Cass. civ. 1, Conclusions, 18-05-2022, n° 21-11.106
A84822RL
Référence
AVIS DE Mme CARON-DÉGLISE , AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 391 du 18 mai 2022 – Première chambre civile Pourvoi n° 21-11.106 Décision attaquée : 25 novembre 2020 de la cour d'appel de Bastia Mme [Y] [V] C/ M. [R] [P] _________________
Sens de l'Avis : Rejet
I - Rappel des faits et de la procédure Mme [Y] [V] et M. [R] [P], tous deux exclusivement de nationalité tunisienne, se sont mariés le 6 juillet 2012 en Tunisie sous le régime de la séparation de biens. L'époux ayant quitté le domicile conjugal le 18 octobre 2016, l'épouse l'a fait assigner en nullité de mariage devant le tribunal de grande instance d'Ajaccio suivant acte du 2 février 2017. Par jugement du 1er avril 2019, le tribunal de grande instance d'Ajaccio a rejeté les demandes de Mme [Y] [V]. Mme [Y] [V] a relevé appel de cette décision et demandé en particulier à la cour de constater que M. [R] [P] avait contracté mariage dans le but d'atteindre un résultat étranger à l'union matrimoniale, l'obtention d'un titre de séjour en France.
Par arrêt du 25 novembre 2020, la cour d'appel de Bastia a confirmé le jugement déféré. C'est l'arrêt attaqué.
II - Le moyen et la question de droit Mme [V] développe un moyen unique en trois branches par lequel elle fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à l'annulation de son mariage avec M. [P], célébré le 6 juillet 2012 à Ghardimaou (Tunisie), et à la condamnation de ce dernier à lui payer diverses sommes à titre de remboursement des frais du mariage et de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, alors: 1°) “Qu'il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en oeuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle ; que le consentement de l'époux à un mariage, célébré avant la modification de l'article 202-1 du code civil par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014, à l'encontre duquel est invoquée l'absence d'intention matrimoniale doit être apprécié au regard de sa loi nationale ; qu'en appréciant le consentement au mariage de M. [P] en application du droit français, après avoir relevé que ce dernier était de nationalité tunisienne et que le mariage avait été célébré le 6 juillet 2012, la cour d'appel a violé les articles 2, 3 et 202-1 du code civil ; 2°) Que, subsidiairement, il incombe au juge français, pour les droits indisponibles, de mettre en oeuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit désigné par cette règle ; que l'erreur sur la personne ou les qualités essentielles du conjoint commise par un époux s'apprécie selon sa loi nationale ; qu'en l'espèce, Mme [V], de nationalité tunisienne, invoquait, à l'appui de son action en nullité, non seulement l'absence d'intention matrimoniale de M. [P], mais également l'erreur qu'elle avait commise sur les qualités essentielles de ce dernier ; qu'en appréciant cette erreur selon le droit français et non selon le droit tunisien, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ; 3°) Que, en tout état de cause, dans ses conclusions, Mme [V] avait fait valoir que l'absence d'intention matrimoniale de M. [P] était établie par la déclaration -dont il était justifié par une attestation- de ce dernier qui avait affirmé ne l'avoir épousée que pour être régularisé sur le territoire français, et que cet élément était corroboré par les circonstances que, M. [P] avait refusé d'exposer aucun frais pour la cérémonie du mariage, entièrement financée par l'exposante au moyen d'un prêt, qu'il ne se rappelait plus que le témoin de mariage était son frère et non son père comme il l'indiquait de façon erronée dans ses conclusions, qu'il n'avait jamais contribué aux charges du ménage, que la cohabitation des époux avait été régulièrement interrompue pendant le mariage, M. [P] retournant en Tunisie sans son épouse une à deux fois par an pendant au moins un mois à chaque fois ; qu'il avait quitté le domicile conjugal dès que son titre de séjour ne pouvait plus être remis en cause ; que Mme [V] avait assorti ses allégations d'offres de preuve (Extrait d'acte de mariage, livret de famille, attestation de Mme [J], crédit souscrit le 20 juin 2012, attestation de M. [P] indiquant avoir quitté le domicile conjugal le 1er novembre 2016 ; [P], courrier du préfet de la Corse-du-Sud) ; qu'en retenant que la demande de Mme [V] « ne reposait que sur l'unique attestation d'une amie de la demanderesse », que le défaut d'intention matrimoniale ne pouvait davantage être tiré de l'affirmation, non étayée par le moindre document, que Monsieur
[P] ait quitté le domicile conjugal dès qu'il a eu la certitude que son titre de séjour ne pouvait plus être remis en cause » et que « tout au plus, les pièces produites font état de la mésentente du couple et d'une séparation géographique, mais non de l'absence d'une véritable intention matrimoniale justifiant l'annulation du mariage», la cour d'appel a insuffisamment motivé décision en violé l'article 455 du code de procédure civile.” Outre la question de la loi applicable, qui en la cause ne pose pas de réelle difficulté, le pourvoi nous invite à nous interroger sur les causes de nullité du mariage contenant un élément d'extranéité au sens de l'article 180 du code civil. Alors que l'article 202-1 renvoie aux articles 146 et 180 en son 1er alinéa, l'épouse tunisienne invoque l'alinéa 2 de l'article 180 et l'erreur sur les qualités essentielles de l'époux.
III - Discussion et avis. 3.1. Nullité du mariage et élément d'extranéité. La nullité du mariage est la sanction classique appliquée lorsqu'une ou plusieurs conditions de la formation d'un mariage célébré n'ont pas été remplies (C. civ., art. 180). Seules les plus graves d'entre elles entraînent cette conséquence et certaines conditions, de portée moindre, restent en dehors du régime de la nullité (par exemple: le défaut de publication des bans de l'article 63 du code civil). La nullité est relative lorsqu'elle vise uniquement à protéger une personne en particulier (l'un ou l'autre époux). Elle peut ainsi être demandée quand le consentement à mariage de l'un des époux a été vicié ou en l'absence du consentement des parents du mineur1. La nullité est absolue lorsqu'elle vise la défense de la société et de l'ordre public. Les cas sont plus nombreux (C. civ., art. 184 et 1912). Ils correspondent à des hypothèses d'absence d'une condition de fond du mariage et de défaut de certaines conditions de forme, tel le défaut d'âge nuptial ou encore de consentement. Parmi les différentes conditions de formation du mariage, l'appréciation de l'exigence du consentement pose un certain nombre de difficultés. En effet, si l'article 146 du code civil dispose : “il n'y a point de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement”, l'expression d'un consentement par les époux lors de la célébration ne garantit pas, en droit, son existence. D'autres consentements peuvent parfois être exigés (par exemple pour les mineurs : C. civ., art. 148 à 150) et les époux doivent avoir pleinement conscience de leur engagement. Ils doivent en outre avoir la volonté de s'engager dans les liens du mariage, de mener une vie conjugale à part entière, et non de conclure un mariage dans le but d'en tirer un avantage particulier.
1 Le consentement du représentant légal du majeur protégé a disparu avec la loi du 23 mars 2019. 2
Le délai de prescription de l'action en nullité absolue est de trente ans (C. civ., art. 184 et 191).
Dans ce sens, les mariages dit de complaisance se caractérisent par un consentement dépourvu d'intention matrimoniale, c'est-à-dire que l'un au moins des époux ne veut pas véritablement se marier pour s'engager dans le mariage en lui-même, mais pour obtenir certains seulement de ses effets. Sur le fondement de l'article 146 du code civil, la jurisprudence française dite Appietto considère qu'il y a mariage de complaisance “lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu'en vue d'atteindre un résultat étranger à l'union matrimoniale” (1re Civ., 20 novembre 1963, D. 1964, p. 465, note G. Raymond ; 1re Civ., 28 octobre 2003, pourvoi n° 01-12.576, RTD civ., 2004, p. 66, obs. J. Hauser)3. Le Professeur Jean Hauser souligne que, “dans le cadre d'un mariage de complaisance, le consentement, voire la cause, du mariage n'existe pas”4 . Il ajoute que “l'identification des mariages fictifs est difficile, d'autant plus lorsqu'il s'agit de “mariages “gris”, expression doctrinale qui vise cette fois l'hypothèse où l'un des époux seulement est dépourvu d'intention matrimoniale ou encore celle dans laquelle les époux n'ont cherché qu'un seul des effets essentiels du mariage et non l'ensemble de ceux-ci. Ces unions sont en général annulées car elles ne sont pas créées à partir de la volonté des époux d'adhérer au mariage. Reste que la frontière exacte qui sépare la sphère matrimoniale des finalités qui lui sont étrangères est parfois difficile à tracer, chaque couple étant libre de vivre son mariage à sa manière dans les limites du respect de ses fondements.5” Lorsque le mariage comporte un élément d'extranéité, les conditions de fond exigées pour sa validité dans le for français dépendent de la loi désignée par la règle de conflit de lois française (C. civ., art. 202-1). Ainsi, dans l'ordre international, un mariage n'est soumis en principe au droit civil français que dans la mesure où la loi désignée comme applicable est la loi française. Par ailleurs, dans le cas d'une action en nullité d'un mariage présentant un élément d'extranéité, le juge saisi doit vérifier sa compétence internationale, en particulier en identifiant les règles de compétence internationale à partir desquelles cette vérification doit être effectuée. L'annulation du mariage fait partie du domaine d'application matérielle des règles européennes de compétence prévues par le règlement (CE) n° 2201/2003 dit “Bruxelles IIbis” du 27 novembre 2003. Ratione temporis, ce texte est applicable à compter du 1er mars 2005 dans toutes les instances en annulation du mariage introduites à partir de cette date et entrant dans le champ d'application géographique. S'agissant d'un texte de droit de l'union, il s'applique ratione loci au sein des Etats membres (art. 72 du règlement) et régit toute action localisée dans l'Union. La difficulté est souvent de déterminer dans quels cas, du point de vue de sa localisation géographique, le contentieux international en annulation du mariage ne relève plus des règles de compétence de l'Union européenne. La question trouve en particulier à se poser lorsqu'il existe à la fois des liens de rattachement (lieu de célébration du mariage, nationalité, lieu de résidence) à l'Union mais également à un ou plusieurs Etats tiers. 3
Dans cet arrêt, le principe de la nullité du mariage, faute de consentement, est posé lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu'en vue d'atteindre un résultat étranger à l'union matrimoniale, mais une distinction est faite selon les buts poursuivis : le mariage est au contraire valable lorsque les conjoints ont cru pouvoir limiter les effets légaux et notamment n'ont donné leur consentement que dans le but de conférer à l'enfant commun le statut d'enfant légitime.
4
J. Hauser, dans “Droit de la famille. Droit français, européen, international et comparé”, M. Cresp (coord.), J. Hauser, M. Ho-Doc (coord.), S. Sana-Chaillé-de-Néré, p. 34, Ed. Bruyland 5
J. Hauser, id., p. 34
Par un arrêt du 28 novembre 2007, rendu sous l'empire de l'ancien règlement Bruxelles II mais dont la solution demeure inchangée sous le règlement Bruxelles IIbis, la Cour de cassation a jugé que sont compétentes pour statuer notamment sur les questions relatives à l'annulation du mariage, les juridictions de l'Etat membre de la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l'un d'eux y réside encore ainsi que celles, dans certaines conditions, de la résidence habituelle du demandeur (1re Civ., 28 novembre 2007, pourvoi n° 06-16.443). Pour prononcer la nullité d'un mariage international, le juge français doit déterminer la loi applicable à l'action. Il s'agit en principe de la loi qui régit la condition du mariage qui fait défaut et dont l'absence est sanctionnée, selon cette loi, par la nullité. En l'espèce, les époux résident à [Localité 1], sont de nationalité tunisienne et se sont mariés en Tunisie. Consentement au mariage et élément d'extranéité. Le consentement au mariage est traditionnellement régi, au titre des conditions de fond du mariage par la loi nationale des époux. Il en résulte qu'aussi bien les questions liées à l'existence du consentement qu'à son intégrité relèveront de la loi nationale des époux, appliquée de façon distributive en cas de nationalités distinctes. Toutefois, à cet égard, la loi du 4 août 2014 (L. n° 2014-873 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes en faveur d'une règle d'application immédiate destinée à combattre les mariages forcés ou de complaisance) a apporté une importante innovation en complétant l'article 202-1 du code civil de la manière suivante : “ Quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l' article 146 et du premier alinéa de l'article 180". Ainsi désormais, même s'il appartient à la loi nationale des époux de déterminer l'âge matrimonial, les dispositions du code civil relatives au consentement devront systématiquement être respectées. C'est ainsi également que l'appréciation du consentement d'une personne dont les facultés mentales sont altérées, en dehors de toute considération d'âge et de tout régime de protection, relèvera de la loi de police édictée à l'article 202-1 du code civil. 3.2. Analyse des griefs et Avis. Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le rejet de sa demande de nullité du mariage célébré avec M. [P] et développe un moyen unique en trois branches. Les deux premières portent sur le champ d'application ratione temporis et ratione materiae de la règle, issue de la loi du 4 août 2014, figurant à l'article 202-1 du code civil, selon laquelle “quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.” La troisième invoque une insuffisance de motivation. – Première branche du moyen : Nous partageons l'avis du conseiller rapporteur sur la proposition de rejet non spécialement motivé de la première branche, l'article 220-1 du code civil étant applicable aux mariages célébrés avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2014 dont est issu ce texte, y compris lorsqu'ils sont célébrés à l'étranger.
– Deuxième et troisième branches du moyen : Ainsi que nous l'avons rappelé, s'il résulte des dispositions de l'article 202-1 du code civil que les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle, le mariage exige, quelle que soit la loi personnelle applicable, le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180 du même code. Le consentement au sens de l'article 146, premier alinéa, suppose que les époux aient pleinement conscience de leur engagement et la volonté de s'engager dans les liens du mariage, de mener une vie conjugale à part entière, et non de conclure un mariage dans le but d'en tirer un avantage particulier. Cette volonté est présumée et lorsqu'elle est contestée, c'est à celui qui invoque le défaut de l'intention matrimoniale d'en rapporter la preuve. En outre, le 1er alinéa de l'article 180 du code civil, auquel renvoie l'article 220-1 du même code dispose : “Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public. L'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. Le deuxième alinéa de l'article 180, auquel l'article 220-1 ne renvoie pas dispose quant à lui : S'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage.” En l'espèce, Mme [V] fait valoir que son époux était dépourvu de la volonté de s'unir effectivement et durablement et d'assumer les conséquences légales du mariage, n'en recherchant que le bénéfice de régularisation de sa situation en France. Elle argumente son grief sur le fondement de l'article 180, alinéa 2, du code civil. Elle invoque, à l'encontre de son époux, l'erreur sur la personne c'est à dire un vice du consentement, en soutenant qu'en épousant M. [P] qui n'avait pas d'intention matrimoniale, mais cherchait uniquement à être régularisé sur le territoire français, elle s'est trompée sur sa personne. Elle intègre donc l'intention matrimoniale dans les qualités essentielles de la personne qu'elle épouse. Ainsi que le relève le Professeur Jean Hauser, précédemment cité, il s'agit davantage d'une erreur sur la cause du mariage que sur le consentement qu'elle a donné le 6 juillet 2012 en lui-même, étant observé que l'époux a quitté le domicile conjugal le 18 octobre 2016. Pour débouter Mme [V], la cour d'appel a considéré qu'elle ne rapportait pas la preuve du défaut d'intention matrimoniale de l'époux en se fondant sur l'article 180 du code civil, sans expressément viser l'alinéa 1er, ni l'article 146 du code civil. Il ressort en outre du jugement et des conclusions d'appel que Mme [V] a sollicité la nullité du mariage sur le fondement de l'article 180, alinéa 2, du code civil auquel ne renvoie pas l'article 220-1. En conséquence, et selon nous, non seulement les fondements textuels invoqués sont erronés mais, en tout état de cause, les griefs exposés se heurtent à l'appréciation
souveraine des juges du fond qui ont considéré, en la cause, que la preuve de l'absence d'intention matrimoniale de l'époux n'était pas rapportée. L'arrêt est en effet motivé de la façon suivante : “C'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande, fondée sur l'article 180 du Code civil, en relevant que celle-ci ne reposait que sur l'unique attestation d'une amie de la demanderesse. Le défaut d'intention matrimoniale ne peut davantage être tiré de l'affirmation, non étayée par le moindre document, que Monsieur [P] ait quitté le domicile conjugal dès qu'il a eu la certitude que son titre de séjour ne pouvait plus être remis en cause. À cet égard, le dépôt d'une requête en divorce, le 19 décembre 2016, n'est pas utile à la démonstration. Tout au plus, les pièces produites font état de la mésentente du couple et d'une séparation géographique, mais non de l'absence d'une véritable intention matrimoniale justifiant l'annulation du mariage. Les deuxième et troisième branches du moyen prises ensemble doivent donc être rejetées En conséquence, et au bénéfice de ces observations, nous concluons au rejet du pourvoi.