Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 2 juin 2021, le 24 mars 2022,
le 25 mars 2022, le 1er juillet 2022, le 28 février 2023 et le 26 mai 2023, Aa.
EA C... et M. Ab... F..., représentés par la SCP Lyon-Caen et Thiriez,
demandent au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 2 avril 2021 par lequel le Premier ministre,
exerçant les attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, a
renouvelé l'agrément de l'association Anticor en vue de l'exercice des droits
reconnus à la partie civile ;
2°) de rejeter la demande de l'association Anticor tendant à ce que les effets
de l'annulation soient modulés dans le temps ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application
des dispositions de l'
article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors qu'ils ont qualité et intérêt à agir
contre la décision attaquée ;
- l'arrêté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 1er du décret n° 2014-327 du 12
mars 2014 en ce que l'association ne remplit pas les conditions tenant, d'une
part, au caractère indépendant et désintéressé de ses activités et, d'autre
part, à l'information des membres de l'association et à leur participation
effective à sa gestion ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que l'administration a
accordé le renouvellement de l'agrément au regard, non pas du respect des
conditions posées par le texte, mais d'un engagement à les respecter à
l'avenir ;
- l'effet rétroactif de l'annulation de l'arrêté attaqué n'est pas de nature
à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets
que cet acte a produit et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il
était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien
temporaire de ses effets.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2022, le Premier ministre
conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. CA et M. F... ne sont pas
fondés.
Par des mémoires en défense enregistrés le 20 janvier 2023, le 17 mars 2023,
le 9 mai 2023 et le 26 mai 2023, l'association Anticor, représentée par Me
Brengarth, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre
subsidiaire, à ce que soient modulés dans les temps les effets d'une
annulation éventuelle de son agrément. Elle demande en outre au tribunal que
soit mise à la charge de MM. C... et F... une somme de 3 000 euros en
application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en l'absence de qualité et d'intérêt à agir de
MM. C... et F... ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
- une éventuelle annulation porterait atteinte à son droit d'accès au juge ;
- une éventuelle annulation de l'agrément fragiliserait la sécurité juridique
des procédures dans lesquelles Anticor a formé une plainte avec constitution
de partie civile ou s'est constituée partie civile en cours d'instruction ou
de jugement et porterait ainsi des conséquences manifestement excessives quant
à la lutte contre la corruption, le travail judiciaire en cours et l'intérêt
général qui s'attache à ce que justice soit rendue dans ces affaires et il y a
dès lors lieu de moduler dans le temps les effets de l'annulation pour
permettre à l'association de solliciter et d'obtenir le renouvellement de son
agrément dans un délai de six mois, ou, à titre subsidiaire, de reporter les
effets d'une annulation hypothétique à la date où le jugement aurait été
rendu, sans effet rétroactif compte tenu des procédures pénales en cours et
des effets d'une annulation éventuelle sur le droit d'accès au juge.
Par une intervention, enregistrée le 2 juin 2023 et qui n'a pas été
communiquée, M. AcA Ad... doit être regardé comme demandant que le tribunal
fasse droit aux conclusions de la requête de MM. C... et F....
Il soutient que l'agrément de l'association Anticor doit être annulé, cette
association utilisant les pouvoirs exorbitants qui lui sont attribués par voie
réglementaire à des fins intéressées.
Vu les autres pièces du dossier,
Vu :
- le code de procédure pénale,
- le
décret n° 2014-327 du 12 mars 2014🏛,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B,
- les conclusions de Mme Pestka, rapporteure publique,
- les observations de Me Thiriez, pour MM. C... et F...,
- les observations de Me Brengarth, pour l'association Anticor,
- et les observations de M. AdC
Considérant ce qui suit :
1. L'association Anticor a demandé, le 28 septembre 2020, le renouvellement
de l'agrément mentionné à l'
article 2-23 du code de procédure pénale🏛, en vue
de l'exercice des droits reconnus à la partie civile. Par un arrêté du 2 avril
2021, le Premier ministre, exerçant les attributions du garde des sceaux,
ministre de la justice, a renouvelé cet agrément pour une durée de trois ans à
compter du même jour. Par la présente requête, M. AaA C..., ancien membre de
l'association Anticor et dont le renouvellement de son adhésion a été refusé
par le bureau de l'association pour l'année 2021 et M. Ab... F..., membre de
l'association Anticor, demandent l'annulation de cet arrêté.
Sur la recevabilité de la requête :
En ce qui concerne l'intérêt à agir de M. F... :
2. Il est constant que M. AeA est membre de l'association Anticor. Dès lors
qu'il fait uniquement valoir que son recours a pour objectif de défendre les
intérêts moraux de l'association au motif que son fonctionnement ne lui permet
pas d'exercer son action conformément à son objet, il ne peut pas être regardé
comme justifiant d'un intérêt suffisamment personnel et direct à agir.
En ce qui concerne la qualité et l'intérêt à agir de M. CA :
3. Il est constant que M. CA n'est pas membre de l'association Anticor et
doit donc être regardé comme demandant d'annuler une décision d'agrément
favorable à un tiers. Toutefois, le requérant, ancien vérificateur des comptes
de l'association et membre de son comité d'éthique, avait, avant
l'enregistrement de la requête, alerté le ministère de la justice sur des
dysfonctionnements de l'association par un courrier du 16 juin 2020, puis
avait été exclu de l'association le 17 septembre 2020 en raison des modalités
selon lesquelles il avait dénoncé des dérives de fonctionnement. Dans ces
conditions, et alors qu'il a au demeurant fait l'objet d'une plainte pour
dénonciation calomnieuse de la part de l'association en décembre 2021, il doit
être regardé comme ayant un intérêt personnel suffisamment direct et certain à
contester la décision d'agrément attaquée, dont la délivrance est subordonnée
à l'absence de dysfonctionnements tels que ceux qu'il avait dénoncés.
4. Il résulte de ce qu'il précède que l'association Anticor n'est pas fondée
à soutenir que la requête serait irrecevable.
Sur l'intervention de M. AcA Ad... :
5. L'intervention présentée par M. AdA ne contient aucun moyen et ne fait
pas référence aux moyens soulevés par la requête, elle n'est ainsi pas
motivée. En outre, M. AdA n'est pas lié à l'association Anticor et, s'il fait
valoir que des personnes qui seraient liées directement ou indirectement à
cette association auraient commis des actes malveillants à son encontre, il ne
justifie ni même n'allègue que ces actes auraient été commis pour le compte de
l'association ou à l'aide de ses moyens. Enfin, il ne ressort pas des faits
présentés par M. AdA que l'association Anticor aurait fait usage des droits
reconnus à la partie civile dans le cadre d'une procédure pénale qui le
viserait. Dans ces conditions, il ne peut être regardé comme ayant un intérêt
suffisant à l'annulation de l'agrément de l'association Anticor. Par suite,
son intervention est irrecevable et ne peut être admise.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 2 avril 2021 :
6. Aux termes de l'article 2-23 du code de procédure pénale : « Toute
association agréée déclarée depuis au moins cinq ans à la date de la
constitution de partie civile, se proposant par ses statuts de lutter contre
la corruption, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui
concerne les infractions suivantes : / 1° Les infractions traduisant un
manquement au devoir de probité, réprimées aux articles 432-10 à 432-15 du
code pénal ; / 2° Les infractions de corruption et trafic d'influence,
réprimées aux articles 433-1, 433-2, 434-9, 434-9-1, 435-1 à 435-10 et 445-1 à
445-2-1 du même code ; / 3° Les infractions de recel ou de blanchiment,
réprimées aux articles 321-1, 321-2, 324-1 et 324-2 dudit code, du produit,
des revenus ou des choses provenant des infractions mentionnées aux 1° et 2°
du présent article ; 4° Les infractions réprimées aux
articles L. 106 à L. 109
du code électoral🏛🏛. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans
lesquelles les associations mentionnées au premier alinéa du présent article
peuvent être agréées. ( ) ». Aux termes de l'article 1er du décret n° 2014-327
du 12 mars 2014 relatif aux conditions d'agrément des associations de lutte
contre la corruption en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie
civile : « L'agrément prévu à l'article 2-23 du code de procédure pénale peut
être accordé à une association se proposant par ses statuts de lutter contre
la corruption lorsqu'elle remplit les conditions suivantes : / 1° Cinq années
d'existence à compter de sa déclaration ; / 2° Pendant ces années d'existence,
une activité effective et publique en vue de lutter contre la corruption et
les atteintes à la probité publique, appréciée notamment en fonction de
l'utilisation majoritaire de ses ressources pour l'exercice de cette activité,
de la réalisation et de la diffusion de publications, de l'organisation de
manifestations et la tenue de réunions d'information dans ces domaines ; / 3°
Un nombre suffisant de membres, cotisant soit individuellement, soit par
l'intermédiaire d'associations fédérées ; / 4° Le caractère désintéressé et
indépendant de ses activités, apprécié notamment eu égard à la provenance de
ses ressources ; / 5° Un fonctionnement régulier et conforme à ses statuts,
présentant des garanties permettant l'information de ses membres et leur
participation effective à sa gestion. ».
7. En premier lieu, il ressort des termes mêmes de l'arrêté que
l'administration a entendu relever, d'une part, que l'absence de transparence
sur les dons conséquents réalisés par une personne physique à l'association,
sont de nature à faire naitre un doute sur le caractère désintéressé et
indépendant des activités passées de l'association, et, d'autre part, que
l'absence de formalisation, par les statuts de l'association, des procédures
d'information du conseil d'administration conjuguée à la non-information
effective de celui-ci n'ont pas, par le passé, garanti l'information de ses
membres et leur participation effective à la gestion de l'association.
Toutefois, pour accorder le renouvellement malgré ces éléments témoignant du
non-respect des conditions prévues aux termes des dispositions précitées des
4° et 5° de l'
article 1er du décret du 12 mars 2014🏛, le Premier ministre a
considéré que l'association avait, dans le cadre de la procédure d'instruction
de la demande de renouvellement, manifesté l'intention de se doter d'un
commissaire aux comptes pour accroitre la transparence de son fonctionnement
financier et de procéder à une refonte de ses statuts et de son règlement
intérieur. Alors que les dispositions précitées ne permettent pas à
l'administration d'accorder l'agrément à une association qui n'en remplit pas
les conditions, le Premier ministre ne pouvait, sans commettre d'erreur de
droit, se fonder sur la circonstance que l'association se serait engagée à
prendre des mesures correctives visant à se mettre en conformité avec ses
obligations postérieurement à la date de la décision d'agrément.
8. En second lieu, dès lors que la capacité pour une association à exercer
les droits reconnus à la partie civile prévue par les dispositions de
l'article 2-23 du code de procédure pénale est subordonnée à l'obtention d'un
agrément que l'administration a la faculté de délivrer lorsque les conditions
précitées sont remplies, l'association Anticor ne peut utilement soutenir
qu'une éventuelle annulation méconnaitrait le droit à l'accès au juge.
9. Par suite, M. CA est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 2
avril 2021 par lequel le Premier ministre, exerçant les attributions du garde
des sceaux, ministre de la justice, a renouvelé l'agrément de l'association
Anticor en vue de l'exercice des droits reconnus à la partie civile.
Sur la demande de modulation dans le temps des effets de l'annulation :
10. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte
est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet
rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences
manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et
des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de
l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets,
il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les
observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou
invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de
prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de
l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et,
d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de
légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation
dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en
rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au
principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans
l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation, ou, lorsqu'il a
décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux
effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses
engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes
pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet
acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou
même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date
ultérieure qu'il détermine.
11. En l'espèce, l'association Anticor soutient que l'effet rétroactif de
l'annulation de l'agrément serait susceptible, dès lors que les constitutions
de partie civile formées par l'association pourraient être jugées
irrecevables, de fragiliser les procédures concernées et aurait ainsi des
conséquences manifestement excessives sur les intérêts publics tirés de la
lutte contre la corruption et, plus généralement, de la justice. Toutefois, à
supposer que le juge judiciaire compétent retienne l'irrecevabilité des
constitutions de parties civiles formées par l'association, il est constant
que cet effet de l'annulation concernerait uniquement les constitutions de
partie civile postérieures à la date de l'agrément attaqué. En outre, il
ressort des
articles 85 et suivants du code de procédure pénale🏛 et des
articles 418 et suivants du même code🏛, éclairés par la jurisprudence de la
chambre criminelle de la Cour de Cassation, que, d'une part, l'irrecevabilité
d'une constitution de partie civile formée en cours d'instance n'a pas d'effet
par elle-même sur l'action publique, laquelle préexistait et que, d'autre
part, l'irrecevabilité en cours d'instruction ou de jugement d'une plainte
avec constitution de partie civile n'a pas par elle-même d'effet sur l'action
publique, dès lors que la poursuite aura été valablement exercée par les
réquisitions de ministère public. En outre, il sera en tout état de cause
loisible à l'association Anticor d'interjeter appel, lequel a un caractère
suspensif, des éventuelles décisions du juge judiciaire compétent relatives à
l'irrecevabilité de ses constitutions. Enfin, il ne ressort pas des pièces du
dossier que l'absence d'agrément permettant à l'association Anticor d'exercer
les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certaines
infractions financières serait susceptible de porter de façon manifestement
excessive atteinte à l'intérêt général, alors qu'au surplus, il est constant
que deux autres associations ont bénéficié sur la période écoulée depuis le 18
avril 2021, et bénéficient encore, d'un agrément leur permettant d'exercer ces
mêmes droits. Dans ces conditions, au regard du moyen d'annulation retenu et
alors que l'effet rétroactif de l'annulation aurait uniquement pour
potentielle conséquence de faire perdre à l'association Anticor qualité pour
participer au procès pénal, il ne résulte pas des éléments produits par
l'association que cet effet serait par lui-même de nature à emporter des
conséquences manifestement excessives en raison des effets que l'agrément
avait produit sur elle ou d'un intérêt général pouvant s'attacher à un
maintien temporaire de ses effets.
12. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y pas lieu de faire droit à la
demande de l'association Anticor tendant à ce que soient modulés dans le temps
les effets de l'annulation de l'agrément du 2 avril 2021.
Sur les frais liés au litige :
13. Le signataire d'une requête collective, s'il n'a pas lui-même qualité
pour agir, ne peut se voir, même si la requête est accueillie, accorder le
remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
14. Il y a donc uniquement lieu, dans les circonstances de l'espèce, de
mettre à la charge de l'État, partie perdante, une somme de 2 000 euros, à
verser à M. CA au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative. Il n'y a pas lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions
de l'association Anticor, M. CA n'étant pas la partie perdante.