CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 86241
Société France 5 et Association des fournisseurs de la Cinq
Lecture du 22 Avril 1988
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu, °1 sous le °n 86 241, la requête, enregistrée le 31 mars 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE FRANCE 5, dont le siège est 21 rue Jean Goujon à Paris (75008), et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 2 février 1987 portant retrait du décret du 30 juillet 1986 et résiliation du traité de concession conclu avec la société requérante pour l'exploitation de la 5ème chaîne de télévision, Vu, °2 sous le °n 86 242, les requêtes, enregistrées le 31 mars 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentées pour l'ASSOCIATION DES FOURNISSEURS DE LA CINQ, dont le siège est 21 rue Jean Goujon à Paris (75008) ; la SOCIETE TOP-VIDEO, dont le siège est 40 boulevard Vital-Bouhot à Neuilly (92200) ; la SOCIETE SIMO, dont le siège est 2 rue de Sully à Boulogne (92100) ; la SOCIETE DE REGIE DES STUDIOS DE FRANCE, dont le siège est 50 avenue du Président Wilson à La Plaine Saint-Denis (93214) et la SOCIETE LE GOFF PRODUCTIONS, dont le siège est 60 cours Lafayette à Lyon (69006), et tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret précité du 2 février 1987, Vu, °3 sous le °n 88 553, le jugement en date du 27 avril 1987 par lequel le tribunal administratif de Paris a renvoyé au Conseil d'Etat la requête enregistré le 26 septembre 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat et les conclusions enregistrées au greffe du tribunal le 5 février 1987 présentées pour la SOCIETE FRANCE 5, et tendant à ce que le Conseil d'Etat annule le décret °n 86-900 du 30 juillet 1986 portant résiliation du traité de concession conclu par elle avec l'Etat pour l'exploitation de la 5ème chaîne de télévision,
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi °n 82-652 du 29 juillet 1982 modifiée par les lois °n 83-632 du 12 juillet 1983, °n 84-742 du 1er août 1984 et °n 85-1317 du 13 décembre 1985 ;
Vu la loi °n 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication complétée par la loi °n 86-1210 du 27 novembre 1986, ensemble les textes pris pour son application ;
Vu le décret °n 86-84 du 18 janvier 1986 portant approbation du traité de concession et du cahier des charges de la 5ème chaîne ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Pêcheur, Maître des requêtes, - les observations de Me Choucroy, avocat de la SOCIETE FRANCE 5 et de la SCP de Chaisemartin, avocat de la Société pour l'exploitation la 5ème chaîne, - les conclusions de M. Fornacciari, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes présentées par la SOCIETE FRANCE 5 d'une part, par l'ASSOCIATION DES FOURNISSEURS DE LA CINQ, les sociétés "TOP VIDEO", "SIMO", "REGIE DES STUDIOS DE FRANCE" et "LE GOFF-PRODUCTIONS" d'autre part sont dirigées contre la résiliation de la même concession d'un service de télévision parvoie hertzienne ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur la compétence du Conseil d'Etat en premier ressort :
Considérant qu'il résulte du deuxième alinéa de l'article 2 bis, ajouté au décret du 30 septembre 1953 par le décret du 27 décembre 1960 que, lorsque le Conseil d'Etat est saisi d'une requête contenant des conclusions ressortissant à sa compétence en premier et dernier ressort, il est également compétent, nonobstant toutes dispositions contraires de l'article 2 dudit décret, pour connaître d'une requête connexe à la précédente et ressortissant normalement à la compétence en premier ressort d'un tribunal administratif ;
Considérant que le Conseil d'Etat est compétent, en vertu de l'article 2-°1) du décret du 30 septembre 1953 susvisé, pour connaître en premier et dernier ressort, des requêtes présentées par l'ASSOCIATION DES FOURNISSEURS DE LA CINQ et par les sociétés TOP VIDEO, SIMO, REGIE DES STUDIOS DE FRANCE et LE GOFF-PRODUCTIONS, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret °n 87-50 du 2 février 1987 portant retrait du décret °n 86-900 du 30 juillet 1986 et résiliation du traité de concession avec la SOCIETE FRANCE 5 pour l'exploitation de la 5ème chaîne de télévision ; que si la requête introduite par la société concessionnaire FRANCE 5 tendant à l'annulation du même décret ressortit en première instance à la compétence du tribunal administratif de Paris, juge du contrat de concession, dans le ressort duquel a son siège l'autorité publique signataire du contrat, il existe entre cette requête et la requête en annulation pour excès de pouvoir du même décret, un lien de connexité au sens des dispositions susrappelées du décret du 30 septembre 1953 ; qu'ainsi le Conseil d'Etat est compétent, en premier ressort, pour connaître des deux requêtes visées ci-dessus dirigées contre le décret du 2 février 1987 ; que, de même, il existe un lien de connexité entre la requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 2 février 1987 et la requête de la SOCIETE FRANCE 5, transmise au Conseil d'Etat par un jugement du tribunal administratif de Paris en date du 27 avril 1987, et tendant à l'annulation du décret °n 86-900 du 30 juillet 1986 portant résiliation du traité de concession conclu par elle avec l'Etat pour l'exploitation de la cinquième chaîne de télévision, que rapporte le décret du 2 février 1987 ; qu'ainsi, le Conseil d'Etat est également compétent pour connaître de cette requête en premier et dernier ressort ;
Sur les requêtes °ns 86 241 et 86 242 :
Sur la légalité externe du décret du 2 février 1987 :
Considérant que l'article 41-3-°1) introduit dans la loi °n 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, par la loi °n 86-1210 du 27 novembre 1986, invoqué par les requérantes, prévoit que, pour l'application des articles 39, 41, 41-1 et 41-2 de la loi du 30 septembre 1986 qui limitent les concentrations dans les secteurs de la communication audiovisuelle et de la presse, "le titulaire d'une concession ... délivrée en vertu des dispositions de la loi °n 82-652 du 29 juillet 1982 est regardé comme titulaire d'une autorisation délivrée par la Commission Nationale de la Communication et des Libertés (CNCL) sous le régime de la loi nouvelle" ; qu'il résulte des termes mêmes de cette disposition que l'assimilation à laquelle elle procède ne vaut qu'au regard des dispositions des articles susvisés limitant les possibilités de cumuls d'autorisations d'usage de fréquences ou d'exploitation de services de radiodiffusion sonore ou de télévision et des possibilités de détention de telles autorisations par des personnes contrôlant des entreprises de presse ; que la disposition dont il s'agit n'a eu ni pour objet, ni pour effet de substituer aux concessions attribuées sous l'empire de la loi du 29 juillet 1982, des autorisations régies par la loi du 30 septembre 1986 ; que la SOCIETE FRANCE 5 étant restée titulaire d'une concession pour l'exploitation de la 5ème chaîne de télévision, le gouvernement, en sa qualité d'autorité concédante, avait compétence pour résilier ce contrat ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'il appartenait à la commission nationale de la communication et des libertés, qui tient de l'article 42 de la loi modifiée du 30 septembre 1986 le pouvoir de retirer les autorisations d'exploitation d'un service de communication audiovisuelle, et non au gouvernement, de prendre la décision attaquée, n'est pas fondé ; que, pour la même raison, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, en vertu duquel la commission nationale de la communication et des libertés ne peut retirer une autorisation d'exploitation d'un service de communication audiovisuelle, qu'après mise en demeure, ne saurait être accueilli ;
Considérant que si la résiliation de la concession accordée à la SOCIETE FRANCE 5 a eu pour effet de libérer des fréquences radioélectriques susceptibles d'être réattribuées en vue de l'exploitation, par voie hertzienne terrestre, d'une chaîne de télévision, elle n'a pas modifié la répartition des bandes de fréquences, effectuée, selon l'article 21 de la loi du 30 septembre 1986, par le Premier ministre, entre celles qui sont attribuées aux administrations de l'Etat, et celles qui sont susceptibles d'être attribuées ou assignées par la CNCL ; qu'ainsi, le Premier ministre n'a pas méconnu les dispositions de cet article en s'abstenant de solliciter l'avis de cette commission avant de résilier, par le décret attaqué, la concession de la 5ème chaîne de télévision ;
Sur la légalité interne du même décret ;
Considérant qu'il appartient à l'autorité concédante, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs et sous réserve des droits d'indemnisation du concessionnaire, de mettre fin avant son terme à un contrat de concession dès lors qu'il existe des motifs d'intérêt général justifiant, à la date à laquelle elle prend sa décision, que l'exploitation du service concédé doit être abandonnée ou établie sur des bases nouvelles ; qu'elle peut user de cette faculté alors même qu'aucune disposition législative ou réglementaire, non plus qu'aucune stipulation contractuelle, n'en ont organisé l'exercice ;
Considérant qu'il résulte des motifs du décret attaqué que, pour résilier le traité de concession de la 5ème chaîne de télévision, le gouvernement s'est fondé sur les changements introduits par la loi susvisée du 30 septembre 1986, complétée par celle du 27 novembre 1986, qui a supprimé le régime des concessions et établi de nouvelles règles relatives au droit d'usage des fréquences et sur les modifications du paysage audiovisuel induites par ces changements juridiques, du fait notamment de la privatisation de TF1 et de la définition de nouvelles règles concernant la diffusion des oeuvres cinématographiques et leur interruption par des messages publicitaires ; qu'il a estimé qu'en conséquence le maintien de la concession se traduirait, pour une durée excessivement longue, par la juxtaposition de deux régimes profondément distincts, sans que cette situation puisse se justifier par la nature des services en cause ; qu'en se fondant sur ces motifs, le gouvernement a fait, dans la circonstance de l'espèce, un usage régulier de son pouvoir de résiliation d'une concession pour des motifs d'intérêt général ; qu'il résulte des termes mêmes du décret attaqué, que le dernier motif, tiré des conditions dans lesquelles il avait été procédé à la concession de la 5ème chaîne de télévision, est surabondant ;
Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
Sur le moyen tiré de ce qu'en l'absence de préavis de résiliation, le décret attaqué méconnaîtrait les droits que l'exploitant tire du traité de la concession ;
Considérant que l'insuffisance alléguée du délai de préavis, si elle est de nature à ouvrir, le cas échéant, droit à indemnisation, serait sans influence sur la légalité de la décision attaquée ;
Sur le moyen tiré de ce que le décret attaqué ne réserverait pas les droits d'indemnisation du concessionnaire ;
Considérant que l'article 2 du décret attaqué prévoit que la concession de la 5ème chaîne de télévision est résiliée "dans les conditions prévues au traité" ; que ces conditions sont celles fixées, pour la reprise des obligations du concessionnaire et l'indemnisation de celui-ci, par l'article 16 du traité de concession dans l'hypothèse où il est mit fin à la concession "pour quelque cause que ce soit", à l'exception de la déchéance pour faute grave prononcée sous contrôle judiciaire ; qu'ainsi le moyen invoqué manque en fait ;
Considérant que de tout ce qui précède il résulte que la SOCIETE FRANCE 5, l'ASSOCIATION DES FOURNISSEURS DE LA CINQ, les sociétés TOP VIDEO, SIMO, REGIE DES STUDIOS DE FRANCE et LE GOFF-PRODUCTIONS ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret susvisé du 2 février 1987 ;
Sur la requête °n 88 553 :
Considérant que le décret °n 86-900 du 30 juillet 1986 a été retiré par le décret °n 87-50 du 2 février 1987 et que, ainsi qu'il vient d'être dit, les conclusions des requêtes dirigées contre ce dernier décret doivent être rejetées ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la SOCIETE FRANCE 5 tendant à l'annulation du décret du 30 juillet 1986 ;
Article 1er : La requête °n 86 241 de la SOCIETE FRANCE 5, ainsi que la requête °n 86 242 de l'ASSOCIATION DES FOURNISSEURS DE LA CINQ, de la société TOP VIDEO, de la société SIMO, de la société de REGIE DES STUDIOS DE FRANCE et de la société LE GOLF-PRODUCTIONS, sont rejetées.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête °n 88 553 de la SOCIETE FRANCE 5.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE FRANCE 5, à l'ASSOCIATION DES FOURNISSEURS DE LA CINQ, à la société TOP VIDEO, à la société SIMO, à la société de REGIE DES STUDIOS DE FRANCE, à la société LE GOFF-PRODUCTIONS, à la société pour l'exploitation de la 5ème chaîne, au Premier ministre, au ministre de la culture et de la communication, au ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de la privatisation et ministre de l'industrie, des P. et T. et du tourisme.