Jurisprudence : Cass. crim., 20-03-2024, n° 23-85.065, F-D, Cassation

Cass. crim., 20-03-2024, n° 23-85.065, F-D, Cassation

A54012WX

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2024:CR00347

Identifiant Legifrance : JURITEXT000049321444

Référence

Cass. crim., 20-03-2024, n° 23-85.065, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105859341-cass-crim-20032024-n-2385065-fd-cassation
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N° N 23-85.065 F-D

N° 00347


SL2
20 MARS 2024


CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI


M. BONNAL président,


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 20 MARS 2024



M. [M] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 3 juillet 2023, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de tentative de meurtre en bande organisée, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 23 octobre 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.


Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boucard-Maman, avocat de M. [M] [P], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 février 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 27 mai 2020, trois hommes ont été gravement blessés par arme, le pronostic vital de l'un d'eux étant engagé.

3. Des investigations téléphoniques et des renseignements donnés par une personne n'ayant pas souhaité révéler son identité ont permis de suspecter quatre personnes, dont M. [M] [P].

4. Une information judiciaire a été ouverte le 8 octobre 2020, et M. [P] a été mis en examen du chef susvisé.

5. Le 12 décembre 2022, l'avocat de M. [Aa] a déposé une requête tendant à l'annulation de pièces de la procédure.


Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de M. [P] en annulation des procès-verbaux qui mentionnent les éléments de réponses aux réquisitions qui auraient été adressées au sujet du numéro IMEI [Numéro identifiant 2]et de la ligne téléphonique [XXXXXXXX01] (cotes D 1073 et 1074, cotes D 1076 à D 1082 ; cotes D 1084 à D 1088, cotes D 1192 à D 1193, cotes D 1915 à D 1917, cotes D 2193 à D 2195), alors :

« 1°/ que l'article 15 § 1 de la directive 2002/58/CE, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52 de la Charte des droits fondamentaux s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, qui dirige la procédure d'enquête et exerce, le cas échéant, l'action publique, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et à la localisation ; que l'irrégularité résultant de ce que cette autorisation n'a pas été donnée par un magistrat du siège mais par le procureur de la République constitue la violation d'une règle d'ordre public de compétence, qui cause nécessairement grief ; qu'en refusant d'annuler, en l'espèce, des procès-verbaux de données de téléphonie recueillis sur autorisation du procureur de la République, au motif que cette irrégularité n'aurait causé aucun grief, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 15 § 1 de la directive 2002/58/CE, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52 de la Charte des droits fondamentaux, ensemble l'article préliminaire et l'article 77-1-1 du code de procédure pénale🏛, dans sa rédaction issue de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019🏛 ;

2°/ que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des parties ; que le mis en examen doit avoir accès au dossier complet de la procédure ; que la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en retenant, pour écarter le moyen pris de l'absence de versement à la procédure des réponses apportées par les opérateurs de téléphonie mobile aux réquisitions du ministère public délivrées sur le fondement de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, que ces réponses figureraient aux côtes D 2197 et suivants du dossier, cependant que les cotes en question ne contiennent pas les réponses apportées par ces opérateurs, mais un tableau analysé et retraité par les enquêteurs, dont rien ne permet d'établir qu'il rendrait compte fidèlement des données qui auraient été transmises, la chambre de l'instruction statué par motifs contradictoires et méconnu l'article 593 du code de procédure pénale🏛. »


Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

7. Il résulte des pièces de la procédure que les enquêteurs ont procédé à plusieurs réquisitions sur autorisation du procureur de la République aux fins d'obtention de données de connexion, fondées sur l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, en sa version résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.

8. La Cour de cassation juge que cet article est contraire au droit de l'Union uniquement en ce qu'il ne prévoit pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710⚖️, publié au Bulletin).

9. Elle juge également que les exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de connexion ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d'expression, de sorte que leur méconnaissance n'affecte qu'un intérêt privé.

10. Elle ajoute que, en conséquence, le juge pénal ne peut prononcer la nullité, en application des dispositions de l'article 802 du code de procédure pénale🏛, que si l'irrégularité elle-même a occasionné un préjudice au requérant.

11. Il résulte des pièces de la procédure que M. [P] n'a démontré ni allégué aucun grief autre que sa seule mise en cause par les actes d'enquête critiqués.

12. Par conséquent, le grief, inopérant en ce qu'il vise les actes cotés D 1915 à D 1917 et D 2193 à D 2195, dressés en exécution d'une commission rogatoire du juge d'instruction, magistrat compétent pour délivrer une autorisation aux fins de procéder à de tels actes, n'est pour le surplus pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

13. Pour écarter le moyen de nullité, pris de l'absence au dossier des réponses des opérateurs téléphoniques aux réquisitions des enquêteurs, l'arrêt attaqué énonce que l'ensemble des réponses des opérateurs figurent déjà à la procédure.

14. C'est à tort que les juges ont indiqué que lesdites pièces figuraient déjà au dossier, dès lors qu'il résulte de l'examen des pièces de la procédure que tel n'est pas le cas de la réponse à leur réquisition du 21 mai 2021, cotée D 1915 à D 1917.

15. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.

16. En effet, l'absence de ces pièces au dossier n'est pas de nature à entraîner la nullité des procès-verbaux critiqués, régulièrement établis, dont la défense pourra discuter la force probante lors de l'examen par la juridiction d'instruction, au terme de l'information, de l'existence de charges suffisantes.

17. Ainsi, le moyen doit être écarté.


Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de M. [P] en annulation du témoignage d'une personne ne voulant pas communiquer son identité, recueilli par les enquêteurs le 21 juillet 2020 (cotes D 837 à D 840), alors « que la connaissance, par une personne faisant l'objet d'une accusation en matière pénale de l'identité des témoins qui la mettent en cause est une exigence fondamentale des droits de la défense à laquelle il ne peut être dérogé que par la mise en œuvre des dispositions des articles 706-58 du code de procédure pénale🏛 ; que si ces dispositions ne s'appliquent pas au recueil d'un simple renseignement, le procès-verbal dressé par un officier de police, avant tout acte d'enquête, qui ne se borne pas à consigner des déclarations spontanées d'une personne sans l'interroger, mais qui l'interroge ou lui demande des précisions sur ses déclarations, constitue un procès-verbal de recueil d'un témoignage ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler un procès-verbal ayant pour objet le « recueil d'un témoignage d'une personne ne voulant pas communiquer son identité », malgré l'absence de mise en œuvre des dispositions des articles 706-58 à 706-62 du code de procédure pénale🏛, que ce témoignage constituerait un simple renseignement non soumis à ces dispositions, cependant que ledit procès-verbal faisait état de réponses apportées par la personne entendue à des demandes de précisions formulées par les enquêteurs, de sorte que ces déclarations constituaient un témoignage et non un simple renseignement, la chambre de l'instruction a méconnu les dispositions précitées ensemble l'article 6 §1 et 6§3, d, de la Convention européenne des droits de l'homme🏛. »


Réponse de la Cour

Vu l'article 706-58 du code de procédure pénale :

19. Selon ce texte, lorsque l'audition d'une personne à l'encontre de laquelle il n'existe aucune raison plausible de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut, par décision motivée, autoriser que les déclarations de cette personne soient recueillies sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure.

20. Pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal, l'arrêt attaqué énonce que, dans le cadre de ce recueil de renseignements, aucune question n'a été posée par l'officier de police judiciaire qui s'est borné à retranscrire sur procès-verbal les déclarations de l'intéressé.

21. Les juges ajoutent que les différentes mentions figurant dans le procès-verbal, telles que « à votre demande, je précise », ne constituent pas des questions posées par l'enquêteur, mais ont eu pour objet de faire préciser au déclarant ses déclarations et de clarifier ses propos.

22. Ils en concluent que, si ce recueil de renseignements a permis d'orienter les enquêteurs dans leur enquête, il reste dépourvu de force probante.

23. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé.

24. En effet, il résulte de ses constatations que les déclarations de l'intéressé n'étaient pas exclusivement spontanées, et constituaient pour partie des réponses aux interrogations de l'enquêteur.

25. Dès lors, cet acte constituait une audition, laquelle ne pouvait être conduite, sous couvert de l'anonymat, que dans les conditions et formes prescrites par l'article 706-58 susvisé.

26. La méconnaissance de cette règle fait nécessairement grief au demandeur, qui se trouve dans l'impossibilité de former le recours prévu à l'article 706-60 du code de procédure pénale🏛, puis de solliciter, en cas de renvoi ultérieur devant la juridiction de jugement, la confrontation prévue à l'article 706-61 du même code🏛.

27. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.


Portée et conséquences de la cassation

28. La cassation à intervenir aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3, alinéa 3, du code de l'organisation judiciaire🏛, en prononçant l'annulation des seules cotes D 837 à D 840, correspondant à l'acte d'enquête irrégulièrement accompli, et la cancellation des pièces postérieures en ce qu'elles font référence à celles-ci, et qui seront détaillées au dispositif, à l'exclusion de toute autre pièce de la procédure. Les autres dispositions de l'arrêt attaqué, en ce qu'elles rejettent le surplus de la requête en annulation, seront donc maintenues.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 3 juillet 2023, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la requête en nullité, en ce qu'elle concerne les cotes D 837 à D 840, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

PRONONCE l'annulation des cotes D 837 à D 840 ;

ORDONNE leur retrait du dossier de la procédure et leur classement au greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et DIT qu'il sera interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties ;

ORDONNE la cancellation, après qu'il aura été pris une copie certifiée conforme par le greffier, pour être classée au greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, des pièces concernées :

- de la cote D 1831 : aux deux premières lignes du troisième paragraphe, commençant par « l'exploitation des vidéos communales », les mots « les propos d'un anonyme, s'étant présenté aux policiers lors des constatations, sur » ;

- de la cote D 1832 : le deuxième paragraphe, composé de sept lignes, commençant par « La réception d'un témoignage sous X… » ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-quatre.

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