Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 12-06-2024, n° 23-14.292

Cass. soc., Conclusions, 12-06-2024, n° 23-14.292

A20066CB

Référence

Cass. soc., Conclusions, 12-06-2024, n° 23-14.292. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112311308-cass-soc-conclusions-12062024-n-2314292
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AVIS DE Mme GRIVEL, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 620 du 12 juin 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-14.292⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble du 2 février 2023 Commissariat à l'Energie Atomique et aux énergies alternatives (CEA) C/ M. [N] [S] _________________

Audience de la FS1 du 14 mai 2024

Renvoyant au rapport pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il convient simplement de rappeler ici que le salarié a été licencié par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour faute simple, pour avoir tenu, de manière réitérée, des propos injurieux, dégradants et humiliants à connotation sexuelle à l'encontre de plusieurs collègues féminines (la lettre de licenciement est reproduite in extenso dans les faits du jugement). La cour d'appel a, par arrêt infirmatif, considéré que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, au motif que la sanction était disproportionnée, l'employeur n'ayant pas sanctionné plus tôt un comportement dont il avait connaissance et ayant envisagé initialement une mise à pied disciplinaire avant de saisir le conseil conventionnel. C'est dans ces conditions que le moyen unique en quatre branches du pourvoi de l'employeur vient demander à la chambre d'exercer un contrôle sur la cause réelle et sérieuse de licenciement, dès lors que l'employeur avait l'obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de faire cesser le comportement litigieux, dont la nature était constitutive d'une faute justifiant le licenciement. Une première précision doit être apportée : si l'employeur n'a pas qualifié expressément les propos reprochés de harcèlement sexuel, cette qualification ressort 1

cependant à l'évidence de la matérialité des faits et notamment de leur caractère répété et de leurs qualificatifs visés dans la lettre de licenciement et retenus par l'arrêt attaqué, lesquels renvoient à la définition donnée par l'article L. 1153-1 du code du travail🏛, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021🏛. Or, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige, elle ne s'impose pas quant à la qualification donnée aux faits, laquelle relève des pouvoirs du juge, comme le veut l'article 12 du code de procédure civile🏛 (Soc., 22 février 2005, pourvoi n°03-41.474⚖️, Bull. n°58). La cour d'appel n'a pas cru devoir retenir ni même évoquer -pas plus que le conseil de prud'hommes d'ailleurs- la qualification de harcèlement sexuel, qui avait été pourtant mise dans le débat, y compris et d'abord par le salarié lui-même dans ses conclusions (page 7). Pour autant, nous sommes bien, sans discussion possible, dans un cas de harcèlement sexuel subi par plusieurs salariées, du fait de la nature des propos tenus à leur encontre et de leur répétition, et si le moyen ne porte pas sur cette qualification juridique compte tenu de la position prise par l'employeur devant les juges du fond (ce pourquoi il ne vise pas les textes afférents au harcèlement sexuel) et se place sur un autre terrain, celui des agissements sexistes (article L. 1142-2-1) et de l'obligation de sécurité de droit commun (articles L. 4121-1 et -2), il n'est pas indifférent de situer le contexte juridique exact de l'affaire. Une seconde observation s'impose, compte tenu de la rédaction de la 1ère branche du moyen, selon laquelle les juges du fond, « en écartant la faute et le caractère réel et sérieux du licenciement, » n'auraient pas tiré les conséquences légales de leurs constatations. Et de poser en prémisse que « constitue une faute justifiant le licenciement tout comportement d'un salarié de nature insultante, humiliante, dégradante, sexiste ou de nature sexuelle à l'égard d'autres salariés ». En réalité, la cour d'appel n'a pas « écarté la faute » puisqu'elle a retenu que le CEA établissait la matérialité du grief reproché à M. [S] dans la lettre de licenciement, soit la tenue de propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants à l'encontre de deux collègues de sexe féminin, en les traitant, notamment, de salope et de partouzeuse. Elle a également considéré comme établi qu'il avait tenu, par le passé, des propos similaires. Elle a simplement estimé que la sanction du licenciement était disproportionnée -ce qui implicitement démontre qu'elle a retenu que la faute reprochée était bien constituée. La précision est d'importance car si la Cour de cassation, traditionnellement, laisse au pouvoir souverain des juges du fond l'appréciation de la cause réelle et sérieuse de licenciement, elle n'en contrôle pas moins dans ce cas la qualification de faute. A travers celle-ci, elle peut donc être amenée à vérifier s'il y a bien eu un manquement contractuel de la part du salarié justifiant le licenciement, même si elle n'en apprécie ni la réalité ni le caractère sérieux mais simplement la qualification juridique. Or la difficulté à laquelle se heurte le moyen est que tel n'est pas le cas ici, la faute ayant bien été retenue, et que, comme le relève le mémoire en défense, « les différents angles d'attaque choisis par le CEA visent tous à remettre en cause, devant la Cour de cassation, le pouvoir que la cour d'appel tenait de l'article L. 1235-1 du code du travail🏛 pour décider que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, après avoir relevé, par une décision motivée et au demeurant souveraine, que l'employeur du salarié était au courant qu'il tenait des propos inappropriés envers certaines collègues, ne l'a pourtant pas sanctionné en connaissance de cause, qu'il avait au surplus envisagé initialement une mise à pied d'un mois et qu'aucune sanction antérieure n'avait été prononcée pour des faits similaires dont l'employeur avait connaissance. » Pour trancher cette difficulté, il faut d'abord souligner que les textes applicables en la matière ont progressivement élargi la notion de harcèlement sexuel et modifié pour partie sa finalité.

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Les anciens articles L. 122-46 et L. 122-47 du code du travail🏛🏛, tels qu'ils avaient été instaurés par la loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992🏛, n'incriminaient en effet que le harcèlement sexuel commis, pour obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, c'est-à-dire l'employeur ou un supérieur hiérarchique de la victime, circonstance qui a disparu avec la loi de modernisation sociale n° 2002-73 du 17 janvier 2002 qui a entendu également sanctionner ce que certains hauteurs ont qualifié, -sans mauvais jeu de mots-, de harcèlement sexuel « horizontal », entre salariés en situation égalitaire. Devenus les articles L. 1153-1 à L. 1153-6, d'une lecture rendue plus facile par la reprise des textes relatifs au harcèlement moral, ils restaient centrés sur l'auteur des faits, lesquels étaient définis par son intention : « Les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelles à son profit ou au profit d'un tiers sont interdits » et « tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement sexuel est passible d'une sanction disciplinaire ». Si l'article L. 1153-5 prévoyait déjà que « l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement sexuel », on sortait peu, malgré tout, de l'optique pénaliste des faits. Mais le législateur social n'a jamais entendu définir et cataloguer les fautes, - sauf celles de l'employeur, dans l'esprit protecteur qui est le sien, ce pourquoi c'était le harcèlement sexuel de l'employeur ou de son représentant qui était initialement seul visé, la loi pénale étant là, le cas échéant, pour les autres. C'est pourquoi conformément à cet esprit, la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 a totalement inversé la vision des choses, en mettant le focus sur la victime des agissements, et sur les conséquences des actes qu'elle subit : « Aucun salarié ne doit subir des faits : 1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2° soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. » Ce faisant, elle a « subjectivé » la notion de harcèlement sexuel, laissant finalement au juge l'appréciation des caractères «dégradant ou humiliant », « intimidant, hostile ou offensant », les seuls éléments objectifs étant la connotation sexuelle des agissements et leur caractère répété, qui n'existait pas auparavant. L'accent a aussi été mis sur les obligations de l'employeur en matière de prévention, en intégrant le harcèlement sexuel au 7° de l'article L. 4121-2 (visé au moyen) relatif aux mesures mises en oeuvre sur le fondement des « principes généraux de prévention », la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 ayant quant à elle ajouté à l'article L. 1153-5 « que l'employeur est tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d'y mettre un terme et de les sanctionner », les trois actions poursuivant la même finalité dans l'esprit du législateur. La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 a complété la panoplie protectrice des victimes en introduisant à l'article L. 1142-2-1 du code du travail🏛 (également visé au moyen, de façon peu pertinente à mon sens, cette qualification n'ayant au demeurant pas été débattue) la notion d'agissements sexistes, en reprenant la même description des effets de ce type de comportement que pour le harcèlement sexuel mais en le rattachant au genre sexuel et non plus à la sexualité : « Nul ne doit subir d'agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d'une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, 3

hostile, dégradant, humiliant ou offensant. » Le législateur y voyait cette fois un aspect de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, sans l'assortir pour autant des mêmes conséquences répressives que les précédents agissements. Cet élargissement du champ d'incrimination des comportements à connotation sexuelle ne s'est pas accompagné d'une évolution notable de la jurisprudence rigoureuse de la chambre, comme l'ont relevé les auteurs cités par votre rapporteur, certains s'en réjouissant, d'autres s'en inquiétant. Si le législateur, en effet, selon son habitude, a laissé libre choix à l'employeur de la sanction, -tout comme l'accord-cadre européen du 26 avril 2007 sur le harcèlement et la violence au travail qui prévoit à son point 4 que « des mesures appropriées doivent être prises à l'égard du ou des auteurs. Ces mesures peuvent aller des sanctions disciplinaires au licenciement »- ce n'est pas le cas de la chambre sociale qui a imposé la qualification de faute grave à l'époque où le harcèlement sexuel s'exerçait dans le cadre d'un abus de pouvoir (Soc., 3 mai 1990, pourvoi n°88-41.513⚖️, Bull n°200\fs24plain ; Soc.5 mars 2002, n°00-40717⚖️, Bull n°83). Elle adoptait d'ailleurs la même position dès lors que les agissements étaient commis à l'égard de subordonnées, même lorsqu'aucune pression ou contrainte n'était établie à leur encontre, comme l'exigeait l'ancien article L. 122-46, en se gardant alors de qualifier les faits de harcèlement sexuel (Soc. 12 mars 2002, n°99-42.646⚖️, Bull n°89 ; Soc.10 décembre 2003,n°01-45.281⚖️; Soc., 25 octobre 2007, n°06-41.806⚖️). Et elle a maintenu cette qualification de faute grave pour des faits commis après la loi du 17 janvier 2002 (Soc., 24 septembre 2008, n°06-46.517⚖️, Bull. n°177) et, très récemment, après celle du 6 août 2012 (Soc., 13 mars 2024, n°22-20.970⚖️) dans des cas où, il est vrai, les circonstances de fait révélaient encore un abus d'autorité de la part d'un supérieur hiérarchique. En dehors de ces cas de harcèlement sexuel «vertical » pour lesquels vous considérez que la seule sanction possible est le licenciement pour faute grave, il reste que la jurisprudence est plus nuancée lorsque ce contexte n'apparaît pas ou fait apparaître un jeu de séduction réciproque (cf. Soc.25 septembre 2019, n°17-31171⚖️, qui ne retient pas la qualification de harcèlement sexuel), tenant compte du fait que la nouvelle définition du harcèlement sexuel, comme le fait remarquer un auteur cité au rapport 1, peut recouvrer des comportements de gravité très variable qui ne méritent pas tous la même sanction, même si le législateur les a assimilés dans le même texte, de la drague appuyée à l'ancien « droit de cuissage », des remarques lourdes aux propos injurieux ou avilissants. Et c'est avec beaucoup de finesse et de justesse que la chambre, dans un arrêt publié d'autant plus remarquable que son sommaire reprend le second attendu de principe qui n'était pas nécessaire à la solution retenue, a jugé que « l'obligation faite à l'employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement moral n'implique pas par elle-même la rupture immédiate du contrat de travail d'un salarié à l'origine d'une situation susceptible de caractériser ou dégénérer en harcèlement moral »(Soc., 22 octobre 2014, n°13-18.862⚖️, Bull.n°247). Cet arrêt met le doigt à mon sens sur ce qui caractérise les faits de harcèlement sexuel ou moral par rapport à une autre faute de gravité équivalente : elle porte atteinte à la dignité de la personne humaine et met ainsi en cause l'obligation de sécurité de l'employeur, qui se doit d'agir, légalement, pour y mettre fin : même si ce n'est pas le seul comportement fautif qui réponde à cette particularité, c'est bien le seul à être ainsi défini dans le code du travail. Un autre arrêt plus récent, dans le même sens, reproche à une cour d'appel de ne pas avoir recherché si l'employeur ne justifiait pas du respect de son obligation de prévention du 1

K. Meiffret-Delsanto, Droit social 2023, Les droits du salarié dénoncé pour des faits d'atteinte sexuelle dans l'entreprise

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harcèlement sexuel en ayant cessé de faire circuler dans la même voiture la salariée et son collègue dès qu'il avait été mis au courant de la situation de harcèlement sexuel alléguée par elle et en ayant informé l'inspection du travail (Soc. 18 janvier 2023, n°2123796). On rejoint donc ici la finalité des textes que je signalais plus haut : il ne s'agit plus seulement de sanctionner un comportement fautif mais de protéger ses victimes en y mettant un terme et en prévenant sa récidive. Et le moyen souligne à cet égard de manière extrêmement pertinente, tant dans la prémisse de ses 1re et 4e branches que dans le visa des articles 4121-1 et suivants du code du travail🏛, que l'appréciation du degré de gravité de la faute commise et de la proportion de la sanction prise doit se faire à travers ce prisme. Vous pourriez certes affirmer, comme la 1ère branche vous y invite, que «constitue une faute justifiant le licenciement tout comportement d'un salarié de nature insultante, humiliante, dégradante, sexiste ou de nature sexuelle à l'égard d'autres salariés », comme la chambre a pu le faire par le passé en retenant le caractère de faute grave pour des faits de cette nature. Mais de ce fait, vous pourriez donner ainsi l'impression d'une régression dans l'appréciation qu'il convient de porter sur ces agissements. Et la position qu'a prise l'employeur dans la présente affaire ne peut influer sur la vôtre, si elle prend la forme d'un arrêt de principe. On pourrait certes y voir une nuance apportée en ce que les faits n'ont pas été retenus comme harcèlement sexuel, mais nous avons vu que telle n'était pas jusqu'ici la position de la chambre, qui a toujours affiché la même sévérité à l'égard de faits dégradants quelle que soit la qualification juridique retenue. Et cela serait d'autant moins justifié qu'en l'espèce, il m'apparaît, comme je l'ai dit en préalable, que les faits revêtent bien la qualification de harcèlement sexuel, même s'il s'agit d'un harcèlement « horizontal ». Vous pourriez aussi, pour éviter toute ambiguïté, comme vous avez déjà pu le faire dans un arrêt relatif à des faits antérieurs à la loi du 31 août 2012, -donc sans exigence de répétition des faits- dans un cas similaire de licenciement pour simple faute, affirmer que les propos étaient de nature à caractériser un harcèlement sexuel, constitutif « à tout le moins » d'une cause réelle et sérieuse (Soc. 15 novembre 2017, n°16-1903). Mais si les circonstances de la présente affaire (où les propos sont réitérés à l'égard de plusieurs victimes) peuvent sembler mériter, « à tout le moins », cette réponse, appartient-il véritablement à la chambre de se substituer à l'employeur dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire ? Comme en matière de licenciement pour motif économique où l'Assemblée plénière (8 décembre 2000, n°97-44.219, Bull. n°11) dans l'arrêt SAT, a rappelé que l'employeur était seul juge de sa gestion et que le juge n'avait pas à se substituer à lui dans ses choix mais simplement à contrôler la réalité et le sérieux du motif de licenciement, la Cour peut-elle dicter la sanction qui doit être prise en matière de harcèlement sexuel ? Les articles L. 1333-1 et -2 et L. 1235-1 du code du travail🏛🏛 qui donnent au juge le pouvoir d'exercer un contrôle sur la proportionnalité de la sanction au regard de la faute commise ne l'autorisent pas à la modifier, la chambre a été amenée à l'affirmer il y a longtemps (Soc.23 avril 1986, n°84-40453⚖️), autorisent-ils la Cour à l'imposer dans tel type d'affaire ? L'éclairage particulier que le moyen a choisi me paraît être l'occasion d'emprunter une autre voie devant votre formation de section. Allant plus loin, il ne m'apparaît pas nécessairement opportun d'affirmer de manière péremptoire et générale que «constitue une faute justifiant le licenciement tout comportement revêtant la qualification de harcèlement sexuel ». En reprenant le contrôle de la simple cause réelle et sérieuse de licenciement pour ce type de faits, vous apporteriez une réponse non seulement peu orthodoxe au regard d'un contrôle que la chambre a abandonné depuis 35 ans mais qui 5

serait en contradiction avec votre jurisprudence admettant que l'employeur remplit son obligation de sécurité en prenant des mesures qui ne vont pas nécessairement jusqu'au licenciement. Surtout, elle ne me paraît répondre ni à la finalité du texte, ni à la finesse que doivent avoir nos collègues du fond dans l'appréciation des situations qu'ils ont à juger. La variété de celles-ci correspond au paradoxe de notre époque et des moeurs actuels, où les jeunes femmes revendiquent tout à la fois une liberté sexuelle débridée -comme la génération soixante-huitarde avant elles, mais accentuée encore par son expression sur les réseaux sociaux- et un contrôle personnel strict et exigeant sur leur corps, comme l'a révélé l'éclatant mouvement #MeToo. Or c'est bien les victimes qui doivent être prises aujourd'hui en considération en premier lieu au regard des textes et non plus l'auteur des faits. C'est pourquoi je proposerai de reprendre ce prisme pour répondre au moyen et casser l'arrêt attaqué. Ainsi, on peut d'emblée écarter les motifs retenus par la cour d'appel pour considérer que la sanction était disproportionnée. En jugeant « qu'aucune sanction antérieure n'avait été prononcée pour des faits similaires alors que l'employeur en avait connaissance », (appréciation des faits qui n'est au demeurant aucunement étayée, la cour d'appel n'ayant pas vérifié si les «responsables hiérarchiques» dont elle fait état avaient un pouvoir disciplinaire à l'égard de l'intéressé ou en avaient référé à celui qui en était titulaire, comme le relève le mémoire en défense) elle a statué par des motifs inopérants, déjà considérés comme tels par la chambre. Si cet argument de la tolérance de l'employeur est logiquement retenu par la jurisprudence en cas de faute grave, car l'employeur ne peut soutenir qu'un comportement fautif justifierait la rupture immédiate du contrat de travail alors qu'il a laissé perdurer ledit comportement, elle l'écarte en effet expressément dès lors que l'employeur a une obligation d'agir et de sanctionner le comportement en vertu de son obligation de sécurité : Soc., 18 février 2014, n°12-17.557⚖️, Bull. n°52 et Soc., 1er décembre 2011, n°10-18.920⚖️. C'est de manière encore moins pertinente que l'arrêt retient que, « alors que l'employeur envisageait initialement une mise à pied disciplinaire d'un mois lors de la séance du conseil conventionnel du CEA, le licenciement, sollicité par un représentant de la CGT, voté favorablement par le conseil conventionnel et notifié par le CEA, apparaît disproportionné », en ce que l'employeur avait « envisagé initialement une sanction moindre au titre des nouveaux faits, étant observé que le supérieur hiérarchique du salarié indique avoir sermonné celui-ci à ce titre, sans avoir déclenché de procédure disciplinaire ». Outre qu'on pourrait factuellement objecter que l'employeur avait préalablement mis à pied le salarié à titre provisoire et convoqué celui-ci à un entretien préalable à un licenciement, ce qui montre qu'il avait initialement envisagé la rupture du contrat de travail, on ne voit pas en quoi le fait d'avoir envisagé une autre sanction avant d'avoir pris l'avis du conseil disciplinaire l'empêcherait de tenir compte de celui-ci conformément précisément à son rôle. Une fois écartés ces motifs inopérants, vous pourriez, après avoir rappelé que, l'obligation pour l'employeur de sanctionner les faits de harcèlement sexuel étant rattachée à son obligation de sécurité qui lui impose, aux termes tant des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 (visés au moyen) que de l'article L. 1153-5 du code du travail🏛, de prendre « les mesures nécessaires » pour prévenir le renouvellement des faits, casser la décision attaquée faute d'avoir recherché si la sanction prise n'était pas nécessaire pour mettre un terme à ceux-ci. Cette solution permettrait aux juges du fond de tenir compte de nombreux éléments, comme l'existence ou non de plaintes préalables des victimes (qui n'auraient donc pas été suivies d'effet) ou la possibilité d'éloigner l'auteur des faits (en cas d'établissements multiples). Sans contrôler la cause réelle et sérieuse de licenciement, vous contrôleriez comme vous le faites habituellement la nécessité de 6

la mesure pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (art. L. 4121-1) ou, du moins, la recherche effective par les juges du fond de cette nécessité, et, plus précisément, de ce que la sanction disciplinaire, imposée par l'article L. 1153-5 en vue de mettre un terme aux faits de harcèlement sexuel, était ou non de nature à atteindre ce but, ce qui permettrait l'exercice d'un véritable contrôle de proportionnalité réclamé par la doctrine, mais exercé dans une optique de protection des victimes, tenant compte de l'évolution de la finalité des textes.

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