Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 06-11-2024, n° 23-15.368

Cass. soc., Conclusions, 06-11-2024, n° 23-15.368

A19206ET

Référence

Cass. soc., Conclusions, 06-11-2024, n° 23-15.368. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112540347-cass-soc-conclusions-06112024-n-2315368
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AVIS DE Mme ROQUES, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 1107 du 6 novembre 2024 (FS-B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-15.368⚖️ Décision attaquée : 16 mars 2023 de la cour d'appel de Caen SAS Les Ateliers Aubert-Labansat C/ M. [C] [P] _________________

1.

Faits et procédure

Le 5 juillet 1995, M. [C] [P] (le salarié) a été engagé en qualité de charpentier menuisier dans le cadre d'un CDI conclu avec la SAS Les Ateliers Aubert-Labansat (l'employeur). Il a été victime d'un accident du travail le 12 septembre 2016. Le 3 septembre 2018, le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste. Il a été licencié le 16 octobre 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Le salarié a saisi le conseil des prud'hommes de Coutances, contestant la régularité de son licenciement pour divers motifs.

1

Dans un jugement rendu le 7 décembre 2021, cette juridiction a, entre autres, dit que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement et l'a condamné à régler au salarié une somme équivalente à 8 mois de salaires. Le conseil des prud'hommes a considéré ce manquement établi car l'employeur ne prouvait pas avoir consulté les délégués du personnel mais également parce qu'il n'avait pas proposé au salarié un poste pourvu peu de temps après son licenciement et qu'il aurait pu occuper après une période de formation. Par arrêt rendu le 16 mars 2023, la cour d'appel de Caen a, notamment, confirmé « le jugement en ce qu'il a dit le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse » et condamné l'employeur à régler à ce dernier la somme équivalente à 8 mois de salaires. Pour sa part, elle a considéré que l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement en ne recherchant pas de poste, adapté à l'état de santé du salarié, dans toutes les sociétés du groupe dont il faisait partie. C'est l'arrêt attaqué par l'employeur. Il développe six arguments à l'appui de son pourvoi qui peuvent être regroupés comme suit. Il reproche, tout d'abord, à la cour d'appel d'avoir méconnu les termes du litiges ainsi que le principe de la contradiction en retenant des arguments juridiques non développés par le salarié et sans avoir au préalable mis les parties en état de les discuter (1ère et 2ème branches de son moyen). Il soutient, ensuite, que la cour d'appel n'a pas suffisamment caractérisé en quoi il faisait partie d'un groupe de sociétés, au sein duquel le reclassement du salarié aurait dû être recherché (4ème branche), et a fait peser exclusivement sur lui la charge de la preuve de l'existence de ce groupe alors qu'en la matière, « les juges du fond doivent former leur conviction au vu de l'ensemble des éléments qui leur sont soumis par les deux parties » (3ème branche). Enfin, il formule les mêmes griefs concernant la condition relative à la permutabilité du personnel entre les sociétés du prétendu groupe auquel il appartient, prévue par l'article L. 1226-10 du code du travail🏛 (5ème et 6ème branches). En réplique, le salarié conclut au rejet du pourvoi.

2.

Discussion et avis

Je partage l'avis de Mme le rapporteur Pecqueur sur les deux premières branches du moyen et pense qu'elles peuvent faire l'objet d'un rejet non spécialement motivé. En effet, l'employeur reproche à la cour d'appel d'avoir recherché l'existence d'un groupe de sociétés, au sens capitalistique du terme, alors que le salarié n'y avait aucunement fait référence.

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Toutefois, il résulte de la lecture des conclusions de l'employeur qu'il avait lui-même invoquer cette définition du groupe de sociétés, figurant à l'article L. 1226-10 du code du travail, pour soutenir qu'il n'appartenait pas à un tel ensemble. Il ne peut donc reprocher à la cour d'appel d'avoir répondu à des arguments qu'il avait lui-même mis dans le débat et développés.

Les autres arguments posent des questions similaires relatives à la caractérisation de la notion de groupe de sociétés et de la condition tenant à la permutabilité du personnel, qui sont deux des points qui peuvent être en discussion lorsqu'est contesté le respect par l'employeur de son obligation de reclassement d'un salarié. Si un médecin du travail conclut à l'inaptitude d'un salarié à son poste, et sauf le cas où le médecin du travail écarte toute possibilité de reclassement, l'employeur doit tenter de trouver et de proposer à ce dernier un autre poste, compatible avec son état de santé, pour lui permettre de converser son emploi. S'agissant d'une inaptitude d'origine professionnelle, l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction issue des ordonnances des 22 septembre et 20 décembre 2017, définit les modalités selon lesquelles l'employeur doit remplir cette obligation de reclassement. Ce texte dispose que : « Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce🏛. » Tout licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, décidé sans avoir respecté ces dispositions, est privé de cause réelle et sérieuse.

3

Dans notre espèce, l'employeur reproche à la cour d'appel d'avoir retenu qu'il faisait partie d'un groupe de sociétés, au sein duquel une permutabilité du personnel était possible, et d'avoir ainsi estimé qu'il avait manqué à son obligation de reclassement. Selon lui, elle n'a ni respecté le régime probatoire applicable, ni caractérisé suffisamment en quoi il n'avait pas respecté les conditions posées par l'article L. 122610. En matière de preuve, le code de procédure civile prévoit dans son article 9 que : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. » Afin de faciliter l'établissement de ces faits, ce même code prévoit notamment l'obligation pour chaque partie de communiquer les pièces dont elle fait état1 ainsi que la possibilité pour l'une d'elles d'obtenir la production forcée de certains documents, y compris détenus par des tiers, en sollicitant en ce sens le juge saisi du litige 2. Néanmoins, lorsque la preuve est impossible à rapporter pour celui qui se prévaut d'un fait, notamment lorsqu'il s'agit d'un fait négatif, un aménagement de la charge de la preuve peut être prévu. Il convient de déterminer, dans notre espèce, si la cour d'appel a respecté ces règles lorsqu'elle a tranché la question du périmètre de l'obligation de reclassement qui pesait sur l'employeur. Sur la caractérisation de l'existence d'un groupe de sociétés Puisque l'obligation de reclassement pèse sur l'employeur, il lui appartient de prouver qu'il l'a parfaitement exécutée. Toutefois, la chambre a précisé ce qui suit : « 7. Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties. »3 Comme l'indique Mme le rapporteur Pecqueur, la chambre a ainsi voulu « éviter de faire peser sur l'employeur une preuve négative, dans le cas où sans élément tangible permettant une discussion utile, un salarié invoque l'appartenance de l'employeur à un groupe. »

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Voir les articles 132 et suivants

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Cf. articles 138 à 142

3

Voir Soc., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-17.303 également cité au rapport ; il s'agissait dans cette espèce d'un licenciement pour motif économique ; cette solution avait déjà été énoncée dans un arrêt du 16 novembre 2016 (Soc., 16 novembre 2016, pourvoi n° 15-19.932)

4

Cette solution a été énoncée tant pour le licenciement pour motif économique que pour celui pour inaptitude et impossibilité de reclassement, qui sont les deux hypothèses dans lesquelles une telle obligation pèse sur l'employeur. Toutefois, dans ces dernières espèces, lorsque la chambre s'est prononcée, l'article L. 1226-10 du code du travail n'était pas rédigé dans les mêmes termes que ceux précités. Il ne faisait pas référence à la notion de groupe de sociétés et, par voie de conséquence, ne le définissait pas. La chambre avait donc estimé qu'un tel groupe pouvait être caractérisé par la seule condition de permutabilité du personnel au sein de plusieurs entités 4, en dehors de toute considération de dépendance juridique entre elles 5 et en dehors de toute considération capitalistique6. Ainsi, le groupe de sociétés, au sens de l'obligation de reclassement, était une notion autonome du droit commercial. Sa caractérisation était, à mon sens, plus aisée à rapporter, dès lors qu'il suffisait d'établir l'existence de liens entre plusieurs sociétés, tandis qu'il était plus difficile, voire impossible de rapporter la preuve contraire. Désormais, l'article L. 1226-10 renvoie à des dispositions du code de commerce pour définir le groupe de sociétés à prendre en compte pour déterminer le périmètre de reclassement. L'existence d'un tel groupe suppose qu'une société ait une certaine ascendance sur une ou plusieurs autres, soit parce qu'elle détient une part importante de son/leur capital social7, soit parce qu'elle dispose, juridiquement ou dans les faits, du pouvoir de déterminer les décisions de l'assemblée générale des associés ou actionnaires ou peut seule décider de la nomination et de la révocation des organes dirigeants8. Ainsi, pour caractériser le groupe de sociétés au sein duquel doit s'exercer l'obligation de reclassement, il faut rechercher : 4

Notamment Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 13-23.573⚖️, Bull. 2015, V, n° 26 et pour un exemple récent Soc., 27 mars 2024, pourvoi n° 22-20.013⚖️ 5

Voir en ce sens Soc., 31 janvier 2001, n° 98-43.897 : «⚖️ Attendu, ensuite, que le groupe au sein duquel les possibilités de reclassement doivent être recherchées, en cas de licenciement pour motif économique, ne se confond pas avec le groupe juridiquement défini par l'article L. 439-1 du Code du travail🏛 relatif à la constitution du comité de groupe mais s'entend de l'ensemble formé par les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel ; que la cour d'appel, ayant relevé que la société Gerd faisait partie du groupe Pigier et fait ressortir que ce groupe était constitué d'entreprises dont les activités et l'organisation leur permettent la permutation de personnel, a légalement justifié sa décision ; » ou Soc., 20 février 2008, pourvoi n° 06-45.335⚖️ 6

A titre d'exemple, Soc., 24 juin 2009, pourvoi n° 07-45.656⚖️, Bull. 2009, V, n° 163 ou Soc., 23 mai 2017, pourvoi n° 1611.680 7

cas de figure d'une société mère et de ses filiales prévu par l'article L. 233-1 du code de commerce🏛

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Hypothèses prévues à l'article L. 233-3 I et II et L. 233-16 du code de commerce🏛

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- qui détient le capital social de la société employeur et/ou qui détient, juridiquement ou dans les faits, la majorité des droits de vote au sein de son assemblée générale, - ou si elle détient tout ou partie du capital social d'autres sociétés ou le pouvoir dans leurs assemblées générales. Or, ces informations ne figurent pas dans l'extrait K-bis d'une société. En effet, celui-ci comporte, certes, une rubrique intitulée « GESTION, DIRECTION, ADMINISTRATION, CONTROLE, ASSOCIES OU MEMBRES » mais elle ne contient, dans les faits, que des informations relatives aux dirigeants et administrateurs, voire aux commissaires aux comptes, mais rien sur les associés ou actionnaires de la société 9. Des informations pertinentes peuvent être mentionnées dans les actes fondateurs des sociétés, que sont les statuts, et/ou dans les actes postérieurs les modifiant ou opérant cession de parts sociales, ainsi que dans des accords conclus entre associés ou actionnaires. Ces actes peuvent établir notamment qui sont les détenteurs des parts sociales ou actions ou des droits de votes à l'assemblée générale. Mais, alors que les premiers documents sont accessibles aux tiers à la société en s'adressant au greffe du tribunal de commerce dans le ressort duquel la société a son siège social, tel n'est pas le cas des accords entre associés10. Enfin, lorsque le groupe est caractérisé par le fait qu'une société détermine les décisions de l'assemblée générale d'une ou plusieurs autres, non pas parce qu'elle détient juridiquement les droits de vote mais en raison d'une situation de fait, seul l'examen des procès-verbaux d'assemblée générale permet de l'établir. Or, ces actes ne sont pas non plus accessibles aisément pour un tiers à la société. Ainsi, il me semble très difficile pour un salarié qui contesterait le périmètre de reclassement retenu par un employeur, d'établir de façon indiscutable l'existence d'un groupe capitalistique lorsque celui-ci est caractérisé par la prédominance d'une personne morale ou physique dans la prise de décision de l'assemblée générale des associés ou actionnaires d'une ou plusieurs sociétés. En effet, si une recherche de documents n'est pas impossible, ni insurmontable sur le plan matériel, le salarié ignore qu'elles sont les pièces qu'il lui est nécessaire d'obtenir. Il peut donc faire des recherches ou demandes de production de pièces non pertinentes. 9

Voir pour un détail des informations contenues dans l'extrait K-bis d'une société le site https://entreprendre.service-public.fr

10

Ceux-ci, appelés également accords extra-statutaires entre associés, présentent plusieurs avantages : ils sont « soumis au principe du consensualisme alors que l'établissement et la modification des statuts sont subordonnés à des conditions contraignantes » ; ils sont régis par la liberté contractuelle peuvent ne lier que certains associés, contrairement aux statuts, et , à la différence de ces derniers, ils ne donnent lieu, en principe, à aucune publicité légale. Voir pour plus de détails l'article du répertoire de droit commercial sur les « Statuts et actes annexes » rédigé par M. Arnaud LECOURT

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Par ailleurs, le salarié ne peut avoir accès à de ces informations par d'autres voies, que le greffe du tribunal de commerce ou son employeur, et notamment par l'intermédiaire du Comité Social et Economique (CSE). Si celui-ci est informé de la situation économique et financière de la société ou de ses orientations stratégiques, la base de données à laquelle ses membres ont accès, appelée Base de Données Economiques et Sociales (BDES), ne contient pas d'information permettant de caractériser d'éventuels liens capitalistiques avec d'autres sociétés. En effet, l'article L. 2312-36 du code du travail🏛 prévoit le contenu de la BDES, à défaut d'accord d'entreprise, doit contenir des informations sur les « transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe », ce qui induit qu'il n'y a pas de contestation sur l'existence d'un groupe mais ne permet pas nécessairement d'en fixer le périmètre, notamment parce que ces flux commerciaux et financiers peuvent n'exister qu'entre certaines entités du groupe, comme cela peut être le cas entre la sociétémère et ses filiales. De son côté, l'employeur a plus aisément accès à tous ces documents et a également la possibilité de fournir des pièces émanant de professionnels, tels que des expertscomptables ou commissaires aux comptes, qui peuvent attester de l'existence ou non de liens capitalistiques entre différentes sociétés.

Il me semble donc que la solution dégagée par la chambre dans sa jurisprudence précitée doit être adaptée dès lors qu'il est désormais exigé de caractériser un groupe de sociétés au sens capitalistique du terme. Lorsqu'est contesté le périmètre dans lequel il a procédé aux recherches d'un nouveau poste pour le salarié déclaré inapte, ce dernier ne peut, au regard des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile🏛 et de cette jurisprudence, se contenter de soutenir que ce périmètre était plus vaste, notamment parce que la société qui l'emploie appartient à un groupe, sans fournir à tout le moins un commencement de preuve de ses allégations. Il doit, selon moi, apporter un minimum de précisions, notamment en citant certaines des autres sociétés qui, selon lui, composent ce groupe, voire en versant aux débats des éléments de preuve de leurs liens entre elles. S'il ne le fait pas, sa contestation sur le périmètre retenu par l'employeur ne peut aboutir. Mais, s'il apporte des éléments sur ce prétendu groupe, l'employeur doit produire les documents qu'il estime pertinents pour écarter tous liens capitalistiques avec d'autres sociétés. Il assume une charge probatoire plus lourde que celle pesant sur le salarié e lui seul dispose d'un accès facilité aux documents permettant d'écarter toute appartenance à un groupe ou d'en fixer les limites.

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En ne le faisant pas, l'employeur court le risque que les juges du fond, au regard de tous les éléments produits de part et d'autre, retiennent un périmètre de reclassement plus vaste que celui qu'il avait lui-même déterminé. Cette solution permet, selon moi, de concilier les prévisions du code de procédure civile avec les spécificités en matière d'obligation de reclassement pour inaptitude d'origine professionnelle. Dès lors, il convient de déterminer si, dans notre espèce, les juges du fond ont correctement appliqué ces règles, étant rappelé qu'ils apprécient souverainement la valeur probante des pièces produites. Il ne peut qu'être constaté que, dans ses conclusions d'appel, le salarié consacrait peu de développements au groupe de reclassement et ne produisait aucune pièce à l'appui de ses dires. En effet, ses conclusions ne contenaient que quelques paragraphes sur le sujet. Néanmoins, il indiquait que : - la société qui l'employait était détenue par une holding, dont il donnait la dénomination, - son employeur occupait un « site » avec une SARL, qu'il nommait également, - il ajoutait que ces deux sociétés réalisaient des chantiers ensemble et avaient des activités complémentaires. Il en concluait que « la recherche de poste ne devait pas se faire que pour la structure de [son employeur] mais à l'échelle de toutes les sociétés détenues par [la holding] ». De son côté, l'employeur ne contestait pas l'existence de liens avec d'autres sociétés mais il contestait tout lien capitalistique, au sens de l'article L. 1226-10 du code du travail et des textes du code de commerce auxquels il renvoie. Il ne produisait qu'un document émanant de son expert- comptable pour en justifier. Ainsi, le débat ne portait pas sur l'existence de liens entre l'employeur et d'autres sociétés mais sur la nature de ces liens. Or, la cour d'appel a procédé à l'analyse de la pièce produite par l'employeur à l'appui de ses dires et a estimé qu'elle n'était probante. Elle a, d'abord, relevé que tant les écritures des parties que cette pièce établissaient que la société employeur était détenue par une Société par Actions Simplifiées (SAS), elle-même en partie détenue par une autre société possédant des parts sociales dans la SARL installée sur le même site que l'employeur. Elle a également retenu que les informations figurant dans l'attestation de l'expertcomptable ne permettaient pas de connaître les liens exacts entre toutes ces sociétés, ni tous les détenteurs de leur capital social.

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Elle a ainsi estimé que l'employeur ne fournissait pas d'éléments probants pour exclure l'existence de liens capitalistiques et a donc considéré qu'il faisait partie d'un groupe de sociétés. Il me semble que la motivation de la cour d'appel n'est pas critiquable. Elle s'est, en effet, prononcée au vu des éléments avancés par les parties, tantôt non contestés, tantôt fondés sur son analyse des pièces produites par l'employeur. Puisque l'employeur n'apportait pas la preuve de la nature des liens qu'il entretenait avec les sociétés citées de part et d'autre, je considère que la cour d'appel pouvait retenir l'existence d'un groupe de sociétés. Je suis donc d'avis de rejeter les 3ème et quatrième branches du pourvoi.

Sur la caractérisation de la condition de permutabilité du personnel au sein des sociétés d'un m me groupe Pour qu'il y ait méconnaissance de l'obligation de reclassement par l'employeur, il ne suffit pas d'établir que celui-ci n'a pas recherché de poste dans le périmètre du groupe de sociétés auquel il appartient, il doit également être établi que « l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation [des sociétés qui composent ce groupe] assurent la permutation de tout ou partie du personnel. » Cette condition était déjà posée par la jurisprudence avant qu'entre en vigueur l'article L. 1226-10 dans sa version issue des ordonnances des 22 septembre et 20 décembre 2017. Comme le rappelle Mme le rapporteur Pecqueur, si les juges du fond apprécient souverainement les possibilités de permutation du personnel au sein des sociétés d'un même groupe, la chambre contrôle que ceux-ci ont bien caractérisé la possibilité ou l'absence de possibilité d'une telle permutation. S'ils ne le font pas, la chambre censure leur décision pour défaut de base11. Quant à la preuve de cette possibilité de permutabilité ou de son absence, la chambre a énoncé que chaque partie doit apporter des éléments au soutien de sa thèse, les juges du fond se déterminant au vu de l'ensemble des pièces produites12. Mais, à mon sens, pèse sur l'employeur une charge plus lourde car il peut connaître plus aisément les contraintes techniques ou juridiques faisant obstacle à cette permutabilité. Je considère donc qu'il doit succomber s'il n'apporte pas d'éléments suffisants pour écarter toute permutabilité du personnel. 11

Voir en ce sens, notamment, Soc., 15 mars 2017, pourvoi n° 15-24.392⚖️, Soc., 5 juillet 2023, pourvoi n° 22-10.158⚖️, Soc., 27 mars 2024, pourvoi n° 22-20.013 ou Soc., 3 juillet 2024, pourvoi n° 22-19.865⚖️ 12

Voir en ce sens Soc., 16 novembre 2016, pourvoi n° 14-30.063⚖️, Bull. 2016, V, n° 216

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Reste à déterminer si, dans notre espèce, la cour d'appel a suffisamment caractérisé cette condition, dans le respect du régime probatoire applicable. L'arrêt est lapidaire sur ce point puisqu'il se contente de relever que l'employeur « n'établit, ni ne soutient d'ailleurs que la permutation du personnel aurait été impossible. » Il est vrai que l'employeur était taisant sur ce point dans ses écritures et s'était limité à indiquer qu'il n'y avait pas de « poste disponible en rapport avec la qualification » du salarié au sein de la SAS qui détenait l'intégralité de son capital social. Mais, le salarié n'avait pas non plus apporté de quelconques éléments, se contentant de soutenir que le périmètre de reclassement aurait dû s'étendre aux sociétés détenues par une holding sans jamais évoquer cette condition de permutabilité. C'est pourquoi, je considère que la motivation retenue ne saurait suffire à établir que cette condition était remplie. Il me semble donc que sa décision doit être sanctionnée pour défaut de base légale. Pour toutes ces raisons, je suis d'avis de casser l'arrêt sur la cinquième branche du moyen.

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