il y ait de raison de revenir sur la doctrine exprimée par l'arrêt de la 2ème chambre civile du 15 novembre 2018. Aucun argument ne peut venir au soutien de l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, exposant une doctrine contraire à celle de l'arrêt de cassation du 6 juin 2019. Il convient de réaffirmer nettement le principe même de la recevabilité de l'action intentée devant le juge civil par les victimes qui n'ont pas fait usage de la faculté offerte par l'article 470-1du code de procédure pénale.

Je suis donc à la cassation.

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CEDH, 26 mai 2011, n° 23228/08, Legrand c/ France

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