Cass. crim., Conclusions, 15-02-2022, n° 20-86.019
A84772RE
Référence
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AVIS DE M. PETITPREZ, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 81 du 15 février 2022 – Chambre criminelle Pourvoi n° 20-86.019 Décision attaquée : Arrêt de la cour d'appel de Lyon du 22 octobre 2020 [I] [W] [X] [K] C/ _________________
Rappel des faits et de la procédure Dans le cadre d'une information ouverte à la JIRS de Lyon, faisant suite à des plaintes et dénonciations émanant de jeunes femmes d'origine nigériane se livrant à la prostitution, les services de police ont démantelé un vaste réseau de proxénétisme aggravé et de traite d'êtres humains, principalement structuré autour de M. [I] [W], pasteur d'une église évangélique et de « mamas », anciennes prostituées lui apportant leur concours, parmi lesquelles Mme [X] [K]. Les intéressés ont été poursuivis pour proxénétisme et traite d'êtres humains à l'égard de plusieurs personnes, aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers en bande organisée, association de malfaiteurs et enfin blanchiment en bande organisée. 1
Par jugement en date du 29 novembre 2019, le tribunal correctionnel a relaxé les deux prévenus des chefs d'aide à l'immigration irrégulière et association de malfaiteurs, a abandonné la circonstance aggravante de bande organisée s'agissant du délit de blanchiment et, pour proxénétisme aggravé, traite d'êtres humains aggravée et blanchiment, a condamné M. [I] [W] à sept ans d'emprisonnement, à une interdiction définitive du territoire national et à cinq ans d'interdiction de détention ou port d'arme, ainsi que Mme [X] [K] à quatre ans d'emprisonnement et cinq d'interdiction de port ou détention d'arme. Enfin, sur appel de M. [W] et appel principal du ministère public, la cour d'appel de Lyon, par arrêt du 22 octobre 2020, a déclaré les prévenus coupables de l'ensemble des infractions qui leur étaient reprochées, a condamné M. [I] [W] à neuf ans d'emprisonnement, avec période de sûreté des deux tiers, en confirmant les autres sanctions prononcées et Mme [X] [K] à cinq ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français en confirmant l'interdiction de détention d'arme. C'est l'arrêt attaqué.
Analyse succincte des moyens Les critiques exposées par les demandeurs peuvent être regroupées en quatre séries de griefs distincts, sous la forme du tableau suivant :
Discussion Il convient d'examiner dans un premier temps les critiques tenant à l'irrégularité de la procédure et aux vices de motivation affectant les déclarations de culpabilité et les peines prononcées, qui peuvent être facilement écartées. La discussion sera ensuite centrée sur l'application du principe « non bis in idem », qui soulève des difficultés plus sérieuses. I) Sur les griefs tirés de l'irrégularité de la procédure et des vices de motivation de l'arrêt attaqué A) Concours des interprètes (1er moyen de Mme [K]) Mme [K] soutient que les énonciations de l'arrêt attaqué ne permettent pas de s'assurer que les interprètes en langue anglaise requis pour apporter leur concours étaient âgés d'au moins vingt et un ans et ont prêté le serment d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience.
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En application de l'article 407 du Code de procédure pénale et conformément aux exigences de l'article 6, § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, le président a l'obligation de désigner d'office un interprète, devant prêter serment, au prévenu, au témoin ou à la partie civile qui a une connaissance insuffisante de la langue française ou lorsque la traduction d'un document versé aux débats s'avère nécessaire. L'assistance d'un interprète est prescrite toutes les fois que son concours s'impose. En l'absence de toute contestation à l'audience, la personne appelée à remplir la fonction d'interprète est présumée avoir eu l'âge requis par la loi 1. La même règle s'applique devant la cour d'assises : il y a présomption de droit que les personnes appelées par le président à remplir la fonction d'interprète et qui n'ont été récusées ni par l'accusé ni par le ministère public avaient l'âge requis par la loi 2. Par ailleurs la formule du serment n'a aucun caractère sacramentel. Les énonciations de l'arrêt selon lesquelles le prévenu était assisté d'un interprète qui a prêté serment emportent présomption que ce serment a été celui prescrit par l'article 407 du code de procédure pénale 3. En l'espèce, l'arrêt attaqué mentionne que les quatre interprètes en langue anglaise « ont prêté serment devant la cour et ont apporté leur concours chaque fois que cela a été nécessaire, conformément à l'article 407 du Code de procédure pénale ». Non seulement, ces interprètes étaient présumés remplir la condition d'âge, mais la référence à l'article 407 du code de procédure pénale suffit à faire constater que ce serment a été celui prescrit par la loi. Le moyen, qui se heurte à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, pourrait être déclaré non admis. B) Motivation sur la culpabilité 1°) Association de malfaiteurs (2e moyen, 1re branche de Mme [K]) Mme [K] soutient qu'en la déclarant coupable d'association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de traite d'êtres humains à l'égard de plusieurs personnes, au motif que l'existence d'une telle association était déjà caractérisée 1
Voir Crim. 25 juin 1998, n° 97-81.647, Bull. n° 208 et pour la cour d'assises
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Crim. 17 septembre 2014, n° 13-84.971, Bull. n° 191
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Crim. 21 février 1996, n° 95-82.305 3
par d'autres motifs de l'arrêt attaqué et que la prévenue connaissait plusieurs membres de cette association, sans relever aucun fait matériel susceptible de caractériser la participation personnelle de la prévenue à cette association de malfaiteurs, la cour d'appel aurait méconnu le principe de la responsabilité personnelle édicté par l'article 121-1 du code pénal. Il résulte cependant de la motivation de l'arrêt que la cour d'appel a décrit avec précision les éléments matériels caractérisant l'existence d'une association de malfaiteurs en relevant non seulement que Mme [X] [K] était en relation avec plusieurs membres de cette association mais avait participé aux préparatifs de l'arrivée en France de jeunes femmes recrutées au Nigéria par des tiers et vendues en vue de la prostitution, qu'elle communiquait au moyen d'une ligne téléphonique ouverte sous une fausse identité, qu'elle avait participé à la fausse immatriculation des véhicules utilitaires utilisés en vue de l'exploitation sexuelle de ces jeunes femmes et enfin qu'elle avait contribué à une tontine en vue de venir en aide à des associés en difficulté et de financer l'achat à crédit de nouveaux véhicules (pages 55 et 63 de l'arrêt). Le moyen manque en fait et ne peut sérieusement prospérer. 2°) Aide à l'immigration irrégulière et blanchiment (3e moyen 1re branche de Mme [K]) Mme [K] reproche à la cour d'appel de l'avoir déclarée coupable d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers sans préciser les constations de fait dont elle a déduit la situation irrégulière des personnes citées dans la prévention. Il résulte cependant de l'arrêt que Mme [K] a apporté son concours à une filière d'acheminement en France de jeunes prostituées, toutes de nationalité nigériane, qui avait recours en Lybie et en Italie à des passeurs rémunérés par M. [W], que ce dernier les accueillait à la frontière et observait une grande discrétion dans tous leurs déplacements et leurs modalités d'hébergement (pages 42 et 45). S'agissant plus particulièrement de Mme [K], les juges constatent que cette dernière a aidé depuis la France les prostitués nigérianes à entrer et séjourner irrégulièrement sur le territoire national, notamment en participant aux frais de transport, en accueillant l'une d'elles à la frontière et en fournissant des solutions d'hébergement (page 63) Contrairement à ce que soutient le moyen, la cour d'appel a justifié sa décision en constatant que non seulement les jeunes prostituées, notamment celles identifiées dans la prévention, avaient été acheminées clandestinement depuis le Nigéria par une filière organisée mais que Mme [K], organisatrice parmi d'autres de cette filière, avait connaissance de l'irrégularité de leur situation. Le moyen n'est pas fondé et mérite d'être rejeté.
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3°) Blanchiment (4e moyen, 1re branche de Mme [K]) L'intéressée soutient que la seule détention de fonds représentant le produit d'une infraction de même que le transfert de ces fonds ne peut caractériser un blanchiment. En se bornant à relever que Mme [K] avait collecté des fonds auprès de prostituées pour les envoyer au Nigéria, la cour d'appel n'aurait pas donné de base légale à sa décision. Cette critique n'est pas justifiée. L'arrêt attaqué relève en effet que Mme [K] utilisait le système de l'"hawala" ou "euro to euro", système informel de transfert de fonds, pour envoyer au Nigéria de l'argent liquide provenant des activités de proxénétisme et traite d'êtres humains. Commentant le rapport de Tracfin pour 2015, Mme [P] décrit ainsi la compensation informelle ou hawala qui est l'une des techniques de placement d'argent liquide dans le circuit financier : « Le mécanisme permet à une personne qui veut envoyer des espèces à une autre personne située à l'étranger ou qui souhaite recevoir des espèces de sa part, de le faire sans mouvement de fonds par simple compensation, de manière très simple et informelle » 4. La chambre criminelle juge qu'au sens de l'article 324-1 alinéa 2 du code pénal « l'opération de placement consiste notamment à mettre en circulation dans le système financier des biens provenant de la commission d'un crime ou d'un délit. La caractérisation du délit de blanchiment n'implique pas, dans ce cas, que soit établie une dissimulation de l'origine illicite de ces biens. Il s'en déduit que l'opération de dépôt ou de virement du produit d'un crime ou d'un délit sur un compte, y compris s'il s'agit de celui de l'auteur de l'infraction d'origine, qui conduit à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire, constitue une opération de placement caractérisant le délit de blanchiment » 5. Cette interprétation s'appuie notamment sur la Convention de Varsovie du 16 mai 2005 et la directive de l'Union européenne du 23 octobre 2018 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal, dont il ressort que tout acte conduisant à faire entrer des fonds illicites dans le circuit bancaire doit être constitutif de blanchiment.
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Chantal Cutajar, « Rapport Tracfin 2015 : des risques émergents non maîtrisés » La Semaine Juridique Edition Générale n° 3, 16 Janvier 2017, 42 5
Crim. 18 mars 2020, n° 18-85.542 5
Bien évidemment, dans le cadre d'un transfert international de fonds, il en est de même de l'opération consistant à mettre en circulation de l'argent liquide dans un système de paiements informels tel que l'hawala, auquel Mme [K] a eu recours. 4°) Circonstance aggravante de bande organisée attachée au blanchiment (2 e moyen, 1re branche de M. [W]) Selon le demandeur, la cour d'appel n'aurait pas établi la circonstance aggravante de bande organisée, aggravant la répression du blanchiment en se bornant à énoncer que cette circonstance était « caractérisée par les éléments déjà évoqués » sans exposer les éléments circonstanciés lui permettant de fonder la déclaration de culpabilité de M. [W]. La cour d'appel s'est manifestement référée aux éléments déjà exposés par elle dans le cadre du délit d'aide à l'entrée ou au séjour irréguliers d'étrangers pour retenir l'existence d'une bande organisée, étant observé que rien ne s'oppose à ce qu'une même circonstance soit retenue comme aggravant des infractions distinctes 6. Elle a constaté que « la bande organisée était caractérisée puisqu'il [M. [I] [W]] s'était joint à une organisation structurée préexistante, déjà décrite, rompue à l'exploitation sur le territoire européen et particulièrement sur le territoire français d'un réseau de prostitution de jeunes femmes d'origine nigériane ». Le grief manque en fait et doit être écarté. C) Motivation de l'arrêt sur la peine d'emprisonnement (5e moyen de Mme [K]) Le juge qui prononce une peine d'emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l'infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction 7. En l'espèce l'intéressée soutient qu'en se bornant à se retrancher derrière la gravité des faits et le caractère rémunérateur des infractions reprochées, sans mieux s'expliquer sur le caractère inadéquat de toute autre sanction autre que l'emprisonnement ferme, au regard, notamment, de sa situation personnelle, sociale et familiale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision. Cette critique n'est pas fondée. Après avoir longuement exposé la situation familiale et personnelle de Mme [K] et relevé son absence d'antécédents judiciaires et ses efforts d'insertion, la cour d'appel s'est fondée sur la particulière gravité des faits 6
Crim. 7 février 2007, n° 06-84.845
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Crim. 29 novembre 2016, no 15-86.712, Bull. n° 316
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d'exploitation sexuelle d'au moins quatre jeunes femmes, sur le rôle important joué par elle dans la logistique du réseau et les profits générés par ses activités illicites. Elle a jugé que « la gravité des infractions et la personnalité de leur auteur rendent indispensable une peine d'emprisonnement sans sursis, en dernier recours, et toute autre sanction est manifestement inadéquate ». Cette motivation paraît conforme aux exigences légales et à la jurisprudence de la Cour de cassation. Ce moyen proposé à l'appui du pourvoi ne paraît pas de nature à être admis.
II) Sur l'application du principe non bis in idem Le “droit à ne pas être jugé ou puni deux fois” est garanti par l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'Homme selon lequel “nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat”. Ce droit figure également au sein de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont l'article 50 prévoit, sous un libellé très proche de l'article 4 du Protocole no 7, que “nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi”. Explicitant la notion de “bis”, la Cour européenne des droits de l'homme rappelle que le principe non bis in idem s'applique uniquement après l'acquittement ou la condamnation de la personne intéressée par une décision définitive rendue conformément à la loi et à la procédure pénale de l'État concerné 8. Dans son arrêt de Grande chambre Zolotoukhine, elle a précisé la notion d'identité d'infractions (idem), en indiquant que « l'article 4 du Protocole n° 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde ‟infraction” pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes » (§ 82) et que « la garantie consacrée à l'article 4 du Protocole n° 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d'acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée » (§ 83).
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CEDH Horciag c.Roumanie, 15 mars 2005 7
Depuis l'arrêt Zolotoukhine, il est admis par la Cour que le prononcé par les autorités de sanctions différentes pour le même comportement est permise dans une certaine mesure lorsqu'elles s'inscrivent dans un tout cohérent 9. La Cour de justice de l'Union européenne opte pour la même approche matérielle des faits, abstraction faite de leur qualification juridique. Elle considère qu' « en raison de l'absence d'harmonisation des législations pénales nationales, un critère fondé sur la qualification juridique des faits ou sur l'intérêt juridique protégé serait de nature à créer autant d'obstacles à la liberté de circulation dans l'espace Schengen qu'il existe de systèmes pénaux dans les États contractants. Dans ces conditions, le seul critère pertinent aux fins de l'application de l'article 54 de la CAAS est celui de l'identité des faits matériels, compris comme l'existence d'un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles » 10. En droit interne, la chambre criminelle, par un arrêt du 26 octobre 2016, a abandonné sa jurisprudence antérieure autorisant le cumul de qualifications pour les mêmes faits en cas d'éléments constitutifs différents et de violation d'intérêts distincts 11, au profit d'une approche concrète des faits retenus au cas d'espèce sous une double qualification. Elle juge désormais que « les faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ».
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CEDH, grand chambre, 15 nov. 2016, n°24130/11 et 29758/11, aff. A et B c/ Norvège, §122 10 11
CJCE, 9 mars 2006, aff. C-436/04, Van Esbroeck, § 35 et 36
Jurisprudence encore retenue par Crim. 8 décembre 2015, n° 14-85.548, Bull. n° et Crim. 8 mars 2016, n° 14-88.347, Bull. n° 69
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En conséquence, « encourt la cassation l'arrêt qui, pour condamner un prévenu du chef de recel, énonce que des fonds provenant de l'escroquerie commise par sa compagne ont été versés sur son compte bancaire, alors qu'il s'agit d'une opération préalable à l'achat du bien qu'il a réalisé et pour lequel il a été condamné du chef de blanchiment » 12. En l'espèce, selon les demandeurs, le principe non bis in idem aurait été méconnu en ce que - la cour d'appel a retenu à la charge de M. [W] et de Mme [K], pour les déclarer coupables de d'association de malfaiteurs en vue de la préparation des délits de proxénétisme aggravé et de traite d'êtres humains à l'égard de plusieurs personnes, des faits indissociables de ceux caractérisant la consommation de ces délits, - les juges ont retenu à la charge de M. [W] et Mme [K] des faits d'association de malfaiteurs indissociables de ceux caractérisant la bande organisée comme circonstance aggravante, d'une part de l'infraction d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers et, d'autre part, du délit de blanchiment dont les prévenus ont été déclarés coupables. Il convient de rappeler que les deux prévenus ont été relaxés en première instance du chef d'association de malfaiteurs si bien que les moyens dirigés contre l'arrêt de condamnation de ce chef ne peuvent être écartés en raison de leur nouveauté 13. Les moyens invoqués par les demandeurs recèlent deux critiques distinctes, qui seront successivement abordées. A) Cumul entre association de malfaiteurs et réalisation de l'infraction projetée Selon l'article 450-1 du code pénal, « constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement ». Le délit d'association de malfaiteurs, tel qu'il est défini par cet article suppose la participation à une entente établie entre plusieurs personnes, qui se proposent d'atteindre des objectifs particuliers (commission de crimes ou délits graves) et qui sont animés de la même intention délictueuse.
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Crim. 26 octobre 2016, n° 15-84.552, Bull. n° 276
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Voir Jacques et Louis Boré, Dalloz action « La cassation en matière pénale », § 112.64 9
Dès lors qu'est démontrée la volonté d'agir en commun, tous ceux qui ont participé à l'élaboration du ou des projets débattus sont coupables de participation à une association de malfaiteurs. Il faut même aller plus loin : il importe peu que tel ou tel des individus poursuivis n'ait participé qu'au montage d'un seul des projets élaborés, dès lors qu'il a adhéré au groupement connaissant ses activités et voulu apporter son aide à leur réussite 14. La question soulevée est celle de savoir dans quelles conditions le délit d'association de malfaiteurs, infraction obstacle, peut être poursuivi cumulativement avec les infractions commises ou tentées par les membres de l'entente. La chambre criminelle juge de manière constante que l'association de malfaiteurs est une infraction indépendante tant des crimes ou délits qu'elle a pour objet de préparer ou de commettre 15, que des infractions caractérisées par certains des faits qui la concrétisent 16. Il n'y a donc pas d'incompatibilité de principe entre l'association de malfaiteurs et l'infraction vers laquelle elle tend. Mais, en vertu du principe ne bis in idem, tel que formulé par la chambre criminelle depuis 2016, il faut que soient relevés des faits constitutifs de participation à une association de malfaiteurs différents de ceux qui caractérisent l'infraction commise ou tentée. Ainsi, la chambre criminelle a censuré un arrêt ayant déclaré le prévenu cumulativement coupable de proxénétisme et d'association de malfaiteurs sans retenir des faits constitutifs de participation à une association de malfaiteurs distincts de ceux pour lesquels elle a déclaré le prévenu coupable de proxénétisme aggravé 17.
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A. Vitu et D. Beauvais, JurisClasseur Pénal Code, Art. 450-1 à 450-5, Fasc. 2 : Participation à une association de malfaiteurs, § 22 15
Crim. 22 janvier 1986, n° 85-92.620, Bull. n° 29, Crim. 15 juin 2011, n° 09-87.135, Bull. n° 127 et, plus récemment, Crim. 19 février 2019, n° 18-81.096 16
Crim. 2 juillet 1991, n° 90-87.165, Bull. n° 288 (Pour déclarer la prévenue coupable d'association de malfaiteurs, la cour d'appel retient sa participation active à la préparation d'attentats à caractère terroriste, notamment par la détention et le transport d'armes, de munitions et explosifs, délit pour lequel elle a été également condamnée) 17
Crim. 9 mai 2018, n° 17-86.448
De même, elle a cassé l'arrêt d'une cour d'appel ayant prononcé une double condamnation pour association de malfaiteurs et complicité de tentative d'évasion 18. On peut citer également un arrêt qui censure une double condamnation pour association de malfaiteurs et complicité de trafic de stupéfiants sans retenir des faits constitutifs du délit d'association de malfaiteurs distincts de ceux retenus pour caractériser la complicité, par instructions, d'infractions à la législation sur les stupéfiants, alors que les deux délits concernaient le même réseau, au cours de la même période 19. De même, toujours en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants, la chambre criminelle a cassé des arrêts de cour d'appel en constatant que « les faits visés pour caractériser le délit d'association de malfaiteurs [étaient] inclus dans ceux retenus par ailleurs pour réprimer les infractions à la législation sur les stupéfiants » 20 ou encore que les juges étaient entrés en voie de condamnation « sans mieux s'expliquer sur la commission, au titre de la poursuite pour association de malfaiteurs, de faits distincts de ceux qui caractérisent l'importation de stupéfiants retenue par ailleurs » 21. S'agissant cette fois de poursuites pour dépôt d'armes et association de malfaiteurs, il a été jugé que les faits caractérisant la première infraction étaient inclus dans ceux qui établissaient la seconde et procédaient de la même intention coupable 22. La chambre criminelle a également censuré un arrêt qui avait retenu les mêmes faits d'envoi par une personne de sommes d'argent en Syrie à des membres de sa famille partis rejoindre l'organisation terroriste ‟ Etat islamique ”, provenant de collectes d'argent ou de la perception pour leur compte de prestations sociales, pour fonder deux déclarations de culpabilité des chefs d'association de malfaiteurs terroriste et de financement d'une entreprise terroriste 23. Mentionnons qu'un arrêt récent, non publié, se fonde de manière plus classique sur l'existence d'un concours idéal d'infractions en jugeant que seule la qualification la 18
Crim. 19 juin 2019, n° 18-83.659
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Crim. 10 avril 2019, n° 17-86.447
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Crim. 28 octobre 2020, n° 19-84.311
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Crim. 18 novembre 2020, n° 19-86.299
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Crim. 11 mars 2020, n° 19-84.887 et Crim. 17 mars 2021, n° 20-81.288
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Crim. 13 janvier 2021, n° 19-87.099
plus haute doit être retenue, en présence d'une infraction obstacle, telle que l'association de malfaiteurs, et de l'infraction sanctionnant l'action parvenue à son terme. La chambre criminelle énonce en effet qu' « en cas de concours entre une infraction dont la raison d'être est de faire obstacle à la commission d'une autre infraction et une infraction qui sanctionne une action parvenue à son terme ou dont la tentative est consommée, l'infraction pour laquelle la peine privative de liberté la plus longue est prévue doit être retenue. Lorsque cette peine est identique pour ces deux infractions, la seconde doit être préférée ». Ainsi est cassé l'arrêt qui, d'une part, retient les mêmes faits pour déclarer le prévenu à la fois coupable d' association de malfaiteurs et de complicité de violences aggravées et d'autre part, se fonde sur des faits distincts mais identiques pour entrer en voie de condamnation des chefs d'association de malfaiteurs, recel aggravé, usage de fausses plaques et infractions à la législation sur les armes 24. Il est à noter que dans certains cas, la chambre a écarté le moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem en considérant que les infractions commises ou tentées n'étaient qu'un aspect d'un projet criminel plus vaste dont rendait compte la qualification d'association de malfaiteurs. Ainsi elle a jugé que le prévenu qui avait transporté par voie maritime près de deuxcent kilos de cocaïne et, agissant dans le cadre d'un réseau international de trafiquants de stupéfiant, avait acheté dans ce but un voilier, avec des fonds fournis par un membre du groupe sous forme de prêt, son commanditaire ayant financé sa restauration ainsi que le matériel de communication pour le voyage et de conditionnement des stupéfiants pour leur conservation et leur recherche en cas de mise en mer, pouvait être condamné à la fois pour association de malfaiteurs et trafic de stupéfiants 25. De même, elle a admis le cumul des qualifications de participation à une association de malfaiteurs et escroquerie, pour les raisons suivantes : « D'une part, les juges, en constatant que le prévenu s'est en connaissance de cause associé avec un groupement déjà constitué en vue de la préparation d'escroqueries, concrétisée par la réalisation de faux papiers à laquelle il a contribué en leur remettant des photos et des documents, ont caractérisé sa participation à une association de malfaiteurs. D'autre part, ces faits sont distincts de ceux retenus à l'encontre du prévenu au titre du délit d'escroquerie, qui ont consisté à constituer des dossiers de prêts à l'aide des documents ainsi obtenus, en vue de se faire remettre des fonds par des organismes de crédit » 26. 24
Crim., 27 mai 2021, n° 20-80.931
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Crim. 17 janvier 2018, n° 16-84.163
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Crim. 9 septembre 2020, n° 18-86.351
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Dans un commentaire ce dernier arrêt, M. Philippe Conte souligne que « le principe semble donc tourner à vide : alors qu'il est destiné à réunir des faits différents, leur unification paraît être refusée en raison même de cette différence, sans égard pour l'unique intention qui, pourtant, les anime et qui est le moyen de les fondre éventuellement en une ‟action unique” [...]. Pour sortir de la confusion jurisprudentielle qui caractérise l'association de malfaiteurs (laquelle voit l'application de non bis tantôt acceptée, tantôt, comme ici, écartée, selon des critères impénétrables...), il serait plus clair de procéder à une réduction du domaine d'application du principe. La jurisprudence a d'ailleurs commencé à lui refuser une portée générale, lorsqu'elle cumule des qualifications pour appréhender une action ‟dans toutes ses dimensions”.... Sur cette lancée, il serait donc concevable de soustraire aussi à l'emprise de non bis l'association de malfaiteurs (il est peut-être possible, on l'a vu, d'interpréter l'arrêt en ce sens), et, plus largement, les infractions qui, comme les infractions formelles ou les infractions-obstacles, ont vocation à précéder la commission d'une autre, tels le faux et l'usage de faux (autres qualifications auxquelles, selon les espèces, le principe s'applique ou non, pour des raisons qui semblablement se dérobent à l'analyse) » 27. En l'espèce, pour déclarer M. [W] coupable de proxénétisme aggravé, les juges énoncent notamment que l'intéressé a, fourni des logements à des prostituées en toute connaissance de cause et a perçu des produits issus de la prostitution habituelle de ses locataires, en payement des loyers des appartements qu'il mettait à leur disposition (pages 34 à 36 de l'arrêt). Pour entrer en voie de condamnation du chef de traite des êtres humains à l'égard de plusieurs personnes, la cour d'appel relève principalement que M. [W] a « recruté, transféré, accueilli et hébergé au moins une partie des prostituées identifiées et des prostituées restées non identifiées », qu'il a exploité les jeunes femmes livrées à la prostitution en leur louant des logements au prix fort tout en usant de pressions et de menaces (Page 37) et enfin qu'il « s'est comporté à l'égard de ces femmes comme s'il s'agissait de marchandises, de produits de consommation sexuelle, qu'il s'agissait d'apprécier uniquement au regard de leur valeur potentielle sur le marché de la prostitution » (Page 43). Concernant l'association de malfaiteurs, la cour d'appel commence par énoncer que « certes, le principe "non bis in idem" ne permet pas de retenir simultanément à l'encontre du même prévenu, à raison des mêmes faits, d'une part les délits d'aide au séjour irrégulier en bande organisée, de blanchiment en bande organisée et d'autre part celui d'association de malfaiteurs en vue de la préparation des délits d'aide au séjour irrégulier en bande organisée et de blanchiment en bande organisée ».
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Non bis in idem - Le cas de l'association de malfaiteurs - Commentaire par Philippe Conte - Droit pénal n° 12, Décembre 2020, comm. 201 13
Elle estime néanmoins que « contrairement, à ce qu'avait jugé le tribunal correctionnel, [I] [W] s'était bien livré à des actes préparatoires distincts des éléments constitutifs des infractions de proxénétisme aggravé par la pluralité de victimes et de traite d'êtres humains à l'égard de plusieurs personnes ». Ainsi, à partir de la documentation figurant au dossier, l'arrêt fournit une description des réseaux nigérians de traite des êtres humains, organisés à des fins d'exploitation sexuelles de jeunes femmes originaires du Nigéria, recrutées dans ce pays par l'intermédiaire de mamas" anciennes prostituées et contraintes de se prostituer en France, dans une forte situation de dépendance, après avoir contracté une dette considérable et scellé le contrat à l'issue d'une cérémonie rituelle, le juju". Pour caractériser la participation de M. [W] à une association de malfaiteurs en vue de la préparation des délits de proxénétisme aggravé, de traite des êtres humains, des infractions à la législation sur les étrangers et du délit de blanchiment, les juges relèvent son association à un réseau de ce type constitué entre lui et ses coprévenus dans le « dessein commun de mettre en oeuvre à Lyon, Nîmes et Montpellier des moyens humains et logistiques permettant un flux renouvelé d'émigrées nigérianes ». Ils relèvent ensuite sa participation active à cette association par les actes accomplis en vue de l'accueil, de l'hébergement et de l'exploitation sexuelle des prostituées nigérianes ainsi que les dispositions prises pour transférer à l'étranger les produits de cette activité. Ils constatent plus spécialement que l'intéressé était en contact avec des femmes résidant au Nigéria, dont sa propre mère et la mère de sa compagne, qui pourvoyaient ce réseau en jeunes femmes, qu'il recherchait des logements destinés à les héberger ou trouvait des occupantes pour des appartements déjà disponibles, qu'il était en relation avec des proxénètes ou logisticiens spécialisés dans la mise à disposition de fourgonnettes où s'exerçait l'activité de prostitution, qu'il avait recours aux services de personnes mettant en œuvre le système financier hawala, qu'il effectuait des déplacements entre les trois villes citées et enfin qu'il prenait des précautions en utilisant sept lignes téléphoniques dont aucune n'était à son nom (page 44). Cette motivation fait ressortir que les faits reprochés à M. [I] [W] sous la qualification d'association de malfaiteurs revêtent une dimension plus vaste que ceux qui lui sont imputés au titre des délits de proxénétisme et traite aggravés. S'agissant de Mme [X] [K], la cour d'appel, pour la condamner du chef de proxénétisme aggravé retient que cette dernière contrôlait étroitement la prostitution de plusieurs jeunes femmes nigérianes notamment en leur montrant les emplacements de prostitution, en mettant à leur disposition des véhicules utilitaires utilisés à cette fin, en surveillant leurs activités et leurs gains et en exerçant sur
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elles des pressions pour accroître les profits tirés de cette activité (pages 59 à 61 de l'arrêt). Pour retenir le délit de traite d'êtres humains à l'égard de plusieurs personnes, les juges relèvent principalement que l'intéressée a contribué à faire venir du Nigéria des jeunes femmes livrées en France à la prostitution et qu'elle était intéressée financièrement à cette traite, percevant une partie du remboursement par les prostituées de leur ‟dette de libération” (pages 61 et 62). Enfin, pour entrer en voie de condamnation du chef d'association de malfaiteurs en vue de la préparation des délits de proxénétisme aggravé et de traite d'êtres humains à l'égard de plusieurs personnes, la cour d'appel commence par se référer aux mêmes éléments que ceux retenus dans le cas de M. [I] [W], c'est à dire son appartenance à un réseau nigérian de traite des êtres humains et sa participation « aux préparatifs de la venue d'autres filles recrutées au Nigéria par des tiers, qui étaient vendues et qui étaient destinées à venir en France pour s'y prostituer », notamment par l'ouverture sous une fausse identité d'une ligne téléphonique dédiée à ces activités, la fausse immatriculation de véhicules utilisés par tous les membres de cette organisation et sa contribution à une ‟caisse commune” des conducteurs de véhicules permettant de venir en aide à un ‟associé” en difficulté et de financer l'achat à crédit de nouveaux véhicules (pages 55 et 63). Il résulte de cette motivation que les faits reprochés à Mme [K] sous la qualification d'association de malfaiteurs revêtent une dimension plus vaste que ceux qui lui sont imputés au titre des délits de proxénétisme et traite aggravés, commis au préjudice des seules personnes citées dans la prévention. Dès lors le grief tiré de la méconnaissance du principe ne bis in idem sera écarté. B) Cumul entre association de malfaiteurs et circonstance aggravante de bande organisée La définition de l'association de malfaiteurs est très proche de celle que, dans son article 132-71, le code pénal donne de la bande organisée. La chambre criminelle estime néanmoins possible d'opérer une distinction entre les deux notions : La bande organisée suppose la préméditation des infractions et, à la différence de l'association de malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres 28. S'il n'est pas possible de cumuler l'association de malfaiteurs avec la circonstance de bande organisée lorsque les mêmes agissements sont retenus pour les caractériser, ce cumul reste permis, dès lors que sont visés des faits matériels distincts. 28
Crim. 8 juillet 2015, n° 14-88.329, Bull. n° 172 15
La chambre criminelle juge que ne méconnaît pas le principe selon lequel un même fait ne peut être retenu comme élément constitutif d'une infraction et circonstance aggravante d'une autre infraction, la cour d'appel qui déclare le prévenu coupable d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'une évasion et d'évasion en bande organisée, dès lors qu'elle constate que les éléments constitutifs du premier de ces délits et la circonstance aggravante du second correspondent en l'espèce à des faits distincts 29. De même, il résulte d'un arrêt du 22 avril 2020 que n'ignore pas le principe ne bis in idem, la cour d'assises qui déclare l'accusé coupable du délit d'association de malfaiteurs et du crime de vols en bande organisée commis avec l'aide ou sous la menace d'une arme, en relevant que les mêmes faits, soit la détention d'armes de guerre, d'explosifs, de munitions, de cagoules, de menottes, de gyrophares, d'un tazer, le vols de véhicules, et la tenue de réunions pour répartir les rôles de chacun des participants, d'une part, ont été mis en œuvre pour réaliser les vols commis par le demandeur et caractérisent la circonstance aggravée de bande organisée, et, d'autre part, s'inscrivaient dans la préparation de faits distincts d'attaques de fourgons blindés, qui n'ont pas été commis ou tentés, cette préparation constituant le délit d'association de malfaiteurs 30. Cet arrêt est à rapprocher de autres deux décisions, rendues le 9 mai 2019, dans lesquelles, la chambre criminelle avait opéré une distinction selon que l'association de malfaiteurs permet ou non de préparer des actes autres que ceux réalisés en bande organisée. Ainsi, méconnaît le principe ne bis in idem la cour d'assises qui, pour condamner un accusé des chefs de vol avec arme en bande organisée et association de malfaiteurs, retient des faits identiques pour caractériser la circonstance aggravante de bande organisée et le délit d'association de malfaiteurs 31. Mais ne méconnaît pas ce principe la cour d'assises qui, pour déclarer un accusé coupable de tentative de vol avec arme en bande organisée et association de malfaiteurs, retient, au titre de l'association de malfaiteurs, la préparation de plusieurs actions criminelles distinctes de celle qualifiée de tentative de vol avec arme en bande organisée 32.
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Crim. 19 janvier 2010, n° 09-84.056, Bull. n° 11
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Crim. 22 avril 2020, n° 19-84.464
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Crim. 9 mai 2019, n° 18-82.800, Bull. n° 89
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Crim. 9 mai 2019, n° 18-82.885, Bull. n° 90
Commentant ce dernier arrêt, M. Philippe Conte considère cette solution comme singulière « puisqu'une association de malfaiteurs étant autonome par rapport aux infractions dont elle assure la préparation, le fait d'y participer devrait être punissable dans des conditions constantes, indépendamment du nombre de ces infractions : malgré la pluralité de celles-ci, il n'existe qu'une seule association. Au contraire, s'il fallait affirmer qu'il en existe autant que d'infractions préparées, à pousser cette logique jusqu'au bout, il faudrait alors condamner les associés pour leur participation à l'association autant de fois qu'ils ont préparé des infractions différentes, s'agissant du moins de celles qu'ils n'auront pas exécutées en bande organisée » 33. Parmi de nombreux exemples de situations dans lesquelles le cumul entre l'association de malfaiteurs et le crime ou le délit commis en bande organisée a été exclu, on peut citer : - Un arrêt du 16 mai 2018 : Encourt la cassation l'arrêt qui retient des faits constitutifs d'association de malfaiteurs indissociables de ceux caractérisant la bande organisée comme circonstance aggravante de l'infraction d'escroquerie dont le prévenu est déclaré coupable 34. - Un arrêt du 25 mars 2020 : Cassation d'un arrêt qui retient les mêmes faits de participation à un réseau structuré de passeurs à la fois comme élément constitutif du délit d'association de malfaiteurs et comme circonstance aggravante de bande organisée du délit d'infraction à la législation sur les étrangers 35. - Un arrêt du 20 octobre 2020 : Cassation de la condamnation d'une cour d'assises qui a retenu des faits identiques pour caractériser, d'une part la circonstance aggravante de bande organisée accompagnant un assassinat, et d'autre part l'infraction d'association de malfaiteurs 36. - Plus récemment, un arrêt du 16 juin 2021 : Cassation de l'arrêt de la cour d'appel qui retient les mêmes faits de participation à une organisation criminelle structurée de type mafieux comme élément constitutif du délit d'association de malfaiteurs et comme circonstance aggravante de bande organisée du délit de blanchiment 37.
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« Association de malfaiteurs et circonstance aggravante de bande organisée », Commentaire par Philippe Conte, Droit pénal n° 9, Septembre 2019, comm. 142 34
Crim. 16 mai 2018, n° 17-81.151, Bull. n° 94
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Crim. 25 mars 2020, n° 19-84.290
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Crim. 28 octobre 2020, n° 19-85.055
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Crim. 16 juin 2021, n° 20-86.149
En l'espèce, concernant M. [I] [W], les faits retenus par la cour d'appel au titre de l'association de malfaiteurs ont été précédemment rappelés. Au titre des agissements caractérisant la bande organisée, la cour d'appel constate que le prévenu a facilité l'entrée en France, la circulation et le séjour de prostituées étrangères qui sont citées dans la prévention et que ces délits sont aggravés par cette circonstance, puisque M. [W] « s'était joint à une organisation structurée préexistante, déjà décrite, rompue à l'exploitation sur le territoire européen et particulièrement sur le territoire français d'un réseau de prostitution de jeunes femmes d'origine nigériane ». S'agissant enfin du délit de blanchiment aggravé, la cour d'appel, après avoir constaté que M. [W] avait personnellement transféré des fonds au Nigéria, provenant de l'activité de prostitution, renvoie aux mêmes éléments pour caractériser la bande organisée. Il résulte de cette motivation que des faits distincts ont été bien retenus par la cour d'appel comme éléments constitutifs de l'association de malfaiteurs et comme circonstance aggravante des infractions d'aide à l'immigration irrégulière et de blanchiment. En effet, l'association de malfaiteurs revêt en l'espèce une dimension plus vaste que la bande organisée puisqu'elle était destinée à fournir au réseau criminel une aide logistique générale, en préparant la venue en France des prostituées étrangères exploitées par ce réseau, autres que celles aidées directement ou indirectement par le prévenu et en facilitant le traitement au profit des autres membres du réseau de toutes les opérations de placement, conversion ou dissimulation du produit des infractions. Le même raisonnement est applicable à Mme [K]. La cour d'appel lui prête en effet, au titre de l'association de malfaiteurs, la préparation d'actions criminelles de plus vaste dimension et distinctes de celles qualifiées d'infractions à la législation sur les étrangers et de blanchiment, commises en bande organisée. Il convient de remarquer que dans le cas de M. [W], le cumul d'infractions est justifié en partie par la « violation de normes sociales distinctes », motivation qui semble se référer à la jurisprudence antérieure à l'arrêt de 2016, mais qui n'est pas critiquée par le moyen et paraît en tout état de cause surabondante, la décision comportant d'autres motifs qui suffisent à la justifier. Il y a lieu, en conséquence, d'écarter les autres moyens tirés de la méconnaissance du principe ne bis in idem. Enfin, aucune cassation par voie de conséquence ne paraît encourue, si bien qu'il s'ensuivra le rejet des quatrième et cinquième moyens de M. [W].
Proposition Avis de REJET.