Cass. soc., Conclusions, 01-06-2023, n° 22-13.303
A83722RI
Référence
AVIS DE Mme BERRIAT, PREMIÈRE AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 648 du 1er juin 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 22-13.303 Décision attaquée : 13 janvier 2022 de la cour d'appel de Paris la fédération des syndicats de travailleurs du rail solidaires unitaires démocratiques C/ la société SNCF gares et connexions _________________
Les négociations engagées en 2018 par le groupe SNCF pour déterminer le nombre et le périmètre de ses établissements distincts ayant échoué, l'employeur a défini ses 33 établissements par une décision unilatérale, contestée en vain auprès du DIRECCTE, puis devant le tribunal d'instance et la Cour de cassation 1. A cette occasion, selon les chiffres fournis par l'auteur du pourvoi, le nombre d'élus représentant les 150 000 salariés du groupe SNCF serait passé de plus de 3000 à moins de 800 2. Pour consigner les points sur lesquels elles étaient néanmoins parvenues à un consensus, la direction du groupe SNCF et les organisations syndicales ont conclu le 8 février 2019 un « accord technique ». Celui-ci prévoit notamment qu' « il appartient (...) aux négociations engagées au niveau de chaque comité social et économique de définir les modalités de fonctionnement de l'instance et l'organisation de la représentation locale »3. 1
Soc n° 18-23.655 P du 19 décembre 2018.
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Page 5 des conclusions d'appelant pour la fédération SUD Rail.
Accord relatif à l'application de certaines règles techniques résultant de la mise en place des comités sociaux et économiques au sein du groupe public ferroviaire. 3
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Par la suite dix accords, dont deux conclus au niveau de l'entreprise et huit à celui des établissements, ont institué des représentants de proximité. C'est ainsi que dans l'un des établissements de l'EPIC SNCF Mobilités, SNCF Gares & Connexions, un accord signé le 25 janvier 2019 relatif à la mise en place du comité social et économique a prévu que des représentants de proximité seraient désignés « au niveau des établissements de production composant SNCF Gares & Connexions » à raison de 25 représentants pour un effectif arrêté au 30 septembre 2018 de 2991, 18 ETP. Cet accord définit la répartition des mandats, les attributions, le « fonctionnement » et la perte de fonction des représentants de proximité4. Le règlement intérieur du comité social et économique reprend les dispositions de l'accord. Après avoir demandé au TGI de Bobigny puis à la cour d'appel de Paris de juger illicite le chapitre 4 de l'accord du 25 janvier 2019 ainsi que l'article 7.3.4.3. du règlement intérieur du comité social et économique et d'annuler la désignation des représentants de proximité de SNCF Gares & Connexions, la fédération SUD Rail a formé un pourvoi contre l'arrêt qui l'avait déboutée de ces demandes. Elle présente deux moyens dont seul le premier sera discuté, le second n'étant pas de nature à entraîner la cassation.
Discussion Selon ce moyen, la loi prévoit que seul l'accord d'entreprise déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts peut mettre en place des représentants de proximité. En refusant de juger illicite l'accord d'établissement, la cour d'appel aurait violé les articles L. 2313-7, L. 2313-2 et L. 2232-12 du code du travail ainsi que le principe de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail. L'ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017 avait principalement pour objet de fusionner les instances de représentation du personnel. L'objectif énoncé par le rapport au Président de la République était d'instituer « un dialogue social simplifié et opérationnel : La fusion des trois instances d'information et de consultation en une seule, le comité social et économique (CSE), pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés, permettra un dialogue social à la fois plus stratégique et plus concret, moins formel. Le comité social et économique (...) exercera l'ensemble des compétences du délégué du personnel (DP), du comité d'entreprise (CE) et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ». Comme l'indique Madame le rapporteur, la possibilité pour les partenaires sociaux de conclure un accord pour mettre en place des représentants de proximité n'a été intégrée dans le projet d'ordonnance qu'au tout dernier moment. En atteste l'absence de mention de ces représentants dans la loi d'habilitation du 15 septembre 2017 comme dans le rapport au Président de la République de l'ordonnance 2017-1386. Par la suite, l'instauration de représentants de proximité n'a pas donné lieu à de longs développements lors de l'examen du projet de loi de ratification des ordonnances du 22 septembre 2022. Le rapporteur au nom de la commission des affaires sociales du Sénat a simplement rappelé que « seul l'accord d'entreprise procédant à la détermination des établissements distincts » pouvait décider de la mise en place de 4
Articles 1 à 5 du chapitre 4 de l'accord.
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représentants de proximité. Dans ces conditions, il est bien difficile de connaître l'intention du législateur et de juger s'il entendait autoriser une utilisation souple de ce nouveau dispositif. L'ordonnance 2017-1386 a inséré dans le code du travail un article L. 2313-7 qui dispose que « L'accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 peut mettre en place des représentants de proximité ». Cet article dresse la liste des thèmes que l'accord doit définir, tels que le nombre des représentants de proximité, leurs attributions, leurs modalités de désignation et de fonctionnement. Les représentants de proximité « sont membres du comité social et économique ou désignés par lui ». Les articles L. 2411-8 et L. 2411-9 permettent aux candidats, représentants et anciens représentants de proximité de bénéficier de la protection contre le licenciement prévue pour les salariés investis d'un mandat de représentation. Conformément à la logique de l'ordonnance, qui confie aux négociateurs d'entreprise une grande latitude dans la façon de structurer les instances représentatives, la loi ne prévoit aucun régime supplétif sauf pour la fin de leur mandat qui, à défaut d'être fixée par l'accord, est alignée sur celle du mandat des membres du comité social et économique. _____________ La rédaction de l'article L. 2313-7 est claire : elle ne vise pas un accord d'entreprise mais « l'accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 (...) ». Il en résulte que les dispositions de l'article L. 2232-11 dont le second alinéa dispose que « Sauf disposition contraire, les termes “ convention d'entreprise ” désignent toute convention ou accord conclu soit au niveau du groupe, soit au niveau de l'entreprise, soit au niveau de l'établissement » ne sont pas applicables et qu'on ne peut, sur ce fondement, substituer un accord d'établissement à l'accord d'entreprise. De même, peu importe que de nombreuses dispositions du code du travail renvoient indifféremment à un accord d'entreprise ou d'établissement5. Au contraire, l'article L. 2313-7 spécifie qu'il s'agit de « l'accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 (...) » en le désignant par un article défini. Or un article défini « s'emploie devant le nom pour indiquer qu'il s'agit d'un être ou d'une chose connus du locuteur et de l'interlocuteur6 ». Il ne renvoie qu'à cet être ou cette chose déjà connue. En l'espèce, l'accord mentionné à l'article L. 2313-7 ne peut être que celui de l'article L. 2313-2, sans qu'il soit nécessaire pour cela d'écrire que « seul l'accord défini à l'article L. 2313-2 peut mettre en place des représentants de proximité ». Cet accord est donc nécessairement un accord d'entreprise. Non seulement parce que l'article L. 2313-2 mentionne un tel accord, mais aussi parce qu'étant celui qui définit les établissements distincts, il se situe nécessairement à un niveau supérieur à celui de l'établissement. Il en résulte que l'accord instituant les représentants de proximité ne peut pas être conclu entre la direction d'un établissement et les organisations syndicales représentatives à ce niveau. 5
Voir les articles, L.2232-10, L.2232-12, L. 2232-14, L. 2232-16, L. 2232623-1, L. 2232-16, L. 2232-29-1. 6
Le bon usage, Maurice Grévisse § 579.
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Enfin si, comme le prétendent les mémoires en défense, le législateur avait eu pour seul objectif d'imposer la conclusion d'un accord majoritaire, il lui aurait suffi de renvoyer directement à l'article L. 2232-12 définissant cette majorité. Dès lors, les partenaires sociaux disposent toujours de la liberté d'instituer des représentants au niveau de l'établissement, mais ceux-ci ne peuvent bénéficier de la protection contre le licenciement prévue par les articles L. 2411-8 et L. 2411-9 au titre des fonctions de représentant de proximité. C'est aussi la position de la direction générale du travail, comme l'indiquent son courrier du 27 février 2023 en réponse à la demande d'avis du parquet général et le document « 117 Questions - Réponses sur le CSE » du 16 janvier 2020. En définitive, la création des représentants de proximité n'est qu'un ajout tardif à la réforme des institutions de représentation du personnel, qui offre aux partenaires sociaux la possibilité de les rapprocher des salariés. Elle constitue une concession limitée qui ne remet pas en cause le principe de la fusion des instances représentatives et ne compense pas la suppression des délégués du personnel. Le dispositif demeure à ce jour peu utilisé, comme l'indique France Stratégie dont les estimations font ressortir que seuls 25% des 8616 accords de mise en place des comités sociaux et économiques ont institué des représentants de proximité7. Enfin selon la direction générale du travail qui se fonde sur l'exploitation de sa base « @ccord », sur 266 accords ou avenants instituant des représentants de proximité, seuls 41 ont été conclus au niveau des établissements, dont 13 à la SNCF. La pratique de la négociation au niveau des établissements est donc rare. La mise en place des représentants de proximité repose, en tout état de cause, sur la qualité des relations sociales dans l'entreprise. Mais l'interprétation littérale de l'article L. 2313-7 pourrait faire obstacle à la mise en place des représentants de proximité dans les entreprises ne comprenant qu'un établissement ou dans lesquelles, en l'absence d'accord, une décision unilatérale de l'employeur a déterminé le nombre et le périmètre des établissements distincts.
Avis de cassation sur le premier moyen.
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France Stratégie « Evaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 relatives au dialogue social et aux relations de travail décembre 2021www.strategie.gouv.fr.
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