CE 5/6 ch.-r., 28-07-2022, n° 429341
A18758DS
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2022:429341.20220728
Référence
Par une décision n° 429341 du 14 octobre 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête présentée par l'association France Nature Environnement tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2018-847 du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et schémas d'aménagement et de gestion des eaux en tant qu'il prévoit à son article 7, modifiant l'article R. 212-13 du code de l'environnement relatif aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et schémas d'aménagement et de gestion des eaux, que " pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives mentionnées au XI de l'article L. 212-1 avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux mentionné au 4° du IV du même article, il est tenu compte des mesures d'évitement et de réduction et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ", ainsi que de la décision implicite née du refus de faire droit à sa demande de retrait de ces dispositions, a sursis à statuer sur cette requête jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions suivantes :
1° L'article 4 de la directive n° 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 doit-il être interprété comme permettant aux Etats membres, lorsqu'ils autorisent un programme ou un projet, de ne pas prendre en compte leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur l'état de l'eau de surface '
2° Dans l'affirmative, quelles conditions ces programmes et projets devraient-ils remplir, au sens de l'article 4 de la directive et, en particulier, de ses paragraphes 6 et 7 '
Par un arrêt C-525/20 du 5 mai 2022, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur ces questions.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 14 octobre 2020 ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive n° 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2005-475 du 16 mai 2005 ;
- l'arrêt C-461/13 du 1er juillet 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne, Bund fur Umwelt und Naturschutz Deutschland e. V. contre Bundesrepublik Deutschland ;
- l'arrêt C-525/20 du 5 mai 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;
1. Par sa requête, l'association France Nature Environnement (FNE) demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et schémas d'aménagement et de gestion des eaux en tant que son article 7 ajoute à l'article R. 212-13 du code de l'environnement un dernier alinéa comportant les mots : " il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ", ainsi que de la décision implicite née du refus opposé par le Premier ministre à sa demande tendant à ce que ces dispositions soient rapportées, en soutenant qu'elles méconnaissent les objectifs de la directive n° 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000, en particulier son article 4, en ce qu'elles excluent, dans l'appréciation portée par l'autorité administrative de la compatibilité des programmes et des décisions administratives avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux prévu par la loi, leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme.
2. En vertu du paragraphe 1 sous a) de l'article 4 de la directive n° 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, les Etats membres, en rendant opérationnels les programmes de mesures prévus dans le plan de gestion du district hydrographique et pour ce qui concerne les eaux de surface, " i) ()mettent en œuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l'état de toutes les masses d'eau de surface, sous réserve de l'application des paragraphes 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ; / ii) les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d'eau de surface, sous réserve de l'application du point iii) en ce qui concerne les masses d'eau artificielles et fortement modifiées afin de parvenir à un bon état des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions de l'annexe V, sous réserve de l'application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l'application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ; / iii) les États membres protègent et améliorent toutes les masses d'eau artificielles et fortement modifiées, en vue d'obtenir un bon potentiel écologique et un bon état chimique des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions énoncées à l'annexe V, sous réserve de l'application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l'application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ; / () ". Par son arrêt Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland e. V. contre Bundesrepublik Deutschland (C-461/13) du 1er juillet 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé la notion de détérioration de l'état d'une masse d'eau au sens de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000, en retenant que l'article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii) " doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l'octroi d'une dérogation, de refuser l'autorisation d'un projet particulier lorsqu'il est susceptible de provoquer une détérioration de l'état d'une masse d'eau de surface ou lorsqu'il compromet l'obtention d'un bon état des eaux de surface ou d'un bon potentiel écologique et d'un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive ".
3. Les paragraphes 6 et 7 de l'article 4 de la directive prévoient toutefois deux dérogations. Le paragraphe 6 précise que : " La détérioration temporaire de l'état des masses d'eau n'est pas considérée comme une infraction aux exigences de la présente directive si elle résulte de circonstances dues à des causes naturelles ou de force majeure, qui sont exceptionnelles ou qui n'auraient raisonnablement pas pu être prévues - en particulier les graves inondations et les sécheresses prolongées - ou de circonstances dues à des accidents qui n'auraient raisonnablement pas pu être prévus " et assortit cette dérogation de cinq conditions cumulatives. Pour sa part, le paragraphe 7 précise que les États membres ne commettent pas d'infraction lorsque " le fait de ne pas rétablir le bon état d'une eau souterraine, le bon état écologique ou, le cas échéant, le bon potentiel écologique ou de ne pas empêcher la détérioration de l'état d'une masse d'eau de surface ou d'eau souterraine résulte de nouvelles modifications des caractéristiques physiques d'une masse d'eau de surface ou de changements du niveau des masses d'eau souterraines " ou que " l'échec des mesures visant à prévenir la détérioration d'un très bon état vers un bon état de l'eau de surface résulte de nouvelles activités de développement humain durable " et que quatre conditions cumulatives sont réunies.
4. Il résulte d'une part de ces dispositions telles que déjà interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans sa décision citée au point 2 que l'article 4, paragraphe 1, sous a) de la directive " ne se limite pas à énoncer, selon une formulation programmatique, de simples objectifs de planification de gestion, mais déploie des effets contraignants, une fois déterminé l'état écologique de la masse d'eau concernée, à chaque étape de la procédure prescrite par cette directive ". Cette disposition ne contient donc pas uniquement des obligations de principe mais concerne également des projets particuliers. Il en résulte également que l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux de surface doit conduire les Etats membres à refuser l'autorisation d'un projet particulier lorsqu'il est susceptible de provoquer une détérioration de l'état d'une masse d'eau de surface ou lorsqu'il compromet l'obtention d'un bon état des eaux de surface ou d'un bon potentiel écologique et d'un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive, sous réserve des cas de dérogations qu'elle prévoit, aux paragraphes 6 et 7 de son article 4.
5. Il résulte d'autre part de ces dispositions de la directive, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 5 mai 2022 par lequel elle s'est prononcée sur les questions dont le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, l'avait saisie à titre préjudiciel, qu'elles ne permettent pas aux Etats membres, lorsqu'ils apprécient la compatibilité d'un programme ou d'un projet particulier avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux, de ne pas tenir compte d'impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur celles-ci, à moins qu'il ne soit manifeste que de tels impacts n'ont, par nature, que peu d'incidence sur l'état des masses d'eau concernées et qu'ils ne peuvent entraîner de " détérioration " de celui-ci, au sens de ces dispositions. Il en résulte également que lorsque, dans le cadre de la procédure d'autorisation d'un programme ou d'un projet, les autorités nationales compétentes déterminent que celui-ci est susceptible de provoquer une telle détérioration, ce programme ou ce projet ne peut, même si cette détérioration est de caractère temporaire, être autorisé que si les conditions prévues à l'article 4, paragraphe 7, de ladite directive sont remplies. A cet égard, la Cour de justice a précisé que l'interprétation telle que portée par le document d'orientation n° 36 consacré aux " dérogations aux objectifs environnementaux selon l'article 4 paragraphe 7 " élaboré, dans le cadre du processus appelé " Stratégie commune de mise en œuvre de la directive cadre sur l'eau et la directive inondations ", par les administrations concernées des États membres et de la Commission européenne, au cours du mois de décembre 2017, selon lequel lorsque de telles activités n'ont sur l'état d'une masse d'eau qu'un impact temporaire de courte durée et sans conséquences de long terme, elles peuvent faire l'objet d'une autorisation sans que celle-ci soit subordonnée au respect des conditions mentionnées à l'article 4, paragraphe 7 de ladite directive, ne découle pas des dispositions de la directive et est, par ailleurs, contredite par l'économie générale de cette directive ainsi que par les objectifs qu'elle poursuit.
6. Aux termes dE l'article L. 212-1 du code de l'environnement : " IV. - Les objectifs de qualité et de quantité des eaux que fixent les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux correspondent :/ 1° Pour les eaux de surface, à l'exception des masses d'eau artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon état écologique et chimique ; / 2° Pour les masses d'eau de surface artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon potentiel écologique et à un bon état chimique ; / 3° Pour les masses d'eau souterraines, à un bon état chimique et à un équilibre entre les prélèvements et la capacité de renouvellement de chacune d'entre elles ; / 4° A la prévention de la détérioration de la qualité des eaux ; / 5° Aux exigences particulières définies pour les zones visées au 2° du II, notamment afin de réduire le traitement nécessaire à la production d'eau destinée à la consommation humaine. ". Le XI du même article précise pour sa part que les programmes et décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions de ces schémas. Il résulte de ces dispositions législatives, prises pour la transposition de la directive 2000/60 du 23 octobre 2020 que la prévention de la détérioration de la qualité des eaux figure parmi les objectifs de qualité et de quantité des eaux que fixent les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux avec lesquels les programmes et décisions administratives intervenant dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles.
7. L'article R. 212-13 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de l'article 7 du décret attaqué, dispose que : " Pour l'application du 4° du IV de l'article L. 212-1, la prévention de la détérioration de la qualité des eaux consiste à faire en sorte que : / - pour l'état écologique et le potentiel écologique des eaux de surface, aucun des éléments de qualité caractérisant cet état ou ce potentiel ne soit dans un état correspondant à une classe inférieure à celle qui le caractérisait antérieurement ; / - pour l'état chimique des eaux de surface, les concentrations en polluants ne dépassent pas les normes de qualité environnementale lorsqu'elles ne les dépassaient pas antérieurement ; / - pour l'état des eaux souterraines, aucune des masses d'eau du bassin ou groupement de bassins ne soit dans un état correspondant à un classement inférieur à celui qui la caractérisait antérieurement. / Pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives mentionnées au XI de l'article L. 212-1 avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux mentionné au 4° du IV du même article, il est tenu compte des mesures d'évitement et de réduction et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme. "
8. Il résulte de l'arrêt du 5 maI 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne qu'il appartient à l'autorité administrative, dans son appréciation portée sur la compatibilité des programmes et des décisions administratives avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux prévu par la loi, de prendre en compte l'ensemble de leurs impacts sur l'état des masses d'eau concernées, y compris les impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur celles-ci, à moins qu'il ne soit manifeste que ces impacts n'ont, par nature, que peu d'incidence sur l'état des masses d'eau concernées et qu'ils ne peuvent entraîner de détérioration au sens de la loi. Dès lors qu'un projet est susceptible de provoquer une détérioration de l'état des masses d'eau de surface, même si cette détérioration est de caractère temporaire, l'autorité administrative ne peut l'autoriser que si les conditions prévues à l'article 4 paragraphe 7 de ladite directive, transposées à l'article R. 212-16 du code de l'environnement, sont remplies.
9. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 7 du décret, en ce qu'elles excluent, dans l'appréciation portée par l'autorité administrative de la compatibilité des programmes et des décisions administratives avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux prévu par la loi, leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme méconnaissent les objectifs de l'article 4 de la directive du 23 octobre 2000. L'association France Nature Environnement est dès lors fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2018-847 du 4 octobre 2018, en tant qu'il a ajouté, par le dernier alinéa de son article 7, les termes " et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme " à l'article R. 212-13 du code de l'environnement.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à l'association France Nature Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Article 1 : Le dernier alinéa de l'article 7 du décret n° 2018-847 du 4 octobre 2018, en tant qu'il modifie l'article R. 212-13 du code de l'environnement pour y insérer les termes : " et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ", ainsi que la décision implicite née du refus de faire droit à la demande de retrait de ces dispositions sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros à l'association France Nature Environnement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association France Nature Environnement, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 juin 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Carine Chevrier, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 28 juillet 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Carine Chevrier
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse
Article, R212-16, C. envir. Article, R212-13, C. envir. Décret, 2005-475, 16-05-2005 Décret, 2018-847, 04-10-2018 Article, 4, directive, 2000/60/ Arrêt, C525 Arrêt, C461/13, 01-07-2015 Arrêt, C525/20, 05-05-2022 Article, R212-13, un, C. envir. Article, 4, directive, 2000/60, paragraphe 7 Schéma d'aménagement Décision implicite Domaine de l'eau Octroi d'une dérogation Force majeure Procédure d'autorisation Caractère temporaire