Jurisprudence : CA Lyon, 19-07-2023, n° 22/07824, Infirmation partielle


N° RG 22/07824 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OUCN


Décision du Juge des contentieux de la protection de Villeurbanne en référé du 13 octobre 2022


RG : 1222000108


[N]


C/


Société ALLIADE HABITAT


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


8ème chambre


ARRÊT DU 19 Juillet 2023



APPELANTE :


Mme [G] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]


(bénéficiaire d'une aide juridictionnelle totale numéro 2022/020966 du 01/12/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Lyon)


Représentée par Me Nathalie PEQUIGNOT, avocat au barreau de LYON, toque : 158


INTIMÉE :


La société ALLIADE HABITAT, SA d'HLM a conseil d'administration, au capital de 153 283 712,00 €, immatriculée au RCS de Lyon sous le n° B 960 506 152, dont le siège social se situe [Adresse 1], agissant par son représentant légal domicilié audit siège


Représentée par Me Marie-josèphe LAURENT de la SAS IMPLID AVOCATS ET EXPERTS COMPTABLES, avocat au barreau de LYON, toque : 768


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 13 Juin 2023


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Juin 2023


Date de mise à disposition : 19 Juillet 2023

Audience tenue par Bénédicte BOISSELET, président, et Karen STELLA, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,


assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier


A l'audience, un membre de la Cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Composition de la Cour lors du délibéré :

- Bénédicte BOISSELET, président

- Karen STELLA, conseiller

- Véronique MASSON-BESSOU, conseiller


Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Karen STELLA, conseiller, en application de l'article 456 du code de procédure civile🏛, le président étant empêché, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *


La SA d'HLM Alliade est propriétaire du logement sis [Adresse 2] d'une surface de près de 50 m². Elle a été informée de la présence dans les lieux d'[G] [N]. Cette occupation a été constatée par huissier de justice le 23 février 2022.


Un homme rencontré par l'huissier de justice a indiqué que Madame [N] occupait le logement depuis cinq mois avec leur fille qu'il gardait par moment. Le logement était préalablement ouvert et un homme leur avait proposé de s'y installer. Il a lui-même posé une autre serrure.


Par exploit du 26 juillet 2022, la SA d'HLM Alliade a assigné [G] [N] devant le juge des référés de Villeurbanne pour obtenir son expulsion immédiate avec celle de son compagnon et de tous autres occupants de son chef, la suppression des délais pour quitter les lieux compte tenu de l'entrée par voie de fait dans le lieux, outre sa condamnation à lui payer la somme de 3 168,08 euros au titre d'une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges durant toute l'occupation, outre 396,01 euros par mois jusqu'à libération effective des lieux ainsi que 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et les dépens de l'instance.


[G] [N] citée à l'étude n'a pas comparu ni personne pour elle.



Suivant ordonnance du 13 octobre 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal de proximité de Villeurbanne a':


constaté que Madame [Aa] est occupante sans droit ni titre d'un logement sis [Adresse 2] ;


ordonné en conséquence son expulsion et celle de tout occupant de son chef au besoin avec l'assistance de la force publique ;


condamné Madame [N] à payer à la société Alliade la somme provisionnelle de 396,01 euros à titre d'indemnité mensuelle d'occupation à compter du 23 février 2022 jusqu'à libération effective des lieux ;


rejeté les autres demandes plus amples ou contraires ;


dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile🏛 ;


condamné [G] [N] aux dépens de l'instance en ce compris le coût du procès-verbal de constat du 23 février 2022.


Le juge a statué au vu de l'article 835 du Code de procédure civile🏛 et des articles L 213-4-3 et R 213-9-3 du Code de l'organisation judiciaire🏛🏛. Il a constaté que l'occupante s'était introduite dans le logement par voie de fait. L'ex-compagnon vient parfois garder l'enfant commun à domicile. La serrure a été changée par ce dernier. Il n'est ni allégué ni démontré qu'[G] [N] est entrée dans les lieux avec l'autorisation du propriétaire. Cela conduit à la suppression des délais pour quitter les lieux y compris lors de la trêve hivernale. Cette occupation génère un préjudice pour le propriétaire. Une provision à valoir sur l'indemnité d'occupation mensuelle est due mais uniquement à compter du 23 février 2022 à défaut de la preuve certaine d'une entrée dans les lieux à une date antérieure.


Appel a été interjeté par déclaration électronique du 24 novembre 2022 par le conseil d'[G] [N] des entières dispositions à l'exception de celle relatives aux dépens.


Vu les articles 905 à 905-2 du Code de procédure civile🏛🏛, les plaidoiries ont été fixées à bref délais au 13 juin 2023 à 9 heures.



Suivant ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 3 janvier 2023, [G] [N] demande à la Cour de':


Vu les articles L 412-1 et L 412-6 du Code des procédures civiles d'exécution🏛🏛,


infirmer l'ordonnance rendue ;

constater que le propriétaire ne rapporte pas la preuve de la voie de fait.


En conséquence,


réformer la décision de première instance en ce qu'elle a supprimé le délai de deux mois de l'article L 412-1 du Code des procédures civiles d'exécution et le sursis à expulsion prévu à l'article L 412-6 du même code ;


rejeter les demandes formées par la société Alliade ;


réduire à de plus justes proportions les sommes réclamées au titre de l'indemnité d'occcupation ;


condamner la société Alliade aux entiers dépens de l'instance.


L'appelante sollicite essentiellement des délais avant expulsion. Elle expose vivre en couple avec Monsieur [Ab] et leur fille âgée de 3 ans. En 2020, un individu lui a proposé de s'installer dans l'appartement moyennant 500 euros en espèces alors qu'elle était séparée. Elle a accepté compte tenu des graves difficultés rencontrées pour se loger. Le propriétaire ne prouve pas qu'elle a commis une voie de fait. Elle n'en est pas à l'origine. Elle a été reconnue comme prioritaire pour un relogement par la commission de médiation du 25 octobre 2022 suite à sa demande déposée le 4 mai 2022. La demande au titre de l'indemnité d'occupation doit être réduite à de plus justes proportions.


Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2023, la société d'HLM Alliade SA, demande à la Cour de':


Vu l'article 544 du Code civil🏛, L 411-1 et suivants du Code de procédure civile🏛 d'exécution,

Vu la recevabilité de son action,

Vu l'inapplicabilité des délais relatifs au commandement de quitter les lieux et de la trêve hivernale en raison de l'entrée dans les lieux par voie de fait,


confirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions ;


condamner Madame [N] à lui payer 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.


L'intimée soutient essentiellement que':


une occupation sans droit ni titre est un trouble manifestement illicite portant atteinte au droit de propriété. La voie de fait est établie, l'accord du propriétaire n'étant pas recueilli. En outre, le couple a changé la serrure.


le montant du loyer et des charges s'élève à 396,01 euros. La somme actualisée est de 4 044,96 euros.


Pour l'exposé des moyens développés par les parties, il sera fait référence conformément à l'article 455 du Code de procédure civile🏛 à leurs écritures déposées et débattues à l'audience du 13 juin 2023 à 9 heures.


A l'audience, les conseils des parties ont pu faire leurs observations et/ou déposer ou adresser leurs dossiers respectifs. Puis, l'affaire a été mise en délibéré au 5 juillet 2023.



MOTIFS


A titre liminaire, les demandes des parties tendant à voir la Cour «'constater'» ou «'dire et juger'» ne constituant pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du Code de procédure civile🏛🏛🏛🏛 mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles-ci.


Selon l'article 484 du Code de procédure civile🏛, «'l'ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n'est pas saisi du principal le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires'».


Le juge des référés ne peut pas trancher des questions de fond. Il est le juge de l'évidence et de l'urgence. Statuant au provisoire, il ne peut prononcer des mesures définitives.


Selon l'article 834 du Code de procédure civile🏛, «'dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection peuvent, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend'».


Selon l'article 835 alinéa 1 du Code de procédure civile : ils peuvent « ('), même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite'».


Ainsi, juge des référés peut prendre toutes mesures qu'il estime nécessaires pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.


L'article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile dispose que': ils peuvent « (') dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. 


Sur l'occupation sans droit ni titre et la mesure d'expulsion


Une occupation sans droit ni titre, sans l'autorisation du propriétaire et alors qu'il est manifeste que le couple a changé la serrure de la porte d'entrée, constitue un trouble manifestement illicite.


L'introduction dans une propriété privée sans autorisation du propriétaire quand bien même la porte d'entrée serait déjà fracturée, et avec maintien dans les lieux sans droit ni titre constitue en soi une voie de fait.


Au surplus en l'espèce, il ressort du constat d'huissier du 23 février 2022 que l'introduction dans les lieux s'est faite avec un changement de la serrure. Cette circonstance est la preuve d'une absence de consentement du propriétaire et d'une entrée dans les lieux par voie de fait.


Ainsi, c'est à bon droit que le premier juge a déduit qu'il convenait de faire cesser l'occupation sans droit ni titre caractérisant le trouble manifestement illicite. La mesure d'expulsion est la seule mesure appropriée pour faire cesser ce trouble manifestement illicite.


La Cour confirme l'ordonnance sur ce point.


Sur les délais pour quitter les lieux


Sur les demandes de suppression du délai de deux mois pour quitter les lieux


Aux termes de l'article L. 412-1 du Code des procédures civiles d'exécution, dans sa rédaction issue de la Loi ELAN du 23 novembre 2018, entrée en vigueur le 25 novembre 2018 : « Si l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation🏛 n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai. Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s'applique pas lorsque le juge qui ordonne l'expulsion constate que les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ».


En l'espèce, le premier juge a exactement apprécié les éléments de la situation pour constater une entrée dans les lieux par voie de fait dans l'immeuble en en prenant possession sans autorisation du propriétaire et sans avoir été induits en erreur ou abusés sur l'étendue de leurs droits puisque le compagnon de Madame [Aa] a avoué avoir posé lui-même une nouvelle serrure.


La voie de fait est suffisamment caractérisée. Ainsi, le délai de deux mois prévu à l'article L 412-1 alinéa 1er du Code des procédures civiles d'exécution ne s'applique pas, la situation personnelle et familiale des occupants ne peut conduire au maintien du délai de deux mois codifié à l'article L.412-1 du Code des procédures civiles d'exécution.


En conséquence, la Cour confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a fait droit à la demande de suppression du délai de deux mois pour quitter les lieux.


Sur la suppression de la trêve hivernale


S'agissant du bénéfice de la « trêve hivernale », il est consenti aux occupants sans droit ni titre sur le fondement des dispositions de l'article L 412-6 du Code des procédures civiles d'exécution lorsque le relogement des intéressés n'est pas assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité et les besoins de la famille.


Selon l'alinéa 2 de l'article L.412-6 du code précité «' ce sursis ne s'applique pas lorsque la mesure d'expulsion a été prononcée en raison d'une introduction sans droit ni titre dans le domicile d'autrui par voie de fait'».


Tel n'est pas le cas en l'espèce, la preuve n'étant pas rapportée que les lieux litigieux étaient le domicile d'autrui. Il s'agissait d'un local non habité.


Pour les cas d'entrée dans tout autre lieu que le domicile d'autrui à l'aide de la voie de fait, « le juge peut supprimer ou réduire le bénéfice du sursis mentionné au même premier alinéa ».


La suppression du sursis durant la trêve hivernale n'est pas automatique. Le juge reste souverain dans son pouvoir d'appréciation.


La Cour tient compte du fait que madame [N] est dans une situation précaire, qu'elle a un jeune enfant, qu'elle a fait une démarche pour un relogement et a obtenu la reconnaissance d'une priorité pour un relogement par la commission de médiation du 25 octobre 2022. Elle a fait preuve de bonne volonté.


Dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce qu'elle puisse bénéficier de la période de la trêve hivernale. L'intimée ne développe pas d'argument aux fins de suppression ou de réduction du délai considérant à tort que l'entrée par voie de fait dans ce local devait entraîner ipso facto la suppression de la trêve hivernale.


La Cour infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a fait droit à la suppression du sursis correspondant à la trêve hivernale.


Sur l'indemnité d'occupation


L'indemnité d'occupation est fixée au montant du loyer qui aurait été dû charges comprises en cas de poursuite du bail se justifie. Il appartient à Alliade Habitat de prouver le montant du loyer.


En l'espèce, il est produit un descriptif de l'appartement de 49 m² et un décompte faisant mention d'une indemnité d'occupation de 396,01 euros.


Il appartenait à Madame [Aa] qui sollicite une réduction du montant de l'indemnité de démontrer en quoi cette somme ne serait pas en rapport avec ce type d'appartement dans le même secteur. Or, il n'est produit aucune pièce susceptible de remettre en cause l'évaluation retenue par le premier juge.


En tout état de cause, en référé, la somme à laquelle Madame [N] doit être condamnée à payer à ce titre ne peut qu'être une provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice financier, l'occupation ne pouvant être gratuite.


Dans ces conditions, la Cour confirme le chef de jugement qui a condamné Madame [Aa] à payer à la société Alliade la somme provisionnelle de 396,01 euros à titre d'indemnité mensuelle d'occupation à compter du 23 février 2022 jusqu'à libération effective des lieux.


Sur les demandes accessoires


[G] [N] qui succombe en son appel doit supporter les entiers dépens de première instance comme d'appel. La Cour confirme l'ordonnance de référé sur les dépens et y ajoute à sa charge les entiers dépens d'appel.


En revanche, la situation financière de Madame [N] conduit la Cour à rejeter la demande de la SA Alliade Habitat au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.


La Cour déboute [G] [N] de sa demande au titre des dépens.



PAR CES MOTIFS


La Cour,


Confirme l'ordonnance déférée sur la mesure d'expulsion et l'inapplicabilité du délai de deux mois pour quitter les lieux à compter d'un commandement de quitter les lieux au titre de l'article L 412 -1 du Code des procédure civiles d'exécution,


Réforme l'ordonnance déférée sur la suppression du délai de la trêve hivernale.


Statuant à nouveau sur ce point :


Dit que le bénéfice de la trêve hivernale de l'article L 412-6 du Code de procédure civile est maintenu au profit de [G] [N],


Confirme l'ordonnance déférée sur l'indemnité d'occupation mensuelle sauf à préciser qu'il s'agit d'une condamnation provisionnelle à valoir sur l'indemnisation du préjudice financier de la SA Alliade habitat.


Confirme l'ordonnance déférée sur les dépens.


Y ajoutant :


Condamne [G] [N] aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle,


Rejette la demande de la SA Alliade habitat au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,


Déboute [G] [N] de sa demande au titre des dépens.


LE GREFFIER POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ,

Karen STELLA, CONSEILLER

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