AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE
Arrêt n° 1255 du 4 décembre 2024 (FS-B) –
Chambre sociale Pourvoi n° 23-12.436⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon du 15 décembre 2022 M. [J] [W] C/ la société The Valspar France Corporation _________________
M. [J] [W] a été engagé le 2 janvier 2008 par un contrat de travail à durée indéterminée par la société The Valspar Corporation. Licencié pour cause réelle et sérieuse le 28 septembre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Mâcon le 28 juin 2019 aux fins de contester son statut de cadre dirigeant ainsi que le bien-fondé de son licenciement et de voir condamner son employeur à lui payer diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail. Par jugement du 8 février 2021, le conseil de prud'hommes a notamment dit que le salarié avait bien le statut de cadre dirigeant ; dit que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse ; condamné l'employeur à verser au salarié une somme au titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de
1
cause réelle et sérieuse ; débouté le salarié du surplus de ses demandes ; débouté l'employeur de ses demandes reconventionnelles. Sur appel du salarié, la cour d'appel de Dijon, dans un arrêt prononcé le 15 décembre 2022, a notamment confirmé le jugement déféré sauf en ce qu'il a jugé que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué une somme à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; statuant à nouveau et y ajoutant, dit que la demande de requalification du statut de cadre dirigeant en statut de cadre est prescrite ; rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription s'agissant de la demande de rappel de primes sur objectifs ; dit que le licenciement du salarié est fondé sur une cause réelle et sérieuse ; rejeté la demande du salarié à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié s'est pourvu en cassation. Malgré plusieurs réformes législatives mises en place ces quinze dernières années dans un objectif de sécurisation des relations employeurs/salariés, la question de la prescription reste sensible en droit du travail. La multiplication des dispositions relatives à cette matière ainsi que celle du quantum de ses délais ont conduit à la complexité des règles de prescription en droit du travail, lesquelles interviennent dans des domaines très divers. Le pourvoi qui nous est soumis en est une nouvelle démonstration : quel délai de prescription appliquer à une action en paiement fondée sur la requalification du statut de cadre dirigeant en statut de cadre ? En l'espèce, la cour d'appel a appliqué la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail1, relative à l'exécution du contrat de travail, tandis que le pourvoi soutient que celle triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail2, relative aux créances de salaire, aurait dû l'être. Selon une jurisprudence constante, la qualification et le coefficient hiérarchique applicables à un salarié dépendent des fonctions que celui-ci exerce réellement sans nécessairement correspondre à ceux mentionnés dans le contrat
1
Article L. 1471-1 du code du travail🏛 : « Toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture. Les deux premiers alinéas ne sont toutefois pas applicables aux actions en réparation d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat de travail, aux actions en paiement ou en répétition du salaire et aux actions exercées en application des articles L. 1132-1, L. 1152-1 et L. 1153-1. Elles ne font obstacle ni aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment ceux prévus aux articles L. 1233-67, L. 1234-20, L. 1235-7, L. 1237-14 et L. 1237-19-8, ni à l'application du dernier alinéa de l'article L. 1134-5. » 2
Article L. 3245-1 du code du travail🏛 : « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. »
2
de travail (Soc., 15 octobre 1980, n 79-40.774, Bull. n 736 ; Soc., 8 juin 2005, n 0246.465, Bull. n 196 ; Soc., 19 septembre 2019, n 18-13.447). L'
article L. 3111-2 du code du travail🏛 dispose “Les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.” Ainsi, dès que les conditions posées par l'article précité sont réunies, les cadres concernés ne peuvent pas se voir appliquer la réglementation relative à la durée du travail, ni celle concernant les repos et congés. Du fait de ce régime particulier, alors que la législation sur la durée du travail revêt un caractère d'ordre public, la loi prévoit que la qualification de cadre dirigeant ne peut être retenue que de façon restrictive. Les cadres, pour relever de cette catégorie, doivent donc remplir les trois critères cumulatifs énoncés à l'article L. 3111-2 du code du travail (cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement). En outre, la chambre juge que “le juge doit vérifier précisément les conditions réelles d'emploi du salarié concerné, peu important que l'accord collectif applicable retienne pour la fonction occupée par le salarié la qualité de cadre dirigeant.” (
Soc., 13 janvier 2009, pourvoi n° 06-46.208⚖️, Bull. 2009, V, n° 12) et sans se limiter aux mentions du contrat de travail (
Soc., 5 octobre 2011, pourvoi n° 10-17.110⚖️). Par ailleurs, la chambre juge que les trois critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise (
Soc., 31 janvier 2012, pourvoi n° 10-24.412⚖️, Bull. 2012, V, n° 45 ;
Soc., 19 juin 2019, pourvoi n° 17-28.544⚖️), sans toutefois faire de cette dernière circonstance un quatrième critère, autonome et distinct se substituant aux trois critères légaux (
Soc., 22 juin 2016, pourvoi n° 14-29.246⚖️, Bull. 2016, V, n° 137). Dès lors que les cadres dirigeants ne peuvent pas se voir appliquer la réglementation relative à la durée du travail, ni celle concernant les repos et congés, la requalification du statut de cadre dirigeant en statut de cadre implique des conséquences importantes sur le plan pécuniaire puisqu'il s'agit alors pour le salarié d'obtenir notamment le versement des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été octroyées lors de l'application du statut de cadre dirigeant. La Cour juge de façon constante que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée (Ch. mixte., 26 mai 2006, pourvoi n°
03-16.800⚖️ ;
Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 18-23.932⚖️)
3
Or, le salarié sollicitait notamment devant la cour d'appel de dire qu'il n'avait pas le statut de cadre dirigeant et de condamner l'employeur à lui verser une somme à titre d'heures supplémentaires à 25% et 50%, outre repos compensateurs. Ainsi, la requalification du statut de cadre dirigeant en statut de cadre se traduit par le paiement d'heures supplémentaires, caractérisant une créance salariale. La nature de l'action est déterminée au regard des demandes salariales qu'elle engendre ; lesquelles sont, en l'espèce, les effets de la requalification. La Cour a déjà jugé que la demande de rappel de salaire fondée sur une contestation de la classification professionnelle est soumise à la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 1910.161). Je considère que cette jurisprudence est applicable en l'espèce à la contestation du statut de cadre dirigeant, la créance invoquée étant une créance de salaire consistant dans le paiement d'heures supplémentaires. Dès lors que la réalisation d'heures supplémentaires est incompatible avec le statut de cadre dirigeant, le salarié ne peut que solliciter la requalification de ce dernier pour réclamer le paiement de ces heures. La requalification du statut de cadre dirigeant en statut de cadre est le fondement de l'action. Par ailleurs, le conseil de prud'hommes, dans le dispositif de sa décision a « dit que [le salarié] avait bien le statut de cadre dirigeant », sans évoquer la question de la recevabilité au regard de la prescription de l'action soulevée par le salarié. Pour sa part, la cour d'appel n'a développé aucune motivation sur le statut de cadre dirigeant contesté par le salarié. Si dans le dispositif de l'arrêt, elle a confirmé le jugement déféré sauf en ce qu'il a jugé que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué une certaine somme ; elle a également « dit que la demande de requalification du statut de cadre dirigeant en statut de cadre est prescrite ». Selon l'
article 955 du code de procédure civile🏛, « En cas de confirmation d'un jugement, la cour peut statuer par adoption de ses motifs ou par motifs propres. Dans ce cas, elle est réputée avoir adopté les motifs du jugement qui ne sont pas contraires aux siens. » En l'espèce, je considère que les motifs du conseil de prud'hommes, pour juger que le salarié est cadre dirigeant, fondés sur la rémunération annuelle de ce dernier, le fait qu'il a signé une délégation de pouvoir en matière d'hygiène, de sécurité du travail et d'environnement, de droit du travail, de sécurité des tiers, de relations avec les organismes extérieurs, qu'il dispose des moyens techniques, humains dont il peut avoir besoin et qu'il a toute autorité et peut prendre toute sanction à caractère disciplinaire, sont contraires à ceux de la cour d'appel, laquelle, prononçant l'irrecevabilité de l'action en requalification du statut de cadre dirigeant du salarié, n'a pas statué au fond. Dès lors que la cour d'appel n'a pas adopté les motifs contraires du jugement par lesquels le conseil de prud'hommes a examiné si le salarié remplissait les
4
conditions pour avoir le statut de cadre dirigeant, le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, manque par le fait qui lui sert de base. ➤ Je conclus à la cassation sur la première branche du premier moyen, la deuxième branche reposant sur l'application de l'article L. 1471-1 du code du travail devenant sans objet, et au rejet sur les troisième et quatrième branches de ce moyen. Par ailleurs, je m'associe aux propositions de rejet non spécialement motivé présentées par Madame le conseiller rapporteur pour les deuxième et troisième moyens pour les motifs exposés au rapport.
5