Jurisprudence : Cass. civ. 1, Conclusions, 31-01-2024, n° 23-18.056

Cass. civ. 1, Conclusions, 31-01-2024, n° 23-18.056

A83602R3

Référence

Cass. civ. 1, Conclusions, 31-01-2024, n° 23-18.056. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408933-cass-civ-1-conclusions-31012024-n-2318056
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AVIS DE M. SASSOUST, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 104 du 31 janvier 2024 (B) – Première chambre civile Pourvoi n° 23-18.056 (QPC) Décision attaquée : 27 octobre 2022 de la cour d'appel d'Aix-enProvence M. [Y] [R] C/ M. le comptable du service des impôts des entreprises de Marseille 5ème et 6ème arrondissements _________________

Question prioritaire de constitutionnalité

La Cour de cassation est saisie de la question prioritaire de constitutionnalité suivante: « L'article 1413 du code civil est-il contraire à la Constitution, et spécialement au droit pour toute personne de disposer d'un logement décent et au principe de responsabilité personnelle, tels qu'ils sont protégés par les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 et par l'article 4 de la Déclaration de 1789, en ce qu'il permet à un époux de voir son bien immobilier à usage d'habitation saisi et vendu dans le cadre des poursuites engagées par les créanciers de l'autre époux ? ».

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Recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité : L'article 61-1 de la Constitution dispose : “Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ” Les articles 23-2 et 23-4 de l'Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiés par la loi organique n° 20091523 du 10 décembre 2009, précisent que la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel est soumise à quatre conditions : - la disposition contestée doit être de nature législative, - elle doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites, - elle ne doit pas avoir déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, - la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.

A titre liminaire, on soulignera que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (et du Conseil d'Etat -CE 23 mars 2016, n° 392638), “la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle tenant à la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution” (cf : 3ème civ. 9 janvier 2020, n° H 19-40.033). Dès lors, sur ce point, la question prioritaire de constitutionnalité apparaît irrecevable. En revanche, s'agissant du principe de responsabilité personnelle, il convient d'apprécier le caractère sérieux ou non de la question, les autres conditions étant réunies au sens large (on notera à cet égard que l'article 1413 du code civil a été appliqué par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 16 février 2017).

M. [Y] [R] et Mme [C] [E] épouse [R], mariés sous le régime de la communauté légale, sont redevables de diverses dettes fiscales tirées des manquements aux obligations fiscales de M. [R], à l'occasion de son activité professionnelle d'avocat (non paiement de TVA), et durant la communauté. Les époux [R] critiquent la non-conformité de l'article 1413 du code civil à la Constitution, en invoquant le principe de responsabilité personnelle résultant de l'article 4 de la déclaration des droits de l‘homme et du citoyen du 24 août 1789.

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Aux termes de l'article 4 de la DDHC : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.» Par ailleurs, on relèvera qu'en application de l'article 1409 du code civil, le passif de la communauté comprend : « -à titre définitif, des aliments dus par les époux et des dettes contractées par eux pour l'entretien du ménage et l'éducation des enfants, conformément à l'article 220 -à titre définitif ou sauf récompense, selon les cas, des autres dettes nées pendant la communauté. » Selon les dispositions de l'article 1413 du code civil : « Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu. » (cf: article 1412 du code civil). L'article 1413 du code précité concerne donc les dettes provisoires et a trait au fonctionnement de la communauté. Il offre un gage étendu aux créanciers, de nature à favoriser le crédit des époux communs en biens, même si le risque que font courir les dettes professionnelles au patrimoine familial est évident. Toutefois, les époux peuvent toujours recourir au régime de la séparation des biens et le législateur a apporté de nombreux tempéraments et garde-fous à l'engagement des biens communs par les dettes souscrites par les époux pendant la communauté (par exemple : la fraude, la mauvaise foi, la récompense au profit de la communauté, le consentement exprès du conjoint en cas d'emprunt ou de cautionnement etc...). Dès lors, il importe d'opérer une distinction entre l'obligation à la dette (relevant du passif provisoire) et la contribution à la dette (relevant du passif définitif, à charge éventuellement de récompense). Ainsi, comme le souligne le mémoire en défense à la question prioritaire de constitutionnalité posée, il ne peut être soulevé une atteinte tirée de la méconnaissance du principe du fait personnel lorsque le code civil prévoit notamment- un système de récompense, qui permet à la communauté de disposer d'une créance sur l'époux débiteur d'une imposition qui lui est personnelle à l'occasion du mariage. Les dispositions critiquées facilitent uniquement le droit de poursuite des créanciers des époux, sans remettre en cause le droit de propriété (en instituant un droit de créance au profit du solvens). De plus, la saisie d'un bien immeuble constituant le logement familial ne fait pas obstacle au droit, pour les débiteurs saisis, de se loger postérieurement au moyen

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d'un bail d'habitation. De surcroît et in fine, la charge définitive de la dette recouvrée auprès de l'autre conjoint -qui n'est pas en l'espèce le redevable légal de la taxe sur la valeur ajoutée, ne sera pas supportée par celui-ci. En effet, la règle édictée à l'article 1413 du code civil n'affecte en rien les droits du conjoint commun en biens (cf: Cass. com., 10 juillet 2014, n°14-10.100 et n°1410.109). En matière de responsabilité solidaire, si la loi peut instituer une solidarité de paiement, c'est uniquement à la condition qu'elle soit justifiée, proportionnée et en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur, ce qui est le cas de l'espèce. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la question prioritaire de constitutionnalité posée n'est pas sérieuse. En conséquence, je conclus à sa non-transmission au Conseil constitutionnel.

Avis de NON-TRANSMISSION au Conseil constitutionnel.

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