Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 07-02-2024, n° 21-22.809

Cass. soc., Conclusions, 07-02-2024, n° 21-22.809

A83812RT

Référence

Cass. soc., Conclusions, 07-02-2024, n° 21-22.809. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408954-cass-soc-conclusions-07022024-n-2122809
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AVIS DE M. HALEM, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 158 du 7 février 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 21-22.809 Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 9 juin 2021 La société Maîtrise et contrôle des techniques de sécurité parisiens C/ M. [W] [S] _________________

M. [S] (ci-après “le salarié”) a été engagé en qualité d'agent d'exploitation par la société MCTS Parisiens (ci-après “l'employeur”), en contrat à durée déterminée (ci-après “CDD”) à compter du 10 juillet 2009, puis en contrat à durée indéterminée (ci-après “CDI”) à compter du 30 mars 2010. Le 7 septembre 2017, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins d'obtenir la résiliation du contrat de travail, le versement d'indemnités de rupture et des dommages-intérêts. L'employeur a par ailleurs été placé, selon jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 février 2020, sous plan de sauvegarde. Par jugement du 21 novembre 2018, la juridiction prud'homale a condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 288,30 euros à titre de remboursement de frais de transport et l'a débouté du surplus de ses demandes.

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Par arrêt du 9 juin 2021, cour d'appel de Paris a infirmé partiellement le jugement, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de l'employeur, en le condamnant à payer au salarié diverses sommes au titre des heures supplémentaires, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de licenciement, de la prise en charge des frais de transport et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le 20 septembre 2021, l'employeur a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt (n° B2122809), de même que le salarié, le 24 septembre 2021 (n° C2122994).

DISCUSSION Le pourvoi de l'employeur (n° B2122809) se fonde sur un unique moyen de cassation, divisé en deux branches, et le pourvoi du salarié (n° C2122994) sur quatre moyens. Le premier pourvoi et les trois premières branches du second, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation, pourront faire l'objet d'un rejet non spécialement motivé pour les raisons développées au rapport. Selon le quatrième moyen du pourvoi du salarié, l'employeur est tenu envers ses salariés d'une obligation de sécurité dont il doit assurer l'effectivité, de sorte que le non-respect par celui-ci des temps de repos entre deux périodes de travail, qui contrevient à cette obligation, génère nécessairement un préjudice pour le salarié, contrairement à ce qu'a jugé la cour d'appel (violation des articles L. 1221-1 et L. 4121-1 du code du travail). Le salarié expose que le droit du salarié à la santé et au repos, qui est une exigence constitutionnelle, est lié à son droit à la sécurité dans le travail. Ainsi, le non-respect du temps de repos entre deux périodes de travail, qui porte atteinte au bien-être et compromet la sécurité du salarié, génère nécessairement un préjudice pour lui. L'employeur excipe de la nouveauté du moyen en ce que le salarié ne fondait pas en appel sa demande indemnitaire pour manquement à l'obligation de sécurité sur une méconnaissance de ses temps de repos. Sur le fond, un manquement aux horaires de travail n'implique pas la violation de l'obligation de sécurité, ni un préjudice distinct de celui réparé au titre de la méconnaissance des horaires de travail, ce qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Ce moyen, dont l'enjeu est la reconnaissance d'un nouveau cas de préjudice nécessaire au titre de l'obligation de sécurité de l'employeur, peut être résumé par la question suivante : le salarié victime du non-respect par l'employeur des temps de repos entre deux périodes de travail peut-il de ce seul fait en obtenir réparation sans avoir à justifier d'un préjudice spécifique ? Après avoir étudié l'exception d'irrecevabilité pour cause de nouveauté du moyen (I), il conviendra d'analyser le moyen tiré de la reconnaissance d'un préjudice nécessaire pour cause de non-respect des temps de repos entre deux périodes de travail (II).

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I - Sur l'exception d'irrecevablité pour cause de nouveauté du moyen L'article 619 du code de procédure civile dispose que “Les moyens nouveaux ne sont pas recevables devant la Cour de cassation”. Ne peut être qualifié de nouveau le moyen ayant été invoqué en cause d'appel de manière implicite mais nécessaire. En l'espèce, il ressort des conclusions du salarié devant la cour d'appel que l'intéressé a procédé à des développements sur le régime général de l'obligation de sécurité, exposant notamment que l'employeur était tenu de procéder à une évaluation des risques professionnels, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique des travailleurs, ce qu'il doit démontrer, affirmant que la société “(...) a failli à son obligation de résultat dès lors qu'elle n'a pas respecté la durée maximale de travail (...)” (p. 13), avant de “(...) solliciter la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité” (p. 16). Si une telle formulation comporte une part d'ambiguïté, elle n'exclut pas que la demande d'indemnité porte au moins en partie sur l'indemnisation du non-respect de la durée de repos entre deux services, au titre de la même obligation de sécurité de l'employeur. En ce sens, elle pourrait être considérée comme résultant implicitement mais nécessairement de l'argumentation soutenue en appel. En toute hypothèse, l'intérêt juridique du moyen, qui réclame la reconnaissance d'un nouveau cas de préjudice nécessaire, justifie qu'il soit examiné au fond. Il apparaît en conséquence opportun de rejeter l'exception d'irrecevabilité.

II - Sur la reconnaissance d'un préjudice nécessaire liée au nonrespect des temps de repos entre deux périodes de travail Après avoir constaté le fondement conventionnel de la durée de repos non respectée visée par le moyen (1), il sera rappelé que le droit à une période minimale de repos est un principe essentiel du droit social, nécessaire à la protection de la santé et de la sécurité du salarié (2). Si la théorie du préjudice nécessaire a été maintenue dans plusieurs hypothèses de méconnaissance des périodes minimales de repos légales, elles ne paraissent pas devoir inclure celle des durées conventionnelles plus favorables (3), ce qui impose au salarié pour être indemnisé de justifier d'un préjudice spécifique, comme l'a exactement jugé la cour d'appel (4).

1. Le litige porte sur la réparation du non-respect de la durée conventionnelle minimale de repos entre deux services de douze heures Il résulte de l'arrêt attaqué que le non-respect des temps de repos entre deux périodes de travail, dont le salarié demande réparation, porte sur la durée de douze heures prévue par l'article 2, alinéa 3, première phrase, de l'accord du 18 mai

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1993 relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail, afférent à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 19851, expressément visé par la décision (p. 4, § 1) : “Par application de l'article L. 212-5, le temps du travail peut être aménagé sur une période maximale de 4 semaines ; à l'intérieur de cette période, la durée hebdomadaire du travail est susceptible de variation dans la limite maximale de 48 heures.

La répartition du temps de travail doit se répéter à l'identique d'une période à l'autre, cette répétition étant appréciée relativement à la durée hebdomadaire du travail et non relativement à la répartition des jours de travail à l'intérieur de la semaine. Le temps de repos entre deux services ne peut être inférieur à 12 heures. 24 heures de repos doivent être prévues après 48 heures de travail. Vu les us et coutumes et la spécificité de la profession et suivant les exigences du service, les services Igh ou pompiers 24-72 sont désormais autorisés. L'organisation des services de la période fait l'objet de plannings prévisionnels qui doivent être remis aux salariés au moins 1 semaine avant leur entrée en vigueur”2.

La description du comportement fautif de l'employeur dans l'arrêt attaqué, lié au nonrespect de cette période de repos entre deux services, confirme cette référence à la durée conventionnelle de douze heures : “Les décomptes produits par [le salarié] démontrent, qu'à plusieurs reprises, il n'a pas bénéficié du repos de 12 heures entre deux services au cours des années 2014 et 2015” (p. 5, § 2).

Ainsi, lorsque la cour d'appel énonce que “(...) certains manquements ne sont pas établis et que les temps de repos n'ont pas été respectés au cours des année 2014 et 2015, soit plusieurs mois avant la saisine de la juridiction (...)” (arrêt attaqué, p. 5) et que “(...) l'employeur n'a pas respecté les temps de repos entre deux périodes de travail” (arrêt attaqué, p. 6, § 16), elle désigne bien la durée conventionnelle de douze heures entre deux périodes de travail énoncée à l'article 2, alinéa 3, première phrase, de l'accord du 18 mai 1993 précité - laquelle n'empêche pas en théorie la réalisation de la durée légale de onze heures de repos quotidien 3 ni de l'amplitude journalière de treize heures maximum posée par la jurisprudence 4 -, à

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Etendue par arrêté du 25 juillet 1985 (JO du 30 juillet 1985).

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Texte également cité par les écritures d'appel de l'employeur (p. 2 et 3) et du salarié (p. 8).

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L'article L. 3131-1 du code du travail issu de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 prévoit une durée de repos quotidien minimale de onze heures consécutives. Par exemple, un salarié travaillant le lundi de 14h à 21h, puis le mardi de 8h à 12h, temps de pause inclus, bénéficierait de plus de onze heures consécutives de repos journalier (14 heures le lundi et 12 heures le mardi) mais ne respecterait pas la durée conventionnelle de douze heures entre deux services (il y aurait une durée de onze heures seulement entre la fin de la première journée de travail et le début de la seconde). 4

La chambre sociale de la Cour de cassation considère que la période minimale de repos journalier de onze heures consécutives résultant du droit européen (article 3 de la directive 93/104 et de la directive 2003/88) se traduit en droit interne par l'interdiction de dépasser une amplitude journalière de treize heures, définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin (Soc, 28 septembre 2010, n° 09-41.277 ; Soc, 23 septembre 2009, n° 07-44.226). Or, par exemple, un salarié travaillant le lundi de 11h à 23h puis le mardi de 9h à 12h, temps de pause inclus, respecterait l'amplitude horaire maximum journalière de 13 heures (amplitude horaire de 12 heures le lundi et de 3 heures le mardi) ainsi que le repos journalier minimum de onze heures (11 heures de repos

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l'exclusion de la durée conventionnelle de 24 heures toutes les 48 heures visée par le même article (alinéa 3, deuxième phrase) - qui se confond avec la durée de repos hebdomadaire légale de vingt-quatre heures5.

2. Le droit à une période minimale de repos est un principe essentiel du droit social, nécessaire à la protection de la santé et de la sécurité du salarié (2.1) par l'employeur (2.2), notamment au titre de l'obligation de sécurité (2.3) 2.1. Etablissant un lien direct entre la santé et la sécurité du salarié d'une part, et le bénéfice de périodes de repos suffisantes6 d'autre part, la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 - qui reprend sur ce point dans les mêmes termes la directive 93/104 du 23 novembre 1993 - définit un ensemble de prescriptions minimales en matière d'organisation du temps de travail, autour du “principe général de l'adaptation du travail à l'homme”7. La Cour de justice des communautés européennes (ci-après “CJCE”) juge en effet de manière constante que “(...) les différentes prescriptions [que la directive 93/104] énonce en matière de durée maximale de travail et de temps minimal de repos constituent des règles du droit social communautaire revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé” (CJCE, 1er décembre 2005, Dellas, C-14/04, point 49 ; dans le même sens : CJCE, 7 septembre 2006, Commission c/ Royaume-Uni, C-484/04, point 38 ; consécutif le lundi et 12 heures le mardi), mais pas le délai conventionnel inter-services de douze heures (il y aurait une durée 10 heures seulement entre la fin de la première journée et le début de la seconde). 5

L'article L. 3132-2 du code du travail impose une durée de repos hebdomadaire de vingt-quatre heures consécutives, en sus des repos quotidiens. Si par exemple un salarié travaille du lundi au jeudi de 8h à 18h30 (temps de pause inclus) et le vendredi de 8h à 14h, soit une durée hebdomadaire de 48 heures (entrecoupée de pauses journalières de plus de onze heures), bénéficie ensuite de son temps de repos conventionnel entre deux services de vingt-quatre heures avant de reprendre son service le dimanche à 14h, il aura de ce fait pu jouir d'un repos équivalent à la durée hebdomadaire légale de vingt-quatre heures. Voir : - considérant (4) de la directive 2003/88 : “L'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique” ; - considérant (5) de la même directive : “Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. La notion de repos doit être exprimée en unités de temps, c'est-à-dire en jours, heures et/ou fractions de jour ou d'heure. Les travailleurs de la Communauté doivent bénéficier de périodes minimales de repos — journalier, hebdomadaire et annuel — et de périodes de pause adéquates. Il convient, dans ce contexte, de prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail”. 6

Considérant (11) de la directive 2003/88 : “Les modalités de travail peuvent avoir des effets préjudiciables sur la sécurité et la santé des travailleurs. L'organisation du travail selon un certain rythme doit tenir compte du principe général de l'adaptation du travail à l'homme”. Voir également article 13, “Rythme de travail”, de la même directive : “Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que l'employeur qui envisage d'organiser le travail selon un certain rythme tienne compte du principe général de l'adaptation du travail à l'homme, notamment en vue d'atténuer le travail monotone et le travail cadencé en fonction du type d'activité et des exigences en matière de sécurité et de santé, particulièrement en ce qui concerne les pauses pendant le temps de travail”. 7

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CJCE, 12 octobre 2004, Wippel, C-313/02, point 47 ; CJCE, 5 octobre 2004, Pfeiffer, C-397/01, point 100 ; CJCE, 26 juin 2001, BECTU, C-173/99, points 43 et 47 ; CJCE, 3 octobre 2000, SIMAP, C-303/98, point 49). La directive du 4 novembre 2003 pose ainsi deux séries de normes pertinentes au regard du présent litige. 2.1.1. D'une part, en ce qui concerne les périodes de repos quotidien, l'article 3 de la directive précitée, relatif au “Repos journalier”, impose aux “(...) États membres [de prendre] les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de vingt-quatre heures, d'une période minimale de repos de onze heures consécutives”. Ce droit est complété par le recours aux pauses pendant le temps de travail, l'article 4 du même texte prévoyant que “(...) tout travailleur bénéficie, au cas où le temps de travail journalier est supérieur à six heures, d'un temps de pause dont les modalités, et notamment la durée et les conditions d'octroi, sont fixées par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux ou, à défaut, par la législation nationale”. Reprenant la formulation de la CJCE, la Cour de cassation qualifie ces temps de pause, et plus généralement les prescriptions énoncées par la directive 2003/88 en matière de temps minimal de repos, de “règles de droit social d'une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé” (Soc, 29 juin 2011, n° 10-14.743 ; Soc, 17 février 2010, n° 08-43.212). 2.1.2. D'autre part, en ce qui concerne les périodes de repos hebdomadaire, l'article 5 de la même directive 2003/88 exige que “Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie, au cours de chaque période de sept jours, d'une période minimale de repos sans interruption de vingt-quatre heures auxquelles s'ajoutent les onze heures de repos journalier prévues à l'article 3”. Il peut être remarqué par ailleurs, d'un point de vue probatoire, que la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après “CJUE”) a reconnu un effet direct à l'article 6, sous b)8, de la même directive relatif à la durée maximale hebdomadaire de travail de quarante-huit heures, permettant ainsi aux particuliers de l'invoquer devant les juridictions nationales à l'encontre de l'État, y compris en qualité d'employeur9. En cas de dépassement, il en résulte une violation automatique de cette disposition sans qu'il soit besoin de démontrer un

Article 6, sous b), de la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 : “(...) la durée moyenne de travail pour chaque période de sept jours n'excède pas quarante-huit heures, y compris les heures supplémentaires”. 8

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CJCE, 5 octobre 2004, Pfeiffer, C-397/01, points 104 à 106, précité : application de l'article 6.2 identique de la directive 93/104 précitée ; CJCE, 14 octobre 2010, Fuß, C-243/09, points 56 à 59. Il convient de préciser que l'effet direct d'une directive ne peut en principe qu'être vertical et ascendant (du citoyen vers l'Etat), l'effet direct horizontal entre particuliers n'étant admis que de manière dérogatoire, en incluant l'Etat employeur, lorsqu'une directive se combine avec un principe général du droit ou une disposition de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dotée de l'effet direct et dans le cadre de l'obligation d'interprétation conforme qui s'impose aux juridictions nationales.

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préjudice spécifique (CJCE, 14 octobre 2010, Fuß, C-243/09, points 53 à 55, précité)10. D'une manière générale, la Cour de justice considère que l'effet utile des règles de repos édictées par la directive 2003/88 nécessite que les Etats membres en assurent l'effectivité, y compris à titre préventif, afin de “(...) réduire autant que possible le risque d'altération de la sécurité et de la santé des travailleurs que l'accumulation de périodes de travail sans le repos nécessaire est susceptible de représenter” (CJCE, 7 septembre 2006, Commission c/ Royaume-Uni, C-484/04, points 39 à 41, précité). 2.1.3. En outre, cette considération a sans aucun doute conduit la CJUE à reconnaître également, dans deux arrêts du 6 novembre 2018, un effet direct à l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union (ci-après “la Charte”), selon lequel : “Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés” (CJUE, 6 novembre 2018, Bauer, C-569/16 et C-570/16, points 85 à 92 ; CJUE, 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft, C-684/16, points 74 à 81)11. Il convient de souligner que si ces deux décisions ont été rendues au sujet des congés annuels payés - dernier membre de phrase du même article 31, § 2 -, elles constituent néanmoins un indice fort de l'effet direct qui pourrait être reconnu, dans le cadre d'un contentieux devant la CJUE ou d'une question préjudicielle, aux autres dispositions de la même phrase relatives aux repos journalier et hebdomadaire, qui intéressent indirectement le présent litige12. 2.2. L'exigence d'un repos quotidien a été transposée en droit interne, en respectant la durée minimum fixée par l'article 3 de la directive 2003/88 précité, par la loi n° 98-461 du 13 juin 1998 dite “Aubry I” à l'article L. 220-1, devenu L. 3131-1, du code du travail, selon lequel : “Tout salarié bénéficie d'un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3131-2 et L. 3131-3 ou en cas d'urgence, dans des conditions déterminées par décret”.

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Ce qui permet ensuite sa réparation selon les modalités fixées par la législation nationale (CJCE, 25 novembre 2010, Stadt Halle, C-429/09, points 94 à 98). 11

Il en résulte que dans litige opposant un travailleur à son employeur, dans l'hypothèse où il serait impossible d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 31, paragraphe 2, de la Charte, il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de ladite disposition et de garantir le plein effet de celle-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale (points 92 et 2 du dispositif de la décision Bauer, C-569/16 et C-570/16, et points 80 et 2 du dispositif de la décision Max-Planck-Gesellschaft - C-684/16), ce qui correspond en fait à une invocabilité d'exclusion horizontale de la directive. 12

Pour lesquelles un préjudice nécessaire est par ailleurs déjà reconnu sur le fondement du droit de l'Union européenne (voir infra, § 3.2).

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Ce seuil se traduit par l'interdiction de dépasser une amplitude journalière de treize heures, définie comme le temps séparant la prise de poste de sa fin (Soc, 28 septembre 2010, n° 09-41.277 ; Soc, 23 septembre 2009, n° 07-44.226). Il en va de même du principe du temps de pause toutes les six heures énoncé par l'article 4 de la même directive, fixé depuis l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, à “(...) une durée minimale de vingt minutes consécutives” par l'article L. 3121-16 du code du travail. En outre, si le repos hebdomadaire de vingt-quatre heures tous les sept jours imposé par l'article 5 des directives 94/104 et 2003/88 figurait déjà dans le code du travail à l'article L. 221-4, devenu L. 3132-3, du code du travail, depuis le décret n° 73-1046 du 15 novembre 1973, la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 dite “Aubry II” y a inclus l'exigence que s'y ajoutent les onze heures de repos quotidien. Compte tenu de l'exigence d'effectivité des règles de repos de la directive 2003/88 et de la Charte, dont certaines ont été explicitement reconnues comme d'effet direct - durée maximale hebdomadaire de quarante-huit heures et congés payés annuels par la jurisprudence de la CJUE, la Cour de cassation les a soumises à un régime de preuve dérogatoire, écartant l'application du régime de répartition de la charge de la preuve de l'article L. 3171-4 du code du travail, au profit d'une preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail prévues par le code du travail (Soc, 20 février 2013, n° 1128.811) ainsi que des temps de pause (Soc, 19 mai 2021, n° 19-14.510 ; Soc, 17 octobre 2012, n° 10-17.370) par le seul employeur. 2.3. L'obligation de sécurité de l'employeur invoquée par le moyen résulte de l'article L. 4121-1 du code du travail, aux termes duquel : “L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes”.

Cette obligation comporte deux volets : un volet préventif, imposant à l'employeur de prendre les mesures utiles à prévenir la réalisation du risque, en suivant notamment les principes généraux de prévention énumérés à l'article L. 4121-2 du code du travail13, et un volet réparateur, lorsque celui-ci survient. Article L. 4121-2 du code du travail : “L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 13

1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

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A cet égard, la Cour de cassation considère depuis l'arrêt Air France du 25 novembre 2015 qu'un employeur peut s'exonérer de sa responsabilité s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail précités (Soc, 25 novembre 2015, n° 14-24.444 ; Soc, 1er juin 2016, n° 1419.702). Née dans le contexte de l'affaire de l'amiante14, l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, au départ limitée à des violations de dispositions réglementaires ou légales ainsi qu'au domaine des accidents du travail15 et maladies professionnelles, a été étendue à d'autres obligations en dehors de ces domaines, voire au-delà de l'enceinte de l'entreprise. L'obligation de sécurité a ainsi été développée en matière de durée du travail, notamment par la prise en compte de l'amplitude horaire et l'effectivité du contrôle des durées de travail dans l'appréciation de la responsabilité de l'employeur. Ainsi, en matière de forfait jour, il a été jugé, pour censurer un refus de versement de dommages-intérêts, que “l'employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont il résultait que l'employeur avait manqué à son obligation de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de vérifier si un préjudice en avait résulté” (Soc, 2 mars 2022, n° 20-16.683 ; Soc, 13 avril 2023, n° 21-20.043). Plus récemment, face au manquement d'un employeur dans la mise en place d'un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur imposée par le droit de l'Union européenne, il a été jugé que “(...) ni la faculté ouverte aux salariés de procéder par 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs”. 14

Soc, 28 février 2002, n° 99-17.201.

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Soc, 23 mai 2002, n° 00-14.125.

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eux-mêmes aux déclarations d'heures supplémentaires ni l'ouverture de négociations collectives n'étaient de nature à caractériser que l'employeur avait satisfait à son obligation de contrôle de la durée du travail et d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs en matière de durée du travail” (Soc, 5 juillet 2023, n° 21-24.122 ; Soc, 13 septembre 2023, n° 22-12.398).

3. Si la théorie du préjudice nécessaire a été en principe abandonnée (3.1), elle a toutefois été maintenue dans plusieurs hypothèses de méconnaissance des périodes minimales de repos légales (3.2), qui ne paraissent pas devoir inclure celle des durées conventionnelles plus favorables (3.3) La théorie du préjudice nécessaire, dont le moyen sollicite l'extension au respect du temps conventionnel de repos entre deux services, consiste en une dérogation à l'exigence posée par le droit commun civil16, pour que la responsabilité de l'auteur d'un dommage soit engagée, de démonstration de l'existence d'un préjudice subi par la victime. 3.1. Elle a été développée au début des années 1990 à titre de facilité probatoire pour le salarié en cas violation par l'employeur de certaines prescriptions légales ou conventionnelles importantes causant nécessairement un préjudice au salarié, notamment en cas de non-respect de la procédure de licenciement17, de manquements à certains droits collectifs18 ou individuels19 du salarié, tel qu'en cas de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité (Soc, 9 décembre 2015, n° 14-20.377) ou de non-respect du temps de repos (Soc, 8 octobre 2014, n° 1316.840).

L'article 1231-1 du code civil dispose que : “Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure”. Il est ainsi traditionnellement exigé en droit civil la preuve d'un préjudice contractuel (Com, 9 avril 2002, n° 98-22.851 ; Civ. 1ère, 13 novembre 2002, n° 0100.377 ; Civ. 1ère, 4 février 2003, n° 00-15.572 ; Civ 1ère, 16 mai 2006, n° 03-16.253 ; Com, 22 février 2017, n° 15-18.371). 16

17

Par exemple, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (Soc, 5 janvier 2000, n° 97-45.730), de nonrespect de la procédure de licenciement (Soc, 17 décembre 2013, n° 12-23.726) et de licenciement économique (Soc, 5 mars 2014, n° 12-25.035). 18

Par exemple, en cas d'absence de mise en place d'institutions représentatives du personnel (20 janvier 2015, n° 13-23.431). 19

Par exemple, en cas de modification unilatérale par l'employeur du contrat de travail (Soc, 30 mars 2011, n° 09-68.723), de non-paiement de la rémunération (Soc, 5 novembre 2014, n° 13-17.831), de harcèlement moral (Soc, 6 mai 2014, n° 12-25.253), de défaut d'information du salarié concernant la convention collective applicable (Soc, 4 mars 2015, n° 13-26.312) ou ses droits en matière de droit individuel à la formation (28 janvier 2015, n° 13-21.130), de défaut de délivrance ou de délivrance tardive de documents relatifs à l'assurance chômage (4 février 2015, n° 13-18.168).

10

Souhaitant “rev[enir] à une application plus stricte et plus rigoureuse des principes de la responsabilité civile”20 et à une meilleure cohérence avec les décisions de ses plus hautes formations21, la Cour de cassation a abandonné cette doctrine dans un arrêt de principe de sa chambre sociale du 13 avril 2016, jugeant que “l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond”, de sorte que si “le salarié n'apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué”, il devait être débouté de sa demande en paiement de dommages-intérêts (Soc, 13 avril 2016, n° 14-28.293). 3.2. Compte tenu toutefois de son utilité en cas d'atteinte à certains droits essentiels du salarié et du renforcement par ailleurs de certaines obligations de l'employeur par le droit européen, la théorie du préjudice nécessaire a été maintenue dans plusieurs hypothèses, qui demeurent difficiles à systématiser22. La jurisprudence récente de la chambre sociale révèle ainsi qu'un tel préjudice a été principalement reconnu en cas de violation d'une disposition d'une directive européenne ou d'une convention internationale d'effet direct, en l'absence de dispositions spécifiques de droit interne imposant une indemnisation. Selon un avis éminent et autorisé, il s'agit en effet, en l'absence de sanction spécifique prévue par le législateur interne, de garantir l'effectivité de la norme via la responsabilité civile23, lorsque celle-ci est suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour créer des droits invocables au profit des particuliers24. 20

Cour de cassation, rapport annuel 2016 (p. 248).

21

Considérant que l'existence ou l'absence de préjudice relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, de même que son évaluation (Ch. mixte, 6 septembre 2002, n° 98-14.397 ; Ch. mixte, 6 septembre 2002, n° 9822.981 ; Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640). 22

Voir sur ce sujet les classifications doctrinales exposées dans l'avis sur Soc, 7 juin 2023, n° 21-23.557, § III, 2.1.3. 23

Voir l'éclairante étude du doyen J.-G. Huglo, La Cour de cassation et la réparation en droit du travail, Dr. soc. 2023, p. 286 : “Hormis le cas où, comme il a été dit, le législateur français a prévu une sanction spécifique – ce qui est le cas désormais, comme nous venons de l'exposer, en matière de licenciement, puisque, même si le salarié retrouve immédiatement du travail et ne subit pas de préjudice économique, le barème lui octroie un montant minimal, contesté d'ailleurs par certains employeurs –, en l'absence de toute sanction spécifique, c'est le régime de la responsabilité civile qui assure cette effectivité de la norme. Or, s'il est loisible au législateur français de ne prévoir de sanctions que par le recours à la responsabilité civile, avec l'exigence dès lors d'un préjudice – de la même manière que la violation de nombreuses règles de procédure civile nécessite l'existence d'un grief –, en revanche, lorsqu'est en jeu une obligation européenne ou internationale de sanctionner, l'abandon de l'évaluation du préjudice au pouvoir souverain des juges du fond risque de conduire à l'absence de toute sanction de la violation de la norme européenne ou internationale considérée et à la priver ainsi de toute effectivité. En quelque sorte, c'est l'obligation où se trouve la Cour de cassation de faire respecter nos obligations européennes et internationales qui détermine la reconnaissance d'un préjudice nécessaire lorsqu'une telle obligation de sanctionner existe dans le droit européen ou international”. Voir J.-G. Huglo, op. cit. : “La reconnaissance d'un préjudice nécessaire suppose toutefois que la norme européenne ou internationale en cause soit d'effet direct, non pas quant à la possibilité de lui faire écarter une norme nationale contraire ou d'être appliquée directement en l'absence de toute norme de droit interne puisque, dans les cas précités, les dispositions des directives en cause avaient été parfaitement intégrées en droit français, mais quant à l'exigence que la disposition européenne ou internationale soit suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour que l'on puisse identifier qu'elle crée des droits subjectifs au profit des particuliers dont ils peuvent se prévaloir devant le juge pour demander la réparation du préjudice causé par leur violation”. 24

11

Tel a été en particulier le cas en ce qui concerne le respect des durées de travail, en cas de dépassement de la durée maximale hebdomadaire (Soc, 26 janvier 2022, n° 20-21.636 ; Soc, 14 décembre 2022, n° 21-21.411) et quotidienne (Soc, 11 mai 2023, n° 21-22.281), au visa explicite de l'article 6, sous b), de la directive 2003/88 précité, ainsi que de la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives (Soc, 27 septembre 2023, n° 21-24.782), les dispositions de droit interne applicables participant de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et la directive 2002/15/CE du 11 mars 2002 relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier.

Le même critère paraît avoir présidé à la reconnaissance du préjudice nécessaire en cas d'absence, sans procès-verbal de carence, de toute institution représentative du personnel (Soc, 28 juin 2023, n° 22-11.699 ; Soc, 4 novembre 2020, n° 19-12.775 ; Soc, 8 janvier 2020, n° 18-20.591 ; Soc, 15 mai 2019, n° 1722.224 ; Soc, 17 octobre 2018, n° 17-14.392), ces arrêts visant l'article 8, § 1, de la directive n° 2002/14 du 11 mars 2002 exigeant des mesures appropriées en cas de non-respect de ses dispositions. Il en va de même de la reconnaissance d'un tel préjudice en cas perte injustifiée par le salarié de son emploi (Soc, 13 septembre 2017, n° 16-13.578), qui trouve sa justification implicite dans l'obligation instituée par l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation international du travail (ci-après “OIT”) prévoyant en ce cas le versement d'une réparation adéquate. A l'inverse, le même critère justifierait le refus de reconnaître un préjudice nécessaire en cas d'absence de visite médicale obligatoire 25 (absence d'effet direct de l'article 14 de la directive 89/39 du Conseil, du 12 juin 1989 sur l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail), d'absence d'entretien préalable au licenciement26 (absence d'effet direct de l'article 7 de la Convention n° 158 de l'OIT) ou de mention de la convention collective dans les bulletins de salaire27, dans la mesure où l'article 4, n) de la directive 2019/1152 du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l'Union européenne permet une information progressive du travailleur28. 3.3. Bien que le critère de la norme supranationale d'effet direct présente des limites, notamment pour la protection de certains droits essentiels du salarié ayant d'autres

25

Ce qui vaut pour l'absence de visite d'embauche (Soc, 27 juin 2018, 17-15.438), de visite périodique (Soc, 12 décembre 2018, n° 17-22.697), de reprise (Soc, 17 mai 2016, n° 14-23.138), ou de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat tenant à son obligation de suivre les préconisations du médecin du travail (Soc, 9 décembre 2020, n° 19-13.470). 26

Soc, 13 septembre 2017, n° 16-13.578, précité.

27

Soc, 17 mai 2016, n° 14-21.872.

28

Sur ces interprétations, se reporter à l'étude précitée du doyen J.-G. Huglo.

12

fondements et pouvant justifier la facilité probatoire du préjudice nécessaire 29, la reconnaissance d'un préjudice nécessaire apparaît dans l'ensemble acquise en cas de non-respect des durées maximales hebdomadaire et quotidienne de travail, la Cour de cassation recourant au besoin à une interprétation téléologique au regard de “l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant et le respect effectif des limitations de durées maximales de travail concrétisé par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003”30. Cette approche stricte paraît devoir englober les durées internes à ces maximums légaux, tels que les temps de pause et le temps de repos journalier, lesquelles sont tout aussi nécessaires à préserver la santé et la sécurité du salarié, face au risque d'accident du travail. En effet, les législateurs interne comme européen ont défini des normes minimales jugées indispensables à la sécurité et la santé des travailleurs, traduites par des périodes minimales de repos et de pause adéquates, ainsi qu'un plafond pour la durée de la semaine de travail, dont la violation justifie d'octroyer au salarié la facilité probatoire du préjudice nécessaire.

29

Outre le fait que le critère de la norme supranationale d'effet direct tend à conférer au préjudice nécessaire une vocation essentiellement punitive, alors que la Cour de cassation a manifesté son intention de revenir aux fondamentaux (réparateurs) de la responsabilité civile, les dispositions secondaires de certaines normes d'effets direct, telles que les règlements européens, n'appellent pas nécessairement la reconnaissance d'un préjudice nécessaire, à l'inverse de certains droits essentiels du salarié trouvant leur fondement dans une source constitutionnelle, interne ou européenne non pourvue de l'effet direct horizontal, dans les rapports de celui-ci avec l'employeur (par exemple, certains principes issues de directives européennes, invocables dans le cadre de l'obligation d'interprétation conforme au droit de l'Union du juge national). Par ailleurs, le recours à la référence implicite (à l'article 10 de la convention 158 de l'OIT) en matière de perte injustifiée de son emploi par le salarié (Soc, 13 septembre 2017, n° 16-13.578) ou à l'interprétation téléologique (visa de l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs de la directive 2003/88) en matière de durée maximale de travail du travailleur de nuit (Soc, 27 septembre 2023, n° 21-24.782) confirme les difficultés d'application d'un tel critère, en l'absence de dispositions suffisamment claires, précises et inconditionnelles. Un préjudice nécessaire a ainsi été reconnu, en dehors de ce critère, en cas de constatation d'un nonrespect de la vie privée (Soc, 12 novembre 2020, n° 19-20.583 ; Soc, 7 novembre 2018, n° 17-16.799) ou droit à l'image (Soc, 19 janvier 2022, n° 20-12.420, 20-12.421) du salarié sur le fondement de l'article 9 du code civil, en cas de violation des dispositions d'accord de branche causant un préjudice à l'intérêt collectif de la profession qui fonde l'intérêt à agir d'un syndicat (Soc, 20 janvier 2021, n° 19-16.283), ou encore d'absence de remise au salarié du contrat de sécurisation professionnelle (contrat permettant au salarié visé par un licenciement économique de percevoir une allocation de sécurisation professionnelle équivalant à 75 % du salaire journalier) (Soc, 7 mars 2017, n° 15-23.038). La consécration d'un tel préjudice, pour le moment refusée, pourrait ainsi être envisagée en cas d'inobservation des critères d'ordre des licenciements (Soc, 26 février 2020, n° 17-18.136), de suivi médical du salarié ou de manquement à son obligation de résultat (Soc., 9 décembre 2020, pourvoi n° 19-13.470) ainsi que de harcèlement ou discrimination (Soc, 6 juillet 2022, n° 21-12.073), si nécessaire selon une présomption réfragable. En somme, le critère de délimitation du préjudice nécessaire paraît devoir prendre en compte à la fois un aspect normatif, lié au caractère impératif de la norme, et qualitatif, attaché à la haute valeur de l'intérêt protégé, ce qui pourrait conduire par exemple à s'inspirer de la formulation retenue par la CJUE en matière de droit au congé annuel payé de chaque travailleur prévu par l'article 7 de la directive 2003/88, tenant à un “principe du droit social revêtant une importance particulière auquel il ne saurait être dérogé” (voir l'analyse esquissée dans l'avis sur Soc, 7 juin 2023, n° 21-23.557, § III, 2.3). 30

Soc, 27 septembre 2023, n° 21-24.782, précité, pour la durée hebdomadaire maximale de travail du travailleur de nuit calculée sur une période quelconque de douze semaines.

13

En revanche, tel ne paraît pas devoir être le cas d'éventuelles règles conventionnelles plus favorables qui, dans le cadre ou en sus de ces durées légales, instaureraient pour certains salariés des durées supérieures. Si leur non-respect peut causer un préjudice au salarié, ces durées supplémentaires demeurent variables selon le secteur d'activité et l'accord concernés et ne sauraient être mises sur le même plan que les temps de repos minimaux et durées maximales instaurés par la loi ou la norme européenne pour garantir la santé et la sécurité des salariés, dans un contexte où la Cour de cassation s'est par ailleurs engagée dans la voie d'une réduction du champ du préjudice nécessaire et d'un retour aux fondamentaux de la responsabilité civile. Telle est au demeurant la lecture adoptée de longue date par la CJCE, en présence d'un plafond interne plus favorable que le droit européen : “dans l'hypothèse où le droit national fixe, notamment pour la durée maximale hebdomadaire de travail, un plafond plus favorable aux travailleurs, les seuils ou plafonds pertinents pour vérifier l'observation des règles protectrices prévues par [la] directive [93/104] sont exclusivement ceux énoncés par cette dernière” (CJCE, 1er décembre 2005, Dellas, C-14/04, point 63). En outre, la nécessité pour le salarié, en cas de dépassement, de démontrer l'existence d'un préjudice spécifique ne constituerait pas un obstacle insurmontable à la réparation : si l'employeur refuse de lui accorder la partie de ce temps de repos excédant le minimum légal, il devra établir la consistance de son préjudice et pourra le cas échéant bénéficier de l'action d'un syndicat s'il s'agit d'une violation généralisée de l'accord causant un préjudice à l'intérêt collectif de la profession, cas bénéficiant encore d'un préjudice nécessaire31 ; s'il s'agit d'un refus individuel de respecter l'intégralité du temps de repos, il suffira au salarié d'invoquer le non-respect des durées minimales légales comprises dans la durée conventionnelle plus favorable pour bénéficier d'une réparation automatique.

4. La cour d'appel a en l'espèce exactement jugé que le salarié ne justifiait pas d'un préjudice spécifique lié au non-respect de la durée conventionnelle de douze heures de repos entre deux services, supérieure aux minimums légaux La violation de l'obligation de sécurité pour laquelle le salarié sollicite la reconnaissance d'un préjudice nécessaire se fonde sur un manquement de l'employeur au temps de repos de douze heures entre deux services prévu par l'article 2 de l'accord du 18 mai 1993 précité, et non sur la violation des périodes minimales de repos prévues par le droit interne ou européen.

Il est donc douteux que ce temps supplémentaire puisse être en soi considéré comme relevant de l'obligation de sécurité de l'employeur au sens de l'article L. 4121-1 du code du travail, laquelle n'implique pas de surcroît la reconnaissance d'un

31

Une violation des dispositions d'accord de branche cause nécessairement un préjudice à l'intérêt collectif de la profession qui fonde l'intérêt à agir d'un syndicat (Soc, 20 janvier 2021, n° 19-16.283).

14

préjudice nécessaire32. Il a été exposé qu'en toute hypothèse, le non-respect de cette durée conventionnelle inter-services de douze heures n'impliquait pas la violation automatique du temps de repos quotidien légal de onze heures (article L. 3131-1 du code du travail) ou de l'amplitude journalière de travail maximum de treize heures, pas plus que de la coupure hebdomadaire obligatoire de vingtquatre heures (article L. 3132-2 du même code), laquelle couvre nécessairement cette césure33. Il appartenait par conséquent au salarié, qui ne se prévalait d'aucune violation des périodes minimales de repos protégées par la loi interne ou le droit européen, de justifier pour être indemnisé d'un préjudice spécifique attaché au non-respect de la durée conventionnelle de douze heures entre deux services, comme l'a exactement relevé la cour d'appel (arrêt attaqué, p. 6)34. Il ne peut dès lors en résulter, contrairement à ce que soutient le quatrième moyen du pourvoi du salarié (n° C2122994), une violation des articles L. 1221-1 et L 4121-1 du code du travail, ce moyen devant ainsi être rejeté. Le pourvoi de l'employeur (n° B2122809) et les trois premières branches du pourvoi du salarié (n° C2122994) devant faire l'objet d'un rejet non spécialement motivé, il conviendra donc de les rejeter en leur entier.

PROPOSITION Rejet

32

Pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, tenant à l'obligation de suivre les préconisations du médecin du travail, imposant au salarié, pour être indemnisé, de caractériser l'existence d'un préjudice dont il aurait personnellement souffert : Soc, 9 décembre 2020, n° 19-13.470. 33

Voir supra, §1.

“Si l'employeur n'a pas respecté les temps de repos entre deux périodes de travail, [le salarié] ne justifie d'aucun préjudice spécifique. 34

La demande d'indemnité pour manquement à l'obligation de sécurité doit être rejetée”.

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