N° D 22-87.468 F-D
N° 00061
GM
24 JANVIER 2024
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2024
Mme [Aa] [S] [Y] et M. [B] [R] [P] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 7 décembre 2022, qui, pour escroquerie, a condamné le second à dix-huit mois d'emprisonnement dont neuf mois avec sursis, une interdiction définitive de gérer, une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [Aa] [S] [Y], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [B] [R] [P], dirigeant et associé unique de la société Les Bâtisseurs de l'ouest, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour avoir cédé à la société Bpifrance financement des créances relatives à diverses factures émises à l'égard de clients, correspondant à des travaux non totalement réalisés ou non engagés, pour avoir détourné des fonds de sa société et n'avoir pas tenu de comptabilité alors qu'elle était placée en liquidation judiciaire.
3. Le tribunal correctionnel l'a relaxé du chef de banqueroute par défaut de comptabilité, l'a condamné des chefs d'abus de biens sociaux et d'escroquerie à dix-huit mois d'emprisonnement dont neuf mois avec sursis et à une interdiction définitive de gérer. Il a ordonné la restitution à Mme [Aa] [S] [Y], épouse du prévenu, des créances relatives à trois contrats d'assurance-vie souscrits auprès du Crédit agricole, la confiscation des autres biens saisis et a statué sur les intérêts civils.
4. M. [R] [P] et le ministère public ont relevé appel de la décision.
Déchéance du pourvoi formé par M. [R] [P]
5. M. [R] [P] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'
article 590-1 du code de procédure pénale🏛.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté Mme [S] [Y] de sa demande de restitution des créances afférentes aux deux contrats d'assurance-vie souscrits auprès du Crédit Agricole à hauteur de 29 386,37 euros pour le contrat numéro 57445444750 et à hauteur de 466 513,14 euros pour le contrat numéro 57445444644, alors :
« 1°/ que la confiscation en valeur peut être exécutée sur tous biens, quelle qu'en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ; qu'en énonçant, pour refuser la restitution des créances afférentes aux contrats d'assurance-vie souscrits au nom de Mme [S] [Y], que M. [B] [R] [P], prévenu, était aussi le bénéficiaire économique de ces contrats dès lors que ceux-ci ont été alimentés par le produit de la vente de biens immobiliers partiellement financés par des fonds lui appartenant, sans rechercher si le prévenu pouvait librement disposer des fonds constitutifs de la valeur de rachat de ces contrats sans l'accord de son épouse, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif impropre à caractériser la « libre disposition », par le prévenu, des créances d'assurances-vie souscrites au nom d'un tiers, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'
article 1er du premier protocole à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales🏛, de l'article 17, paragraphe 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des
articles 131-21 du code pénal🏛, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 593 du code de procédure pénale🏛 :
7. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour condamner M. [R] [P] à la peine de confiscation des créances figurant sur deux contrats d'assurance-vie et rejeter la demande de restitution de Mme [S] [Y] de ces mêmes créances, l'arrêt attaqué énonce, après avoir observé que l'organisation patrimoniale mise en place par l'intéressé et son épouse visait manifestement à priver d'éventuels créanciers de toute garantie de recouvrement et signait une préméditation, qu'il ressort des éléments de la procédure un faisceau d'indices convergents et concordants démontrant sans aucune ambiguïté que M. [R] [P] était lui aussi bénéficiaire économique des contrats d'assurance-vie saisis, souscrits auprès du Crédit agricole.
9. Les juges relèvent que Mme [S] [Y] ne peut arguer de sa bonne foi, les contrats ayant été souscrits en décembre 2016, alors que ses propres comptes bancaires avaient recueilli une partie des sommes détournées par le biais d'abus de biens sociaux et qu'elle avait profité du voyage familial aux États-Unis financé frauduleusement par la société Les Bâtisseurs de l'ouest.
10. Ils soulignent que la souscription des deux contrats d'assurance-vie au seul nom de Mme [S] [Y] pour des montants respectifs de 450 000 euros et de 250 000 euros est intervenue les 14 et 15 décembre 2016, soit postérieurement à la vente le 19 juillet 2016 de l'immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 3], qui avait été acquis et édifié grâce à des fonds communs provenant essentiellement de M. [R] [P] ainsi que des travaux réalisés par celui-ci.
11. Ils retiennent qu'au regard de ses revenus mensuels a minima deux fois moindres que ceux de son époux, et alors que les agissements de ce dernier avaient considérablement permis d'augmenter le patrimoine du couple, Mme [S] [Y] ne pouvait ignorer la véritable provenance des fonds ayant permis l'acquisition des biens immobiliers et, à la suite de la vente d'un de ceux-ci, l'alimentation de ces deux contrats d'assurance-vie.
12. Ils observent que de même, Mme [S] [Y], en sa qualité de propriétaire de la maison louée située [Adresse 1] à [Localité 3], ne pouvait ignorer qu'une partie des huisseries de la maison avait été financée à hauteur de 23 476,35 euros par des abus de biens sociaux au préjudice de la société Les Bâtisseurs de l'ouest, alors de surcroît que les factures étaient au nom des deux époux.
13. Ils concluent qu'elle a participé sciemment à une fiction juridique dont l'objet était de la faire apparaître formellement propriétaire de biens immobiliers et titulaire de contrats d'assurance-vie, alors que ceux-ci avaient été respectivement acquis et souscrits grâce à des sommes provenant en grande partie de l'activité professionnelle de M. [R] [P], de l'apport en industrie de celui-ci et de ses agissements frauduleux, et que Mme [S] [Y] n'était pas titulaire de bonne foi des créances d'assurances-vie qui ont été saisies auprès du Crédit agricole.
14. Ils en déduisent que, compte tenu du montant des détournements qui avoisine 700 000 euros, soit 680 335,43 euros, outre le coût du voyage aux États-Unis, des conséquences funestes que ces agissements ont eues pour la société Les Bâtisseurs de l'ouest, qui employait une vingtaine de salariés, ainsi que pour les créanciers de celle-ci, la saisie des deux créances d'assurance-vie pour des montants respectifs de 29 386,37 et 466 513,14 euros, soit un total de 495 899,51 euros, est parfaitement adaptée et proportionnée aux agissements frauduleux du prévenu.
15. En se déterminant ainsi, sans établir que M. [R] [P] avait la libre disposition des créances figurant sur les contrats d'assurance-vie en ce qu'il en était l'unique titulaire économique réel, ni rechercher s'il n'en avait pas la libre disposition à proportion de sa contribution au financement des primes déposées sur ces contrats, la cour d'appel a insuffisamment justifié sa décision.
16. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [R] [P] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par Mme [S] [Y] :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 7 décembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-quatre.