CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 67968
O.P.H.L.M. de la Communauté urbaine de Bordeaux
Lecture du 12 Octobre 1988
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 19 avril 1985 et 19 juin 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'OFFICE PUBLIC D'HLM DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX, dont le siège est 130, avenue Louis Barthou à Bordeaux (33000), et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1- annule le jugement du 26 février 1985 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à ce que les architectes Servin, Chevallier et Saloun, le bureau d'études "Sogelerg", les architectes Raoûl et Christian Carme, la société anonyme Moisan, Laurent, Savey et M. Sabouraud soient condamnés solidairement à lui verser la somme de 478 208,57 F en réparation des désordres affectant les bâtiments qu'ils ont construits pour la requérante à Blanquefort, ainsi que la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts, et à fixer à 32 183,10 F et 8 045,77 F la somme que doivent respectivement lui verser en réparation desdits désordres les architectes Servin, Chevallier et Saloun, le bureau d'études "Sogelerg" d'une part, et d'autre part, les architectes Raoûl et Christian Carme et l'entreprise Moisan, Laurent et Savey ; et l'a condamnée à verser à l'entreprise M.L.S. la somme de 20 906,52 F ; 2- condamne solidairement la société anonyme Moisan, Laurent, Savey, MM. Raoûl et Christian Carme, Servin, Chevallier et Saloun, M. Sabouraud et le bureau d'études "Sogelerg" à lui verser la somme de 478 208,75 F actualisée au jour du règlement avec intérêts de droit à compter de la date introductive d'instance et à lui verser la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts ; rejette la demande de la société M.L.S. en paiement de la somme de 20 906,52 F ; condamne les mêmes à supporter tous les frais et dépens y compris les frais d'expertise ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Groshens, Conseiller d'Etat, - les observations de Me Pradon, avocat de l'OFFICE PUBLIC D'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX et de la SCP le Bret, de Lanouvelle, avocat du bureau d'études Sogelerg, de Me Boulloche, avocat de M. Sirvin et autres et de Me Choucroy, avocat de l'entreprise Sabouraud, - les conclusions de M. Faugère, Commissaire du gouvernement ;
Sur le fondement de la responsabilité des constructeurs :
Considérant que si les travaux de construction confiés par l'OFFICE PUBLIC D'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX à la Société Moisant-Laurent-Savey, entreprise générale, avaient fait l'objet de réceptions provisoires, par groupes d'immeubles, les 26 mai 1976, 30 novembre 1976 et 1er avril 1977, avec des réserves concernant notamment l'étanchéité, l'expiration du délai de garantie de douze mois ne pouvait valoir, en l'absence de stipulation expresse en ce sens, réception définitive tacite des ouvrages ; que la prise de possession des locaux ne pouvait comporter en elle-même aucune conséquence en ce qui concerne cette réception définitive ; que ladite réception qui n'avait pas été expressément prononcée, ne pouvait non plus être regardée comme acquise ou due à l'entreprise, compte tenu tant des réserves initiales portant sur l'étanchéité que de celles qui avaient été formulées par le maître de l'ouvrage sur l'isolation phonique, avant que les précédentes réserves eussent été satisfaites ; qu'il suit de là que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux s'est placé sur le terrain de la responsabilité décennale des architectes et de l'entrepreneur pour examiner la demande de l'office public d'habitations à loyer modéré relative à la réparation des désordres concernant l'isolation phonique des logements ; que l'ensemble des désordres doivent être appréciés sous le régime de la responsabilité contractuelle des constructeurs ; En ce qui concerne les défauts d'étanchéité et le mauvais fonctionnement d'un ascenseur :
Considérant que le rapport de l'expert commis par les premiers juges faisait état d'une somme de 43 228,87 F correspondant pour 37 994,47 F à la réparation de défauts d'étanchéité des façades apparus en 1981, pour 3 000 F à des travaux intérieurs dans 6 appartements destinés à réparer les conséquences de ces infiltrations, et enfin, pour 2 234,40 F, à la réparation d'un ascenseur ; que, si le tribunal administratif a estimé qu'il n'était pas établi que le mauvais fonctionnement de l'ascenseur, survenu après la réception provisoire, fût imputable à un fait des constructeurs, il a par erreur soustrait du total, non pas la somme de 2 234,40 F, mais celle de 3 000 F et condamné les constructeurs à verser à l'Office la somme de 40 228,87 F ; Considérant, que, si l'Office requérant soutient que le mauvais fonctionnement de l'ascenseur engage la responsabilité des constructeurs, il ne fait état d'aucune malfaçon ni d'aucun vice de conception ; qu'un incident de cette nature, survenu après l'occupation de l'immeuble concerné, relève de l'exploitation courante de cet immeuble ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que, comme l'ont admis les premiers juges, les désordres d'étanchéité sont imputables pour 80 % à une faute de conception imputable aux architectes auteurs de celle-ci et au bureau d'études qui était chargé de son adaptation, et pour 20 % à des fautes d'exécution de l'entreprise et des architectes d'opération ; qu'il résulte de l'instruction que ces fautes sont distinctes ; que l'Office requérant n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le tribunal administratif aurait dû condamner solidairement les deux groupes de constructeurs ;
Considérant que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, il y a lieu de porter à 32 795,58 F la condamnation solidaire prononcée à ce titre contre les architectes Servin, Chevallier et Sacoum et la société Sogelerg, et à 8 198,89 F celle qui a été prononcée contre les architectes Raoul et Christian Carme et l'entreprise Moisant-Laurent-Savey ; En ce qui concerne l'isolation acoustique :
Considérant qu'il ressort de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert qu'environ la moitié des logements n'étaient pas conformes aux normes minimales exigées en matière d'isolement acoustique ; que cette situation est imputable pour l'essentiel à l'installation de chauffage, et plus spécialement à la superposition de radiateurs en tôle légère solidaires de colonnes montantes traversant les appartements ; qu'il ne peut être remédié à cette situation qu'en "désolidarisant" un radiateur sur deux de la colonne et en procédant au "remasticage" des traversées de plancher ;
Considérant qu'il résulte du même rapport que l'installation de chauffage est strictement conforme au "projet-type" dit "G2 innovation" retenu par l'Office requérant ; que dans ces conditions la responsabilité de l'entreprise et des architectes d'opération ne peut être retenue ; qu'en revanche, cette installation révèle une faute imputable aux architectes, auteurs du modèle et chargés de sa conception et de son adaptation en fonction du programme et du terrain choisi, et au bureau d'études Ceteco, au droit duquel vient le bureau d'études Sogelerg ; que dans ces conditions, les intéressés doivent être condamnés solidairement à verser à l'OFFICE PUBLIC D'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX la somme nécessaire à la réparation de ces dommages, dont l'évaluation faite par l'expert à 434 979,70 F n'est pas sérieurement contestée ;
Sur le surplus de la demande de l'Office :
Considérant que si l'Office public requérant demande la condamnation des constructeurs au paiement d'une somme de 20 000 F à titre de dommages-intérêts, il ne fournit aucune justification du préjudice qu'il prétend avoir subi ;
Considérant que l'Office ne justifie pas avoir été dans l'impossibilité de procéder aux réparations des désordres dès le dépôt du rapport d'expertise ; que dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a refusé de procéder à l'actualisation des sommes mentionnées par ce rapport ;
Sur les frais de caution exposés par la Société Moisant-Laurent-Savey :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'après avoir réparé, au plus tard le 30 décembre 1980, les désordres d'étanchéité qui lui avaient été signalés en 1977 et 1978, la Société Moisant-Laurent-Savey n'était plus redevable envers l'Office que de la somme de 8 198,89 F ; que compte tenu du peu d'importance de cette somme et des travaux correspondants, l'Office aurait dû libérer la caution pour le surplus à compter du 30 décembre 1980 ; qu'il n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif l'a condamné à rembourser une partie des frais de cautionnement exposés par l'entreprise ; qu'il ne ressort pas des pièce du dossier que la somme allouée par le tribunal administratif à la société soit excessive ;
Sur les intérêts :
Considérant que l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré demande que les sommes qui lui sont allouées pour les dommages dont l'évaluation a été faite comme il est dit ci-dessus portent intérêts au taux légal à compter de la date de sa demande introductive d'instance devant le tribunal administratif ; qu'il y a lieu de faire droit à ses conclusions ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que dans les circonstances de l'affaire il y a lieu de mettre 2 % des frais d'expertise à la charge solidaire de la Société Moisant-Laurent-Savey et des architectes d'opération, et 98 % à la charge solidaire de la Société Sogelerg et des architectes de conception ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'OFFICE PUBLIC D'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA communauté urbaine de bordeaux est fondé à demander la réformation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 février 1985 ; qu'en revanche le bureau d'études Sogelerg n'est pas fondé, par voie d'appel incident, à demander la réduction de la somme qu'il a été condamné à payer ;
Article 1er : La somme que le bureau d'études Sogelerg et les architectes Servin, Chevallier et Sacoum ont été condamnés solidairement à payer à l'OFFICE PUBLIC D'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX est portée à 467 775,28 F.
Article 2 : La somme que les architectes Raoul et Christian Carme et l'entreprise Moisant-Laurent-Savey ont été condamnés à payer solidairement à l'OFFICE PUBLIC D'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX est portée à 8 198,89 F.
Article 3 : Les frais d'expertise exposés devant le tribunal administratif de Bordeaux sont mis à raison de 2 % à la charge solidaire de la Société Moisant-Laurent-Savey et des architectes Raoul et Christian Carme et à raison de 98 % à la charge solidaire dela société Sogelerg et des architectes Servin, Chevallier et Sacoum.
Article 4 : Les sommes mentionnées aux articles 1er et 2 ci-dessus porteront intérêt à compter du 25 mai 1983.
Article 5 : Les articles 1er, 2 et 7 du jugement du tribunal administratif de Bordeaux sont réformés en ce qu'ils ont de contraire à la présente décision.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de l'OFFICEPUBLIC D'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX et le recours incident de la société Sogelerg sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à l'OFFICE PUBLICD'HABITATIONS A LOYER MODERE DE LA COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX, à la Société Anonyme Moisant-Laurent-Savey, à MM. Raoul et Christian Carme, à MM. Servin, Chevallier, Sacoum et Sabouraud, au bureau d'études techniques Sogelerg, à la banque de l'Indochine et de Suez et au ministre d'Etat, ministre de l'équipement et du logement.