Jurisprudence : TA Montreuil, du 29-06-2023, n° 2115080

TA Montreuil, du 29-06-2023, n° 2115080

A942798N

Référence

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Références

Tribunal Administratif de Montreuil

N° 2115080

9ème chambre
lecture du 29 juin 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 novembre 2021 et 13 mai 2022, M. A B, représenté par Me Bourdon et Me Brengarth, doit être regardé comme demandant au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté interdépartemental des 14 et 15 octobre 2021 par lequel le préfet de police et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, ont abrogé la décision du 5 novembre 2018 par laquelle il a été habilité pour une période de trois ans à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires ainsi que la décision implicite rejetant sa demande de renouvellement de son habilitation à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires en date du 19 août 2021;

2°) d'enjoindre à l'administration de lui délivrer une habilitation à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires, à défaut, de réexaminer sa situation en vue de la lui délivrer ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- la décision contestée méconnaît les droits de la défense, le principe du contradictoire et le droit d'être entendu dès lors que l'administration n'était pas fondée à se dispenser d'une procédure contradictoire ;

- elle méconnaît le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'administration s'est fondée sur une note blanche pour corroborer les éléments figurant dans la décision attaquée sans qu'il soit possible de contester ou de vérifier la source des informations ;

- elle est entachée d'erreurs de fait et d'erreurs d'appréciation ;

- elle méconnaît son droit au travail ;

- elle a un caractère discriminatoire et porte atteinte à sa liberté de culte et de religion.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 avril 2022 et le 1er juillet 2022, le préfet de police conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par M. B ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Nour,

- les conclusions de M. Combes, rapporteur public,

- les observations de Me Brengarth, représentant M. B, présent à l'audience,

- et les observations de M. D, représentant le préfet de police.

Considérant ce qui suit :

1. M. A B, officier pilote de ligne, a été habilité, par une décision du 5 novembre 2018, pour une période de trois ans, à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires. Par un arrêté interdépartemental en date des 14 et 15 octobre 2021, le préfet de police et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique ont conjointement abrogé la décision du 5 novembre 2018 par laquelle M. B a été habilité pour une période de trois ans à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires et rejeté implicitement sa demande du 19 août 2021 tendant au renouvellement de son habilitation à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires. Par la présente requête, M. B demande au tribunal l'annulation de ces décisions.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 6342-3 du code des transports🏛 : " Les personnes ayant accès aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes ou aux approvisionnements de bord sécurisés, ainsi que celles ayant accès au fret, aux colis postaux ou au courrier postal, sécurisés par un agent habilité ou ayant fait l'objet de contrôles de sûreté par un chargeur connu et identifiés comme devant être acheminés par voie aérienne, doivent être habilitées par l'autorité administrative compétente. () ". Aux termes du II de l'article R. 213-3-1 du code de l'aviation civile🏛 : " L'habilitation peut être retirée ou suspendue par le préfet territorialement compétent lorsque la moralité ou le comportement de la personne titulaire de cette habilitation ne présente pas les garanties requises au regard de la sûreté de l'Etat, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes, de l'ordre public ou sont incompatibles avec l'exercice d'une activité dans les zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes, dans les lieux de préparation et stockage des approvisionnements de bord, ou des expéditions de fret ou de courrier postal sécurisées et devant être acheminées par voie aérienne, ainsi que dans les installations mentionnées au III de l'article R. 213-3. () ".

3. Le préfet de police produit deux notes blanches en date des 14 octobre 2021et 13 avril 2022, résultant d'éléments recueillis par les services spécialisés et fait valoir qu'elles permettent de corroborer les éléments sur lesquels les décisions attaquées sont fondées et de confirmer la radicalisation religieuse de M. B.

4. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que M. B n'a pas été licencié par la compagnie " Air Algérie " mais a présenté sa démission le 26 août 2018 qui a été acceptée par l'entreprise et, d'autre part, que s'il a bien été licencié par la compagnie " Chalair Aviation " le 1er juillet 2014, ce licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse par un jugement du conseil de Prud'hommes de Caen du 5 avril 2018.

5. En outre, il ressort de la note du 13 avril 2022 que les compagnies " Chalair aviation", " Air Algérie " et " Hop ! " ont fait remonter aux services de police des éléments laissant supposer que M. B se serait radicalisé et de la note du 14 octobre 2021 qu'un signalement aurait été émis par la compagnie " Hop ! " le 11 décembre 2018 et qu'un " rapport du département analyse du risque et veille opérationnelle d'Air France " du 16 octobre 2019 attesterait qu'il se serait " isolé pendant plusieurs minutes dans les toilettes aux heures de prières, y compris pendant les vols ". Toutefois, cette circonstance est utilement contredite par l'intéressé qui produit un courriel du 26 avril 2022 dans lequel le directeur des opérations aériennes de la compagnie " Hop ! " l'informe qu'aucun rapport n'a été enregistré tendant à le discréditer. Le signalement mentionné dans la note blanche, n'étant notamment pas daté, est insuffisamment circonstancié. Il ressort également de deux attestations de ses responsables hiérarchiques qu'aucune procédure disciplinaire n'a été engagée contre lui.

6. Par ailleurs, la note du 13 avril 2022 fait mention de " la relation distante qu'il adopte avec le personnel féminin " et de sa " pratique du ramadan lors des vols ", tout comme celle du 14 octobre 2021 qui indique que la compagnie " Chalair Aviation " aurait témoigné que ses " capacités physiques et cognitives auraient diminué en période de ramadan à cause du jeûne observé et alors qu'il était aux commandes d'un aéronef transportant plusieurs centaines de passagers ". D'après cette même note, des employés des compagnies " Chalair Aviation " et " Air Algérie " auraient aussi signalé " son refus ostensible de serrer la main aux femmes ". Cependant, M. B conteste avoir adopté un tel comportement ou tenu de tels propos. Il produit notamment de très nombreuses attestations de personnels masculin et féminin ayant travaillé avec lui, y compris provenant d'employés des sociétés " Chalair Aviation " et " Air Algérie " qui seraient, selon la décision attaquée, à l'origine des signalements relatifs à son comportement vis-à-vis du personnel féminin, dans lesquelles il est décrit comme sociable, apprécié de ses collègue, ouvert d'esprit, respectueux des convictions religieuses des autres et comma n'ayant jamais montré aucun signe d'une pratique rigoriste de l'islam ni tenu des propos déplacés ou eu un comportement inapproprié envers les femmes. En particulier, s'agissant de la circonstance, rapportée par la décision attaquée, que M. B n'aurait pas rompu son jeûne lors des heures de vol, un de ses collègues pilote de ligne atteste qu'il " s'est constamment attaché au fait que les contraintes d'exploitation ne soient jamais entravées par un aspect quelconque de la pratique religieuse " et que, lors d'un vol effectué ensemble pendant le ramadan, il n'avait pas jeûné afin d'éviter " le risque d'être sous-alimenté et/ou en hypoglycémie ".

7. Les deux notes blanches confirment que M. B entretient des liens avec M. C, ce que l'intéressé ne conteste pas. En revanche, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce dernier serait proche de la mouvance islamiste radicale. Par une ordonnance n° 2200405 du 24 février 2022 produite par le requérant, une formation de trois juges des référés du tribunal administratif de Montreuil a d'ailleurs suspendu l'exécution de la décision par laquelle le préfet de police et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, ont retiré l'habilitation à accéder aux zones de sureté à accès réglementé des aérodromes de M. C. Si les deux notes blanches produites en défense précisent également que M. B a eu des contacts avec des individus connus comme appartenant ou étant proches de la mouvance islamiste radicale et qu'il entretiendrait des échanges réguliers avec certains d'entre eux, ces événements, au demeurant imprécis, ne sont corroborés par aucune pièce du dossier. Par suite, la circonstance que M. B aurait des liens avec des individus proches de l'islamisme radical ne peut être regardée comme établie.

8. Il est rapporté par la note du 13 avril 2022 que les convictions religieuses de M. B sont " particulièrement radicales " et se rapprochent de l'application de la charia. Il y est aussi mentionné qu'il " considère que la femme doit obéissance à son mari et que les jeunes filles doivent porter le voile islamique dès l'âge de 13 ans, pour permettre aux hommes d'asseoir leur autorité sur elles " et qu'il est " défavorable au consentement sexuel des mineures de 13 ans ", qu'il aurait imposé le hijab à sa femme depuis 2013, refuserait qu'elle ait des contacts avec d'autres hommes et envisagerait de prendre une seconde épouse. Cette même note précise également qu'il pratique le " prosélytisme en tentant d'imposer à son entourage des pratiques religieuses strictes ". Toutefois, son épouse, dont il est désormais divorcé, témoigne, par une attestation écrite, de ses convictions religieuses modérées et fait valoir qu'elle n'a jamais été soumise à lui, qu'il ne lui a jamais imposé le hijab et qu'elle est " profondément outrée " par les " allégations mensongères " rapportées par cette note blanche. L'intéressé produit aussi deux attestations de sa mère et de sa sœur dans lesquelles elles soutiennent qu'il n'a jamais fait de prosélytisme ni cherché à leur imposer une pratique religieuse. En outre, ses voisins le décrivent, dans plusieurs attestations, comme étant courtois, toujours prêt à aider, précisent qu'ils ont de bonnes relations avec ce dernier, qui ne parle jamais de sa religion et dont rien ne laisse supposer une dérive islamiste. Il ressort également d'une attestation du président de la mosquée de Tremblay-en-France, fréquentée par M. B, qu'il est un " musulman pratiquant ordinaire ", qui n'a jamais fait de prosélytisme ni tenu des propos complotistes et qu'il est respectueux des autres opinions ou religions. Enfin, l'intéressé conteste vouloir vivre dans un " pays islamiste conforme à son idéologie religieuse ", contrairement à ce qu'indique la note du 13 avril 2022. Par suite, la circonstance que les convictions religieuses de M. B seraient rigoristes et contraires aux valeurs de la République ne peut être regardée comme établie.

9. Enfin, il est précisé, dans la note du 14 octobre 2021, que M. B était " d'abord considéré comme un employé exemplaire au sein de la compagnie Chalair Aviation " mais qu'il aurait " changé d'attitude en quelques mois allant jusqu'à refuser des instructions ainsi que le suivi de certains protocoles aéronautiques en vigueur ". Toutefois, il ressort des attestations écrites par ses collègues de la compagnie " Chalair Aviation " que M. B était sérieux et compétent, qu'il a toujours appliqué la réglementation en vigueur et qu'il n'a jamais eu d'incident de nature à nuire à la sécurité des vols. Ses compétences professionnelles sont d'ailleurs confirmées par les attestations de ses collègues de la compagnie " Hop ! " ainsi que par la synthèse de ses compétences et par sa notation au titre de l'année 2019. En outre, l'intéressé conteste avoir exprimé un point de vue complotiste sur la covid-19 et avoir cherché à se procurer un faux " passe sanitaire ", contrairement à ce qu'indiquent les deux notes blanches. De même, si la note du 13 avril 2022 rapporte qu'il aurait, en mars 2019, fait l'objet d'un avertissement par les agents de la douane pour avoir fait usage à des fins personnelles de son Crew Member Certificat (CMC) afin d'éviter les contrôles douaniers, cette circonstance est utilement contredite par le courriel du 26 avril 2022 dans lequel le directeur des opérations aériennes de la compagnie " Hop ! " affirme que la direction n'a jamais reçu d'avertissement de la douane.

10. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 9 que les éléments au vu desquels le préfet de police et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique ont pris les décisions attaquées et figurant dans les deux notes blanches des services de renseignement en date des 14 octobre 2021 et 13 avril 2022, contestés par M. B et contredits par les nombreuses pièces qu'il produit dans la présente instance, ne peuvent être regardés comme établis et suffisants pour justifier les décisions contestées. Dans ces conditions, ces éléments ne permettent pas de considérer que la moralité et le comportement de M. B ne présentent pas les garanties requises au regard de la sûreté de l'Etat, de la sécurité publique, de la sécurité des personnes, de l'ordre public ou sont incompatibles avec l'exercice d'une activité dans les zones de sûreté à accès règlementé des aérodromes. Par suite, M. B est fondé à soutenir que les décisions attaquées sont entachées d'erreurs de fait et d'erreurs d'appréciation.

11. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B est fondé à demander l'annulation de la décision en date des 14 et 15 octobre 2021 par laquelle le préfet de police et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique ont conjointement abrogé la décision du 5 novembre 2018 habilitant M. B à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires, ainsi que l'annulation de la décision implicite rejetant sa demande de renouvellement de son habilitation à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires en date du 19 août 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent jugement implique nécessairement, en tant qu'il a pour objet l'annulation de la décision implicite rejetant la demande de renouvellement de l'habilitation de M. B à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires en date du 19 août 2021, d'enjoindre au préfet de police et au préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, sous réserve d'un changement de circonstances de fait ou de droit, de délivrer à M. B une habilitation d'accès aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. B sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision des 14 et 15 octobre 2021 par laquelle le préfet de police et le préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique ont abrogé la décision du 5 novembre 2018 par laquelle M. B a été habilité pour une période de trois ans à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires ainsi que la décision implicite rejetant sa demande de renouvellement de son habilitation à accéder aux zones de sûreté à accès réglementé des plateformes aéroportuaires en date du 19 août 2021 sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de police et au préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique, de délivrer à M. B une habilitation d'accès aux zones de sûreté à accès réglementé des aérodromes dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L'Etat versera à M. B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, au préfet de police, au préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Jimenez, présidente,

M. Charageat, premier conseiller,

Mme Nour, conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2023.

La rapporteure,

C. Nour

La présidente,

J. JimenezLe greffier,

C. Chauvey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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