Cass. crim., Conclusions, 15-12-2021, n° 21-81.864
A83502RP
Référence
1
AVIS DE Mr PETITPREZ, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 1387 du 15 décembre 2021 – Chambre Criminelle Pourvoi n° 21-81.864 Décision attaquée : Cour d'Appel de Reims, Chambre Correctionelle – Arrêt du 15 décembre 2020 M. [J] [G] [L] C/ [I] [Y] [Z] [S] épouse [Y] _________________
M. [J] [G] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims, chambre correctionnelle, en date du 15 décembre 2020, qui, pour faux et usage, escroquerie, banqueroute et abus de biens sociaux, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement, ainsi qu'à une interdiction définitive de gérer et a prononcé sur les intérêts civils. Les faits, la procédure et les moyens de cassation sont exposés dans le rapport, auquel il convient de se reporter. Il suffit de rappeler que les époux [Y] ont cédé en 2008 les parts sociales qu'ils détenaient dans la SARL [1], bénéficiaire d'un plan de redressement par voie de continuation, à une société société [2]représentée par M. [J] [G] [L], lequel, pour attester de sa solvabilité, leur a remis deux fausses attestations notariées ainsi qu'un faux certificat de dépôt judiciaire, puis, se comportant ensuite comme gérant de fait,
a détourné les actifs de la société [1], faisant par ailleurs un usage des biens de la société SOCIÉTÉ [2] contraire à l'intérêt social. Comme le relève votre rapporteure et pour les motifs exposés au rapport, les moyens proposés à l'appui du pourvoi, si l'on excepte la deuxième branche du troisième moyen, ne sont pas de nature à en permettre l'admission. Le premier moyen, qui concerne la qualification de l'arrêt attaqué, manque en fait. Il résulte en effet des pièces du dossier que M. [J] [G] [L] a été cité à sa dernière adresse déclarée et que l'huissier a effectué les diligences prévues par les articles 2 et 4 du code de procédure pénale, si bien que la cour d'appel a valablement statué par arrêt contradictoire à signifier. Le deuxième moyen, relatif à la déclaration de culpabilité des chefs de faux et usage, se heurte à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, selon laquelle, « en matière de faux et d'usage de faux , l'intention coupable de l'agent résulte, quel que soit son mobile, de sa conscience de l'altération de la vérité dans un document susceptible d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques » 1. Le troisième moyen, pris en sa première branche, ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine des juges du fond, lesquels ont parfaitement caractérisé les manoeuvres frauduleuses constitutives de l'escroquerie. Il en est de même du quatrième moyen, la cour d'appel ayant souverainement apprécié la direction de fait par le prévenu des sociétés [1] et SOCIÉTÉ [2] ainsi que le caractère intentionnel du délit d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la seconde société. Enfin, le cinquième moyen, relatif à la motivation des peines prononcées, n'est pas fondé, la cour d'appel s'étant conformée aux exigences légales et à la jurisprudence récente de la chambre criminelle pour justifier le prononcé des peines d'emprisonnement et d'interdiction de gérer. En conséquence, conformément à la proposition de votre rapporteure, je conclus à la non admission partielle du pourvoi. La discussion sera donc centrée sur le troisième moyen prise en sa seconde branche, tiré de la violation du principe ne bis in idem. Discussion Le demandeur soutient que la cour d'appel a méconnu le principe ne bis in idem en retenant, pour le déclarer coupable d'escroquerie, qu'il avait trompé les époux [Y] par la production de faux documents établis par ses soins, justifiant de sa solvabilité, pour les déterminer à lui vendre leurs parts dans la société [1], sans s'acquitter de 1
Crim. 3 mai 1995, n° 94-83.785 et, pour un exemple récent, Crim. 3 mai 2018, n° 1781.860
3 l'intégralité du prix de vente, quand il résultait de ses propres constatations que les infractions de faux et usage de faux et celle d'escroquerie procédaient, de manière indissociable, d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable. Le moyen n'a pas été soumis antérieurement aux juges du fond mais paraît néanmoins recevable dans la mesure où, comme on le verra plus loin, il critique la motivation de l'arrêt attaqué en ce qu'il a admis le cumul des poursuites des chefs de faux, usage de faux et escroquerie (page 12). Ajoutons que le chambre criminelle juge que l'exception "non bis in idem" peut être opposée pour la première fois devant la Cour de Cassation, à la condition que cette Cour trouve dans les constatations des juges du fond les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur. A défaut de telles constatations, le moyen mélangé de fait et de droit est nouveau et comme tel irrecevable 2. Avant d'apporter une réponse au moyen, il convient de rappeler brièvement le sens donné au principe ne bis in idem en droit européen, puis de retracer l'évolution jurisprudentielle s'agissant du concours des qualifications de faux, usage de faux et escroquerie et enfin de faire état des réserves de la doctrine. 1°) Le principe ne bis in idem en droit européen Le "droit à ne pas être jugé ou puni deux fois" est garanti par l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'Homme selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ». Ce droit figure également au sein de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dont l'article 50 prévoit, sous un libellé très proche de l'article 4 du Protocole no 7, que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l'Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».
2
Crim. 3 juin 1997, n° 96-83.653, Bull. n° 217
La Cour de justice de l'Union européenne opte pour une approche matérielle des faits, abstraction faite de leur qualification juridique. Elle considère qu' « en raison de l'absence d'harmonisation des législations pénales nationales, un critère fondé sur la qualification juridique des faits ou sur l'intérêt juridique protégé serait de nature à créer autant d'obstacles à la liberté de circulation dans l'espace Schengen qu'il existe de systèmes pénaux dans les États contractants. Dans ces conditions, le seul critère pertinent aux fins de l'application de l'article 54 de la CAAS est celui de l'identité des faits matériels, compris comme l'existence d'un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles » 3. La Cour européenne des droits de l'homme adopte la même conception matérielle de l'idem. Ainsi, dans l'arrêt Zolotoukhine c. Russie 4, elle indique que « l'article 4 du Protocole n° 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde ‟infraction” pour autant que celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mêmes »(§ 82) et que « la garantie consacrée à l'article 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de nouvelles poursuites sont engagées et que la décision antérieure d'acquittement ou de condamnation est déjà passée en force de chose jugée » (§ 83).
3
CJCE, 9 mars 2006, aff. C-436/04, Van Esbroeck, § 35 et 36
4
CEDH, 10 févr. 2009, n° 14939/03, Zolotoukhine c/ Russie
5 Depuis l'arrêt Zolotoukhine, il est admis par la Cour que le prononcé par les autorités de sanctions différentes pour le même comportement est permise dans une certaine mesure lorsqu'elles s'inscrivent dans un tout cohérent 5. Il est à noter que dans la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme le principe ne bis in idem s'applique aux poursuites successives et interdit de poursuivre ou de juger à nouveau , pour la même infraction, une personne qui a déjà été acquittée ou condamnée par une décision définitive, mais n'interdit pas de mener de front plusieurs procédures concomitantes 6. 2°) Le droit interne - L'évolution jurisprudentielle A la différence du droit européen, le droit interne ne prévoit aucune consécration expresse du principe ne bis idem qui ne résulte que d'une construction prétorienne, fruit de l'évolution jurisprudentielle. a) La jurisprudence antérieure à 2016 (critère des intérêts distincts) Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence ancienne, un même fait, autrement qualifié, ne peut entraîner une double déclaration de culpabilité 7. On est alors en situation de concours idéal d'infractions. En présence d'un fait unique, les juges correctionnels doivent retenir la plus haute qualification pénale. Cette situation se distingue du concours réel d'infractions qui se caractérise par l'existence d'une pluralité d'infractions, donnant lieu pour chacune d'entre elles à une déclaration de culpabilité. Cependant, la chambre criminelle a longtemps admis le cumul des qualifications concernant un même fait, en raison d'une pluralité, soit d'intentions coupables, soit de valeurs sociales lésées 8.
5
CEDH, grand chambre, 15 nov. 2016, n°24130/11 et 29758/11, aff. A et B c/ Norvège.
Voir le guide sur l'article 4 du Protocole n°7 à la Convention européenne des droits de l'homme, en ligne sur le site de la Cour. 6
7
Voir notamment Crim. 3 mars 1966, n° 65-92.993, Bull. n° 79 et Crim. 4 février 1998, n° 97-82.417, Bull. n° 46 8
Pour ne prendre que quelques exemples en matière économique et financière : Crim. 4 mai 2004, n° 03-83.787, Bull. n° 105 (publicité de nature à induire en erreur et tromperie), Crim. 27 octobre 1997,n° 96-83.698, Bull. n° 352 (corruption et complicité ou recel d'abus de biens sociaux), Crim. 12 janvier 2005, n° 04-81.540 (escroquerie et mise en circulation de fausse monnaie)
S'agissant plus particulièrement des manoeuvres frauduleuses caractéristiques du délit d'escroquerie, qui prennent fréquemment la forme d'un usage de faux, la chambre criminelle, jusqu'à une date assez récente, approuvait les juges du fond qui retenaient le cumul des qualifications considérées au motif que le faux et l'escroquerie sanctionnent la violation d'intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents. Parmi de nombreuses décisions, on peut citer à titre d'exemples : - Un arrêt du 15 juin 1993, selon lequel « il n'importe que, même si l'usage de faux n'était qu'un élément constitutif du délit d'escroquerie, les juges aient prononcé une double déclaration de culpabilité, dès lors qu'une seule peine a été prononcée » 9. - Un arrêt du 14 novembre 2013, qui approuve la cour d'appel, « qui a prononcé une seule peine dans la limite des maxima encourus, d'avoir retenu les deux qualifications de faux et d'escroquerie, qui sont susceptibles d'être appliquées concurremment dès lors qu'elles sanctionnent la violation d'intérêts distincts » 10. - Un arrêt du 17 décembre 2014 dont il résulte que « la caractérisation de la complicité d'escroquerie n'est pas exclusive de celle de faux, ces deux délits étant susceptibles d'être appliqués concurremment dès lors qu'ils comportent des éléments constitutifs différents et sanctionnent la violation d'intérêts distincts » 11. b) La jurisprudence récente (principe ne bis in idem) Par un arrêt en date du 26 octobre 2016, la chambre a infléchi sa jurisprudence antérieure, en abandonnant la référence à la notion d'intérêts protégés distincts, au profit d'une analyse concrète permettant d'apprécier si, dans l'affaire considérée, les mêmes faits ont été retenus à l'appui d'une double qualification. Elle juge désormais, au visa du principe ‟ne bis in idem”, que « les faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elle concomitantes ».
9
Crim. 15 juin 1993, n° 92-84.258 .
10
Crim. 14 novembre 2013, n° 12-87.991, Bull. n° 226
11
Crim. 17 décembre 2014, n° 13-88.189
7 En conséquence, « encourt la cassation l'arrêt qui, pour condamner un prévenu du chef de recel, énonce que des fonds provenant de l'escroquerie commise par sa compagne ont été versés sur son compte bancaire, alors qu'il s'agit d'une opération préalable à l'achat du bien qu'il a réalisé et pour lequel il a été condamné du chef de blanchiment » 12. La chambre criminelle s'est prononcée plusieurs fois, depuis 2016, sur le cumul des qualifications d'escroquerie, faux et usage de faux. Ce cumul n'est admis que dans les situations où peuvent être relevés des faits de faux et usage distincts des manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie. Ainsi, encourt la censure l'arrêt qui déclare coupable d'escroquerie et de faux et usage, un opticien qui avait facturé des prestations fictives aux organismes sociaux et mutuelles en leur adressant des demandes de remboursement fondées sur de fausses factures et des ordonnances médicales falsifiées, sans retenir des faits constitutifs de faux et usage distincts des manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie 13. De même, est cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, pour condamner un prévenu des faits d'usage d'attestation ou certificat inexact ou falsifié en vue de porter préjudice au Trésor public retient des faits qui étaient en tout point identiques à ceux caractérisant les manoeuvres frauduleuses de la tentative d' escroquerie commise au préjudice de la même victime et ne procédaient pas d'une intention coupable distincte 14. Ou encore, méconnaît le principe ne bis in idem la cour d'appel qui en statuant par des motifs qui, s'ils établissent souverainement et sans insuffisance la participation intentionnelle et matérielle du prévenu à l'ensemble des faits d' escroquerie visés dans l'acte de poursuite, retiennent toutefois à tort les faits d'usage de chèques falsifiés tout à la fois comme manoeuvres frauduleuses de l' escroquerie et comme délit différent justifiant une deuxième déclaration de culpabilité alors qu'ils ne procédaient pas d'une intention coupable distincte 15. Plus récemment la chambre criminelle a censuré plusieurs arrêts au seul motif que les mêmes faits avaient été retenus par les juges du fond pour entrer en voie de condamnation des chefs d' escroquerie, faux et usage de faux 16 12
Crim. 26 octobre 2016, n° 15-84.552, Bull. n° 276
13
Crim. 25 octobre 2017, n° 16-84.133
14
Crim. 3 mai 2018, n° 17-82.034
15
Crim. 13 juin 2019, n° 18-83.071
16
Crim. 20 janvier 2021, n° 19-84.982. Voir également Crim. 9 septembre 2020, n° 1886.351
ou encore que « les faits matériels du délit d'usage de faux étaient en tout point identiques à ceux caractérisant les manoeuvres frauduleuses de la tentative d' escroquerie commise au préjudice des mêmes victimes [...] et ne procédaient pas d'une intention coupable distincte » 17. Mais le principe ne bis in idem ne peut s'appliquer que lorsque les faits poursuivis procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable. Encourt la cassation l'arrêt qui, pour faire droit à l'exception relative à l'extinction de l'action publique par l'effet de la chose jugée pour les faits d' escroquerie au préjudice de l'Etat français, retient que les manoeuvres frauduleuses, objet de la prévention, procèdent des mêmes faits d'émission des fausses factures de soustraitance pour lesquels le prévenu a déjà été définitivement condamné, alors que l'usage de ces mêmes factures auprès de l'administration fiscale pour obtenir une remise indue de TVA, élément matériel des manoeuvres caractérisant le délit d' escroquerie , constitue un nouveau fait d'usage au préjudice de l'Etat français, distinct de la production des mêmes factures par le prévenu au préjudice de la société dont il était le gérant 18. Dans plusieurs arrêts rendus le 9 septembre 2020 le grief tiré de la violation du principe ne bis in idem a été écarté par la chambre criminelle. Dans le cas d'une infirmière libérale qui avait modifié les prescriptions de médecins afin de majorer le montant des soins dont elle demandait le remboursement à l'assurance maladie, est approuvée la cour d'appel qui, pour déclarer l'intéressée coupable de faux, d'escroquerie et exercice illégal de la profession de médecin, se prononce par des motifs dont il résulte que les faits de falsification d'ordonnances médicales se distinguaient des manoeuvres frauduleuses retenues pour caractériser l'escroquerie incluant le seul usage de ces prescriptions altérées et procédaient d'une intention coupable distincte de celle ayant animé la prévenue lors de la commission de cette dernière infraction 19. De même, dans une deuxième décision, le cumul de qualifications a été admis s'agissant d'une infirmière qui facturait à l'assurance maladie et aux mutuelles des actes fictifs ou dont la cotation était erronée, la chambre criminelle a approuvé la cour d'appel qui avait déclaré la prévenue coupable à la fois d'escroquerie, faux et usage de faux, les délits de faux et d'usage résultant de l'établissement et de l'utilisation de fausses prescriptions médicales, tandis que les manoeuvres
17
Crim. 8 avril 2021, n° 20-80.530
18
Crim. 16 janvier 2019, n° 18-81.566, Bull. n° 18
19
Crim., 9 septembre 2020, n° 19-81.002
9 frauduleuses de l'escroquerie résidaient dans l'utilisation frauduleuse des cartes vitales des patients 20. A l'occasion de cette décision, la chambre criminelle a esquissé une règle générale sur le cumul possible entre les infractions de faux, usage de faux et escroquerie en énonçant que s' « il se déduit du principe ne bis in idem que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes, il n'en est pas ainsi en cas de double déclaration de culpabilité pour faux et escroquerie, faute d'action et intention coupable uniques, lorsque l'infraction de faux consiste en une altération de la vérité dans un support d'expression de la pensée qui se distingue de son utilisation constitutive du délit d'usage de faux et, le cas échéant, d'un élément des manoeuvres frauduleuses de l'infraction d'escroquerie. Dans cette hypothèse, seuls les faits d'usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manoeuvres frauduleuses ».
20
Crim. 9 septembre 2020, n° 19-84.301
Dans une troisième affaire, la prévenue avait abusé de sa qualité d'avocat en se présentant auprès d'une ancienne cliente comme intermédiaire entre elle et une personne qui connaissait des difficultés financières. Elle avait rédigé successivement dans le temps deux fausses conventions de prêt et en se portant elle même caution, dans le but de se faire remettre des fonds dont elle était la seule destinataire. Elle a été déclarée coupable à la fois d'escroquerie et de faux. Pour rejeter son pourvoi, la chambre criminelle a estimé qu'elle était en mesure de s'assurer que les juges avaient retenu, au titre du faux, l'établissement de fausses conventions de prêt et, comme élément de l' escroquerie, des faits distincts d'utilisation de ces documents afin de se faire remettre le montant des prêts 21. Ce dernier arrêt illustre la difficulté de faire ressortir un précepte général applicable à toutes les situations. En effet, les faits de faux avaient été commis au détriment de deux personnes différentes tandis que ceux d'escroquerie ne préjudiciaient qu'à une seule de ces personnes. Ne retenir qu'un seul de ces deux délits aurait fait obstacle à l'indemnisation d'une des victimes. Par ailleurs, les faits d'escroquerie résidaient non seulement dans l'usage des faux mais également dans un ensemble plus vaste de manoeuvres destinées à tromper la victime, notamment l'abus d'une qualité vraie. Ces faits étaient, au moins en partie, distincts de ceux poursuivis sous la qualification de faux. Enfin, il ne pouvait y avoir d'identité d'intention frauduleuse, entre la confection des faux, délits instantanés, et les manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie, déterminantes de la remise des fonds, réitérées sur une période plus longue. 22 Dans un quatrième arrêt rendu le même jour , la chambre criminelle a jugé que l'élément matériel des délits de falsification et d'usage des chèques falsifiés pouvait également caractériser un abus de biens sociaux par détournement des fonds d'une société (des chèques remis par des clients en règlement de travaux avaient été falsifiés et frauduleusement encaissés par les deux gérants successifs). Le principe ne bis in idem interdisait de condamner les prévenus pour des délits sanctionnant des faits identiques.
Une vision élémentaire des solutions jurisprudentielles conduit à conclure provisoirement que le cumul de qualification est possible lorsque les faits délictueux constituent un faux et une escroquerie. Il en va différemment pour les infractions d'escroquerie et d'usage de faux lorsque les manœuvres frauduleuses auront été réalisées au moyen d'un faux.
21
Crim. 9 septembre 2020, n° 19-80.144
22
Crim. 9 septembre 2020, n° 19-81.118
11 Comme le résume Mme Elise Letouzey dans le JurisClasseur pénal, « l'usage de faux se confond entièrement avec les manœuvres frauduleuses de l'escroquerie. On parle aussi d'infraction-fin et d'infraction-moyen : l'infraction-moyen (ici l'usage de faux) est tout entière au service de l'infraction-fin (l'escroquerie). Cette réduction à une seule qualification s'explique par le chevauchement de deux qualifications sur un même fait. Il s'agit alors de faire prévoir le texte le plus englobant, qui est aussi celui qui permet d'appréhender plus précisément les faits car son champ d'application est plus large. En effet, toujours en prenant l'exemple de l'escroquerie, le caractère complexe de l'incrimination conduit à exiger certes des manœuvres frauduleuses mais également une remise et un lien de causalité entre les deux. Il ne s'agit donc pas toujours de faire prévaloir l'incrimination spéciale sur l'incrimination générale au titre des qualifications absorbantes. À l'inverse, le faux n'impliquant pas nécessairement son usage ou son utilisation dans le cadre de manœuvres frauduleuses, son cumul avec l'escroquerie ne pose pas de difficulté car les faits sont ici bien distincts » 23. L'analyse de la jurisprudence par la doctrine révèle cependant une situation beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. 3°) Les réserves de la doctrine L'application par la Cour de cassation du principe prétorien ‟ne bis in idem” au cumul des qualifications de faux, usage de faux, escroquerie suscite une certaine perplexité de la part de la doctrine. Ainsi, M. Stéphane Detraz, dans un commentaire de la deuxième décision précitée n° 19-84.301 du 9 septembre 2020, souligne, à propos du cumul possible de l'escroquerie et du faux, que la chambre criminelle ne donne aucune définition de l'action unique qui, s'appliquant aussi bien à l'hypothèse d'une pluralité d'agissements qu'à un acte unique, englobe manifestement les deux types de concours ce qui nécessiterait selon lui d'ajuster en tant que de besoin les contours de la formule jurisprudentielle. Quant à l'absence d'intention unique, il s'interroge sur la possibilité d'admettre que la fabrication d'un faux, spécialement effectuée aux fins de commission d'une escroquerie, puisse procéder d'une ‟intention coupable” distincte de celle qui préside à l'escroquerie elle-même, notant sur ce point le silence gardé par la chambre dans l'arrêt commenté. Il considère que c'est par principe que cette décision entend vraisemblablement signifier que « le faux (fabrication) se distingue de l'usage de faux et des manœuvres constitutives de l'escroquerie, au point que l'ensemble de ces faits ne peut jamais être qualifié d'action unique caractérisée par une seule intention coupable », tout en appelant à une certaine prudence sur la généralité de cette solution.
23
Elise Letouzey, JurisClasseur Pénal, art. 132-2 à 132-7 - Fasc. 20 : Concours et cumul d'infractions, § 32
S'agissant du non cumul de l'escroquerie et de l'usage de faux, il se demande s'il y a nécessairement unicité d'action, comme la chambre criminelle semble l'indiquer, alors qu' « il se peut (comme en l'espèce) que les manœuvres frauduleuses se composent d'autres agissements que l'utilisation de faux documents, en sus de celle-ci. Dès lors, ne peut-on considérer que cette utilisation peut et doit être extraite des manœuvres, pour donner lieu à une déclaration de culpabilité distincte, soit lorsqu'il est établi que les autres composantes des manœuvres étaient à elles seules déterminantes de la remise, soit, a fortiori, lorsqu'il n'est pas établi que l'emploi du faux ait été lui-même déterminant ? ». Il estime, en conclusion, que l'arrêt commenté « ne condamne pas la possibilité d'appliquer le principe non bis in idem au cas de la pluralité de faits (hypothèse du concours réel), si bien que la carence de la jurisprudence à définir l' ‟action unique” demeure [...]. Mais, d'un autre côté, il tend à confirmer que l' ‟action unique” s'entend de préférence d'un acte unique, présentant une nette homogénéité matérielle et temporelle (hypothèse du concours idéal). Il n'y a donc pas ‟action unique” lorsque sont en cause des actes ‟perpétrés de manière non simultanée et dissociable”, selon une formule (approximative toutefois) déjà employée par la Cour de cassation (Cass. crim., 14 nov. 2018, n° 18-80.832, inédit, cumul de crimes et de délits d'agressions sexuelles) » 24.
24
La Semaine Juridique Edition Générale n° 47, 16 novembre 2020, 1287 - Concours de qualifications (faux, usage de faux, escroquerie), par Stéphane Detraz
13 Le professeur Conte constate que depuis 2016, la chambre criminelle a renouvelé le sens et la portée du principe non bis in idem, en application d'un motif ciselé qui commande l'issue d'un concours réel comme idéal. Il estime néanmoins que par sa lettre même, ce motif est inapte à rendre compte de ces deux concours en même temps, car il ne s'adapte qu'au cas du concours réel : « l'agent a commis plusieurs ‟faits” différents (notion de fait matériel), auxquels ne va correspondre qu'une seule qualification (notion de fait juridique) et donc une seule déclaration de culpabilité (non bis), s'ils constituent une ‟action unique” en raison de la présence d' ‟une seule intention coupable”. Il est radicalement impropre en revanche au concours idéal, par son libellé même, tordrait-on ses mots en tous les sens ». Selon lui, il ne saurait donc justifier les solutions qu'il prétend fonder 25. Le même auteur, commentant la deuxième décision précitée n° 19-84.301 du 9 septembre 2020, considère qu' « il devrait s'agir d'un exemple parfait de ‟faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable”, tant il est vrai que le faussaire (ici l'infirmière) ne commet à l'évidence les faux que pour en user et tromper ainsi sa victime (ici les caisses d'assurance maladie et les mutuelles). Bref, le faux et son usage sont des infractionmoyens au service de l'escroquerie, infraction-fin, et, pour utiliser les termes de la chambre criminelle elle-même, le faux était ‟une opération préalable nécessaire” à son usage comme à l'escroquerie, en sorte que le principe non bis aurait dû, apparemment, recevoir application. Pourtant, l'arrêt accepte de fondre en une action unique non les faux eux-mêmes, mais seulement leurs usages et les escroqueries consécutives, en ce qu'un tel usage constitue des ‟manoeuvres frauduleuses” au sens de l'article 313-1 du Code pénal ». Il relève toutefois que « la chambre criminelle n'exclut pas qu'un faux, via son usage, puisse être absorbé par l'escroquerie [...] Si elle refuse une double déclaration de culpabilité, c'est uniquement, on l'a vu, lorsque l'infraction de faux consiste en une altération de la vérité dans un support d'expression de la pensée qui se distingue de son utilisation constitutive du délit d'usage de faux et, le cas échéant, d'un élément des manoeuvres frauduleuses de l'infraction d'escroquerie. Tout serait donc cas d'espèce... ». Il s'interroge enfin sur le résultat à considérer, dans le cas de non bis, pour déterminer si l'intention du prévenu est ou non unique 26. Mme Julie Gallois, dans un commentaire du quatrième arrêt précité du 9 septembre 2020 (n° 19-81-118), évoque ‟une certaine insécurité juridique” en relevant que la chambre criminelle dans un autre arrêt rendu le même jour (Crim. 9 sept. 2020, n°19-84.301 précité) n'adopte pas la même approche globale. Elle refuse le cumul entre l'usage de faux et l'escroquerie, mais elle admet la possibilité de cumuler cette dernière infraction avec le faux. « Si on faisait application de cette espèce à notre cas, seul l'usage de chèques falsifiés et l'abus de biens sociaux devraient tomber sous le 25
Droit pénal n° 3, Mars 2020, étude 10 « Non bis in idem : bref exercice d'exégèse d'où il résulte que le droit n'est pas la physique », par Philippe Conte 26
Droit pénal n° 11, Novembre 2020, comm. 183 « Le cas des infractions-moyens et des infractions-fins », commentaire par Philippe Conte
coup du principe ne bis in idem, le délit sociétaire pouvant se cumuler avec la falsification, comme l'escroquerie se cumule avec le faux » 27.
27
« Non-cumul d'infractions procédant d'une action unique : la Cour de cassation confirme son approche du principe ne bis in idem », Julie Gallois, Revue des sociétés 2021, p. 189
15 Le professeur Xavier Pin, tout en approuvant la solution retenue dans l'arrêt précité n° 19-84.301 du 9 septembre 2020, regrette que les solutions ne puissent pas plus simplement s'ordonner autour de la distinction du concours réel d'infractions et du concours idéal. « La jurisprudence offre en effet toujours une variété de solutions qui ne recoupent pas cette distinction, mais s'articulent autour des notions de faits dissociables ou non et d'intention unique ou non ». Il fournit de nombreux exemples de situations de concours réel ayant donné lieu à cumul de qualifications, même lorsqu'elles procédaient d'un enchaînement de faits liés et, au contraire, d'infractions en concours réel pour lesquelles le cumul de qualifications a été refusé au motif que ces infractions étaient mues par une unique intention et une unité de but. Il constate enfin que la chambre criminelle n'a pas abandonné toute référence aux notions de violation d'intérêts distincts ou de valeurs sociales protégées en cas de concours idéal 28. Sur ce dernier point, l'étude fait notamment référence à un arrêt du 16 avril 2019, dans lequel la chambre a admis que le délit de pollution des eaux souterraines, superficielles ou de la mer prévu par l'article L. 216-6 du code de l'environnement pouvait se cumuler avec celui de pollution des eaux douces prévu per l'article L. 432-2 du même code la seconde incrimination tendant à la protection spécifique du poisson que l'article L. 216-6 exclut expressément de son propre champ d'application, de sorte que « seul le cumul de ces deux chefs de poursuite permet d'appréhender l'action délictueuse dans toutes ses dimensions » 29. M. Rodolphe Mesa fait observer à propos de l'arrêt 19-84.301 du 9 septembre 2020 que « si dans l'absolu, le non-cumul, s'agissant de l'escroquerie réalisée au moyen d'un faux confectionné par l'agent, des qualifications d'usage de faux et d'escroquerie fondé sur l'indissociabilité des faits et l'unité d'intention peut s'entendre, il n'en va pas de même en ce qui concerne le cumul entre la qualification de faux et celle d'escroquerie justifié par l'existence d'un concours réel d'infractions entre les agissements constitutifs. En pareille hypothèse, le faux est, en effet, une étape préparatoire nécessaire à la réalisation de l'escroquerie projetée, sans laquelle sa consommation n'est pas possible. Par conséquent, le délit de faux est l'infraction moyen qui doit permettre la consommation de l'infraction fin, en l'occurrence l'escroquerie. Or, le principe qui ressort de la jurisprudence de la chambre criminelle antérieure à l'arrêt du 9 septembre 2020 est celui du non-cumul des qualifications correspondant à l'infraction moyen et à l'infraction fin [...]. Si, sur le plan répressif, et notamment au regard des règles de la récidive, le cumul entre les qualifications de faux et d'escroquerie affirmé par l'arrêt du 9 septembre 2020 p eut se justifier, il ne peut être contesté que l'affirmation de ce cumul contribue à brouiller les pistes quant à la définition des concours réels et idéaux d'infractions et à la portée de la règle non bis in idem, tout en effritant un principe prétorien qui 28
« Qualification en concours, faux et escroquerie, concours réel ou cumul idéal ? », Xavier Pin, RSC 2020, p. 922 29
Crim. 16 avril 2019, n° 18-84.073, Bull. n° 77
semblait à la fois acquis, simple et absolu, en l'occurrence celui du non-cumul entre les qualifications correspondant aux infractions commises pour en préparer une autre et celle correspondant à l'infraction préparée et finalement consommée par l'agent ». En conclusion, la doctrine retient que dans les situations de concours réel d'infractions, les solutions sont divergentes, pour ne pas dire incohérentes selon que la chambre criminelle, qui dispose à cet égard d'une grande marge d'appréciation, admet ou non que les infractions procèdent de manière indissociable d'une action unique et d'une seule intention coupable. Une évolution semble toutefois se dessiner dans le sens d'une érosion de la règle ne bis in idem entre les qualifications correspondant aux infractions préparatoires et celles qui sanctionnent l'infraction commise. Dans les situations de concours idéal, la chambre n'écarte pas complètement l'ancien critère des intérêts distincts ou valeurs sociales protégées puisqu'elle continue d'y faire implicitement référence. Il est permis d'observer enfin, bien que ce point ait été peu exploré par la doctrine 30, que le cumul de qualifications peut parfois se justifier par la volonté de préserver le droit à réparation de victimes qui peuvent être distinctes, quitte à contrarier la notion d'action unique. C'est ce que semble suggérer un arrêt du 8 avril 2021 faisant application du principe non bis in idem à des « faits matériels du délit d'usage de faux », que la chambre criminelle a considéré comme « identiques à ceux caractérisant les manoeuvres frauduleuses de la tentative d'escroquerie commise au préjudice des mêmes victimes » au motif qu'ils « ne procédaient pas d'une intention coupable distincte » 31. On peut en déduire que la solution aurait pu être différente si les victimes de l'escroquerie et celles de l'usage de faux avaient été séparées.
30
Voir la revue Droit pénal n° 6, Juin 2021, comm. 105 « Non bis in idem : application du principe à un usage de faux et à une escroquerie commise à l'encontre de victimes différentes » 31
Crim. 8 avril 2021, n° 20-80.530
17 La même déduction peut être tirée d'une décision antérieure du 16 janvier 2019 qui a admis qu'un gérant de société déjà condamné pour faux et usage de faux, pour avoir confectionné de fausses factures de sous-traitance enregistrées en comptabilité, puisse être poursuivi à nouveau pour l'utilisation des mêmes factures pour commettre une escroquerie à la TVA. La chambre criminelle a considéré en effet que « l'usage des fausses factures auprès de l'administration fiscale pour obtenir une remise indue de TVA, élément matériel des manoeuvres caractérisant le délit d'escroquerie, constitue un nouveau fait d'usage au préjudice de l'Etat français, distinct de la production de ces mêmes factures par le prévenu au préjudice de la société qu'il gérait » 32. Dans cette affaire, si l'usage de faux et l'escroquerie ne constituaient pas une action unique mais deux infractions distinctes, c'est que les victimes de l'un et de l'autre n'étaient pas les mêmes 33. Comme le fait observer Mme Letouzey dans le Jurisclasseur pénal, « la solution est originale car, sous couvert de deux éléments matériels distincts, c'est en réalité l'identification d'un préjudice distinct qui est déterminant : la société commerciale et l'État étant deux victimes distinctes, un même faux peut constituer le délit d'escroquerie et le délit d'usage de faux » 34. 4°) Réponse au moyen Dans le cas présent, l'arrêt attaqué se réfère implicitement à la jurisprudence antérieure à 2016, puisque la cour d'appel énonce que « les délits de faux, d'usage de faux et d'escroquerie sanctionnent ici la violation d'intérêts distincts et comportent des éléments constitutifs différents ». Si l'on considère que le prévenu a, comme les juges le retiennent, confectionné les faux documents, attestations notariées et certificat de dépôt en banque, afin de justifier de sa solvabilité auprès des époux [Y] et que leur production a déterminé ces derniers à contracter avec lui, le concept d'unicité d'action et d'intention devrait trouver application. Dès lors, l'arrêt devrait être censuré pour méconnaissance du principe ne bis in idem. Toutefois, au regard de la jurisprudence la plus récente de la chambre criminelle, dissociant la confection du faux de son utilisation, le cumul du faux avec l'escroquerie ne paraît pas totalement incongru.
32
Crim. 16 janvier 2019, n° 18-81.566, Bull. n° 18
33
Voir « Non bis in idem et concours de qualification : les choses se compliquent... », Laurent Saenko, RTD com. 2020. 500 34
Elise Letouzey, JurisClasseur Pénal, art. 132-2 à 132-7 - Fasc. 20 : Concours et cumul d'infractions, § 48
Sur la question du cumul de l'usage de faux et de l'escroquerie, il convient de relever que l'usage des faux documents destiné à étayer les affirmations mensongères du prévenu sur les garanties financières apportées par lui n'était, en l'espèce, qu'un des éléments des manoeuvres frauduleuses caractérisant l'escroquerie. La cour d'appel relève en effet (page 12 de l'arrêt) que l'intéressé a en outre « élaboré une véritable mise en scène en faisant usage d'un faux nom, adjoignant une particule au sien et en faisant intervenir son oncle, gérant de paille, physicien reconnu et membre d'une famille renommée dans les affaires et la politique, afin de convaincre les époux [Y] du caractère sérieux de son projet ». Les procédés mis en place par le prévenu ne se limitaient donc pas à la production de faux mais revêtaient une plus grande complexité. Précisons que l'emploi dans la prévention de l'adverbe notamment permet de retenir au titre des manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie le montage décrit par la cour d'appel dans son arrêt et pas seulement la production d'écrits. M. [J] [G] [L] était en effet poursuivi, au titre de l'escroquerie, pour avoir, « entre le 1er juin 2007 et le 24 janvier 2008, dans la Marne et Ile de France, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce notamment en produisant de fausses attestations notariales ainsi qu'un faux certificat de dépôt fiduciaire visant à établir la solvabilité de l'acquéreur, trompé [I] [Y] et [C] [B ]épouse [Y] pour les déterminer à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque en l'espèce vendre leurs parts dans la société Saint Loup Confection sans réelle garantie de recevoir paiement de l'intégralité du prix de vente ». Le constat qu'en l'espèce les manoeuvres frauduleuses résidaient dans un ensemble d'agissements destinés à tromper les victimes (élaboration d'une mise en scène pour gagner la confiance des victimes, intervention d'un tiers...) et ne se limitaient pas à la seule utilisation de faux documents, conduit à observer que les faits matériels d'usage de faux ne sont pas strictement identiques à ceux caractérisant les manoeuvres constitutives de l'escroquerie, de même qu'il ne peut y avoir identité d'action et d'intention entre l'usage des faux destiné en partie à donner force et crédit aux propositions fallacieuses du prévenu et les autres manoeuvres, perpétrées de manière non simultanées et qui à seules pouvaient suffire à déterminer les victimes de contracter avec lui. On pourrait certes considérer que la qualification d'escroquerie absorbe celle d'usage de faux, étant observé cependant que les faits d'usage de faux et d'escroquerie ont été commis au préjudice de victimes différentes (le notaire est ici victime d'usage de faux mais pas d'escroquerie). Ne retenir en pareille hypothèse que la seule qualification d'escroquerie conduirait à exclure tout droit à réparation s'agissant des victimes de l'usage de faux 35. Ont peut donc conclure que non seulement le cumul du faux avec l'escroquerie ne soulève pas en l'occurrence de difficultés mais que les juges pouvaient entrer en voie de condamnation à la fois pour escroquerie et usage de faux, les deux délits, qui ne 35
Le même raisonnement peut être tenu s'agissant du cumul des faux et de l'escroquerie
procèdent pas de la même intention coupable, sanctionnant des faits distincts, d'un point de vue matériel et temporel, commis au préjudice de victimes différentes. C'est pourquoi il est proposé en définitive de rejeter le pourvoi. Proposition Avis de REJET