CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 87046
Duffaut
Lecture du 28 Avril 1989
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu 1°) sous le n° 87 045 la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 4 mai 1987 et 4 septembre 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. DUFFAUT, demeurant 8, boulevard Gambetta à Villeneuve-lès-Avignon (30400), et tendant à ce que le Conseil d'Etat annule le jugement en date du 5 février 1987 du tribunal administratif de Marseille par lequel le tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la ville d'Avignon (Vaucluse) à lui verser, en réparation du préjudice résultant de l'arrêté du 25 octobre 1985 du maire d'Avignon mettant fin à ses fonctions de directeur du théâtre municipal, la somme de 56 000 F correspondant à un rappel d'indemnités forfaitaires de frais de représentation, la somme de 45 886 F à titre d'indemnité de préavis, la somme de 137 658 F à titre d'indemnité de licenciement, la somme de 16 033 F à titre d'indemnité compensatrice de congés payés et la somme de 1 376 854 F à titre d'indemnité pour rupture abusive de contrat, avec les intérêts et les intérêts des intérêts ;
Vu 2°) sous le n° 87 046 la requête et le mémoire complémentaire enregistrés les 4 mai 1987 et 4 septembre 1987, présentés pour M. DUFFAUT et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° - annule le jugement en date du 5 février 1987 du tribunal administratif de Marseille par lequel le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du maire d'Avignon (Vaucluse) en date du 25 octobre 1985 mettant fin à ses fonctions de directeur du théâtre municipal, 2° - annule pour excès de pouvoir cette décision,
Vu la loi du 26 janvier 1984 ;
Vu la loi du 20 juillet 1988 ;
Vu le décret n° 72-512 du 22 juin 1972 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 77-1468 du 30 décembre 1977 ;
Considérant que les requêtes susvisées sont relatives à la situation d'un même agent ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions de la requête n° 87 046 tendant à l'annulation de l'arrêté du 25 octobre 1985 par lequel le maire d'Avignon a mis fin aux fonctions de directeur du théâtre municipal d'Avignon de M. DUFFAUT : Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. DUFFAUT avait été recruté en qualité d'agent contractuel de la ville d'Avignon ; que la seule intervention de la loi du 26 janvier 1984 n'a pas eu pour effet de transformer son emploi en emploi de fonctionnaire titulaire de la commune ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et qu'il n'est d'ailleurs pas allégué, que l'intéressé aurait présenté une demande tendant à obtenir sa titularisation et que la commune aurait fait droit à cette demande ; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de la loi du 26 janvier 1984, qui imposent la consultation du conseil de discipline en cas de révocation d'un fonctionnaire titulaire, auraient été méconnues ; que M. DUFFAUT, qui avait été informé dès le 10 octobre de la sanction qui était envisagée à son égard et de ses motifs, et invité à prendre communication de son dossier, a été ainsi régulièrement mis à même de consulter ledit dossier ; qu'enfin le moyen tiré de ce que le maire ne l'aurait pas avisé de la possibilité de se faire assister par un défenseur manque en fait dès lors que la lettre du 10 octobre précisait qu'il pourrait se présenter "accompagné d'une ou plusieurs personnes" ; Considérant, en second lieu, que le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté attaqué, qui énonce de manière précise les faits qui lui ont été reprochés, ne serait pas suffisamment motivé ; Considérant, en troisième lieu, que M. DUFFAUT, qui, comme il a été dit ci-dessus, avait été informé avant l'intervention de l'arrêté attaqué des motifs de la sanction envisagée à son égard, lesquels étaient expressément tirés de ses déclarations à la presse, n'a jamais contesté la teneur des propos qui avaient été rapportés ; qu'il n'est pas fondé dans ces conditions à soutenir que lesdits propos auraient été dénaturés et qu'ainsi la sanction reposerait sur des faits matériellement inexacts ; Considérant, en quatrième lieu, que la faute commise par M. DUFFAUT, directeur de la régie municipale du théâtre d'Avignon, pourtant prévenu à l'occasion d'un précédent incident des sanctions qu'il encourrait en cas de manquement à l'obligation de réserve, a proféré publiquement de graves accusations de malveillance et d'incompétence à l'encontre du maire et de son adjoint chargé des affaires culturelles, était de nature à entraîner, sans erreur manifeste d'appréciation, qu'il soit mis fin à ses fonctions ; Considérant, en cinquième lieu, que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Considérant enfin que si le requérant se réclame de l'amnistie prononcée par la loi du 20 juillet 1988 pour demander l'annulation de la mesure d'éviction prise à son encontre, ladite mesure a été prononcée par un arrêté du 25 octobre 1985, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de la loi d'amnistie ; que la légalité de cette mesure devant être appréciée à la date à laquelle elle a été prise, le moyen tiré de la méconnaissance de cette loi est inopérant ;
Considérant que de tout ce qui précède, il résulte que M. DUFFAUT n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté attaqué ;
Sur les conclusions de la requête n° 87 045 tendant à la condamnation de la ville d'Avignon à verser diverses indemnités au requérant :
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que M. DUFFAUT n'est pas fondé à demander une indemnité en réparation du préjudice matériel et du préjudice moral qui lui auraient été causés par une décision illégale d'éviction ;
Considérant que si M. DUFFAUT a demandé une indemnité correspondant au montant des indemnités forfaitaires de frais de représentation dont il aurait été privé du 1er septembre 1983 au 30 octobre 1984, il ressort des pièces du dossier qu'il avait été mis fin au versement de ces indemnités par un arrêté du 24 avril 1984 ; que le requérant ne soulève aucun moyen mettant en cause la légalité de cette décision ;
Considérant que M. DUFFAUT ne peut se prévaloir ni d'un engagement de la commune à son égard ni d'une disposition législative ou réglementaire ou d'un principe général qui lui donnerait droit au versement d'une indemnité compensatrice du congé payé dont il n'a pu bénéficier avant son licenciement ;
Considérant que de tout ce qui précède, il résulte que M. DUFFAUT n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les demandes qu'il avait présentées sur les points ci-dessus exposés ;
Considérant en revanche que si les dispositions des articles 3 et 4 du décret du 22 juin 1972 relatif au licenciement des agents civils non fonctionnaires des administrations de l'Etat, auxquelles a pu légalement se référer l'arrêté du maire en date du 2 août 1977 fixant les modalités de rémunération de M. DUFFAUT excluaient tout droit à préavis et à indemnité de licenciement en cas de licenciement "pour faute grave", la faute commise par M. DUFFAUT , bien que de nature à justifier un licenciement disciplinaire, n'avait pas le caractère d'une "faute grave" au sens de ce décret ; que, dans ces conditions, M. DUFFAUT pouvait prétendre au bénéfice d'un préavis de deux mois et d'une indemnité de licenciement dans les conditions fixées par le décret du 22 juin 1972 ; Considérant, d'une part, qu'ayant été illégalement privé du bénéfice du préavis, M. DUFFAUT a droit à une indemnité correspondant au préjudice résultant de cette privation ; que dans les circonstances de l'affaire et alors notamment qu'il n'est pas établi que le requérant aurait retrouvé un emploi avant la fin de la période de deux mois suivant son licenciement, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant à 40 000 F la somme due de ce chef par la ville d'Avignon ; Considérant, d'autre part, qu'en ce qui concerne l'indemnité de licenciement, l'état du dossier ne permettant pas de fixer le montant des sommes dues à ce titre, il y a lieu de renvoyer M. DUFFAUT devant la commune pour qu'il soit procédé à la liquidation des sommes auxquelles il a droit ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts ;
Considérant que la somme que la commmune d'Avignon devra verser à M. DUFFAUT portera intérêts à compter du 2 décembre 1985, date à laquelle M. DUFFAUT a fait signifier sa demande d'indemnité à la commune d'Avignon ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 4 mai 1987 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Article 1er : Le jugement n° 86/1868 E du 5 février 1987 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de M. DUFFAUT tendant à ce que la ville d'Avignon soit condamnée à lui verser une indemnité au titre du préavis et une indemnité de licenciement.
Article 2 : La ville d'Avignon est condamnée à verser à M. DUFFAUT la somme de 40 000 F ainsi qu'une somme correspondant au montant de l'indemnité de licenciement prévue au décret du 22 juin 1972, M. DUFFAUT est renvoyé devant la ville d'Avignon pour qu'il soit procédé à la liquidation de ladite indemnité de licenciement.
Article 3 : Les sommes que la ville d'Avignon doit verser à M. DUFFAUT en application de l'article 2 ci-dessus portera intérêts au taux légal à compter du 2 décembre 1985. Les intérêts échus le 4 mai 1987 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : La requête n° 87 046 et le surplus des conclusions de la requête n° 87 045 sont rejetés.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. DUFFAUT, à la ville d'Avignon et au ministre de l'intérieur.