Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 29-06-2022, n° 20-16.060

Cass. soc., Conclusions, 29-06-2022, n° 20-16.060

A83832RW

Référence

Cass. soc., Conclusions, 29-06-2022, n° 20-16.060. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408956-cass-soc-conclusions-29062022-n-2016060
Copier

AVIS DE Mme LAULOM, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 784 du 29 juin 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 20-16.060 Décision attaquée : cour d'appel d'Amiens du 07 mai 2020 la société Tereos participations C/ M. [B] [C] _________________

Mon avis porte essentiellement sur la première branche du premier moyen qui a justifié l'orientation du pourvoi en formation de section. Selon ce moyen, “le juge doit examiner les griefs tels qu'ils sont énoncés dans la lettre de licenciement; en l'espèce la lettre de licenciement reprochait notamment au salarié de s'être limité à multiplier les accusations graves sur de possibles faits de corruption et des manquements aux règles de sécurité, en mettant en cause, son supérieur hiérarchique, M. [R], mais aussi le groupe dans son ensemble, lorsqu'il lui appartenait, en sa qualité de directeur de la filiale, d'établir un rapport circonstancié sur les dysfonctionnements constatés, de prendre les mesures pour y remédier et de proposer des actions et mesures concrètes pour rétablir un fonctionnement conforme aux règles du Groupe”. Il est tout à fait admis que l'employeur puisse justifier d'un licenciement en se fondant sur plusieurs motifs. L'article L. 1232-6 du code du travail dispose en ce sens que “la lettre [de licenciement] comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur”. Dans cette hypothèse, la mise à l'écart par le juge de l'un de motifs énoncés n'empêche pas que le licenciement puisse reposer sur une cause réelle et sérieuse 1

s'agissant du ou des autres motifs. La conséquence est que les juges du fond doivent examiner tous les griefs visés dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Il existe une exception à ce principe, exception dite du “licenciement” ou du “motif” contaminant”, qui veut que lorsque l'illicéité d'un motif rend le licenciement nul, celui-ci “contamine” les autres motifs qui ne pourront justifier du licenciement. Cette règle a d'abord été admise dans l'hypothèse d'un salarié licencié alors qu'il avait dénoncé des mauvais traitements sur des personnes vulnérables. La chambre sociale a alors énoncé que la présence au sein de la lettre d'un motif illicite rend le licenciement nul, quelle que soit la validité des autres motifs invoqués 1. Cette solution a ensuite été reprise dans des hypothèses de participation à une grève 2, de harcèlement moral3 ou encore de discrimination en raison d'activités syndicales4. Par un arrêt du 3 février 20165, la chambre sociale a appliqué la théorie du motif contaminant lorsque la nullité du licenciement est encourue du fait de la violation de la liberté fondamentale du droit du salarié d'exercer une action en justice. La Cour de cassation, reprenant la formule utilisée dans les hypothèses de motifs contaminants, indique que “ce grief, constitutif d'une atteinte à une liberté fondamental”, entraîne “à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement”. Dans un arrêt du 21 novembre 2018, ce n'est pas uniquement l'action en justice qui est protégée mais le fait qu'une action en justice ait été envisagée. Dès lors que la cour d'appel a constaté que “la lettre de licenciement reprochait notamment au salarié d'avoir menacé l'employeur d'entamer des procédures à l'encontre de la société, la cour d'appel en a exactement déduit que la seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par le salarié était constitutive d'une atteinte à la liberté fondamentale d'ester en justice entraînant à elle seule la nullité de rupture”6.

1

Soc., 26 septembre 2007, pourvoi n° 06-40.039, Bull. 2007, V, n° 136. La solution est fondée sur l'article L. 313-24 du code de l'action sociale et des familles, relatif à la dénonciation, par les salariés, des mauvais traitements sur les personnes vulnérables et à la protection des salariés qui dénoncent de tels faits contre des mesures de rétorsion. 2

Soc., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-40.139, Bull. 2009, V, n° 172.

3

Soc., 10 mars 2009, pourvoi n° 07-44.092, Bull. 2009, V, n° 66; Soc., 13 juillet 2010, pourvoi n° 09-41.528; Soc., 6 déc. 2011, n° 10-18.335, Soc. 14 mars 2012, pourvoi n° 10-28.335. 4

Soc., 2 juin 2010, pourvoi n° 08-40.628, Bull. 2010, V, n° 124.

Soc., 3 février 2016, pourvoi n° 14-18.600, Bull. 2016, V, n° 18, note. Ch. Radé, “Le motif contaminant”, Lexbase, éd. Soc. 2016, n° 644. 5

Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, FS-P+B. Voir I. Meyrat, “Etendue de la protection de la liberté fondamentale d'agir en justice et réaffirmation de la règle du motif contaminant”, RDT 2019, p. 257. J. Icard, “Le renforcement du motif contaminant dans le cadre d'une action en justice” note BJT, n° 1 1 janv. 2019, 6

2

De manière générale, il est ainsi admis que lorsqu'un grief contenu dans la lettre de licenciement est constitutif d'une atteinte à une liberté fondamentale, il entraîne à lui seul la nullité du licenciement. La conséquence est l'effet contaminant de ce motif: il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs invoqués par l'employeur pour vérifier l'existence d'une cause réelle et sérieuse. L'idée sous-jacente est que l'illicéité de l'un des motifs du licenciement déteint sur l'opération tout entière et la contamine. On peut également penser que la détermination de la véritable cause du licenciement serait difficile. Enfin, ce qui est nul ne peut produire aucun effet et il ne peut donc être renvoyé à d'autres motifs de licenciement, que le juge est dès lors dispensé de vérifier. Concernant plus particulièrement les lanceurs d'alerte, vous avez également admis ce motif contaminant dans l'arrêt du 29 septembre 2021 7, en fondant votre décision sur l'article L. 1132-33 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 déc. 2013. En l'espèce, le salarié a fondé la contestation de la validité de son licenciement sur l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sans que le droit d'alerte ne soit évoqué. Il est de jurisprudence constante que le licenciement prononcé en violation de la liberté d'expression du salarié est nul. Avant que les dispositions législatives relatives aux lanceurs d'alerte ne soient applicables, la Cour de cassation a accordé une protection au salarié lanceur d'alerte sur le fondement de l'article 10 § 1 de la CEDH. Dans un arrêt du 30 juin 2016, elle a considéré, qu'en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour le salarié de signaler les conduites ou actes illicites constatés sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, des faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité8. C'est également un régime probatoire similaire à celui prévu à l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016, qui est applicable lorsqu'est invoqué l'article 10 de la convention9. Dès lors que la nullité du licenciement est admise lorsque le licenciement viole la liberté d'expression du salarié, il faut admettre l'application de la théorie du motif contaminant. Cette application se justifie pour deux raisons. La jurisprudence sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne a permis la protection des lanceurs d'alerte lorsque le statut légal n'était pas encore applicable ou lorsqu'il n'est pas invoqué. A ce titre, il paraît judicieux d'assurer, lorsque cela est possible, une similitude du régime applicable aux lanceurs d'alerte, que l'action soit fondée sur les dispositions spécifiques relatives aux lanceurs d'alerte dans le code du travail ou sur le principe plus général de la liberté d'expression, consacrée notamment par l'article 10 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme. Au-delà, la liberté d'expression, consacrée par l'article 10 de la Convention européenne et par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, a été qualifiée de liberté fondamentale 7

Soc., 29 septembre 2021, pourvoi n° 19-25.989.

8

Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140.

9

Soc., 7 juillet 2021, pourvoi n° 19-25.754, FS-B. 3

avec pour conséquence que l'atteinte à cette liberté est sanctionnée par la nullité du licenciement. Un parallèle peut ici être fait avec l'article 6 de la Convention européenne qui fonde également le droit fondamental des salariés d'agir en justice. Il convient donc de manière générale d'appliquer la théorie du motif contaminant aux licenciements qui viole la liberté d'expression des salariés, comme cela a été admis pour les licenciements qui violent le droit d'action en justice des salariés. Dès lors que la cour d'appel a constaté que le licenciement sanctionnait l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression et qu'un tel licenciement, prononcé en violation d'une liberté fondamentale, est nul, la cour d'appel n'avait pas à examiner les autres motifs du licenciement inscrits dans la lettre de licenciement. Il convient dès lors de rejeter la première branche du premier moyen. Concernant les autres branches du moyen et au second moyen, je renvoie au rapport et conclut simplement qu'ils ne tendent qu'à remettre en cause le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. La 5 ème branche manque en fait la cour d'appel ayant constaté que “le salarié n'a donné aucune publicité à son courrier ni aux faits qu'il dénonçait”.

AVIS DE REJET

4

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus