Cass. QPC, Conclusions, 17-02-2023, n° 21-86.418
A84362RU
Référence
AVIS DE M. DESPORTES, PREMIER AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 665 du 17 février 2023 (B-R) – Assemblée plénière Pourvois n° 21-86.418, 22-83.930 et 22-85.784 Décisions attaquées : Arrêts de la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République des : - 3 novembre 2021 (pourvoi n° 21-86.418) ; - 14 juin 2022 (pourvoi n° 22-83.930) ; - 3 octobre 2022 (pourvoi n° 22-85.784)
Monsieur [Y] [W] C/ _________________
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PLAN
- Faits et procédure 1. Appréciation de la recevabilité de la question au regard des principes y étant invoqués 1.1.- Des principes invoqués dans le corps de la question ne s'analysant pas en des droits ou libertés que garantit la Constitution 1.2.- Considérations s'opposant à la prise en compte du grief tiré de la violation du droit au procès équitable invoqué dans l'argumentation du mémoire
2. Examen au fond, à titre subsidiaire, du grief tiré de la violation du droit au procès équitable 2.1.- Appréciation de l'applicabilité au litige et de l'absence de déclaration de conformité 2.2.- Appréciation du caractère sérieux de la question en l'absence de nouveauté 2.2.1.- Dispositions régissant les perquisitions au sein d'un ministère 2.2.2.- Absence d'atteinte au droit au procès équitable ou aux droits de la défense
3. Conclusion
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Faits et procédure Dans une information ouverte devant la commission d'instruction de la Cour de justice de la République pour des faits de prise illégale d'intérêt qu'il lui est reproché d'avoir commis dans l'exercice de ses fonctions de garde des Sceaux, ministre de la justice, M. [Y] [W] a été mis en examen de ce chef le 16 juillet 2021. Au nombre des investigations ayant précédé sa mise en examen figure, notamment, une perquisition effectuée au sein du ministère de la justice, le 1 er juillet 2021, par la commission d'instruction. Cette perquisition a été conduite plus spécialement dans les bureaux du ministre et de son secrétariat ainsi que dans ceux de la directrice de cabinet, du secrétariat de celle-ci, du directeur de cabinet adjoint, du chef de cabinet et du directeur des affaires criminelles et des grâces (cote D 903). Par une requête du 7 septembre 2021, M. [W], par ses avocats, a saisi la commission d'instruction aux fins d'annulation d'un certain nombre d'actes de la procédure, dont les procèsverbaux afférents à cette perquisition. A l'appui de sa demande d'annulation, outre l'invocation d'un certain nombre d'irrégularités dans l'accomplissement de la mesure, il a soutenu que celleci avait porté une atteinte “disproportionnée” et “irrémédiable” à la séparation des pouvoirs. En substance, M. [W] a fait valoir que les locaux du ministère étaient protégés par le secret défense, que la mesure avait été rendue publique en violation du secret de l'instruction, qu'il s'en était suivi un fort retentissement médiatique et qu'elle avait donné lieu à “une saisie totalement excessive d'un certain nombre de documents relatifs à l'action gouvernementale”. Par arrêt du 3 novembre 2021, la commission d'instruction a rejeté la requête en nullité. M. [W] a formé contre cet arrêt un pourvoi enregistré sous le numéro 21-86.418. Ce pourvoi étant dirigé contre un arrêt ne mettant pas fin à la procédure et entrant, comme tel, dans les prévisions de l'article 570 du code de procédure pénale, le demandeur a présenté une requête aux fins d'examen immédiat qui a été rejetée par une ordonnance rendue en application de l'article 571 du même code par le président de chambre suppléant la première présidente de la Cour de cassation. Le 29 avril 2022, à la suite de la notification de l'avis de fin d'information, M. [W], par ses avocats, a déposé une nouvelle requête en nullité dans des termes identiques. Cette requête a été rejetée par arrêt n° 3 de la commission d'instruction du 14 juin 2022. Le pourvoi, enregistré sous le numéro 22-83.930, formé par le requérant contre cet arrêt a fait l'objet par lui d'une demande aux fins d'examen immédiat qui a été pareillement rejetée. Statuant, par arrêt du 3 octobre 2022, sur le règlement de l'information, la commission d'instruction a renvoyé M. [W] devant la Cour de justice de la République du chef de prise illégale d'intérêt. Cet arrêt devant être regardé comme un arrêt sur le fond au sens et pour l'application de l'article 570 du code de procédure pénale, le pourvoi, enregistré sous le numéro 22-85.784 formé à son encontre par M. [W] est, de droit, immédiatement recevable. Ce même pourvoi appelle l'examen concomitant de ceux formés contre les arrêts précités des 3 novembre 2021 et 14 juin 2022 dès lors qu'en l'absence d'examen immédiat, ils doivent être examinés en même temps que le pourvoi formé contre l'arrêt sur le fond1. Les trois pourvois étant dirigés contre des arrêts de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République, leur examen relève bien entendu de votre Assemblée plénière en application de l'article 24 de la loi organique du 23 novembre 19932. 1 Il résulte de la jurisprudence de votre Assemblée plénière que les pourvois formés contre les arrêts de renvoi de la
commission d'instruction sont soumis à un régime semblable à celui applicable, en droit commun, aux arrêts de mise en accusation. Leur recevabilité n'est donc pas subordonnée aux conditions prévues à l'article 574 du code de procédure pénale applicable aux arrêts de renvoi devant le tribunal correctionnel et, contrairement à la solution retenue à l'égard de ces arrêts (v. Crim. 20 févr. 2019, n° 18-86.897, 17-86.951, B. n° 42 ; Crim. 20 avr. 2022, n° 1285.641, 22-80.906, 19-81.886), ils doivent être regardés comme des arrêts sur le fond au sens de l'article 570 du CPP (v. not. : Ass. plén., 13 mars 2020, n° 19-86.609). 2 Loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République
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Au soutien de chacun des pourvois M. [W], par mémoire distinct, a demandé à la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel une même question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ainsi libellée : “Les dispositions des articles 56, 57 alinéa 1er et 96 du code de procédure pénale, en ce qu'elles autorisent la perquisition au sein du siège d'un Ministère, lieu d'exercice du pouvoir exécutif au sens de l'article 20 de la Constitution, sans assigner de limites spécifiques à cette mesure, ni l'assortir de garanties spéciales de procédure permettant de prévenir une atteinte disproportionnée à la séparation des pouvoirs, portent-elles atteinte à ce principe, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'à l'article 34 de la Constitution qui impose au législateur de fixer les règles concernant la procédure pénale ?” Ce sont donc trois questions, rédigées en termes identiques, qui vous sont soumises et donc, intellectuellement, une question unique. Si le caractère législatif des dispositions contestées, qui régissent le déroulement des perquisitions, ne fait pas de doute, vous aurez en revanche à vous interroger d'emblée sur l'invocabilité, à l'appui d'une QPC, des principes constitutionnels qui, selon le demandeur, auraient été méconnus. De cette invocabilité dépend la recevabilité de la question.
1. Appréciation de la recevabilité de la question au regard des principes y étant invoqués 1.1.- Des principes invoqués dans le corps de la question ne s'analysant pas en des droits ou libertés que garantit la Constitution Il résulte de l'article 61-1 de la Constitution et des articles 23-1 et 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 19583 qui en reprennent les termes, que seule peut être invoquée au soutien d'une QPC l'atteinte portée aux “droits et libertés que la Constitution garantit”. Au cas présent, estimant que les dispositions contestées du code de procédure pénale n'encadrent pas suffisamment les perquisitions judiciaires lorsqu'elles sont effectuées au siège d'un ministère, le demandeur reproche au législateur d'avoir méconnu le principe de séparation des pouvoirs énoncé à l'article 16 de la Déclaration de 1789 en n'exerçant pas pleinement la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution pour assurer la garantie des droits. M. [W] articule ainsi deux griefs : l'un tiré de la violation du principe de la séparation des pouvoirs, l'autre tiré de ce que les dispositions législatives litigieuses seraient entachées d'une incompétence négative. S'agissant du grief d'incompétence négative, le Conseil constitutionnel juge avec constance que “la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit”4. Autrement dit, il importe de désigner le droit ou la liberté qui serait affectée par l'incompétence négative 5. En l'occurrence, c'est en tant qu'elle emporterait une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs que cette méconnaissance est invoquée. La question est donc de savoir si ce principe est lui-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
3Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel 4 La solution, énoncée par le Conseil dans sa décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010, SNC […] (cdt 3) évolué dans
sa formulation, fixée par la décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012 (cdt 3). Elle est rappelée dans des dizaines de décisions (v. pour une décision récente, entre beaucoup d'autres : Déc. n° 2021-972 QPC, 18 févr. 2022, § 5). 5 v. les commentaires aux Cahiers des décisions n° 2010-45 QPC, 6 oct. 2010 et n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015
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Le Conseil constitutionnel a consacré de longue date la valeur constitutionnelle du principe de séparation des pouvoirs, proclamé à l'article 16 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel “Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution”6. En outre, depuis sa décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011, il juge de manière constante que le principe est applicable “à l'égard du Président de la République et du Gouvernement” dans leurs rapports avec le pouvoir législatif et l'autorité judiciaire7. Il s'agit alors de faire respecter, dans “la répartition constitutionnelle entre les pouvoirs”8, les attributions du pouvoir exécutif telles qu'elles résultent, notamment, des articles 5, 8, 20 et 21 de la Constitution9. Toutefois, si le principe de séparation des pouvoirs a indiscutablement valeur constitutionnelle, il n'est pas de ceux dont la violation peut être invoquée à l'appui d'une QPC. Par sa décision n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016, le Conseil constitutionnel a précisé, dans une formulation semblable à celle appliquée au grief d'incompétence négative, que “la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit”10. Votre Cour a mis en oeuvre ces solutions bien établies en déclarant irrecevables les QPC fondées sur la seule violation de la séparation des pouvoirs11 ou sur le seul grief d'incompétence négative12. Le Conseil d'Etat retient, bien entendu, les même solutions13.
6 Déc. n° 79-104 DC, 23 mai 1979, cdt 9 ; Déc. n° 88-248 DC, 17 janv. 1989, cdt 24 et 27 ; Déc. n° 89-258 DC, 8
juill. 1989, cdt 8 ; Déc. n° 89-260 DC, 28 juill. 1989, cdt 6 ; Déc. n° 89-268 DC, 29 déc. 1989, cdt 71 7 v. dès avant la décision de 2011 : Déc. n° 2009-577 DC, 3 mars 2009 - depuis la décision de 2011 : Déc. n° 2014-
703 DC, 19 nov. 2014, cdt 7 ; Déc. 2017-752 DC, 8 sept. 2017, § 28 ; Déc. n° 2017-753 DC, 8 sept. 2017, § 44 ; Déc. n° 2020- 800 DC, 11 mai 2020, cdt 7 8Ph. Blachèr, Le Président de la République et le Gouvernement dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
Nouv. Cah. Du Cons. Const., 2016, n° 50, spéc. p. 33 à 38. 9 A titre d'illustrations, sur le fondement du principe de séparation des pouvoirs combiné parfois avec un ou plusieurs
des articles précités de la Constitution, le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions prévoyant l'intervention d'une instance législative dans l'élaboration d'un acte réglementaire (Déc. n° 2009-577 DC, 3 mars 2009, cdt 29 à 31), ouvrant à un organe parlementaire chargé de l'évaluation des politiques publiques la possibilité d'adresser des injonctions au Gouvernement (Déc. n° 2009-581 DC, 25 juin 2009, cdt 59, 61 et 62), imposant la présence du ministre lors de débats devant certaines commissions permanentes des assemblées (Déc. n° 2013-679 DC, 4 déc. 2013, cdt 78 et 79), imposant au Premier ministre de prendre dans un délai préfix un acte relevant du pouvoir que lui confie l'article 21 de la Constitution (Déc. n° 2015-721 DC, 12 nov. 2015, cdt 13 à 15 ; Déc. n° 2018-772 DC, 15 nov. 2018, § 62 à 64 ; rappr. Déc. n° 2017-752 DC, 8 sept. 2017, § 71), interdisant au Gouvernement d'attribuer des subventions aux collectivités territoriales (Déc. n° 2017-753 DC, 8 sept. 2017, § 51 et 52), modifiant le traitement du président de la République (Déc. n° 2012-654 DC, 9 aout 2012, cdt 81 et 82), confiant à une autorité administrative indépendante le pouvoir d'imposer, de fait, à un membre du Gouvernement de démissionner (Déc. n° 2017-752 DC, 8 sept. 2017, § 20, 21, 23 et 32), permettant d'imposer l'audition d'un ministre devant une commission parlementaire (Déc. n°2019-785 DC, 4 juill. 2019, cdt 48) ou encore, imposant au Gouvernement de transmettre un nombre excessif d'informations en méconnaissance des articles 20 et 21 de la Constitution (Déc. n° 2020-800, 11 mai 2020, § 81 et 82). 10 Déc. n° 2016-555 QPC du 22 juillet 2016, § 9 11 Civ. 3ème, 17 nov. 2021, n° 21-40.019, 21-40.01. Notons que, dès avant la décision du Conseil constitutionnel, la
solution avait été retenue par la troisième chambre civile : Civ. 3 ème, 4 févr. 2016, n° 15-21.381, B. n° 24. 12
v. not. Civ. 3ème, 17 nov. 2021, n° 21-40.018 et 21-40.019 ; Civ. 3ème, 1er déc. 2022, n° 22-16.432 13 v. par ex., pour l'incompétence négative : CE 2 juin 2021, 450329, 450631, 451114,§ 4 et, pour la séparation des
pouvoirs : CE 9 uin 2020, n° 438822, § 10
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Certes, pour emprunter la formule de Régis Fraisse, l'article 16 de la Déclaration est la “clef de voûte des droits et libertés”14. De la double exigence de la garantie des droits et de la séparation des pouvoirs proclamée à cet article, le Conseil constitutionnel a tiré les principes fondamentaux gouvernant le procès et l'organisation des juridictions : droit à une juridiction indépendante et impartiale15, droit à un recours effectif16, droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties17 ou encore droits de la défense18. Ces droits entrent bien entendu dans les prévisions de l'article 61-1 de la Constitution de sorte que leur violation peut être invoquée par la voie de la QPC. C'est d'ailleurs en pratique fréquemment le cas, l'article 16 de la Déclaration apparaissant comme le pendant constitutionnel de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Mais la seule invocation de la violation du principe de la séparation des pouvoirs énoncé à l'article 16 de la Déclaration de 1789 n'induit pas, de manière mécanique et implicite, l'invocation de la violation de l'un des droits ou libertés tirées du même article, sans quoi d'ailleurs la règle énoncée par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée du 22 juillet 2016 serait vidée de toute portée. Il appartient à l'auteur de la question de mentionner expressément le droit ou la liberté en corrélation avec le principe de séparation des pouvoirs qui, selon lui, se trouverait atteint en même temps que ce principe. Tel était le cas dans les QPC ayant donné lieu aux décisions du Conseil constitutionnel invoquées par le demandeur dans son mémoire, au nombre desquelles la décision précitée n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011. Il était alors soutenu qu'en empêchant le juge d'accéder, lors d'une perquisition, aux informations couvertes par le secret de la défense nationale, les dispositions de l'article 56-4 du code de procédure pénale méconnaissaient, non seulement le principe de la séparation des pouvoirs, mais également et corrélativement “le droit à un procès équitable par un tribunal de pleine juridiction”. Rien de tel au cas présent. En faisant valoir que le législateur aurait méconnu le principe de séparation des pouvoirs faute d'avoir suffisamment encadré le pouvoir de perquisition du juge d'instruction au sein d'un ministère, le demandeur se borne à invoquer la violation de deux principes dont aucun n'est l'expression d'un droit ou d'une liberté que garantit la Constitution de sorte que ni ensemble ni séparément ces principes ne peuvent fonder une QPC. Il en résulte que, telle qu'elle est libellée, celle-ci apparaît irrecevable. 1.2.- Considérations s'opposant à la prise en compte du grief tiré de la violation du droit au procès équitable invoqué dans l'argumentation du mémoire A l'encontre de l'irrecevabilité, il pourrait être relevé que, dans l'argumentation du mémoire développée au soutien de la QPC, le demandeur invoque également une atteinte aux droits de la défense et au droit au procès équitable qui, bien entendu, sont des droits et libertés que garantit la Constitution, consacrés par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789. Il est soutenu en effet dans le mémoire “qu'à tous points de vue,
14 Régis Fraisse, L'article 16 de la Déclaration, clef de voûte des droits et libertés, Nouv. Cahiers du Cons. constit.,
n° 44, 2014 15 v. Déc. n° 2006-545 DC, 28 déc. 2006, cdt 24 et, depuis lors, entre beaucoup d'autres : Déc. n° 2010-110 QPC,
25 mars 2011, cdt 3 ; Déc. n° 2011-199 QPC, 25 nov. 2011, cdt 11 ; Déc. 2015-506 QPC, 4 déc. 2015, propos de la conciliation du pouvoir de perquisition dans une juridiction et le principe d'indépendance. 16 v. entre beaucoup d'autres : Déc. n° 2011-129 QPC, 13 mai 2011, cdt 4 ; Déc. n° 2014 QPC, 6 mars 2015, cdt 3 17 v. not. : Déc. n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, 18 nov. 2011, cdt 10 ; Déc. n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, §
94 18 v. not. Déc. n° 2006-535 DC, 30 mars 2006, cdt 24
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l'absence de dispositions spécifiques prévoyant des garanties en cas de perquisition au sein d'un ministère expose par trop le principe de la séparation des pouvoirs, et affecte manifestement les droits et libertés garantis par la Constitution aux titres desquels figurent les droits de la défense et le droit au procès équitable” ou encore, un peu plus loin, qu'en omettant d'entourer des garanties nécessaires les perquisitions dans un ministère, le législateur aurait gravement méconnu “les libertés publiques” parmi lesquelles “figurent notamment les droits de la défense et le droit au procès équitable qui résultent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen”19. Il apparaît donc que, dans son argumentation, le demandeur associe la violation de chacun des deux griefs articulés dans sa question à celle, qui serait corrélative, des droits de la défense et du droit au procès équitable. Dès lors, il nous faut examiner, d'une part, s'il y a lieu d'incorporer dans la question le grief tiré de la violation de ces droits, formulé seulement dans le mémoire, et, d'autre part, si, à la supposer possible, cette incorporation suffirait à assurer la recevabilité de la question. Le cadre de la réflexion est tracé par l'arrêt de votre Assemblée plénière du 20 mai 2011 qui délimite la marge d'appréciation du juge pour la reformulation d'une QPC. Vous avez alors énoncé que “si la question peut être reformulée par le juge à effet de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, il ne lui appartient pas d'en modifier l'objet et la portée”20. La solution est appliquée depuis lors avec constance par votre Cour21. Elle découle de ce que la QPC est un moyen placé entre les mains des parties auxquelles le juge ne peut se substituer, que ce soit directement, en la soulevant d'office, ou indirectement, en la réécrivant. Cela étant, dans le cadre ainsi tracé, votre Cour manifeste une certaine tolérance que traduit une jurisprudence nuancée. Ainsi, vous acceptez de vous reporter à l'argumentation développée dans le mémoire pour éclairer en quoi la disposition contestée serait contraire au principe constitutionnel invoqué par le demandeur dans sa question22. Par ailleurs, lorsque la QPC ne désigne pas expressément le droit ou la liberté qui aurait été violée mais que ce droit ou cette liberté peut se déduire de la nature de la critique articulée dans la question, vous vous autorisez à pallier les lacunes de celle-ci en identifiant vous-mêmes, dans certaines limites 23, le droit ou la liberté concernée soit en vous reportant au mémoire motivé qui peut en comporter l'indication24, soit, en l'absence de toute indication complémentaire dans le mémoire, en interprétant les termes de la question25. Toutefois, l'interprétation autorisée cesse là où commence la réfaction. Lorsque la question elle-même ne comporte aucune indication permettant de déterminer le droit ou la liberté dont le
19 Mémoire, XII, p. 16 et XVI, p. 21 20 Ass. plén., 20 mai 2011, n° 11-90.033, Bull. crim. 2011, Ass. plén., n° 6 21 v. par ex. : Civ. 3ème, 13 juillet 2011, n° 11-40.026, B., n° 135 ; Crim. 14 févr. 2012, n° 11-90.121 ; Civ. 2ème, 10
sept. 2015, n° 15-40.024 ; Civ. 2ème, 28 mars 2019, n° 19-40.005 ; Soc., 29 janv. 2020, n° 19-40.034, § 7 ; Civ. 1ère, 1er juill. 2021, n° 21-40.008, § 4 ; Crim., 26 mai 2021, n° 21-90.007 ; Crim., 22 mars 2022, n° 21-90.047, § 3 22 v. Crim., 12 janv. 2021, n° 20-85.841 (v. § 4 :" S'agissant de la première question, dans son mémoire motivé, le
demandeur fait valoir que…"). 23 Crim. 15 juill. 2021, n° 21-81.412 24 Crim. 4 mars 2014, n° 13-90.041 : de la critique de l'impossibilité de rapporter la preuve de certains procès-
verbaux constatant des contraventions autrement que par écrit ou par témoin, il peut être déduit que le demandeur a entendu invoquer une violation des droits de la défense et du droit au procès équitable, ce que confirmait en l'occurrence le mémoire selon les indications du rapporteur. 25 Civ. 1ère, 25 nov. 2015, n° 15-40.035, B. n° 298 : de la critique adressée à certaines dispositions du code de la
consommation tirée de ce que leur application est réservée aux professionnels, la Cour déduit que le demandeur a entendu invoquer la violation du principe d'égalité, alors même que, selon le rapport, le mémoire n'invoquait “aucun article ou principe relevant du bloc de constitutionnalité”
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demandeur entend invoquer la violation, vous la déclarez irrecevable26. Par ailleurs, si la volonté de ne pas vous substituer à la partie concernée vous conduit à ne pas compléter une question par trop imprécise, elle vous amène de la même façon à refuser de compléter une question parfaitement claire. Ainsi, lorsque la question vise précisément les droits ou libertés dont le demandeur entend invoquer la violation, vous ne vous autorisez pas à puiser dans le mémoire la violation d'un principe distinct. Vous en avez décidé ainsi dans des cas où le demandeur se bornait à invoquer une incompétence négative27 ou une insuffisante clarté de la loi28 qui, ni l'une ni l'autre, ne peut venir seule à l'appui d'une QPC. Dans les deux cas, sans vous reporter au mémoire, vous avez déclaré la question irrecevable. Au cas présent, c'est, nous semble-t-il, cette solution qu'il convient d'appliquer. Ce serait aller au-delà d'une interprétation, même constructive, de la question que d'y incorporer le grief tiré de la violation des droits de la défense et du droit au procès équitable articulé dans le mémoire alors qu'il résulte des termes parfaitement clairs de la question, que le demandeur a entendu invoquer exclusivement la violation du principe de la séparation des pouvoirs en lien avec un grief d'incompétence négative. En tout état de cause, à supposer que vous admettiez comme possible une telle incorporation et donc un élargissement de la question telle qu'elle résulte de son libellé, encore conviendraitil de s'assurer que, dans son mémoire, le demandeur précise en quoi les dispositions critiquées porteraient atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable. En effet, il ne suffit pas que la violation d'un droit ou d'une liberté soit invoquée. Vous déclarez la QPC irrecevable lorsque son auteur ne donne aucune indication sur les motifs de la violation qu'il invoque, que ce soit dans la question elle-même ou dans le mémoire qui la contient29. Il s'agit de faire respecter les dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 selon lesquelles le mémoire produit à l'appui d'une QPC doit être “motivé”. En l'espèce, l'argumentation développée par le demandeur dans son mémoire tend exclusivement à démontrer l'atteinte qui serait portée à la séparation des pouvoirs considérée en tant que telle, indépendamment de toute atteinte corrélative à un droit fondamental. Il s'agit pour lui de faire juger que le pouvoir reconnu à la juridiction d'instruction d'effectuer une perquisition au sein d'un ministère sans autres garanties que celles prévues par le code de procédure pénale constituerait une intrusion disproportionnée dans la sphère du pouvoir exécutif. Si, dans son mémoire, le demandeur affirme de manière incidente, dans les termes qui ont été rapportés, que les droits de la défense et le droit au procès équitable se trouveraient également affectés par une telle intrusion, cette affirmation n'est accompagnée d'aucune démonstration. La question nous apparaît donc irrecevable faute d'invoquer la violation d'un droit ou d'une liberté entrant dans les prévisions de l'article 61-1 de la Constitution. Si toutefois vous estimiez que la référence faite, dans le mémoire, au grief tiré de la violation des droits de la défense et du droit au procès équitable suffit à faire obstacle à ce que la question soit déclarée irrecevable, il y aura lieu d'examiner si les conditions de fond auxquelles l'ordonnance du 7 novembre 1958 subordonne son renvoi au Conseil constitutionnel sont réunies. Nous procéderons, à titre subsidiaire, à cet examen, pour le cas où votre Assemblée plénière en déciderait ainsi.
26Crim. 14 déc. 2010, n° 10-90.111, B. n° 203 (décision de non-lieu à renvoi qui serait aujourd'hui qualifiée
d'irrecevabilité) ; Crim. 9 juill. 2014, n° 14-83.380 ; Crim. 9 août 2017, n° 17-90.015 ; Civ. 1ère, 7 sept. 2017, n° 1713.290 - alors même que, dans plusieurs de ces cas, selon les indications du rapport ou des conclusions, le mémoire comportait l'indication des droits et libertés qui auraient été méconnus. 27 Civ. 3ème, 17 nov. 2021, n° 21-40.019, 21-40.018, préc., alors même que, selon les conclusions de l'avocat
général, le mémoire invoquait par ailleurs une violation du droit de propriété. 28 Civ. 3ème, 17 nov. 2022, n° 22-16.034 29 Com. 14 avr. 2016, n° 15-24.131 ; Civ. 2ème, 12 fév. 2015, n° 14-22.173 ; Crim. 15 juill. 2021, préc.
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2. Examen au fond, à titre subsidiaire, du grief tiré de la violation du droit au procès équitable 2.1.- Appréciation de l'applicabilité au litige et de l'absence de déclaration de conformité La première condition de l'examen au fond, prévue à l'article 23-2, 1° de l'ordonnance du 7 novembre 1958, tenant à l'applicabilité au litige des dispositions contestées, ne soulève guère d'interrogations. L'article 56 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de Ia loi n° 2020-1672 du 24 décembre 202030, fixe les règles applicables aux perquisitions effectuées au cours de l'enquête de flagrance, hors celles portant sur certains “lieux protégés”, régies par les articles 56-1 à 56-5. Les règles qui y sont énoncées constituent un cadre de référence auquel renvoie, notamment, l'article 96, alinéa 4, relatif aux perquisitions effectuées, comme c'est le cas en l'espèce, au cours de l'information. Elles sont donc, sans aucun doute, applicables au litige, dès lors qu'elles constituent le fondement légal de la perquisition dont M. [W] a demandé l'annulation. De même, l'applicabilité au litige du premier alinéa de l'article 57 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 201631, auquel renvoie l'article 95 du même code, n'est pas davantage discutable dès lors que, dans ses motifs relatifs à la régularité de la perquisition, la commission d'instruction s'y réfère expressément32. Cet alinéa dispose que “sous réserve des articles 56-1 à 56-5 et du respect du secret professionnel et des droits de la défense mentionné à l'article 56, les opérations prescrites par ledit article sont faites en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a lieu”. Il y a moins encore matière à discussion s'agissant de l'applicabilité de l'article 96 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi précitée du 3 juin 2016, qui régit les perquisitions effectuées, comme en l'espèce, au cours de l'information. La question de savoir si les dispositions concernées n'ont pas déjà fait l'objet d'une déclaration de conformité dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ainsi que l'exige l'article 23-2, 2° de l'ordonnance du 7 novembre 1958 appelle davantage d'observations. Par sa décision n° 93-327 DC du 19 novembre 1993, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions de la loi organique sur la Cour de justice de la République. En particulier, il a eu à s'interroger sur la constitutionnalité de celles de l'article 18 de cette loi selon lesquelles, en principe, “la commission d'instruction procède à tous les actes qu'elle juge utiles à la manifestation de la vérité selon les règles édictées par le code de procédure pénale”. Il va de soi cependant qu'en déclarant cette disposition conforme à la Constitution, le Conseil constitutionnel n'a pas délivré un brevet de constitutionnalité à l'ensemble des dispositions du code de procédure pénale auxquelles renvoie l'article 18. Il s'est prononcé uniquement sur le principe même d'un tel renvoi, jugeant qu'il n'était pas, par luimême, inconstitutionnel, ce que confirme, s'il en était besoin, le compte-rendu de la séance de délibéré du 17 novembre 1993 désormais accessible33. Le Conseil constitutionnel n'a été appelé à apprécier la conformité à la Constitution des articles litigieux que dans sa décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015. La critique, tirée d'une incompétence négative de nature à porter atteinte au principe d'indépendance des juridictions,
30 Loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice
pénale spécialisée, applicable en la cause 31 Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et
améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, applicable en la cause. 32 Arrêts de la commission d'instruction des 3 novembre 2021, p. 26, et n° 3 du 14 juin 2022, p. 38. 33 Le rapporteur, Macel Rudloff, retenait ainsi qu'“en soi ce mécanisme de renvoi par la loi organique à la loi
ordinaire appliquée n'est pas inconstitutionnel” (p. 14-15 du compte-rendu).
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était alors dirigée exclusivement contre le troisième alinéa de l'article 56, le premier de l'article 57, et le troisième de l'article 96. Par cette décision, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions des alinéas critiqués des articles 56 et 57 en tant que, faute d'entourer de garanties particulières la saisie d'un élément couvert par le secret du délibéré, elles portaient atteinte au “principe d'indépendance, indissociable de l'exercice des fonctions juridictionnelles”. Ces articles n'ont donc été déclarés conformes à la Constitution en aucune de leurs dispositions34. En revanche, par la même décision, le Conseil constitutionnel a, d'une part, écarté comme inopérant le grief tiré d'une incompétence négative articulé à l'encontre des dispositions du troisième alinéa de l'article 96 du code de procédure pénale après avoir relevé qu'étant demeurées dans leur rédaction originelle, issue de la loi du 31 décembre 195735, elles étaient antérieures à la Constitution du 4 octobre 1958. Il a par ailleurs relevé que ces mêmes dispositions ne heurtaient aucun droit ou liberté que garantit la Constitution et les a donc déclarées conformes. A notre sens, ce n'est pas cette déclaration de conformité qui fait obstacle à ce que vous examiniez aujourd'hui la contestation en tant qu'elle est dirigée contre ces mêmes dispositions mais la circonstance qu'elles sont toujours applicables dans leur rédaction issue de la loi du 31 décembre 1957. Selon un principe rappelé avec constance par le Conseil constitutionnel et dont il a fait application dans sa décision du 4 décembre 2015, “si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où cette méconnaissance affecte par ellemême un droit ou une liberté que la Constitution garantit, elle ne saurait l'être à l'encontre d'une disposition législative antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958"36. Dès lors que le grief que vous êtes appelés à examiner est tiré de ce que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence en ne prévoyant pas les dispositions nécessaires à la garantie du droit au procès équitable et des droits de la défense, il faut considérer qu'il est inopérant en tant qu'il est dirigé contre le troisième alinéa l'article 96 du code de procédure pénale. Toutefois, vous n'aurez pas à entrer dans cette discussion si vous estimez que la critique articulée par le demandeur doit être regardée comme étant limitée aux dispositions des articles 56, alinéa 3, 57, alinéa 1er et 96, alinéa 4, qui se réfèrent aux articles 56-1 à 56-5 applicables aux régimes spéciaux de perquisition assurant la protection de certains secrets. Toutes ces dispositions ont été modifiées à plusieurs reprises depuis 1958. En faveur de cette solution, on peut faire valoir que la QPC, qui tend à ce que la perquisition dans des locaux ministériels fasse également l'objet de l'un de ces régimes spéciaux, vise d'ores et déjà exclusivement le premier alinéa de l'article 5737. 2.2.- Appréciation du caractère sérieux de la question en l'absence de nouveauté La question n'est pas nouvelle au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 décembre 1958, le Conseil constitutionnel ayant déjà fait application des principes constitutionnels invoqués, qu'il s'agisse de la séparation des pouvoirs, de la nécessité pour le 34 La chambre criminelle a dit n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel plusieurs QPC dirigées contre ces
articles. Aucune n'articulait un grief semblable à celui qui vous est soumis (v. Crim., 27 avril 2011, n° 11-90.010 : droit à l'assistance d'un avocat pendant une perquisition ; Crim., 20 avril 2022, n° 22-90.002 : défaut de notification du droit au silence lors des perquisitions ; Crim., 24 mai 2016, n° 16-90.007, B., n° 157 : insuffisance des garanties de la perquisition en flagrance). 35 Loi n° 57-1426 du 31 décembre 1957 portant institution d'un code de procédure pénale 36 V., outre la décision précitée du 4 déc. 2015, cdt 10, Déc. n° 2010-73 QPC, 3 déc. 2010, cdt 9 ; Déc. n° 2010-28
QPC, 17 sept. 2010, cdt 9 - Votre Cour a eu l'occasion de faire application de la solution : Crim. 12 sept. 2012, n° 1290.048 ; Crim. 25 sept. 2012, n° 12-82.938, P. ; Civ. 1ère, 6 déc. 2017, n° 16-26.080. 37Votre Cour a déjà délimité le champ des dispositions contestées en fonction de la critique articulée : Civ. 3 ème, 5
oct. 2016, n° 16-40.229 et a., B. n° 124 ; Crim. 21 sept. 2021, n° 21-90.030 ; Com. 7 déc. 2022, n° 22-16.616
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législateur d'exercer la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution pour la garantie des droits ou encore - si, comme nous le postulons dans ces développements subsidiaires, vous les incorporez à la question - du droit au procès équitable et des droits de la défense. Il reste donc à examiner si la question présente un caractère sérieux. 2.2.1.- Dispositions régissant les perquisitions au sein d'un ministère Si le législateur constitutionnel et organique a soumis la poursuite, l'instruction et le jugement des infractions reprochées aux membres du Gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions à des dispositions dérogeant fortement au droit commun, il n'a pas estimé nécessaire de soumettre à des règles spécifiques l'accomplissement même des actes d'investigation nécessaires à la manifestation de la vérité. Comme nous l'avons relevé, pour l'accomplissement de ces actes, l'article 18 de la loi organique du 23 novembre 1993 opère un renvoi de principe aux dispositions du code de procédure pénale et donc au droit commun, qui s'applique donc sous réserve des adaptations imposées par le caractère collégial de l'organe d'instruction38. Il ne ressort ni des débats parlementaires ni du compte-rendu précité de la séance du Conseil constitutionnel consacrée à l'examen de la loi organique que ce renvoi ait suscité, au sein du Parlement ou du Conseil, des interrogations ou réserves liées au caractère intrusif de certains actes d'investigation - notamment les perquisitions. Les règles applicables à celles-ci lorsqu'elles sont effectuées au sein d'un ministère peuvent être brièvement rappelées, en se plaçant bien sûr au jour de la perquisition litigieuse. En premier lieu, quel que soit le lieu où elle est effectuée, une perquisition est soumise à un certain nombre de règles transversales. D'abord, comme toutes les mesures coercitives, elle doit respecter l'exigence d'adéquation, de nécessité et de proportionnalité, inscrite à l'article préliminaire du code de procédure pénale, qui découle, notamment, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel39 et de la Cour européenne des droits de l'homme40. Ensuite, comme tout acte d'investigation, la perquisition est couverte par le secret de l'enquête et de l'instruction prévu à l'article 11 du code de procédure pénale. Il en résulte, notamment, que les éléments saisis au cours de la mesure ne peuvent être portés à la connaissance de tiers. En deuxième lieu, la perquisition réalisée au cours de l'instruction, que ce soit au sein d'un ministère ou dans un autre lieu, doit être menée conformément aux dispositions des articles 95 à 97 du code de procédure pénale régissant plus spécialement la mesure. On l'a vu, elles renvoient assez largement aux règles applicables au cours de l'enquête de flagrance ou les transposent. Sans entrer dans leur détail, on rappellera qu'elles fixent les horaires durant lesquels la perquisition peut avoir lieu, désignent les personnes appelées à assister aux opérations ainsi que les modalités de saisie des éléments de preuve découverts lors de l'exécution de la mesure. Il en résulte, notamment, qu'en principe, la perquisition dans le bureau d'un ministre doit être conduite en présence de celui-ci. Enfin, les dispositions déjà évoquées de l'article 96, alinéa 3, du code de procédure pénale font obligation au juge d'instruction qui procède ou fait procéder à la mesure de veiller à la préservation du secret professionnel et des droits de la défense. Au-delà de ces règles d'application générale, les perquisitions au siège d'un ministère sont susceptibles d'être soumises aux dispositions spécifiques de l'article 56-4 du code de 38 La seule règle dérogatoire ne figure pas dans la loi organique mais aux articles 652 et s. du CPP relatifs aux
auditions des membres du Gouvernement qui subordonnent leur comparution comme témoins à une autorisation du conseil des ministres et, en l'absence d'autorisation, imposent que le chef de juridiction se déplace pour recevoir leur déposition. Ces dispositions sont héritées de celles qui figuraient à l'article 501 du CIC de 1808 pour l'audition des “princes ou princesses du sang impérial, les grands dignitaires de l'Empire et le grand-juge ministre de la justice”. 39 par ex. Déc. n° 2004-492 DC, 2 mars 2004, § 6 40 par ex.. CEDH 16 déc. 1992, Niemietz c/ Allemagne, n° 13710/88 ; CEDH, 28 juin 2012, Ressiot et a. c/ France,
15054/07 et 15066/07
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procédure pénale, dont l'objet est d'assurer la protection du secret de la défense nationale. Deux cas de figure sont envisagés par le législateur. Le premier est celui où une perquisition est effectuée “dans un lieu précisément identifié, abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale”, la liste de ces lieux étant établie par arrêté du Premier ministre. Au cas présent, certains des bureaux ayant fait l'objet de la perquisition litigieuse, dont celui du ministre de la justice, étaient mentionnés dans cette liste de sorte que les règles prévues à l'article 56-4 ont été mises en oeuvre par la commission d'instruction. En application de ces règles, la perquisition ne peut être réalisée que par un magistrat, en présence du président de la commission du secret de la défense nationale ou de son représentant, en vertu d'une décision écrite. En outre, au commencement de la mesure, le magistrat doit porter à la connaissance du président ainsi qu'à celle du chef d'établissement ou du responsable du lieu, un certain nombre d'informations lui permettant d'exercer sa mission. Seul le président de la commission du secret de la défense nationale ou son représentant et, le cas échéant, les personnes qui l'assistent peuvent prendre connaissance d'éléments classifiés découverts sur les lieux. Parmi ces éléments, le magistrat ne peut saisir que ceux relatifs aux infractions sur lesquelles portent les investigations. Les scellés afférents sont remis au président de la commission du secret de la défense nationale. Leur communication à l'autorité judiciaire ne pourra intervenir, le cas échéant, qu'après une déclassification opérée selon la procédure prévue aux articles L. 2312-4 et suivants du code de la défense. Le second cas de figure envisagé à l'article 56-4 est celui où, à l'occasion d'une perquisition dans des locaux ne figurant pas sur la liste établie par le Premier ministre, il apparaît qu'ils abritent des éléments couverts par le secret de la défense nationale. Le magistrat qui contrôle l'exécution de la mesure doit alors informer immédiatement le président de la commission du secret de la défense nationale. Les conditions dans lesquelles les éléments classifiés peuvent être saisis puis, le cas échéant, communiqués au magistrat sont alors, peu ou prou, celles prévues en cas de perquisition dans un lieu répertorié comme étant susceptible d'abriter des éléments couverts par le secret de la défense nationale. Les dispositions de l'article 56-4 du code de procédure pénale apportent ainsi aux pouvoirs de l'autorité judiciaire des restrictions nettement plus étendues que celles prévues à l'article 56-1 du même code pour la protection du secret professionnel de l'avocat, à l'article 56-3 pour la protection du secret des sources du journaliste ou encore à l'article 56-5 pour la protection du secret du délibéré. Pour reprendre les termes de l'instruction interministérielle qui y est relative, le secret de la défense nationale, qui constitue “un outil essentiel à l'exercice par l'État de ses missions régaliennes”, est, “parmi les différents secrets protégés par la loi, celui dont la répression pénale41 est la plus sévère et l'opposabilité, y compris au juge (...) la plus stricte”42. 2.2.2.- Absence d'atteinte au droit au procès équitable ou aux droits de la défense Si, comme nous l'envisageons à titre subsidiaire, vous entrez dans le débat sur le caractère sérieux de la QPC, il s'agira pour vous de déterminer en quoi cet ensemble de dispositions méconnaîtrait le principe de séparation des pouvoirs dans des conditions susceptibles de porter atteinte au droit au procès équitable ou aux droits de la défense. Selon le mémoire, le dispositif issu de l'article 56-4 du code de procédure pénale, assure une protection insuffisante du principe de séparation des pouvoirs à l'égard du pouvoir exécutif. Certes, il n'est pas proposé “d'aller jusqu'à interdire à l'autorité judiciaire (...) de pénétrer dans l'enceinte d'un Ministère au nom de la séparation des pouvoirs”. Une telle solution, applicable lorsqu'il s'agit de pénétrer d'autorité au siège de la présidence de la République ou des Assemblées parlementaires, repose alors sur des dispositions et principes constitutionnels 41 La violation du secret constitue le délit, dit de compromission, prévu aux articles 423-10 et 413-11 du code pénal. 42l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale (IGI 3100),
annexée à l'arrêté d'approbation du 9 août 2021.
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spécifiques que l'on ne retrouve pas en cas de perquisition dans les locaux ministériels. Néanmoins, aux yeux du demandeur, le principe de la séparation des pouvoirs, “justifie que des garanties spéciales soient instituées dans l'hypothèse, rare, d'une telle perquisition”, la nature de ces garanties restant à déterminer. Il est mis en avant que “la perquisition peut conduire à la saisie de nombreux dossiers, parmi lesquels figurent des projets de loi, les projets d'arrêtés, les contrats de commande publique et, plus particulièrement s'agissant du ministère de la Justice, des projets de nomination de magistrats, de réglementation ou circulaire sur l'organisation de la magistrature, d'enquête ou encore de remontées d'informations, autant de documents qui n'entrent pas dans la catégorie secret défense”. Il est encore exposé que “certains documents se situant au sein des ministères peuvent être classés “diffusion restreinte” ou “diffusion restreinte spécial France” et que “ces documents, qui ne touchent pas à la protection du secret de la défense nationale mais qui possèdent une sensibilité certaine, peuvent être saisis par la justice sans aucune garantie”. Précisons à cet égard que la mention de protection Diffusion restreinte, régie par des instructions interministérielle et ministérielles43, n'est pas un timbre de classification. Elle a pour objet de “sensibiliser l'utilisateur à la nécessaire discrétion dont il doit faire preuve dans la manipulation des informations et supports couverts” par elle. La discrétion attendue consiste à ne les communiquer “qu'aux personnes ayant besoin d'en connaître notamment en ce qu'ils sont susceptibles de comporter des éléments dont la consultation ou la communication porterait atteinte à l'un des secrets, autres que le secret de la défense nationale, mentionnés au 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration”. C'est au Premier ministre et aux ministres qu'il revient de fixer les directives permettant de considérer que la diffusion d'une information doit être restreinte et de désigner les organismes autorisés à apposer la mention de protection. Sous l'autorité de chaque ministre, un grand nombre de collectivités, institutions, services ou organismes est ainsi autorisé à cet effet 44. La question de l'accès à ces informations déborde donc très largement celle de la protection des locaux ministériels, étant encore précisé qu'elle peut encore se poser après l'archivage des éléments protégés. La protection est en tout cas relative. Comme cela est précisé par l'instruction générale interministérielle n° 1300, l'apposition de la mention Diffusion restreinte ne saurait, par elle-même, constituer pour l'administration saisie d'une demande tendant à accéder aux informations et supports concernés un motif de refus de communication d'un document sur le fondement des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration ou, s'il est archivé, L. 213-1 du code du patrimoine. A la lumière de ces quelques éléments, il n'apparaît pas avec évidence que le principe de la séparation des pouvoirs impose ou permette d'encadrer davantage le pouvoir de perquisition du juge d'instruction en subordonnant à des conditions plus ou moins strictes l'accès aux documents portant une mention de protection. Quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas pour vous d'apprécier si les dispositions actuelles assurent une conciliation équilibrée entre d'une part, les prérogatives de l'autorité judiciaire pour “la recherche des auteurs d'infractions”45 et, d'autre part, la préservation de la confidentialité dont l'administration entend entourer certains éléments
43 Instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, annexée à
l'arrêté d'approbation du 9 août 2021 précitée et Instruction ministérielle sur la protection du secret et des informations à diffusion restreinte et sensibles, annexée à l'arrêté d'approbation du 27 avril 2022. 44 A l'annexe 1 de l'GI n° 1300, sont énumérés : les services centraux, services déconcentrés et services à
compétence nationale relevant de son autorité ; les établissements publics placés sous sa tutelle ; les opérateurs d'importance vitale dont il est le ministre coordonnateur ; les collectivités territoriales et les personnes morales de droit privé avec lesquelles il a conclu une convention ; les personnes morales, publiques ou privées, avec lesquelles il a conclu un contrat de commande publique ou un contrat de subvention, ainsi que les sous-traitants ou souscontractants de ces personnes morales ayant également besoin d'accéder à des informations ou supports protégés par la mention Diffusion Restreinte pour l'exécution de travaux réalisés en appui du contrat principal ; les personnels qui, au sein de ces différents organismes, ont besoin, pour l'exercice de leur fonction ou l'accomplissement de leur mission, d'accéder à des informations ou supports protégés par la mention Diffusion Restreinte. 45 Déc. n° 2015-506 QPC, 4 déc. 2015, cdt 14
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en relation avec son activité46. La seule question que vous avez à examiner, si vous en admettez la recevabilité, est celle de savoir si les insuffisances invoquées du dispositif législatif sont de nature à porter atteinte au droit au procès équitable ou aux droits de la défense. Or, à cet égard, si l'argumentation développée dans le mémoire met en évidence en quoi, aux yeux du demandeur, le principe de séparation des pouvoirs pourrait être affecté en cas de perquisition judiciaire au sein d'un ministère, elle n'éclaire pas en quoi une atteinte au droit au procès équitable ou aux droits de la défense pourrait découler de la possibilité pour le juge d'accéder dans les conditions du droit commun, pour les besoins de la manifestation de la vérité, aux éléments détenus par l'Administration, intéressant son fonctionnement - hors ceux couverts par le secret de la défense nationale. Comme nous l'avons relevé lors de l'examen de la recevabilité de la question, l'argumentation développée tend exclusivement à démontrer que les dispositions actuellement applicables ne permettraient pas “de se prémunir contre les atteintes disproportionnées au principe de la séparation des pouvoirs” qui résulteraient de ce que la perquisition peut conduire à la saisie de tels éléments. Bien sûr, l'insuffisance des garanties entourant une perquisition peut affecter les conditions d'une justice indépendante et impartiale et les règles du procès équitable. Est citée à cet égard dans le mémoire la décision du Conseil constitutionnel, déjà évoquée, n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015. Mais, si, par cette décision, le Conseil constitutionnel a censuré, sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789, les dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale, c'est parce qu'elles n'entouraient pas de garanties adaptées les perquisitions réalisées au siège d'une juridiction ou au domicile d'un magistrat, permettant la saisie d'éléments couverts par le secret du délibéré. L'article 16 de la Déclaration a été appliqué par le Conseil constitutionnel en tant qu'il garantit “le principe d'indépendance qui est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles et dont découle le principe du secret du délibéré”. La solution n'est donc pas transposable. Par hypothèse, une perquisition dans un ministère n'affecte ni le principe d'indépendance de la justice ni l'exercice des fonctions juridictionnelles. Pour mettre en évidence les enjeux attachés, dans l'ordre constitutionnel, à une telle perquisition, qu'il analyse en un empiètement de l'autorité judiciaire sur le pouvoir exécutif, le demandeur cite par ailleurs la décision n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011, déjà évoquée. Par cette décision, le Conseil constitutionnel a jugé qu'en ses deux premiers paragraphes, l'article 56-4 du code de procédure pénale assurait une conciliation non déséquilibrée entre, d'une part, “les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation” confiée au Gouvernement et au Président de la République, et, d'autre part, “le respect du caractère spécifique des fonctions juridictionnelles, sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le Gouvernement ainsi que le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable”. Il a donc admis l'opposabilité à l'autorité judiciaire du secret de la défense nationale, alors même que les éléments classifiés pourraient être utiles à la manifestation de la vérité47. Toutefois, dans le présent débat, portant sur une possible violation du droit au procès équitable et des droits de la défense, nous nous trouvons, pourrait-on dire, à front renversé. Par sa décision précitée, le Conseil constitutionnel était appelé à déterminer si l'atteinte au droit au procès équitable et à l'objectif de recherche des auteurs d'infractions résultant des restrictions apportées, par l'article 56-4 du code de procédure pénale, au pouvoir de perquisition, pouvait être justifiée par la nécessité de préserver des intérêts supérieurs confiés à la garde du pouvoir exécutif.
46 Déc. n° 2015-506 QPC, 4 déc. 2015, cdt 14 47En l'état de la décision du Conseil constitutionnel, la chambre criminelle a récemment dit n'y avoir lieu à
transmettre une nouvelle QPC dirigée contre le même article (Crim. 28 juin 2022, n° 22-90.009).
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Au cas présent, il s'agit toujours d'arbitrer entre les mêmes exigences fondamentales, mais la contestation est inversée. Elle ne porte pas sur le caractère excessif des restrictions qui seraient apportées au pouvoir de perquisition du juge d'instruction mais au contraire sur l'insuffisant encadrement de ce pouvoir. Ce n'est pas un empiètement du pouvoir exécutif sur l'autorité judiciaire que le demandeur entend contester mais, à l'inverse, un empiètement de l'autorité judiciaire sur le pouvoir exécutif. Or, par hypothèse, lorsqu'elle est relevée à l'égard du pouvoir exécutif, l'atteinte à la séparation des pouvoirs ne s'accompagne d'aucune atteinte à la fonction juridictionnelle ou au droit au procès équitable. Une perquisition dans un ministère, qui tend à réunir des éléments nécessaires à la manifestation de la vérité pour les soumettre à la discussion contradictoire, ne peut être regardée comme affectant ces droits. Ce sont plutôt les limitations qui pourraient être apportées à l'accès du juge à certains documents administratifs afin d'en préserver la confidentialité, qui seraient de nature à susciter des interrogations au regard de l'exigence d'équité du procès comme le fait apparaître précisément la décision du Conseil constitutionnel du 10 novembre 201148. Aussi, à supposer même que vous la teniez pour recevable en ce qu'elle serait tirée de la violation du droit au procès équitable et des droits de la défense, la question qui vous est soumise ne paraît pas pouvoir être regardée comme sérieuse. Nous observerons, pour terminer, qu'il est peu d'illustrations dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel de griefs tirés de ce que telle prérogative reconnue à l'autorité judiciaire constituerait un empiètement sur le pouvoir exécutif, si l'on excepte la décision, fondée sur “la conception française de la séparation des pouvoirs”, par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que relevait en principe de la compétence de la juridiction administrative “l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif”49. Mais il s'agissait alors davantage de préciser le fondement constitutionnel de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions que de cantonner le pouvoir du juge dans ses rapports avec le pouvoir exécutif. Audelà de cette décision, il est difficile de trouver des cas dans lesquels le Conseil aurait eu à examiner un grief tiré d'un empiètement judiciaire sur l'exécutif 50. Il est beaucoup plus fréquent que la séparation des pouvoirs soit invoquée en soutien ou en réponse à un grief tiré d'une atteinte portée à l'indépendance des juridictions, au droit au recours effectif, aux règles du procès équitable, aux droits de la défense ou à tel ou tel principe fondamental relatif à l'organisation ou au fonctionnement des juridictions. Tel était le cas dans la décision du 10 novembre 2011 comme dans bien d'autres dont certaines sont également citées en demande51. Tel n'est pas le cas dans la question qui vous est soumise. 48 S'il a admis la conformité des dispositions des I et II de l'article 56-4 dont nous avons fait une brève présentation,
le Conseil constitutionnel en a jugé autrement à propos de celles, relatives aux perquisitions dans un lieu classifié au titre du secret de la défense nationale, qui figuraient alors dans un paragraphe III du même article, Ces dispositions subordonnaient ces perquisitions à une déclassification temporaire du lieu par l'autorité administrative après avis de la commission du secret de la défense nationale. Le Conseil constitutionnel a jugé que "la classification d'un lieu a pour effet de soustraire une zone géographique définie aux pouvoirs d'investigation de l'autorité judiciaire", subordonnant ces pouvoirs à une autorisation administrative et conduisant ainsi à "ce que tous les éléments de preuve, quels qu'ils soient, présents dans ces lieux lui soient inaccessibles tant que cette autorisation n'a pas été délivrée". 49 Déc. n° 86-224 DC, 23 janvier 1987, cdt 15 50
Peut être citée la décision par laquelle le Conseil constitutionnel a eu à déterminer si portait atteinte au principe de séparation des pouvoirs “les procédures qui réservent dans certains cas à la police judiciaire des missions de prévention des atteintes à l'ordre public qui ressortissent normalement à la police administrative” (déc. n°80-127 DC, 20 janv. 1981, cdts 54 et 63). 51 v. sans prétendre à l'exhaustivité : Déc. n° 80-119 DC, 22 juill. 1980, cdt 5 et 6 ; Déc. n°98-403 DC, 29 juill. 1998,
cdt 46 (censure en raison des prérogatives de l'administration pour l'exécution des décisions de justice) ; Déc. n°2005-531 DC, 29 déc. 2005, cdt 6 ; Déc. n°2005-532 DC, 19 janv. 2006, cdts 2, 6, 14 et 17 (censure en raison de la subordination de la police judiciaire à l'autorité administrative) ; Déc. n° 2006-535 DC, 30 mars 2006, cdts 39, 42 et 44 ; Déc. n°2007-551 DC, 1er mars 2007, cdts 7 et 10 et 11 (censure en raison des conditions de mise en jeu de la responsabilité disciplinaire des juges) ; Déc. n° 2008-562 DC, 21 févr. 2008, cdts 32, 33, 34 (censure en raison
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3. CONCLUSION En conséquence, nous concluons à titre principal à l'irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité comme n'invoquant la violation d'aucun droit ou liberté que garantit la Constitution dès lors que, d'une part, telle qu'elle est formulée, la question ne fait mention d'aucune atteinte au droit au procès équitable et aux droits de la défense et que, d'autre part, le mémoire, qui en fait mention, n'expose pas en quoi une telle atteinte pourrait être caractérisée. Dans le cas où votre Assemblée plénière estimerait néanmoins qu'il y a lieu de rattacher à la question prioritaire de constitutionnalité le grief, qui serait seul recevable, tiré de la violation de ces droits, la question ne pourrait être regardée comme présentant un caractère sérieux dès lors qu'une atteinte au procès équitable et aux droits de la défense ne saurait être déduite, à supposer qu'une telle analyse puisse être suivie, de ce que la perquisition au siège d'un ministère constituerait un empiètement sur le pouvoir exécutif heurtant, comme tel, le principe de la séparation des pouvoirs. Nous concluons donc, à titre subsidiaire, pour le cas où vous admettriez la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité, à ce que vous disiez n'y avoir lieu à la renvoyer au Conseil constitutionnel.
des conditions de la libération conditionnelle) ; Déc. n° 2011-129 QPC, 13 mai 2011, cdt 3 ; Déc. n° 2013-676 DC, 9 oct. 2013, cdt 46 ;; Déc. n°2016-555 QPC, 22 juill. 2016, § 11 à 15 ; Déc. n° 2017-680 QPC, 8 déc. 2017, précitée, cdts 10, 11, 12, 13, 14 ; Déc. n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, § 248, 249 ; Déc. n° 2020-849 QPC,17 juin 2020, § 31 ; Déc. n° 2021-927 QPC, 14 sept. 2021, précitée, § 14, 15, 16, 17, 18 préc. ; Déc. n°2021-964 QPC, 20 janv. 2022, § 3.
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