Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 07-12-2022, n° 21-17.927

Cass. soc., Conclusions, 07-12-2022, n° 21-17.927

A84232RE

Référence

Cass. soc., Conclusions, 07-12-2022, n° 21-17.927. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408996-cass-soc-conclusions-07122022-n-2117927
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AVIS DE Mme WURTZ, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 1277 du 7 décembre 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-17.927 Décision attaquée : 08 avril 2021 de la cour d'appel de Colmar Société Access Assistance C/ M. [Z] _________________

1. FAITS ET PROCÉDURE Engagé par la société Access Assistance en qualité d'agent d'entretien, Monsieur [Z] a été victime d'un accident de travail le 15 janvier 2018 qui a donné lieu, à l'issue d'une visite de reprise, à un constat d'inaptitude émis par le médecin du travail, avec la mention suivante : « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».L'employeur a saisi la juridiction prud'homale pour contester cet avis. Par ordonnance du 25 septembre 2020, les premiers juges ont confirmé l'avis d'inaptitude du salarié, décision également confirmée par la cour d'appel, par arrêt du 8 avril 2021, frappé du présent pourvoi. Le pourvoi de la société Access Assistance est fondé sur un moyen unique en une branche comme suit : « ALORS QUE selon l'article R. 4624-42 du code du travail, un salarié ne peut être déclaré médicalement inapte à son poste qu'après, d'une part, qu'il a été réalisé un 1

examen médical permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation, de mutation de poste ou sur la nécessité de proposer un changement de poste, d'autre part, qu'il a été réalisé ou fait réaliser une étude de poste, de troisième part, qu'il a été réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et, enfin, qu'il a été procédé à un échange avec l'employeur ; que ces conditions cumulatives doivent être respectées quelle que soit la cause de l'inaptitude ; qu'au cas présent, la société Access Assistante faisait valoir que les avis d'inaptitude du médecin du travail et du médecin inspecteur du travail n'avaient été précédés d'aucune étude de poste, ni d'aucune étude des conditions de travail au sein de l'établissement ; que, pour confirmer l'inaptitude, la cour d'appel a énoncé qu'une telle absence serait « sans influence » au motif que l'inaptitude « ne résulte pas des conditions de travail mais d'une dégradation des relations entre les parties pendant l'arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées » ; qu'en statuant de la sorte par des motifs inopérants, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

2. DISCUSSION Les conditions fixées par l'article R.4624-42 du code du travail pour la constatation de l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail entrent-elles dans le champ de la contestation des avis médicaux au sens de l'article L.4624-7 du code du travail ? Le non-respect des conditions énoncées à l'article R.4624-42 du code du travail affecte-t-il la validité du constat d'inaptitude ? 2-1 Le constat d'inaptitude et le régime du recours depuis la loi du 8 aout 2016 La loi n°2016-1088 du 8 aout 2016, modifiée par l'ordonnance du 22 septembre 2017 a profondément remanié le régime de contestation des avis du médecin du travail, en prévoyant le transfert du contentieux aux juridictions prud'homales et en délimitant le champ de la contestation. L'article L.4624-7 du code du travail, introduit par la loi de 2016 et dans sa version applicable au litige, prévoit en effet en son I. : « - Le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes en la forme des référés d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L.4624-2, L.4624-3 et L.4624-4. Le médecin du travail n'est pas partie au litige.» Aux termes de l'article R 4624-42 modifié par le décret n°2016-1908 du 27 décembre 2016 : «Le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que : 1° S'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ; 2° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;

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3° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ; 4° S'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur. Ces échanges avec l'employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser. S'il estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n'excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l'avis médical d'inaptitude intervient au plus tard à cette date. Le médecin du travail peut mentionner dans cet avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». Une lecture stricte de ces dispositions tend à faire prévaloir un caractère impératif et cumulatif à ces différents actes eu égard à l'emploi, par le texte, de l'indicatif sous forme négative « ne peut ... » suivi de l'énoncé de conditions : « s'il a réalisé ... ». Au delà de l'interprétation littérale du texte, les actes en cause sont effectivement utiles à la bonne et complète évaluation de l'état de santé du salarié et de sa capacité à occuper son poste contractuel (prestations attendues, configuration du poste) au regard tant de cet état de santé ( constaté sur examen médical) que des conditions de travail de l'intéressé (organisation de travail, environnement professionnel ...). Les échanges avec le salarié et l'employeur permettent, en outre, au médecin du travail de faire une analyse contradictoire de la situation et évoquer les éventuelles possibilités d'aménagement de poste qui, si elles existent, permettent d'écarter l'inaptitude. C'est d'ailleurs et précisément ces différents actes précédant le constat d'inaptitude qui caractérisent la spécificité même de la médecine du travail et permet au médecin du travail de faire, en toute connaissance de cause, le lien entre un état de santé et un travail tel qu'il se présente très concrètement dans les faits. Toutefois, la doctrine et les praticiens se sont interrogé sur la question de savoir si la procédure organisée par l'article L.4624-7 du code du travail faisait entrer dans le périmètre et le champ de la contestation, les obligations énoncées à l'article R 4624-42 du code du travail. Ainsi que le rappelle madame le conseiller rapporteur, votre chambre a rendu un avis sur ce point comme suit : « La contestation dont peut être saisi le conseil de prud'hommes, en application de l'article L.4624 -7 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du septembre 2017, doit porter sur l'avis du médecin du travail. Le conseil des prud'hommes peut, dans ce cadre, examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis. » Le commentaire autorisé sur cet avis, publié à la lettre de la chambre sociale n° 9, mars/avril 2021, explicite l'avis en précisant :

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« Ainsi, à la question de savoir si le conseil des prud'hommes, statuant sur la procédure prévue à l'article L.4624-7 précité, est compétent pour connaître de l'irrespect, par le médecin du travail, des procédures et diligences prescrites par la loi et le règlement, notamment celles issues des articles L.4624-4 et R.4624-42 du code du travail, la chambre sociale répond que la contestation « doit porter sur l'avis du médecin du travail » : elle signifie par là que cette contestation porte sur le sens même de l'avis exprimé par le médecin du travail. S'agissant de la contestation d'un avis d'inaptitude, comme dans l'espèce soumise au conseil de prud'hommes de Cayenne, la contestation ne peut donc porter que sur la question de fond sur laquelle le médecin du travail s'est prononcé : le salarié est-il effectivement inapte à son poste de travail ? La chambre sociale précise que dès lors qu'il est saisi d'une contestation portant sur l'avis du médecin du travail, le conseil de prud'hommes peut « examiner tous les éléments ayant conduit à cet avis » : à cet égard, la juridiction peut estimer que ces éléments sont insuffisants, notamment parce que le médecin du travail se serait abstenu de procéder à l'une ou plusieurs des investigations prévues par l'article R.4624-42 du code du travail : une telle irrégularité, si elle ne permet pas au conseil de prud'hommes de déclarer l'avis « inopposable », peut toutefois justifier que le conseil de prud'hommes, s'il l'estime nécessaire, ordonne une mesure d'instruction confiée au médecin-inspecteur du travail, comme l'article L.4624-7 du code du travail lui en laisse la possibilité. Par conséquent, la chambre sociale, dans la réponse à la demande d'avis présentée par le conseil de prud'hommes de Cayenne, n'exclut pas tout examen de la procédure suivie par le médecin du travail ; mais elle considère que cette question s'insère dans l'appréciation, par le juge saisi d'une contestation sur l'avis lui-même, des éléments ayant conduit le médecin du travail à conclure à l'inaptitude du salarié : et c'est sur cette question de fond, l'aptitude du salarié à occuper son poste de travail, que le juge saisi de la contestation en application de l'article L.4624-7 du code du travail devra se prononcer, sa décision se substituant sur ce point à celle du médecin du travail. » En conséquence cet avis admet clairement que le non-respect d'une des conditions fixées par l'article R 4624-42 puisse être invoqué dans le cadre d'une contestation de l'avis du médecin du travail sur le fondement de l'article L.4624-7, si ce non-respect est de nature à remettre en cause ou fragiliser le sens même de cet avis. A ce titre, il faudra donc que l'auteur de la contestation apporte les éléments utiles précisant en quoi les conditions non remplies sont susceptibles de modifier l'avis lui-même. L'avis du 17 mars 2021 a le mérite d'être pragmatique, sans contredire la lettre même des articles L.4624-7 et R.4624-42 du code du travail. Ainsi, en cas d'insuffisance dans les diligences effectuées par le médecin du travail en amont de son constat d'inaptitude et si cette insuffisance est de nature à avoir une incidence sur le fond de cet avis, le conseil de prud'hommes saisi de la contestation a la possibilité de purger la question, notamment en ordonnant une expertise afin d'être pleinement éclairé, avant de statuer par une décision qui va se substituer à l'avis initial. Cette expertise permet en effet de régulariser les insuffisances commises en réalisant, à nouveau, l'ensemble des actes et démarches utiles à l'élaboration d'un nouvel avis. De plus, elle présente l'intérêt de donner lieu à un avis actualisé sur l'état de santé du

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salarié et ses conditions de travail, lesquels ont pu évoluer le temps de la procédure 1. 2-2 L'incidence du non-respect des conditions fixées à l'article R.4624-42 sur la validité du constat d'inaptitude S'agissant du caractère substantiel ou non de ces actes et diligences, votre chambre ne s'est pas expressément prononcée sur ce point, même si l'avis du 17 mars 2021, nous donne quelques pistes. Comme rappelé plus haut, tant la lettre du texte de l'article R. 4624-42 que son esprit tendent à considérer que les mesures énoncées à l'article R.4624-42 du code du travail relèvent de conditions qui assoient l'avis d'inaptitude, en quelque sorte le justifient. Toutefois, si le texte de l'article R.4624-42 leur donne un caractère impératif, nulle disposition légale ou réglementaire ne prévoit expressément de sanction en cas de manquement. Par ailleurs, dans votre avis du 17 mars 2021, vous avez écarté l'inopposabilité à titre de sanction. Pour invalider un avis d'inaptitude qui n'aurait pas respecté une des conditions de l'article R.4624-42 du code du travail, il faudrait donc que dans le cadre de votre interprétation prétorienne du texte, vous considériez que les conditions fixées à l'article R.4624-42 sont des garanties de fond, toutes nécessaires à la validité de l'avis d'inaptitude et qu'elles forment un bloc indissociable avec lui. L'intérêt de cette option est qu'elle est claire, lisible et d'application aisée. Dès lors que toutes les conditions sont impératives cumulativement, nulle hiérarchie n'est faite dans les diligences à accomplir, lesquelles sont toutes indispensables. L'inconvénient de cette option est qu'elle est binaire, peut ne pas être adaptée à toutes les situations et ne laisse aucune marge d'appréciation au juge. Une autre option est de considérer que les diligences contribuent certainement à l'appréciation de la capacité du salarié à occuper son poste, mais parmi d'autres éléments tels que la consultation du dossier médical en santé au travail, les éventuels échanges au sein de l'équipe de santé au travail et tous autres éléments utiles, de sorte que le non respect d'une ou des conditions énoncées à l'article R 4624-42 ne peut affecter, à lui seul, la validité de l'avis délivré 2. Cette option a le mérite, en fonction des éléments qui sont produits aux débats, de laisser à l'appréciation des juges l'incidence des dits manquements sur le fond de l'avis d'inaptitude en cause. En cas de doute sur la pertinence de cet avis en considération A ce titre, même si l'article L.4624-7 ne l'impose pas expressément, compte tenu des délais qui s'écoulent entre l'avis initial et la décision à rendre laquelle doit se substituer à cet avis, ordonner une expertise me paraît préférable pour s'assurer de rendre une décision exécutable et adaptée à la situation actuelle du salarié. 1

C'est notamment l'analyse du professeur Marc Véricel, Contestation des avis et propositions du médecin du travail, RDT 2021, 397 2

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des insuffisances relevées, le juge peut toujours ordonner une expertise qui purgera les éventuels « vices » constatés en recommençant l'ensemble des démarches utiles. Cette deuxième option me paraît être celle qui doit être privilégiée. Elle n'est pas contraire au sens de votre avis du 17 mars 2021 et est même cohérente avec cet avis et elle permet d'éviter toute tentative de recours dilatoire, de nature à insécuriser (parfois sans fondement) les avis du médecin du travail et à différer l'issue du litige, dans un contexte où l'existence même du contrat de travail est en cause. C'est donc la solution que je soutiens dans le présent pourvoi.

2-3 Réponse au moyen : En l'espèce, pour écarter la demande de l'employeur, la cour d'appel relève qu'aux termes du rapport d'expertise du médecin-inspecteur du travail et du certificat médical émanant du médecin psychiatre du salarié, corroboré par d'autres pièces produites aux débats (qu'elle analyse), l'inaptitude de celui-ci ne résulte pas de ses conditions de travail mais d'une dégradation des relations de travail entre les parties pendant l'arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées ; elle en déduit, que « même si l'étude de poste et l'étude des conditions de travail sont anciennes, voire obsolètes, l'absence d'études plus récentes est sans influence sur les conclusions du médecin du travail qui concerne une période postérieure à l'arrêt de travail. De même, si l'employeur conteste l'échange avec le médecin du travail, ce dernier a pourtant rappelé à l'employeur ' par mail du 4 mars 2019 ' avoir échangé avec lui sur la question de l'inaptitude le 5 février 2019, ce qu'il a confirmé au médecin inspecteur régional du travail » que «S'agissant de l'inaptitude elle-même, les conclusions du médecin inspecteur du travail résultent d'une enquête approfondie ainsi que de l'examen de l'intéressé et de son dossier médical. A l'encontre des constatations, de l'analyse et des conclusions de ce médecin, l'employeur ne produit aucun élément pertinent de nature médicale étayant sa contestation.»; Ce faisant, la cour d'appel, appréciant souverainement les éléments qui lui étaient produits et tirant les conséquences légales de ses constatations, a fait une exacte application de l'article R.4624-42 du code du travail.

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