Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 07-06-2023, n° 21-22.445

Cass. soc., Conclusions, 07-06-2023, n° 21-22.445

A83682RD

Référence

Cass. soc., Conclusions, 07-06-2023, n° 21-22.445. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408941-cass-soc-conclusions-07062023-n-2122445
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AVIS DE M. HALEM, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 674 du 7 juin 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-22.445 Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 02 juillet 2021

la société Dekra Automotive Solutions France C/ M. [D] [R] _________________

Engagé en qualité d'enquêteur mystère par la société Dekra Automotive Solutions France (ciaprès l'“employeur”) suivant contrats à durée déterminée entre 2008 et 2014, M. [R] (ci-après “le salarié”) a saisi la juridiction prud'homale le 26 juin 2017 de demandes liées notamment aux heures supplémentaires, de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et d'indemnité pour travail dissimulé. Par jugement du 17 décembre 2018, le conseil de prud'hommes de Marseille a rejeté toutes ses demandes. Par arrêt du 2 juillet 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé le jugement et condamné l'employeur à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail, d'indemnité de travail dissimulé et de remboursement de frais professionnels. L'employeur a formé un pourvoi en cassation le 14 septembre 2021.

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DISCUSSION Le pourvoi développe trois moyens de cassation. 1) (i) Le lieu d'hébergement dans lequel un salarié se repose et peut vaquer librement à des occupations personnelles sans se tenir à la disposition de l'employeur ne constitue pas un lieu de travail ; en conséquence, le trajet effectué par un salarié de ce lieu d'hébergement à son lieu de travail, et inversement, constitue un simple temps de déplacement professionnel non assimilé à un temps de travail effectif ; dès lors que l'employeur contestait la qualification de lieux de travail aux hôtels où le salarié se rendait pour y dormir et que les trajets effectués en semaine par celui-ci comprenaient principalement des déplacements hôtels-lieu de travail, la cour d'appel ne pouvait lui accorder un rappel d'heures supplémentaires au motif que les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile devaient être assimilés à du temps de travail effectif, sans vérifier si les trajets vers l'hôtel pour y dormir et y repartir constituaient de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif ; en statuant comme elle l'a fait, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail. (ii) Un salarié ne peut prétendre à un rappel de salaire à titre d'heures supplémentaires pour des temps de déplacement qu'à la condition qu'ils constituent du temps de travail effectif pendant lequel il est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; dès lors qu'une seule visite de concession était effectuée par jour, que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur et disposait d'une certaine liberté dans l'organisation de son temps de travail sans certitude que l'organisation des visites de concessions s'établissait à partir d'un planning impératif et sur un quota de concessions par semaine, la cour d'appel ne pouvait assimiler à du temps de travail effectif les trajets effectués entre deux lieux de travail successifs dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, sans caractériser que pendant ses heures de déplacement en semaine, en particulier pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir et y repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l'employeur et dans l'impossibilité de pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; en statuant comme elle l'a fait, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1, L. 3121-4 et L. 3171-4 du code du travail. 2) (i) La cour d'appel ne pouvait accorder au salarié des dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail au titre de l'absence de mise en œuvre de compensations pour les temps de trajets domicile-travail et du préjudice en résultant pour la rémunération du salarié, alors que celui-ci ne sollicitait que des dommages et intérêts pour travail hors contrat, dépassement de façon récurrente des durées légales de travail, et travail les dimanches et jours fériés ; en statuant comme elle l'a fait, elle a excédé ses pouvoirs et violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile. (ii) les temps de déplacement non assimilés à du temps de travail effectif n'entrent pas dans le décompte des durées légales du travail ; la cour d'appel ne pouvait faire droit à la demande de dommages et intérêts du salarié pour dépassement récurrent des durées légales de travail, au seul prétexte que l'employeur n'en produisait pas de justification suffisante, alors qu'elle retenait que les temps de trajet domicile-travail ne devaient pas être pris en compte pour le seuil de déclenchement des heures supplémentaires car ils ne constituaient pas un temps de travail effectif ; il était dès lors démontré par l'employeur que ces temps de trajet devaient également être exclus du décompte des durées légales du travail et il appartenait à la cour d'appel de vérifier si le décompte du temps de travail effectué par le salarié faisait encore apparaître, après déduction de ces temps de déplacement, des dépassements des durées légales du travail et s'ils étaient récurrents ; en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas satisfait à son office et méconnu les articles L. 3121-1 et suivants du code du travail.

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3) Ni la connaissance par l'employeur de la réalisation par le salarié de déplacements quotidiens, ni l'absence de mise en place d'un dispositif de contrôle de la durée du travail, ni la réclamation du paiement de ces temps de déplacement ne sont de nature à établir le caractère intentionnel attaché au travail dissimulé ; la cour d'appel ne pouvait déduire ce caractère de motifs impropres attachés à l'absence de moyens de contrôle du temps de travail et à la connaissance par l'employeur des trajets quotidiens hors domicile-travail du salarié pour lesquels il avait été interpellé, alors qu'elle constatait que l'employeur le rémunérait déjà pour des temps de trajet, que le salarié disposait d'une certaine liberté dans l'organisation de son travail et que son interpellation n'était pas fondée sur des temps de déplacement domiciletravail, en restant taisante sur ses temps de missions en concessions qui entraient dans le décompte de son temps de travail effectif ; en statuant comme elle l'a fait, la cour a violé les articles L. 3171-4 et L. 8221-5, 2° du code du travail. S'agissant du premier moyen, l'employeur expose que les trajets effectués par un salarié entre son lieu de domicile ou d'hébergement et son lieu de travail ne constituent un temps de travail effectif que s'il est à la disposition de l'employeur ou doit se conformer à ses directives. Or la cour d'appel a examiné les seuls trajets entre concessions sans rechercher si les trajets entre ces dernières et l'hôtel constituaient de simples déplacements ne répondant pas aux critères du temps de travail effectif. Le salarié réplique que l'ensemble des temps consacrés par le salarié à sa mission, notamment pour se rendre à son lieu d'hébergement, constitue un temps de travail effectif. En relevant la longue distance entre deux lieux de travail, qui rendait impossible le retour au domicile et imposait au salarié de se rendre à l'hôtel, la cour d'appel a caractérisé que ce dernier constituait un lieu contraint participant de l'organisation du travail mise en place par l'employeur, ne pouvant être détaché de l'activité professionnelle du salarié. Ce moyen pose donc la question suivante : les trajets effectués par le salarié, dans le cadre d'un déplacement prolongé sans retour au domicile, entre un lieu d'hébergement et son lieu de travail constituent-t-ils du temps de travail effectif? Le second moyen, de portée essentiellement procédurale, ne soulève pas de question de principe nouvelle. Le troisième, qui ne justifie pas d'analyse dédiée, pourra faire l'objet d'un rejet non spécialement motivé tel que proposé au rapport. Seront donc successivement abordés les moyens relatifs au paiement des heures supplémentaires (I - moyen 1) et à l'exécution fautive du contrat de travail (II - moyen 2)

I - Sur le paiement des heures supplémentaires (moyen 1) Le temps de travail effectif, défini par l'état de disposition et la soumission du salarié aux directives de l'employeur (1), englobe le temps de déplacement depuis le lieu d'hébergement vers différents lieux de mission successifs s'il répond aux critères de celui-ci (2), comme l'a exactement caractérisé la cour d'appel en l'espèce (3).

1. Le temps de travail effectif constitue un temps pendant lequel le salarié est à la disposition et soumis aux ordres de l'employeur, sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. Issue à l'origine de l'article 8 du décret du 12 novembre 1938, destiné à accroître la production industrielle par une augmentation de fait de la durée du travail sans remettre en cause la loi du 21 juin 1936 sur la semaine de 40 heures, la notion de travail effectif a d'abord été définie de manière restrictive par l'ancien article L. 212-4 du code du travail, comme le “travail effectif à

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l'exclusion du temps nécessaire à l'habillage et au casse-croûte ainsi que des périodes d'inaction dans les industries et commerces déterminés par décret”, bien que “Ces temps [puissent] toutefois être rémunérés conformément aux usages et aux conventions collectives”1, conception au départ assez largement suivie en jurisprudence2. La directive 93/104/CE du 23 novembre 1993 a au contraire, en son article 2, paragraphe 1, retenu une définition large du temps de travail, comme étant “toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l'employeur et dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et /ou pratiques nationales”, ensuite reprise à l'identique par l'article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003. Il peut être relevé que selon une classification duale, le même texte définit le repos comme “toute période qui n'est pas du temps de travail” (article 2, paragraphe 2), notions exclusives l'une de l'autre (CJUE, 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main, C-580/19, points 29 et 30 ; CJUE, 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, points 28 et 29 ; CJUE, 21 février 2018, Matzak C-518/15, point 55 ; CJCE, 3 octobre 2000, Simap, C-303/98, point 47), d'où une difficulté à réglementer les situations intermédiaires de temps à disposition ou de déplacements contraints. Néanmoins, la Cour de justice de l'Union européenne tend à qualifier une situation de temps de travail dès lors que le salarié est sur le lieu de travail et à la disposition de l'employeur, le critère relatif à l'exercice de l'activité découlant des deux premiers. Il en va ainsi du temps de garde d'un médecin dans l'hôpital, même s'il est autorisé à se reposer pendant les périodes où ses services ne sont pas sollicités (CJCE, 3 octobre 2000, Simap, C-303/98, dispositif, point 3 ; CJCE, 9 septembre 2003, Jaeger, C-151/02, dispositif, point 1). Toutefois, si le salarié doit être accessible en permanence, sans être tenu à une présence physique dans l'établissement, seul le temps lié à la prestation effective de services doit être considéré comme temps de travail (CJCE, 3 octobre 2000, C-303/98, Simap, précité, point 50 ; voir, pour une obligation de résider à huit minutes du lieu d'intervention : CJUE, 21 février 2018, Matzak, C-518/15, point 12). Sur la base du premier texte, la Cour de cassation avait retenu que la notion recouvrait tout temps pendant lequel le salarié était à la disposition permanente de l'employeur en vue d'une éventuelle intervention sans pouvoir, de ce fait, vaquer librement à ses occupations personnelles (Soc, 31 mars 1993, n° 89-40.865 ; Soc, 28 octobre 1997, n° 94-42.054 ; Soc, 9 mars 1999, n° 96-45.590 ; Soc, 6 avril 1999, n° 97-40.058).

La loi n° 98-461 du 14 juin 1998 dite “Aubry I” a repris et traduit cette définition par la formulation figurant à l'actuel article L. 3121-1 du code du travail, qui définit le temps de travail effectif comme “(...) le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles”, le législateur étant intervenu pour préciser le régime d'autres aspects du temps de travail, en particulier les temps de restauration et de pause3, ainsi que d'habillage4. En application de ce texte, la chambre sociale de la Cour de cassation a caractérisé le travail effectif sur la base d'un triple critère tenant au fait que le salarié : 1 Ancien article L. 212-4 du code du travail, dans sa version issue du décret n° 73-1046 du 15 novembre 1973. 2 Voir : Soc, 9 janvier 1980, n° 78-41.290 (le temps de douche des ouvriers peut ne plus être considéré comme

du temps de travail effectif) ; Soc, 1er février 1989, n° 86-15.766 (pour la vérification du respect de l'assiette minimale des cotisations de sécurité sociale, la rémunération à comparer au SMIC doit être calculée sur la base du nombre d'heures de travail effectif à l'exclusion des temps de pause). 3 Article L. 3121-2 du code du travail, assimilés au temps de travail effectif lorsque les critères de celui-ci sont

réunis. 4 Article L. 3121-3 du code du travail, soumis à des contreparties en termes de repos ou financières.

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- est à la disposition permanente de l'employeur, ce qui permet de prendre en compte les temps contraints de présence dans l'entreprise, tels que les heures de permanence effectuées dans les locaux de l'entreprise (Soc, 26 mars 2008, n° 06-45.469), y compris si le salarié disposait d'une liberté de mouvement (Soc, 5 mai 2010, n° 08-44.895 - cocktails dînatoires), voire les heures effectuées à l'extérieur de l'entreprise, s'agissant par exemple du temps de gardiennage (Soc, 6 février 2001, n° 98-44.875) ou de permanence (Soc, 2 juin 2004, n° 0242.618) dans un logement de fonction ; - se conforme aux directives de l'employeur, y compris pour le travail effectué avec l'accord au moins implicite de l'employeur (Soc, 31 mars 1998, n° 96-41.878 ; Soc, 2 juin 2010, n° 0840.628) ou lorsque la charge de travail confiée au salarié ne peut pas être effectuée dans le cadre de l'horaire normal (Soc, 12 septembre 2018, n° 17-15.924 ; Soc, 14 novembre 2018, n° 17-16.959) ; et - est dans l'impossibilité de vaquer à ses occupations personnelles, cette troisième condition étant décisive pour caractériser le temps de travail effectif (Soc, 10 février 2016, n° 14-14.213 ; Soc, 19 mai 2016, n° 14-26.556 ; Soc, 8 septembre 2016, n° 14-23.714 ; Soc, 9 mai 2019, n° 17-20.740).

2. Le temps de déplacement, dans le cadre d'un déplacement prolongé sans retour au domicile, depuis le lieu d'hébergement vers différents lieux de mission successifs constitue du temps de travail effectif s'il répond aux critères de celui-ci.

2.1. Remettant en cause une jurisprudence assimilant le temps de déplacement domicile-travail anormal au temps de travail effectif5, la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 a défini le temps de déplacement professionnel6, selon une formulation aujourd'hui reprise à l'article L. 3121-4 du code du travail, de la manière suivante : “Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire”7. En application de ce texte, le temps de déplacement domicile-travail n'est pas considéré comme du temps de travail effectif, le salarié n'étant pas à la disposition de son employeur 5 Soc, 5 mai 2004, n° 01-43.918 ; Soc, 5 novembre 2003, n° 01-43.109. Pour une application distributive de la

nouvelle loi, selon que les temps ont eu lieu avant ou après son entrée en vigueur, voir : Soc, 15 mai 2013, n° 11-28.749. 6 Voir l'ancien article L. 212-4, alinéa 4, du code du travail : “Le temps de déplacement professionnel pour se

rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il doit faire l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière, déterminée par convention ou accord collectif ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'ils existent. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail ne doit pas entraîner de perte de salaire”, dans sa formulation issue de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005. La seule différence avec la version du même article L. 3121-4 du code du travail, telle qu'issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, porte sur la détermination de cette contrepartie, qui s'effectue selon la deuxième phrase du second alinéa de ce texte, “par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe”. 7

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pendant ces périodes (Soc, 14 novembre 2012, n° 11-18.571 ; Soc, 24 septembre 2014, n° 1229.209), sauf (i) si ce temps de déplacement se situe dans une période d'astreinte (Soc, 10 mars 2004, n° 01-46.367 ; Soc, 31 octobre 2007, n° 06-43.834 et 06-43.835 ; Soc, 9 février 2022, n° 20-15.085), en ce compris le temps de retour au domicile avec le véhicule professionnel (Soc, 14 décembre 2016, n° 15-19.723), ou (ii) s'il s'agit de trajets, autorisés par l'employeur, vers les différents lieux de prise de poste, au moyen d'un véhicule de service (Soc, 3 juin 2020, n° 18-16.920 ; Soc, 12 janvier 2016, n° 13-26.318 ; Soc, 24 septembre 2014, n° 12-28.459). En revanche, les déplacements depuis l'entreprise vers l'extérieur pour les besoins de l'activité et en étant à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer à ses obligations personnelles tendent à être assimilés à un travail effectif. D'une part, le temps de déplacement entre l'entreprise et le chantier ou le lieu d'intervention est assimilé à du temps de travail effectif dès lors que le salarié a l'obligation de se rendre dans l'entreprise avant de rejoindre son lieu de travail (Soc, 31 mars 1993, n° 8940.865 ; Soc, 16 janvier 1996, n° 92-42.354 ; Soc, 12 juillet 1999, n° 97-42.789 ; Soc, 27 février 2002, n° 00-40.618 ; Soc, 13 mars 2002, n° 99-42.998; Soc, 16 juin 2004, n° 02-43.685), y compris avec un véhicule de l'entreprise (Soc, 12 janvier 2005, n° 02-47.505). D'autre part, il en va de même du temps de trajet entre deux lieux de travail (Soc, 12 janvier 2005, n° 02-47.505 ; Soc, 16 juin 2004, n° 02-43.685 ; Soc, 5 mai 2004, n° 01-43.918). Dès lors que l'intéressé ne se soustrait pas à l'autorité du chef d'entreprise, la durée de ces trajets, même entrecoupés d'interruptions à objet privatif, constitue du temps de travail effectif (Crim, 2 septembre 2014, n° 13-80.6658). En cas de litige, il appartient au juge de vérifier les conditions dans lesquelles le salarié a été amené à effectuer ses déplacements professionnels (Soc, 26 mai 2016, n° 14-30.098). 2.2. S'agissant des déplacements vers des lieux d'exécution du travail autre que le lieu habituel, la Cour de cassation a été conduite à assouplir les conditions de mise en œuvre de l'article L. 3121-4 du code du travail sous l'influence du droit européen, centré sur l'intensité des sujétions imposées au salarié que le juge doit concrètement examiner. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne considère que le temps de travail au sens de la directive 2003/88 précitée est une “notion (...) de droit communautaire qu'il convient de définir selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité de ladite directive, (...) [et que [s]eule une telle interprétation autonome est de nature à assurer à cette directive sa pleine efficacité ainsi qu'une application uniforme desdites notions dans l'ensemble des États membres” (CJCE, 9 septembre 2003, Jaeger, C-151/02, point 58 ; CJUE, 21 février 2018, Matzak, C-518-15, point 47 ; CJCE, 3 octobre 2000, Simap, C-303/98, points 48 et 50). En d'autres termes, elle s'impose aux Etats membres qui ne peuvent maintenir ou adopter une définition moins restrictive (CJUE, 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main, C-580/19, points 31 et 32 ; CJUE, 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, points 30 et 31). Précisant la définition du temps de travail au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE, qui ne distingue pas de situation intermédiaire entre travail et repos, la même Cour n'y inclut les périodes de garde sous régime d'astreinte “que s'il découle d'une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment des conséquences d'un tel délai et, le cas échéant, de la fréquence moyenne d'intervention au cours de cette période, que les contraintes imposées à ce travailleur pendant ladite période sont d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté pour ce dernier de gérer librement, au cours de la même période, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts” (CJUE, 9 mars 2021, Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, dispositif ; CJUE, 9 mars 2021, Stadt Offenbach am Main, C-580/19, 8 Cas dans lequel les salariés pouvaient faire leurs courses, lire, passer des communications téléphoniques à

leurs proches ou rentrer chez eux, s'ils disposaient de temps suffisant.

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dispositif ; CJUE, 9 septembre 2021, Dopravní podnik hl. m. Prahy, C-107/19, dispositif ; CJUE, 11 novembre 2021, Dublin City Council, C-214/20, dispositif ; dans le même sens : CJUE, 21 février 2018, Matzak C-518/15, dispositif, point 4). Dans une décision récente, la Cour de cassation a repris cette grille d'analyse, dont elle déduit la nécessité d'une analyse approfondie par le juge du fond de l'intensité des contraintes pesant sur le salarié. En effet, “Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, alors que le salarié invoquait le court délai d'intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l'appel de l'usager, a écarté la demande en requalification d'une période d'astreinte en temps de travail effectif, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours de cette période, à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles” (Soc, 26 octobre 2022, n° 21-14.178), cette liberté étant le critère essentiel9. La même évolution vers la prise en compte de la situation concrète des travailleurs a été opérée dans le cas particulier des salariés itinérants, la Cour de justice de l'Union européenne ayant considéré que “(...) pour qu'un travailleur puisse être considéré comme étant à la disposition de son employeur, ce travailleur doit être placé dans une situation dans laquelle il est obligé, juridiquement, d'obéir aux instructions de son employeur et d'exercer son activité pour celui-ci” et que “Pendant [leurs] déplacements, les travailleurs sont soumis auxdites instructions de leur employeur qui peut changer l'ordre des clients ou annuler ou ajouter un rendez-vous”, de sorte que “(...) pendant la durée nécessaire de déplacement, laquelle est le plus souvent incompressible, lesdits travailleurs n'ont pas la possibilité de disposer librement de leur temps et de se consacrer à leurs propres intérêts, de telle sorte que, partant, ils sont à la disposition de leurs employeurs” (CJUE, 10 septembre 2015, CCOO c. Tyco, C-266/14, points 36 et 39). Après avoir proposé dans son rapport annuel 2015 une modification de l'article L. 3121-4 du code du travail pour le mettre en conformité avec le droit européen10, la Cour de cassation a d'abord considéré, sur la base du règlement n° 561/2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, que les trajets effectués par un conducteur routier vers le lieu de prise en charge d'un véhicule ou en revenir, distincts du lieu de résidence du conducteur, de rattachement de l'entreprise et au moyen d'un véhicule de service, constituent du temps de travail effectif (Soc, 12 janvier 2016, n° 13-26.318). Conformément à l'arrêt “Tyco” de la Cour de justice de l'Union européenne précité, la Cour de cassation a ensuite considéré11, au vu des sujétions effectivement subies par le salarié dans

Dans sa notice au rapport relative à l'arrêt du 26 octobre 2022 précité, qui paraît transposable aux déplacements internes à l'entreprise, la Cour de cassation explique que “La qualification d'astreinte, qui exclut celle de temps de travail effectif, implique de procéder à une analyse qualitative des conditions concrètes de l'exercice des permanences pour s'assurer que, entre deux interventions, le salarié peut effectivement vaquer à des occupations personnelles”. 9

10 Voir rapport annuel 2015 : “La rédaction du premier alinéa de l'article L. 3121-4 du code du travail semble

faire obstacle à une interprétation de ce texte en conformité avec le droit de l'Union européenne. Afin d'éviter une action en manquement contre la France et des actions en responsabilité contre l'État du fait d'un défaut de mise en œuvre de la directive du 4 novembre 2003 précitée, il est proposé de modifier ce texte de droit interne” (p. 71). 11 Dans un arrêt du 30 mai 2018, la chambre sociale avait considéré que la directive 2003/88 ne trouve pas à

s'appliquer à la rémunération des travailleurs et que leur mode de rémunération, lorsqu'ils n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites des premier et dernier clients relève des dispositions pertinentes du droit national, ce qui conduisait à ne pas considérer ce temps de déplacement, en application de l'article L. 3121-4 du code du travail, comme du temps de travail effectif (Soc, 30 mai 2018, n° 16-20.634).

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l'exercice de sa fonction, que “lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code” (Soc, 23 novembre 2022, n° 20-21.924). 2.3. En conclusion, la notion de temps de travail effectif a connu un mouvement de balancier entre une finalité d'abord tournée vers la protection de catégories de salariés fragiles (mineurs, enfants), puis le développement de la production industrielle à durée constante après l'adoption de la semaine de 40 heures par la loi du 21 juin 1936 et enfin la préservation de la sécurité et de la santé des travailleurs, sous l'influence de la jurisprudence de la Cour de cassation et du droit européen. Le développement de nouvelles formes d'organisation du travail, favorisées par la mobilité du lieu de rattachement de l'emploi, du domicile du salarié et l'itinérance, a engendré des situations intermédiaires de sujétion, dans lesquelles le salarié se trouve de facto soumis à un lien de subordination à l'égard de son employeur ou ne peut à tout le moins librement vaquer à ses occupations personnelles.

Celles-ci ont contraint la jurisprudence européenne puis nationale à faire prévaloir les critères fondamentaux du temps de travail effectif de l'article L. 3121-1 du code du travail, dont l'état de disposition à l'égard de l'employeur et le travail commandé sont devenus des éléments déterminants, ce quelles que soient les conditions matérielles d'exercice de l'activité, sur la définition étroite du trajet professionnel retenue par l'article L. 3121-4 du même code. Tel est en particulier le cas pour les salariés itinérants, ce qui requiert, pour caractériser un éventuel état de subordination au sens de l'article L. 3121-1 précité, une analyse de l'ensemble des contraintes hiérarchiques pesant sur le salarié et de la finalité de sa mission, ainsi que de leur incidence négative sur la faculté de se consacrer librement à ses propres intérêts. Dès lors, dans le cadre d'un long déplacement professionnel sans retour quotidien du salarié à son domicile, les trajets entre son lieu d'hébergement provisoire et ses lieux d'activité peuvent être comptabilisés comme du temps de travail effectif s'ils répondent aux critères de celui-ci, comme l'a expressément admis la chambre sociale en ce qui concerne la réservation d'une chambre d'hôtel dans son arrêt récent du 23 novembre 2022 (n° 2021.924)12. Un tel constat doit alors procéder d'une analyse globale et qualitative des conditions d'exercice de la mission par le juge du fond, sans nécessiter en tant que tel de motifs particuliers pour chaque trajet effectué quotidiennement par le salarié depuis son hébergement vers le lieu d'intervention. 3. En l'espèce, le salarié détaillait dans ses conclusions l'état de disposition à l'égard de l'employeur et d'impossibilité de vaquer à ses obligations personnelles dans lequel il se trouvait pendant sa mission, caractérisé notamment par : - des plannings fournis et validés par l'employeur ;

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Le salarié devait en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de fixer des rendez-vous, d'appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens, exerçait des fonctions de “technico-commercial” itinérant, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l'entreprise pour l'exercice de sa prestation de travail et disposait d'un véhicule de société pour intervenir auprès des clients de l'entreprise répartis sur sept départements du Grand Ouest éloignés de son domicile, ce qui le conduisait, parfois, à la fin d'une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d'hôtel afin de pourvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.

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- la prévision que les enquêteurs puissent dormir à l'hôtel selon un guide de rédaction des notes de frais ; - l'impossibilité pour l'enquêteur effectuant une visite par jour dans toute la France de regagner son domicile et l'impérieuse nécessité qui s'ensuit, pour des impératifs de sécurité, de dormir à l'hôtel (conclusions d'appel du salarié, p. 23). Il soulignait en particulier le caractère continu du temps d'activité pendant sa mission, qui débordait sur le temps passé à l'hôtel : “(...) l'enquêteur ne peut pas vaquer à ses obligations habituelles et personnelles, étant empêché de rejoindre son domicile et se trouv[ant] séparé de son milieu familial. D'autant qu'il continue à être sous l'autorité de son employeur, car il effectue à l'hôtel les tâches administratives et informatiques de clôture du dossier de visite du jour qu'il expédie ensuite par internet à son employeur, et qu'il continue, si l'heure est raisonnable, à appeler les concessions pour prendre des rendez-vous. Par ailleurs, il procède lorsqu'il est sur le parking de l'hôtel à la mise en place des anomalies techniques et à la préparation du véhicule. L'hôtel constitue bien pendant ces différentes phases un lieu de travail, car l'enquêteur reste à la disposition de l'employeur pour exécuter les tâches qui lui sont imposées dans le cadre de sa mission” (conclusions d'appel du salarié, p. 23). Suivant cette description, la cour d'appel a caractérisé la situation du salarié en déplacement professionnel prolongé sans retour au domicile, l'obligeant à se rendre dans différents lieux de mission successifs en étant dans l'intervalle hébergé à l'hôtel, retenant “qu'il n'est pas contesté qu'une seule visite de concession était effectuée par jour et que le salarié partait en déplacement pour la semaine avec des frais d'hôtel pris en charge par l'employeur” (arrêt attaqué p. 4, paragraphe 5) et “que le salarié appelant effectuait des déplacements variables y compris sur de longues distances, en région parisienne, en Bretagne, dans le nord, l'est ou le centre de la France, en Corse...” (arrêt attaqué, p. 5, paragraphe 4). Elle a souligné qu'une telle situation procédait d'une organisation décidée par l'employeur, maintenant le salarié à sa disposition tout au long de la mission : “(...) nonobstant l'assertion de l'employeur, doivent être assimilés à un temps de travail effectif les trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessité par l'organisation du travail selon des plannings d'interventions déterminés par l'employeur qui plaçaient le salarié dans une situation où il restait à la disposition de l'employeur” (arrêt attaqué, p. 6, paragraphe 1). Il résulte en particulier des attestations analysées par la cour d'appel que le temps de mission comportait une phase de préparation hors les trajets et visites au sein des concessions automobiles, qui révèle l'état de subordination du salarié au-delà de celles-ci et l'unicité du temps de mission. S'agissant des pièces versées par l'employeur, il est notamment relevé “une évaluation de “la journée type d'un enquêteur” de visites mystères, listant les tâches quotidiennes à effectuer du dépôt du véhicule en concession au remplissage du questionnaire sur la visite du jour après avoir notamment préparé le scénario de la visite suivante et préparé les anomalies techniques sur le véhicule pour une durée totale de 5h30-6 heures maximum” (arrêt attaqué, p. 6, paragraphe 3), temps de préparation ressortant également de plusieurs attestations versées aux débats13. La cour d'appel a enfin relevé l'inclusion de plusieurs déplacements dans l'horaire de travail quotidien, justifiant le règlement d'heures supplémentaires : “(...) la cour a la conviction au sens de l'article L3171-4 du code civil que [le salarié] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées mais à un nombre inférieur à ce qu[‘il] prétend, dès lors qu'il ne doit pas être tenu compte des trajets domicile-premier lieu de travail et retour au domicile et 13 Même si la cour d'appel en note les divergences par ailleurs : “M. [X] affirme que le travail administratif

représente 3h, n'évoque pas le temps de la révision en concession et avance des étapes de 300 km. M. [T] compte 1h de préparation technique et administrative, 2h30 de temps passé dans la concession et 240 km de trajet au maximum. Quant à Mme [S] au delà de déclarations qui manquent de clarté, elle affirme un temps de préparation d'1 heure, de 2h20 en concession outre les trajets” (arrêt attaqué, p. 6, paragraphe 6).

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qu'il s'observe également des relevés que le salarié produit, des journées de travail intégralement consacrées aux trajets, qui coïncidaient alors au moins en partie avec son temps de travail, normalement rémunéré par le biais du maintien du salaire” (arrêt attaqué, p. 6, paragraphe 10). Ayant ainsi dûment caractérisé que le salarié se trouvait, dans le cadre d'un déplacement prolongé sans retour au domicile et pour l'ensemble de sa mission, à la disposition de l'employeur sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles, y compris dans le cadre de trajets vers les différents lieux de mission, la cour d'appel n'était pas tenue comme le soutient la première branche du moyen de vérifier si les temps de trajet hôtel-lieux de mission “constituaient de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif”. Elle n'était donc pas davantage tenue comme l'affirme la seconde branche de caractériser que pendant l'ensemble de ses heures de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajet pour se rendre à l'hôtel afin d'y dormir et y repartir, qu'elle était tenue de se conformer aux directives de l'employeur et dans l'impossibilité de pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. Il en résulte que le premier moyen devra par conséquent être rejeté en son entier.

II - Sur l'exécution fautive du contrat de travail (moyen 2) 1. L'article 4 du code de procédure civile dispose : “L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant”. Selon les trois premiers alinéas de l'article 954 du même code : “Les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion”. En l'espèce, le salarié sollicitait dans le dispositif de ses conclusions d'appel la somme de 10 000 euros de dommages-intérêts pour “travail hors contrat”, “dépassement de façon récurrente des durées légales de travail journalier et hebdomadaire” et “travail les dimanche et jours fériés” (p. 40), ces trois chefs de préjudice faisant l'objet de développements distincts afférents dans le corps des conclusions (p. 32 à 36). Ces conclusions ne soulèvent donc aucune ambiguïté sur le fait que les trois chefs de préjudice mentionnés au dispositif visaient exclusivement ceux développés dans les paragraphes correspondants des motifs des conclusions, et ne pouvaient être étendus à d'autres postes.

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Or, dans le corps de ses conclusions, le salarié visait notamment, en titre d'une partie, une “Demande de paiement de dommages-intérêts (...) pour la non-mise en place par l'entreprise d'un dispositif de contrepartie financière pour heures supplémentaires effectuées lors des temps de déplacement entre le domicile et le premier lieu de travail” (p. 32), sans pour autant développer de moyens au soutien de cette demande, ni davantage la reprendre dans le dispositif de celles-ci qui portait donc, s'agissant de la demande de 10 000 euros de dommages-intérêts, sur des chefs de préjudice différents. Cependant, la cour d'appel a prononcé la condamnation de l'employeur au paiement d'une somme globale de 6000 euros portant notamment sur l'indemnisation d'un manquement à l'obligation de “mettre en place des modalités de compensation telles que prévues par accord collectif ou à défaut de manière unilatérale après consultation des instances représentatives” (arrêt attaqué, p. 8, paragraphe 4). Ce faisant, elle a statué au moins partiellement sur une prétention qui n'était pas énoncée au dispositif des conclusions, en violation des articles 4 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile, comme le soutient la première branche du second moyen. Il conviendra donc de prononcer la cassation partielle de ce chef de l'arrêt attaqué. 2. Il a été précisé plus haut que tant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 10 septembre 2015, CCOO c. Tyco, C-266/14, points 36 et 39) que la Cour de cassation (Soc, 23 novembre 2022, n° 20-21.924) considèrent que lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code. La même Cour a eu l'occasion de souligner sur le fondement de la directive 2003/88 que pour que le salarié, partie faible, puisse faire valoir ses droits, il est indispensable que l'employeur mette en place un “(...) système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par les travailleurs[, qui constitue] un moyen particulièrement efficace pour accéder de manière aisée à des données objectives et fiables concernant la durée effective du travail réalisé par eux” (CJUE, 14 mai 2019, C-55/18, CCOO, points 54 à 56). En matière de respect des durées maximales de travail, aussi bien européennes que nationales, la Cour de cassation juge avec constance, compte tenu de leur importance pour la santé et la sécurité du salarié, que “Les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l'employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds, prévus tant par le droit de l'Union européenne que par le droit interne, qui incombe à l'employeur” (Soc, 20 février 2013, n° 11-21.848 et 11-21.599, n° 11-28.811 ; dans le même sens : Soc, 17 octobre 2012, n° 10-17.370; Soc, 25 septembre 2013, n° 12-13.267 ; Soc, 12 juillet 2017, n° 16-13.823 ; Soc, 2 octobre 2019, n° 18-12.323 ; Soc, 3 février 2021, n° 1921.153 ; Soc, 4 novembre 2021, n° 20-15.540 ; Soc, 2 mars 2022, n° 21-11.912). S'inspirant d'une décision de la CJUE selon laquelle “la directive 2003/88 poursuivant l'objectif de garantir la sécurité et la santé des travailleurs par la prise d'un repos suffisant, le législateur de l'Union a considéré que le dépassement de la durée moyenne maximale de travail hebdomadaire prévue audit article 6, sous b), en ce qu'il prive le travailleur d'un tel repos, lui cause, de ce seul fait, un préjudice dès lors qu'il est ainsi porté atteinte à sa sécurité et à sa santé” (CJUE, 14 octobre 2010, C-243-09, Günter Fuß c. Stadt Halle, § 54), la Cour de cassation a réactivé la théorie du préjudice nécessaire, abandonnée par principe14, en

14 Dans l'arrêt Soc, 13 avril 2016, n° 14-28.293, posant la nécessité pour le salarié de prouver l'existence d'un

préjudice s'agissant de la non-délivrance ou de la délivrance tardive d'un certificat de travail.

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jugeant, relativement à la durée hebdomadaire du travail, que “le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation” (Soc, 26 janvier 2022, n° 20-21.636). En l'espèce, la cour d'appel a exactement rappelé que “dès lors qu'il incombe à l'employeur de contrôler la durée du travail, c'est à lui qu'appartient la charge de prouver qu'il a respecté les durées maximales de travail et d'amplitude journalière comme les temps de repos quotidiens, hebdomadaires et les temps de pause”. Constatant que “(...) la société intimée, qui comme il a été vu n'a mis en œuvre aucun dispositif de contrôle du temps de travail, ne produit aucun élément justificatif et se limite à tort à dénier tout intérêt au grief dans la suite de sa demande de rejet des heures supplémentaires alors qu'en toutes hypothèses ces questions ne sont pas interdépendantes”, elle en conclut que “le manquement se trouve établi”. Dès lors qu'elle constatait ainsi l'absence de tout contrôle par l'employeur du respect des durées maximales de travail, qui de ce seul fait établissait l'existence d'un préjudice au détriment du salarié, elle n'avait pas justifier, pour fixer souverainement le montant de l'indemnisation en résultant, du retranchement des temps de trajet domicile-travail, lesquels de surcroît pouvaient constituer, en ce qui concerne les premier et dernier clients dans les conditions rappelées ci-dessus, un temps de travail effectif. La seconde branche du moyen devra par conséquent être écartée. * Nonobstant le rejet à intervenir de la presque totalité des branches des moyens du pourvoi, la difficulté procédurale soulevée par la première branche du second moyen devra entraîner, sur ce seul point, la cassation de l'arrêt attaqué.

PROPOSITION Cassation.

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