Cass. soc., Conclusions, 26-10-2022, n° 21-14.178
A83912R9
Référence
AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 1144 du 26 octobre 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-14.178 Décision attaquée : 27 janvier 2021 de la cour d'appel d'Amiens M. [V] [K] C/ Société Le Garage du Poteau de Senlis dépannage _________________
M. [V] [K] (le salarié) a été embauché par contrat à durée indéterminée par la société garage du poteau de Senlis dépannage (l'employeur) en qualité de dépanneurremorqueur à compter du 12 décembre 1988. L'entreprise intervient à la demande des particuliers, des professionnels ainsi que des compagnies d'assurance et d'assistance et est liée à une société d'autoroute pour assurer une permanence afin d'intervenir sur une portion délimitée de la voie de circulation. Le salarié a été en arrêt maladie à compter du 27 novembre 2015. Il a saisi le conseil de prud'hommes le 11 décembre 2015 aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail et en paiement de diverses sommes. Il a été déclaré inapte au terme d'une visite médicale le 6 janvier 2017 puis licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 27 juin 2017. Par jugement du 23 octobre 2017, le conseil de prud'hommes a notamment débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes. 1
Le salarié a interjeté appel et par arrêt prononcé le 27 janvier 2021, la cour d'appel d'Amiens a notamment débouté le salarié de l'intégralité de ses demandes. Le salarié s'est pourvu en cassation. Le pourvoi, fondé sur trois moyens, développés en trois branches pour le premier et le troisième moyens et en quatre branches pour le deuxième, reproche à la cour d'appel : - une violation des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail : pour ne pas avoir respecté le régime probatoire dans le domaine du harcèlement moral en procédant à une appréciation séparée de chaque élément évoqué par le salarié au lieu d'examiner si, dans leur ensemble, ils pouvaient laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral ; pour ne pas avoir pris en compte l'un des éléments évoqués, qu'elle considérait pourtant comme établi, avec les autres éléments, pris dans leur ensemble ; pour avoir fait peser la preuve du harcèlement moral sur le salarié ; - une violation des articles L. 3121-5 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 3121-9 et L. 3121-1 du code du travail, l'article 455 du code de procédure civile ainsi que la convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile du 15 janvier 1981 : pour avoir qualifié d'astreintes des périodes de travail litigieuses, sans rechercher ni apprécier, si au regard des sujétions auxquelles le salarié était soumis, il n'était pas en permanence à la disposition de son employeur et s'il pouvait ou non vaquer librement à ses occupations personnelles ; pour ne pas avoir précisé la nature et le contenu des pièces et des documents sur lesquels elle se fondait (défaut de motivation) ; pour ne pas avoir considéré qu'une clause d'astreinte devait figurer au contrat de travail en considération de la convention collective ; pour ne pas avoir répondu au moyen du salarié selon lequel l'employeur ne s'était jamais conformé à ses obligations relatives aux périodes d'astreintes figurant dans la convention collective ; - une violation des articles 1.09 d) et 1.09 bis de la convention collective et de l'article L. 3121-28 du code du travail : pour avoir considéré que la rémunération des heures supplémentaires sous forme de commission sur le chiffre d'affaires pouvait constituer un forfait ; pour avoir jugé licite le forfait alors qu'il n'était pas applicable et qu'il ne pouvait pas rémunérer les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel de 220 heures supplémentaires prévu par la convention collective ; ainsi qu'une dénaturation de la lettre du 1er mars 2000 portant accord sur une rémunération forfaitaire pour les heures supplémentaires effectuées. Sur les trois branches réunies du premier moyen : Tandis que l'article L. 1152-11 du code du travail présente les éléments nécessaires à la qualification juridique du harcèlement moral, l'article L. 1154-12 de ce même code expose le mécanisme probatoire permettant sa caractérisation. Article L. 1152-1 du code du travail : “Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.” 1
Article L. 1154-1 du code du travail : “Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à 2
2
En application de ces deux textes, la chambre juge que “lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral” et que, “dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement” (Soc., 25 janvier 2011, pourvoi n° 09-42.766 ; Soc., 6 juin 2012, pourvoi n° 10-27.766). Si la chambre contrôle le respect du mécanisme probatoire par les juges du fond, elle laisse à leur appréciation souveraine l'examen des éléments de fait et de preuve (Soc., 8 juin 2016, pourvoi n° 14-13.418). En l'espèce, la cour d'appel a jugé que les pièces et documents versés étaient “insuffisants à établir des faits répétés qui, pris et appréciés dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral” (page 5 de l'arrêt). Pour ce faire, elle a examiné les attestations versées par le salarié concernant le comportement du supérieur hiérarchique du salarié ainsi qu'un incident survenu entre eux ; la question de l'origine du changement de fonctions du supérieur hiérarchique précité, considérée par le salarié comme ayant été motivée par son comportement à son encontre ; les éléments médicaux produits par le salarié. Ainsi, la cour d'appel n'a pas procédé à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par l'exposant puisqu'elle a rappelé qu'elle les appréciait dans leur ensemble. S'agissant de l'incident survenu avec le supérieur hiérarchique du salarié, il convient de relever, que si la cour d'appel n'a pas remis en cause son existence, elle n'a pas affirmé que celui-ci pouvait être analysé comme une agression de la part de ce dernier. Elle a jugé qu'alors que le salarié décrivait son supérieur hiérarchique comme étant violent, colérique et grossier à son égard, les attestations versées n'en justifiaient pas ou étaient contredites par les éléments versés par l'employeur. Par ailleurs, s'appropriant les motifs du conseil de prud'hommes qui avait relevé que le salarié “ne [produisait] aucun élément corroborant ses déclarations”, la cour d'appel n'a fait que juger que la matérialité des faits présentés n'était pas établie et n'a pas fait peser la preuve du harcèlement moral sur le salarié. Alors que la cour d'appel a valablement appliqué le mécanisme probatoire nécessaire à la qualification du harcèlement moral en examinant si chacun des éléments invoqués par le salarié était établi et si pris et appréciés dans leur ensemble ils étaient de nature à présumer l'existence d'un harcèlement moral, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond dans l'examen des éléments de fait et de preuve.
une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.” 3
➤ Je m'associe donc à la proposition de rejet non spécialement motivé du premier moyen présentée par Monsieur le conseiller rapporteur. Sur le deuxième moyen : La question du temps dans la relation de travail n'est pas dénuée de complexité. Le temps peut être notamment effectif, d'astreinte, de repos, de pause, d'équivalence. Sa qualification est essentielle tant pour le salarié que pour l'employeur notamment au regard des conséquences financières qu'elle implique. Ainsi en l'espèce, le salarié considère qu'une partie de son temps de travail n'a pas été correctement qualifié par la cour d'appel, cette dernière ayant retenu la qualification d'astreinte, le salarié lui reprochant de ne pas avoir vérifié s'il n'était pas en permanence à la disposition de son employeur, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, ainsi qu'il l'avait soutenu devant elle (page 23 à 32 des conclusions). Aux termes de l'article L. 3121-1 du code du travail dans sa version applicable en l'espèce (version en vigueur du 1er mai 2008 au 10 août 2016), “La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.” L'article L. 3121-5 du code du travail dans sa version applicable en l'espèce (version en vigueur du 1er mai 2008 au 10 août 2016) dispose, “Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.” La notion de travail effectif suppose donc la réunion de trois conditions, tandis que la qualification d'astreinte nécessite celle de deux critères. La première situation soumet le salarié à des sujétions particulières, la seconde le contraint seulement à se tenir prêt éventuellement au profit de l'employeur. Il résulte de la jurisprudence de la chambre qu'afin de différencier le temps de travail effectif du temps d'astreinte, les juges du fond doivent rechercher la situation dans laquelle se trouve le salarié ; la possibilité ou non, pour lui, de vaquer à des obligations personnelles, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur permettant la distinction entre ces deux temps. Le degré de sujétion auquel est soumis le salarié est significatif : durant une astreinte, le salarié ne doit pas être soumis à d'autres sujétions que celles d'être joignable et être prêt à intervenir au profit de l'employeur (Soc., 20 septembre 2005, pourvoi n° 03-46.956, 03-47.234, 03-47.235, 03-47.034, 03-46.853, 03-47.175, 03-46.854, 03-46.992, 03-46.855, 03-46.929, 0347.113, 03-47.114 ; Soc., 20 janvier 2021, pourvoi n° 19-10.956 ; Soc., 13 octobre 2021, pourvoi n° 20-16.048). Par ailleurs, la notion de temps de travail a été définie par la directive européenne 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993,concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, dont les dispositions ont été codifiées par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 qui a 4
pour objet de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant, notamment, la durée du temps de travail. Ainsi, l'article 2, point 1 de la directive 2003/88 définit la notion de “temps de travail” comme “toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur, et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.”, tandis qu'il est mentionné au point 2 de ce même article que la notion de “période de repos” s'entend de toute période qui n'est pas du temps de travail. Dans deux arrêts du 9 mars 2021, saisie de questions préjudicielles (CJUE 9 mars 2021, aff. D.J./Radiotelevizija Slovenija (C-344/19) et CJUE 9 mars 2021, aff. RJ/Stadt Offenbach am Main (aff. C-580/19)), la Cour de justice de l'Union européenne a exposé les critères du temps de travail : il s'agit de l'intégralité de périodes de garde au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d'une telle période n'atteignent pas un tel degré d'intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d'une telle période constitue du temps de travail. En présence d'une astreinte, les juridictions nationales doivent donc vérifier si une disqualification de ce temps d'astreinte en temps de travail effectif ne doit pas être réalisée en considération des conséquences que les contraintes imposées au travailleur occasionnent sur sa faculté de gérer librement le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de se consacrer à ses propres intérêts. A cette fin, la Cour propose au juge national d'examiner le délai dont dispose le salarié pour se rendre sur le lieu de l'intervention à compter du moment où il est sollicité et la fréquence moyenne des interventions que le travailleur sera effectivement appelé à assurer au cours de la période d'astreinte. Un délai de quelques minutes et une fréquence élevée d'interventions durant les astreintes empêchent toute planification d'activités personnelles par le salarié et doivent par principe conduire à retenir la qualification de temps de travail. La CJUE a maintenu cette jurisprudence quelques mois plus tard (CJUE 11 novembre 2021, aff. C-214/20, Dublin City Council). Pour analyser la situation de vigilance exigée du salarié, vous pourriez, soit maintenir l'examen de la possibilité pour celui-ci de vaquer librement à des occupations personnelles, ainsi que l'exige le droit national, soit introduire la notion d'intensité des contraintes imposées au salarié, à l'instar de la CJUE. Dans les deux hypothèses, il ressort des éléments précités qu'une appréciation in concreto des modalités des astreintes mises en place dans une entreprise et de leur impact sur la vie personnelle du salarié est indispensable pour qualifier le temps durant lequel le salarié est en inactivité. En l'espèce, la cour d'appel a : - rappelé la définition de l'astreinte sans examiner celle du temps de travail effectif alors que le salarié soutenait ne pas pouvoir vaquer librement à ses obligations personnelles 5
(page 23 à 32 des conclusions) ; - malgré une erreur de plume créant une contradiction avec ce qu'avait indiqué le conseil de prud'hommes, mais en mentionnant “comme l'a rappelé le premier juge”, retenu que le salarié n'était pas contraint de se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l'entreprise ; or, si l'exécution des sujétions en dehors des locaux de l'entreprise peut constituer un indice en faveur de l'astreinte, cet élément ne permet pas d'écarter un temps de travail effectif, lequel n'impose pas un maintien du salarié au sein de l'entreprise ; - présenté l'organisation générale des salariés sur le temps qualifié d'astreinte. Je considère que ce faisant, la cour d'appel n'a pas procédé à une analyse concrète des éventuelles sujétions particulières auxquelles était soumis le salarié et n'a pas recherché si le salarié pouvait ou non vaquer librement à des occupations personnelles. Or, peu important la qualification d'astreinte retenue par l'employeur, la cour d'appel aurait dû rechercher la situation dans laquelle se trouvait le salarié au vu de ses conditions concrètes de travail et de son état de dépendance, ainsi que cela lui était demandé. ➤ Je conclus à la cassation sur le deuxième moyen.
Sur les deux premières branches du troisième moyen : Eu égard aux contraintes intrinsèques des fonctions exercées, le temps de travail effectif et la durée du travail de certains salariés ne sont pas toujours aisés à prédéterminer. Dès lors, ces derniers peuvent bénéficier d'une convention de forfait. Le dispositif du forfait en heures permet à un employeur d'intégrer, avec l'accord du salarié, dans la durée de travail de celui-ci, et sur une période prédéterminée, un certain nombre d'heures supplémentaires prévisibles. La convention prévoit donc un certain nombre d'heures supplémentaires travaillées et rémunérées forfaitairement, sans dépasser la durée maximale quotidienne et hebdomadaire de travail. Dans le cadre d'une convention de forfait en heures, la rémunération du salarié comprend donc le salaire habituel du salarié pour le nombre d'heures comprises dans le forfait, augmentée des majorations de salaire pour les heures supplémentaires incluses. Sa rémunération est au moins égale à celle minimale applicable dans l'entreprise pour un nombre équivalent à son forfait. L'objectif du forfait est d'échapper à la rémunération en fonction du temps de travail effectif dans des situations où la réalisation d'heures supplémentaires est habituelle. Pour être valablement conclue, une convention de forfait doit être prévue par écrit et déterminer le nombre d'heures supplémentaires qu'elle prend en compte (Soc., 9 mai 2019, pourvoi n° 17-27.448), la seule fixation d'une rémunération forfaitaire étant insuffisante à la caractériser (Soc., 3 mai 2011, pourvoi n° 09-71.037, 09-70.813) La convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981 stipule dans son article 1.09 d) “Forfait assis sur un salaire mensuel”, “Lorsque des dépassements fréquents ou répétitifs de l'horaire collectif sont prévisibles, le paiement des heures supplémentaires peut être inclus dans la rémunération mensuelle sous la forme d'un forfait.
6
Le nombre d'heures sur lequel est calculé le forfait doit être déterminé en respectant la limite du nombre d'heures prévu par le contingent annuel d'heures supplémentaires visé à l'article 1.09 bis ou, exceptionnellement, d'un nombre supérieur autorisé par l'inspecteur du travail. L'inclusion du paiement des heures supplémentaires dans la rémunération forfaitaire ne se présume pas. Elle doit résulter d'un accord de volonté non équivoque des parties, d'une disposition expresse du contrat de travail ou d'un avenant à celui-ci. La rémunération forfaitaire convenue doit être au moins égale au minimum mensuel garanti applicable au salarié, complété par une majoration pour les heures supplémentaires comprises dans le forfait, majoration calculée comme indiqué à l'annexe “Salaires minima”. Ce forfait s'accompagne d'un mode de contrôle de la durée réelle du travail, qui doit être conforme aux prescriptions de l'article.” Ainsi, à l'instar de la loi et de la jurisprudence de la chambre, la convention collective encadre strictement le recours au forfait en en fixant les conditions pour sa validité. En l'espèce, devant la cour d'appel, l'employeur soutenait que les heures supplémentaires réalisées par le salarié avaient été rémunérées sous la forme d'un forfait auquel ce dernier avait donné son accord dans un courrier du 1 er mars 2000 qu'il avait signé et qui était ainsi libellé : “Suite à la mise en application de la loi des 35 heures et de l'utilisation du contingent d'heures supplémentaires, vous avez organisé une réunion entre tous les dépanneurs du garage en février 2000. Vous nous avez fait deux propositions : Soit que les dépannages effectués en dehors des heures d'ouverture du Garage -c'està dire en heures supplémentaires- nous soient payées en heures supplémentaires avec la majoration correspondante Soit qu'ils nous soient payés sous la forme d'une commission sur le chiffre d'affaire hors taxes réalisé de nuit. Après réflexion de ma part, je vous demande à ce que mes heures supplémentaires me soient payées sous forme d'une commission sur le chiffre d'affaire hors taxes réalisé de nuit. Le choix que j'ai retenu est plus avantageux et m'intègre davantage à l'Entreprise puisque je participe alors directement à la réussite et à la continuité du Dépannage.” La cour d'appel a jugé que le forfait mis en place par l'employeur, avec l'accord du salarié était licite après avoir rappelé que les heures supplémentaires effectuées par le salarié et les repos compensateurs dus lors du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires de 220 heures ont été rémunérés sous forme de deux commissions sur le chiffre d'affaires des dépannages réalisés en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise. Si la cour d'appel a pu souverainement apprécier les éléments qui lui étaient soumis pour justifier de l'accord du salarié quant aux modalités de rémunération des heures supplémentaires qui lui étaient proposées, je considère en revanche, qu'elle ne pouvait qualifier la rémunération forfaitaire mise en place de forfait dès lors que le courrier du 1er mars 2000 ne comportait aucun élément quant au nombre d'heures supplémentaires prises en compte. Par ailleurs, l'article 1.09 bis g) “Heures choisies au-delà du contingent annuel” de la convention collective stipule “Le salarié qui le souhaite peut, en accord avec son employeur, accomplir des heures choisies au-delà du contingent annuel visé au 7
paragraphe c. Dans cette éventualité, l'employeur informe le salarié de la date à laquelle le contingent d'heures supplémentaires a été épuisé. L'accord entre le salarié et l'employeur est écrit. Il précise les modalités de la répartition des heures choisies au cours de la semaine ainsi que la période pendant laquelle ces heures seront effectuées, cette période s'achevant au plus tard le 31 décembre. Le nombre des heures choisies ne peut avoir pour effet de porter la durée hebdomadaire du travail au-delà de 44 heures en moyenne sur une période quelconque de 12 semaines consécutives. Les heures choisies sont payées sous la forme d'un complément de salaire, assorti d'une majoration égale à 30 % du salaire de base, s'ajoutant à ce dernier et correspondant au nombre d'heures accomplies à ce titre au cours de chacune des semaines prises en compte dans la période de paie. Cette majoration se substitue à celle de 25 % prévue par l'article 1.09 bis d pour les 8 premières heures supplémentaires accomplies au cours de la semaine. Pour les heures suivantes, la majoration est de 50 0/0.” L'article “c) Contingent annuel” de la convention prévoit “Les entreprises peuvent faire effectuer chaque année 220 heures supplémentaires. Les salariés peuvent toutefois accomplir des heures choisies au-delà du contingent annuel, dans les conditions précisées au paragraphe g ci-après.” En l'espèce, la cour d'appel a relevé pour chacune des années de 2013 à 2015 un nombre d'heures supplémentaires supérieur au contingent annuel de 220 heures prévu par la convention collective. Elle a néanmoins retenu la validité, en tant que forfait, de l'application de la rémunération forfaitaire du courrier du 1er mars 2000. Outre que le courrier précité ne précise pas les modalités de la répartition des heures supplémentaires, au-delà du contingent, choisies au cours de la semaine ainsi que la période pendant laquelle ces heures seront effectuées, la rémunération prévue pour ces heures n'est pas celle énoncée à l'article 1.09 bis g). Par conséquent, je considère que la cour d'appel n'a pas valablement appliqué la convention collective. ➤ Je conclus à la cassation sur les deux premières branches du troisième moyen, sans qu'il y ait lieu d'examiner la troisième branche, subsidiaire.
8