Cour de Cassation
Chambre criminelle
Audience publique du 2 Septembre 1986
Cassation partielle et règlement de juges
N° de pourvoi 86-93.266
Président M. Ledoux
Demandeur Arpino François Rolland Z
Rapporteur M. Y
Avocat général M. Rabut
Avocat la Société civile professionnelle Waquet.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
CASSATION PARTIELLE et règlement de juges sur les pourvois formés par Arpino François, Rolland Z contre un arrêt de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Nîmes, en date du 23 mai 1986, qui les a renvoyés devant la Cour d'assises du département de Vaucluse sous les accusations d'homicides volontaires, d'homicide volontaire avec préméditation et de tentative de vol aggravé criminel
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation propre à Rolland, et pris de la violation des articles 117 et 197 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense ;
" en ce que Maître W, avocat au barreau de Marseille, qui avait été spécialement désigné par l'inculpé Rolland comme étant l'un de ses conseils, n'a pas été avisé de la date à laquelle l'affaire devait être appelée à l'audience de la Chambre d'accusation ;
" alors que la formalité imposée par l'article 197 alinéa 1 du Code de procédure pénale de la notification aux parties et à leurs conseils de la date de l'audience où sera appelée une cause soumise à la Chambre d'accusation est essentielle aux droits de la défense et doit être observée à peine de nullité de l'arrêt à intervenir ; que lorsqu'un inculpé a plusieurs conseils, cette formalité doit être respectée à l'égard de chacun d'eux lorsqu'il n'a pas désigné lequel d'entre eux devait se voir adresser les convocations et notifications et lorsqu'ils appartiennent à des barreaux différents ; qu'en l'espèce où l'inculpé Rolland avait désigné pour l'assister Maître V, du barreau d'Avignon et Maître W du barreau de Marseille, sans autre indication, il résulte des principes sus-rappelés que ces deux avocats devaient, à peine de nullité de l'arrêt à intervenir, se voir notifier la date à laquelle l'affaire serait appelée à l'audience " ;
Et sur le septième moyen de cassation propre à Rolland, et pris de la violation des articles 117, 118, 170, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense ;
" en ce que l'arrêt attaqué a omis de prononcer la nullité des deux interrogatoires en date des 19 septembre 1985 (pièces cotées D 1156 et 1165) ainsi que toute la procédure subséquente ;
" alors que lorsqu'un inculpé a désigné plusieurs avocats appartenant à des barreaux différents pour l'assister lors de l'instruction préparatoire et qu'il n'a pas fait connaître celui d'entre eux auquel seront adressées les convocations et notifications, celles-ci doivent être envoyées à chacun des conseils désignés ; qu'en l'espèce où l'inculpé Rolland avait désigné Maîtres V et W, respectivement des barreaux d'Avignon et de Marseille, sans donner d'autre indication, il résulte du principe sus-rappelé que ces deux conseils devaient être convoqués aux divers interrogatoires auxquels il était soumis ; que dès lors, Maître W n'ayant pas reçu de convocation pour les interrogatoires susvisés, il appartenait à la Chambre d'accusation d'en prononcer même d'office, la nullité ainsi que celle de toute la procédure subséquente " ;
Ces moyens étant réunis ;
Attendu que, par lettre en date du 22 juillet 1985, classée au dossier de la procédure sous le numéro A 195, Rolland a fait connaître au juge d'instruction qu'il récusait Me Lhotte, avocat au barreau de Marseille, qu'il avait précédemment choisi en qualité de conseil ; qu'à partir de cette date, aucune convocation ou notification n'avait plus à être adressée à cet avocat ;
Qu'ainsi les moyens qui manquent par les faits sur lesquels ils prétendent se fonder, doivent être écartés ;
Sur le deuxième moyen de cassation propre à Arpino, et pris de la violation des articles 118, 170, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a omis de prononcer la nullité de l'interrogatoire du 30 septembre 1983, ainsi que celle de la procédure subséquente (D 684) ;
" alors qu'il appartient à la Chambre d'accusation d'examiner la régularité des procédures qui lui sont soumises et d'en prononcer, le cas échéant, la nullité d'office ; qu'en l'espèce, il résulte du procès-verbal d'interrogatoire que le conseil de l'inculpé a été convoqué par une lettre recommandée envoyée le 26 septembre 1983 à 19 heures pour assister à l'interrogatoire de l'inculpé qui s'est déroulé le 30 septembre 1983 à 15 heures de sorte qu'il ne s'est pas écoulé un délai de quatre jours ouvrables entre l'envoi de la convocation et ledit interrogatoire ; que par ailleurs, le procès-verbal d'interrogatoire ne fait mention de la mise à la disposition de la procédure au conseil de l'inculpé que vingt-quatre heures avant l'interrogatoire ; que dès lors, en ne déclarant pas d'office la nullité de cet interrogatoire et de la procédure subséquente, la Chambre d'accusation a méconnu le principe ci-dessus rappelé " ;
Attendu qu'il résulte de la procédure que Arpino a été interrogé le 30 septembre 1983 alors que la lettre recommandée convoquant son conseil n'avait été expédiée que le 26 septembre 1983 ; qu'ainsi le délai de quatre jours ouvrables entre la convocation et l'interrogatoire n'a pas été observé ; qu'en outre, il est mentionné au procès-verbal que le dossier a été mis à la disposition du conseil vingt-quatre heures seulement avant l'interrogatoire ;
Qu'en cet état les dispositions des alinéas 2 et 3 de l'article 118 du Code de procédure pénale ayant été méconnues par le juge d'instruction la nullité prévue par l'article 170 du même Code, à laquelle l'inculpé n'a pas renoncé, est caractérisée ;
Mais attendu que le conseil de l'inculpé a assisté à l'interrogatoire critiqué et qu'aucune protestation n'a été élevée ; qu'il n'est ainsi établi, ni même allégué, que les irrégularités commises ont eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de Arpino ; qu'il s'ensuit, par application de l'article 802 du Code de procédure pénale, que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 159, 172, 206 et 591 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a omis d'annuler les opérations d'expertise confiées, par six ordonnances en date des 8 août 1983 (pièces cotées D 824, 834, 844, 853, 864 et 874) à Monsieur Castres U U, et par une ordonnance en date du 8 août 1983 (pièce cotée D 814) à Mademoiselle Bernadette T ;
" alors que lorsque l'expertise touche au fond de l'affaire, les experts commis sont, sauf circonstances exceptionnelles, au moins au nombre de deux ; qu'en l'espèce, les expertises visant à relever le taux d'alcoolémie des victimes portaient sur le fond de l'affaire puisqu'elles concernaient le comportement des victimes au moment des faits ; que, dès lors, les ordonnances susvisées n'établissant pas les circonstances exceptionnelles qui justifiaient le choix d'un expert unique, et la procédure prévue, à peine de nullité, par l'alinéa 2 de l'article 159 du Code de procédure pénale n'ayant pas été observée, il s'ensuit que ces expertises sont nulles et qu'en omettant de constater leur nullité, la Chambre d'accusation a violé les dispositions des textes susvisés " ;
Attendu que, par six ordonnances en date du 8 août 1983, le juge d'instruction, saisi d'une information contre X des chefs d'homicides volontaires et tentative de vol aggravé criminel, a commis M. Castres U U, afin de relever le taux d'alcoolémie de six victimes ; que, par ordonnance du même jour, il a chargé Mlle T, de procéder à la même opération sur le sang de la septième victime ;
Attendu que, contrairement à ce qui est allégué au moyen, le magistrat instructeur n'a nullement méconnu les dispositions de l'article 159 du Code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 1985 ;
Qu'en effet, les missions confiées, limitées à la recherche du taux d'alcoolémie des victimes, aucune interprétation des résultats n'étant demandée, entraient dans le cadre de simples constatations ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le sixième moyen de cassation pris de la violation des articles 106, 107, 121, 206, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt a omis d'annuler d'office le procès-verbal de transport sur les lieux dressé le 23 avril 1985 (pièce cotée D 1132), lequel analyse les déclarations et réponses des inculpés et témoins qui ont été interrogés hors les formes prescrites par les articles 103, 106, 107 et 121 du Code de procédure pénale ;
" alors que la Chambre d'accusation aurait dû annuler d'office ce procès-verbal qui fait état des déclarations faites au cours de ce transport par les inculpés et témoins sans qu'ait été établi un procès-verbal régulier des déclarations des personnes entendues ; qu'en omettant de reconnaître le vice qui affectait cette pièce, et d'annuler celle-ci, la Chambre d'accusation n'a pas justifié sa décision " ;
Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure qu'au cours de l'information suivie notamment contre Arpino et Rolland, des chefs d'homicides volontaires, homicide volontaire avec préméditation et tentative de vol aggravé criminel, le juge d'instruction s'est transporté sur les lieux le 23 avril 1985, assisté de son greffier et accompagné du procureur de la République, aux fins de procéder à la reconstitution des faits, en présence des inculpés et de leurs conseils, de ceux des parties civiles et des témoins ; qu'après avoir effectué diverses constatations et vérifications, il a clos son procès-verbal de transport ;
Attendu que, contrairement à ce qui est allégué au moyen, la réflexion spontanée de l'inculpé Roussel, mentionnée au procès-verbal, ainsi que quelques précisions indispensables au déroulement de la reconstitution fournies par des officiers de police, ne constituaient pas un interrogatoire ou l'audition de témoins ; qu'elles ne rendaient pas nécessaire la rédaction de procès-verbaux dans les formes prescrites par le Code de procédure pénale ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Mais sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation des articles 157, 160, 172, 206 et 591 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a omis d'annuler les opérations d'expertise confiées, par une ordonnance du 21 novembre 1983 (D 1044) à Mesdames S et ..., cette dernière étant expert non inscrit sur la liste de la Cour d'appel ni sur la liste nationale établie par le bureau de la Cour de Cassation ;
" alors, d'une part, que lorsqu'une expertise est confiée à un expert non inscrit sur l'une de ces listes, l'ordonnance le désignant doit être spécialement motivée ; qu'en l'espèce, l'ordonnance désignant Madame R, expert non inscrit, pour procéder à l'examen des scellés afin d'analyser et de rechercher toutes traces suspectes et d'apporter toutes explications utiles à la manifestation de la vérité, ne comporte aucun motif ; que, dès lors, la Chambre d'accusation se devait de prononcer la nullité de ladite désignation ainsi que celle de la procédure subséquente ;
" alors, d'autre part, que lorsque l'expert désigné ne figure sur aucune des listes visées par l'article 157, il doit prêter serment devant le juge d'instruction ; que si l'article 160 du Code de procédure pénale n'impose pas une prestation de serment préalable au commencement des opérations d'expertise, cette formalité d'ordre public doit néanmoins intervenir à bref délai après la désignation de l'expert et plusieurs jours avant le dépôt du rapport ; qu'en l'espèce où le procès-verbal de prestation de serment n'est pas daté, il n'est pas possible de déterminer si ces prescriptions ont été observées ; que, dès lors, l'expertise est nulle ainsi que toute la procédure subséquente et il appartenait à la Chambre d'accusation chargée de vérifier la régularité de la procédure de prononcer cette nullité, même d'office " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, selon les dispositions des alinéas 1 et 3 de l'article 157 du Code de procédure pénale, les experts sont choisis sur la liste nationale établie par la Cour de Cassation ou sur l'une des listes dressées par les Cours d'appel ; que ce n'est qu'à titre exceptionnel et par décision motivée que peut être choisi un expert ne figurant sur aucune de ces listes ; que le procès-verbal de prestation de serment d'un tel expert, prévu par l'article 160 du Code précité, doit être daté et signé par l'expert, le juge et le greffier ;
Attendu que ces prescriptions sont substantielles comme ayant pour objet de garantir la valeur de l'expertise ;
Attendu que, par ordonnance en date du 21 novembre 1983, le juge d'instruction a désigné, pour procéder à une expertise portant sur le fond de l'affaire, un expert inscrit sur la liste de la Cour d'appel et Mme R, non-inscrite sur une liste d'experts ;
Attendu que la désignation de ce dernier expert n'est pas motivée ; qu'en outre, le procès-verbal constatant sa prestation de serment n'est pas daté et ne porte que sa signature ; que, de ce fait, la Cour de Cassation n'est pas en mesure de vérifier si le serment a été reçu à bref délai après désignation de l'expert et antérieurement au dépôt du rapport ;
Attendu, dès lors, qu'en s'abstenant d'examiner ainsi que l'article 206 du Code de procédure pénale lui en faisait obligation, la régularité de la procédure qui lui était soumise en application de l'article 181 du même Code et en omettant de constater, fût-ce d'office, la nullité de l'expertise ordonnée le 21 novembre 1983, et de tirer de cette constatation les conséquences légales qu'elle comportait, la Chambre d'accusation a violé lesdites dispositions ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Et sur le cinquième moyen de cassation pris de la violation des articles 156, 161 et 591 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a omis de prononcer la nullité des opérations d'expertise balistiques effectuées par Messieurs Q et Q, experts en armurerie requis par Monsieur P, officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction ;
" alors que les magistrats instructeurs ne tiennent d'aucun texte la faculté de déléguer leurs pouvoirs, en matière de désignation d'experts et ne peuvent donner mission, à un officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, de procéder à cette désignation ; que dès lors, la Chambre d'accusation devait prononcer la nullité desdites opérations effectuées en violation des règles légales de l'expertise " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que si, en application de l'article 156 du Code de procédure pénale, toute juridiction d'instruction ou de jugement peut ordonner une expertise dans le cas où se pose une question d'ordre technique, lesdites juridictions ne tiennent cependant d'aucun texte la faculté de déléguer leurs pouvoirs en matière de désignation d'experts ; qu'en particulier, il n'entre pas dans les pouvoirs d'un officier de police judiciaire, agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction, d'ordonner une mesure d'expertise et de désigner des experts ;
Attendu qu'il résulte de l'examen des pièces de la procédure que l'adjudant de gendarmerie Martines, officier de police judiciaire, agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction de Tarascon en date du 9 août 1983, a, lui-même, commis MM Q et Q, experts en armurerie et balistique près la Cour d'appel de Montpellier, afin de procéder à une expertise portant sur le fond de l'affaire ; que ces experts ont déposé, le 10 octobre 1983, leur rapport au cabinet du juge d'instruction ;
Attendu qu'en raison de l'irrégularité de la désignation de ces experts, la Chambre d'accusation saisie de la procédure en application de l'article 181 du Code de procédure pénale, aurait dû même d'office, conformément aux dispositions de l'article 206 du Code précité, constater la nullité de l'expertise et tirer de cette constatation les conséquences légales qu'elle comportait ; qu'en s'abstenant de le faire, elle a méconnu les dispositions de la loi ;
Qu'ainsi la cassation est encore encourue ;
Mais attendu que l'irrégularité des expertises critiquées par les quatrième et cinquième moyens ne saurait vicier l'ensemble de la procédure dont les actes ne sont qu'un élément que la Chambre d'accusation pouvait écarter ;
Qu'ainsi il appartiendra à la Cour de renvoi de statuer indépendamment des expertises incriminées ou d'ordonner telles mesures d'instruction qui lui paraîtraient nécessaires ;
Par ces motifs
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Nîmes en date du 23 mai 1986 dans toutes ses dispositions concernant François ... et Gérard Z ;
Et pour être statué à nouveau conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Lyon ;
Et, pour le cas où ladite Chambre d'accusation déclarerait qu'il existe contre Arpino et Rolland des charges suffisantes à l'égard des chefs de la poursuite ;
Vu l'article 611 du Code de procédure pénale ;
Réglant de juges par avance
Dit que la Chambre d'accusation renverra les accusés devant la Cour d'assises du département de Vaucluse pour y être jugés