Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 16-03-2022, n° 19-20.658

Cass. soc., Conclusions, 16-03-2022, n° 19-20.658

A83442RH

Référence

Cass. soc., Conclusions, 16-03-2022, n° 19-20.658. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408917-cass-soc-conclusions-16032022-n-1920658
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AVIS DE Mme ROQUES , AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 349 du 16 mars 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 19-20.658 Décision attaquée : 17 janvier 2019 de la cour d'appel de Rouen M. [F] [E] C/ Maître [S] [I], en qualité de mandataire ad hoc de M. [N] [V], exerçant sous l'enseigne Atelier Auto Glass L'UNEDIC, délégation AGS-CGEA de Rouen _________________

1.

Faits et procédure

Par contrat d'apprentissage d'une durée de deux ans, ayant pris effet le 1er septembre 2014, M. [F] [E] a été engagé en qualité d'apprenti en carrosserie par M. [N] [V] (l'employeur) qui exerçait sous l'enseigne Atelier Auto Glass. Ce contrat a été rompu le 31 octobre 2014. L'employeur a été déclaré en liquidation judiciaire d'office par décision en date du 25 août 2015, Maître [S] [I] étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire. Contestant la validité de la rupture de son contrat, M. [E] a saisi le conseil des prud'hommes de Rouen le 10 décembre 2015 et sollicité la condamnation de Maître [I],

ès qualités, à lui verser les salaires et indemnités de congés payés dus jusqu'au terme du contrat. L'UNEDIC, délégation AGS-CGEA de Rouen, était partie à la procédure. M. [E] a été débouté de ses demandes, par jugement rendu le 18 juillet 2016, et a interjeté appel. Par décision en date du 6 décembre 2016, la procédure de liquidation judiciaire dont faisait l'objet l'employeur a été clôturée pour insuffisance d'actifs. Maître [I] a été désignée en qualité de mandataire ad hoc de l'employeur et est intervenue à la procédure en appel. Dans un arrêt en date du 17 janvier 2019, la cour d'appel de Rouen a notamment infirmé le jugement entrepris, dit irrégulière la rupture du contrat d'apprentissage, fixé la créance de M. [E] au passif de l'employeur à la somme de 12.201,14 euros, dit que cette somme ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents et dit que l'UNEDIC, délégation AGS-CGEA de Rouen, n'était pas tenue de garantir la somme ainsi due. C'est l'arrêt attaqué par le salarié qui présente trois moyens au soutien de son pourvoi. Le premier conteste la motivation de la cour d'appel qui a exclu tout droit à une indemnité de congés payés en raison du caractère indemnitaire de la somme allouée au titre de la rupture irrégulière du contrat d'apprentissage. Le deuxième moyen pose la question de la garantie des salaires par l'UNEDIC en cas de clôture d'une liquidation judiciaire, avant que la créance du salarié soit fixée. Dans le troisième moyen, subsidiaire, M. [E] soutient que la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile et aurait dû requalifier sa demande en fixation de sa créance au passif de la liquidation en demande de condamnation en paiement de son employeur, dès lors qu'elle avait exclu la garantie de l'UNEDIC.

2.

Discussion et avis

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sur la demande d'indemnité de congés payés

En vertu des deux premiers alinéas de l'article L. 6222-18 du code du travail, « Le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties durant les deux premiers mois de l'apprentissage. Passé ce délai, la rupture du contrat ne peut intervenir que sur accord écrit signé des deux parties. A défaut, la rupture ne peut être prononcée que par le conseil de prud'hommes en cas de faute grave ou de manquements répétés de l'une des parties à ses obligations ou en raison de l'inaptitude de l'apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer. »

Dans notre espèce, il n'y a plus de contestation sur le caractère irrégulier de la rupture du contrat d'apprentissage par l'employeur. Dès lors, conformément à votre jurisprudence1, M. [E] pouvait prétendre au paiement des salaires qui lui étaient dus jusqu'au terme de son contrat d'apprentissage, soit jusqu'au 31 août 2016. Cette sanction n'est pas sans rappeler celle prévue en cas de rupture d'un contrat à durée déterminée, hors les cas énumérés à l'article L. 1243-1 du code du travail. L'article L. 1243-4 de ce même code prévoit en son premier alinéa que « La rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8. » Or, dans cette hypothèse, votre chambre a énoncé « qu'aucune disposition légale n'assimilant à une période de travail effectif la période de travail non effectué en raison de la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée », le salarié ne pouvait prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés2.

1

Cf. Par exemple Soc., 24 avril 2001, pourvoi n° 99-41.171 : « Mais attendu que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par l'article L. 117-17 du Code du travail est sans effet et que l'employeur est tenu, sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu'au jour où le juge, saisi par l'une des parties, statue sur la résiliation ou, s'il est parvenu à expiration, jusqu'au terme du contrat ; » ainsi que les arrêts cités dans le rapport de Mme Anne-Catherine Monge dont Soc., 30 septembre 2015, pourvoi n° 14-18.011 rendu au visa de l'article L. 6222-18 « Attendu, cependant, d'une part, que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par l'article L. 6222-18 du code du travail est sans effet ; que dès lors, l'employeur est tenu, sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu'au jour où le juge, saisi par l'une des parties, statue sur la résiliation ou, s'il est parvenu à expiration, jusqu'au terme du contrat ; que, d'autre part, le juge qui constate l'irrégularité de la rupture du contrat par l'employeur doit le condamner à payer une indemnité réparant le préjudice subi par l'apprenti du fait de la rupture anticipée de son contrat » . 2 Cf. Soc., 7 octobre 1992, pourvoi n°89-40.370, arrêt cité au rapport, et Soc., 8 novembre 1994, pourvoi n° 92-42.783 « Attendu que la salariée reproche à la cour d'appel d'avoir limité la condamnation de l'employeur au paiement de dommages-intérêts représentant le montant des salaires qui restaient à courir jusqu'à échéance du terme, à l'exclusion des indemnités de congés payés, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article L. 122-3-8 du Code du travail, l'employeur qui rompt prématurément le contrat à durée déterminée sans justifier d'une faute grave est tenu au paiement de dommages-intérêts "d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat" et que l'emploi du terme "rémunérations" implique que sont visées toutes les sommes que le salarié aurait perçues s'il avait continué à travailler et, notamment, les indemnités de congés payés afférentes aux salaires qui auraient dû lui être réglés ; Mais attendu qu'aucune disposition légale n'assimilant à une période de travail effectif la période de travail non effectué en raison de la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; »

En effet, aux termes de l'article L. 3141-5 du code du travail, dans sa version applicable au litige, « Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé : 1° Les périodes de congé payé ; 2° Les périodes de congé de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant et d'adoption ; 3° Les contreparties obligatoires en repos prévues par l'article L. 3121-11 du présent code et l'article L. 713-9 du code rural et de la pêche maritime ; 4° Les jours de repos accordés au titre de l'accord collectif conclu en application de l'article L. 3122-2 ; 5° Les périodes, dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an, pendant lesquelles l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle ; 6° Les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque. » C'est pourquoi, je suis d'avis de retenir la même solution pour le contrat d'apprentissage que celle énoncée pour la rupture anticipée du CDD, comme le suggère Mme la rapporteure Monge, et donc de rejeter le premier moyen, en substituant ce motif de pur droit à ceux de la cour d'appel. $

sur la garantie des salaires par l'UNEDIC

La cour d'appel a ordonné l'inscription au passif de la liquidation de l'employeur de la somme allouée à M. [E] au titre des salaires dus jusqu'au terme du contrat d'apprentissage. Mais, au visa de l'article L. 3253-6 du code du travail, elle a estimé que l'UNEDIC ne devait pas garantir le paiement de cette somme, dès lors que la procédure collective avait été clôturée pour insuffisance d'actifs. L'article L. 625-9 du code de commerce prévoit que « Sans préjudice des règles fixées aux articles L. 625-7 et L. 625-8, les créances résultant du contrat de travail ou du contrat d'apprentissage sont garanties dans les conditions fixées aux articles L. 3253-2 à L. 3253-4, L. 3253-6 à L. 3253-21 et L. 8252-3 du code du travail. » L'article L. 3253-1 du code du travail indique dans son second alinéa qu' « en cas de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, [les créances résultant du contrat de travail] sont garanties, conformément aux articles L. 625-7 et L. 625-8 du code de commerce, dans les conditions prévues aux articles L. 3253-2 à L. 3253-21. » Les articles L. 3253-6 et suivants précisent les conditions dans lesquelles la garantie est due.

Ainsi, tout employeur de droit privé doit assurer ses salariés contre le risque de nonpaiement des sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. L'article L. 3253-15 dispose que : « Les institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 avancent les sommes comprises dans le relevé établi par le mandataire judiciaire, même en cas de contestation par un tiers. Elles avancent également les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés. Les décisions de justice sont de plein droit opposables à l'association prévue à l'article L. 3253-14. Lorsque le mandataire judiciaire a cessé ses fonctions, le greffier du tribunal ou le commissaire à l'exécution du plan, selon le cas, adresse un relevé complémentaire aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14, à charge pour lui de reverser les sommes aux salariés et organismes créanciers. » Ce dispositif a pu être qualifié de « régime de sécurité sociale des salaires, à tout le moins d'une véritable assurance insolvabilité. »3 D'ailleurs, la garantie est due quand bien même l'employeur n'aurait pas respecté son obligation d'assurer ses salariés ou ne serait pas à jour des cotisations dues à l'UNEDIC4. Ce dispositif a été instauré car : « En raison de l'absence de trésorerie, voire d'actif, lorsque survient une procédure collective, la garantie donnée par le privilège et le super-privilège est bien souvent inefficace »5 Retenir la solution de la cour d'appel réduirait le champ d'application de cette garantie. En effet, cela reviendrait à en priver le salarié lorsqu'il a dû faire consacrer sa créance salariale par les juridictions prud'homales et que la « décision de justice exécutoire » est intervenue après la clôture de la procédure collective. Or, il ne s'agit pas d'une situation improbable puisque, comme le souligne M. le rapporteur Pietton, le code de commerce a fait l'objet de modifications successives afin d'accélérer les procédures collectives, notamment en créant une procédure simplifiée.

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Cf. Avis n° 328 (1983-1984) de M. Arthur MOULIN, sénateur, au cours des travaux parlementaires ayant donné lieu à l'adoption de la loi n°85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises 4 Cf. Article L. 3253-7 du code du travail : « Le droit du salarié est garanti indépendamment de l'observation par l'employeur tant des prescriptions de la présente section que des obligations dont il est tenu à l'égard des institutions prévues à l'article L. 3253-14. » 5 Cf. Ouvrage Delmas Procédures collectives, rédigé par Alain Lienhard, édition 2020-2021

En outre, les textes précités ne prévoient pas expressément une telle limitation dans le temps de la garantie des salaires. Au contraire, l'article L. 3253-15 n'exclut pas l'inscription d'une créance sur un « relevé complémentaire » après que le mandataire judiciaire, en charge de l'établissement du relevé des créances salariales, a cessé ses fonctions, comme c'était le cas en l'espèce. Enfin, en cas de refus par l'UNEDIC de garantir certaines sommes, le salarié peut saisir les juridictions prud'homales de la difficulté. Or, dans un arrêt récent6, votre chambre a estimé que : « 6. Aucune forclusion n'est opposable à l'exercice de l'action prévue à l'article 125 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, devenu l'article L. 625-4 du code de commerce, et tendant à contester le refus de l'AGS de régler tout ou partie d'une créance figurant sur un relevé des créances résultant d'un contrat de travail. 7. La cour d'appel a justement décidé que l'action du salarié était recevable malgré la clôture de la procédure collective et que l'AGS, condamnée à garantir la créance salariale litigieuse, devait, en raison de la cessation des fonctions des organes de la procédure collective, et en application de l'article L. 3253-15 du code du travail, en verser le montant entre les mains du greffier du tribunal de grande instance. » Certes, dans cette espèce, il s'agissait d'une créance inscrite sur le relevé des créances salariales. Toutefois, le salarié avait agi en justice contre l'AGS plus de 12 ans après la clôture de la procédure collective, alors même que la garantie lui avait été refusée 22 ans plus tôt. Par ailleurs, si le débat portait sur la recevabilité de l'action du salarié contre l'AGS, il n'en reste pas moins que cette dernière invoquait la clôture de la procédure collective pour être déchargée de toute obligation de garantie. En effet, elle soutenait notamment « qu'en application de l'article 125 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, le contentieux relatif au refus de garantie de l'AGS et justifiant la saisine de la juridiction prud'homale doit intervenir en présence des organes de la procédure collective et du débiteur appelé dans la cause ; que la clôture de la procédure collective mettant fin aux missions de ses organes, la procédure prud'homale introduite pour contester le refus de garantie de l'AGS, postérieurement à la clôture de la procédure collective, est irrecevable ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 125 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises, devenu l'article L. 625-4 du code de commerce. » Votre chambre n'a pas estimé que cette clôture était un obstacle à l'action du salarié et, par là même, à la condamnation de l'AGS à garantir les créances salariales.

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Soc., 7 juillet 2021, pourvoi n° 18-18.943

Je suis donc d'avis que, dès lors que l'inscription d'une créance salariale est ordonnée par une décision de justice exécutoire, la garantie de l'UNEDIC est due, dans les conditions et limites prévues par le code du travail, quand bien même la procédure collective serait clôturée, et ce afin d'assurer le plein effet de ce dispositif d'assurance. Pour toutes ces raisons, je suis d'avis de casser l'arrêt de la cour d'appel de Rouen sur le deuxième moyen, ce qui rend inutile l'examen du dernier moyen.

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