Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 11-05-2022, n° 21-15.247

Cass. soc., Conclusions, 11-05-2022, n° 21-15.247

A84412R3

Référence

Cass. soc., Conclusions, 11-05-2022, n° 21-15.247. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409014-cass-soc-conclusions-11052022-n-2115247
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AVIS DE Mme BERRIAT, PREMIERE AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 655 du 11 mai 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-15.249, 21-15.247, 21-15.250 Décision attaquée : 15 février 2021 de la cour d'appel de Nancy la société FSM C/ M. [B] [P], et autres _________________

Rappel des faits et de la procédure Mme [O] a été engagée par la société Fives Stein Manufacturing, aux droits de laquelle se trouve la société FSM, à compter du 15 septembre 1981, en qualité de secrétaire. M. [P] a été engagé par la même société, à compter du 12 juin 1978. Il occupait, en dernier lieu, le poste de chargé d'affaires. M. [R] a été engagé, à compter du 1er janvier 2015 en qualité d'acheteur. Un projet de restructuration et de réduction des effectifs, emportant la suppression de 7 postes, a été mis en oeuvre à compter du 27 mars 2017. Par courriers du 18 septembre 2017, les salariés ont été convoqués à un entretien préalable au licenciement, fixé au 2 octobre 2017. Leur licenciement pour motif économique leur a été notifié par lettres du 13 octobre 2017.

Les salariés ont adhéré au congé de reclassement qui a débuté le 14 octobre 2017 pour s'achever le 22 septembre 2018 en ce qui concerne Mme [O], le 13 juillet 2018 en ce qui concerne M. [P] et le 24 avril 2018 en ce qui concerne M. [R]. Le 2 octobre 2018, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir dire leur licenciement sans cause réelle et sérieuse, en raison d'une violation de l'ordre des départs. Par jugements du 11 avril 2019, ils ont été déboutés de leurs demandes. Par arrêts du 15 février 2021, la cour d'appel a confirmé les jugements en ce qu'ils ont débouté les salariés de leurs demandes au titre de la violation de l'ordre des licenciements puis les a infirmés pour le surplus. Statuant à nouveau, la cour d'appel a jugé que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement. Après avoir retenu que l'article L. 1235-3 du code du travail est compatible avec l'article 10 de la convention OIT n° 158 et dit que les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, la cour a condamné l'employeur à payer, à titre de dommagesintérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, les sommes de 48 000 euros à Mme [O], 62 000 euros à M. [P] et 8 200 euros à M. [R]. Elle a ensuite ordonné le remboursement par l'employeur des indemnités de chômage effectivement payées aux salariés à la suite de leurs licenciements dans la limite de 6 mois. L'employeur a formé un pourvoi à l'encontre de chacun de ces arrêts le 15 avril 2021; les salariés ont formé un pourvoi incident. Le Syndicat des avocats de France a indiqué qu'il se constituait en intervention le 31 janvier 2022.

La recevabilité des interventions volontaires En application des articles 327 et 330 du code de procédure civile l'intervention volontaire formée à titre accessoire est admise devant la Cour de cassation, mais n'est recevable que si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir une partie. L'article L. 2132-3 permet aux syndicats professionnels d' « exercer devant toutes les juridictions tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ». Or les faits de la présente affaire entrent dans cette catégorie. C'est ainsi que les interventions volontaires des syndicats professionnels dans la

3 procédure de demande d'avis sur la conventionnalité de l'article L. 1235-3 du code du travail ont été visés par les arrêts du 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et 19-70.011. A l'inverse, l'intervention du SAF a été déclarée irrecevable, faute de justification d'un intérêt au sens de l'article 330 du code de procédure civile. Comme les rapporteurs, je vous propose de relever d'office l'irrecevabilité de l'intervention du SAF, en application des articles 327 et 330 du code de procédure civile et d'admettre celle du MEDEF.

Pourvois principaux de l'employeur Pourvoi n° H2115247 La société Fives Stein Manufacturing fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement et qu'en conséquence le licenciement de Mme [O] était sans cause réelle et sérieuse, d'avoir condamné la société Fives Stein Manufacturing à payer à Mme [O] 48.000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'avoir ordonné le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné des indemnités de chômage effectivement payées à la salariée à la suite de son licenciement sans la limite de six mois ; Alors qu'il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement lorsque l'employeur justifie de l'absence de poste disponible compatible avec les compétences du salarié à l'époque du licenciement dans l'entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient ; qu'en l'espèce, la société Fives Stein Manufacturing soutenait qu'en dépit des recherches personnalisées et répétées effectuées en son sein et auprès des autres entreprises du groupe, elle n'avait pu identifier aucun poste compatible avec les qualifications de Mme [O] ; qu'en conséquence, elle lui avait adressé, par courrier du 11 juillet 2017, la liste de l'ensemble des postes disponibles dans le groupe, en lui laissant la faculté de déposer sa candidature si elle estimait que l'un de ces postes était susceptible de lui convenir ; qu'en retenant, pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, que le courrier adressé à Mme [O], le 11 juillet 2017, comportait un tableau répertoriant les 15 postes disponibles dans différentes filiales du groupe, sans autre précision que leur intitulé, ce qui ne constituait pas une offre précise, concrète et personnalisée, sans rechercher si un seul des postes disponibles dans le groupe à la date du licenciement était compatible avec les compétences de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

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Ce moyen est irrecevable comme nouveau et mélangé de fait et de droit. Il n'est pas de nature à entraîner la cassation pour les raisons exposées par les rapporteurs, tenant à sa contradiction avec les écritures de l'employeur, qui n'invoquaient pas l'absence de poste disponible en rapport avec les compétences de la salariée.

Pourvoi n° J 21-15.249 La société FSM fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'avait pas respecté son obligation de reclassement et qu'en conséquence le licenciement de M. [P] était sans cause réelle et sérieuse, de la condamner à payer au salarié la somme de 62 000 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage effectivement payées au salarié à la suite de son licenciement dans la limite de six mois, alors : « 1°) que, dans son courrier du 13 juillet 20131 par lequel elle a proposé au salarié cinq postes disponibles dans le groupe correspondant à ses compétences, la société Fives Stein Manufacturing avait indiqué que le salarié disposait d'un « délai de 15 jours calendaires à compter de la réception de ce présent courrier pour nous faire part de [son] intérêt pour ces postes » ; qu'en affirmant que le courrier du 13 juillet 2017 adressé par l'employeur au salarié, concernant son reclassement, indique que ce dernier pourrait « se porter candidat » à l'un des postes qui lui était proposés, pour en déduire que, faute de garantir au salarié l'attribution du poste qu'il accepterait, l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, la cour d'appel a dénaturé le courrier précité, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ; 2 ) Que dans le cadre de son obligation de reclassement, l'employeur est tenu de rechercher et de proposer au salarié tous les postes disponibles compatibles avec ses compétences, ce qui peut le conduire à proposer les mêmes postes à plusieurs salariés menacés de licenciement économique ; qu'en conséquence, si l'employeur doit garantir au salarié une priorité d'attribution des postes proposés par rapport à des candidats extérieurs et à des salariés non-menacés de licenciement, il ne peut lui garantir l'octroi d'un poste, sans tenir compte des candidatures des autres salariés concernés par le reclassement ; qu'en l'espèce, dans les courriers de recherche de postes adressés aux différentes sociétés du groupe, versés aux débats, la société Fives Stein Manufacturing avait informé les responsables de recrutement que les salariés menacés de licenciement bénéficiaient d'un accès prioritaire aux postes compatibles avec leurs compétences et leur avait demandé, en conséquence, de geler toute embauche d'un candidat externe jusqu'à l'issue de la procédure de reclassement ; qu'elle justifiait par ailleurs avoir fourni aux autres entreprises du groupe des informations précises sur le profil de chacun des salariés menacés de licenciement, de manière à leur permettre de vérifier l'adéquation des

5 postes disponibles aux qualifications de ces salariés ; qu'elle faisait encore valoir que les cinq postes proposés au salarié étaient adaptés à ses compétences ; qu'en se bornant à relever, pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, que ces offres invitaient le salarié à se porter candidat, sans lui garantir l'attribution effective du poste demandé, ni justifier du processus décisionnel d'attribution des postes aux candidats, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. » Par un second moyen, la société FSM fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [P] la somme de 62 000 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que selon l'article L. 1235-3 du code du travail, le salarié dont le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse a droit à une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire ; que dans ses conclusions d'appel, le salarié soutenait que son salaire annuel était de 36 178 euros, soit un salaire de 3 014,83 euros par mois ; que la société Fives Stein Manufacturing indiquait que le salaire du salarié était, en dernier lieu, de 2 926 euros ; qu'en condamnant néanmoins Fives Stein Manufacturing à verser au salarié la somme de 62 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit plus de 20 mois du salaire mensuel retenu par les deux parties, sans indiquer le salaire qu'elle a elle-même retenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1235-3 du code du travail. »

Sur le premier moyen Il y a lieu d'écarter la première branche car l'arrêt attaqué est exempt de toute dénaturation du courrier du 13 juillet 2017 par lequel la société a proposé au salarié cinq postes disponibles. En revanche, la seconde branche du moyen paraît devoir être retenue. La cour a jugé, à propos de la proposition de reclassement que « le courrier du 13 juillet 2017 adressé par l'employeur à Monsieur [P], concernant son reclassement, indique que ce dernier pourrait « se porter candidat » à l'un des postes qui lui était proposés. Le dépôt d'une «candidature» implique que l'attribution du poste demandé n'est pas certaine. / La cour constate également que dans ses conclusions écrites, l'employeur indique que le salarié avait « 15 jours pour candidater aux postes proposés ». / Or, le reclassement est une obligation pour l'employeur et un droit pour le salarié. Dès lors, la décision d'accepter ou non un poste de reclassement ne relève de la volonté que du seul salarié. / La société FIVES STEIN MANUFACTURING ayant ainsi manqué à l'obligation de reclassement lui incombant, le licenciement prononcé se trouve dénué de cause

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réelle et sérieuse, sans qu'il ne soit nécessaire de rechercher si la cause économique du licenciement était ou non avérée. Le jugement du conseil de prud'hommes est infirmé sur ce point. » L'article L.1233-4 du code du travail dispose que : « Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. / A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. » Comme l'indique le rapport, la chambre sociale juge de façon constante que l'employeur est en droit de proposer un même poste à plusieurs salariés, dès lors qu'il est adapté à la situation de chacun (Soc., 19 janvier 2011, n° 09-42.736). Ainsi l'employeur a l'obligation de proposer aux salariés concernés tous les postes disponibles susceptibles de répondre aux conditions légales, « quand bien même cela le conduirait à proposer le même poste à plusieurs salariés » (Soc., 28 avril 2011, n° 10-30.571). Si plusieurs salariés peuvent se voir offrir le même poste au titre du reclassement, il en résulte qu'aucun d'entre eux ne peut être assuré de l'occuper. Par conséquent, en proposant au salarié de « faire part de son intérêt » pour les postes offerts l'employeur, qui demandait au salarié de lui indiquer s'il était prêt à rejoindre l'un quelconque de ces postes n'a pas manqué à son obligation d'adresser au salarié des offres de reclassement écrites, concrètes et personnalisées. C'est donc à tort que la cour d'appel a jugé que l'employeur n'avait pas rempli son obligation de reclassement. Sur le second moyen L'employeur reproche à la cour d'appel de l'avoir condamné à verser au salarié la somme de 62 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit plus de 20 mois du salaire mensuel retenu par les deux parties, sans indiquer le salaire qu'elle a elle-même retenu. Alors que le salarié réclamait une indemnité égale à 48 mois de salaire, il ressort de l'arrêt que la cour d'appel a entendu faire application du barème fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail en attribuant au salarié une indemnité pour licenciement abusif correspondant à 20 mois de salaire.

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Le litige ne porte pas sur le nombre de mois, mais sur la base retenue par la cour d'appel pour évaluer l'indemnité correspondant à 20 mois de salaire. Or sur ce point, les écritures mentionnaient des montants différents, le salarié soutenant qu'il percevait l'équivalent d'un salaire mensuel de 3 014,83 euros, tandis que l'employeur affirmait que son montant ne s'élevait qu'à 2926 euros. Par conséquent il revenait à la cour d'indiquer le montant qu'elle retenait et d'exposer les raisons de son choix, ce qu'elle n'a pas fait. Il y a lieu dès lors de retenir le second moyen de cassation. Pourvoi n° K 21-15.250 Le moyen unique du pourvoi principal est identique à la seconde branche du premier moyen du pourvoi n° J 21-15.249. Pour les raisons exposées plus haut il sera donc proposé à la cassation.

Pourvois incidents des salariés L'examen des pourvois incidents ne sera nécessaire que si vous rejetez les pourvois de l'employeur. Les salariés présentent un moyen unique articulé en deux branches, qui fait grief aux arrêts de dire que l'article L. 1235-3 du code du travail n'est pas contraire à l'article 24 de la Charte sociale européenne et, en conséquence, de limiter le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux sommes de 48 000, 62 000 ou 8 200 euros, alors : « 1°) que l'article 24 de la Charte sociale européenne dispose qu'« en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » ; que ce texte est d'effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers pour accorder un droit aux individus et ne requérir l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire effet à l'égard des autres particuliers ; qu'en jugeant au contraire, pour faire application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et, ainsi, limiter l'indemnisation accordée aux salariés, qu'« eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de l'article 24 de la Charte sociale, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers », la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

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2°) que lorsqu'un acte du droit de l'Union appelle des mesures nationales de mise en oeuvre, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d'appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu'interprétée par la Cour, ni la primauté, l'unité et l'effectivité du droit de l'Union ; qu'ainsi, la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par l'article 24 de la Charte n'implique pas le droit pour elles de déroger aux exigences minimales de ce texte ; que le mécanisme d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable d'une législation nationale n'est conforme à ce texte qu'à la condition qu'il prévoie le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l'organe de recours, la possibilité de réintégration du salarié et/ou des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ; qu'il s'ensuit que le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 20171387 du 22 septembre 2017 - en ce qu'il prévoit l'allocation d'une indemnité compensatoire plafonnée ne couvrant pas les pertes financières effectivement encourues par le salarié depuis la date du licenciement et n'ayant pas de véritable effet dissuasif pour l'employeur dans la mesure où l'indemnisation ne peut excéder un montant prédéfini et que la compensation octroyée au salarié devient ainsi au fil du temps inadéquate par rapport au préjudice subi - ne permet pas au salarié licencié sans motif valable d'obtenir réparation adéquate, proportionnée au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux et contrevient ainsi aux dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand la marge de manoeuvre laissée aux États contractants n'autorisait pas l'État français à s'affranchir des exigences minimales fixées par l'article 24 de la charte sociale européenne révisée relatives aux modalités d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable, par la fixation d'un barème d'indemnisation uniquement fonction de l'ancienneté du travailleur et des effectifs dans l'entreprise, la cour d'appel a derechef violé ce texte, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 20171387 du 22 septembre 2017. » Le moyen reproche donc à l'arrêt dans une première branche d'avoir jugé, conformément aux avis rendus par la Cour de cassation le 17 juillet 2019, que les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne n'étaient pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers; et dans une seconde branche d'avoir, en appliquant l'article L. 1235-3 du code du travail, dont le barème n'est pas conforme à l'article 24 de la Charte sociale européenne, violé ces dispositions.

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1. Les avis rendus par la Cour de cassation 1.1. La conventionnalité au regard de l'article 6§1 CEDH 1.2. La conventionnalité au regard de l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT 1.3. La conventionnalité au regard de l'article 24 de la Charte sociale européenne 1.3.1. L'absence d'effet direct entre particuliers 1.3.2. L'invocabilité de l'article 24 de la Charte sociale européenne 2. La possibilité d'un contrôle in concreto 2.1. Un contrôle nécessaire pour l'ensemble des engagements internationaux 2.2. Le droit à une protection contre le licenciement injustifié : un droit fondamental 3. L'appréciation in concreto de l'indemnité adéquate au regard de l'article 10 de la convention 158, interprété à la lumière de l'article 24 de la Charte sociale européenne 3.1. Les premières études sur l'application du barème instauré par l'article L. 1235-3 du code du travail 3.1.1 L'étude Dalmasso et Signoretto 3.1.2.L'étude de l'université de Grenoble 3.2. L'indemnité adéquate au sens de la Convention n° 158 de l'OIT 3.3. L'indemnité adéquate au sens de l'article 24 de la Charte Sociale européenne

Conclusion

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1 - Les avis rendus par la Cour de cassation L'article L. 1235-3 du code du travail fixe le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en appliquant des montants minimaux et maximaux déterminés en fonction de l'ancienneté du salarié. Le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité de licenciement mentionnée à l'article L. 12349. Le barème prévu à l'article L. 1235-3 vaut également pour la résiliation judiciaire du contrat de travail (Soc. 16 février 2022, n° 20-16.184 B). Cette indemnité répare le

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préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi (Soc 27 janvier 2021, n° 18-23.535 P). L'Assemblée plénière de la Cour de cassation s'est prononcée le 17 juillet 2019 par deux arrêts, n° 19-70.010 et 19-70.011,sur la conventionnalité de l'article L. 1235-3 au regard des articles 6 §1 de la CEDH, 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention n° 158 de l'OIT. Avant juillet 2019, la Cour de cassation jugeait de façon constante que les questions de compatibilité d'une disposition de droit interne avec une convention internationale « ne relèvent pas de la procédure d'avis [...], l'office du juge du fond étant de statuer au préalable sur cette compatibilité » (voir notamment Soc. 12 juillet 2017, n° 17-70.009 P). Les avis du 17 juillet 2019 jugent au contraire que « La compatibilité d'une disposition de droit interne avec les dispositions de normes européennes et internationales peut faire l'objet d'une demande d'avis, dès lors que son examen implique un contrôle abstrait ne nécessitant pas l'analyse d'éléments de fait relevant de l'office du juge du fond. ». Ces décisions admettent donc que la Cour de cassation se prononce sur la conventionnalité d'une norme, à la condition que la demande d'avis n'impose pas la prise en considération d'éléments de fait pour apprécier concrètement la proportionnalité de l'atteinte portée par cette norme à un droit garanti par une convention internationale. Cette appréciation revient au seul juge du fond, sous le contrôle de la Cour de cassation.

1-1 La conventionnalité au regard de l'article 6§ 1 CEDH Sur le fond, l'Assemblée plénière a jugé, dans l'arrêt 19-70.010, s'agissant de la conventionnalité de l'article L. 1235-3 au regard de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu' « il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'il convient de distinguer entre ce qui est d'ordre procédural et ce qui est d'ordre matériel, cette distinction déterminant l'applicabilité et, le cas échéant, la portée des garanties de l'article 6 de la Convention, lequel, en principe, ne peut s'appliquer aux limitations matérielles d'un droit consacré par la législation interne (CEDH, 29 novembre 2016, Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie, n° 76943/11). / Dès lors, les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l'indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice, de sorte qu'elles n'entrent pas dans le

11 champ d'application de l'article 6, § 1, précité. » Elle juge donc que l'article 6 § 1 de la CEDH ne trouve pas à s'appliquer. 1-2 La conventionnalité au regard de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT La Cour de cassation avait déjà déclaré d'application directe plusieurs articles de la Convention n°158 et même la Convention n°158 dans son ensemble (Soc, 29 mars 2006, n° 04-46.499 P; Soc 1er juillet 2008, n° 07-44.124 P; Soc 4 juin 2009, n° 0841.359 P; Soc, 15 décembre 2010, n° 08-45.242 P). Dans l'affaire n°19-70-010, la Cour de cassation était interrogée sur la conventionnalité de l'article L. 1235-3 en ce qu'il prévoit en cas d'ancienneté du salarié licencié égale ou supérieure à une année complète et inférieure à deux années complètes, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse minimale d'un mois et une indemnité maximale de deux mois, tandis que dans l'affaire n° 19-70.011, la question portait sur la compatibilité de l'ensemble du barème. L'Assemblée plénière expose que « Selon l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 sur le licenciement de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui est d'application directe en droit interne : « Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. » / Le terme "adéquat" doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d'appréciation. / En droit français, si le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise. Lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux. / Le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail est écarté en cas de nullité du licenciement, par application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du même code. » Elle conclue qu' « Il s'en déduit que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d'ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d'un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT. ».

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En revanche dans l'affaire n° 19-70.011 ce sont « les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse » dans leur ensemble qui sont jugées conformes à l'article 10 de la Convention n° 158. 1-3 La conventionnalité au regard de l'article 24 de la Charte sociale européenne 1-3-1 L'absence d'effet direct entre particuliers L'Assemblée plénière s'abstient d'examiner la compatibilité de l'article L. 1235-3 au regard de l'article 24 de la Charte sociale européenne, au motif que « eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. » La marge d'appréciation laissée aux parties contractantes est celle qui résulte de l'imprécision des termes « indemnité adéquate » ou « réparation appropriée ». Mais ces mots découlent de la reprise, volontaire de la part des parties contractantes, de ceux employés à l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT, dite d'effet direct horizontal. C'est donc que la différence entre les deux textes est ailleurs. Elle résiderait dans le fait que la partie III stipule, à l'article A relatif aux engagements « chacune des Parties s'engage: a) à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie (...) ». Or la partie I contient un alinéa 24 énonçant que « Tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement. ». Cette protection ne serait donc qu'un objectif auquel ne pourrait être attaché aucun effet direct entre particuliers. Ce raisonnement s'inspire de la position énoncée par l'un des principaux acteurs de la mise en oeuvre de la Charte, et déduit « de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes précités de la Charte sociale européenne révisée, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte », que les dispositions de l'article 24 n'étaient pas d'effet direct dans un litige entre particuliers. Dans un article sur la Charte sociale européenne1 Pierre Laroque, ancien président du Comité européen des droits sociaux, écrivait que sa Partie I déterminait « une 1

Droit social n° 3 - Mars 1979.

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orientation générale tant pour la politique sociale nationale de chaque Etat que pour le Conseil de l'Europe, l'engagement souscrit étant purement moral et dépourvu de toute sanction. En revanche, par la partie II, « les Parties contractantes s'engagent à se considérer comme liées...,par les obligations résultant des articles et paragraphes » qui suivent. Chacun des 19 articles de cette partie correspond à l'un des paragraphes de la partie I et fixe, en un ou plusieurs paragraphes, les obligations souscrites en signant et ratifiant la Charte. » S'interrogeant sur la possibilité pour les individus ou les groupes intéressés de se prévaloir des dispositions de la Charte, Pierre Laroque indiquait cependant que « le texte même des articles de la Partie II de la Charte est rédigé de manière à prévoir l'engagement des Parties Contractantes de prendre certaines dispositions. Sauf dans quelques rares paragraphes, où les Parties Contractantes déclarent « reconnaître » certains droits, elles se bornent en général à s'engager à faire quelque chose. D'autre part l'Annexe à la Charte stipule expressément qu' « il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la Partie IV »2. Cette formule, au premier abord quelque peu obscure, est éclairée par les travaux préparatoires. Elle a été introduite précisément pour exclure toute possibilité pour les intéressés de se prévaloir directement devant les autorités ou les juridictions nationales des dispositions de la Charte. Il en résulte que les engagements souscrits par les Parties Contractantes sont uniquement des engagements d'Etat à Etat, dont les seules sanctions, de caractère international, sont celles qui sont prévues à la Partie IV. L'on ne saurait se dissimuler que la valeur juridique de la Charte s'en trouve considérablement affaiblie. » A cette interprétation de l'intention des parties contractantes et de la structure de la Charte peuvent être opposés les arguments développés par Jean-Michel Belorgey, ancien président (de 2003 à 2006) et rapporteur général du Comité européen des droits sociaux3. Il relève en premier lieu « la persistance d'une représentation dépassée de la nature des droits sociaux qui seraient, par essence, différents des autres droits, en ce qu'il s'agirait non de droits-libertés, mais de droits-créances, autrement dit pas tout à fait de droits, mais plutôt d'énoncés programmatiques, imposant, au mieux, une obligation de concrétisation à un producteur de normes intermédiaires (législateur 2

Lorsque Pierre Laroque écrivait cet article, les pouvoirs du Comité européen des droits sociaux du Conseil de l'Europe se limitaient à l'examen des rapports périodiquement présentés par les États, en vue de rendre compte de l'exécution de leurs obligations au titre de la Charte. Le système des réclamations collectives stipulé par l'article D de la Partie IV n'existait pas. Il a été introduit en 1995 par un protocole additionnel entré en vigueur en 1998. 3

La Charte sociale du Conseil de l'Europe et son organe de régulation : le Comité européen des droits sociaux, JeanMichel Belorgey, RDSS 2007, page 226.

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ou pouvoir réglementaire), sans que le destinataire final puisse, quant à lui, se prévaloir d'un droit subjectif. Non seulement une telle représentation est dépassée, mais elle procède, elle a toujours procédé, d'une pure et simple pétition de principe. Car il suffira d'observer que les droits-libertés ne peuvent eux-mêmes, la plupart du temps, être concrétisés qu'au prix de diligences des pouvoirs, législatif ou réglementaire, diligences qui comportent un coût ; ou encore que le droit à l'éducation, auquel est en général réservé un sort plus favorable qu'aux autres droits sociaux (droit à la santé...) implique des dépenses au moins aussi considérables que ces autres droitscréances. ». Puis il relativise l'importance, en droit interne, des termes choisis par les négociateurs des conventions internationales en énonçant qu'« Il existe une infinité de nuances dans les formules employées par les conventions internationales, si bien que le critère rédactionnel est d'un maniement plus que délicat ; d'autre part, parce que c'est prêter à la commune intention des parties bien plus qu'on ne peut raisonnablement lui attribuer que de voir dans l'emploi de telle ou telle formule la preuve que les rédacteurs auraient entendu écarter l'effet direct : comme nous l'avons déjà dit, les auteurs d'un traité sont généralement indifférents à son statut dans l'ordre interne, et laissent cette question au droit national, spécialement dans le cas des grandes conventions multilatérales auxquelles adhèrent à la fois des Etats " monistes " et des Etats " dualistes ». Enfin, ayant rappelé l'argumentation pré-citée développée par le président Laroque, le président Belorgey observe : « Les choses ne sont peut-être pas, cependant, aussi simples. L'analyse qui précède a, au surplus, été écrite il y a plus d'un quart de siècle. Et il a fallu moins de temps pour que des jurisprudences reflétant sur d'autres fronts, à la même époque, le même état d'esprit, basculent radicalement. D'abord, le schéma général d'énoncé de la Charte, quelles que soient ses vertus pédagogiques, prête assurément le flanc aux tentatives d'interprétation à la baisse. Seule la partie I de la Charte énumère des droits ; ceux de " tout travailleur ", de " tout travailleur migrant ", plus rarement (...) de " toute personne ". Les articles compris dans la partie II ne décrivent pour leur part que ce à quoi " les parties s'engagent ". Un lien est néanmoins explicitement fait entre partie I et partie II par la formule figurant en tête de chaque article de la partie II, avant la référence à l'engagement des parties : " En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à... ". Sans doute, ce sur quoi portent les engagements des Etats n'est-il pas, de surcroît, de même portée selon les articles. Mais c'est là un autre débat. A quoi bon reconnaître des droits si ces droits sont dépourvus de chair, et que peut vouloir dire l'affirmation du 4 de la partie I de la Charte, selon laquelle " tous les travailleurs ont droit à une rémunération équitable leur assurant, ainsi qu'à leurs familles, un niveau de vie satisfaisant ", si ce n'est d'une part que cette rémunération doit être en rapport avec

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le coût de la vie, d'autre part qu'elle ne peut cesser d'être versée sans préavis raisonnable ; on pourrait à la limite se passer de la partie II ? Quant à la portée prêtée par le président Laroque à la disposition de l'annexe selon laquelle " il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV " (autrefois rapports des Etats, désormais rapports des Etats et réclamations collectives), il faut en premier lieu se demander si ces intentions ne sont pas démenties par la lettre du texte arrêté : car prévoir, comme le fait l'annexe de la Charte, qu'" il est entendu que la Charte contient des engagements juridiques de caractère international dont l'application est soumise au seul contrôle visé par la partie IV " (celui du CEDS), ne signifie pas, évidemment, que les juridictions nationales n'ont pas vocation à appliquer la Charte et à lui donner des effets directs, seulement que, sur le plan international, seul le CEDS a cette vocation ; en second lieu, expliquer pourquoi les signataires de la Charte ont refusé de se rallier à une proposition tendant à articuler que " les dispositions de la Charte ne confèrent pas de droits directs aux individus, etc. ", s'ils étaient favorables à cette thèse, car cette formulation aurait assurément mis un terme à tout débat ; enfin, à supposer que la thèse de l'absence d'effets directs corresponde aux intentions originelles de certaines des parties signataires de la Charte, voire de toutes, s'interroger sérieusement sur la question de savoir si elle est aujourd'hui compatible avec l'évolution de la pensée en matière, sinon de droit social, du moins de droit international : un droit international qui ne serait pas purement décoratif. » Présidents successifs du CEDS, la parole de chacun a du poids pour des raisons différentes. Le premier, Pierre Laroque, était témoin des conditions de négociation de la Charte en 1961 et de ce fait bien placé pour en percevoir les ambiguïtés. Mais le second a l'avantage d'être plus proche dans le temps et pour cette raison au fait de l'évolution de la Charte et du sens qu'il y a lieu de lui donner après sa révision en 1995 et l'entrée en vigueur du protocole additionnel en 1998. Ajoutons que l'article 24 a été introduit lors de la révision de la Charte et qu'il stipule qu' « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître : a) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». Si le terme « s'engagent » implique une action, s'engager à reconnaître est une action plus modeste et la médiation introduite par ces termes l'est aussi. Le fait de juger que les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers n'a pas toujours été compris par la doctrine, ainsi que le rappellent le rapport et les mémoires. En outre l'utilisation d'un mode d'interprétation propre aux directives européennes, conçu pour inciter les État membres à transposer celles-ci, a surpris.

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Il faut d'ailleurs constater que le Conseil d'État a adopté la position affirmée par le président Belorgey dans l'arrêt GISTI du 11 avril 2012 cité au rapport, par lequel le Conseil d'État a défini les critères d'attribution d'un effet direct aux stipulations d'une convention internationale : « une stipulation doit être reconnue d'effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers ; que l'absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les Etats parties comme sujets de l'obligation qu'elle définit ; ». En conséquence, le Conseil d'État admet l'applicabilité directe de l'article 24 de la Charte sociale européenne (CE 10 février 2014, n° 358992). 1-3-2 L'invocabilité de l'article 24 de la Charte sociale européenne Selon la formule consacrée, la Charte sociale européenne constitue le « pendant » de la Convention EDH. C'est ainsi que les rédacteurs de la Charte l'ont qualifiée et c'est ainsi qu'elle est très souvent présentée. La coexistence de la Convention EDH et de la Charte sociale européenne a pendant longtemps motivé une très grande prudence de la Cour EDH face à la protection des droits sociaux. Jusque dans les années 2000, la circonstance qu'un droit était garanti par la Charte constituait aux yeux des juges de Strasbourg une raison suffisante pour l'exclure du champ de la Convention EDH. Sa position a évolué depuis lors : dans l'arrêt CEDH du 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, n° 6289/73, la liaison est faite entre la Convention EDH et la Charte sociale « nulle cloison étanche ne sépare [la sphère des droits économiques et sociaux] du domaine de la Convention (§26). La liaison entre les deux types de droits est établie par la CEDH à travers sa doctrine de protection des droits » non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (§ 24 ). La Cour EDH donne ainsi un statut particulier à la Charte sociale européenne : elle fait partie des « références objectives » pour l'interprétation de la Convention EDH avec pour conséquence que sa prise en compte n'est pas conditionnée par la soumission de l'État en cause à la Charte sociale européenne (CEDH, 21 février 2006, Tim Haber Sen c. Turquie, n° 28602/95, § 39, à propos de droit syndical 4). 4

« Ensuite, et même si la Turquie est l'un des deux seuls Etats (l'autre étant la Grèce) à n'avoir pas encore accepté d'appliquer l'article 5 de la Charte sociale européenne, le comité d'experts indépendants de celle-ci avait interprété ledit article – qui garantit à tous les travailleurs le droit de fonder des syndicats – comme visant également les fonctionnaires. La Cour ne peut que souscrire à cette interprétation émanant d'un comité particulièrement qualifié. Elle observe d'ailleurs

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La Cour EDH va ainsi interpréter le texte de la Convention à la lumière des autres instruments de protection des droits de l'homme et notamment de la Charte. L'arrêt emblématique en ce sens est l'arrêt Demir et Baykara c. Turquie 5. La Charte et les décisions du Comité européen des droits sociaux semblent ainsi avoir acquis le statut de références objectives pour l'interprétation de certaines dispositions de la Convention, notamment en matière de liberté syndicale et de droit à l'emploi6. Ainsi, à propos des mécanismes de crédit d'heures syndicales, la Cour EDH « déduit de l'article 11 de la Convention, lu à la lumière de l'article 28 de la Charte sociale européenne (révisée) que les représentants des travailleurs peuvent disposer en principe et dans certaines limites des facilités appropriées afin de leur permettre de remplir rapidement et efficacement leurs fonctions syndicales »7. Pour ce qui concerne le droit à l'emploi, la Cour intègre dans le droit à la vie privée prévu à l'article 8 de la Convention EDH celui de gagner sa vie par un travail librement entrepris, garanti par l'article 1, § 2 de la Charte sociale et la Convention n° 111 de l'OIT8. La Charte sociale européenne est donc une Convention internationale qui, non seulement s'impose dans le droit national en application de l'article 55 de la Constitution, mais nourrit l'interprétation des dispositions de la Convention EDH par la Cour EDH, laquelle se fonde pour cela sur les décisions du Comité européen des droits sociaux.

2. La possibilité d'un contrôle in concreto Corollaire du revirement de jurisprudence opéré par l'Assemblée plénière, les avis du 17 juillet 2019 ouvrent la possibilité d'un contrôle in concreto. En acceptant de donner suite à une demande d'avis sur la conventionnalité d'une norme, la Cour de que l'article 5 de la Charte sociale européenne prévoit des conditions à la possibilité de constituer des organisations syndicales pour les membres de la police et des forces armées. A contrario, cet article doit être regardé comme s'appliquant sans limitations aux autres catégories de fonctionnaires. » 5 6

Voir J.F. Akandji-Kombé, « Le dialogue entre le CEDS et la CEDH en matière professionnelle », RDT 2014, p. 359.

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CEDH, 21 juin 2001, Juan Sanchez Navaja c. Espagne, req. 57442 /00.

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CEDH 27 juill. 2004, n° 55480/00 § 32 et 47.

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cassation ne peut répondre que sur cette norme et n'est pas à même d'examiner les situations réelles des salariés concernés en appréciant les effets concrets de l'application de la norme sur laquelle elle est interrogée. Ainsi que le souligne la rédaction-même des avis, son contrôle n'est pas aussi exigeant que celui qu'elle aurait effectué à l'occasion d'un pourvoi la mettant en présence des circonstances particulières d'une affaire. Or c'est la mission du juge de pratiquer un contrôle de conventionnalité en s'interrogeant sur la norme et les conséquences de son application. 2-1 Un contrôle nécessaire pour l'ensemble des engagements internationaux La société et le MEDEF soutiennent que le contrôle in concreto serait réservé aux dispositions de la Convention EDH en affirmant, sans jamais le démontrer, qu'un contrôle de conventionnalité serait nécessairement abstrait, le contrôle concret n'étant qu'une exception. Leur premier argument est historique et découle des conditions dans lesquelles la première chambre civile de la Cour de cassation a initié ce contrôle, à propos d'un droit garanti par la Convention EDH (Civ. 1re, 4 déc. 2013, n° 12-26.066 P). Il est également soutenu que ce contrôle in concreto n'existerait que parce qu'il correspond à celui qu'exerce la Cour EDH. L'objectif serait d'éviter la condamnation que celle-ci ne manquerait pas de prononcer si la Cour de cassation ne s'assurait pas concrètement de la proportionnalité des atteintes aux droits que garantit la Convention EDH. Cependant cette obligation faite à la Cour de cassation n'implique pas qu'elle ne puisse pas vérifier concrètement la conformité d'une norme à l'égard d'autres engagements internationaux. Il est vrai que le contrôle de proportionnalité mis en œuvre depuis quelques années a jusqu'à présent essentiellement concerné la Convention EDH. Toutefois, ce contrôle de proportionnalité est une composante du contrôle de conventionnalité, ou contrôle de conventionnalité in concreto qui découle de l'article 55 de la constitution, selon lequel « les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ». Le document intitulé « La mise en œuvre du contrôle de proportionnalité en droit civil» indique d'ailleurs que: « Cette évolution vers un contrôle de conventionnalité de la loi est d'autant plus inéluctable qu'elle a été consacrée par le Conseil constitutionnel lui-même dans décision n°2010-605 DC du 12 mai 2010 : " L'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la

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Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir les engagements internationaux sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ». D'ailleurs, le Conseil d'État, dans son arrêt d'Assemblée du 31 mai 2016, n° 3968489 ne limite pas ce contrôle à la Convention EDH : « 2. Eu égard à son office, qui consiste à assurer la sauvegarde des libertés fondamentales, il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre, en cas d'urgence, toutes les mesures qui sont de nature à remédier aux effets résultant d'une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale, y compris lorsque cette atteinte résulte de l'application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en oeuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements ». Le fait que le Conseil d'État, alors qu'il était interrogé sur la conformité de dispositions du code de la santé publique à l'article 8 de la Convention EDH ait pris le soin de préciser qu'il visait les engagements européens ou internationaux de la France indique que ce contrôle n'est pas cantonné à la Convention elle-même. Juridiquement, rien ne permettrait de justifier que le contrôle de proportionnalité in concreto ne s'effectue qu'au regard de la Convention EDH : Ce n'est pas parce que cette Convention garantit des droits fondamentaux que le contrôle de proportionnalité est mis en œuvre, c'est parce la Constitution accorde aux traités internationaux une valeur supérieure à la loi. Si ce contrôle a jusqu'à présent été fait au regard de la Convention EDH, c'est essentiellement parce que son rôle et celui de la jurisprudence de la Cour EDH sont quantitativement et qualitativement sans commune mesure avec celui des autres normes internationales, à l'exception bien sûr du droit de l'Union européenne, qui bénéficie d'un statut spécifique. Admettre un tel contrôle dans le cadre d'une Convention de l'OIT ou de la Charte sociale européenne serait en tout état de cause limité, notamment parce que le droit français s'avère très largement conforme à ces conventions internationales. Ainsi, si la Cour de cassation a reconnu à certains articles des Conventions de l'OIT un effet direct, le recours à ces sources internationales, bien qu'en progrès, demeure assez marginal.

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Note P. Deumier, RTDciv. 2016, p. 578, Contrôle concret de conventionnalité : l'esprit et la méthode.

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2-2 Le droit à une protection contre le licenciement injustifié, un droit fondamental Comme l'indiquent Antoine Lyon-Caen et Pascal Lokiec, « Si les droits fondamentaux sont aujourd'hui largement invoqués, le sens de cette invocation reste entouré d'incertitudes, comme l'est la catégorie même de droit fondamental. S'il en est ainsi, c'est d'abord parce que la notion même de droit fondamental suscite des interrogations. Si le caractère fondamental d'un droit ou d'une liberté est la marque de l'importance que lui accorde l'ordre juridique, il peut être analysé de différentes manières. Ce caractère peut tenir à la position du droit dans la hiérarchie des normes, (…). Il peut également tenir à l'objet même du droit, la fondamentalité étant alors rattachée au respect de certaines valeurs, celles inhérentes à l'humanité, à la personne. Cette acception axiologique des droits fondamentaux, qui autorise à les reconnaître indépendamment de toute consécration constitutionnelle, participe de la référence croissante des droits fondamentaux dans le discours doctrinal »10. Le professeur Champeil-Desplats distingue ainsi quatre types de conceptions de la fondamentalité 11 : - la conception axiologique : qualifier un droit ou une liberté de « fondamental » le ou la situe parmi les valeurs inhérentes à l'humanité, à l'homme en tant qu'il est homme. La fondamentalité est ici liée à l'universalité : les droits fondamentaux appartiennent et bénéficient à tous, sinon ils ne sont pas fondamentaux. Cette conception axiologique est extrêmement répandue dans les discours dogmatiques, théoriques ainsi que dans celui des parties au procès. Il s'agit moins de constater que cette conception préside à la reconnaissance du caractère fondamental de certains droits et libertés dans un ordre juridique particulier, que de préconiser que ceux auxquels les auteurs ou les parties sont attachés bénéficient d'un statut particulier en droit positif. - la conception formelle : des droits et libertés peuvent être qualifiés de «fondamentaux» en considération de leur position dans la hiérarchie des normes ou au sein des sources du droit. Les droits fondamentaux sont alors ceux qui expriment des normes du plus haut degré d'un système juridique ou qui font l'objet de mécanismes de garanties spéciales : majorité qualifiée pour les modifier ou les supprimer, voire impossibilité de les abolir, bénéfice de recours spéciaux, interdiction d'abaisser leur niveau de garantie ou d'effectivité. La conception formelle de la fondamentalité se développe principalement sur un mode descriptif : 10

A. Lyon-Caen, P. Lokiec, «Propos introductifs», in Droits fondamentaux et droit social, sous la direction de A . LyonCaen et P. Lokiec, Dalloz, 2005, p. 2. 11

V. Champeil-Desplats, « Les droits et libertés fondamentaux en France, Genèse d'une qualification », in Droits

fondamentaux et droit social, sous la direction de A . Lyon-Caen et P. Lokiec, Dalloz, 2005, p. 12.

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les auteurs apprécient la qualité d'un droit ou d'une liberté à partir d'un critère préétabli d'identification des droits fondamentaux, fondé sur le degré et les mécanismes de protection. - la conception structurelle : les droits et libertés fondamentaux sont ici ceux sans lesquels un système juridique, un sous-système juridique ou un élément du système perdrait ou changerait substantiellement son identité, sa cohérence ou son mode de fonctionnement. Les droits ou libertés fondamentaux sont constitutifs et au fondement d'un système ou d'un ensemble organisé. - la conception commune : le caractère fondamental des droits et libertés est ici dérivé des similitudes de qualification ou de statut dans plusieurs systèmes juridiques nationaux ou internationaux12. Les droits reconnus par la Charte Sociale européenne et par la Convention n°158 de l'OIT ne sont pas moins fondamentaux que ceux de la Convention EDH selon une conception formelle. Selon une conception structurelle aussi car la protection contre le licenciement injustifié est indispensable au fonctionnement de tout le système du droit du travail. Sans cette protection, le salarié n'est plus en mesure de faire valoir l'ensemble de ses autres droits. En outre le fait d'adopter une conception autre que formelle poserait la question de savoir qui pourrait définir ces droits méritant une protection accrue et quelle méthode il conviendrait d'appliquer pour le faire. Or le droit à une indemnité adéquate en cas de licenciement injustifié est un droit consacré par deux textes internationaux ratifiés par la France et dont l'un, l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT, a été reconnu d'effet direct. Il « mérite » donc la protection qui découle de l'article 55 de la Constitution. Par ailleurs, ce droit est bien sûr consubstantiel au droit défini de manière générique par l'article 24 de la Charte Sociale européenne : « Tous les travailleurs ont droit à une protection en cas de licenciement » et c'est pour assurer « l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement », qu'est reconnu « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». L'article 10 de la convention 158 permet de la même manière de garantir l'effectivité de l'article 4, selon lequel « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement… ». On peut également relever que ce droit est aussi consacré par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dont l'article 30 intitulé Protection en cas de licenciement injustifié, stipule que « tout travailleur a droit à une protection contre 12

Ibid.

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tout licenciement injustifié, conformément au droit de l'Union ou aux législations et pratiques nationales ». Enfin, parmi les orientations définies par le Socle européen des droits sociaux, en écho à la Charte sociale européenne, figure le droit du travailleur victime d'un licenciement injustifié à se voir allouer une « compensation adéquate »13. Si le Socle européen des droits sociaux, proclamé par le Parlement européen, le Conseil et la Commission, est un document d'orientation politique dépourvu de force contraignante, il n'en demeure pas moins que les institutions de l'Union européenne ont ainsi manifesté l'importance qu'elles reconnaissent aux droits qu'il énonce 14.

3. L'appréciation in concreto de l'indemnité adéquate au sens de l'article 10 de la Convention n° 158, interprété à la lumière de l'article 24 de la Carte sociale européenne Il s'agit de rechercher si l'article L. 1235-3 du code du travail, tel qu'il est appliqué dans l'affaire objet du pourvoi porterait une atteinte disproportionnée aux droits garantis par l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT interprété à la lumière de l'article 24 de la Charte sociale européenne. 3. 1 Les premières études sur l'application du barème instauré par l'article L. 1235-3 Plusieurs études consacrées à l'application du barème s'attachent à comparer le montant des indemnités pour licenciement abusif avant et après la réforme de 2017.

13

Socle européen des droits sociaux Point 7 b). « Les travailleurs ont le droit d'être informés des raisons conduisant à leur licenciement, préalablement à celui-ci, et de recevoir un préavis raisonnable. Ils ont le droit d'avoir accès à un système de règlement des litiges efficace et impartial et de bénéficier, en cas de licenciement injustifié, d'un droit de recours, assorti d'une compensation adéquate ». 14

Comme l'indique le professeur Teyssié « Le Socle européen des droits sociaux participe de la volonté de renforcer une Europe sociale sensiblement moins aboutie que l'Europe économique, monétaire et financière. Conçu comme « un ensemble de principes et de droits essentiels pour doter l'Europe du XXIe siècle de marchés du travail et de systèmes de protection sociale qui soient équitables et (...) fonctionnent bien », il a pour ambition d'indiquer « le cap d'un processus renouvelé de convergence ascendante vers de meilleures conditions de travail et de vie » . Il doit servir de «guide» pour : – atteindre des résultats en matière sociale et d'emploi « permettant de relever les défis actuels et futurs et de satisfaire les besoins essentiels de la population» ; – faire en sorte que les droits sociaux soient «mieux consacrés et mis en oeuvre» . (JCP La Semaine juridique sociale n° 6, 15 février 2022, 1038).

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Elles sont rappelées de façon très complète dans le rapport, aussi ne seront mentionnées dans cet avis que celles qui, consacrées spécifiquement à l'indemnisation du licenciement abusif, sont les plus significatives.

3.1.1 Létude Dalmasso et Signoretto La plus précise des études, intitulée « Une première évaluation du « barème » d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse mis en place par l'ordonnance n° 1387 du 22 septembre 2017 », porte sur 240 arrêts rendus par les cours d'appel avant et après l'entrée en vigueur de l'ordonnance15. Elle montre que plus de la moitié des indemnités accordées avant son application sont supérieures au plafond du barème. C'est même le cas pour 95% des salariés ayant une ancienneté comprise entre deux et cinq ans, employés dans une entreprise d'au moins 11 salariés. Cette situation s'explique par le fait que le plancher de six mois de salaire antérieur à l'ordonnance a été remplacé par un plafond allant de 3,5 mois de salaire, pour une ancienneté de deux ans, à 6 mois pour une ancienneté de cinq ans. Cependant, la comparaison est presqu'aussi défavorable pour les salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté, auxquels ce plancher de six mois ne s'appliquait pas. Avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance 64% d'entre eux (pour les entreprises de moins de onze salariés) et 69% (pour celles de plus de onze salariés et plus) obtenaient des indemnités supérieures au plafond du barème. L'examen des 94 décisions rendues par les cours d'appel en application de l'ordonnance, fait apparaître une baisse de l'indemnité moyenne qui passe de 7,9 à 6,6 mois de salaire. En outre, elle confirme la diminution du montant des indemnités accordées aux salariés dont l'ancienneté était comprise entre deux et cinq ans, qui passent d'une moyenne de 6,5 à 3,5 mois de salaire et d'une médiane de 6 à 3,2 mois de salaires. Le constat est semblable pour les anciennetés inférieures à deux ans, pour lesquelles l'indemnisation passe d'une moyenne de 3 à 1,5 mois de salaire et d'une médiane de 2,1 à 1 mois de salaire. Pour ces deux catégories de salariés le montant des indemnités a donc été divisé par deux, sans qu'il soit possible de rattacher cette régression à la suppression du plancher de six mois.

15

Étude menée par Raphaël Dalmasso et Camille Signoretto, Droit social n°2 février 2022, page 135.

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En revanche, la perte est moindre pour les salariés ayant acquis une ancienneté supérieure à 10 ans dont l'indemnité passe en moyenne de 12,5 à 10,5 mois de salaire. Comme l'indique le rapport, l'étude fait ressortir que pour les salariés touchant un salaire brut de 2000 euros « avec les plafonds d'indemnisation actuels, la question de l'intérêt financier à agir se pose, compte-tenu de l'arbitrage entre un potentiel gain si la rupture de contrat est reconnue sans cause réelle et sérieuse et les frais à avancer durant le déroulement de l'instance prud'homale (notamment les frais d'avocats). » Elle conclue que « L'instauration de nouveaux planchers et plafonds réduit les écarts possibles, ce qui était un objectif affiché du législateur, et modère globalement les montants versés aux salariés, même si l'hypothèse de prévisibilité n'est pas tout à fait confirmée par notre étude. Cette modération des indemnités n'est cependant pas de même ampleur selon l'ancienneté du salarié. La baisse d'indemnisation moyenne est très forte pour les salariés des moyennes et grandes entreprises ayant une relative faible ancienneté (entre 2 et 5 ans), tandis qu'elle sera moins marquée pour les salariés ayant une ancienneté plus élevée. (...). Pour les salariés les plus impactés par cette baisse, leur intérêt financier à agir en justice pour faire reconnaître leur licenciement comme sans cause réelle et sérieuse devient faible voire inexistant. Or, les travailleurs les plus touchés par cet affaiblissement des indemnités sont souvent ceux ayant l'ancienneté et la rémunération les plus faibles dans l'entreprise. En ce sens, les conseils de prud'hommes risquent de devenir des juridictions de salariés plus riches, disposant d'une forte ancienneté et par conséquent très certainement plus âgés. C'est donc au final tout le cœur du salariat qui risque, de lui-même, de s'exclure du contentieux en renonçant à agir en justice. » 3.1.2. L'étude de l'université de Grenoble La mission Droit et Justice a confié à l'université de Grenoble une étude intitulée « La barèmisation de la justice, barèmisation et contentieux du licenciement sans cause réelle et sérieuse »16. Elle énonce les critères utilisés par les juges pour évaluer le montant du préjudice subi par le salarié abusivement licencié : à l'ancienneté, toujours prise en considération, s'ajoutent de multiples critères tenant aux caractéristiques du salarié (âge, situation professionnelle, charges de famille, état de santé) et au statut juridique de l'employeur (société, association ou entreprise individuelle). 16

La barèmisation de la Justice, Barèmisation et contentieux du licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mission de recherche droit et Justice et Université de Grenoble Alpes novembre 2019, pages 56 à 60.

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Elle évoque les stratégies de contournement du barème, telles que la multiplication des demandes accessoires et l'invocation de fondements permettant d'échapper au barème : harcèlement, discrimination ou encore manquement de l'employeur à ses obligations de sécurité. Enfin elle fait ressortir que dans les deux cours d'appel étudiées, le montant des dommages et intérêts alloués était très majoritairement supérieur au maximum prévu par le barème. Ce constat est particulièrement vérifiable pour les salariés ayant au plus 10 ans d'ancienneté. Or, sur le panel étudié, 69,5 % des salariés de l'étude ont une ancienneté inférieure ou égale à 10 ans d'ancienneté. « L'examen de la situation des salaries ayant 5 ans d'ancienneté est particulièrement éclairant de ce point de vue. En application du nouveau barème, la référence aux 6 mois de salaires bruts a changé de finalité, elle n'est plus un plancher mais un plafond d'indemnisation (applicable pour les salariés ayant au moins 5 ans d'ancienneté). Il n'est donc pas très surprenant de constater que l‘indemnisation accordée est dans 92% des dossiers supérieure a ce qui désormais est un plafond d'indemnisation. ».

Il ressort de ces comparaisons entre les indemnisations antérieures au barème et celles qui l'appliquent que pour les salariés n'ayant qu'une ancienneté inférieure ou égale à cinq ans, les sommes allouées ont été divisées par deux en moyenne. Une évolution comparable est observée pour les salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté ou travaillant dans une entreprise de moins de onze salariés. En définitive, il ressort de ces deux études que l'application du barème aux salariés ayant une ancienneté inférieure ou égale à cinq ans et des chefs de préjudice spécifiques pourrait s'analyser comme une discrimination indirecte au sens de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Celle-ci dispose en effet qu' « une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés, par rapport à d'autres personnes, à moins que: i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires (...). » L'abaissement des plafonds ajouté à la faible marge d'appréciation laissée au juge lorsque les salariés d'une entreprise de onze salariés et plus ont moins de quatre

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ans d'ancienneté, prive ce dernier de toute capacité à déterminer un montant d'indemnisation en lien avec le préjudice subi. Car, selon l'étude de l'université de Grenoble, le préjudice résultant du licenciement injustifié pris en compte avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance était loin de tenir exclusivement à l'ancienneté. Contraint de négliger toutes les causes de préjudice ne se rattachant pas à l'ancienneté, le juge est donc dans l'impossibilité de respecter l'injonction formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi de ratification des ordonnances, selon laquelle « il appartient au juge, dans les bornes de ce barème, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu'il fixe le montant de l'indemnité due par l'employeur »17. De surcroît, le fait pour le juge de devoir allouer à un salarié âgé ou handicapé à titre d'indemnité la même somme qu'à un salarié jeune ne souffrant d'aucun problème de santé constituerait une discrimination indirecte car il entraînerait pour le premier un désavantage par rapport au second. A cela s'ajoute le risque signalé par l'étude Dalmasso /Signoretto de la perte d'un intérêt financier à agir en justice pour tous les salariés ayant une ancienneté et une rémunération faibles. Enfin, il est manifeste qu'une indemnité à ce point éloignée du préjudice réellement subi ne présente aucun caractère dissuasif. L'absence de caractère dissuasif, de lien avec le préjudice subi et par conséquent de protection du salarié contre un licenciement abusif, conduit à s'interroger sur la conformité à l'article 10 de la Convention n°158 de l'indemnité prévue par le barème dans le cas d'espèce. 3-2 L'indemnité adéquate au sens de la Convention n° 158 de l'OIT Les droits garantis par l'article 10 de la Convention n° 158 ont été précisés par un rapport du Comité tripartite désigné pour examiner une réclamation présentée, en vertu de l'article 24 de la Constitution de l'OIT, par plusieurs organisations syndicales vénézuéliennes alléguant l'inexécution par le Venezuela de deux conventions, dont la Convention n°158. Ce comité, dont le rapport a été adopté par le Conseil d'administration de l'OIT indique que « L'article 10 de la convention prévoit qu'à titre accessoire une 17

Conseil constitutionnel, 21 mars 2018, décision n° 2018-761 DC, § 89.

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indemnité « adéquate » soit versée au travailleur ayant fait l'objet d'un licenciement injustifié, lorsque l'annulation du licenciement et la réintégration comme moyens de réparation principaux ne peuvent être prononcées. Le comité note que le dédommagement financier ainsi prévu sert à indemniser la perte injustifiée de l'emploi et doit être à ce titre « adéquat », c'est-à-dire suffisamment dissuasif pour éviter le licenciement injustifié. Le comité note que, si l'utilisation du terme « adéquat » n'établit ni un quelconque montant pour cette indemnité ni les modalités du calcul de ce montant, il indique cependant que le montant de l'indemnité doit raisonnablement permettre d'atteindre le but visé, à savoir l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. »18. Ce caractère dissuasif implique que l'indemnité « adéquate » soit mise à la charge de l'employeur et non des organismes de protection sociale servant des allocations d'assurance chômage. Par conséquent, contrairement à ce qui est soutenu par l'employeur et le MEDEF, sa conformité à l'article 10 de la Convention n° 158 doit être appréciée sans tenir compte de ces prestations, qui pèsent sur la collectivité et non sur le responsable du licenciement abusif. 3-3 L'indemnité adéquate au sens de l'article 24 de la Charte sociale européenne En signant, ratifiant et publiant la Charte sociale européenne et en se considérant comme liée notamment par l'article 24, la France s'engage à respecter cette disposition, telle que l'interprète le Comité européen des droits sociaux. Ce comité, dit d'experts indépendants au départ, et rebaptisé en « Comité européen des droits sociaux » (CEDS) est l'organe de contrôle de la Charte. Il compte notamment parmi ses quinze membres dix professeurs de droit et un juge national, le membre français, vice-président du comité, issu du Conseil d'État. Leur statut est défini par le règlement du Comité.

18

RECLAMATION (article 24) - VENEZUELA - C095, C158 - 1997 1. Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), 2. Centrale unitaire des travailleurs du Venezuela (CUTV), 3. Confédération générale des travailleurs du Venezuela (CGT), 4. Confédération des syndicats autonomes (CODESA), 5. Syndicat national des employés et fonctionnaires publics du pouvoir judiciaire et du Conseil de la magistrature (ONTRAT) Clos

Selon l'article 24 de la Charte (non révisée) : « le Comité appréciera, d'un point de vue juridique, la conformité des législations, réglementations et pratiques nationales avec le contenu des obligations découlant de la Charte pour les parties contractantes concernées ». L'article 2 du règlement définit ainsi le rôle du comité « Le comité statue en droit sur la conformité des situations nationales avec la Charte sociale européenne, le Protocole additionnel de 1988 et la Charte sociale européenne révisée ». Son interprétation s'impose au Comité des ministres à qui il incombe de recommander à l'État dont le manquement à la Charte a été constaté, de prendre les mesures qui s'imposent. Il est considéré par la Cour EDH comme son organe d'interprétation19. Si le CEDS n'est pas un organe juridictionnel, son fonctionnement est très similaire à celui d'une juridiction. Sa composition, la nature du contrôle qu'il opère et les garanties procédurales du mécanisme de réclamations collectives se veulent similaires à ceux d'une juridiction : « Si l'on s'attache à la nature du contrôle international mis en œuvre plutôt qu'à la qualité formelle de l'organe de contrôle, force est de constater que le système de garantie de la Charte ne se différencie guère fondamentalement de ceux consacrés à la protection des droits civils et politiques, qu'ils soient juridictionnels ou quasi-juridictionnels . Il en va de même de la procédure suivie devant le Comité. On y retrouve d'abord les garanties essentielles des procédures juridictionnelles, au premier rang desquelles, le contradictoire »20. Dans sa décision sur la réclamation présentée par l'association Finnish Society of Social Rights, le CEDS a rappelé « qu'en vertu de la Charte, les salariés licenciés sans motif valable doivent obtenir une indemnisation ou toute autre réparation appropriée. Les mécanismes d'indemnisation sont réputés appropriés lorsqu'ils prévoient : - le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l'organe de recours ; - la possibilité de réintégration ; - des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime. Tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte (...) 21».

19

CEDH, 8 avril 2014, Affaire National Union of rail, maritime and transport workers c. Royaume uni, n°31045/10, § 35 à 37, 69 et 94. 20

J.-F. Akandji-Kombé, « La Charte sociale européenne et la Promotion des droits sociaux », in Les droits sociaux fondamentaux, Entre droits nationaux et droit européen, Sous la direction de L. Gay, E. Mazuyer et D. Nazet-Allouche, Bruylant, 2006, p. 192. 21

Finnish Society of Social Rights c. Finlande Réclamation n° 106/2014, § 45 et 46.

Après avoir examiné la réponse du Gouvernement finlandais selon laquelle à l'indemnité pour licenciement abusif plafonnée à 24 mois de salaire pouvaient s'ajouter des dommages et intérêts pour licenciement discriminatoire, et confronté cette affirmation à l'usage réel de cette voie d'indemnisation, le CEDS a estimé que « la loi relative à la responsabilité civile ne constitue pas une voie de droit alternative ouverte aux victimes de licenciement abusif ne présentant pas de lien avec la discrimination. Le Comité considère que le plafonnement de l'indemnisation prévu par la loi relative au contrat de travail peut laisser subsister des situations dans lesquelles l'indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi. En outre, il ne peut conclure que des voies de droit alternatives sont prévues pour constituer un recours dans de telles situations. »22 . De même en réponse à la réclamation présentée par la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) contre l'Italie, le comité rappelle que « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte (...) En cas de plafonnement des indemnités accordées en compensation du préjudice matériel, la victime doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d'autres voies de droit et les juridictions compétentes pour accorder une indemnisation pour le préjudice matériel et moral subi doivent se prononcer dans un délai raisonnable (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation n° 106/2014, décision sur la recevabilité et le bien-fondé du 8 septembre 2016, par. 46 ; Conclusions 2012, Slovénie et Finlande) ». Pour ce qui concerne l'Italie, il « constate qu'en cas de licenciement illégal (autre que discriminatoire, entaché de nullité, communiqué oralement ou substantiellement infondé, ...), la victime a le choix entre deux options compensatoires pour le dommage matériel – judiciaire ou extra-judiciaire – qui sont plafonnées et ne couvrent pas les pertes financières effectivement encourues depuis la date du licenciement. Le Comité considère que les conditions qui s'attachent à chacune de ces options compensatoires sont cependant de nature à encourager, ou du moins à ne pas dissuader, le recours aux licenciements illégaux. En effet, en cas de licenciement illégal, l'option conciliatoire prévue en Italie permet à l'employeur de se soustraire à une procédure judiciaire tout en maîtrisant les frais du licenciement (plafonnés à 27 mensualités, 6 pour les petites entreprises), alors que cela engage la victime à renoncer à toute poursuite ultérieure, avec pour seul avantage le fait d'être certaine de recevoir une indemnisation dans un court laps de temps. La voie judiciaire n'a pas, pour autant, de véritable effet dissuasif sur le licenciement illégal dans la mesure où, d'une part, le montant net de l'indemnisation pour dommage matériel n'est pas significativement supérieur à celui prévu en cas de 22

Ibid. § 52 et 53.

conciliation et, d'autre part, la durée de la procédure profite à l'employeur, vu que l'indemnisation en question ne peut excéder les montants préétablis (plafonnés à 12, 24 ou 36 mensualités selon les cas, 6 pour les petites entreprises) et la compensation devient ainsi au fil du temps inadéquate par rapport au préjudice subi. Quant aux voies de recours évoquées par le Gouvernement, le Comité constate l'absence d'éléments concluants sur le fait qu'elles permettent effectivement d'obtenir une indemnisation supplémentaire de manière généralisée. Au vu de ces éléments, le Comité considère que ni les voies de droit alternatives offrant au travailleur victime de licenciement illégal une possibilité de réparation audelà du plafonnement prévu par la loi en vigueur, ni le mécanisme de conciliation, tels qu'établis par les dispositions contestées, ne permettent dans tous les cas de licenciement sans motif valable d'obtenir une réparation adéquate, proportionnelle au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux »23. Au vu de ces décisions, les deux réclamations collectives contre la France en cours devant le CEDS ont toutes les chances de conduire à l'absence de conformité de l'article L. 1235-3 à l'article 24 de la Charte sociale européenne24. Il faut noter en outre que dans ces décisions très empreintes des conditions réelles dans lesquelles un salarié abusivement licencié peut obtenir réparation, les décisions du comité d'experts de l'OIT, l'étude d'ensemble sur la Convention n° 158 et la Recommandation n° 166 en matière de licenciement sont amplement rappelées, ainsi que l'article 30 de la Charte des droits fondamentaux, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le principe 7 du Socle européen des droits sociaux et un arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 2 août 1993, relatif à l'indemnisation pour licenciement discriminatoire25. En d'autres termes, la protection contre le licenciement abusif est assurée par un ensemble de normes émanant de l'OIT, de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe, dont les interprétations sont communes et susceptibles d'être reprises, non seulement par des comités dotés d'un pouvoir d'analyse et de suivi du droit national mais par des juridictions, la CJUE et la Cour EDH dont les décisions sont exécutoires.

23

Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie Réclamation n° 158/2017, § 95, 101, 102 et 103.

24

Réclamations n° 175/2019 syndicat CFDT de la métallurgie de la Meuse c. France et 171/2019 CGT c.France.

25

M. [X] contre Southampton and South-West Hampshire Area Health Authority, demande de décision préjudicielle : House of Lords - Royaume-Uni. Directive 76/207/CEE - Egalité de traitement entre hommes et femmes - Droit à réparation en cas de discrimination. Affaire C-271/91.

Conclusion Le pourvoi de l'employeur dans l'affaire n° H2115247 est irrecevable comme nouveau, mêlé de fait et de droit et contraire à ses écritures en appel et la première branche du premier moyen du pourvoi n° J2115249 n'est pas de nature à entraîner la cassation. Toutefois la deuxième branche de ce moyen, le second moyen et le moyen unique du pourvoi n° K2115250 peuvent être retenus et entraîner la cassation. Si vous en décidiez autrement, il vous reviendrait de statuer sur les pourvois incidents des salariés qui vous demandent de juger que l'article 24 de la Charte sociale européenne produit des effets directs dans un litige entre particuliers. En l'état des avis rendus par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation et bien qu'il soit juridiquement possible pour la chambre sociale de s'en affranchir, je vous propose de rejeter les pourvois incidents des salariés.

Avis de rejet des pourvois incidents

Avis de rejet sur le pourvoi principal n° H2115247.

Avis de cassation sur les pourvois principaux n° J2115249 et K2115250.

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