Cass. civ. 2, Conclusions, 08-12-2022, n° 21-14.144
A84512RG
Référence
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AVIS DE M. APARISI , AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 1147 du 8 décembre 2022 – Deuxième chambre civile Pourvoi n° 21-14.144 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 17 décembre 2020
- la société Fujitsu Technology Solutions (SAS) C/ - la SCI Sarmate - la Société Générale (SA) - le syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé [Adresse 4] _________________
Audience en formation de section du 4 octobre 2022 Par jugement en date du 24 octobre 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a prononcé la nullité de l'acte de garantie hypothécaire souscrit le 10 septembre 2008 devant Maître [X], notaire à Paris, par lequel la société Sarmate s'est constituée caution de la société Avitis au profit de la société Fujitsu Technology Solutions (Fujitsu) à concurrence d'une certaine somme.
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Il a, en conséquence, prononcé la nullité du commandement aux fins de saisie immobilière délivré le 11 juin 2018 par la société Fujitsu à l'encontre de la société Sarmate, sur les biens apportés en garantie. Par arrêt en date du 17 décembre 2020, la cour d'appel de Paris a déclaré irrecevable l'appel formé par la société Fujitsu.
La société Fujitsu fait valoir, trois moyens. Le premier moyen soutient, d'une part, que l'arrêté technique du 30 mars 2011 relatif à la communication électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel n'exclut pas de son champ d'application la requête à jour fixe adressée au premier président et, d'autre part, que juger le contraire serait contraire au droit au procès équitable. Le deuxième moyen fait observer que les modalités de saisine du premier président ne sauraient être examinées par la cour d'appel pour remettre en cause l'ordonnance rendue par lui alors que c'est à ce dernier qu'il revient de vérifier les conditions de sa saisine, sa décision étant en outre non susceptible de recours. Le troisième moyen met en avant l'absence de proportionnalité de la sanction au regard de l'intervention du premier président et de l'ordonnance rendue.
*** Pour déclarer l'appel irrecevable, la cour d'appel retient que si les actes qui lui sont remis doivent lui être adressés de façon dématérialisée, l'arrêté du 30 mars 2011 alors applicable ne concernait pas les requêtes adressées au premier président. Ces motifs ne sont pas parfaitement conformes avec la jurisprudence de la deuxième chambre civile. En effet, soit l'acte litigieux relève de la communication électronique obligatoire, soit il relève de la communication électronique facultative. Or dans le premier cas, et singulièrement dans le champ d'application de l'article 930-1 du code de procédure civile qui impose la communication électronique pour les actes remis à la cour d'appel en matière de représentation obligatoire, il a d'ores et déjà été jugé que la liste d'actes visés par l'arrêté du 30 mars 2011 n'était pas exhaustive1, l'irrecevabilité étant encouru en cas de transmission d'un acte sur support papier quand bien même celui-ci ne serait pas mentionné dans l'arrêté technique.
2e Civ., 1 décembre 2016, pourvoi n° 15-25.972, Bull. 2016, II, n° 260 : “Doit en conséquence être approuvé l'arrêt d'une cour d'appel qui, après avoir exactement retenu que la communication électronique était devenue obligatoire pour tous les actes de la procédure d'appel avec représentation obligatoire à compter du 1er janvier 2013, sans aucune distinction selon la date de la déclaration d'appel initiale, décide que la déclaration de saisine de la cour de renvoi après cassation faite par un courrier adressé à son greffe après cette date était irrecevable.” 1
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La difficulté ne provient donc pas des limites de l'arrêté du 30 mars 2011 ou pas seulement de ces limites, mais plutôt de l'article 930-1 du code de procédure civile dont il a été jugé à plusieurs reprises qu'il ne s'appliquait qu'aux actes remis à la cour d'appel et non à la juridiction du Premier président, ainsi qu'il a été jugé, comme le rappelle le rapport : - en matière de contestation d'honoraires2, - en matière de récusation3. Autrement dit, s'agissant d'un acte remis non à la cour d'appel stricto sensu mais à son Premier président, la communication électronique n'était que facultative et ne pouvait intervenir que dans les conditions des articles 748-1 et suivants du code de procédure civile, c'est à dire si un arrêté technique le prévoyait, ce qui n'était pas le cas à la date de transmission de la requête dans la présente affaire. Cela dit, au total, si le raisonnement de la cour d'appel n'est pas parfaitement exact, l'irrecevabilité de l'appel du fait de la transmission électronique de la requête en jour fixe paraissait quoiqu'il en soit encourue. Cette solution paraît la seule possible en première analyse, en l'état de la jurisprudence qui vient d'être rappelée, d'autant que, comme le relève le rapport et les parties, il a d'ores et déjà été jugé : “Attendu que M. [Y] fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'appel interjeté par la société [V] [W] enchères par remise manuelle au greffe de la requête aux fins d'assigner à jour fixe ; Mais attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 930-1 du code de procédure civile que seuls les actes de procédure destinés à la cour d'appel doivent être remis par la voie électronique ; que c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu la validité de la remise au greffe de la requête établie sur support papier demandant au premier président de la cour d'appel de fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité, et a, en conséquence, dit l'appel recevable ;” - 2e Civ., 7 décembre 2017, pourvoi n° 16-19.336, Bull. 2017, II, n° 227 Néanmoins, d'abord, et comme le relève le mémoire ampliatif, cette dernière décision, si elle admet la validité de la requête aux fins d'assignation à jour fixe remise au greffe sur un support papier, ne se prononce pas sur la situation inverse qui est celle d'une requête aux mêmes fins transmises sous forme dématérialisées. L'avocat général Michel Girard, dans son avis rendu à l'occasion du pourvoi ayant donné lieu à l'arrêt du 7 décembre 2017 précité résumait d'ailleurs ainsi la position de la doctrine :
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2e Civ., 6 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.047, Bull. 2018, II, n° 165
3 2e Civ., 6 juillet 2017, pourvoi n° 17-01.695, Bull. 2017, II, n° 156
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“Le rapport cite deux auteurs reconnus sur ce thème, Madame Corinne BLERY et notre collègue Edouard de LEIRIS ( rapport pages 9, 10 et 11) qui ont l'un et l'autre fait le constat de cette “carence réglementaire” pour en tirer des conclusions divergentes quoique se rejoignant au final : - la première citée y verrait plutôt le cas type d'une abstention, délibérée ou non, du législateur qui devrait conduire à l'exclusion de ces actes de la transmission électronique obligatoire, sachant les conséquences particulièrement funestes d'un manquement à cette règle pour la partie défaillante, - le second auteur évoqué conçoit clairement le doute que laisse planer cette “abstention réglementaire” pour les parties et préconise, dans l'ardente attente d'une clarification législative, que soient tolérés et reconnus les deux modes de transmission, la voie électronique et le “format papier”. ” Nous voyons ici qu'il n'était pas aberrant de permettre les deux modes de communication compte tenu des insuffisances du cadre réglementaire en vigueur à l'époque (et applicable au présent pourvoi) et, de fait, l'arrêt précité ne se prononce pas explicitement sur la prohibition éventuelle de la communication électronique. Ensuite, et indépendamment de cette observation, considérer que l'article 930-1 du code de procédure civile n'impose la communication électronique qu'à la cour d'appel stricto sensu et non au Premier président n'est pas si intuitif, d'abord parce que le Premier président est bien une émanation juridictionnelle de la cour d'appel, ensuite parce que dans la présente hypothèse, son pouvoir juridictionnel se limite à fixer une date d'audience. Ainsi, et à la différence même de la procédure de récusation ou de contestation des honoraires fixés par le bâtonnier, il n'a aucun pouvoir juridictionnel sur la procédure dont il est saisi autre que purement administratif, d'autant que s'agissant d'un appel soumis de plein droit à la procédure à jour fixe, sa marge de manoeuvre est des plus limitée. Il en ressort que la requête à jour fixe n'est que la première étape de la procédure saisissant la cour d'appel d'un recours. A cet égard, il n'est pas naturel de considérer que cet acte serait le seul à devoir être nécessairement présenté sur support papier alors, au contraire que tous les autres seraient irrecevables si, au contraire, ils l'étaient. Sur ce point d'ailleurs, il est permis de relever que le contexte a, lui aussi, évolué depuis les arrêts précités. En effet, compte tenu des modalités d'introduction de la communication électronique au sein de la procédure d'appel, laquelle est passée par des étapes successives comprenant initialement, des expérimentations limitées à certaines cours d'appel et à certains actes4, la prudence de la Cour de cassation quant à l'usage non encadré d'un mode de communication dématérialisé peut se comprendre mais cette prudence pourrait presque passer pour anachronique alors que la procédure dématérialisée est très largement généralisée et systématisée. D'ailleurs, à la date à laquelle la cour d'appel a rendu sa décision, l'arrêté du 20 mai 2020 qui est venu se substituer à l'arrêté technique du 30 mars 2011, prévoit bien
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Cf. Arrêté du 23 décembre 2010 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel
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explicitement la possibilité de transmettre des actes au premier président de la cour d'appel par voie électronique. Au total, il faut bien admettre que le choix du mode de communication n'était, jusqu'à ce dernier arrêté, pas aisé entre, d'un côté, la communication électronique obligatoire instituée par l'article 930-1 du code de procédure civile qui étendait son empire aux actes non envisagés par l'arrêté technique et, au contraire, la communication électronique prohibée lorsqu'il s'agissait de saisir un organe juridictionnel de la cour d'appel (son premier président) d'un acte non prévu par le même arrêté technique, le tout alors même que la procédure était, dans les deux cas, soumise à la représentation obligatoire et, au surplus, que la procédure sur requête “autonome” est bien, quant à elle, soumise également à la communication électronique depuis le 1 er janvier 2011 (article 959 du code de procédure civile). Et l'alternative est d'autant plus délicate que la sanction est sévère puisque l'irrecevabilité de l'appel est encourue. A cet égard d'ailleurs, et à supposer qu'il faille retenir que la communication électronique de la requête n'était pas possible en l'état des textes alors en vigueur, il est en tout état de cause nécessaire de s'interroger, comme le suggère le mémoire en défense, sur le caractère proportionnée de la sanction au regard de la formalité exigée et ce, en particulier dans la suite de l'arrêt rendu très récemment par la cour européenne des droits de l'Homme : “Lucas contre France”5. D'abord, l'exigence d'un arrêté technique répond certes, comme le prévoit l'article 7486 du code de procédure civile, à la nécessité d'assurer “ la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des en cause transmissions opérées et permettre d'établir de manière certaine la date d'envoi et, celle de la mise à disposition ou celle de la réception par le destinataire”. Néanmoins, il paraît délicat d'affirmer que de telles garanties ne sont pas assurées lorsqu'un avocat transmet, au premier président de la cour d'appel, via le RPVA, une requête aux fins d'autorisation d'assigner à jour fixe alors que, comme nous venons de le rappeler, le recours à la communication électronique obligatoire pour les ordonnances sur requête du premier président est prévue depuis le 1 er janvier 2011.
Arrêt Lucas contre France : “S'il ne lui appartient pas de remettre en cause le raisonnement juridique suivi par la Cour de cassation pour infirmer la solution retenue par la Cour d'appel de Douai (paragraphes 49 50 ci-dessus), la Cour rappelle toutefois que les tribunaux doivent éviter, dans l'application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité du procès. Or, elle considère, dans les circonstances de l'espèce, que les conséquences concrètes qui s'attachent au raisonnement ainsi tenu apparaissent particulièrement rigoureuses. En faisant prévaloir le principe de l'obligation de communiquer par voie électronique pour saisir la cour d'appel sans prendre en compte les obstacles pratiques auxquels s'était heurté le requérant pour la respecter, la Cour de cassation a fait preuve d'un formalisme que la garantie de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice n'imposait pas et qui doit, dès lors, être regardé comme excessif.” 5
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De ce point de vue, la situation est très différente de celle d'un plaideur qui transmettrait un acte à la juridiction en utilisant un procédé qui n'est envisagé en aucune façon par le code de procédure civile (par exemple, la transmission au greffe d'une requête par fax). Ensuite, en particulier lorsque le recours porte sur un litige soumis de plein droit à la procédure à jour fixe comme c'est le cas en l'espèce, l'intervention du premier président qui se manifeste par une ordonnance non susceptible de recours au motif qu'elle n'est qu'une mesure d'administration judiciaire, ne comporte en réalité qu'un enjeu très limité. Et dans ces conditions, l'on peine à voir ce qui justifierait de sanctionner d'une irrecevabilité l'ensemble d'un procédure, c'est à dire, concrètement à interdire au requérant d'exercer réellement la voie de recours qui lui est ouverte, au motif que l'ordonnance que le premier président a bien voulu rendre sans égard pour les modalités de sa saisine, l'a été sur la base d'une requête transmise non pas sur support papier mais par la voie électronique alors même que c'est cette dernière qui s'impose pour tous les autres actes de cette même procédure. Ainsi, si l'on peut entendre que l'irrecevabilité de l'appel soit encourue lorsqu'il s'agit de sanctionner une irrégularité procédurale (au sens large) lorsque celle-ci est de nature à porter atteinte gravement au principe du contradictoire ou au bon fonctionnement de la justice, l'on n'identifie rien de tel en l'espèce.
Avis de cassation __
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