CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 juillet 2023
Cassation sans renvoi
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 784 F-D
Pourvoi n° R 21-25.789
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2023
Mme [F] [R], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-25.789 contre l'ordonnance n° RG : 21/01669 rendue le 25 octobre 2021 par le premier président de la cour d'appel de Nancy, dans le litige l'opposant à Mme [B] [X], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de Mme [R], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [X], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Isola, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Nancy, 25 octobre 2021), Mme [R] a confié à Mme [X], avocate, la défense de ses intérêts dans une procédure de divorce. Le 21 février 2019, une convention d'honoraires a été signée par les parties, laquelle prévoyait un honoraire de résultat sur toutes les sommes obtenues « suite à un jugement et/ou une transaction ».
2. Un juge aux affaires familiales a prononcé le divorce et attribué à Mme [R] une prestation compensatoire d'un certain montant. A la suite de cette décision, Mme [R] a dessaisi Mme [X] et sollicité un autre avocat pour la représenter devant la cour d'appel.
3. Mme [R] ayant refusé de régler les honoraires de résultat, l'avocate a saisi le bâtonnier de son ordre aux fins de fixation de ses honoraires.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [R] fait grief à l'ordonnance de fixer à 18 000 euros TTC, le montant de l'honoraire de résultat dû à Mme [X] et de dire qu'elle restait ainsi devoir payer à celle-ci cette somme de 18 000 euros TTC, alors « que dans ses écritures d'appel, soutenues oralement, Mme [R] faisait valoir que, pour obtenir son consentement à la convention d'honoraires qu'elle avait jusqu'alors refusé de signer, Mme [X] lui avait menti en prétendant dans un courriel du 19 février 2019 que, en vertu de ses règles déontologiques, cette convention d'honoraires « d(evait) être impérativement régularisée pour ce vendredi 22 février afin que je puisse avoir le temps de la transmettre au Bâtonnier avant les plaidoiries » ; qu'en se bornant à relever, pour écarter l'existence d'un vice du consentement, qu'il ne pouvait être reproché à l'avocate d'avoir maintenu son souhait que sa cliente signe, avant l'audience de plaidoiries, une convention d'honoraires qu'elle lui avait soumise dès l'été 2018 stipulant un honoraire de résultat qui n'apparaissait pas abusif et dont la cliente avait obtenu la réduction substantielle, sans s'expliquer, comme il y était invité, sur le mensonge proféré par l'avocate, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles 1137 et 1140 du code civil🏛🏛. »
Réponse de la Cour
5. Le premier président, qui n'était pas tenu de répondre à un moyen dépourvu d'offre de preuve, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. Mme [R] fait le même grief à l'ordonnance, alors « qu'aux termes de la convention d'honoraires litigieuse, un honoraire de résultat était fixé « sur toutes les sommes (
) obtenues suite à un jugement et/ou une transaction » ; qu'en retenant, pour dire que Mme [R] était redevable d'un honoraire de résultat assis sur le montant des sommes qui lui avaient été allouées en appel par la cour de Nancy, qu'il était manifeste que les parties avaient eu l'intention de donner au mot « jugement » le sens de « décision de justice », recouvrant les arrêts de cours d'appel, et non un sens strict excluant les arrêts, le premier président de la cour d'appel a dénaturé la clause précitée et ainsi violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause :
7. L'ordonnance retient qu'il est manifeste que les parties, en signant la convention qui stipule un honoraire de résultat de 7,5 % HT sur toutes les sommes « obtenues suite à un jugement et/ou une transaction », n'ont pas eu l'intention de donner un sens strict au mot « jugement », mais le sens de « décision de justice », par opposition à la transaction, qui est le résultat d'une décision commune des parties, qu'un arrêt rendu par une cour d'appel est donc assimilable, au sens de cette convention, à un jugement.
8. Elle en déduit que l'avocate est fondée à réclamer le paiement d'un honoraire de résultat sur la base de la prestation compensatoire fixée par la cour d'appel, malgré la rupture de la convention d'honoraires consacrée par le changement d'avocat intervenu pour la procédure d'appel.
9. En statuant ainsi, alors que la convention stipule que « le client a chargé l'avocat ou sa structure d'occuper dans ses intérêts dans le cadre d'une procédure de divorce par-devant le tribunal de grande instance de Nancy » et que la mission de l'avocat s'achève « à l'expiration du délai de recours contre le jugement prononcé sur le fond », le premier président, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'
article 1015 du code de procédure civile🏛, il est fait application des
articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
12. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe 9 que la mission de l'avocate a pris fin à la date de l'appel du jugement de divorce et qu'elle ne peut prétendre à un honoraire de résultat sur les sommes obtenues en appel, de sorte que sa demande à ce titre doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 25 octobre 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Nancy ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande de Mme [X] au titre d'un honoraire de résultat ;
Condamne Mme [X] aux dépens exposés tant devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Nancy que devant la Cour de cassation ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [X] et la condamne à payer à Mme [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-trois.